Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-Gon Kwon

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
16 décembre 2003

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

___________________________________________

DÉCISION PRÉLIMINAIRE RELATIVE À L’ADMISSIBILITÉ DE COMMUNICATIONS INTERCEPTÉES

___________________________________________

Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
Mme Hildegard Uertz-Retzlaff
M. Dermot Groome

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Amici Curiae :

M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Timothy L.H. McCormack

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la demande de l’Accusation aux fins d’admission de plusieurs communications interceptées (les « interceptions ») concernant le volet du procès consacré à la Bosnie-Herzégovine (« BiH »)1,

VU les arguments avancés par l’Accusé selon lesquels

a) tous les enregistrements ont été interceptés sans l’autorisation de l’organisme public responsable2,

b) les interceptions ont été manipulées dans le but de nuire et ne reproduisent pas fidèlement la teneur des conversations3, et

c) la plupart des conversations ont eu lieu en temps de paix4,

VU les arguments avancés par les amici curiae selon lesquels

a) l’Accusation n’a pas prouvé la légalité de l’enregistrement des interceptions5,

b) l’authenticité des interceptions, et par conséquent la fiabilité des éléments qu’elles contiennent, n’ont pas été établies au-delà de tout doute raisonnable, et une expertise à cette fin est nécessaire6, et

c) les interceptions devraient être examinées au cas par cas7,

VU les arguments avancés par l’Accusation selon lesquels

a) les communications interceptées en temps de guerre, qu’elles l’aient été conformément ou non au droit interne, ne sont pas automatiquement visées par l’exclusion prévue à l’article 95 du Règlement de procédure et de preuve8,

b) des autorisations légales ont été données pour intercepter les communications lors de la période précédant le conflit9,

c) même si les communications interceptées ont été obtenues en violation du droit interne , elles devraient être admises dans le cadre d’affaires concernant de graves violations du droit international humanitaire10, et

d) l’authenticité des interceptions a de prime abord été établie et, en tout état de cause, aucun argument « raisonnable » n’a été avancé afin de la contester11,

ATTENDU que la Chambre de première instance a attribué une cote provisoire à toutes les interceptions produites à ce jour,

ATTENDU que les dispositions applicables quant à l’admissibilité des interceptions se trouvent à l’article 89 et, en particulier, à l’article 95 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») qui se lit comme suit :

Article 95
Exclusion de certains éléments de preuve

N’est recevable aucun élément de preuve obtenu par des moyens qui entament fortement sa fiabilité ou si son admission, allant à l’encontre d’une bonne administration de la justice, lui porterait gravement atteinte.

ATTENDU que les interceptions doivent présenter un caractère pertinent afin d’être admissibles, et que l’Accusation a reçu l’ordre de fournir une liste montrant en quoi chacune d’entre elles était digne d’intérêt12, liste que la Chambre de première instance examinera de façon approfondie,

ATTENDU que l’admissibilité des interceptions ne dépend pas nécessairement de leur conformité au droit interne de la BiH, mais que c’est le droit relatif à l’admissibilité des éléments de preuve d’après le Statut et le Règlement de ce Tribunal et le droit international qui doit s’appliquer,

ATTENDU qu’en ce qui concerne l’authenticité des interceptions, celle-ci a suffisamment été mise en doute par l’Accusé pour que l’Accusation se trouve dans l’obligation de l’établir, et que la Chambre de première instance doit déterminer la manière dont cette authenticité devra être prouvée,

ATTENDU que lorsque l’authenticité d’une communication interceptée ne pourra être établie au-delà de tout doute raisonnable, ladite communication interceptée sera exclue13,

ATTENDU toutefois que la Chambre de première instance est convaincue qu’il existe des indices de fiabilité suffisants pour admettre a priori en tant qu’éléments de preuve les 245 comptes rendus contenus dans la pièce à conviction 61314, la décision définitive quant à leur admissibilité devant être rendue une fois que la Chambre de première instance aura pu s’assurer de la pertinence et de la fiabilité des interceptions,

EN APPLICATION des articles 89 et 95 du Règlement,

ORDONNE ce qui suit :

1) les 245 comptes rendus contenus dans la pièce à conviction 613 sont a priori admis en tant qu’éléments de preuve, et

2) en fonction de son appréciation quant à la pertinence et la fiabilité des interceptions , la Chambre de première instance statuera définitivement sur la question de leur admissibilité.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 16 décembre 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
__________
Richard May

[Sceau du Tribunal]


1 - La première demande en ce sens a été présentée dans le document intitulé Prosecution’s Response to Accused’s Objection to Admission of Intercepted Communications, 31 octobre 2002 (la « Réponse de l’Accusation »). Par la suite, un certain nombre de communications interceptées ont été présentées par l’intermédiaire de différents témoins et, tout récemment, il a été demandé au témoin B-1793 de venir confirmer la procédure d’interception et d’authentifier toutes les interceptions précédemment produites ainsi qu’un certain nombre d’interceptions nouvellement présentées (soit au total 245 interceptions) : 4 décembre 2003, Compte rendu d’audience (« CR »), p. 30097 à 30212.
2 - 30 septembre 2002, CR, p. 10412.
3 - 10 décembre 2003. L’intérêt de cet argument réside dans la question de savoir si, en temps de guerre, les lois internes réglementant cette situation s’appliquent de façon moindre ou ne s’appliquent pas du tout.
4 - Ibid.
5 - 10 décembre 2003.
6 - Ibid. Les amici curiae affirment que la Chambre de première instance devrait à cet égard appliquer l’article 89 E) du Règlement, qui se lit comme suit : « La Chambre peut demander à vérifier l’authenticité de tout élément de preuve obtenu hors audience ».
7 - 19 novembre 2002, CR, p. 13050 ; Observations des amici curiae, par. 24 et 34.
8 - Réponse de l’Accusation, par. 5 a).
9 - Ibid., par. 5 b).
10 - Ibid., par. 5 c).
11 - 10 décembre 2003.
12 - 4 décembre 2003, CR, p. 30109.
13 - À cet égard, la Chambre de première instance fait observer la position adoptée dans Le Procureur c/ Brdanin, Décision relative à l’opposition de la Défense à l’admission de moyens de preuve interceptés, 3 octobre 2003, (la « Décision Brdanin »), par. 66.
14 - La Chambre de première instance relève que c’est la procédure suivie dans la Décision Brdanin, par. 68.