Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
9 décembre 2005

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

______________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE PRÉSENTÉE PAR LES CONSEILS COMMIS D’OFFICE EN VUE D’OBTENIR L’AUDITION ET LA DÉPOSITION DE TONY BLAIR ET GERHARD SCHRÖDER

______________________________________________

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne :

M. Edmund Duckwitz, Ambassadeur
M. Christian Tomuschat

Les Conseils commis d’office par la Chambre :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

Le Gouvernement du Royaume-Uni :

M. Christopher Greenwood
M. Chris Whomersley
M. Dominic Raab

I. Introduction

1. La Chambre de première instance est saisie de demandes présentées par les Conseils commis à la défense de l’Accusé, Slobodan Milosevic, en vue d’obtenir la déposition (et l’audition) de Tony Blair, Premier Ministre du Royaume-Uni, et de Gerhard Schröder, ancien chancelier de la République fédérale d’Allemagne. La Chambre de première instance remercie les Conseils d’avoir abordé dans leurs demandes des questions que l’Accusé a soulevées à maintes reprises sans respecter les conditions de forme requises.

2. Les Conseils commis d’office font valoir que MM. Blair et Schröder détiennent des informations nécessaires au règlement de questions se rapportant au volet Kosovo de l’acte d’accusation établi contre l’Accusé, et demandent la délivrance d’une ordonnance contraignante à l’adresse des Gouvernements du Royaume-Uni et de la République fédérale d’Allemagne pour obtenir la comparution de plusieurs témoins ou d’une injonction pour contraindre Tony Blair et Gerhard Schröder à venir témoigner au procès de l’Accusé. En réponse, les autorités des deux États soutiennent qu’une convocation de ces deux personnes à titre de témoins ne sert pas un but légitime juridiquement pertinent et qu’en raison de leurs fonctions officielles, ces témoins potentiels bénéficient d’une immunité qui peut faire obstacle à la délivrance d’une telle injonction. La Chambre de première instance a analysé tous les arguments présentés par les parties et elle rend ci-après sa décision.

II. Rappel de la procédure

3. Le 18 août 2005, les Conseils commis d’office ont demandé à la Chambre de première instance, à titre confidentiel et ex parte, de délivrer une ordonnance contraignante à l’adresse du Gouvernement du Royaume-Uni (le « Royaume-Uni ») et d’ordonner à celui-ci

a) de prendre les dispositions nécessaires pour permettre aux Conseils commis d’office et à un collaborateur de l’Accusé de procéder à l’audition d’un responsable du Royaume -Uni, le Premier Ministre, M. Anthony Blair [et]

b) de prendre, en concertation avec les Conseils commis d’office et un collaborateur de l’Accusé, les dispositions nécessaires pour que le témoin dépose dans le procès de Slobodan Milosevic, lors de la présentation des moyens à décharge, si l’Accusé décide de l’appeler à la barre1.

4. Une semaine plus tard, les Conseils commis d’office ont, de même, demandé à la Chambre de première instance de délivrer une ordonnance contraignante à l’adresse du Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne (« l’Allemagne ») et d’ordonner à celui-ci « de prendre les dispositions nécessaires pour permettre aux Conseils commis d’office et à un collaborateur de l’Accusé de procéder à l’audition » de certains témoins désignés nommément, et à ces derniers « de déposer dans le procès de Slobodan Milosevic, lors de la présentation des moyens à décharge, si l’Accusé décide de les appeler à la barre2 ». Les témoins en question sont Gerhard Schröder (ancien chancelier), Helmut Kohl ( ancien chancelier), Joschka Fisher (ancien Ministre des affaires étrangères), Hans-Dietrich Genscher (ancien Ministre des affaires étrangères) et Klaus Kinkel (ancien Ministre des affaires étrangères).

5. Le 9 septembre 2005, le Royaume-Uni a répondu à la demande des Conseils commis d’office3, et ces derniers ont déposé une réplique le 16 septembre4. Une semaine plus tard, l’Allemagne a déposé sa réponse5 et, le 30 septembre 2005, les Conseils commis d’office ont présenté leur réplique 6.

6. La Chambre de première instance a rendu le même jour deux ordonnances préliminaires (l’une concernant le Royaume-Uni, l’autre l’Allemagne) dans lesquelles elle a ordonné aux parties de déposer des conclusions supplémentaires concernant le point de savoir

i) si, dans la Demande, présentée en application des articles 54 et 54 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal, ainsi qu’il est indiqué, le Conseil commis d’office sollicite une ordonnance contraignante en application de l’article 54 bis ou une injonction de comparaître en application de l’article  54, une attention particulière devant être portée à la conclusion tirée par la Chambre d’appel dans l’affaire Le Procureur c/ Krstic7, et

ii) si, [en sa qualité de haut responsable de l’État], la personne concernée et/ ou témoin potentiel bénéficie d’une immunité qui le dispense de déférer à une injonction de se présenter pour une audition et/ou de déposer dans le cadre d’un procès devant le Tribunal8.

7. Les Conseils commis d’office ont répondu à chacune des ordonnances préliminaires le 30 septembre 20059, et le Royaume -Uni et l’Allemagne ont déposé leurs réponses deux semaines plus tard10.

8. Le 17 octobre 2005, l’Accusé a déposé une liste mise à jour des témoins qu’il entend citer d’ici à la fin du procès. MM. Blair et Schröder figurent parmi ces témoins, contrairement aux autres responsables allemands (MM. Kohl, Genscher, Fisher et Kinkel) dont les noms apparaissaient dans la Demande concernant l’Allemagne. En conséquence, le 7 novembre 2005, les Conseils commis d’office ont fait savoir, par voie de notification, qu’ils retiraient le nom de ces responsables de la Demande concernant l’Allemagne11. Les témoins à présent visés par les demandes des Conseils commis d’office sont Tony Blair, chef du Gouvernement britannique, et Gerhard Schröder, ancien chef du Gouvernement allemand.

III. Comment enjoindre à un haut responsable de l’État de se présenter à une audition ou de déposer dans le cadre d’un procès devant le Tribunal : en délivrant une ordonnance contraignante à l’adresse de l’État, en application de l’article  54 bis, ou en délivrant une injonction de comparaître à l’adresse du responsable concerné, en application de l’article 54 ?

A. Introduction

9. L’article 54 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») prévoit  :

Article 54
Disposition générale

À la demande d’une des parties ou d’office un juge ou une Chambre de première instance peut délivrer les ordonnances, citations à comparaître, ordonnances de production ou de comparution forcées, mandats et ordres de transfert nécessaires aux fins de l’enquête, de la préparation ou de la conduite du procès.

L’article 54 bis du Règlement dispose notamment :

Article 54 bis
Ordonnances adressées aux États aux fins de production de documents

A) Une partie sollicitant la délivrance à un État d’une ordonnance aux fins de production de documents ou d’informations en application de l’article 54, dépose une requête écrite devant le juge ou la Chambre de première instance compétents et :

i) identifie autant que possible les documents ou les informations visés par la requête,

ii) indique dans quelle mesure ils sont pertinents pour toute question soulevée devant le juge ou la Chambre de première instance et nécessaires au règlement équitable de celle-ci, et

iii) expose les démarches qui ont été entreprises par le requérant en vue d’obtenir l’assistance de l’État.

10. La Chambre de première instance doit avant tout déterminer si une demande de convocation d’un haut responsable de l’État en vue de recueillir son témoignage entre dans le champ d’application de l’article 54 (« disposition générale » qui prévoit la délivrance d’injonctions) ou de l’article 54 bis (disposition qui s’applique en particulier lorsque des ordonnances sont adressées aux États aux fins de production « de documents ou d’informations »).

11. Dans l’affaire Blaskic, la Chambre d’appel a estimé que le terme « injonction  » impliquait forcément des sanctions, et que dans la mesure où « les États, par définition, ne peuvent faire l’objet de sanctions pénales [...][,] le terme d’injonction ne peut s’appliquer aux États et [...] seules des “ordonnances” ou des “requêtes ” contraignantes peuvent leur être adressées12  ». Pour ce qui est des hauts responsables de l’État, la Chambre d’appel a suivi le même raisonnement : ces derniers ne sont que des agents de l’État et ne peuvent donc être contraints, par voie d’injonction, à livrer des informations qu’ils ont recueillies dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Partant, la Chambre d’appel a conclu qu’il n’était pas possible de délivrer, en application de l’article  54, une injonction à l’adresse de la Croatie, de son Ministre de la Défense ou d’un haut responsable de Bosnie-Herzégovine13. En revanche, elle a délivré une ordonnance contraignante à la Croatie et à la Bosnie -Herzégovine exigeant d’elles qu’elles produisent certains documents, par l’intermédiaire d’un responsable de leur choix14. Adopté deux ans après la Décision Blaskic, l’article 54 bis a fixé la procédure à suivre pour obtenir des documents d’un État ou d’un haut responsable de l’État : une ordonnance contraignante doit être adressée à l’État en question 15.

12. En 2003, la Chambre d’appel saisie de l’affaire Krstic a précisé i) que l’interdiction de délivrer une injonction à un haut responsable de l’État édictée dans la Décision Blaskic ne concernait que les demandes de production de documents officiels, et ii) que si l’une des parties souhaitait faire déposer un haut responsable de l’État au procès ou procéder à son audition en tant que témoin potentiel, elle devait demander la délivrance d’une injonction de comparaître en application de l’article 5416. Dans l’affaire Krstic, l’accusé demandait que deux injonctions soient délivrées à deux témoins potentiels, présentés par la Chambre d’appel comme des « officiers dans l’armée d’un État ou d’une entité17  », pour que ses conseils puissent procéder à leur audition. L’accusé se fondait sur l’article 54 du Règlement qui confère aux Chambres de première instance le pouvoir de « délivrer les ordonnances, citations à comparaître, ordonnances de production ou de comparution forcées, mandats [...] nécessaires aux fins [...] de la préparation ou de la conduite du procès ». Selon la Chambre d’appel, cet article

donne de toute évidence [à une Chambre] la possibilité [...] de délivrer une injonction convoquant un témoin éventuel à une date et en un lieu donnés pour y être interrogé par la Défense18.

13. Ainsi, la Chambre d’appel a ordonné qu’il soit enjoint aux deux témoins potentiels de « se présenter en un lieu [...] en Bosnie-Herzégovine à une date qui sera fixée par la Défense de Krstic [...] pour y être interrogés19  ».

14. Le Juge Shahabuddeen était, pour deux raisons, en désaccord avec la majorité des juges de la Chambre d’appel. En premier lieu, il a estimé qu’aucun témoin, haut responsable de l’État ou autre, ne pouvait être contraint à se présenter à une audition. Il a reconnu que l’article 54 conférait aux Chambres des pouvoirs étendus pour délivrer des ordonnances et des injonctions, et que celles-ci pouvaient notamment contraindre des personnes à témoigner. En revanche, le Juge Shahabuddeen a estimé que la Chambre ne pouvait obliger quiconque à se présenter à une audition. Il a ajouté que les jurisprudences nationales ou internationale n’offraient pas d’exemples où des témoins potentiels avaient été mis en demeure de se présenter à une audition par la Défense sous peine de sanctions pénales, et que le recours à cette fin à l’article 54 constitue une atteinte au droit à la confidentialité inacceptable20.

15. En second lieu, le Juge Shahabuddeen a récusé l’idée qu’une Chambre ait le pouvoir de délivrer une injonction à un haut responsable de l’État pour qu’il dépose au sujet de ce qu’il a vu ou entendu dans l’exercice de ses fonctions officielles. Le Juge Shahabuddeen a convenu que la Décision Blaskic concernait la production de documents, mais il lui semblait que « [l]ogiquement, ce raisonnement s’appliqu[ait] par extension à toute autre information obtenue par le responsable ès qualités  », y compris aux informations qui devaient être communiquées par voie de déposition 21.

16. En dépit de ce profond désaccord, la majorité des juges de la Chambre d’appel a conclu dans la Décision Krstic a) qu’il y avait lieu de délivrer une injonction pour contraindre un haut responsable de l’État à témoigner, et ii) qu’il y avait lieu également de délivrer une injonction pour contraindre un haut responsable de l’État à se présenter à une audition. Aussi, depuis cette décision, de nombreuses Chambres de première instance ont-elles délivré des injonctions à des hauts responsables de l’État pour qu’ils témoignent dans un procès ou se présentent à une audition22.

B. Arguments des parties

Conseils commis d’office

17. Les Conseils commis d’office précisent que, dans les deux demandes, ils sollicitent « dans un premier temps » la délivrance d’une ordonnance contraignante à l’adresse des États, et non d’une injonction à l’adresse des témoins potentiels. Ils font valoir que cette mesure « respecte les prérogatives de l’État et permet à ce dernier de s’acquitter des obligations qui sont les siennes aux termes de la résolution 827 du Conseil de sécurité et de l’article 29 du Statut23  ». Toutefois, « [si] la Chambre de première instance délivre une ordonnance contraignante à l’adresse de [l’État] et si celui-ci refuse de coopérer et s’oppose à tout contact avec la personne nommément désignée, les Conseils commis d’office demanderont la délivrance d’une injonction de comparaître24  ». En outre, précisent-ils, « [s]i la Chambre de première instance i) désapprouve la manière dont les Conseils envisagent l’application de ces mécanismes contraignants ou ii) considère que la délivrance d’une injonction en application de l’article  54 du Règlement constitue la meilleure manière d’obtenir à ce stade du procès les informations ou témoignages demandés, la Chambre peut tout à fait opter pour cette solution25 ».

18. Selon les Conseils commis d’office, il n’existe pas de réelle différence entre une injonction et une ordonnance contraignante sachant que la demande d’une ordonnance contraignante, bien qu’elle soit adressée à l’État, n’exclut pas toute demande de convocation de témoins précis ; c’est bien là, insistent-ils, ce qu’ils veulent  :

L’idée contenue de la Décision Blaskic selon laquelle « les États, [sur qui pèse] [l’Cobligation de coopérer avec le Tribunal], disposent pour s’y conformer d’une relative liberté au plan du choix des personnes responsables et des modalités d’exécution » n’est valable que si l’identité du témoin n’est pas importante. La Décision Blaskic concernait la production de documents officiels ; peu importait qui présenterait ces documents. Dans ces circonstances, l’État avait en effet une certaine liberté pour choisir la manière dont ces documents seraient produits. Or, en l’espèce, cet argument n’est pas valable […] puisque l’on cherche à faire témoigner une personne précise […]. L’État ne peut pas choisir les témoins qui seront entendus par la Chambre de première instance26.

19. Les Conseils commis d’office demandent donc à la Chambre de première instance d’adresser des ordonnances contraignantes au Royaume-Uni et à l’Allemagne, et non des injonctions à MM. Blair et Schröder, et de préciser, dans ces ordonnances, que chaque État est tenu de faire déposer le responsable nommément désigné. Dans l’éventualité où cette solution ne serait pas retenue, les Conseils prient la Chambre de considérer leurs demandes comme des demandes d’injonctions.

Royaume-Uni

20. Le Royaume-Uni soutient qu’il y a lieu de considérer la demande le concernant comme une demande de délivrance d’une ordonnance contraignante à l’adresse d’un État en application de l’article 54 bis du Règlement. Selon le Royaume-Uni, la Décision Krstic – faisant obligation à un haut responsable de l’État de déférer à une injonction de se soumettre à une audition – porte sur un cas différent du cas présent27. Même s’il est vrai que la Décision Krstic concerne « une injonction adressée à un témoin potentiel en vue de l’interroger et de verser son témoignage au dossier », elle traite, affirme le Royaume-Uni, d’une question différente de celle soulevée par la requête présentée en l’espèce en vue d’obtenir l’audition et la déposition de M. Blair car la Décision Krstic concernait « un témoin que l’on entendait faire déposer sur ce qu’il avait vu ou entendu alors qu’il était un Shaut responsable de l’ÉtatC, dans l’exercice de ses fonctions officielles28 ». Or, en l’espèce, rien n’indique que le Premier Ministre britannique « puisse rapporter ce qu’il a vu ou entendu des événements qui valent à l’Accusé d’être poursuivi ou de porter une appréciation sur les faits29  ». C’est pourquoi la Décision Krstic ne s’applique pas, contrairement à la Décision Blaskic, et que la Demande concernant le Royaume-Uni entre dans le champ d’application de l’article 54 bis du Règlement.

21. Selon le Royaume-Uni, l’article 54 du Règlement est « une disposition générale permettant la délivrance d’ordonnances, etc. » tandis que « l’article 54 bis prévoit le cas où une ordonnance doit être adressée à un État. Partant, toute demande de production de documents ou d’informations par un État doit être présentée en application des articles 54 et 54 bis du Règlement30 ». La demande présentée en l’espèce est une demande de production d’informations par un État et elle relève à ce titre, affirme le Royaume-Uni, de l’article 54  bis. Les autorités britanniques insistent sur le fait qu’il en va ainsi quelle que soit la façon dont la demande a été officiellement déposée ou présentée. « [M]ême si formellement » la demande des Conseils commis d’office « s’adresse à une personne désignée nommément, elle relève de l’article 54 bis puisqu’elle tend à obtenir la production de documents ou d’informations par un État31  ».

22. En conclusion, le Royaume-Uni reconnaît que la Décision Krstic crée un précédent qui déroge à la règle établie par l’article 54 bis du Règlement en exigeant qu’une injonction soit délivrée pour obtenir le témoignage d’un haut responsable de l’État, et non la production de documents officiels. Il fait valoir toutefois que cette dérogation se limite au cas où un haut responsable de l’État doit déposer sur ce qu’il a « vu ou entendu » dans l’exercice de ses fonctions officielles.

Allemagne

23. L’Allemagne est d’accord avec le Royaume-Uni pour dire que c’est l’article 54  bis – et non pas l’article 54 – qui s’applique à la demande des Conseils commis d’office. Selon elle, « il n’y a pas le moindre doute quant à la qualification juridique à donner à la demande présentée par la Défense le 25 août 2005 […] [:] la Défense ne se fonde que sur l’article 54 bis. Elle n’a pas demandé au Tribunal d’enjoindre directement aux témoins potentiels de déposer ; elle a au contraire demandé à la Chambre de première instance d’ordonner aux autorités allemandes de “prendre les dispositions nécessaires afin de permettre l’audition […] des personnes concernées”32 ». Puisque « la délivrance d’une ordonnance pour la production d’un témoignage ne se justifie que par l’obligation que fait l’article 29 du Statut aux États de coopérer […] toute ordonnance rendue à cette fin doit être adressée à l’État concerné en application de [l’article] 54  bis du Règlement de procédure et de preuve, la suite à donner étant laissée à l’appréciation de l’État33 ».

24. Si, contrairement au Royaume-Uni, l’Allemagne ne dit pas expressément que l’obligation faite par la Chambre d’appel dans la Décision Krstic de délivrer une injonction pour obtenir le témoignage d’un haut responsable de l’État ne s’applique que lorsque le témoin potentiel est un témoin oculaire, elle suit le même raisonnement lorsqu’elle souligne que, en demandant l’audition et la déposition de M. Schröder, « [l]a Défense ne cherche pas à obtenir “des informations dont [M. Schröder] aurait personnellement connaissance”, mais “des informations générales concernant la politique étrangère de l’Allemagne”34 ». Dans ces conditions, fait-elle valoir, « des dizaines d’autres hauts responsables de l’État disposent des mêmes informations » que M. Schröder et, partant, « la jurisprudence Blaskic s’applique » et la Chambre « ne peut adresser une injonction » à M. Schröder 35.

25. En dernier lieu, l’Allemagne avance que, par principe, une partie ne devrait pas être autorisée à contourner les protections offertes aux États par l’article  54 bis en demandant la délivrance d’une injonction de comparaître en application de l’article 54 :

Le principe procédural qui l’emporte est consacré par l’article 29 du Statut. Les États sont tenus de coopérer avec le Tribunal, mais c’est à eux de décider des modalités de coopération. En invoquant [l’article] 54 du Règlement de procédure et de preuve et en demandant au Tribunal de prendre des mesures à l’encontre des hauts responsables de l’État qu’ils ont désignés, les conseils d’un accusé peuvent contourner les dispositifs destinés à protéger la souveraineté des États36.

C. Examen

26. S’il n’existe aucune différence fondamentale entre les conditions nécessaires à la délivrance d’une ordonnance contraignante à l’adresse d’un État et les conditions requises pour décerner une injonction à un haut responsable de l’État37, les deux procédures ne produisent pas les mêmes effets. En premier lieu, l’injonction serait adressée à M. Blair ou à M. Schröder, et non au Royaume-Uni ou à l’Allemagne, et ce serait sur eux – et non sur leur État – que pèseraient les obligations juridiques découlant de l’injonction. En second lieu, le refus d’obtempérer à une injonction serait sanctionné par une condamnation pour outrage en application de l’article 77 du Règlement38 tandis que le refus de déférer à une ordonnance contraignante donnerait lieu à un rapport du Président du Tribunal au Conseil de sécurité pour l’en informer conformément à l’article 7  bis du Règlement.

27. La Chambre de première instance estime que lorsqu’elle est, comme en l’espèce, saisie d’une requête aux fins d’obtenir l’audition et la déposition d’un haut responsable de l’État nommément désigné, et non d’une demande de production d’informations par un État, sans demande de convocation d’un haut responsable donné, elle doit adresser à ce responsable une injonction, et non délivrer une ordonnance contraignante à l’adresse de l’État dont il est un haut responsable.

28. La Chambre de première instance est d’avis que la décision rendue par la Chambre d’appel dans l’affaire Krstic est tout à fait claire à ce sujet : il y a lieu de délivrer une injonction en application de l’article 54 du Règlement, et non une ordonnance contraignante en application de l’article 54 bis, pour obtenir la déposition d’un haut responsable de l’État, qui peut être obligé également de se prêter à une audition. L’article 54 bis du Règlement ne concerne que les demandes de production de documents officiels et ne s’applique pas aux requêtes présentées en vue d’obtenir la déposition d’un haut responsable de l’État même s’il s’agit de recueillir des « informations » obtenues dans l’exercice de fonctions officielles. En effet, l’approche suivie par les parties – qui soutiennent en substance que toutes les demandes de production d’informations officielles, que ces demandes concernent des documents ou des témoignages, entrent dans le champ d’application de l’article 54 bis – cadre avec l’opinion dissidente exprimée dans l’affaire Krstic, et non avec la décision rendue à la majorité39.

29. Dans la Décision Krstic, la majorité des juges de la Chambre d’appel a pris ses distances vis-à-vis de la Décision Blaskic (qui imposait de délivrer des ordonnances contraignantes à l’adresse des États dans le cas d’une demande de production de documents officiels) au motif qu’il existe une différence fondamentale entre documents et témoignages. Même si la Chambre d’appel a estimé que c’est à l’État de désigner ses hauts responsables qui produiront les documents demandés, personne ne peut déposer à la place d’un témoin et c’est pourquoi il y a lieu d’adresser une injonction à celui-ci. Dans la Décision Krstic, il est dit :

La Chambre d’appel [Blaskic] a expliqué qu’on ne pouvait pas adresser d’injonction à des responsables officiels dans l’exercice de leurs fonctions parce que « ces officiels ne sont que des agents de l’État et SqueC leurs actions officielles ne peuvent être attribuées qu’à l’État ». Cette affirmation s’applique à la personne chargée de la conservation de documents officiels, mais non à un responsable officiel qui peut témoigner sur ce qu’il a vu et entendu (hormis peut-être s’agissant d’un document officiel). À la différence de la production de documents officiels, l’État ne peut lui-même produire les éléments de preuve que seul ce témoin peut fournir40.

30. Ce raisonnement vaut pour tous les types de témoignages. En conséquence, la Chambre de première instance rejette l’argumentation du Royaume-Uni et de l’Allemagne selon laquelle, d’après la jurisprudence Krstic, une Chambre ne peut délivrer une injonction que lorsque le témoin est appelé à déposer sur ce qu’il a vu et entendu 41. Même si la Chambre d’appel envisage à maintes reprises dans la Décision Krstic la déposition d’un haut responsable de l’État sur « ce qu’il a vu ou entendu », rien ne donne à penser qu’elle entendait en limiter la portée à ce type de témoignages. Il est dit tout au long de la décision que les hauts responsables de l’État témoignent sur ce qu’ils ont vu ou entendu dans l’exercice de leurs fonctions et cette phrase, resituée dans son contexte, tend à indiquer que ce sont les activités « officielles » du témoin, non ses activités « privées », qui sont visées et que, dès lors, le témoin bénéficie d’une immunité. Ainsi, la Chambre d’appel n’a pas dit que les informations demandées devaient porter sur ce que les témoins avaient vu ou entendu, mais elle a considéré de manière générale qu’il y avait lieu de délivrer une injonction pour contraindre des témoins à se présenter à une audition, même lorsque la partie requérante « ne connaît pas la nature précise du témoignage [que ces derniers peuvent apporter]42».

31. En dernier lieu, la Chambre de première instance rejette l’argument du Royaume -Uni43 et de l’Allemagne44 selon lequel la délivrance en application de l’article 54 d’injonctions de déposer à l’adresse de hauts responsables de l’État permettrait de tourner les protections offertes par l’article 54 bis. Selon les deux États, une partie qui demande la production de documents pourrait se soustraire aux exigences de l’article 54  bis (comme préciser les documents demandés, démontrer en quoi ces documents sont nécessaires à un règlement équitable de la question par la Chambre de première instance et quelles sont les démarches déjà entreprises pour obtenir l’assistance de l’État) en demandant simplement la délivrance d’une injonction de comparaître à l’adresse d’un haut responsable de l’État afin que celui-ci rapporte les informations contenues dans les documents, ce qui rendrait inopérantes les protections offertes par l’article 54 bis (telles que la possibilité de produire à huis clos des documents officiels dont la communication porterait atteinte à la sécurité nationale ).

32. Cette crainte, apparemment légitime, est toutefois injustifiée, et ce pour deux raisons. Premièrement, les conditions nécessaires à la délivrance d’une injonction en application de l’article 54 sont tout aussi strictes que celles requises pour délivrer une ordonnance contraignante en application de l’article 54 bis45. Deuxièmement, la Chambre d’appel a dit clairement dans la Décision Krstic qu’un haut responsable de l’État qui dépose devant le Tribunal bénéficie mutatis mutandis des protections accordées aux documents officiels par l’article 54  bis. Dès lors, si un haut responsable de l’État était appelé à répondre à « des questions mettant en jeu [la] sécurité nationale, on pourrait envisager d’adopter une procédure analogue à celle de l’article 54 bis du Règlement 46 ». En conséquence, les États n’ont aucune raison de craindre qu’ils ne puissent plus défendre leurs intérêts concernant la sécurité nationale si l’article 54 est appliqué au lieu de l’article 54 bis.

Conclusion

33. Pour conclure, la Chambre d’appel a exigé dans la Décision Krstic que les requêtes aux fins d’obtenir le témoignage de hauts responsables de l’État soient régies par l’article 54 du Règlement. Les Chambres de première instance ont suivi cette jurisprudence dans leurs décisions récentes47. Par ailleurs, la distinction faite dans la Décision Krstic entre documents et témoignages ne prive pas les États des protections qui leur sont offertes par l’article 54 bis pour préserver les intérêts touchant à la sécurité nationale car ces protections valent également pour les témoignages des hauts responsables obtenus en application de l’article 54 du Règlement. Par ces motifs, la Chambre de première instance considère que la requête des Conseils commis d’office aux fins d’obtenir l’audition et la déposition de MM. Blair et Schröder constitue une demande d’injonction fondée sur l’article 54 et qu’elle doit être appréciée eu égard aux conditions énoncées dans cet article.

IV. Examen au fond

A. Conditions nécessaires à la délivrance d’une injonction à l’adresse d’un témoin potentiel en application de l’article 54 du Règlement

34. Ayant conclu que la demande des Conseils commis d’office était gouvernée par les dispositions de l’article 54, la Chambre doit maintenant examiner si les conditions nécessaires à la délivrance d’une injonction de comparaître en application de l’article  54 sont remplies.

35. « La Chambre de première instance jouit d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer si [un] demandeur a bien rapporté les preuves requises, ce pouvoir étant essentiel pour veiller à ce que la mesure coercitive qu’est l’injonction ne soit pas appliquée de façon inconsidérée48. ». Comme l’a souligné la Chambre d’appel, les Chambres de première instance « ne sauraient délivrer une injonction de comparaître à la légère », la délivrance d’injonctions impliquant l’usage du pouvoir de coercition49. En outre, « une prudence particulière s’impose dans le cas où [une partie] demande à interroger un témoin qui a refusé un entretien avec cette dernière50  ».

36. Pour se prononcer sur une demande d’injonction de comparaître, une Chambre de première instance doit 1) se demander si les informations détenues par le témoin potentiel sont nécessaires au règlement de questions particulières qui seront débattues au procès (sa comparution doit avoir un « but légitime juridiquement pertinent ») et 2) examiner si elles peuvent être obtenues par d’autres moyens (il doit s’agir d’un « dernier recours »)51.

Un but légitime juridiquement pertinent

37. La délivrance, à l’adresse d’un témoin potentiel, d’une injonction de déposer ou de se prêter à une audition doit, aux termes de l’article 54, être « nécessaire  » pour les besoins « de la préparation ou de la conduite du procès ».

38. La Chambre d’appel a expliqué que, s’agissant d’une audition,

une injonction de comparaître en application de l’article 54 deviendrait « nécessaire  » au sens de cet article si la Défense présentait un motif [légitime juridiquement pertinent] de procéder à cet interrogatoire. [La partie demandant] une telle ordonnance ou injonction avant le procès ou durant celui-ci doit démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le témoin éventuel sera en mesure de donner des renseignements qui [seront d’une grande] aide [pour] sa cause sur des questions précisément identifiées et qui seront débattues au procès52.

Cette condition vaut également pour les injonctions de déposer dans le cadre d’un procès.

39. La Chambre de première instance attire l’attention sur le fait que la Chambre d’appel a jugé que les informations que les témoins potentiels pouvaient fournir ne devaient pas être simplement utiles mais d’une grande aide. Il ne suffit pas que les informations demandées soient « utiles ou commodes » pour l’une des parties : elles doivent être d’une grande utilité pour l’accusé en ce qui concerne une question précisément identifiée qui sera débattue au procès53.

40. Par conséquent, la partie qui demande une injonction doit indiquer précisément les informations qu’il attend du témoin potentiel et établir un lien entre ces informations et sa cause. Sont à prendre en compte, pour établir ce lien : le rôle joué par le témoin potentiel dans les événements considérés, les relations qu’il a pu avoir avec l’accusé et qui pourraient être en rapport avec les accusations, la possibilité qu’il a eue d’être témoin des événements (ou d’en apprendre l’existence) et toute déclaration qu’il a faite à l’Accusation ou à d’autres sur ces événements54.

Dernier recours

41. Même si le requérant a convaincu la Chambre de l’existence d’un but légitime juridiquement pertinent, l’injonction ne pourra être délivrée que si les informations qu’il cherche à obtenir du témoin ne peuvent être obtenues par d’autres moyens. Comme la Chambre d’appel l’a indiqué, la Chambre de première instance doit, lorsqu’elle examine une demande d’injonction, « concentrer son attention non seulement sur l’utilité des informations pour le [requérant], mais aussi sur l’obligation générale de veiller à ce que le procès soit exhaustif et équitable55  ».

V. La requête remplit-elle les conditions posées pour la délivrance d’une injonction  ?

A. Arguments des parties

Les Conseils commis d’office

42. Dans la requête qu’ils ont présentée en vue d’obtenir la déposition de M. Blair, les Conseils commis d’office ont énuméré les neuf points sur lesquels porterait le témoignage, à savoir : 1) les communications de M. Blair avec l’Accusé et « d’autres figures de proue ayant un lien avec le volet Kosovo de l’acte d’accusation établi contre l’Accusé » ; 2) le rôle joué par l’OTAN dans « le soutien, l’armement et l’entraînement des membres de l’Armée de libération du Kosovo » (l’« UÇK ») de 1997 à 1999 en vue d’attaques sur le territoire du Kosovo ; 3) le rôle joué par le gouvernement du Royaume-Uni dans les initiatives diplomatiques et les négociations menées sur le Kosovo avec la République fédérale de Yougoslavie (la « RFY ») et la République de Serbie entre 1997 et 1999 ; 4) le rôle joué par les autorités du Royaume-Uni dans le renseignement et l’obtention de renseignements de la Mission de vérification au Kosovo entre 1997 et 1999 ; 5) le rôle joué par le Gouvernement du Royaume-Uni dans les négociations menées sur le Kosovo à Rambouillet et à Paris en 1999 ; 6)  « la décision Sde l’OTANC d’armer et d’attaquer la RFY en 1998 et 1999, la justification des cibles et les objectifs des attaques » ; 7) la coopération entre l’OTAN et l’UÇK dans les opérations menées contre la RFY en 1998 et 1999 ; 8) « l’opération de désinformation menée par le gouvernement du Royaume-Uni auprès des médias » au sujet des événements qui se sont déroulés en RFY entre 1997 et 1999 ; et 9) « la fin de la campagne menée par l’OTAN contre la RFY en juin 1999 » et l’application de la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU56.

43. La déposition de M. Schröder devrait porter sur les mêmes thèmes que celle de M. Blair, à cette réserve près que i) ce dernier devrait traiter de deux points supplémentaires, à savoir les points 8) et 9) ; ii) la demande concernant M. Blair repose, en ce qui concerne le premier point envisagé pour sa déposition (les communications avec l’Accusé et d’autres figures de proue ayant un lien avec le volet Kosovo de l’acte d’accusation), sur une lettre que M. Blair a envoyée à l’Accusé, ce qui n’est pas le cas pour M. Schröder ; et iii) il existe d’autres différences d’ordre principalement lexical57.

Le Royaume-Uni

44. Le Royaume-Uni soutient que la demande des Conseils commis d’office devrait être rejetée, les conditions posées à l’article 54 n’étant pas réunies en l’espèce58. Selon lui, « l’emploi du mot “ nécessaire” [à l’article 54] fait qu’il est difficile d’obtenir d’une Chambre de première instance une ordonnance ou une injonction59  ». Toujours selon lui, la demande des Conseils commis d’office « est formulée en des termes extrêmement vagues » et en réalité, ce qu’ils demandent, c’est « une ordonnance qui leur permettrait d’aller à la pêche aux informations en recueillant le témoignage d’un premier ministre sur tous les aspects de la politique menée par son gouvernement concernant le conflit au Kosovo »60. Selon le Royaume-Uni, bon nombre des informations demandées par les Conseils dans leur requête ne sont « guère utiles » pour se prononcer sur l’une ou l’autre des accusations portées contre l’Accusé61.

45. Le Royaume-Uni affirme enfin que la demande « n’a pas été présentée en dernier ressort » puisqu’il n’y a pas eu de « tentative sérieuse d’obtenir des informations par une coopération volontaire »62.

L’Allemagne

46. L’Allemagne se plaint elle aussi de ce que la demande des Conseils commis d’office manque de précision. Selon elle, la demande concernant M. Schröder ne « précise pas les faits à propos desquels la Défense veut le faire déposer63  ». En effet, elle affirme que « le lecteur est bien incapable de deviner quelles conséquences les réponses sur les points abordés au cours de la déposition pourraient avoir sur la capacité du Tribunal de se prononcer sur les accusations portées64  ».

47. L’Allemagne affirme qu’au lieu d’établir un lien plausible entre les informations que l’Accusé cherche à obtenir de l’ancien chancelier Schröder et les accusations qui sont portées contre lui, la Défense « a choisi de contre-attaquer sur deux fronts. D’un côté, elle formule des allégations gratuites sur la politique menée par le gouvernement allemand durant les années en question », de l’autre, « elle passe au crible l’histoire de la “Yougoslavie” dans un effort pour rejeter la responsabilité de la désintégration de l’État sur l’OTAN, et sur l’Allemagne en particulier »65. L’Allemagne souligne que « ces arguments non seulement sont infondés, pour ne pas dire absurdes, mais aussi ne présentent aucun intérêt pour le procès de l’Accusé 66 ». Elle conclut par conséquent que la requête aux fins d’obtenir la déposition de M. Schröder devrait être rejetée.

B. Examen

48. La Chambre de première instance est d’avis que les demandes d’injonction présentées en l’espèce n’indiquent pas avec suffisamment de précision les points de l’acte d’accusation sur lesquels porteraient les témoignages envisagés ou, en fait, en quoi les témoignages seraient d’une grande aide pour la défense de l’Accusé67. La Chambre de première instance ne peut se fonder sur ce seul manque de précision pour rejeter les demandes68. Cependant, dans un souci d’exhaustivité, la Chambre va examiner si chacune des questions que souhaiteraient soulever les Conseils commis d’office au cours de la déposition (neuf pour M. Blair ; sept pour M. Schröder) satisfait aux conditions posées pour la délivrance d’une injonction en application de l’article 5469.

L’argument selon lequel la politique de l’Accusé était d’instaurer la paix dans la région

49. Le premier thème envisagé par les Conseils commis d’office est : « les communications directes ou indirectes » de MM. Blair et Schröder avec l’Accusé, qui montrent que la politique de l’Accusé était d’« instaurer la paix dans la région » du Kosovo70.

50. Selon l’Allemagne, ce point est sans rapport avec les accusations portées contre l’Accusé, et il n’a donc aucun lien avec les questions qui seront débattues au procès. Comme elle l’indique :

le fait que la paix a pu être le thème de certaines conversations ne permet pas de conclure que l’Accusé n’a pas commis les infractions qui lui sont reprochées, pas plus qu’il ne pourrait constituer une circonstance atténuante s’il devait être déclaré coupable par la suite71.

51. La Chambre de première instance constate que les Conseils commis d’office n’ont fait expressément état d’aucune communication directe ou indirecte entre l’Accusé et M. Schröder et que ni dans l’une ni dans l’autre des demandes ils n’expliquent en quoi le fait d’établir que la politique de l’Accusé était d’instaurer la paix pourrait avoir une incidence sur les conclusions de la Chambre de première instance concernant un quelconque élément d’un crime reproché à l’Accusé dans le volet Kosovo de l’acte d’accusation. Partant, ce thème ne sert pas un but légitime juridiquement pertinent qui justifie la délivrance d’une injonction.

52. Dans leur requête aux fins d’obtenir la déposition de Tony Blair, les Conseils commis d’office font référence expressément à une communication directe de celui -ci avec l’Accusé : une lettre datée du 24 septembre 1998 que M. Blair a adressée à Slobodan Milosevic. Cela ne change toutefois rien au résultat.

53. La lettre a été versée au dossier comme pièce à charge. Elle indique notamment  :

Dans une lettre que je vous ai adressée en juin, j’ai exprimé ma profonde inquiétude concernant la situation au Kosovo, et je vous ai demandé de prendre toutes les mesures nécessaires en vue d’un règlement pacifique de ce difficile problème… Je continue de suivre de près l’évolution de la situation au Kosovo. J’avoue que je suis préoccupé par la poursuite des hostilités et la crise humanitaire qui s’aggrave rapidement. Comme je vous l’ai dit dans mon précédent courrier, personne ne conteste votre droit de tenter de régler les problèmes de sécurité. Cependant, l’emploi disproportionné et indiscriminé de la force par vos forces armées et de sécurité a des conséquences intolérables : d’innocents civils sont contraints de fuir et voient leurs sources de revenus anéanties72.

54. Les Conseils commis d’office invoquent la lettre du 24 septembre 1998 à l’appui de leur requête aux fins d’obtenir la déposition de M. Blair, en arguant que « l’Accusation a allégué que cette lettre informait l’Accusé que ses troupes violaient les droits fondamentaux des Albanais du Kosovo » et que puisque l’Accusé « conteste les termes de cette lettre », il devrait être autorisé à « défendre son point de vue devant SM. BlairC et à l’interroger sur ses sources »73. Cela étant, aucune des informations que M. Blair pourrait donner, et dont il a une connaissance personnelle, ne permettrait de déterminer si l’Accusé avait effectivement été informé. Par conséquent, la demande faite par les Conseils commis d’office pour que l’Accusé soit autorisé à interroger M. Blair sur ses sources ne sert pas de but légitime juridiquement pertinent.

55. On pourrait bien sûr interroger M. Blair sur les faits exposés dans la lettre, qui sont avérés – à savoir l’usage « disproportionné et indiscriminé » que les forces de la RFY ont fait de la force contre les civils ; cependant, rien ne laissant penser que M. Blair a une connaissance personnelle de ce qui s’est passé « sur le terrain » de sorte qu’on peut lui demander de confirmer ces faits, sa convocation pour obtenir confirmation ne servirait aucun but légitime juridiquement pertinent. De même, délivrer une injonction de comparaître sur ce fondement – alors que les informations peuvent clairement être obtenues par d’autres moyens plus appropriés, notamment en faisant appel à des témoins oculaires – ne serait pas non plus le « dernier recours » possible, ce qui explique aussi le refus de la Chambre de délivrer cette injonction74.

56. En résumé, pour ce qui est du premier thème envisagé (et notamment de la lettre de M. Blair), rien ne permet de penser que les informations que pourrait donner l’un ou l’autre témoin proposé seraient utiles pour déterminer si l’Accusé est ou non coupable de l’un des chefs retenus dans le volet Kosovo de l’acte d’accusation  ; par conséquent, la requête ne remplit pas les conditions posées pour la délivrance d’une injonction.

57. Les troisième et cinquième catégories d’informations attendues des témoins potentiels tournent aussi autour de l’argument de l’Accusé selon lequel il était un artisan de la paix au Kosovo alors que certains États – parmi lesquels le Royaume -Uni et l’Allemagne – en étaient les agresseurs75. Les Conseils commis d’office demandent donc des informations concernant les négociations diplomatiques menées sur le Kosovo entre 1997 et 1999 (la troisième catégorie) et, en particulier, celles menées à Rambouillet et à Paris en 1999 (la cinquième catégorie ). Ils affirment que ces informations sont pertinentes car « l’Accusé fait valoir que dès les Accords de Dayton, il a pris toutes les mesures qui s’imposaient pour garantir la paix et la stabilité en RFY, [alors que le Royaume-Uni et l’Allemagne] menaient une politique visant à un amoindrissement de l’État serbe76  ». Les Conseils concluent qu’en leur qualité de chefs du Gouvernement, l’un du Royaume -Uni, l’autre de l’Allemagne, MM. Blair et Schröder étaient « au courant de la politique visant à un amoindrissement de l’État serbe et ont approuvé les mesures nécessaires pour la mener à bien77 ».

58. Là encore, il ne s’agit pas d’un motif légitime pour délivrer à l’adresse de M. Blair ou de M. Schröder une injonction de se présenter à une audition ou de déposer dans le cadre du procès. Les références générales à la politique des Gouvernements britannique et allemand concernant le Kosovo, et à celle qui aurait tendu à « un amoindrissement de l’État serbe », ne constituent pas des informations « nécessaires  » pour réfuter l’une quelconque des accusations portées dans le volet Kosovo de l’acte d’accusation. Plus précisément, les Conseils commis d’office n’ont pas montré que la « connaissance » que ces témoins potentiels avaient de ces politiques, si elle était avérée, aurait une incidence sur la défense de l’Accusé en ce qui concerne une ou plusieurs des accusations portées contre lui. Par conséquent, les troisième et cinquième thèmes envisagés qui, selon les Conseils commis d’office, justifient la délivrance d’une injonction ne satisfont pas à la condition du « but juridique légitimement pertinent » nécessaire pour délivrer une injonction en application de l’article 54.

L’argument selon lequel le Royaume-Uni et l’Allemagne ont soutenu l’agression à laquelle se seraient livrés l’OTAN et l’UÇK

59. La deuxième catégorie d’informations attendues des témoins potentiels – le rôle qu’aurait joué l’OTAN dans le soutien, l’armement et l’entraînement des membres de l’UÇK de 1997 à 1999 en vue d’attaques sur le territoire du Kosovo – est, selon les Conseils commis d’office, en rapport avec la défense de l’Accusé pour deux raisons. Premièrement, les Conseils indiquent que « l’argument de l’Accusé est que les actes commis au Kosovo l’ont été en situation de légitime défense face à l’UÇK », qui « voulait faire du Kosovo un État indépendant d’où tous les Serbes auraient été chassés78 ». Deuxièmement, les Conseils commis d’office font valoir que certains crimes dont l’Accusé est tenu pénalement responsable dans l’acte d’accusation, notamment le transfert forcé et l’expulsion de civils, doivent en réalité être imputés à « l’OTAN et à l’UÇK79  ». Ils allèguent que MM. Blair et Schröder « avaient connaissance de la politique de soutien à l’UÇK » et à l’OTAN, et que leur témoignage est donc indispensable80.

60. De même, les quatrième, sixième et septième thèmes définis par les Conseils commis d’office dans les listes jointes à leurs demandes concernent essentiellement le rôle joué par le Royaume-Uni et l’Allemagne dans les bombardements de l’OTAN. Ainsi, les Conseils allèguent que les autorités britanniques et allemandes ont collaboré avec la Mission de vérification (de l’OSCE) au Kosovo afin de « permettre à l’OTAN d’attaquer des objectifs civils et militaires de la RFY au Kosovo81  ». Les Conseils avancent par ailleurs que le Royaume-Uni et l’Allemagne, « membres importants de l’OTAN, ont pesé de tout leur poids sur l’organisation pour que celle -ci attaque la RFY en plein accord avec cette politique » d’attaque. Ils font de nouveau valoir que l’attaque lancée par l’OTAN était un acte planifié d’agression qui « a amené la RFY à agir en état de légitime défense » et « provoqué l’exode de la population, désireuse d’échapper aux bombardements82  ». Étant donné que les deux témoins potentiels « avaient connaissance de cette politique de l’OTAN » et qu’ils « l’ont approuvée », il est nécessaire de délivrer une injonction de comparaître à leur encontre83.

61. En réponse à l’affirmation selon laquelle les actions de l’OTAN et de l’UÇK sont directement en rapport avec le moyen de défense que l’Accusé tire de la légitime défense, l’Allemagne avance que « la Défense semble ignorer [la différence fondamentale entre le droit de faire la guerre (jus ad bellum) et le droit dans la guerre (jus in bello)] qui amène fatalement à conclure que la nécessité alléguée d’entendre le [témoin potentiel] ne saurait être justifiée par des considérations tirées de la légitime défense. Les forces armées yougoslaves étaient tenues de respecter les règles applicables du droit humanitaire, tout comme les forces de l’OTAN pendant leurs opérations aériennes, et ce, que l’attaque contre la RFY ait été illégale ou non84 ». De même, répondant aux Conseils qui font valoir que les actions de l’OTAN et de l’UÇK sont directement en rapport avec l’argument de l’Accusé selon lequel c’est l’OTAN, et non lui, qui est responsable de l’exode forcé des civils albanais du Kosovo, l’Allemagne soutient que ces questions sont certes pertinentes mais que « les témoins nommément désignés dans les [demandes] ne sont pas en mesure, par leur témoignage, de confirmer ou de démentir les dires de la Défense85  ».

62. La Chambre de première instance n’est pas convaincue que la déposition des témoins potentiels sur ce point soit « nécessaire », comme l’affirment les Conseils commis d’office, car il n’est pas allégué que ces derniers ont été des témoins oculaires des faits. Ainsi, même si certaines actions alléguées de l’OTAN et/ou de l’UÇK peuvent être pertinentes pour le procès dans la mesure où elles peuvent fournir une explication de nature à disculper l’Accusé pour ce qui est de l’exode des civils du Kosovo et d’autres allégations formulées dans l’acte d’accusation, la « connaissance », même avérée, qu’avaient MM. Blair et Schröder de la politique de soutien à l’UÇK ou à l’OTAN qu’aurait menée le Royaume-Uni ou l’OTAN n’étayerait en rien les arguments avancés par l’Accusé à propos de questions touchant à sa culpabilité ou à son innocence en relation avec ces allégations. Partant, les informations recherchées ne servent pas un but légitime juridiquement pertinent qui justifie la délivrance d’une injonction.

Autres points sur lesquels porterait le témoignage de M. Blair

63. Les huitième et neuvième thèmes définis par les Conseils commis d’office concernent uniquement M. Blair, mais aucun d’entre eux ne justifie la délivrance d’une injonction à son encontre. Le huitième thème envisagé est en rapport avec l’allégation selon laquelle les autorités britanniques « ont délibérément communiqué aux médias des bulletins contenant des informations non corroborées et mensongères au sujet des conditions de vie et de l’exode des Albanais du Kosovo, ainsi que des critiques à l’égard de la RFY et de la Serbie » et que « [p]endant l’attaque lancée par l’OTAN contre la RFY, la destruction d’objectifs civils a été intentionnellement démentie afin de donner l’impression fausse et trompeuse que la guerre était légitime86  ».

64. À quoi le Royaume-Uni répond que « même si [cette allégation] était exacte, ce point importe peu pour déterminer si l’Accusé est coupable ou non des crimes qui lui sont reprochés87 ». En conséquence, la Chambre convient que la huitième catégorie d’informations recherchées ne justifie pas la délivrance d’une injonction aux fins d’obtenir l’audition de M. Blair ou sa déposition.

65. Enfin, le neuvième thème proposé par les Conseils commis d’office – la fin de la campagne menée par l’OTAN contre la RFY en juin 1999 et l’application de la résolution  1244 du Conseil de sécurité de l’ONU88 – sort du cadre temporel de l’acte d’accusation et est sans rapport avec les chefs retenus contre l’Accusé. Dans leur demande de délivrance d’une ordonnance contraignante à l’Allemagne, les Conseils commis d’office « reconnai[ssent] que cette question [ …] n’est pas suffisamment liée aux allégations formulées dans l’acte d’accusation 89 ». La délivrance d’une injonction n’est donc pas justifiée.

Conclusion

66. Une partie qui entend obtenir la déposition ou l’audition d’un haut responsable de l’État doit demander la délivrance d’une injonction en application de l’article  54, qui précise que l’injonction doit être nécessaire à la préparation ou à la conduite du procès. Partant, la demande d’injonction doit avoir un but légitime juridiquement pertinent et ne devrait être présentée qu’en dernier ressort. La Chambre de première instance a examiné les demandes présentées par les Conseils commis d’office, y compris la liste des points qui devaient être abordés au cours de la déposition envisagée, et estime qu’il n’y a pas lieu de délivrer des injonctions à l’encontre de MM.  Blair et Schröder.

67. Les demandes étant rejetées au fond, il est inutile de déterminer si, en leur qualité de hauts responsables de l’État, les témoins potentiels bénéficiaient d’une immunité qui les aurait dispensés de déférer à l’injonction qui leur est faite de se présenter à une audition ou de déposer dans le cadre d’un procès devant le Tribunal.

68. Enfin, puisque rien ne justifie que la présente décision soit rendue à titre confidentiel et que les demandes soulèvent des questions d’intérêt général quant aux procédures suivies par le Tribunal, la présente décision est rendue publiquement, bien que les demandes et les écritures y afférentes aient été déposées à titre confidentiel.

VI. Dispositif

69. Par ces motifs, en application des articles 54 et 126 bis, la Chambre de première instance ORDONNE comme suit :

a) La Chambre de première instance AUTORISE d’office les Conseils commis d’office à répondre au Royaume-Uni ;

b) La Chambre de première instance REJETTE la demande présentée par les Conseils commis d’office en vue d’obtenir la déposition et l’audition de Tony Blair ;

c) La Chambre de première instance REJETTE la demande présentée par les Conseils commis d’office en vue d’obtenir la déposition et l’audition de Gerhard Schröder.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 9 décembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
________________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]


1 - Request for Binding Order to be Issued to the Government of the United Kingdom for the Cooperation of a Witness pursuant to Rule 54 bis, 18 août 2005 (« Demande concernant le Royaume-Uni »), par. 19.
2 - Request for Binding Order to be Issued to the Government of the Federal Republic of Germany for the Cooperation of Certain Witnesses pursuant to Rule 54 bis, 26 août 2005 (« Demande concernant l’Allemagne »), par. 17.
3 - Written Response of the Government of the United Kingdom to the Request for a Binding Order for the Cooperation of a Witness pursuant to Rule 54 bis, 9 septembre 2005 (« Réponse du Royaume-Uni »).
4 - Reply by Assigned Counsel to Written Response dated 9 September 2005 of the Government of the United Kingdom to the Request for a Binding Order to be Issued to the Government of the United Kingdom for the Cooperation of a Witness Pursuant to Rule 54 bis, (« Réplique à la réponse du Royaume-Uni »). Les Conseils commis d’office n’ont pas demandé l’autorisation de déposer cette réplique, ainsi que l’exige l’article 126 bis du Règlement. La Chambre de première instance relève qu’ils ne se sont pas conformés aux procédures du Tribunal, mais décide d’office de considérer comme valable, en application des articles 126 bis et 54 du Règlement, le dépôt de la réplique.
5 - Answer to the Request for Binding Orders to be Issued to the Government of the Federal Republic of Germany for the Cooperation of Certain Witnesses Pursuant to Rule 54 bis, 23 septembre 2005 (« Réponse de l’Allemagne »).
6 - Reply by Assigned Counsel to ‘Answer to the Request for Binding Orders to be Issued to the Government of the Federal Republic of Germany for the Cooperation of Certain Witnesses Pursuant to Rule 54 bis’, 30 septembre 2005.
7 - Le Procureur c/ Krstic, affaire n° IT-98-33-A, Arrêt relatif à la demande d’injonctions, 1er juillet 2003 (« Décision Krstic »).
8 - Ordonnance préliminaire relative à la demande présentée par le Conseil commis d’office en vue de la délivrance d’une ordonnance contraignante à l’adresse du Gouvernement du Royaume-Uni pour obtenir la coopération d’un témoin, 30 septembre 2005 ; Ordonnance préliminaire relative à la demande présentée par le Conseil commis d’office en vue de la délivrance d’ordonnances contraignantes à l’adresse du Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne pour obtenir la coopération de plusieurs témoins, 30 septembre 2005.
9 - Assigned Counsel Response to ‘Preliminary Order on Request by Assigned Counsel for a Binding Order to be Issued to the Government of the United Kingdom for the Cooperation of a Witness’, 7 octobre 2005 (« Réponse des Conseils à l’ordonnance préliminaire concernant le Royaume-Uni » ; Assigned Counsel Response to ‘Preliminary Order on Request by Assigned Counsel for a Binding Order to be Issued to the Government of the Federal Republic of Germany for the Cooperation of Certain Witnesses’, 7 octobre 2005 (« Réponse des Conseils à l’ordonnance préliminaire concernant l’Allemagne »).
10 - Response of the Government of the United Kingdom to the Trial Chamber’s Preliminary Order Dated 30 September 2005, 14 octobre 2005 (« Réponse du Royaume-Uni à l’ordonnance préliminaire ») ; Comments on the Preliminary Order of Trial Chamber III of 30 September 2005 for Clarification of Motion of Defence, 14 octobre 2005 (« Réponse de l’Allemagne à l’ordonnance préliminaire »).
11 - Assigned Counsel Notice of the Revision to the Request for Binding Orders to be Issued to the Government of the Federal Republic of Germany for the Cooperation of Certain Witnesses pursuant to Rule 54 bis, 7 novembre 2005.
12 - Le Procureur c/ Blaskic, affaire n° IT-95-14-AR 108 bis, Arrêt relatif à la requête de la République de Croatie aux fins d’examen de la décision de la Chambre de première instance II rendue le 18 juillet 1997, 29 octobre 1997 (« Décision Blaskic »), par. 27.
13 - Ibidem, par. 21.
14 - Ibid. ; Ordonnance sur la requête du Procureur aux fins de délivrance d’une ordonnance contraignante à la République de Croatie pour la production de documents, 30 janvier 1998 ; Décision sur la requête du Procureur aux fins de délivrance d’une ordonnance contraignante à la Bosnie-Herzégovine pour la production de documents, 17 décembre 1997.
15 - Voir Le Procureur c/ Simic et consorts, affaire n° IT-95-9-PT, Décision relative 1) à la requête de Stevan Todorovic aux fins de réexaminer la décision du 27 juillet 1999, 2) à la requête du CICR aux fins de réexaminer l’ordonnance portant calendrier du 18 novembre 1999 et 3) aux conditions d’accès aux pièces, 28 février 2000, par. 40 (l’article 54 bis « entérine une procédure discutée pour la première fois dans le cadre de la Décision relative à l’injonction de produire de l’affaire Blaskic »). Dans l’affaire Blaskic, l’ordonnance contraignante a été délivrée en application de l’article 54, puisque l’article 54 bis n’avait pas encore été adopté.
16 - Sauf si le témoignage doit porter sur la source d’un document ou sur l’authenticité de celui-ci. Décision Krstic, par. 24.
17 - Décision Krstic, par. 19.
18 - Quelques semaines après la Décision Krstic, la Chambre d’appel a confirmé dans une autre décision que « si l’Accusation ou la Défense souhait[ait] contraindre une personne qui refus[ait] d’être interrogée à se soumettre à un entretien préalable au procès, elle [devait] alors demander à cette fin l’intervention de la Chambre de première instance, en application de l’article 54 du Règlement ». Le Procureur c/ Mrksic, affaire n° IT-95-13/1-AR73, Décision relative à l’appel interlocutoire de la Défense concernant la communication avec des témoins potentiels de la partie adverse, 30 juillet 2003. Plus récemment, dans l’affaire Halilovic, la Chambre d’appel a confirmé qu’une injonction délivrée en application de l’article 54 « impliqu[ait] le pouvoir de “convoqu[er] un témoin éventuel à une date et en un lieu donnés pour y être interrogé par la Défense lorsque la préparation ou la conduite du procès l’exigent” ». Le Procureur c/ Halilovic, affaire n° IT-01-48-AR73, Décision relative à la délivrance d’injonctions, 21 juin 2004 (« Décision Halilovic »), par. 5 [note de bas de page non reproduite].
19 - Décision Krstic, par. 29.
20 - Voir aussi la déclaration du Juge Shahabuddeen jointe à la Décision Halilovic. Le Juge Weinberg de Roca a exprimé, pour la même raison, son désaccord avec la Chambre d’appel. Elle a considéré que « [f]aute d’une preuve manifeste qu’une telle mesure est nécessaire pour rendre un jugement équitable en l’espèce, le fait de contraindre un témoin récalcitrant à subir un interrogatoire préalable au procès constituerait une sérieuse atteinte [au droit à la confidentialité] ». Opinion dissidente du Juge Weinberg de Roca jointe à la Décision Halilovic, par. 4.
21 - Opinion dissidente du Juge Shahabuddeen jointe à la Décision Krstic, par. 4 [non souligné dans l’original].
22 - Voir, par exemple, Le Procureur c/ Martic, affaire n° IT-95-11-PT, Décision relative au supplément à la demande d’injonction déposée par l’Accusation le 3 juin 2005, 16 septembre 2005 (« Décision Martic ») ; Le Procureur c/ Halilovic, affaire n° IT-01-48-T, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de délivrance d’une injonction de comparaître et ordonnance en supprimant le caractère ex parte, 8 avril 2005 ; Le Procureur c/ Strugar, affaire n° IT-01-42-T, Injonction de comparaître, 28 juin 2004 ; Le Procureur c/ Blagojevic, affaire n° IT-02-60-T, Order in re Defence’s Request for the Issuance of Subpoenas ad Testificandum, Orders for Safe Conduct and an Order for the Service and Execution of the Subpoenas and Orders for Safe Conduct, 5 mai 2004 ; Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, affaire n° IT-99-36-T, Subpoena ad Testificandum, 17 juillet 2003 ; Le Procureur c/ Milosevic, affaire n° IT-02-54-T, Decision on the Prosecution’s Application for Issuance of a Subpoena ad Testificandum for Witness K33 and Request for Judicial Assistance Directed to the Federal Republic of Yugoslavia, 5 juillet 2002.
23 - Réponse des Conseils à l’ordonnance préliminaire concernant le Royaume-Uni, par. 4 ; Réponse des Conseils à l’ordonnance préliminaire concernant l’Allemagne, par. 9.
24 - Ibidem.
25 - Réponse des Conseils à l’ordonnance préliminaire concernant le Royaume-Uni, par. 16 ; Réponse des Conseils à l’ordonnance préliminaire concernant l’Allemagne, par. 17. Les Conseils indiquent également que la Chambre de première instance peut d’office « citer des témoins à comparaître ou ordonner leur comparution » en application de l’article 98 du Règlement. Ibidem.
26 - Réponse des Conseils à l’ordonnance préliminaire concernant le Royaume-Uni, par. 11 ; Réponse des Conseils à l’ordonnance préliminaire concernant l’Allemagne, par. 12 [non souligné dans l’original].
27 - Réponse du Royaume-Uni à l’ordonnance préliminaire, par. 19.
28 - Ibidem, par. 4 a), citant la Décision Krstic, par. 22, 24, 25 et 27.
29 - Ibid., par. 7 [non souligné dans l’original].
30 - Ibid., par. 5.
31 - Réponse du Royaume-Uni à l’ordonnance préliminaire, par. 12. Voir aussi ibidem, par. 6.
32 - Réponse de l’Allemagne concernant l’ordonnance préliminaire, par. 5.
33 - Ibidem, par. 9.
34 - Réponse de l’Allemagne concernant l’ordonnance préliminaire, par. 9.
35 - Ibidem.
36 - Ibid., par. 3.
37 - Comparer l’article 54 bis A) avec l’article 54. Voir aussi infra, p. 16 à 18.
38 - L’article 77 du Règlement dispose qu’une Chambre de première instance « peut déclarer coupable d’outrage les personnes qui entravent délibérément et sciemment le cours de la justice, y compris toute personne qui […] méconnaît, sans excuse valable, une ordonnance aux fins de comparaître devant une Chambre ou aux fins de produire des documents devant une Chambre » [non souligné dans l’original].
39 - Voir Réponse de l’Allemagne à l’ordonnance préliminaire, par. 3 (« L’Allemagne n’est pas convaincue par le raisonnement suivi par la Chambre d’appel dans la décision du 1er juillet 2003 rendue dans l’affaire Krstic. Dans son opinion dissidente, le Juge Shahabuddeen a démontré de manière convaincante qu’il n’y avait aucune raison d’établir une distinction entre une ordonnance aux fins de produire des documents et une ordonnance aux fins de produire un témoignage. »)
40 - Décision Krstic, par. 24 [non souligné dans l’original].
41 - Réponse du Royaume-Uni à l’ordonnance préliminaire, par. 4 a) et 7 (Pour délivrer une injonction en application de l’article 54, il faut que le témoin rapporte « ce qu’il a vu ou entendu ») ; Réponse de l’Allemagne à l’ordonnance préliminaire, par. 9 (Pour délivrer une injonction en application de l’article 54, il faut que le témoin rapporte des informations « dont il a une connaissance personnelle »).
42 - Décision Krstic, par. 9.
43 - Réponse du Royaume-Uni à l’ordonnance préliminaire, par. 9.
44 - Réponse de l’Allemagne à l’ordonnance préliminaire, par. 3.
45 - Voir supra, note 37.
46 - Décision Krstic, par. 28 [non souligné dans l’original]. Voir aussi Le Procureur c/ Milosevic, Décision relative à la demande de la République fédérale de Yougoslavie concernant le témoignage d’un ancien chef de l’État, 31 juillet 2002, par. 18 à 20.
47 - Voir supra, note 22.
48 - Décision Halilovic, par. 6 (note de bas de page non reproduite). Voir Décision Martic, par. 18 (« Mesure de coercition judiciaire assortie de sanctions pénales, l’injonction est une arme qu’il faut utiliser avec parcimonie. Bien qu’elle ne doive pas hésiter à en faire usage en cas de besoin pour obtenir des informations importantes pour la présentation des moyens de l’une des parties, une Chambre de première instance doit éviter qu’elle ne soit utilisée systématiquement à des fins tactiques au procès »).
49 - Décision Halilovic, par. 6.
50 - Ibidem, Opinion dissidente du Juge Weinberg de Roca, par. 4 (note de bas de page non reproduite).
51 - Décision Krstic, par. 10, et Décision Halilovic, par. 7. Cf. Décision Martic, par. 10 (« Il résulte de l’article 54 du Règlement que la partie demandant la délivrance d’une injonction […] doit établir que pareille mesure est nécessaire pour les besoins de l’enquête, de la préparation ou de la conduite du procès. Ainsi, deux conditions, les conditions de « finalité » et de « nécessité » doivent être réunies ».)
52 - Décision Krstic, par. 10. La Chambre d’appel l’a aussi formulé en ces termes : « [La partie demandant] une injonction doit […] démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le témoin éventuel sera en mesure de donner des renseignements qui [seront d’une grande] aide [pour] sa cause sur des questions précisément identifiées et qui seront débattues au procès ». Décision Halilovic, par. 6. [non souligné dans l’original].
53 - Décision Martic, par. 12. Voir aussi Décision Krstic, par. 11 (La Défense « ne sera pas autorisée à se lancer dans une campagne de pêche aux informations », par exemple « lorsqu’elle ne sait pas si la personne visée dispose d’informations pertinentes mais demande toutefois à l’interroger, dans l’unique but d’apprendre si cette personne dispose ou non d’informations qui pourraient lui être utiles ».)
54 - Décision Halilovic, par. 6.
55 - Ibidem, par. 7 (note de bas de page non reproduite). Voir aussi ibid. (« Pour décider si le [requérant] a atteint le niveau de preuve requis, la Chambre de première instance peut à bon escient se demander si les informations que le [requérant] cherche à obtenir par le biais de l’injonction sont nécessaires à la préparation de sa cause et si elles peuvent être obtenues par d’autres moyens. Le principe de base sur lequel reposent ces deux considérations est la question de savoir, comme l’exige l’article 54 du Règlement, si la délivrance d’une injonction est nécessaire aux fins “de la préparation ou de la conduite du procès” ».)
56 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition ; Demande concernant l’Allemagne, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition.
57 - Il est par exemple indiqué, dans la Demande concernant le Royaume-Uni, que le premier point du témoignage envisagé de M. Blair sera « les communications avec Slobodan Milosevic », alors que dans la demande visant à obtenir le témoignage de M. Schröder, il est indiqué que les informations demandées concernent « des réunions et des communications avec Slobodan Milosevic ». Dans les deux demandes, le deuxième point concerne le soutien apporté à l’UÇK ; cependant, alors que dans la demande concernant M. Blair, il est question du soutien de l’OTAN « de 1997 à 1999 », la demande concernant M. Schröder fait mention du soutien des autorités allemandes sans fixer de limites dans le temps. De même, le quatrième point du témoignage envisagé concerne, dans la demande concernant M. Blair, « le rôle joué par les autorités du Royaume-Uni dans le renseignement, et l’obtention de renseignements de la Mission de vérification au Kosovo en 1998 et 1999 », alors que dans la demande concernant M. Schröder, il est question du « rôle joué par les autorités de la République fédérale d’Allemagne dans l’obtention de renseignements de la Mission de vérification au Kosovo en 1998 et 1999 ».
58 - Le Royaume-Uni a tout d’abord argué que les conditions posées à l’article 54 bis n’étaient pas remplies. Il a en outre indiqué clairement que si l’on considérait que la demande avait été présentée en application de l’article 54, il y avait lieu de la rejeter pour les mêmes raisons. Voir Réponse du Royaume-Uni à l’Ordonnance préliminaire, par. 8 et 9.
59 - Ibidem, par. 8.
60 - Réponse du Royaume-Uni, par. 22.
61 - Ibidem, par. 24.
62 - Ibid., par. 26.
63 - Réponse de l’Allemagne, par. 1.
64 - Ibidem, par. 5.
65 - Réponse de l’Allemagne, par. 6.
66 - Ibidem, par. 11.
67 - Décision Krstic, par. 10.
68 - Décision Halilovic, par. 8 (« En l’espèce, la Chambre de première instance a conclu, dans son analyse initiale de la demande d’injonction de comparaître, que la Défense n’a pas fourni des informations suffisamment précises pour atteindre le niveau de preuve requis. Selon la Chambre, la Défense “n’a fourni que des raisons d’ordre général à l’appui de sa demande d’injonctions”, demande qui ne comportait pas les précisions requises. Si elle est juste, cette conclusion pourrait constituer un motif suffisant pour rejeter la demande de la Défense »). (Note de bas de page non reproduite).
69 - Voir supra, par. 37 à 41.
70 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 12 ; Demande concernant l’Allemagne, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 13.
71 - Réponse de l’Allemagne, par. 15.
72 - Pièce à conviction 75.
73 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 12 [non souligné dans l’original].
74 - Voir supra, note de bas de page 55.
75 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 13 et 14 ; Demande concernant l’Allemagne, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 15 et 16.
76 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 13 ; Demande concernant l’Allemagne, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 15.
77 - Ibidem.
78 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 13 ; Demande concernant l’Allemagne, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 15.
79 - Demande concernant l’Allemagne, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 14 ; Voir aussi Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 13.
80 - Ibidem.
81 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 13 et 15 ; Demande concernant l’Allemagne, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 15 et 17.
82 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 13 et 14.
83 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 14, 15 et 16 ; Demande concernant l’Allemagne, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 17 et 18. Voir aussi ibidem, p. 16 (Le Chancelier Schröder « avait connaissance de cette politique de l’OTAN » et « l’a approuvée ».)
84 - Réponse de l’Allemagne, par. 17.
85 - Ibidem, par. 19.
86 - Demande concernant le Royaume-Uni, Liste des points qui devraient être abordés au cours de la déposition, p. 16.
87 - Réponse du Royaume-Uni, par. 24.
88 - Ibidem.
89 - Demande concernant l’Allemagne, par. 16. Voir aussi Réponse du Royaume-Uni, par. 25 (« Le paragraphe 3.9 des annexes fait état d’une allégation relative au soutien dont l’UÇK a continué de bénéficier après la fin des opérations de l’OTAN en juin 1999. Quand bien même cette allégation serait fondée, cela n’aurait aucune incidence sur les accusations portées, puisque celles-ci concernent des faits survenus avant cette date. »)