Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
1er mars 2006

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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DÉCISION RELATIVE À L’ADMISSIBILITÉ DU RAPPORT D’EXPERT DE KOSTA CAVOSKI

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Conseils commis d’office

par la Chambre :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

L’Amicus Curiae :

M. Timothy McCormack

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

ATTENDU qu’Audrey Budding a déposé comme témoin expert à charge en l’espèce les 23 et 24 juillet 2003, et que son rapport d’expert a été versé au dossier le 23 juillet 2003,

VU le mémorandum déposé par l’adjoint au juriste chargé de la liaison avec l’accusé le 16 décembre 20051, et donnant la traduction du rapport du témoin expert Kosta Cavoski intitulé « Budding contre Budding », titre suivi de deux sous-titres au choix : « un auteur à deux visages dans l’affaire Milosevic » et « les deux visages de Budding dans l’affaire Milosevic » (le « Rapport Cavoski »),

SAISIE d’une notification déniant la qualité d’expert à Kosta Cavoski et mettant en doute la pertinence du rapport qu’il a présenté le 16 décembre 2005, notification déposée en application de l’article 94 bis B) du Règlement le 16 janvier 2006 (Prosecution’s Notice Pursuant to Rule 94 bis (B) Challenging the Qualifications of Kosta Cavoski as an Expert and the Relevance of the Expert Report, Filed 16 December 2005, la « Demande »2), par laquelle l’Accusation demande à la Chambre d’exclure le Rapport Cavoski dans son intégralité et d’interdire à l’Accusé de citer Kosta Cavoski comme témoin ou, à défaut, de l’autoriser à le contre-interroger,

VU la réponse déposée le 26 janvier 2006 (Assigned Counsel Response to the Motion, la « Réponse »3), par laquelle les conseils commis d’office contestent les arguments avancés par l’Accusation à propos des qualifications de Kosta Cavoski et demandent à la Chambre de déclarer le rapport d’expert et le témoignage d’Audrey Budding inadmissibles ou, à défaut, d’autoriser l’Accusé à citer Kosta Cavoski comme témoin expert à décharge,

VU la réplique déposée le 1er février 2006 (Prosecution’s Reply to Assigned Counsel Response Filed 26 January 2006 to Prosecution's Notice Pursuant to Rule 94 bis (B) relating to Kosta Cavoski Filed 16 December 2005, la « Réplique »4),

ATTENDU que, dans l’Ordonnance préliminaire, la Chambre de première instance a autorisé l’Accusation à déposer une réplique,

ATTENDU qu’en application de l’article 94 bis B) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement »), l’Accusation fait savoir à la Chambre de première instance :

i) si elle accepte le rapport du témoin expert ;

ii) si elle souhaite procéder à un contre-interrogatoire du témoin expert ; et

iii) si elle conteste la qualité d’expert du témoin ou la pertinence du rapport, en tout ou en partie, auquel cas elle indique quelles sont les parties du rapport contestées ;

ATTENDU que l’Accusation s’est prévalue des paragraphes ii) et iii) de l’article 94 bis B) et que la Chambre de première instance doit donc examiner la pertinence du Rapport Cavoski et déterminer si la qualité d’expert du témoin proposé est établie,

ATTENDU que « le Rapport Cavoski a pour objet de critiquer le témoignage et le rapport d’Audrey Budding5 » et qu’il est donc au moins aussi pertinent en l’espèce que le rapport d’expert d’Audrey Budding,

ATTENDU que l’Accusation reproche notamment au Rapport Cavoski « son parti pris et son caractčre "intéressé" vis-à-vis de l’Accusé6 »,

ATTENDU que la présente Chambre de première instance a déjà jugé, en réponse à des objections similaires formulées par les Amici Curiae d’alors et par l’Accusé à l’encontre d’un

témoin expert à charge, qu’une allégation de parti pris « ne [touchait] pas à l’admissibilité du témoignage mais au poids à lui accorder7 »,

VU les termes de l’Ordonnance préliminaire, par laquelle la Chambre de première instance a jugé que « [Kosta Cavoski] ne sembl[ait] pas avoir les qualifications requises pour déposer comme témoin expert sur le sujet qu’il a traité dans son rapport » et a enjoint à la Défense de « déposer, le 13 février 2006 au plus tard, une copie du curriculum vitae de Kosta Cavoski accompagnée d’une liste de tous les articles spécialisés qu’il a pu écrire ou de ses autres publications, ainsi que toute autre information susceptible d’aider la Chambre à se prononcer sur sa qualité d’expert »8,

VU la Décision relative à la demande de prorogation de délai présentée par les conseils commis d’office, rendue le 14 février 2006, par laquelle la Chambre de première instance a donné aux conseils commis d’office jusqu’au 20 février 2006 pour déférer à l’Ordonnance préliminaire9,

VU la réponse des conseils commis d’office à l’Ordonnance préliminaire et l’annexe A (Assigned Counsel Response to Preliminary Order on Admissibility of Expert Report of Kosta Cavoski and Attachment A) déposées le 20 février 2006, par lesquelles les conseils commis d’office ont déféré à l’Ordonnance préliminaire et fourni le curriculum vitae de Kosta Cavoski et une liste de ses publications,

ATTENDU que la Chambre de première instance est désormais convaincue que Kosta Cavoski a les qualifications requises pour être considéré comme un témoin expert au sens de l’article 94 bis du Règlement,

ATTENDU cependant, que l’Accusation a consacré moins de 40 minutes à l’interrogatoire principal et à l’interrogatoire supplémentaire d’Audrey Budding en juillet 2003, alors que l’Accusé et un Amicus Curiae l’ont contre-interrogée pendant près de quatre heures et demie10,

EN APPLICATION des articles 54, 89, 90 et 94 bis du Règlement,

FAIT DROIT à la Demande EN PARTIE, et DÉCIDE CE QUI SUIT :

  1. le Rapport Cavoski est admis en application de l’article 94 bis ;
  2. Kosta Cavoski est autorisé à venir déposer comme témoin expert à décharge ;

  3. si elle souhaite procéder à l’interrogatoire principal de Kosta Cavoski, la Défense disposera au plus de 45 minutes pour ce faire ;

  4. il est fait droit à la demande subsidiaire de l’Accusation de procéder au contre-interrogatoire de Kosta Cavoski.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Le Président de la Chambre de première instance
______________
Patrick Robinson

Le 1er mars 2006
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Ce mémorandum a été déposé initialement à titre confidentiel, mais la Chambre de première instance a ordonné qu’il devienne public. Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, affaire n° IT-02-54-T, Ordonnance préliminaire concernant l’admissibilité du rapport d’expert de Kosta Cavoski, 6 février 2006 (« l’Ordonnance préliminaire »), p. 3.
2. La Demande, déposée initialement à titre confidentiel, est maintenant publique. Ordonnance préliminaire, supra note 1, p. 3.
3. La Réponse, déposée initialement à titre confidentiel, est maintenant publique. Ordonnance préliminaire, supra note 1, p. 3.
4. La Réplique, déposée initialement à titre confidentiel, est maintenant publique. Ordonnance préliminaire, supra note 1, p. 3.
5. Réponse, par. 6.
6. Réplique, par. 7.
7. Affaire Milosevic, compte rendu d’audience, p. 9966 (9 septembre 2002) (la Chambre de première instance a rejeté oralement les arguments des Amici Curiae et de l’Accusé pour ce motif et a finalement autorisé l’Accusation à citer Philip Coo comme témoin expert) ; voir aussi ibidem (dans le droit fil de l’avis de la Court of Appeal of England and Wales dans l’affaire R (on the application of Factortame Ltd) v. Secretary of State for Transport, Local Government and the Regions, 3 juillet 2002, [2002] 4 All E.R. 97, par. 70, où il a été jugé que s’il « vaut toujours mieux que l’expert ne soit pas véritablement ou apparemment intéressé à l’issue du procès, l’absence de tout intérêt n’est pas pour autant une condition préalable à l’admissibilité de son témoignage »).
8. Ordonnance préliminaire, supra note 1, p. 2 et 3.
9. Affaire Milosevic, Assigned Counsel Request for an Extension of Time Pursuant to Rule 127(A)(i) of the Rules of Procedure and Evidence in order to File a Response to the Trial Chamber’s Preliminary Order on Admissibility of Expert Report of Kosta Cavoski, 13 février 2006.
10. Voir aussi Réplique, par. 5 (où l’Accusation soutient que « [d]eux [des] trois experts [déjà cités par la Défense] ont déjà examiné le rapport d’expert d’Audrey Budding, de sorte que [la] Défense a eu à maintes reprises la possibilité de confronter d’autres témoins avec son témoignage »).