Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   (Lundi 4 mars 2002.) 

  2   (L'audience est ouverte à 9 heures 30.)

  3   (Audience publique.)

  4   (Questions relatives à la procédure.)

  5   M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Nice?

  6   M. Nice (interprétation): Avant de faire venir le témoin dans le prétoire,

  7   je souhaiterais évoquer un certain nombre de questions d'ordre

  8   administratif.

  9   En premier lieu et en quelques mots, le mémoire préalable au procès

 10   relatif à la Croatie et à la Bosnie: vous savez qu'il y a une limite de 50

 11   pages, à moins qu'un nombre de pages supplémentaires soit accordé. Vous

 12   vous souvenez que, dans le cas du Kosovo, nous avons respecté la limite de

 13   50 pages; nous n'avons pas demandé à bénéficier de pages supplémentaires.

 14   Pour la Croatie et la Bosnie, je souhaiterais que la Règle soit

 15   interprétée de manière que nous bénéficiions de 50 pages par Acte

 16   d'accusation, si cela convient à la Chambre.

 17   M. le Président (interprétation): Oui.

 18   M. Nice (interprétation): Merci beaucoup.

 19   Deuxième chose: il s'agit d'un point d'information que je souhaite que

 20   nous gardions tous à l'esprit. Vous vous souviendrez que le rapport déposé

 21   en vertu de l'Article 68 s'accompagne des paramètres que nous avons

 22   appliqués, que nous nous sommes efforcés de respecter, les paramètres

 23   découlant de l'Article 68. Il semble qu'il sera utile très bientôt de

 24   revoir ces paramètres, vu le contre-interrogatoire mené par l'accusé, pour

 25   qu'une révision supplémentaire ne soit pas nécessaire.

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  1   Donc je vous présenterai un rapport assez bientôt, mais je souhaiterais

  2   que vous gardiez cela à l'esprit vu la nature des contre-interrogatoires

  3   et la façon dont ils évoluent.

  4   Troisième chose, un troisième point qui se divise en deux volets: un

  5   particulier et un général. Comme vous le savez, l'accusé nous a dit qu'il

  6   dispose d'une pièce remplie de documents que nous lui avons communiqués,

  7   documents qu'il ne consulte pas. Vous savez aussi, Messieurs les Juges,

  8   qu'à la fin de la semaine dernière, l'accusé, par le biais du Greffe,

  9   avait essayé d'obtenir de notre part des déclarations de témoins qui vont

 10   être entendus et nous les lui avons communiquées par le biais du Greffe.

 11   Très bientôt, on va constater que le nombre de documents communiqués en

 12   vertu du Règlement pour la Croatie et la Bosnie sera très important. Et

 13   nous espérons que ces documents seront utiles à l'accusé pour qu'il

 14   prépare sa défense et qu'il se prépare à la venue des témoins. Nous

 15   espérons qu'il ne sera pas nécessaire à ce moment-là de lui communiquer

 16   les documents conformément à une autre démarche.

 17   Nous ne demandons pas à la Chambre de prendre une décision aujourd'hui,

 18   mais nous souhaiterions qu'en temps utile, la Chambre évoque cette

 19   question avec l'accusé, car s'il veut que la communication des pièces se

 20   fasse d'une autre manière, qui lui soit plus utile dans le cadre de sa

 21   défense, cela peut être fait, mais nous ne pensons pas que cela soit

 22   souhaitable. Il n'est pas souhaitable que les documents soient communiqués

 23   d'une autre manière qui soit complètement inutile.

 24   Ce qui m'amène à un problème qui se pose de façon urgente. La semaine

 25   prochaine, nous avons l'intention d'appeler le premier expert à la barre,

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  1   Patrick Ball, ainsi que Lord Ashdown, qui va dans le cadre de sa

  2   déposition nous parler non seulement du Kosovo, mais aussi de certaines

  3   questions relatives à l'Acte d'accusation pour la Bosnie et la Croatie. Je

  4   ne pense pas qu'il soit possible de demander à ce témoin de venir deux

  5   fois; il ne pourra comparaître qu'une seule fois. Donc l'accusé est

  6   maintenant notifié du fait que ces deux témoins importants seront là la

  7   semaine prochaine.

  8   En ce qui concerne Patrick Ball, l'accusé dispose du rapport depuis des

  9   mois; nous l'avons prévenu du fait que nous souhaitons citer ce témoin à

 10   la barre à peu près à cette période; ceci, il le sait depuis des mois.

 11   Pratiquement, s'agissant du dépôt du rapport de l'expert à la Chambre, je

 12   crois que nous avons dépassé de quatre jours la période de trente jours

 13   prévue par le Règlement et nous demandons à ce que l'on nous y autorise.

 14   Mais ce qui nous préoccupe plus, c'est d'être sûr que l'accusé dispose des

 15   documents ou puisse trouver des documents nécessaires pour traiter de ce

 16   témoin, parce qu'il ne s'agit pas là d'un témoin qui vient simplement

 17   raconter ce qui s'est passé dans son village. Pour ce témoin, il faut se

 18   préparer, il faut voir ce que ce témoin a écrit.

 19   Il y a une chose que je peux faire, tout de suite après la pause, c'est de

 20   communiquer à l'accusé un tableau qui lui indique où il peut trouver tous

 21   les documents, en fonction de la date de leur communication, tous les

 22   documents à l'accusé.

 23   M. le Président (interprétation): Pourquoi ne pas tout simplement

 24   s'assurer, à la fin de cette semaine, s'assurer qu'il dispose de tous les

 25   documents nécessaires et, si nécessaire, la Chambre le fera; vous pouvez

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  1   le faire vous-même éventuellement. En tout cas, je crois que ce sera la

  2   manière la plus facile de procéder pour l'accusé.

  3   M. Nice (interprétation): Bien. Il en sera de même pour Lord Ashdown,

  4   n'est-ce pas?

  5   M. le Président (interprétation): Oui.

  6   M. Nice (interprétation): Je vais donc tout simplement communiquer les

  7   documents à nouveau.

  8   M. le Président (interprétation): Peut-être vaut-il mieux faire cela

  9   pendant la semaine ou à la fin de la semaine.

 10   M. Nice (interprétation): Je vais les lui communiquer aussi rapidement que

 11   possible.

 12   M. le Président (interprétation): Prévenez-nous de la date à laquelle vous

 13   allez communiquer ces pièces.

 14   Lord Ashdown n'est pas un expert. Mais, en ce qui concerne l'expert, nous

 15   avons un rapport qui peut être considéré comme son interrogatoire

 16   principal. Est-ce que vous voulez poser des questions au témoin?

 17   M. Nice (interprétation): Je vais sans doute lui demander de résumer la

 18   teneur de sa déposition, mais nous n'aurons sans doute pas besoin d'entrer

 19   dans les détails. Mais pour le public et afin que cela soit communiqué au

 20   public, je pense qu'il convient que je lui pose un certain nombre de

 21   questions.

 22   D'autre part, il y a d'autres experts dont nous avons communiqué à

 23   l'accusé les rapports depuis très longtemps. En fait, il s'agit d'un

 24   témoin qui s'appelle M. Ridelmayer. Son rapport a été déposé le 28

 25   février. Il est peu probable que nous le citions à la barre la semaine

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  1   prochaine, mais très probablement la semaine d'après. Et nous demanderons

  2   sans doute un petit report de la date de notification du rapport.

  3   M. le Président (interprétation): Bien. En ce qui concerne M. Ridelmayer,

  4   je pense que la semaine qui suit la semaine prochaine serait meilleure,

  5   parce que nous venons simplement de recevoir ce document. Mais nous

  6   accorderons, nous donnerons droit à votre demande de communication

  7   tardive.

  8   M. Nice (interprétation): Bien. Le document relatif à la portée du contre-

  9   interrogatoire vous sera communiqué en milieu de semaine.

 10   M. le Président (interprétation): Bien. Je vais maintenant évoquer

 11   certaines questions pratiques.

 12   Nous allons entendre les arguments relatifs à l'Article 92bis, c'est-à-

 13   dire les déclarations écrites et leur admissibilité. Nous traiterons cette

 14   question jeudi après-midi, à un moment opportun. Il sera inutile pour

 15   quiconque de répéter ce qui figure déjà dans les documents qui ont été

 16   déposés. J'espère donc que tout cela pourra se faire assez rapidement.

 17   M. Nice (interprétation): Jeudi après-midi, Monsieur le Président?

 18   M. le Président (interprétation): Oui, vous avez raison: jeudi après-midi,

 19   nous ne siégeons pas. Donc ce sera jeudi matin puisque, à partir

 20   d'aujourd'hui, nous siégerons de 9 heures à 13 heures 45. Justement à ce

 21   sujet, l'accusé nous a demandé d'étudier la question des audiences qui se

 22   prolongeraient jusqu'à 17 heures. Nous l'avons fait. Et vu les arguments

 23   qu'il nous a présentés et en tenant compte d'autres éléments, les

 24   difficultés que l'on rencontre lorsque l'on prolonge les audiences,

 25   difficultés pour le personnel et pour d'autres personnes, donc nous sommes

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   1   revenus sur cette décision et nous avons donc décidé de ne pas siéger

  2   jusqu'à 17 heures. Nous déciderons, au jour le jour, de la nécessité de

  3   dépasser l'heure, de dépasser 16 heures et de siéger jusqu'à 16 heures 30,

  4   suivant les jours. Et aujourd'hui, nous interromprons nos débats à 16

  5   heures.

  6   M. Nice (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

  7   M. le Président (interprétation): Pouvons-nous faire entrer le premier

  8   témoin, s'il vous plaît?

  9   M. Nice (interprétation): C'est Mme Romano qui va interroger ce témoin.

 10   Mme Romano (interprétation): L'accusation cite à la barre Hasan Pruthi.

 11   (Le témoin, M. Hasan Pruthi, est introduit dans le prétoire.)

 12   M. le Président (interprétation): Que le témoin prononce la déclaration

 13   solennelle, s'il vous plaît.

 14   Veuillez, s'il vous plaît, prononcer à haute voix la déclaration

 15   solennelle, Monsieur le Témoin.

 16   M. Pruthi (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

 17   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 18   M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît.

 19   (Le témoin s'assoit.)

 20   (Interrogatoire principal du témoin, M. Hasan Pruthi, par Mme Romano.)

 21   Mme Romano (interprétation): Monsieur Pruthi, veuillez, s'il vous plaît,

 22   donner vos nom et prénom à la Chambre.

 23   M. Pruthi (interprétation): Hasan Pruthi.

 24   Question: Vous êtes né à Gjakovë, le 10 octobre 1947. Vous êtes marié et

 25   avez trois enfants?

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  1   Réponse: Je suis né le 10 avril 1947 et je suis père de trois enfants.

  2   Question: J'ai un problème de traduction. Est-ce que c'est juin ou avril?

  3   Réponse: Non, non, octobre. Octobre.

  4   Question: Bien. Donc vous êtes né en octobre 1947?

  5   Réponse: C'est exact.

  6   Question: Vous étiez avocat et, actuellement, vous travaillez comme

  7   conseiller juridique pour le Conseil norvégien des réfugiés?

  8   Réponse: Oui.

  9   Question: Et vous avez travaillé en tant que juge, d'abord au Tribunal

 10   municipal de Gjakovë, de 1976 à 1978, et ensuite au tribunal de commerce

 11   de Gjakovë, de 1978 à 1991?

 12   Réponse: C'est exact.

 13   Question: Quelle est votre appartenance ethnique?

 14   Réponse: Je suis Albanais.

 15   Question: Est-ce que la majorité des personnes qui habitaient à Gjakovë

 16   étaient albanaises?

 17   Réponse: C'est exact.

 18   Question: Est-ce qu'il y avait des Serbes à Gjakovë?

 19   Réponse: Il y avait un peu de Serbes à Gjakovë, oui.

 20   Question: Où se situe Gjakovë?

 21   Réponse: Gjakovë se trouve au sud du Kosovo, entre Pec et Prizren.

 22   Question: Est-ce que vous avez une expérience militaire ou est-ce que vous

 23   avez suivi une formation militaire?

 24   Réponse: Je n'ai fait que mon service militaire.

 25   Question: A quel moment?

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  1   Réponse: J'ai fait mon service militaire en 1973 et 1974.

  2   Question: Monsieur Pruthi, pendant toute cette période où vous avez

  3   travaillé en tant qu'avocat, en tant que juge au Kosovo et surtout à

  4   Gjakovë, est-ce que vous avez pu remarquer une différence entre le

  5   traitement réservé aux Albanais et aux Serbes?

  6   Réponse: Bien sûr que j'ai remarqué une différence. Je pourrais même dire

  7   qu'en 1991, le parlement serbe de l'époque a promulgué une décision

  8   discriminatoire aux termes de laquelle le tribunal de commerce de Gjakovë,

  9   à savoir le tribunal de cette municipalité de Gjakovë, a été dissous et

 10   les quelques quarante employés au tribunal sont restés sans emploi.

 11   Question: Monsieur le Témoin, pourquoi nous dites-vous qu'il s'agit là

 12   d'une décision discriminatoire?

 13   Réponse: Parce que cette décision avait été prise à un moment où le

 14   ministère fédéral, au niveau de la Yougoslavie, avait vanté l'activité de

 15   ce tribunal et il n'y avait aucune raison de le dissoudre.

 16   Question: Quel était le travail du tribunal de commerce? Quel était son

 17   rôle?

 18   Réponse: Ce Tribunal de commerce avait été chargé de régler les litiges

 19   commerciaux et l'enregistrement des sociétés au registre.

 20   Question: Est-ce qu'il y avait de nombreuses demandes faites par des

 21   Albanais pour inscrire leur entreprise?

 22   Réponse: Oui, il y avait des demandes d'inscription au registre, parce que

 23   cela avait été une année où était entrée en vigueur une loi relative aux

 24   entreprises. C'était à l'époque d'Ante Markovic. Conformément à cette loi,

 25   les gens avaient la possibilité d'inscrire au registre du commerce une

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  1   entreprise privée et d'investir leurs biens. Ils pouvaient également créer

  2   des entreprises mixtes avec des sociétés publiques ou d'Etat. Ce tribunal

  3   avait donc été chargé de mettre en oeuvre la loi et d'inscrire au registre

  4   les différents types de sociétés.

  5   Question: Comment cette décision de dissoudre le tribunal, décision prise

  6   par le gouvernement serbe avait-il affecté les Albanais?

  7   Réponse: Eh bien, puisque les compétences de ce tribunal avaient englobé

  8   toute la région de Kosovo jusqu'à Dukadjin, la dissolution de ce tribunal

  9   avait constitué un choc ou plutôt une atteinte à l'ensemble de cette

 10   partie du Kosovo.

 11   Question: Monsieur Pruthi, les Albanais qui souhaitaient inscrire ainsi ou

 12   faire immatriculer leurs entreprises à cette époque, vu la dissolution du

 13   tribunal, où devaient-ils s'adresser?

 14   Réponse: A l'époque, il y avait deux tribunaux au Kosovo: il y avait un

 15   Tribunal économique ou commercial à Pristina et celui de Gjakovë qui a été

 16   dissous. Les Albanais qui souhaitaient inscrire au registre, à l'époque,

 17   une société au niveau du tribunal devaient se déplacer jusqu'à Pristina.

 18   Toutefois, il ne leur avait pas été possible de le faire, il y avait eu

 19   obstruction à ce niveau parce que les bureaux de ce tribunal refusaient de

 20   procéder à l'inscription au registre, une fois le tribunal de Gjakovë

 21   dissous.

 22   Question: Etes-vous en train de me dire qu'il était très difficile pour

 23   les Albanais de faire immatriculer ou prendre en compte leurs biens dans

 24   simplement un Tribunal?

 25   Réponse: Oui. Parce qu'ils ne pouvaient pas enregistrer cette société au

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  1   niveau du Tribunal à Pristina.

  2   Question: Est-ce qu'il y a une raison qui explique pourquoi ils ne

  3   pouvaient pas faire immatriculer leur entreprise à Pristina?

  4   Réponse: Conformément à la réglementation, tout refus de demande présentée

  5   par les citoyens, relative à l'inscription au registre d'une entreprise,

  6   devait être argumentée, c'est-à-dire devait faire oralement pour ce qui

  7   est de son refus de procéder à l'inscription au registre.

  8   Question: Pendant la période où vous avez pratiqué le droit au Kosovo,

  9   est-ce qu'il y avait des demandes ou des conditions à remplir en ce qui

 10   concernait les échanges de biens?

 11   Réponse: Oui. A l'époque, le parlement serbe avait mis en place ou

 12   promulgué une loi relative au commerce ou à la vente et aux achats de

 13   biens immobiliers; cela concernait le territoire du Kosovo. Il avait été

 14   nécessaire de se procurer une approbation spéciale émanant du ministère

 15   des Finances de Belgrade.

 16   Question: Et ceci s'appliquait à tout le monde, à tous les Albanais, aux

 17   Serbes, à tout le monde de Gjakovë, n'est-ce pas?

 18   Réponse: Oui, cela concernait tout le monde. Mais étant donné cette loi

 19   discriminatoire, ils entravaient les ventes et achats de biens immobiliers

 20   sur une base quotidienne. Les citoyens n'étaient pas en mesure de vendre

 21   leurs biens sans l'autorisation préalable de ce ministère.

 22   Question: Monsieur Pruthi, où se trouvait la différence de traitement

 23   entre les Albanais et les Serbes, s'agissant de ces exigences?

 24   Réponse: Eh bien, le traitement n'était pas identique en réalité, parce

 25   que les demandes présentées par les Albanais traînaient; on les faisait

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  1   traîner, il fallait beaucoup de temps avant que l'on ne statue au sujet de

  2   ces décisions, alors qu'en ce qui concerne les demande présentées par des

  3   Serbes, on y répondait immédiatement. Et il y a un bon nombre de demandes

  4   présentées par des Albanais qui ont été refusées.

  5   Question: Est-ce que vous connaissez personnellement des Albanais qui ont

  6   rencontré des difficultés pour obtenir ces autorisations?

  7   Réponse: Il y a eu beaucoup de cas. Je ne peux pas vous donner de noms,

  8   mais en tout cas, à de très nombreuses reprises, on a vu des demandes

  9   refusées par ce ministère.

 10   Question: Est-ce que vous pouvez nous donner un pourcentage pour comparer

 11   la situation des Serbes et des Albanais à cet égard?

 12   Réponse: Quel type de pourcentage exact?

 13   Question: Je veux dire le pourcentage des demandes des Serbes qui étaient

 14   acceptées par rapport au nombre de demandes albanaises qui étaient

 15   refusées?

 16   Réponse: Vous voulez dire par ce ministère?

 17   Question: Oui.

 18   Réponse: Le pourcentage serbe, en ce qui concerne le Kosovo: il faut dire

 19   qu'il y avait moins de demandes présentées par les Serbes au Kosovo, moins

 20   de demandes présentées par les Serbes que les Albanais. Mais comme je l'ai

 21   dit, les demandes présentées par les Albanais étaient refusées et il y en

 22   a d'autres qui étaient acceptées, mais cela prenait énormément de temps.

 23   Question: Et les demande présentées par les Serbes étaient acceptées?

 24   Réponse: Les Serbes n'osaient pas vendre leurs biens, leurs propriétés au

 25   Kosovo tant que cette loi était en vigueur.

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  1   Question: Dans le cadre de vos activités en tant qu'avocat et en tant que

  2   juge, quelle langue utilisiez-vous dans le cadre de la rédaction de

  3   documents ou dans le cadre de ces demandes?

  4   Réponse: Comme vous le savez, avant l'annulation de l'autonomie du Kosovo,

  5   l'Albanais était une langue officielle mais cela n'a plus été le cas

  6   après. Si bien que les communications dans les tribunaux de district se

  7   faisaient uniquement en serbe. Je parle par exemple de tribunal municipal

  8   à Gjakovë, et les demandes présentées par écrit devaient toujours l'être

  9   en langue serbe; si elles étaient présentées en albanais, elles étaient

 10   immédiatement retournées à l'envoyeur et refusées par le bureau concerné.

 11   Question: Et est-ce que la population albanaise s'est plainte de cette

 12   situation?

 13   Réponse: Certains avocats de notre municipalité se sont plaints auprès du

 14   ministère de la Justice, celui de la République bien entendu, mais ils

 15   n'ont jamais reçu de réponse. Bien que ce soit le droit des Albanais de

 16   présenter des demandes dans leur propre langue, mais ce droit n'était pas

 17   reconnu.

 18   Question: Merci, Monsieur le Témoin. Que savez-vous de l'UCK?

 19   Réponse: L'UCK était une force qui est apparue pendant la guerre au

 20   Kosovo. Une force qui était soutenue par les gens désarmés qui

 21   souffraient, qui étaient sans défense. Et ils ont toujours défendu la

 22   population, ceux qui voyaient leur situation mise en danger par les forces

 23   meurtrières serbes.

 24   Question: Monsieur Pruthi, vous nous parlez d'une force qui est apparue

 25   pendant la guerre, mais à quelle guerre faites-vous référence?

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  1   Réponse: Je fais référence aux attaques criminelles des forces serbes et

  2   de la police serbe au Kosovo.

  3   Question: Avant que nous ne passions à ce sujet, je voudrais savoir si

  4   vous avez eu des liens, des relations avec l'UCK, à un moment donné?

  5   Réponse: Non, je n'étais pas…, je n'avais pas de lien avec l'UCK. Je n'en

  6   ai jamais eu. Je n'ai jamais vu de troupes de l'UCK dans ma ville au

  7   moment où la guerre s'est déclarée. Mais l'UCK était présent à la

  8   périphérie de la ville. Ils n'étaient pas en mesure d'entrer à ce moment-

  9   là, du fait de la présence importante de l'armée et de la police serbe en

 10   ville.

 11   Question: Monsieur le Témoin, est-ce que vous souteniez l'UCK?

 12   Réponse: Les activités de l'UCK, activités consistant à protéger la

 13   population des crimes et des meurtres commis par la police et l'armée

 14   serbe? Bien entendu que je soutenais ces activités parce que tout cela

 15   allait dans le sens des intérêts d'une population qui était totalement

 16   sans défense à l'époque.

 17   Question: Est-ce que ce soutien s'est traduit dans l'effet d'une manière

 18   ou d'une autre?

 19   Réponse: Non.

 20   Question: Monsieur le Témoin, pouvez-vous nous dire, en quelques mots, à

 21   quoi ressemblait la vie des Albanais avant le début de la campagne de

 22   l'OTAN?

 23   Réponse: C'était une vie misérable, la situation était très tendue.

 24   Difficile de résumer en quelques mots. Les gens vivaient dans la crainte,

 25   dans la nervosité. Les gens s'enfermaient chez eux. Tout ce qui comptait,

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  1   c'était de subvenir aux besoins quotidiens en nourriture; et généralement,

  2   un des membres de la famille allait au marché pour chercher du

  3   ravitaillement. Mais sinon, il était impossible de sortir dans la rue du

  4   fait de la présence très importante de l'équipement militaire serbe et de

  5   la police.

  6   Question: Monsieur Pruthi, quand cela s'est-il produit? A quel moment

  7   avez-vous pu constater la présence de l'armée et de la police serbes en

  8   ville?

  9   Réponse: J'ai constaté cette présence à partir de 1988, moment où les

 10   routes regorgeaient de véhicules de l'armée, de la police serbes qui

 11   patrouillaient les rues, jours et nuits.

 12   Question: Vous nous parlez de l'armée et de la police serbes, comment

 13   étiez-vous en mesure de savoir qu'il s'agissait de soldats et de

 14   policiers?

 15   Réponse: Cela se voyait. Cela se voyait à leur uniforme, parce que les

 16   soldats avaient un uniforme et les policiers avaient un autre uniforme. On

 17   pouvait voir qui était policier et qui était soldat.

 18   Question: Pouvez-vous décrire ces uniformes, l'uniforme des policiers et

 19   l'uniforme des soldats?

 20   Réponse: Bien entendu, les policiers portaient un uniforme bleu de

 21   camouflage alors que les soldats serbes portaient des uniformes verts,

 22   également des uniformes de camouflage.

 23   Question: Je souhaiterais que l'on présente au témoin la pièce à

 24   conviction n°18.

 25   (L'huissier s'exécute.).

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  1   Monsieur le Témoin, l'huissier va vous montrer une série de photographies

  2   d'uniformes. Je vous demande de regarder ces photographies pour nous dire

  3   si vous reconnaissez là des uniformes, ou si vous voyez sur cette

  4   photographie des uniformes semblables à ceux que vous avez vu les

  5   policiers et les soldats porter?

  6   Réponse: Par exemple, ici, vous avez un uniforme de la police serbe. Ici.

  7   Et là, sur cette photographie là-haut.

  8   Question: Est-ce que vous pouvez nous donner le numéro, s'il vous plaît?

  9   Réponse: N°6 et n°4.

 10   Question: Et pour ce qui est des soldats?

 11   Réponse: Là, vous avez l'uniforme de la police serbe, c'est le n°6. Et,

 12   là, vous avez aussi un uniforme de la police serbe n°4.

 13   Question: Et est-ce que vous pouvez nous indiquer quel était l'uniforme

 14   porté par les soldats, à l'époque? Toujours sur la base des photographies

 15   qui vous sont présentées.

 16   Réponse: Oui. Voilà: ici, le n°9, c'est cet uniforme-là.

 17   Question: Merci.

 18   Vous avez parlé de véhicules, d'équipements. De quel type de véhicules ou

 19   d'équipements s'agissait-il?

 20   Réponse: Je parle de véhicules de la police et de véhicules de l'armée de

 21   diverses sortes, camion Pinzgauers, des Jeeps de divers modèles, ainsi que

 22   des armes. Et pour les armes, il s'agissait généralement de fusils

 23   automatiques.

 24   Question: Peut-on, s'il vous plaît, présenter au témoin la pièce 17? Et

 25   ensuite, la pièce 21?

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  1   (L'huissier s'exécute.).

  2   Monsieur le Témoin, veuillez, s'il vous plaît, examiner les photographies

  3   qui vous sont présentées par l'huissier.

  4   On voit ici un certain nombre de véhicules de la police et de l'armée.

  5   Est-ce que vous pouvez examiner ces photographies pour voir si vous

  6   reconnaissez là certains des véhicules que vous avez vus à l'époque?

  7   Réponse: Oui, bien entendu. Je peux vous le montrer.

  8   J'ai là sous les yeux plusieurs véhicules que j'ai vus à l'époque. Je vais

  9   commencer par ici. Le premier type de véhicules et le troisième type de

 10   véhicules: des chars. Et voici aussi d'autres véhicules que j'ai vus à

 11   l'époque.

 12   Question: Pouvez-vous, s'il vous plaît, Monsieur le Témoin, nous les

 13   indiquer un par un? L'huissier les placera ensuite sur le rétroprojecteur.

 14   Réponse: Oui, oui. Véhicule n°7, véhicule n°10.

 15   Question: Pouvez-vous également nous dire si vous savez de quel type de

 16   véhicule il s'agit et s'il s'agissait d'un véhicule de la police ou d'un

 17   véhicule de l'armée?

 18   Réponse: Il s'agissait là de véhicules qui étaient à la fois des véhicules

 19   de la police et des véhicules militaires. Ces véhicules se présentaient

 20   ensemble.

 21   Je les vois ici, sur ces photographies et ils disposaient également

 22   d'espèces de Jeep.

 23   Question: Veuillez continuer et nous indiquer les numéros et les véhicules

 24   correspondants.

 25   Réponse: N°2, n°15, n°10.

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  1   Question: Merci. Vous avez vu tous ces véhicules, cet équipement, à

  2   l'époque, aux alentours de votre ville et dans votre ville: où les avez-

  3   vous vus?

  4   Réponse: On voyait ces véhicules parader dans la ville à toute heure du

  5   jour et on entendait également ces véhicules circuler pendant la nuit.

  6   Question: Vous avez parlé d'armes automatiques. Une fois encore, je vais

  7   vous demander d'examiner un certain nombre de photographies pour voir si

  8   vous pouvez reconnaître certaines des armes que vous avez vues à l'époque.

  9   Réponse: A l'époque, j'ai vu le n°4, le n°1 et le n°2. Donc ces fusils:

 10   fusils n°4, 1 et 2. Et il y avait aussi des sortes de canons. Et puis, ce

 11   qu'on voit sur la photographie n°1.

 12   Question: Les premiers que vous nous avez indiqués figuraient sur la

 13   feuille A, et le canon figurait lui sur la feuille B, n'est-ce pas?

 14   Feuilles A et B?

 15   Réponse: Oui.

 16   Question: Merci. Pendant 1998 et au début de 1999, est-ce que vous vous

 17   souvenez avoir vu des personnes en provenance d'autres villages venir à

 18   Gjakovë pour s'y installer?

 19   Réponse: Oui, je m'en souviens bien. Je me souviens de la fuite d'une

 20   partie de la population des villages environnant Gjakovë en 1998. Ces gens

 21   affluaient vers Gjakovë et c'est la police serbe et la police militaire

 22   qui les faisaient avancer, qui les forçaient à quitter leurs maisons. Ces

 23   gens nous ont raconté qu'ils avaient été chassés par la police et l'armée

 24   serbes; ils nous ont raconté que leurs maisons avaient été incendiées et

 25   certains ont été tués par d'autres habitants de leur village. On les

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  1   provoquait oralement, on leur disait de partir de chez eux aussi

  2   rapidement que possible et d'aller en Albanie parce qu'on leur demandait

  3   ce qu'ils cherchaient ici, au Kosovo. Les gens ont raconté que, du fait de

  4   ces actes atroces, ils ont été contraints de quitter leur village.

  5   Question: Est-ce que vous avez vous-même parlé avec certains de ces

  6   villageois qui arrivaient à Gjakovë?

  7   Réponse: J'ai parlé à ces gens personnellement parce que nous faisions en

  8   sorte de les héberger dans diverses maisons à Gjakovë à ce moment-là.

  9   Question: Est-ce qu'ils ont raconté qui les expulsait de leur village?

 10   Réponse: Oui et ils nous ont montré qui les avait chassés. Ils nous ont

 11   dit que la police et l'armée, la police et l'armée serbes les avaient

 12   chassés. Et ils avaient à peine eu le temps de quitter leurs maisons

 13   qu'ils avaient vu que ces maisons étaient incendiées: elles étaient

 14   incendiées sous leurs yeux. Cela suscitait la terreur en eux et ils ont

 15   été contraints de partir et de choisir la voie de l'immigration.

 16   Question: Monsieur Pruthi, où étiez-vous au début du bombardement de

 17   l'OTAN?

 18   Réponse: Je me trouvais à Gjakovë, chez moi, dans ma maison.

 19   Question: Combien de gens y avait-il chez vous, à l'époque?

 20   Réponse: Ma propre famille seulement.

 21   Question: Pourriez-vous nous dire combien de membres de votre famille il y

 22   avait?

 23   Réponse: Oui. Il y avait mon épouse et ma fille cadette. Tard dans la

 24   soirée, nous avons entendu un coup de feu. Je suis sorti pour voir ce qui

 25   se passait. Puis, j'ai entendu un deuxième coup de feu, et ce, en

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  1   provenance des collines au-dessus de la ville. La colline de Çabrati. Puis

  2   j'ai entendu des forces serbes riposter; elles se trouvaient déployées là-

  3   bas. Puis j'ai entendu des tirs antiaériens qui étaient dirigés vers les

  4   avions de l'OTAN qui volaient.

  5   Question: Est-ce que vous avez vu les avions de l'OTAN survoler Gjakovë?

  6   Réponse: Oui.

  7   Question: Est-ce que vous pouvez nous dire quand, vers quelle heure cela

  8   s'est passé?

  9   Réponse: Cela s'était passé vers 10 heures du soir, 9 heures, 10 heures.

 10   Question: Est-ce que quelques parties de la ville avaient été touchées par

 11   ces bombardements?

 12   Réponse: Non. Ils ont bombardé des casernes et des entrepôts militaires

 13   qui se trouvaient sur la colline de Çabrati. C'étaient là deux cibles qui

 14   avaient été bombardées par l'OTAN cette nuit-là.

 15   Question: Ces deux cibles-là se trouvaient à une distance quelconque,

 16   n'est-ce pas, depuis la ville. Est-ce que c'était près ou loin de la

 17   ville?

 18   Réponse: La colline de Çabrati se trouve près de chez moi, alors que les

 19   entrepôts militaires se trouvaient en banlieue. Et le lendemain, nous

 20   avons appris que l'OTAN les avait bombardés pendant la nuit précédente.

 21   Question: Pendant combien de temps les avions de l'OTAN ont-ils survolé

 22   Gjakovë?

 23   Réponse: Pendant un temps assez bref, je dirai.

 24   Question: Quand est-ce que, selon vos souvenirs, les avions ont cessé de

 25   survoler la ville?

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  1   Réponse: Peut-être vers 9 heures et quart, 9 heures 20.

  2   Question: Une fois les avions de l'OTAN partis, qu'est-ce qu'il s'est

  3   passé?

  4   Réponse: Eh bien, d'abord les tirs antiaériens ont cessé, puis il y a eu

  5   une accalmie pendant quelques heures. Vers minuit, j'ai vu une espèce de

  6   grand feu. Et j'étais curieux de voir ce qui se passait; je suis monté au

  7   deuxième étage de la maison pour mieux voir et, de l'autre côté de la

  8   maison, en direction de la cité, j'ai vu -du côté de la cité qu'on appelle

  9   Carshia-, j'ai vu un grand feu et beaucoup de fumée; puis j'ai entendu des

 10   tirs. Et l'on tirait en direction des bâtiments en feu.

 11   Question: Et cette vieille partie de la ville, Carshia, se trouve à

 12   combien de mètres ou kilomètres de chez vous?

 13   Réponse: A quelque 400 mètres.

 14   Question: Pouvez-vous nous dire exactement ce que vous avez vu depuis

 15   votre fenêtre?

 16   Réponse: J'ai vu la vieille partie de la cité, la Carshia comme on

 17   l'appelle, et toute cette Carshia e Madhe était en feu. Il s'agissait de

 18   bâtiments d'importance culturelle historique. Et la nuit, cette nuit-là,

 19   tout était en feu.

 20   Question: Mais est-ce que vous savez ce qui avait été la cause de ce feu?

 21   Réponse: On m'a dit que la police serbe avait mis le feu à cette partie-là

 22   de la ville en se servant d'un liquide, d'une substance particulière et

 23   qu'ils avaient également tué certaines personnes vivant là-bas, dont les

 24   maisons se trouvaient dans cette partie de la ville. Donc plusieurs

 25   personnes avaient été tuées cette nuit-là et, parmi ces personnes-là, le

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  1   Dr Izet qui a été tué ou abattu devant des membres de sa famille.

  2   Question: Comment le savez-vous, Monsieur Pruthi? Qui vous l'a dit?

  3   Réponse: C'est ce qu'ont dit les membres de sa propre famille. Ils ont

  4   d'ailleurs témoigné de ce meurtre et en ont parlé devant le Conseil chargé

  5   de la protection des droits de l'homme; et j'étais présent.

  6   Question: Ce docteur avait-il été tué au moment même où cette partie de la

  7   ville avait été incendiée?

  8   Réponse: Oui. Et en même temps que l'on a tué le docteur, on l'a fait de

  9   façon brutale devant toute sa famille.

 10   Question: Monsieur Pruthi, mais pendant le temps où tout brûlait, est-ce

 11   que vous avez vu des avions de l'OTAN? Et est-ce que vous pouvez nous dire

 12   comment vous avez su que la cité n'était pas en train de brûler parce que

 13   c'était là le résultat du bombardement de l'OTAN?

 14   Réponse: Eh bien, les flammes sont apparues une fois que les avions

 15   étaient déjà partis. C'est un fait certain. E il y a des centaines de gens

 16   qui ont vu de leurs propres yeux la police serbe en train de mettre le feu

 17   à la vieille partie de la ville. Il y a des centaines de témoins qui se

 18   trouvaient là-bas et ils ont témoigné de la chose.

 19   Question: Merci. Revenons à votre maison.

 20   Dites-nous d'abord si vous êtes resté chez vous?

 21   Réponse: Oui. Je suis resté chez moi et j'étais très inquiet de ce qui se

 22   passait. Le jour d'après, nous avons vu la police serbe et des patrouilles

 23   militaires en train de patrouiller dans les rues de la ville. Et certaines

 24   personnes se sont déplacées vers les magasins pour aller faire des

 25   courses, pour acheter des produits de première nécessité. Et le soir...

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  1   Question: Excusez-moi de vous interrompre, Monsieur Pruthi. Vous avez dit

  2   que la police était en train de patrouiller. Pouvez-vous nous dire quel

  3   type d'uniforme la police portait? Est-ce que cet uniforme était différent

  4   de ceux que nous avons vus sur les photographies?

  5   Réponse: Non, c'étaient les mêmes uniformes que je vous ai montrés sur les

  6   photographies, il y a quelques minutes de cela.

  7   Question: Dites-moi ce qu'ils faisaient exactement au juste là-bas?

  8   Réponse: Ils étaient en train de patrouiller dans leurs véhicules, en se

  9   déplaçant par les rues de la ville. Et cela faisait peur aux citoyens. Les

 10   citoyens n'osaient pas quitter leur domicile, ils restaient donc enfermés

 11   chez eux parce qu'ils avaient entendu ce qui s'était passé la nuit

 12   précédente. Ils étaient horrifiés par ce qui s'était passé et sont restés

 13   chez eux.

 14   Question: Et avez-vous eu des contacts avec certains de vos voisins à

 15   l'époque?

 16   Réponse: Oui, j'ai contacté certains de mes voisins, à ce moment-là. Nous

 17   nous nous étions entretenus de la chose et de ce qu'il fallait faire. Nous

 18   comptions les minutes, car nous appréhendions que le pire ne nous arrive.

 19   Question: Mais qu'est-il arrivé au juste?

 20   Réponse: Le deuxième soir, vers 8 heures, une fois que les lumières se

 21   sont éteintes, on a entendu des tirs d'armes automatiques. Il y a eu

 22   beaucoup de tirs. Mon épouse, ma fille et moi-même, nous nous trouvions à

 23   la maison et, vers 11 heures du soir, j'ai entendu du bruit en provenance

 24   de la cour de mon voisin. Ou plutôt que du bruit, j'ai entendu en fait des

 25   voix et je suis allé à la fenêtre; j'ai vu que beaucoup de gens s'étaient

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  1   rassemblés dans cette cour. J'ai ouvert la fenêtre pour mieux voir ce qui

  2   se passait et j'ai vu qu'à proximité du mur qui sépare ma maison et celle

  3   du voisin, il y avait un grand nombre de personnes. J'ai également entendu

  4   des coups de feu tirés par la police dans notre rue.

  5   Nous avions eu peur. C'est pourquoi je suis allé dans la cour de mon

  6   voisin et j'ai rejoint le groupe de gens qui s'étaient rassemblés et qui

  7   étaient venus de la rue adjacente, c'est-à-dire depuis la partie où les

  8   maisons avaient été incendiées et d'où l'on avait chassé les gens de leurs

  9   domiciles. Ils nous avaient d'ailleurs raconté qu'ils venaient des maisons

 10   qui étaient mises à feu et que, derrière eux, il était resté des gens qui

 11   avaient été tués.

 12   Question: Combien de temps êtes-vous restés là-bas?

 13   Réponse: Nous sommes restés là-bas jusqu'à l'aube, en attendant que les

 14   véhicules avec la police serbe ne se retirent. Une fois que les véhicules

 15   se sont retirés, nous sommes revenus chez nous. Une fois rentré, j'ai

 16   entendu de mes propres oreilles des voix de policiers en train de crier

 17   aux gens: "Allez-vous-en! Ce n'est pas votre pays: ceci est la Serbie.

 18   Allez-vous-en en Albanie."

 19   Ils étaient en train de crier, de gueuler. Et c'était plutôt triste à

 20   voir. Je suis donc rentré chez moi avec quelques-uns de mes voisins pour

 21   me reposer.

 22   Question: Monsieur Pruthi, est-ce que quelqu'un a été blessé à ce moment-

 23   là, cette nuit-là?

 24   Réponse: Eh bien, il était vers 6 heures du matin, lorsque l'épouse d'un

 25   cousin à moi est venue chez nous. Elle était en train de pleurer et nous

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  1   avait dit que son mari avait été tué; puis, elle nous a demandé de

  2   l'aider.

  3   Question: Comment s'appelait votre cousin?

  4   Réponse: Ce cousin s'appelait Shefqet Pruthi. Je me suis levé, je suis

  5   sorti avec elle dans la rue et quoiqu'il était très dangereux de sortir à

  6   ce moment-là, puisque les rues étaient bondées de policiers serbes, nous

  7   sommes allés jusqu'à chez elle et elle m'a montré le corps inanimé de son

  8   mari derrière la maison. Ce corps gisait sur le sol et j'ai vu qu'il avait

  9   des traces de balle sur la poitrine; il y avait des blessures sur ses

 10   mains et cela provenait d'armes automatiques.

 11   Question: Est-ce que son épouse a vu ce qui lui était arrivé?

 12   Réponse: Elle n'a pas vu ce qui s'est passé. Cet acte criminel avait été

 13   perpétré devant sa propre fille. Elle a vu donc son propre père en train

 14   de mourir.

 15   Question: Est-ce que vous avez quitté votre maison, une fois de plus,

 16   Monsieur Pruthi?

 17   Réponse: Après avoir enterré ce cousin, je suis revenu chez moi. Puis,

 18   avec mon épouse, nous étions en train de discuter de ce qu'il fallait

 19   faire, car nous avions compris que nous étions en danger si nous restions

 20   dans cette cité, car 17 personnes avaient été tuées au cours de la nuit.

 21   Donc nous étions en train de nous demander ce qu'il fallait faire.

 22   Question: Qu'avez-vous fait? Y a-t-il des problèmes de traduction?

 23   Réponse: Avec mon épouse et ma fille, nous sommes allés voir ma sœur qui

 24   vivait dans une autre cité et nous avons trouvé refuge là-bas.

 25   Question: Est-ce que vous pouvez nous dire où se trouvait la maison de

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  1   cette sœur? Est-ce que cela se trouvait loin de chez vous?

  2   Réponse: La maison de ma sœur se trouve dans une cité qui s'appelle Qerim.

  3   Cela se trouve à quelque 200 mètres de la cité où j'habite.

  4   Question: Combien de temps êtes-vous restés dans la maison de votre sœur?

  5   Réponse: Nous sommes restés dans la maison de ma sœur du 26 mars au 2

  6   avril.

  7   Question: Combien de gens y avait-il avec vous, dans la maison de votre

  8   sœur?

  9   Réponse: Il y avait mon frère cadet et il y avait les membres de la

 10   famille de ma sœur. Un autre frère à moi était là pendant un certain temps

 11   et il est reparti.

 12   Question: Pendant que vous étiez là-bas, qu'avez-vous vu? Que s'est-il

 13   passé dans la cité en question?

 14   Réponse: Pendant tout ce temps, depuis 8 heures du soir, on commençait à

 15   tirer. D'abord, il n'y avait plus d'éclairage; puis, on entendait des

 16   coups de feu à l'arme automatique. Cela voulait dire que la police serbe

 17   entamait ses opérations dans différentes parties de la ville.

 18   Question: Monsieur Pruthi, est-ce que vous avez vu qui avait ouvert le

 19   feu?

 20   Réponse: Non. Je n'ai pas vu qui avait ouvert le feu.

 21   Mais le 1er avril, lorsque la police serbe est venue chez un voisin, un

 22   voisin à ma sœur dont la maison se trouvait à proximité de la maison de ma

 23   sœur, ils avaient lancé une espèce de produit inflammable et nous avons vu

 24   les deux étages supérieurs de la maison en train de prendre feu.

 25   Question: Comment saviez-vous qu'il s'agissait de la police serbe ou de

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  1   l'armée? Comment savez-vous qu'il s'agissait de la police ou de l'armée

  2   partant du fait que vous aviez entendu des coups de feu?

  3   Réponse: D'habitude, les coups de feu étaient tirés toutes les nuits. Mais

  4   ce 1er avril était une nuit que je n'oublierai jamais: c'était la nuit la

  5   plus terrible. La police avait encerclé toute la cité, ils avaient

  6   commencé à tuer et à mettre le feu aux maisons. Nous avons changé de

  7   place. Nous sommes allés chez d'autres voisins, mais nous ne pouvions

  8   aller nulle part, étant donné que nous étions complètement encerclés par

  9   la police. Nous nous sommes abrités par la suite dans une des maisons de

 10   la cité où il y avait beaucoup d'Albanais, plus d'une centaine, qui

 11   étaient arrivés là depuis d'autres parties de la cité et dont les maisons

 12   avaient déjà été mises à feu.

 13   Ils s'étaient donc abrités dans la même maison que nous. Et étant donné

 14   que nous étions à proximité de la rue, j'ai vu des brigades de sapeurs-

 15   pompiers arriver ou plutôt se diriger vers les maisons qui étaient en feu.

 16   Le jour d'après, j'ai appris que le camion des sapeurs-pompiers était allé

 17   jusqu'à la maison d'un habitant serbe qui habitait dans cette cité pour

 18   que sa maison ne prenne pas feu, étant donné que les maisons albanaises

 19   étaient en train de brûler. C'est ce que l'on m'a raconté d'ailleurs le

 20   jour d'après.

 21   Question: Merci.

 22   Réponse: Mais, excusez-moi, je n'ai pas fini.

 23   Cette nuit-là, plus de vingt Albanais ont été tués dans une cave, dans la

 24   cave d'une maison. Et seule une jeune fille a réussi à s'enfuir; elle

 25   avait demandé de l'aide, mais il n'y avait personne pour l'aider et elle a

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  1   fini par également brûler dans cet incendie.

  2   Question: Qui est-ce qui vous a dit que vingt Albanais avaient été tués?

  3   Qui vous l'a dit?

  4   Réponse: Je l'ai appris le jour d'après. Les gens qui s'étaient retirés

  5   depuis cette cité me l'ont raconté. Ils ont vu qu'il y avait eu beaucoup

  6   de morts, en sus des vingt que j'ai mentionnés. Ils m'ont dit qu'ils

  7   avaient laissé derrière eux beaucoup de personnes, beaucoup de gens. Et

  8   comme ils devaient fuir, ils n'ont pas eu le temps de voir tout ce qui se

  9   passait, mais on leur avait bien fait savoir qu'il fallait s'en aller en

 10   Albanie parce que ce n'était pas l'endroit où il fallait rester pour ce

 11   qui les concernait.

 12   Question: Est-ce que vous avez une fois de plus quitté la maison de votre

 13   sœur?

 14   Réponse: Cela est arrivé le 2 avril, lorsque, dans cette maison, il est

 15   arrivé un grand nombre d'Albanais. Nous nous étions rassemblés et nous

 16   étions en train de discuter de ce qu'il convenait de faire. Puis, on a dit

 17   qu'il fallait s'organiser pour partir en Albanie, étant donné que l'on

 18   avait appris que la police, en chassant certaines personnes de chez elles,

 19   leur avait dit qu'il fallait partir et s'en aller vers l'Albanie. C'est ce

 20   qui leur avait été dit.

 21   Question: Et est-ce que vous avez quitté votre maison?

 22   Réponse: Oui, nous avons quitté notre maison. Nous sommes allés vers une

 23   place et nous nous sommes alignés là-bas et nous avons trouvé là-bas

 24   quelque 500 personnes qui n'avaient pas de voiture à eux. Nous avions une

 25   voiture à nous, mais il y avait un autocar. Toutefois, l'autocar ne

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  1   pouvait pas recevoir plus de 50 personnes, et ces gens-là se sont dirigés

  2   vers Qafé e Prushit, vers la frontière albanaise. C'était une image plutôt

  3   triste à voir.

  4   Question: Je vais vous interrompre. Dites-nous, combien de gens vous aviez

  5   vus sur cette place, à peu près?

  6   Réponse: Je crois qu'à ce moment-là, il devait y avoir environ 500

  7   personnes.

  8   Question: Est-ce qu'à cet endroit-là, il y avait, à ce moment-là, des

  9   policiers ou des soldats?

 10   Réponse: Oui. J'ai vu des policiers qui, pendant tout le temps où nous

 11   étions là-bas, étaient sur le qui-vive et nous surveillaient, nous et nos

 12   véhicules.

 13   Question: Et qu'avez-vous fait, vous et ce groupe de 500 personnes?

 14   Réponse: Les gens se sont dirigés en direction de la frontière. Bon nombre

 15   d'entre eux étaient des personnes, des gens âgés qui ne pouvaient pas

 16   marcher. Certains portaient même d'autres membres de leur famille

 17   respective; d'autres transportaient des gens sur des remorques. Et cela

 18   était très, très triste à voir. Nous nous sommes également dirigés vers

 19   Prizren.

 20   Question: Mais est-ce que la police qui se trouvait là-bas avait fait quoi

 21   que ce soit? Est-ce qu'elle avait aidé les gens qui se trouvaient là ou

 22   fait quoi que ce soit d'autre?

 23   Réponse: Non, personne n'a proposé d'aide. Comme ils se trouvaient dans

 24   leurs véhicules, ils ne faisaient que surveiller ce qui se passait. Donc

 25   soit ils patrouillaient, soit ils surveillaient ce qui se passait.

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  1   Question: Est-ce que vous vous souvenez d'être passés par quelque point de

  2   contrôle que ce soit?

  3   Réponse: Le premier point de contrôle dont je me souviens se trouvait à

  4   quelque trois kilomètres de la ville, à un endroit appelé "Ura e Tërzive".

  5   C'est ce qu'il fallait faire parce que la police nous avait demandé de le

  6   faire. Ils nous avaient demandé nos papiers, de remettre toutes nos pièces

  7   d'identité et nos passeports, enfin tout ce que nous avions.

  8   Question: Est-ce que vous l'avez fait?

  9   Réponse: Oui.

 10   Question: Est-ce qu'on vous a dit pourquoi vous deviez le faire?

 11   Réponse: Je me souviens que, lorsque j'avais demandé à la police pourquoi

 12   on nous prenait ces papiers, parce qu'on en avait besoin, ils m'ont dit:

 13   "Mais pourquoi pensez-vous en avoir besoin?" Et ils ont dit qu'il n'y

 14   avait aucune raison pour moi de conserver ces documents; puis ils m'ont

 15   dit de rien dire d'autre. Nous avons continué ensuite vers Prizren.

 16   Question: Et de Prizren, où êtes-vous allés?

 17   Réponse: A Prizren, nous sommes d'abord tombés sur un autre point de

 18   contrôle où il y avait plusieurs policiers; ceux-là nous ont montré de

 19   leur bras la direction de l'Albanie.

 20   Question: Est-ce qu'avant que de traverser la frontière, on vous a

 21   redemandé de montrer certains documents?

 22   Réponse: Au passage de frontière, une fois que nous sommes arrivés là-bas,

 23   des soldats nous ont demandé nos papiers d'identité, mais bien sûr nous ne

 24   les avions plus parce qu'on nous les avait pris, la police nous les avait

 25   pris auparavant. Et nous avons dit au soldat que tous nos papiers avaient

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  1   été pris par les policiers, que nous n'avions plus de document, de pièce

  2   d'identité. Le soldat avait souri et ri: il le savait, mais il voulait

  3   maltraiter la population. Il avait même affirmé que ce n'était pas vrai,

  4   que l'on ne voulait pas les remettre. Et nous lui avons dit que cela était

  5   vrai que nos pièces d'identité avaient été confisquées. Et ils ont

  6   commencé à enlever les plaques d'immatriculation de nos véhicules.

  7   Question: Monsieur Pruthi, qui se trouvait à la frontière? Vous avez dit

  8   qu'il y avait des soldats et des policiers. Qui vous avait demandé vos

  9   papiers?

 10   Réponse: C'était des soldats, des soldats.

 11   Question: Mais y avait-il des policiers de présents?

 12   Réponse: Non, il n'y avait pas d'uniforme de police.

 13   Question: Pouvez-vous décrire les uniformes portés par les soldats?

 14   Réponse: Il s'agissait d'uniformes verts; c'étaient des uniformes de

 15   camouflage.

 16   Question: Etaient-ce des uniformes différents ou semblables à ceux que

 17   vous nous avez montrés tout à l'heure?

 18   Réponse: C'étaient les mêmes.

 19   Question: Et est-ce qu'on vous a restitué, à quelque moment que ce soit,

 20   vos pièces d'identité?

 21   Réponse: Non, jamais.

 22   Question: Quand êtes-vous revenu au Kosovo?

 23   Réponse: Je suis revenu le 16 juin 1999.

 24   Question: Est-ce que votre maison se trouvait dans le même état que celui

 25   où vous l'aviez laissée?

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  1   Réponse: Bien sûr, ma maison n'était pas dans le même état qu'auparavant.

  2   L'armée serbe avait été cantonnée dans ma maison pendant trois semaines et

  3   tout était détruit.

  4   Question: Comment le savez-vous?

  5   Réponse: Dans mon quartier, il y avait trois ou quatre familles qui sont

  6   restées dans le village pendant toute la guerre.

  7   Question: C'était des Albanais?

  8   Réponse: Oui, c'étaient des Albanais. Mais je l'ai su également au vu des

  9   objets que l'armée avait laissés derrière elle, dans la maison.

 10   Question: Monsieur Pruthi, pourquoi avez-vous décidé de quitter votre

 11   ville et votre maison au Kosovo?

 12   Réponse: J'ai décidé de quitter la ville et de quitter le Kosovo, car j'ai

 13   vu de mes propres yeux des gens qui se faisaient tuer. J'ai vu des

 14   horreurs, j'ai vu le feu, j'ai entendu de la bouche de tiers des histoires

 15   abominables qui étaient le récit de ce que certaines avaient vécu. Donc

 16   j'ai décidé de quitter le Kosovo pour sauver la vie de mes enfants.

 17   Question: Qui provoquait cette terreur?

 18   Réponse: Je crois que cette terreur a été provoquée par l'armée et la

 19   police serbes.

 20   Mme Romano (interprétation): Merci.

 21   Monsieur le Président, je n'ai plus de question pour ce témoin.

 22   M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous avez la parole.

 23   (Contre-interrogatoire du témoin, Hasan Pruthi, par l'accusé, M.

 24   Milosevic.)

 25   M. Milosevic (interprétation): Vous avez dit que vous aviez perdu votre

Page 1468

   1   emploi lorsque le tribunal de commerce de Djakovica a été fermé, en 1991?

  2   M. Pruthi (interprétation): Oui.

  3   Question: Savez-vous, savez-vous dans quelles conditions un tribunal est

  4   fermé, puisque vous êtes juriste, n'est-ce pas?

  5   Réponse: Je le sais.

  6   Question: Pourquoi ce Tribunal a-t-il été fermé?

  7   Réponse: Il n'y avait aucune raison de fermer ce Tribunal. Comme je l'ai

  8   dit dans ma déposition, cela s'est produit alors que le ministère avait

  9   dit tout le bien qu'il pensait du travail de ce Tribunal.

 10   Question: Dans cette décision qui a provoqué la fermeture, la disparition

 11   de ce Tribunal, les raisons justifiant cette action sont-elles citées?

 12   Réponse: Les raisons fournies à l'époque n'étaient pas exactes.

 13   Question: Quelles sont les raisons qui ont été invoquées dans cette

 14   décision?

 15   Réponse: Je ne me souviens plus.

 16   Question: Savez-vous qu'une assemblée municipale décide de fermer un

 17   tribunal lorsqu'elle a la preuve que ce Tribunal ne travaille pas

 18   correctement?

 19   Réponse: Le Tribunal travaillait de la façon la plus légale qui soit et

 20   mettait en œuvre, appliquait le droit de la façon la plus méticuleuse qui

 21   soit.

 22   Question: Qui détermine si un tribunal travaille légalement ou pas: vous

 23   ou l'assemblée municipale?

 24   Réponse: Les autorités responsables.

 25   Question: Donc le parlement?

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  1   Réponse: Bien sûr.

  2   Question: Y avait-il seulement des Albanais qui travaillaient dans ce

  3   Tribunal ou y avait-il également des Serbes?

  4   Réponse: Il y avait quelques Serbes qui y travaillaient.

  5   Question: Donc les Serbes et les Albanais ont perdu leur emploi?

  6   Réponse: Les Serbes ont retrouvé d'autres emplois en ville, avant la

  7   fermeture du Tribunal.

  8   Question: Je suppose que vous avez trouvé également un autre emploi, à en

  9   juger par ce que je lis dans les documents qui vous concernent? Donc il

 10   n'y a aucune différence de ce point de vue.

 11   Réponse: Après avoir passé deux ans à la rue.

 12   Question: Vous avez dit que les Albanais se portaient candidats pour faire

 13   enregistrer leur entreprise?

 14   Réponse: Conformément à la loi.

 15   Question: Bien sûr, conformément à la loi. Mais les Serbes, eux, se

 16   portaient-ils également candidats à l'enregistrement de leurs entreprises?

 17   Réponse: Il y a eu quelques demandes d'enregistrement.

 18   Question: Donc les Serbes et les Albanais se rendaient au même endroit

 19   pour demander que leurs entreprises soient enregistrées?

 20   Réponse: Oui.

 21   Question: Donc, là encore, aucune discrimination?

 22   Réponse: Je parle de la période qui a suivi la décision prise par le

 23   parlement serbe. Je dis que cette décision était discriminatoire: cette

 24   décision était prise par le parlement serbe d'une façon qui ne

 25   correspondait pas à la réalité.

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  1   Question: En tout état de cause, en qualité de juriste, je suppose que

  2   vous savez que la loi applicable était la même pour les Serbes et pour les

  3   Albanais?

  4   Réponse: Elle n'était pas la même, car elle n'était pas appliquée de la

  5   même façon. La loi ne s'appliquait pas de la même façon.

  6   Question: Dans quels sens dites-vous qu'elle n'était pas appliquée de la

  7   même façon?

  8   Réponse: Il y avait des cas où des requêtes présentées par des Albanais

  9   étaient rejetées. Je n'ai pas besoin de répéter ce que j'ai déjà dit.

 10   Question: Je reviens sur cette question. D'ailleurs, je vais vous poser

 11   une question, car en tant que juriste, vous devez pouvoir répondre à cette

 12   question. Vous avez dit que les demandes d'immatriculation des Albanais

 13   étaient mises de côté, dirais-je, pourrissaient dans des tiroirs, si je

 14   puis m'exprimer ainsi: c'est bien cela?

 15   Réponse: Dans quel sens?

 16   Question: Vous avez dit que, lorsque des Albanais présentaient des

 17   demandes d'immatriculation de magasins, d'entreprises, etc., ils devaient

 18   attendre des temps indéfinis et qu'il y avait en fait obstruction de la

 19   part des organes officiels?

 20   Réponse: Lorsque je présidais le Tribunal, donc dans cette période-là,

 21   c'était effectivement le cas. Les demandes étaient mises de côté par les

 22   dirigeants du tribunal administratif de Pristina. Donc c'était après la

 23   suppression du Tribunal de Gjakovë. Les Albanais étaient empêchés

 24   d'immatriculer leurs entreprises.

 25   Question: Donc l'obstruction dont vous parlez était due au fait que les

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  1   demandes d'immatriculation se réglaient dans des temps très longs et

  2   qu'aucune réponse n'était fournie pendant très longtemps. C'est bien cela?

  3   Réponse: La réponse orale était donnée immédiatement et, en fait, on

  4   disait à ces personnes qu'elles n'avaient pas le droit d'immatriculer leur

  5   entreprise. Cela se passait au Tribunal de Pristina et les gens qui

  6   soumettaient de telles demandes étaient maltraités. Il n'y en avait qu'un

  7   nombre très restreint qui obtenaient l'immatriculation.

  8   Question: Vous êtes un juriste vous-même, vous devriez donc savoir que, si

  9   l'on n'obtient pas l'immatriculation très rapidement, la loi prévoit que,

 10   dans ce cas, on considère que l'entreprise est néanmoins immatriculée.

 11   Vous rappelez-vous cet élément du droit?

 12   Réponse: Si une demande est présentée aux autorités, ces autorités sont

 13   tenues de répondre par écrit. Il n'est pas normal que le document de

 14   demande soit immédiatement remis entre les mains du requérant, sans aucune

 15   réponse. Et des cas de ce genre ont été très nombreux.

 16   Question: Moi, j'affirme que, dans l'application stricte du droit, ceci

 17   est impossible. En effet, il est prévu dans le droit, dans la loi que si

 18   la réponse n'est pas fournie dans un délai très bref, on considère que

 19   l'entreprise est immatriculée. Ce sont des dispositions qui ont été prises

 20   pour empêcher la corruption, pour empêcher la discrimination, pour

 21   empêcher le népotisme, pour empêcher ce genre de choses; donc ce sont des

 22   dispositions bien connues. Est-ce bien le cas ou pas?

 23   Réponse: Bien des choses impossibles se sont produites dans la période

 24   dont je parle.

 25   Question: Mais tirons ceci au clair. Si quelqu'un présente une requête, y

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  1   compris par la poste, il envoie une lettre, une demande par la poste au

  2   Tribunal, et le Tribunal ne répond pas dans les délais prévus, eh bien, ce

  3   monsieur qui a en main la preuve qu'il a envoyé ce courrier par la poste,

  4   peut considérer que son entreprise est immatriculée. Oui ou non?

  5   Réponse: Ce n'est pas vrai.

  6   Question: J'affirme qu'il est impossible qu'il y ait eu obstruction de ce

  7   genre en raison de ce que je dis.

  8   Réponse: Ils n'ont pas agi de cette façon-là.

  9   M. Milosevic (interprétation): Ils n'avaient pas besoin de faire quoi que

 10   ce soit. Ils ne pouvaient pas vous empêcher d'immatriculer vos

 11   entreprises; c'est exact ou pas?

 12   M. Pruthi (interprétation): Je ne peux que souligner un détail. Les

 13   employés du ministère des Affaires intérieures sont venus plusieurs fois

 14   dans mon bureau pour me prévenir qu'il convenait de cesser de demander

 15   l'immatriculation d'entreprises en application de la loi d'Ante Markovic.

 16   La dernière fois que ces gens sont venus, ils ont saisi tous les dossiers

 17   d'immatriculation qu'ils ont donc sortis du Tribunal pour les emporter à

 18   la police.

 19   Ceci est un acte tout à fait sans précédent dans la jurisprudence et c'est

 20   ce qui s'est passé au Tribunal de commerce de Gjakovë. A cette époque-là,

 21   les gens immatriculaient des entreprises à capital mixte.

 22   M. le Président (interprétation): Le moment est arrivé de la pause. Donc

 23   nous suspendons pendant d'une demi-heure.

 24   Monsieur Pruthi, je vous rappelle que, durant cette pause ainsi que durant

 25   toutes les autres pauses qui pourraient se produire durant votre

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  1   disposition, il vous est interdit de discuter de la teneur de votre

  2   déposition avec qui que ce soit et notamment avec les membres du Bureau du

  3   Procureur.

  4   Je vous demanderai de revenir dans ce prétoire à 11 heures et demie.

  5   (L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 30.)

  6   M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous avez la parole.

  7   M. Milosevic (interprétation): Nous parlions de ce que vous avez dit, à

  8   savoir que l'on empêchait les Albanais d'immatriculer leurs entreprises

  9   dans la municipalité de Djakovica. Il y avait 8.900 entreprises albanaises

 10   privées qui fonctionnaient, le 24 mars donc?

 11   M. Pruthi (interprétation): Toutes ces entreprises avaient été

 12   immatriculées avant, avant les derniers changements dont j'ai parlé.

 13   Question: Ce n'est pas exact. Mais, par exemple, depuis 1994, 861 stations

 14   d'essence ont été immatriculées au Kosovo et, sur ce total, il n'y en

 15   avait que 20 qui étaient gérées par des Serbes. Comment expliquez-vous

 16   cela?

 17   Réponse: Je ne sais pas.

 18   Question: Très bien. Vous avez dit qu'une loi avait été adoptée qui

 19   concernait la liberté de circulation. Savez-vous que cette loi était

 20   valable sur tout le territoire de la Serbie et de la Voïvodine également?

 21   Réponse: La loi concernant les échanges de biens dans des circonstances

 22   particulières ne faisait pas partie de celle dont nous venons de parler.

 23   Question: Vous avez dit que c'était le ministère des Finances qui devait

 24   donner son agrément pour transfert de propriété?

 25   Réponse: Eh bien, oui.

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  1   Question: L'article 3 de cette loi se lit comme suit -je cite-: "Le

  2   ministère des Finances donnera son agrément pour un transfert de propriété

  3   une fois qu'il aura déterminé qu'un tel transfert n'a aucune incidence sur

  4   la structure nationale de la population et n'entraîne le départ d'aucun

  5   membre d'une nationalité particulière. Egalement lorsqu'il aura vérifié

  6   qu'un tel transfert ne crée pas d'insécurité ou d'inégalité pour les

  7   membres d'une autre nationalité." (Fin de citation.)

  8   Réponse: Cette loi était discriminatoire, car elle ne donnait pas le droit

  9   à un propriétaire d'effectuer le transfert de son bien sans l'agrément

 10   préalable du ministère.

 11   Question: Moi, je suis en train de parler des causes, mais puisque vous

 12   parlez de discrimination, je vous rappellerai ce qui s'est passé dans

 13   votre municipalité.

 14   Un cas par exemple, à Meca: Miodrag Saric a été tué dans un champ sous les

 15   yeux de toute sa famille, en 1980, parce qu'il ne voulait pas vendre son

 16   champ. Vous rappelez-vous ce cas? Vous étiez encore juge à l'époque?

 17   Réponse: Ce n'est pas exact: je n'étais pas juge à l'époque, mais ce n'est

 18   pas vrai, en tout cas.

 19   M. Milosevic (interprétation): Donc il n'est pas vrai que Miodrag Saric a

 20   été tué dans son champ, dans la municipalité de Djakovica en 1980?

 21   M. le Président (interprétation): C'est ce que je viens de dire le témoin:

 22   il a dit que ce n'était pas vrai.

 23   Un instant, je vous prie, Monsieur Pruthi. Vous n'avez pas besoin de

 24   répondre.

 25   Monsieur Milosevic, le témoin a dit que ce n'était pas vrai.

Page 1475

  1   M. Milosevic (interprétation): Connaissez-vous d'autres assassinats qui

  2   ont eu lieu pour contraindre des gens à vendre leur propriété et à quitter

  3   leur propriété?

  4   M. Pruthi (interprétation): Non, je ne connais aucun cas de ce genre.

  5   Question: Très bien. Vous rappelez-vous, par exemple, combien de familles

  6   ont quitté le village de Ratish, qui se trouve tout près de votre village,

  7   en raison des pressions exercées sur elles pour partir? Je veux parler de

  8   passages à tabac, de viols, d'incendies, et ce, dans les années 80. Vous

  9   rappelez-vous combien de familles ont quitté le village de Ratish à cette

 10   période?

 11   Réponse: Non, je ne me rappelle pas.

 12   Question: Savez-vous qu'en rapport avec cette loi du ministère des

 13   Finances, dont vous dites qu'elle est discriminatoire, une commission

 14   parlementaire a été créée qui donnait une possibilité de recours à toute

 15   personne qui souhaitait porter plainte dans un délai de trente jours? Vous

 16   rappelez-vous cela?

 17   Réponse: Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je crois que ces

 18   questions ne sont pas pertinentes. Je n'ai pas été cité à la barre, ici,

 19   pour citer les procédures en vigueur au Parlement ou le fonctionnement de

 20   la loi.

 21   M. le Président (interprétation): Monsieur Pruthi, veuillez nous permettre

 22   de juger nous-mêmes de ce qui est pertinent ou pas. Vous avez parlé, dans

 23   votre déposition, de discrimination, et l'accusé a le droit de vous

 24   interroger à ce sujet.

 25   M. Milosevic (interprétation): Répondant à une question du Procureur…

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  1   M. le Président (interprétation): Un instant, je vous prie.

  2   Monsieur Pruthi, on vous a interrogé au sujet de la création d'une

  3   commission par le Parlement: en avez-vous le moindre souvenir? Si ce n'est

  4   pas le cas, dites simplement que vous ne vous rappelez pas.

  5   M. Pruthi (interprétation): Le ministère de la Justice de Yougoslavie a

  6   effectivement évalué le travail du tribunal et a dit que ce travail avait

  7   été très bon, en application de la loi en vigueur en Yougoslavie à

  8   l'époque.

  9   M. Milosevic (interprétation): Vous n'êtes pas au courant de l'existence

 10   d'une commission qui a été créée pour déterminer les irrégularités du

 11   travail effectué par votre tribunal, raison d'ailleurs pour laquelle ce

 12   tribunal a été fermé?

 13   Réponse: Cette commission n'est jamais venue au tribunal.

 14   Question: Un grand nombre d'irrégularités ont été démontrées à ce moment-

 15   là; en fait, des faux en écriture ont été découverts, qui ont permis des

 16   enregistrements, des immatriculations. Vous rappelez-vous cela?

 17   Réponse: Je ne me rappelle pas que des faux en écriture aient été

 18   découverts. Je me souviens que nous avons appliqué la loi d'Ante Markovic

 19   relative aux entreprises.

 20   Question: Savez-vous que la compétence de ce Tribunal en tant qu'organe

 21   chargé d'effectuer les immatriculations d'entreprise, donc que cette

 22   compétence a été transférée sur le Tribunal de Pristina?

 23   Réponse: Non, cette compétence n'a pas été transférée au Tribunal de

 24   Prizren, c'est le Tribunal de Pristina qui a repris cette compétence.

 25   M. Milosevic (interprétation): Je n'ai pas parlé de Prizren, j'ai parlé de

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  1   Pristina. Je ne sais pas ce que vous avez entendu dans vos écouteurs.

  2   M. le Président (interprétation): Le témoin a répondu à la question.

  3   M. Milosevic (interprétation): Savez-vous que dans d'autres parties du

  4   territoire de la Serbie, dans des villes plus importantes que Djakovica,

  5   comme dans la ville de Vranje par exemple, le Tribunal de Vranje devait

  6   immatriculer les entreprises créées dans la ville de Leskovac par exemple?

  7   Leskovac n'ayant pas non plus son propre Tribunal de commerce.

  8   M. Pruthi (interprétation): Je ne sais rien de tout cela. Je ne vois pas

  9   comment j'aurais pu le savoir.

 10   Question: Répondant à une question du Procureur au sujet du nombre de

 11   requêtes, vous avez dit que le nombre de requêtes déposées par des Serbes

 12   était bien inférieure. Je vous pose donc la question de savoir si les

 13   requêtes présentées par les Serbes étaient rejetées comme l'étaient, selon

 14   vous, les requêtes présentées par les Albanais?

 15   Réponse: Je ne me rappelle pas.

 16   Question: Et y avait-il quoi que ce soit dans cette loi qui ne concernait

 17   que les Albanais?

 18   Réponse: Les Albanais n'étaient pas autorisés à vendre leurs biens sans

 19   disposer au préalable de l'agrément du ministère.

 20   Question: Je vous demande si les Serbes pouvaient le faire sans l'agrément

 21   du ministère?

 22   Réponse: Les Serbes qui vivaient au Kosovo n'avaient pas l'autorisation de

 23   vendre leurs biens sans l'agrément de ce ministère non plus.

 24   Question: Ce qui signifie que les Serbes et les Albanais étaient dans la

 25   même position, dans la même situation, oui ou non?

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  1   Réponse: Non. Parce que les requêtes présentées par les Albanais étaient

  2   mises de côté par le ministère, alors que les requêtes des Serbes qui

  3   vivaient en dehors du Kosovo étaient approuvées immédiatement, sans le

  4   moins problème.

  5   Question: Cela n'est pas exact non plus mais… Je vais poser une autre

  6   question.

  7   Vous avez parlé de la loi régissant l'usage de la langue. Est-ce que vous

  8   savez nous dire si cet usage de la langue avait été réglementé non

  9   seulement par la loi mais par la Constitution de la Serbie également?

 10   Réponse: Oui, je sais que les Albanais étaient privés de leur droit

 11   d'employer la langue albanaise lorsqu'il s'agissait de rédiger des

 12   documents officiels même si, de par la loi, ils disposaient de ce droit.

 13   En fait, ils étaient contraints de présenter les documents aux tribunaux

 14   ou aux représentants…, aux institutions représentant l'autorité et ce en

 15   langue serbo-croate.

 16   C'est pourquoi j'ai dit précédemment qu'un groupe d'avocats de notre

 17   municipalité avait pris position contre cela.

 18   Question: Et saviez-vous que dans la loi de la République de Serbie

 19   régissant l'usage de la langue, on dit que dans les municipalités où les

 20   minorités nationales constituent la majorité de la population, c'est la

 21   langue de la minorité nationale qui se trouve en usage sur pied d'égalité

 22   sur le territoire de cette municipalité, et que cette loi était valable ou

 23   en vigueur pour le territoire de la Serbie toute entière?

 24   Réponse: Je vous ai expliqué précédemment que ce droit était piétiné de la

 25   manière de la plus flagrante possible.

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  1   Question: Moi, je vous ai demandé si vous saviez si la loi l'avait

  2   prescrit de façon stricte telle que je viens de le citer tout à l'heure?

  3   Réponse: Oui. J'ai dit que ce droit existait mais qu'il n'était pas

  4   appliqué dans la réalité.

  5   Question: Savez-vous que ce droit-là était en vigueur pour les Bulgares là

  6   où ils étaient en majorité, les Hongrois où ils étaient en majorité, donc

  7   partout ailleurs où différentes ethnies étaient majoritaires sur le

  8   territoire de la municipalité, et que cela était appliqué partout?

  9   Réponse: Je ne sais pas si cette loi était respectée sur d'autres

 10   territoires, je ne sais pas.

 11   Question: Vous avez dit que l'UCK avait fait son apparition pendant la

 12   guerre? Pourriez-vous me dire, me répondre à la question de savoir qui

 13   est-ce qui a abattu tous ces gens-là avant la guerre, à l'occasion de ces

 14   attaques terroristes?

 15   Réponse: Je ne sais pas. Ça, je ne sais pas.

 16   Question: Et saviez-vous que c'était l'UCK qui l'avait fait?

 17   Réponse: Non. Je ne sais pas cela.

 18   Question: Vous ne le savez pas?

 19   Réponse: Non. Je n'ai pas d'information à ce sujet.

 20   Question: Et saviez-vous qu'à compter du 1er janvier 1998 jusqu'au début

 21   de la guerre, jusqu'à la veille du début de la guerre, il avait été abattu

 22   par les terroristes 196 citoyens du groupe ethnique albanais?

 23   Réponse: Je ne suis pas au courant de ce fait.

 24   Question: Et saviez-vous combien de foyers, dans la municipalité de

 25   Djakovica, en raison du nettoyage ethnique, ont fini par se faire chasser

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  1   de chez eux à l'époque?

  2   Réponse: Quelles familles, s'il vous plaît?

  3   M. Milosevic (interprétation): Des familles serbes. Tenez, je vais vous

  4   donner lecture d'un certain nombre. Peut-être allez-vous vous rappeler de

  5   certaines de ces familles de votre municipalité puisque vous avez été

  6   juge!

  7   Miloje Babovic, Milinko Babovic, Bogosav Babovic, Branko Jekic, Milun

  8   Fatic, Zoran Fatic, Mika Vulic, Damjan Garic, Bogosav Garic, Bozo

  9   Maslovaric, Rade Lakicevic, Jelisa Jukic, Milic Stijovic, Slobodan

 10   Vuksanovic, Ranko Vukadinovic, Petrusa Vuksanovic, Dragutin Tentic, Mustro

 11   Stojanovic, Predrag Micunovic, Aleksandar Stojanovic, Spasoje Petkovic,

 12   Dragan Petkovic, Fron Bjegovic, Voja Abramovic, Vojin Petkovic, Miladin…

 13   M. le Président (interprétation): Un instant, s'il vous plaît. Il convient

 14   de laisser au témoin le temps de répondre.

 15   Monsieur le Témoin, reconnaissez-vous certains de ces noms? Pouvez-vous

 16   nous donner des informations au sujet de certains d'entre eux?

 17   M. Pruthi (interprétation): Je ne connais pas ces noms. Mais je n'ai gardé

 18   aucune trace, aucune information précise relative à leur départ de la

 19   ville.

 20   M. Milosevic (interprétation): Mais vous avez vécu dans cette ville, il

 21   est probable que vous connaissiez certaines de ces personnes, et vous

 22   devriez savoir que ces personnes-là ont fini par être chassées de chez

 23   elles. Etes-vous en train de nous dire que vous n'êtes au courant d'aucun

 24   de ces cas?

 25   M. Pruthi (interprétation): Je ne me souviens pas du départ de ces gens

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  1   parce qu'ils y auraient été contraints.

  2   Question: Je vais peut-être vous rappeler certains autres noms que vous

  3   auriez connus et dont je n'aurais pas donné lecture.

  4   Est-ce que ces noms vous disent quelque chose? Je cite des noms de

  5   famille, je lis les noms des maîtres de maison.

  6   Radovanovic Milorad, Radovanovic Vukadin, Delic Petar, Delic Nikola, Delic

  7   Anica, Sarenac Bozidar, Jevtovic Dusan, Sarenac Rosa, Bibercic Draga,

  8   Bibercic Marija, Cerovic Vera, Kovacevic Bozica, Grubisic Nedelka, Krstic

  9   Marko, Aranzerovic Zoran, Babovic Slobodan, Babovic Vukosava, Vulic Savka,

 10   Sockic Misko, Vulovic Radun, Vulovic Vujica, Mitic Slavko, Hadzic Boris,

 11   Lakic Bosko, Djakovic Blagoje, Simonovic Drago, Zindovic Rajko, Pantic

 12   Ljubisa, Radojicic Nikola, Pantic Dragoljub, Pantic Dragomir, Pantic

 13   Momcilo, Tun Kasnjeti…

 14   M. le Président (interprétation): Un instant, s'il vous plaît.

 15   Même question, est-ce que vous connaissez certains de ces noms?

 16   M. Pruthi (interprétation): J'ai déjà dit que je n'ai gardé aucun élément

 17   relatif à ces faits, donc je ne connais pas ces noms.

 18   M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, les Juges estiment

 19   qu'il ne sert à rien de continuer à donner lecture de ces noms. Vous

 20   pourrez les verser au dossier en temps utile, mais il est inutile de poser

 21   des questions à ce témoin au sujet de ces noms.

 22   M. Milosevic (interprétation): J'ai une liste de 80 familles qui ont été

 23   chassées de chez elles. Le président du tribunal de l'époque et avocat de

 24   nos jours n'est au courant d'aucun de ces cas; et ils sont tous

 25   originaires de la municipalité de Djakovica. Je vais passer à la question

Page 1482

  1   suivante.

  2   Etant donné que vous avez parlé de la situation qui prévalait dans la

  3   municipalité, lorsque vous répondiez aux questions posées par le

  4   Procureur, s'agissant des tensions qui étaient survenues dans la

  5   municipalité, en expliquant ce faisant que les tensions étaient dues

  6   depuis 1998 aux agissements de la police serbe, je voudrais vous demander

  7   si vous étiez au courant des meurtres commis sur le territoire de la

  8   municipalité de Djakovica depuis le début 1998 jusqu'au début de la

  9   guerre, à savoir le 24 mars 1999?

 10   Par exemple, pour ce qui est des policiers qui ont été tués en août 1998,

 11   à savoir Zeljko Bozic, policier de son état, le 10 août, Zoran Jovanovic,

 12   toujours août 1998. Est-ce que vous êtes au courant de l'un quelconque

 13   d'entre eux?

 14   M. Pruthi (interprétation): Non, je ne suis pas au courant.

 15   Question: Etes-vous au courant du meurtre de Saca Jovanovic, policier, en

 16   date du 14 juin 1998?

 17   Réponse: Non. Je suis simplement au courant du fait que certains citoyens

 18   de Djakovë ont été tués et ont été retrouvés au matin à la périphérie de

 19   la ville.

 20   Question: Etes-vous au courant du meurtre d'un policier en date du 29

 21   janvier 1999, il s'appelait Predrag Rakovic?

 22   Réponse: Non.

 23   Question: Etes-vous au courant du meurtre du policier Nebojsa Savic, le 5

 24   août 1998?

 25   Réponse: Non.

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  1   Question: Etes-vous au courant du meurtre de Zoran Slavkovic, policier

  2   également, en date du 8 mars 1999?

  3   Réponse: Non.

  4   Question: Et Slavoljub Stanislavjevic également le même jour du mois de

  5   mars en 1999, policier aussi?

  6   Réponse: Non.

  7   Question: Bien. Et êtes-vous au courant du meurtre des Albanais, des

  8   civils albanais, sur le territoire de Djakovica depuis le début de 1998

  9   jusqu'au 24 mars 1999? Bakaj Binak tué le 4 mai 1998, est-ce que vous le

 10   connaissiez?

 11   Réponse: Non, jamais entendu parler de lui.

 12   Question: Est-ce que vous êtes au courant du meurtre de Nica Nexhat le 19

 13   mai 1998?

 14   Réponse: Non.

 15   Question: Est-ce que vous êtes au courant pour Abaz Hoti de son meurtre en

 16   date du 18 juillet 1998?

 17   Réponse: Non.

 18   Question: Etes-vous au courant du meurtre de Kranici Peko le 6 août 1998?

 19   Réponse: Non.

 20   Question: Et Kranici Prenda? Les deux étant tués le même jour. Et Mehturi

 21   Mire? Et Mehturi Pren? Les quatre tués le même jour.

 22   Réponse: Non.

 23   Question: Etes-vous au courant du meurtre de Dreni Zepa en date du 29

 24   octobre 1998?

 25   Réponse: Non.

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  1   Question: Tout cela s'est passé à Djakovica.

  2   Et Kelmendi Hadzi le 24 janvier 1999?

  3   Réponse: Non.

  4   M. Milosevic (interprétation): Je parle du 24 janvier 1999 quand on a tué

  5   Kelmendi Besim, Kelmendi Saban, Cuhti Salija et Cuhti Isen. Vous ne

  6   connaissez pas un meurtre de cette ampleur?

  7   M. le Président (interprétation): Il dit qu'il ne s'en souvient pas.

  8   Monsieur Milosevic, je ne pense pas qu'il soit vraiment utile de donner de

  9   nouveaux noms au témoin qui ne s'en souvient pas.

 10   Vous pouvez répondre à cela, Monsieur le Témoin: est-ce que vous avez des

 11   informations supplémentaires au sujet des personnes dont vous nous dites

 12   qu'elles ont été tuées et dont on a retrouvé les corps à la périphérie de

 13   la ville?

 14   M. Pruthi (interprétation): Non.

 15   M. Milosevic (interprétation): Messieurs, je suis en train de poser des

 16   questions concernant des meurtres d'Albanais sur le territoire de la

 17   municipalité de Djakovica qui n'est pas une si grande ville, et meurtres

 18   au sujet desquels tout habitant de cette municipalité devait être au

 19   courant. Il n'y a pas eu qu'un seul meurtre, il y a un très grand nombre

 20   de meurtres dont il a été fait état ici.

 21   M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, nous vous avons

 22   entendu, il est inutile de répéter votre argument.

 23   M. Milosevic (interprétation): Je ne vais pas citer davantage de noms,

 24   parce qu'il apparaît avec évidence que le témoin n'est au courant d'aucun

 25   meurtre qui avait été perpétré par l'UCK avant le début de la guerre.

Page 1485

  1   Mais étant donné que ces meurtres avaient été si nombreux, la question qui

  2   se pose est celle de savoir qui vous posait des problèmes: ces meurtriers,

  3   ces terroristes ou alors les policiers qui étaient là pour protéger les

  4   citoyens contre les terroristes en question?

  5   M. le Président (interprétation): Monsieur Pruthi, désirez-vous faire un

  6   commentaire au sujet de cette affirmation?

  7   M. Pruthi (interprétation): Merci de répéter la question.

  8   M. le Président (interprétation): Qui était responsable des meurtres avant

  9   la guerre, à votre connaissance? Si vous pouvez nous le dire, dites-le-

 10   nous; si vous n'êtes pas en position, dites-le simplement.

 11   M. Pruthi (interprétation): Je ne sais pas.

 12   M. Robinson (interprétation): Monsieur Milosevic, pourriez-vous être un

 13   peu plus précis dans vos questions et surtout dans la question que vous

 14   venez de poser? Vous avez dit: "Qui posait les problèmes? Les tueurs

 15   terroristes ou les policiers qui protégeaient les citoyens de ces

 16   terroristes?". Peut-être pourriez-vous préciser ce que vous entendez par

 17   "problèmes".

 18   M. Milosevic (interprétation): Je me suis servi du terme qui avait été

 19   utilisé par le témoin lui-même, disant que les policiers causaient des

 20   problèmes. Et étant donné que j'ai donné lecture d'une liste interminable

 21   de meurtres perpétrés par les terroristes de l'UCK, notamment sur le

 22   territoire de la municipalité de Djakovica, avant le début de la guerre,

 23   j'avais voulu entendre de la bouche du témoin quelle était l'appréciation

 24   qu'il faisait pour ce qui est de l'auteur de ces problèmes: la police ou

 25   les terroristes qui avaient tué autant de gens et de civils, notamment,

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  1   parmi lesquels un grand nombre d'Albanais? Je tiens à vous rappeler

  2   également que 196 Albanais ont été tués par l'UCK.

  3   M. Robinson (interprétation): Je pense que vous vous êtes suffisamment

  4   expliqué, Monsieur Milosevic. C'est plus clair.

  5   M. Milosevic (interprétation): Je vous remercie également. Je tiens à

  6   attirer votre attention sur le fait qu'il y a une inversion: c'est le mot-

  7   clé, c'est le fil rouge qui traverse toute l'affaire.

  8   M. le Président (interprétation): Veuillez, je vous prie, passer à la

  9   question suivante.

 10   M. Milosevic (interprétation): Vous avez dit que vous vous trouviez à

 11   Djakovica au moment où les bombardements ont commencé et que, partant de

 12   la colline, la police avait tiré, ouvert le feu en direction des avions.

 13   Est-ce que vous vous souvenez si l'une quelconque des parties de la ville

 14   avait été touchée, cette nuit-là?

 15   M. Pruthi (interprétation): J'ai vu les tirs des armes antiaériennes

 16   depuis la colline de Çabrati. Je les ai vus tirer sur les avions de l'OTAN

 17   avec des obus de divers calibres.

 18   Question: Et vous souvenez-vous du fait que, cette nuit-là, on avait

 19   touché la caserne et qu'autour de la caserne, il y avait beaucoup de

 20   maisons albanaises, avec une très forte densité de population et plusieurs

 21   projectiles, ayant loupé la caserne, avaient atterri sur ces maisons. Est-

 22   ce que vous vous souvenez de cela?

 23   Réponse: Les dépôts et la caserne se trouvent le long de la rivière. Il ne

 24   s'agit pas là d'une zone habitée.

 25   Question: Donc vous êtes en train d'affirmer qu'à côté des cibles visées

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  1   par les avions de l'OTAN, il n'y avait pas de maisons habitées par des

  2   citoyens?

  3   Réponse: Cela se trouve dans la partie légèrement en hauteur. Il n'y avait

  4   pas de maisons dans la zone située autour de l'entrepôt et autour des

  5   casernes.

  6   Question: Bien. Je vais être plus précis dans mes questions: est-ce que

  7   les avions de l'OTAN ont touché certaines maisons dans Djakovica?

  8   Réponse: Non. Aucun avion de l'OTAN n'a touché de maison. Et je le dis en

  9   assumant pleinement la responsabilité.

 10   Question: Je pense avoir montré ici certaines photographies

 11   d'installations qui avaient été touchées à Djakovica et ces bâtiments-là

 12   n'avaient été ni des casernes ni des constructions ou entrepôts de quelque

 13   genre que ce soit. Vous êtes en train de nous dire qu'après ces

 14   bombardements, la police était sortie dans les rues de la ville pour

 15   mettre le feu aux maisons et non pas pour éteindre les incendies: c'est

 16   bien ce que vous affirmez?

 17   Réponse: Il est ridicule d'employer le terme d'extinction des feux,

 18   éteindre le feu, parce qu'en fait, ils sont sortis pour mettre le feu et

 19   un nombre considérable de témoins l'a vu de leurs propres yeux, a vu ces

 20   gens mettre le feu au quartier du vieux-marché et puis tuer également des

 21   personnes.

 22   M. Milosevic (interprétation): Il est vrai que, suite au bombardement, il

 23   y a eu incendie d'un certain nombre de maisons. Mais savez-vous que la

 24   plupart des citoyens dans ces maisons...

 25   M. le Président (interprétation): Un instant. Le témoin nous a dit

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  1   qu'aucune n'avait été touchée par les bombardements. Avancez-vous,

  2   Monsieur Milosevic, qu'en réalité, le bombardement a provoqué l'incendie

  3   de certaines maisons? Si cela est votre question, il faut demander au

  4   témoin si cela est vrai ou pas, s'il est d'accord.

  5   M. Milosevic (interprétation): C'est précisément ce que j'affirme. Et je

  6   voudrais ajouter également...

  7   M. le Président (interprétation): Fort bien. Nous allons demander au

  8   témoin ce dont il se souvient.

  9   Est-ce qu'il y a des maisons qui ont été incendiées du fait du

 10   bombardement?

 11   M. Pruthi (interprétation): Le bombardement n'a entraîné l'incendie

 12   d'aucune maison, d'aucune maison dans la ville de Gjakovë.

 13   M. Milosevic (interprétation): Comment le savez-vous?

 14   Réponse: Tout le monde le sait, tous les citoyens de Gjakovë le savent;

 15   c'est un fait bien connu. Il n'y a pas une seule bombe d'un seul avion de

 16   l'OTAN qui soit tombée sur le toit d'une seule maison de Gjakovë.

 17   M. Milosevic (interprétation): Bien. Je vais vous donner le chiffre, le

 18   nombre de bombes qui sont tombées sur Djakovica par la suite.

 19   M. le Président (interprétation): Il est inutile de poursuivre dans ce

 20   sens avec le témoin puisqu'il dit que ce n'est pas le cas. Si vous avez

 21   des éléments de preuve qui vont dans un sens contraire, vous pourrez les

 22   verser et les présenter en temps utile, Monsieur Milosevic.

 23   M. Milosevic (interprétation): Vous avez vu certains de ces éléments de

 24   preuve ici, mais je vais poursuivre. Je tiens à déterminer autre chose.

 25   Pour ce qui est de tout ce que le témoin, ici présent, a affirmé ici, il

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  1   s'est servi de termes disant "j'ai ouï dire", "j'ai appris que la police

  2   avait mis le feu", "j'ai ouï dire que la police avait tué". Et ainsi de

  3   suite.

  4   M. Pruthi (interprétation): De mes yeux, j'ai vu deux policiers mettre le

  5   feu à une maison. Il s'agissait de la maison des voisins de ma sœur. Je

  6   l'ai vu de mes yeux.

  7   M. Milosevic (interprétation): Est-ce que cette nuit, lors du bombardement

  8   de l'OTAN, il y avait eu des combats dans la ville entre l'UCK, et la

  9   police et l'armée de l'autre côté?

 10   Réponse: Je n'ai pas vu cela. Je ne suis pas au courant de ce fait.

 11   Question: Vous avez dit que la police avait ouvert le feu, là-bas, lorsque

 12   vous étiez rassemblés, 500 d'entre vous. Vers qui la police avait-elle

 13   tiré si elle n'avait pas tiré dans votre direction, vers vous? Est-ce

 14   qu'il n'y avait que la police qui avait ouvert le feu? Ou est-ce que

 15   quelqu'un d'autre avait, en sus de la police, ouvert le feu également?

 16   Réponse: Les gens ont vu, de leurs yeux, les policiers tirer sur les

 17   civils albanais. Il y a eu vingt morts, vingt personnes qui ont été

 18   brûlées dans la cave d'une maison. Et il y en a eu des dizaines d'autres

 19   tuées dans le même quartier. Ceci a été raconté, rapporté par les

 20   résidents de la ville le lendemain matin.

 21   Question: Mais est-ce que l'on fuit vers les caves quand on est bombardé

 22   ou quand il y a un autre péril qui vous menace?

 23   Réponse: A cause de la crainte que nous éprouvions vis-à-vis de la police,

 24   parce qu'on se sentait plus en sécurité au sous-sol.

 25   Question: Et vous, les 500 qui vous étiez rassemblés devant votre maison,

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  1   vous vous étiez rassemblés là et vous n'avez pas fui vers les caves de

  2   chez vous, n'est-ce pas?

  3   Réponse: Quand j'ai parlé de 500 personnes, je parlais du moment où nous

  4   nous sommes rassemblés pour partir en Albanie, quand nous avons été

  5   chassés de nos maisons par la police serbe. C'est à ce moment-là que j'ai

  6   donné le chiffre de 500.

  7   Question: Vous n'aviez pas dit que l'on vous avait chassés. Vous n'avez

  8   même pas mentionné le fait que quelqu'un soit venu chez vous frapper à la

  9   porte de votre maison?

 10   Réponse: Je crois que les atrocités serbes, le meurtre de mon cousin, que

 11   j'ai vu de mes propres yeux, ou du moins j'ai vu l'état de sa dépouille

 12   derrière chez lui, de même que toutes les atrocités que les gens ne

 13   cessaient de rapporter, tout cela explique pourquoi nous sommes partis.

 14   Question: Moi, j'ai des renseignements que votre cousin, que vous avez

 15   mentionné justement, est tombé dans les combats entre la police et l'UCK.

 16   Est-ce là la vérité ou pas?

 17   Réponse: C'est ridicule, complètement ridicule. C'est complètement faux.

 18   Sa fille a vu son père se faire tuer, elle l'a vu de ses propres yeux. Il

 19   a été abattu sous ses yeux de la manière la plus atroce qui soit.

 20   M. Milosevic (interprétation): Mais savez-vous qui est-ce qui tuait les

 21   gens de façon bestiale, ou de la façon la plus bestiale possible, au

 22   Kosovo e Metohija? Qui est-ce qui le faisait au Kosovo e Metohija?

 23   M. le Président (interprétation): Voilà une question extrêmement générale.

 24   Peut-être pourriez-vous être plus précis?

 25   M. Milosevic (interprétation): Bien. Pouvons-nous, par conséquent,

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  1   constater que toutes les victimes qui restaient sur le sol, entre les

  2   attaques de l'OTAN et les combats entre la police et l'armée contre l'UCK,

  3   étaient attribuées systématiquement à la police et à l'armée?

  4   M. Pruthi (interprétation): Oui. Et j'appuie cela sur les faits donnés par

  5   les témoins oculaires de ces crimes et de ces atrocités.

  6   M. Milosevic (interprétation): Vous avez dit tout à l'heure, en répondant

  7   à une question de l'autre partie, vous aviez dit que vous n'aviez pas vu

  8   qui est-ce qui tirait mais que c'était certainement la police serbe.

  9   Comment saviez-vous qui avait ouvert le feu?

 10   M. Pruthi (interprétation): Les policiers étaient devant la porte de ma

 11   maison. Je ne comprends pas bien.

 12   M. le Président (interprétation): Monsieur le Témoin, veuillez, s'il vous

 13   plaît, essayer de répondre à la question suivante: avez-vous vu les

 14   policiers tirer?

 15   M. Pruthi (interprétation): Quand? A quel moment?

 16   M. le Président (interprétation): Entre le début des bombardements de

 17   l'OTAN et le moment où vous avez quitté Djakovica, est-ce que vous avez vu

 18   les policiers procéder à des tirs, tirer?

 19   M. Pruthi (interprétation): Je n'ai pas vu les policiers tirer, de mes

 20   yeux, mais d'autres les ont vus, d'autres qui ont vécu ces moments et qui

 21   me les ont ensuite relatés.

 22   M. Milosevic (interprétation): Et avez-vous une idée quelconque du fait de

 23   savoir qui est-ce qui a tué à Djakovica pendant la guerre? Et j'ai ici une

 24   liste de onze policiers. Je vous ai donné lecture des noms de ceux qui ont

 25   été tués avant la guerre. Mais savez-vous qui a tué à Djakovica onze

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  1   policiers pendant la guerre? A savoir depuis le 24...

  2   M. Pruthi (interprétation): Je n'ai aucune connaissance de cela. Je n'ai

  3   pas connaissance de ce fait.

  4   Question: Et savez-vous que j'ai ici une liste de 61 membres de l'armée

  5   qui ont été tués sur le territoire de la municipalité de Djakovica, de la

  6   période allant du 24 mars jusqu'à la fin de la guerre? 61 soldats.

  7   Réponse: Je ne sais pas comment ils ont été tués. Je ne sais rien de tout

  8   cela.

  9   Question: Vous nous avez dit que vous aviez vu des brigades de sapeurs-

 10   pompiers, mais que ces sapeurs-pompiers allaient tous éteindre l'incendie

 11   qui avait pris dans une maison serbe?

 12   Réponse: Je ne sais pas où allait le camion des sapeurs-pompiers, dans

 13   quel objectif. Mais je sais que, le lendemain, les gens qui sont venus de

 14   ce quartier, de cet endroit nous ont dit que le camion de pompiers était

 15   là pour protéger les maisons serbes au cas où le feu qui ravageait les

 16   maisons albanaises se soit communiqué aux maisons serbes. Cela, ce sont

 17   plusieurs témoins qui me l'ont dit, des gens qui ont vu cela de leurs

 18   propres yeux.

 19   Question: Vous affirmez que, s'agissant des citoyens à Djakovica, personne

 20   ne leur avait fourni de l'assistance ou ne leur avait proposé de l'aide et

 21   que la police, au contraire, ne faisait que regarder, qu'observer. C'est

 22   ce que vous avez dit, n'est-ce pas?

 23   Réponse: Oui, c'est exact. Ils n'ont offert aucune assistance à la

 24   population albanaise, au contraire. Ils se sont contentés de les escorter

 25   et de leur infliger les mauvais traitements les plus brutaux qui soient

Page 1493

  1   sur le chemin vers la frontière.

  2   Question: Tout à l'heure, vous n'aviez pas parlé de traitements brutaux,

  3   de mauvais traitements et de brutalités. Comment vous a-t-on fait subir

  4   des brutalités et des mauvais traitements?

  5   Réponse: Je crois que j'ai été assez clair lorsque j'ai expliqué ce point.

  6   Question: Vous avez expliqué que vous aviez voyagé vers la frontière, mais

  7   vous n'avez pas parlé de mauvais traitements que vous auriez subis, chemin

  8   faisant.

  9   Réponse: Ne pensez-vous pas que l'on puisse parler de mauvais traitements

 10   lorsque la police serbe, quand nous sommes arrivés au premier barrage sur

 11   la route, a, de la manière la plus brutale qui soit, maltraité les

 12   citoyens, ceux qui étaient dans leurs voitures, leur demandant de donner

 13   leurs papiers d'identité? On les a ridiculisés, on leur a montré l'endroit

 14   où ils allaient se rendre et d'où on leur a dit qu'ils ne reviendraient

 15   plus jamais au Kosovo.

 16   M. Milosevic (interprétation): Par conséquent, les mauvais traitements,

 17   c'était le fait de demander des papiers aux Albanais?

 18   M. le Président (interprétation): Il vient justement de le dire.

 19   M. Milosevic (interprétation): Fort bien.

 20   Vous nous avez dit qu'il y avait eu des tensions à Djakovica, dues à la

 21   présence de la police. Je vous ai donné quant à moi lecture des noms des

 22   policiers tués, dont vous ne vous souvenez pas. Vous ne vous souvenez pas

 23   des noms de policiers serbes ni des civils albanais non plus. Mais vous

 24   connaissez la rue Imer Grezda, à Djakovica. Au n°134-A de cette maison,

 25   deux jours avant le bombardement, l'UCK avait lancé une attaque vers une

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  1   voiture de police qui patrouillait. Vous souvenez-vous de cela?

  2   M. Pruthi (interprétation): Je n'ai aucune connaissance de ce fait.

  3   Question: Savez-vous nous dire si c'étaient des membres de l'UCK venus de

  4   l'Albanie ou des gens de la municipalité?

  5   Réponse: Je n'en sais rien.

  6   Question: Vous avez dit qu'avant le début de la guerre, il y avait

  7   beaucoup de tension et que la vie ne s'écoulait pas de façon normale. Je

  8   vais vous poser maintenant une question concrète relative aux activités

  9   des entreprises à Djakovica, qui ont continué à fonctionner jusqu'au début

 10   de la guerre même. Comme vous étiez président du Tribunal de commerce,

 11   j'imagine que vous devez en savoir assez longe a ce sujet.

 12   L'entreprise Emin Duraku, un combinat de traitement de coton; 6.000

 13   employés, 120 Serbes seulement, un directeur albanais. 6.800 employés au

 14   total dont 120 Serbes parmi eux et le directeur était un Albanais, n'est-

 15   ce pas?

 16   Réponse: Oui, c'est exact. Il y avait une usine qui portait ce nom à

 17   Gjakovë.

 18   Question: Et l'entreprise "Metaliku": 800 employés et 10 Serbes seulement

 19   parmi eux, le directeur étant Albanais?

 20   Réponse: Toutes les entreprises que vous mentionnez ainsi que d'autres, eh

 21   bien, après, une fois que l'on a retiré au Kosovo son autonomie, toutes

 22   ces entreprises ont été détruites.

 23   Question: Je suis en train de parler d'entreprises qui avaient continué à

 24   fonctionner jusqu'au tout début de la guerre.

 25   Réponse: Je ne comprends pas bien ce que vous entendez par là. Je ne

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  1   comprends pas bien votre question.

  2   Question: J'entends que ces entreprises à Djakovica avaient fonctionné,

  3   avaient tourné et même après la suppression de ce Tribunal de commerce et

  4   le transfert de ces attributions vers le Tribunal équivalent à Pristina?

  5   Réponse: Vous mélangez les choses. En ce qui concerne l'époque que vous

  6   mentionnez, aucune de ces entreprises ne fonctionnait. Les entreprises

  7   dont vous avez donné le nom ne fonctionnaient pas; leur situation

  8   économique était déplorable. Et le Tribunal de commerce, en 1991, ne se

  9   trouvait pas à Gjakovë: il a été transféré. Je l'ai déjà dit précédemment.

 10   M. Milosevic (interprétation): Je ne vous posais pas de question pour ce

 11   qui est du tribunal; je vous posais une question au sujet des entreprises

 12   à Djakovica. Vous êtes juriste, vous viviez à Djakovica. Vous étiez au

 13   courant de ces entreprises?

 14   M. le Président (interprétation): Le témoin a dit que ces entreprises ne

 15   fonctionnaient pas. Pouvons-nous passer à autre chose, s'il vous plaît?

 16   M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous êtes au courant de l'usine

 17   de moteurs électriques qui employait 1.200 employés, dont 10 Serbes, et

 18   dont le directeur était également un Albanais?

 19   M. Pruthi (interprétation): Je sais que cette entreprise, cette entreprise

 20   de moteurs électriques existait et que son directeur était albanais. Il

 21   s'agissait d'une entreprise à capital mixte, avec des capitaux provenant

 22   notamment de Slovénie.

 23   Question: Etes-vous au courant d'une usine d'éléments en préfabriqué en

 24   bois, qui employait 400 employés, quelques Serbes seulement parmi eux, que

 25   l'on pouvait compter sur les doigts d'une seule main? Et le directeur, là

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  1   aussi, était albanais?

  2   Réponse: A l'époque dont vous parlez, cette entreprise, elle non plus,

  3   n'était pas en état de fonctionnement puisqu'elle a été détruite.

  4   Question: Détruite dans quels sens?

  5   Réponse: Au sens de sa rentabilité économique. Le parlement serbe avait

  6   mis en place des mesures brutales s'agissant de l'économie. Toutes les

  7   installations économiques ont été soumises à des mesures brutales et

  8   violentes qui ont eu un impact sur leur rentabilité, si bien que

  9   l'entreprise dont vous parlez a été détruite ou plutôt ruinée.

 10   M. Milosevic (interprétation): L'abattoir Agimi continuait-il à

 11   fonctionner avec ses 120 employés, dont le directeur était également un

 12   Albanais et 10 employés seulement étaient Serbes.

 13   M. le Président (interprétation): Essayons d'éviter d'avoir à passer en

 14   revue une très longue liste.

 15   Pour ce faire, Monsieur le Témoin, veuillez, s'il vous plaît, essayer de

 16   répondre à la chose suivante. Dans la période dont nous parlons, celle qui

 17   a précédé les bombardements de l'OTAN, est-ce qu'il y avait des

 18   entreprises à Djakovica qui fonctionnaient normalement ou pas?

 19   M. Pruthi (interprétation): Aucune des entreprises qui étaient dans la

 20   municipalité de Djakovica n'était opérationnelle à la veille de la guerre

 21   parce qu'elles étaient ruinées.

 22   M. Milosevic (interprétation): Bien. Dites-nous, Dukadjin, avec 1.200

 23   employés, avait-elle continué à fonctionner?

 24   M. le Président (interprétation): Le témoin a répondu à la question

 25   maintenant, donc il faut passer à un autre sujet. Il nous a dit qu'aucune

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  1   de ces entreprises ne fonctionnaient.

  2   M. Milosevic (interprétation): Combien y avait-il d'employés albanais à

  3   l'assemblée municipale de Djakovica? Est-ce que cette assemblée municipale

  4   avait continué à fonctionner?

  5   M. Pruthi (interprétation): L'assemblée avait un personnel technique qui

  6   était peu nombreux et d'un niveau modeste, un niveau subalterne.

  7   Question: Est-il exact de dire qu'à l'assemblée municipale, dans cette

  8   administration municipale, à Djakovica, il y avait 320 Albanais et 210

  9   Serbes?

 10   Réponse: Je n'ai pas connaissance de ce fait.

 11   Question: Et le centre médical "Isa Grezda" avait-il continué à

 12   fonctionner à Djakovica?

 13   Réponse: Oui, il fonctionnait mais dans des conditions très difficiles.

 14   Question: Et saviez-vous que dans ce centre médical "Isa Grezda" il y

 15   avait 770 employés dont 740 Albanais?

 16   Réponse: Je n'ai pas connaissance du nombre exact des effectifs du centre

 17   médical.

 18   Question: Et saviez-vous que la centrale de chauffage municipal avait

 19   continué à fonctionner? Là-bas il n'y avait aucun Serbe, il n'y avait que

 20   des Albanais qui y travaillaient?

 21   Réponse: Cela, je ne sais pas.

 22   M. Milosevic (interprétation): Vous ne le savez pas non plus.

 23   S'agissant maintenant de la maison commerciale, de l'entreprise

 24   commerciale Agimi qui a des magasins...

 25   M. le Président (interprétation): Nous avons déjà parlé de cela et je

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  1   pense que nous avons passé suffisamment de temps à ce sujet. Monsieur

  2   Milosevic, avez-vous autre chose à demander à ce sujet?

  3   M. Milosevic (interprétation): Bien sûr.

  4   M. le Président (interprétation): Nous souhaiterions que vous en terminiez

  5   aussi rapidement que possible, mais assez vite.

  6   M. Milosevic (interprétation): Je ne peux pas terminer rapidement parce

  7   qu'il y a tant de contre-vérités qui ont été prononcées ici qu'il faut que

  8   je m'emploie à les réfuter.

  9   M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, il s'agit là d'un

 10   commentaire de votre part. Il y a maintenant une heure et quart que vous

 11   contre-interrogez le témoin. Il conviendrait vraiment que vous en arriviez

 12   au terme du contre-interrogatoire.

 13   Le témoin a traité de ces sujets. Vous, vous avez une vision différente

 14   des choses et vous pourrez nous les présenter, vous pourrez nous présenter

 15   les éléments à l'appui de votre thèse ultérieurement, mais il est inutile

 16   de continuer à argumenter avec le témoin lorsqu'il vous répond qu'il ne

 17   sait pas.

 18   M. Milosevic (interprétation): Est-ce que tous les magasins étaient fermés

 19   ou tous les magasins étaient ouverts à Djakovica avant le début de la

 20   guerre?

 21   M. Pruthi (interprétation): La plupart des commerces étaient fermés à

 22   Gjakovë parce que les gens n'osaient pas sortir de chez eux, c'était trop

 23   dangereux. Il n'y avait qu'un tout petit nombre de magasins qui osaient

 24   ouvrir, qui ouvraient donc, et où c'étaient des Serbes qui étaient

 25   employés.

Page 1499

  1   Question: Moi, je parle de votre assertion au terme de laquelle les

  2   Albanais étaient discriminés. Je viens de citer toute une série

  3   d'entreprises où 99 ou 95% des employés étaient albanais et où le

  4   directeur était aussi albanais. Vous affirmez que tout cela n'est pas

  5   vrai?

  6   Réponse: La vérité, c'est que la majorité des magasins albanais

  7   n'ouvraient pas. Mais il y avait certains magasins en libre-service qui

  8   étaient ouverts et où travaillaient des Serbes.

  9   Question: Savez-vous nous dire que, par exemple, la banque "l'Investbanka"

 10   à Djakovica, où tous les employés étaient albanais et le directeur était

 11   aussi albanais, avait continué à fonctionner ou pas?

 12   Réponse: Je ne m'en souviens pas. Je ne sais pas. Je n'ai pas connaissance

 13   de ce fait.

 14   Question: Vous n'avez pas connaissance de ce fait! Mais avez-vous

 15   connaissance du fait que sur le territoire de la municipalité de

 16   Djakovica, dans la police locale, il y avait 68 Albanais qui y

 17   travaillaient dans cette police au tout début de la guerre?

 18   Réponse: Non.

 19   Question: Bien. Votre frère avait été directeur du système

 20   d'approvisionnement en eau potable, n'est-ce pas?

 21   Réponse: Mon frère n'était pas le directeur de cette entreprise.

 22   L'accusé mélange les choses.

 23   Question: Votre frère n'avait pas travaillé dans l'entreprise

 24   d'approvisionnement en eau?

 25   Réponse: Mon frère n'a jamais travaillé à la société d'approvisionnement

Page 1500

  1   en eau de Gjakovë. J'ai un frère qui était négociant.

  2   Question: Bien. La région que vous avez mentionnée au côté de la frontière

  3   albanaise, et cela vous l'avez fait au tout début de votre exposé, cette

  4   région s'appelle Zla Reka?

  5   Réponse: Je n'ai jamais entendu ce nom.

  6   Question: Vous l'appelez "Reka e Keqe", vous l'avez mentionné en langue

  7   albanaise pour désigner la région qui va de Djakovica vers la frontière

  8   albanaise. Et je suis en train de parler de cette région-là.

  9   Réponse: Oui. Oui.

 10   Question: Savez-vous que cette région limitrophe avec la frontière

 11   albanaise était devenue un centre de recrutement, de formation et

 12   d'entraînement des membres de l'UCK? C'est là qu'ils prêtaient serment,

 13   notamment?

 14   Réponse: Je ne sais rien de cela.

 15   Question: Et savez-vous que l'organisateur avait été Naim Maljoku, un ex-

 16   officier de la JNA, qui était arrivé de Zagreb en 1998?

 17   Réponse: Je ne sais pas, je ne le connais pas.

 18   Question: Et savez-vous que cette région-là, en grande partie, était

 19   habitée par des Albanais qui ont émigré là après la Deuxième Guerre

 20   mondiale, donc après 1945 notamment, et surtout après 1948?

 21   Réponse: Non.

 22   M. Milosevic (interprétation): Non! Et saviez-vous que c'est à partir de

 23   cette région-là qu'ont été initiées toutes les grandes attaques lancées

 24   contre la région de Djakovica et ses environs?

 25   M. Pruthi (interprétation): Est-ce que l'on pourrait me retraduire cette

Page 1501

  1   question, s'il vous plaît? Quel type d'attaques?

  2   M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, nous sommes en train

  3   de perdre du temps ici. Le témoin nous dit qu'il ne sait rien de la chose,

  4   il ne sait rien de l'UCK.

  5   La manière de procéder ici, plutôt que de se lancer dans une dispute avec

  6   lui, la meilleure façon c'est de nous présenter en temps utile les

  7   éléments de preuve dont vous nous dites disposer. Il faut véritablement

  8   que nous avancions dans ce procès et, ceci étant, il faut que vous en

  9   terminiez avec votre contre-interrogatoire. Vous avez présenté tout à fait

 10   clairement votre thèse au témoin: il faut que vous en terminiez dans les

 11   cinq minutes qui viennent et nous passerons ensuite au témoin suivant.

 12   M. Milosevic (interprétation): Vous pouvez me priver du droit de le

 13   contre-interroger aussi. Mais il est juge, avocat, originaire de

 14   Djakovica.

 15   (Hors micro.)

 16   M. le Président (interprétation): Tout ceci, c'est une question

 17   d'arguments à présenter et il n'est pas utile de nous présenter vos

 18   arguments maintenant.

 19   Vous avez le droit de contre-interroger le témoin, vous l'avez fait à

 20   l'envi. Et je vais vous demander d'avoir l'amabilité d'en terminer avec le

 21   contre-interrogatoire de ce témoin parce qu'il faut que le contre-

 22   interrogatoire soit précis et se déroule dans des limites acceptables.

 23   M. Milosevic (interprétation): Savez-vous que, pendant la guerre, il a été

 24   jeté sur Djakovica 868 bombes? Sur le territoire de Djakovica, 898 bombes?

 25   M. Pruthi (interprétation): Non, je ne sais pas cela.

Page 1502

  1   Question: Et vous affirmez encore qu'aucune de ces bombes n'a touché, n'a

  2   atteint aucune maison?

  3   Réponse: C'est exactement ce que j'ai dit, et je le répéterai. Aucune

  4   bombe n'est tombée sur le toit d'aucune maison à Gjakovë.

  5   M. Milosevic (interprétation): Par exemple, on a détruit la maison d'un

  6   Serbe appelé Nikic et cela a été fait par bombe. Et il n'y avait pas que

  7   ce Serbe, il y a eu plusieurs maisons albanaises qui ont été détruites

  8   autour de la sienne. Le savez-vous?

  9   M. le Président (interprétation): Il est inutile de reparler au témoin

 10   d'éléments dont il a déjà parlé. Il nous a déjà dit qu'aucune maison

 11   n'avait été touchée par une bombe. C'est sa réponse, donc il est inutile

 12   de recommencer. Veuillez lui parler d'autre chose.

 13   M. Milosevic (interprétation): Mais je lui demande spécifiquement s'il

 14   sait que l'on avait bombardé le centre de Djakovica lorsqu'on avait ciblé

 15   le SUP, c'est-à-dire le bâtiment du poste de police à Djakovica?

 16   M. Pruthi (interprétation): Ce bâtiment a été touché.

 17   M. le Président (interprétation): Est-ce que le bâtiment du SUP a été

 18   touché?

 19   M. Pruthi (interprétation): Ce bâtiment se situe à la périphérie, il se

 20   trouve à la sortie de la ville.

 21   M. le Président (interprétation): Mais peu importe qu'il soit à la

 22   périphérie ou pas, est-ce qu'il a été touché?

 23   M. Pruthi (interprétation): Oui, il a été touché, mais je ne sais pas qui

 24   l'a touché.

 25   M. Milosevic (interprétation): Bien. Mais savez-vous que, lorsqu'il avait

Page 1503

  1   été touché, on a tué un avocat, un Albanais, Gjoci, qui se trouvait dans

  2   sa salle de bains, qui est mort tout simplement parce qu'il habitait à

  3   proximité de ce bâtiment-là. Votre collègue à vous.

  4   Est-ce que vous êtes au courant pour ce qui le concerne?

  5   Réponse: Je sais que mon confrère est mort pendant la guerre. Je suis au

  6   courant de ce qui lui est arrivé. J'étais en Albanie; lorsque je suis

  7   revenu, on m'a dit qu'il était mort pendant la guerre, qu'il avait été tué

  8   pendant la guerre.

  9   Question: Par bombe de l'OTAN?

 10   Réponse: Ça, je ne sais pas.

 11   Question: Savez-vous qu'aucun Albanais originaire de 18 villages de la

 12   municipalité de Djakovica, où vivent des Albanais de confession

 13   catholique, n'ont pas déménagé, n'ont pas bougé de leur village, quoique

 14   l'UCK se soit efforcé de les faire partir également?

 15   Réponse: Je ne sais rien à ce sujet.

 16   Question: Et savez-vous, pour ce qui est de l'exemple du village de Meca,

 17   que les villageois appelaient l'armée pour venir les libérer des pressions

 18   de l'UCK qui les contraignait à s'en aller vers l'Albanie? Savez-vous,

 19   êtes-vous au courant de l'exemple que je viens de vous donner?

 20   Réponse: Non, je ne sais rien de cela, je n'en sais rien.

 21   Question: Dans votre déposition écrite, vous avez dit que, partant de la

 22   colline de Çabrati, il avait été procédé à des attaques contre la ville,

 23   n'est-ce pas?

 24   Réponse: Le 24 mars, au début des bombardements de l'OTAN, il y a eu des

 25   tirs antiaériens depuis la colline de Çabrati et, un peu plus tard, cette

Page 1504

  1   colline a été touchée par les forces de l'OTAN, mais elle se trouve au-

  2   dessus de la ville.

  3   Question: Je vais sauter certaines questions parce qu'il apparaît avec

  4   évidence que je n'ai aucune utilité à les poser.

  5   Est-ce que vous êtes au courant d'un village, Batusa, à deux kilomètres de

  6   la ville et d'un village de Borovina, qui fait suite? Les villageois,

  7   étant chassés par l'UCK vers la ville de Djakovica, ces villageois sont

  8   revenus à leur village seulement une fois que l'armée avait chassé de là-

  9   bas les terroristes?

 10   Réponse: Je ne sais pas. Je ne sais pas.

 11   Question: Est-ce que vous êtes au courant du village de Junik, où les

 12   terroristes, devant se retirer devant l'armée, avaient pris 700 femmes et

 13   enfants pour s'en faire une sorte de bouclier vivant dont ils se sont

 14   servis jusqu'à la frontière? Et une fois qu'ils sont arrivés à la

 15   frontière, ils les ont relâchés pour qu'ils retournent à Junik?

 16   Réponse: Je ne sais pas.

 17   Question: Est-ce que vous êtes au courant du fait que, s'agissant de

 18   Djakovica, il est parti de là 18.000 personnes vers l'Albanie?

 19   Question: Je ne sais pas.

 20   Question: Djakovica: la municipalité compte 110.000 habitants; la ville

 21   même compte 78.000 habitants.

 22   Réponse: Il est impossible pour moi de connaître les chiffres exacts.

 23   M. Milosevic (interprétation): Et êtes-vous au courant de l'exemple du

 24   village Lukbunar, où les terroristes de l'UCK ont obligé tout le village à

 25   se diriger vers l'Albanie; puis l'armée les a fait revenir depuis Vrbnica

Page 1505

  1   vers leur village. Lorsqu'ils sont revenus dans leur village, ils se sont

  2   rendu compte que rien n'avait été touché au village. Est-ce que vous êtes

  3   au courant de ce fait-là?

  4   M. Pruthi (interprétation): Je n'en ai jamais entendu parler.

  5   M. le Président (interprétation): Le témoin ne sait rien au sujet de cet

  6   incident.

  7   Maître Wladimiroff, avez-vous des questions à poser au témoin?

  8   M. Wladimiroff (interprétation): Il y a un seul sujet.

  9   M. Milosevic (interprétation): Je n'ai pas terminé, Monsieur le Président.

 10   M. le Président (interprétation): Je sais que vous n'avez pas fini, mais

 11   nous vous avons donné un temps limité.

 12   M. Milosevic (interprétation): Je voudrais poser une seule question

 13   encore, si vous le permettez. Je vais choisir une des questions qui me

 14   restaient.

 15   Est-ce que vous êtes au courant que, début avril, au village de Glodjani,

 16   l'UCK avait emprisonné 21 Serbes et 2 Roms pour les torturer, puis les a

 17   emmenés à Donji Ratis, puis les ont abattus dans le canal du lac de

 18   Radonjic. Ils ont été découverts au bout de quinze jours et ils ont été

 19   enterrés dans un cimetière orthodoxe; il y avait des enfants et même des

 20   bébés avec des biberons. Ils les ont d'abord torturés pendant 21 jours et

 21   ils les ont amenés au canal du lac de Radonjic pour les abattre.

 22   Est-ce que vous êtes au courant de cet événement-là?

 23   M. Pruthi (interprétation): Je n'ai aucune connaissance de cela.

 24   M. Milosevic (interprétation): Bien. Poser des questions n'a plus aucun

 25   sens.

Page 1506

   1   M. le Président (interprétation): Maître Wladimiroff?

  2   (Question de l'amicus curiae, M. Wladimiroff, au témoin, M. Hasan

  3   Pruthi.)

  4   M. Wladimiroff (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

  5   Monsieur le Témoin, dans le cadre de votre interrogatoire principal, vous

  6   avez parlé du meurtre de votre cousin. Si j'ai bien compris, vous n'avez

  7   pas assisté vous-même à ce meurtre, mais ultérieurement, lors du contre

  8   interrogatoire, vous avez dit -et je cite-: "Le meurtre de mon cousin, que

  9   j'ai vu de mes propres yeux…" (Fin de citation.)

 10   Est-ce que vous pouvez préciser?

 11   M. Pruthi (interprétation): Je ne l'ai pas vu, je n'ai pas vu le meurtre;

 12   le meurtre a eu lieu sous les yeux de sa fille.

 13   M. Wladimiroff (interprétation): Merci.

 14   M. le Président (interprétation): Oui, Madame Romano?

 15   (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, M. Hasan Pruthi, par

 16   Mme Romano.) 

 17   Mme Romano (interprétation): Oui, Monsieur le Président. J'ai quelques

 18   questions à poser au témoin afin de préciser un certain nombre de points.

 19   En premier lieu, vous venez de répondre à une question en disant que vous

 20   n'avez pas assisté au meurtre de votre cousin; j'aimerais savoir si vous

 21   avez vu son corps?

 22   M. Pruthi (interprétation): Oui. Oui j'ai vu son corps. J'ai vu son corps

 23   de mes propres yeux.

 24   Question: Quand avez-vous vu son corps?

 25   Réponse: J'ai vu son corps le matin du 26, lorsque je me suis rendu sur

Page 1507

   1   les lieux de l'incident avec la femme de mon cousin. Et la femme de mon

  2   cousin m'a dit: "Mais qu'est-ce qu'on va faire?", et je lui ai dit: "Il

  3   faut absolument signaler tout cela à la police". Et nous avons fait cela,

  4   nous avons signalé cet incident à la police et nous pensions que la police

  5   allait venir faire une enquête sur cette affaire. Et quelques heures plus

  6   tard, la police est venue.

  7   Question: Excusez-moi, Monsieur Pruthi. Je souhaite que les choses soient

  8   bien précises: vous avez vu le corps sur les lieux?

  9   Réponse: Oui, nous avons vu le corps sur les lieux de l'incident.

 10   Question: Pouvez-vous nous dire ce que vous avez vu? Pouvez-vous nous

 11   décrire la scène?

 12   Réponse: Eh bien, il était étendu sur le dos, sur le sol et j'ai vu qu'il

 13   y avait des blessures au niveau de la plante des pieds; je pense que

 14   c'était dû à une rafale d'arme automatique. Et puis, il y avait une de ses

 15   mains qui était pratiquement détachée de son bras; on pouvait voir des

 16   impacts de balle, plusieurs impacts de balle au niveau de sa poitrine. Et

 17   j'ai vu que les plantes de ses pieds avaient été touchées si bien que

 18   c'était complètement déchiqueté. Et il y avait la paume d'une de ses mains

 19   qui avait également été touchée et qui était pratiquement coupée.

 20   Question: Merci.

 21   Réponse: De plus…

 22   Question: Oui, poursuivez.

 23   Réponse: Nous avons attendu la police. Le juge d'instruction ainsi que les

 24   policiers sont arrivés quelques heures plus tard.

 25   Je suis allé sur place pour voir le juge d'instruction et j'ai

Page 1508

  1   immédiatement été encerclé par les policiers. Je suis allé voir le juge

  2   d'instruction, je l'ai rencontré et, tout de suite, j'ai été encerclé par

  3   les policiers. Il y avait une douzaine de policiers. Ils ne nous ont pas

  4   autorisés à bouger, à nous déplacer.

  5   Le juge d'instruction m'a demandé où était le corps. Je lui ai répondu

  6   qu'il se trouvait derrière la maison. Il a demandé où était l'autre corps,

  7   parce que Avni Ferizi, un autre voisin, avait été tué cette nuit-là. Donc

  8   je lui ai indiqué où était la maison de celui-ci. Le juge a dit: "Nous

  9   allons d'abord aller voir Avni; ensuite, on reviendra chez votre cousin".

 10   C'est ce qu'il a fait.

 11   Question: Est-ce que vous connaissez l'issue de cette enquête?

 12   Réponse: Il est revenu de la maison des voisins; j'ai pensé qu'on allait

 13   se rendre sur les lieux du crime et examiner le corps, comme le veut la

 14   procédure habituelle. Mais cela ne s'est pas produit ainsi; c'est le

 15   contraire qui s'est produit, ce qui me paraît incroyable pour moi, en tant

 16   que juriste.

 17   Le juge a dit: "Mais inutile de faire une enquête sur les lieux. Vous

 18   pouvez l'enterrer". Et puis il est parti, c'est tout.

 19   Question: Monsieur le Témoin, dans le cadre du contre-interrogatoire,

 20   l'accusé a dit que 196 Albanais avaient été tués par l'UCK. Est-ce que

 21   vous avez des éléments de preuve ou des éléments relatifs à ce fait, à

 22   savoir que 196 Albanais avaient été tués par l'UCK?

 23   Réponse: Je n'ai aucune information à ce sujet.

 24   Question: On a également avancé que l'UCK avait ordonné aux villageois de

 25   partir ou les avait expulsés. Est-ce que vous avez des informations à

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   1   l'appui de cela?

  2   Réponse: Pouvez-vous répéter votre question?

  3   Question: Est-ce qu'à un moment donné, l'UCK a ordonné aux villageois de

  4   quitter leurs foyers ou les a expulsés?

  5   Réponse: C'est faux.

  6   Mme Romano (interprétation): Merci.

  7   Merci, Monsieur le Président.

  8   M. le Président (interprétation): Monsieur le Témoin, nous en arrivons au

  9   terme de votre déposition. Je vous remercie d'être venu déposer au

 10   Tribunal pénal international et vous pouvez maintenant quitter le

 11   prétoire.

 12   M. Pruthi (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

 13   M. le Président (interprétation): Nous allons maintenant lever l'audience

 14   jusqu'à 14 heures 30.

 15   (L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 heures 30.)

 16   (Le témoin, M. Qamil Shabani, est déjà dans le prétoire.)

 17   (Interrogatoire principal du témoin, M. Qamil Shabani, par M. Ryneveld.)

 18   M. Ryneveld (interprétation): Monsieur le Président, le Procureur cite à

 19   la barre M. Shabani. Je demande au témoin de prononcer la déclaration

 20   solennelle.

 21   M. Shabani (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

 22   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 23   M. le Président (interprétation): Vous pouvez vous asseoir, Monsieur.

 24   Monsieur Shabani, je vous demande de décliner votre identité complète

 25   devant les Juges de cette Chambre.

Page 1510

  1   M. Shabani (interprétation): Je m'appelle Qamil Shabani, je viens du

  2   village de Zegra. Je suis né le 14 novembre 1952. Je suis marié et j'ai

  3   quatre enfants, deux garçons et deux filles.

  4   M. Ryneveld (interprétation): Merci. Nous croyons savoir qu'en mars 1999,

  5   vous étiez instituteur, Monsieur, mais qu'en ce moment, vous avez une

  6   autre profession, n'est-ce pas?

  7   Réponse: Oui.

  8   Question: Est-il également exact, Monsieur, que vous êtes d'appartenance

  9   ethnique albanaise et de religion musulmane?

 10   Réponse: Oui, c'est exact.

 11   Question: Monsieur, je vous demande si vous avez été, à quelque moment que

 12   ce soit, membre de l'UCK?

 13   Réponse: Non.

 14   Question: Monsieur Shabani, je crois savoir que vous avez effectué votre

 15   service militaire obligatoire en 1978, c'est bien cela?

 16   Réponse: Oui, c'est exact.

 17   Question: Vous l'avez effectué à Kranj en Slovénie. Vous faisiez partie du

 18   génie à ce moment-là?

 19   Réponse: C'est exact, j'ai effectué mon service à Kranj, en Slovénie.

 20   Question: Monsieur, vous venez de nous dire que vous habitiez dans le

 21   village de Zegra. Est-ce bien dans la municipalité de Gnjilane?

 22   Réponse: Oui, ce village se trouve dans la municipalité de Gnjilane.

 23   Question: Quelle est à peu près la distance qui sépare le village de Zegra

 24   de la ville de Gnjilane?

 25   Réponse: Le village de Zegra est à 12 kilomètres de la ville de Gnjilane.

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  1   Question: En mars 1999, Monsieur, pouvez-vous dire aux Juges de cette

  2   Chambre quelle était la population du village de Zegra?

  3   Réponse: Le village de Zegra, en mars 1999, comptait environ 4.000

  4   habitants.

  5   Question: Pouvez-vous nous dire quelle était l'appartenance ethnique de la

  6   majorité des habitants du village?

  7   Réponse: La majorité des habitants étaient d'appartenance ethnique

  8   albanaise. Les autres, en nombre plus limité, étaient serbes. Et au total,

  9   il y avait 600 maisons dans le village, dont 70 à peu près appartenaient à

 10   des Serbes.

 11   Question: En mars 1999, y a-t-il eu un moment où vous avez pu distinguer

 12   quelles étaient les maisons qui appartenaient aux Serbes? Si oui, en

 13   raison de quoi?

 14   Réponse: Les maisons serbes du village de Zegra constituent un quartier

 15   déterminé, mais il y a également des maisons albanaises au voisinage des

 16   maisons serbes. Donc la population était mélangée, il n'y avait pas de

 17   division entre les deux.

 18   Question: Mais au mois de mars, est-il arrivé un moment où les Serbes ont

 19   fait quelque chose dans le village de Zegra qui les séparait des autres

 20   villageois?

 21   Réponse: Oui, en effet. C'était une forme de manifestation fasciste qui a

 22   été programmée dans la tête des habitants serbes qui voulaient se venger

 23   de la population albanaise. Ils ont commencé à s'organiser et à diviser

 24   les maisons serbes et les maisons albanaises en faisant flotter des

 25   morceaux de tissu blanc sur les maisons serbes. Je crois que ceci a été

Page 1512

  1   mis en scène par certains habitants serbes du village de Zegra; je veux

  2   parler de Djuro Lazic, par exemple, un habitant de Zegra qui, avec

  3   d'autres Serbes du village, dans la maison de Strecko Lazic et dans une

  4   autre maison, se sont réunis et ont décidé de créer une distinction entre

  5   les maisons de cette façon.

  6   M. Ryneveld (interprétation): J'aimerais simplement vous demander,

  7   Monsieur, ce qu'ils ont fait exactement qui vous a permis de distinguer

  8   les maisons serbes des autres maisons: qu'ont-ils fait?

  9   M. Shabani (interprétation): Avant l'arrivée des paramilitaires à Zegra,

 10   ceci s'est passé: auparavant, il y avait des troupes de l'armée yougoslave

 11   qui était cantonnée à Zegra dix jours à peu près avant les frappes de

 12   l'OTAN. Donc dix jours avant le 24 mars, l'armée yougoslave était

 13   cantonnée à cet endroit avec tout son arsenal militaire, y compris des

 14   chars, des blindés, des canons et d'autres matériels.

 15   M. le Président (interprétation): Il est possible qu'on vous interroge sur

 16   ce sujet dans quelques instants, Monsieur Shabani, mais pour l'instant la

 17   question posée qui vous était posée était: de quelle façon les Serbes

 18   avaient…, quel était le signe distinctif que les Serbes devaient placer

 19   sur leurs maisons? Veuillez répondre à cette question, je vous prie.

 20   M. Shabani (interprétation): Oui, ils ont placé un signe distinctif sur

 21   leurs maisons sous la forme d'un morceau de tissu blanc. Cela ressemblait

 22   à un geste génocidaire fasciste.

 23   M. Ryneveld (interprétation): Veuillez vous arrêter sur ce point,

 24   Monsieur.

 25   Je demanderai à Madame la Greffière de remettre au Témoin la pièce à

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  1   conviction n°3, carte n°10, ainsi que la pièce à conviction de

  2   l'accusation n°4, carte n°8.

  3   (L'huissier s'exécute.).

  4   Monsieur le Témoin, je vous demanderai de regarder la carte avant de la

  5   passer sur le rétroprojecteur. Vous l'avez vue?

  6   Réponse: Oui.

  7   Question: Voyez-vous le nom de votre village sur la carte n°10 de la pièce

  8   à conviction n°3?

  9   Réponse: Oui.

 10   Question: Très bien. Dans ce cas-là, nous pouvons maintenant placer la

 11   carte sur le rétroprojecteur, ce qui permettra à chacun de la voir sur les

 12   écrans.

 13   Je vous prierai, Monsieur, de vous saisir du pointeur et d'utiliser ce

 14   pointeur pour indiquer sur le rétroprojecteur, pas sur l'écran, où se

 15   trouve votre village.

 16   (Le témoin s'exécute.)

 17   Vous avez placé le pointeur sur l'indication "Zegra". C'est bien votre

 18   village?

 19   Réponse: Oui, c'est mon village.

 20   Question: Et selon votre déposition, Zegra se trouve à 12 kilomètres

 21   environ de Zelani, n'est-ce pas?

 22   Réponse: Oui, à 12 kilomètres à peu près de Zelani.

 23   Question: Il y a d'autres villages qui figurent au voisinage immédiat de

 24   Zegra?

 25   Réponse: Oui. A l'est, mon village est mitoyen du village de Vlastica,

Page 1514

  1   habité par des Albanais. Au nord, il est mitoyen de Lladovë, un autre

  2   village habité par des Albanais également. Au sud, il est mitoyen du

  3   village de Haxhaj. Voilà donc les villages qui entourent Zegra.

  4   Question: Merci, Monsieur. Nous reviendrons sur ce point dans quelques

  5   instants.

  6   Je vous demande à présent de regarder la carte n°8 de la pièce à

  7   conviction 4 de l'accusation. Il y a des noms inscrits en toutes petites

  8   lettres. Donc je vous demanderai de regarder cette carte soigneusement

  9   avant de la placer sur le rétroprojecteur. Voyez-vous le nom Zegra inscrit

 10   sur cette carte?

 11   Réponse: Oui, oui, je le vois.

 12   Question: Vous pourriez donc maintenant placer cette carte sur le

 13   rétroprojecteur, vous saisir du pointeur une nouvelle fois et, à

 14   l'intention des Juges, placer le pointeur sur Zegra, de façon à ce qu'ils

 15   situent Zegra sur cette carte qui est plus détaillée que la précédente.

 16   (Le témoin s'exécute.)

 17   Donc vous avez placé le pointeur à un endroit où on lit deux mots, "Zegra"

 18   et "Zheger", n'est-ce pas?

 19   Réponse: Oui, les Serbes appellent ce village "Zegra" et nous, nous

 20   l'appelons "Zheger".

 21   Question: Et le village de Vlastica figure également sur cette carte?

 22   Réponse: Oui, l'autre village est Vlastica qui, comme je l'ai déjà dit, se

 23   trouve à l'est de Zegra, alors qu'au nord on trouve le village de Ladova

 24   puis le village de Lladovë. Et puis il y a un autre village, celui de

 25   Haxhaj, ensuite Sufaj. Etc. Et Demiraj.

Page 1515

  1   Question: Si vous regardez vers le nord, le long de la route, on voit le

  2   mot de "Donja". Donja correspond-il à un autre village? Est-ce la même

  3   chose que Donja Stubla ou est-ce différent?

  4   Réponse: C'est un village qui est au sud-ouest du village de Zegra, qui se

  5   trouve sur un plateau.

  6   Question: Pourriez-vous placer le pointeur sur le village en question?

  7   Peut-être l'avez-vous déjà fait mais je ne regardais pas.

  8   (Le témoin place le pointeur sur le village de Donja Stubla.)

  9   Vous avez placé le pointeur sur une zone ombrée qui indique donc qu'il

 10   s'agit d'une municipalité mixte, n'est-ce pas?

 11   Réponse: Oui. Ce village fait partie de la municipalité de Vitia/Vitina,

 12   alors que les autres font partie de la municipalité de Gnjilane. Vous

 13   voyez la ligne de démarcation ici?

 14   Question: Oui, en effet.

 15   Monsieur Shabani, je crois savoir que vous étiez sur le point de nous

 16   relater ce que vous avez vu dix jours, si je ne m'abuse, avant le 24 mars.

 17   Vous nous avez dit avoir assisté à l'arrivée de certaines forces armées.

 18   Pouvez-vous reprendre votre récit à ce point-là et nous dire ce que vous

 19   avez vu exactement?

 20   Réponse: Alors que les pourparlers de Rambouillet étaient en cours,

 21   pourparlers qui n'ont eu aucun effet politique important, la Serbie se

 22   préparait à réaliser son objectif, sous la direction de l'accusé, en

 23   Yougoslavie.

 24   Question: Je vous arrête. Je vous demande simplement de nous dire ce qui

 25   s'est passé dans votre village, ce que vous avez vu dans votre village.

Page 1516

  1   Réponse: Des forces armées sont arrivées dans notre village, qui étaient

  2   des forces de l'armée régulière ainsi que des réservistes, des gens

  3   relativement âgés mais qui portaient un uniforme et qui étaient équipés de

  4   tout l'arsenal militaire nécessaire: chars, blindés, canons et autres

  5   équipements militaires, mortiers, mitrailleuses et autres armes diverses.

  6   Ces hommes se sont déployés dans la coopérative agricole de notre village

  7   qui se trouve à l'entrée du village. Une partie de ces hommes a été

  8   déployée à la sortie du village, c'est-à-dire au sud. Ces hommes ont

  9   occupé la maison de Dermush Sejdiu; dans cette maison, plus de 90

 10   personnes ont été cantonnées, alors que les autres hommes patrouillaient

 11   dans les rues du village. Ils creusaient des tranchées le long de la

 12   rivière de Zegra, dans le village de Pidiq qui va vers la frontière. C'est

 13   cela que les soldats ont fait; ils sont arrivés avec une tâche bien

 14   particulière à exécuter.

 15   Question: Nous y reviendrons dans quelques instants, Monsieur.

 16   Vous venez de parler d'une zone agricole; est-ce à cet endroit que les

 17   soldats se sont cantonnés ou y a-t-il eu d'autres endroits de votre

 18   village que ces soldats ont utilisés comme lieux de rassemblement,

 19   apparemment comme quartier général, comme base?

 20   Réponse: Les soldats ont établi leur quartier général à un endroit dans le

 21   village qui était tout près de l'école, en fait, dans les locaux de

 22   l'école primaire. Et l'armée a pris position également à l'entrée et à la

 23   sortie du village; elle y est restée tout le temps.

 24   Pendant ce temps-là, les soldats patrouillaient les rues, vérifiaient

 25   l'identité des citoyens, observaient ce que chacun faisait, les allées et

Page 1517

  1   venues de la population; ils contrôlaient les papiers d'identité des

  2   habitants. Et cela a duré jusqu'au début des bombardements de l'OTAN. A ce

  3   moment-là, l'armée est devenue tout à fait furieuse et les soldats qui

  4   s'étaient déployés dans notre village ont commencé à pilonner la maison de

  5   Ukshin Ukshini pendant les bombardements de l'OTAN.

  6   Question: Je vais vous demander quelques détails, si vous le voulez bien,

  7   Monsieur.

  8   Vous avez dit que les soldats étaient stationnés à l'entrée du village, au

  9   nord, mais avant l'arrivée de ces troupes armées, comme vous les avez

 10   qualifiées, pouvez-vous nous dire si vous savez s'il existait une usine de

 11   radiateurs dans le village?

 12   Réponse: Oui. Non loin de la coopérative agricole, il y avait une usine

 13   qui fabriquait des radiateurs et cette usine a servi de lieu de

 14   cantonnement aux soldats. C'est là qu'ils se sont installés, mais le

 15   travail a continué dans l'usine pendant ce temps-là.

 16   Question: Vous avez parlé de la maison de Dermush Sejdiu. Que s'est-il

 17   passé dans cette maison?

 18   Réponse: Cette maison se trouve au sud du village; elle a servi à loger

 19   des soldats et à entreposer des armes et des munitions. C'est ainsi que

 20   les forces armées en question ont encerclé le village.

 21   Question: Monsieur, dans votre déposition, vous avez dit que des

 22   représentants de l'armée régulière sont arrivés, ainsi que des hommes plus

 23   âgés. Ces hommes plus âgés portaient-ils également un uniforme?

 24   Réponse: Oui. Ces forces armées se composaient de membres de l'armée

 25   régulière, dirigés par des officiers, qui avaient des missions

Page 1518

  1   particulières à accomplir en fonction de leur grade, et de réservistes

  2   également, qui étaient des hommes plus âgés, qui avaient effectué leur

  3   service militaire depuis très longtemps et qui s'étaient joints à l'armée

  4   régulière.

  5   Question: Je demanderai que l'on soumette au témoin les pièces à

  6   conviction 17, 18, 21A et 21B, s'il vous plaît.

  7   (L'huissier s'exécute.)

  8   Nous vous montrerons, Monsieur, d'abord la pièce n°18. Sur la pièce à

  9   conviction n°18, vous verrez un certain nombre de photographies

 10   d'uniformes. Je vous demanderai de regarder ces uniformes avant de placer

 11   le document sur le rétroprojecteur et de dire aux Juges de cette Chambre

 12   si l'un quelconque des hommes qui est arrivé dans votre village avant le

 13   24 mars -je parle donc des représentants de l'armée ou de ces réservistes

 14   plus âgés dont vous avez parlé-, si l'un quelconque de ces hommes portait

 15   un uniforme similaire à l'un des uniformes que vous voyez sur la pièce à

 16   conviction n°18?

 17   Réponse: Oui, l'uniforme n°1.

 18   Question: L'uniforme n°1?

 19   Réponse: C'était l'uniforme le plus couramment utilisé. Tous les

 20   représentants de l'armée portaient cet uniforme.

 21   Question: A présent, Monsieur, je vous demande de continuer à regarder

 22   cette pièce 18 pour nous dire si vous retrouvez d'autres uniformes que

 23   vous auriez vus dans le village? Avant de placer le document sur le

 24   rétroprojecteur.

 25   Réponse: Le n°2 également était porté aussi par les membres de l'armée,

Page 1519

  1   dans certaines circonstances. Le n°9 également.

  2   Question: Quel uniforme portaient les réservistes plus âgés, si vous vous

  3   le rappelez?

  4   Réponse: Les réservistes portaient surtout l'uniforme que l'on voit à la

  5   photographie n°1.

  6   Question: Très bien. Maintenant, le moment est venu de placer ce document

  7   sur le rétroprojecteur. Je vous demanderai d'utiliser le pointeur pour

  8   nous montrer ces photographies.

  9   D'abord la photographie n°1.

 10   (Le témoin s'exécute.)

 11   Est-ce un uniforme de camouflage ou un uniforme régulier vert kaki? Que

 12   pouvez-vous nous en dire de plus?

 13   Réponse: C'est un uniforme de couleur verte. Je l'ai mentionné

 14   particulièrement parce qu'on voyait aussi quelques uniformes de

 15   camouflage, mais ce n'était pas les plus courants. Lorsqu'une attaque se

 16   préparait, ils ne portaient pas l'uniforme de camouflage.

 17   Question: Vous avez également parlé de l'uniforme que l'on voit sur la

 18   photographie n°2, n'est-ce pas?

 19   Réponse: Oui. A la photographie n°2, on voit également un uniforme qui

 20   était également porté par les soldats dans le village.

 21   Question: Et le n°9?

 22   Réponse: Le n°9 également.

 23   Question: Vous pouvez montrer cet uniforme, Monsieur l'huissier?

 24   Réponse: Le n°9 également. C'est l'uniforme que ces hommes portaient

 25   lorsqu'ils se déplaçaient dans le village pour y prendre position.

Page 1520

  1   Question: Monsieur le Témoin, vous nous dites que ces trois uniformes

  2   étaient présents dans votre village au cours des dix jours qui ont précédé

  3   le 24 mars dans le village de Zegra?

  4   Réponse: Oui, oui, tous ces uniformes étaient présents à ce moment-là dans

  5   le village.

  6   Question: Monsieur le Témoin, vous nous avez dit, si je ne m'abuse, que

  7   ces hommes étaient arrivés avec toutes sortes d'équipements militaires?

  8   Réponse: Oui.

  9   Question: Quel genre d'équipements militaires vous rappelez-vous avoir vu?

 10   Réponse: L'équipement militaire que j'ai vu, lorsque nous étions dans un

 11   autobus, tout près de leur position, se composait de fusils automatiques,

 12   de mitrailleuses, de mortiers, d'armes légères. Il y avait aussi des

 13   véhicules blindés, des chars, des Pinzgauers, et d'autres matériels

 14   encore.

 15   Question: Je vous demanderais maintenant de vous pencher sur la pièce à

 16   conviction n°17 qui se divise en quatre pages regroupant quinze

 17   photographies au total. Je vous prierai de bien vouloir regarder ces

 18   photographies pour nous dire si, sur ces photographies, vous voyez l'un

 19   quelconque des véhicules dont vous venez de parler?

 20   Réponse: Oui. Sur cette feuille de papier, il y a un char, un autre char,

 21   un blindé, et un blindé transport de troupes.

 22   Question: Je vais vous arrêter ici car les photographies sont numérotées.

 23   Quand vous parlez d'une photographie, pouvez-vous lui adjoindre le numéro

 24   qui lui correspond?

 25   Réponse: Oui. La photographie que je vois ici c'est la photographie n°6,

Page 1521

  1   puis la n°7, puis la n°8...

  2   Question: Arrêtons-nous là. Que représente la photographie n°6?

  3   Réponse: C'est un char utilisé par l'armée aux positions qu'elle occupait.

  4   Question: Et la photographie n°7?

  5   Réponse: C'est un petit camion militaire qui était utilisé pour

  6   transporter les soldats. Il transportait les soldats par petits groupes

  7   vers diverses positions.

  8   Question: La photographie n°8?

  9   Réponse: Ici aussi, c'est un petit camion ouvert utilisé pour transporter

 10   les soldats jusqu'aux positions qu'ils devaient occuper durant leurs

 11   patrouilles dans le village de Zegra.

 12   Question: Monsieur, est-ce que vous avez vu tous les véhicules semblables

 13   aux véhicules qui sont représentés aux photographies 6, 7 et 8 dans le

 14   village de Zegra pendant ces journées, avant le 24 mars?

 15   Réponse: Oui, tous ces véhicules, ils ont tous été présents dans notre

 16   village, où ils circulaient du nord au sud, vers Gjilan, vers Budrik, où

 17   étaient situées leurs positions.

 18   Question: Monsieur, vous avez également parlé de Pinzgauers et d'APC. Par

 19   cela, je pense que vous entendez des véhicules de transports de troupes

 20   blindés. Est-ce que vous avez vu certains de ces véhicules sur les

 21   photographies qui constituent la pièce 17?

 22   Réponse: Les véhicules blindés et les Pinzgauers sont sur la n°7. Le n°7,

 23   c'est un Pinzgauer comme ceux utilisés par l'armée, les véhicules blindés.

 24   Un véhicule blindé avec des pneus en caoutchouc et des armes, c'est le

 25   n°2.

Page 1522

  1   Question: Et tous ces véhicules, vous les avez vus dans votre village de

  2   vos yeux?

  3   Réponse: Oui. Oui, je les ai vus de mes yeux, parce que nous avons été en

  4   mesure de voir ces soldats qui se déplaçaient.

  5   Question: Et enfin, sans perdre beaucoup plus de temps, j'aimerais que

  6   vous examiniez la pièce 21A. Vous nous dites qu'ils disposaient également

  7   d'armes automatiques. Sur la pièce 21A, nous avons la représentation de

  8   cinq armes. Est-ce que ces armes sont d'une manière ou d'une autre

  9   semblables aux armes automatiques que vous avez vues? Et, si c'est le cas,

 10   lesquelles d'entre elles?

 11   Réponse: Les armes automatiques que nous avons vues figurent sur la

 12   feuille B, ce sont les n°B1, B2, et un canon à visée longue portée.

 13   Question: Est-ce que vous êtes en train d'examiner la feuille B?

 14   Réponse: Oui, c'est B.

 15   M. Ryneveld (interprétation): Donc je vais m'en tenir à ce que vous m'avez

 16   dit, car je me suis trompé apparemment. Vous êtes en train d'examiner la

 17   feuille B. Vous me dites qu'il y a cinq armes, n'est-ce pas? Veuillez le

 18   placer sur le rétroprojecteur.

 19   M. Kwon (interprétation): En fait, c'était 21A.

 20   M. Ryneveld (interprétation): Oui, en effet, c'est le cas. Mais

 21   apparemment sur la feuille qu'on a montrée au témoin, c'est 21B.

 22   M. Shabani (interprétation): En fait, c'est n°1, 2, 3, 4 et 5. L'armée

 23   disposait de toutes ces armes à Zheger.

 24   Question: Monsieur, vous parlez du 24 mars 1999; je crois que vous nous

 25   avez dit que c'était le jour du début des bombardements de l'OTAN. Est-ce

Page 1523

  1   que vous vous en souvenez?

  2   Réponse: Oui. Je me souviens de ce jour-là. Pour le peuple albanais du

  3   Kosovo, c'est le jour où nos espoirs se sont réalisés et nous avons espéré

  4   que nous pourrions être libérés de l'oppression ou du pouvoir serbe et

  5   slave qui était imposé au Kosovo.

  6   M. Ryneveld (interprétation): Et ce jour-là, que s'est-il passé dans votre

  7   village?

  8   M. Shabani (interprétation): Le 24, le 24 mars, avec le début des

  9   bombardements de l'OTAN, la population albanaise était très joyeuse, mais

 10   la population serbe était furieuse. Et cette colère s'est traduite par des

 11   représailles à l'encontre de la population albanaise. Certains avaient

 12   fait des préparatifs sur instruction de Belgrade.

 13   M. le Président (interprétation): Monsieur Shabani, je souhaiterais vous

 14   préciser quelque chose au sujet de votre déposition: ce qui est le plus

 15   intéressant pour nous, ce qui est le plus utile, c'est que vous nous

 16   disiez ce que vous avez vu, ce que vous avez entendu vous-même, plutôt que

 17   nous faire un commentaire de la situation. Veuillez nous dire ce que vous

 18   avez vu et entendu.

 19   M. Shabani (interprétation): Oui. C'est vrai, je ne peux vous parler que

 20   de ce que j'ai vu moi-même.

 21   M. Ryneveld (interprétation): Monsieur le Témoin, la question qui vous

 22   était posée, c'était de savoir ce qui était arrivé dans votre village,

 23   avec le début des bombardements de l'OTAN.

 24   Vous nous avez parlé de soldats qui étaient dans votre village, qui

 25   étaient aux alentours de votre village avant le 24. Je voudrais savoir

Page 1524

  1   s'ils ont fait quelque chose de particulier: est-ce qu'ils sont allés

  2   quelque part?

  3   M. Shabani (interprétation): Pendant le bombardement, leur comportement

  4   est devenu encore plus sauvage à l'encontre de la population albanaise. Il

  5   y avait des soldats à cet endroit, dans la coopérative agricole et, par

  6   dépit, ils se sont mis à tirer sur la maison de Ukshin Ukshini, dans un

  7   esprit de vengeance.

  8   Question: Monsieur le Témoin, je souhaiterais que vous nous parliez plus

  9   précisément d'un incident précis; je vais vous expliquer de quoi je parle.

 10   Vous nous avez dit que les soldats étaient à un moment donné dans l'usine

 11   de radiateurs. Je voudrais savoir s'ils y sont restés ou s'ils sont allés

 12   ailleurs dans le village ou si, ce faisant, il s'est passé quelque chose?

 13   Réponse: Les soldats à ce moment-là, les soldats de l'armée régulière -et

 14   je parle là du 24 mars-, les soldats donc ont pris leur position dans des

 15   tranchées pour se défendre contre les forces de l'OTAN et ils ont chassé

 16   les habitants de quatre maisons albanaises afin de pouvoir eux-mêmes

 17   quitter l'usine de radiateurs et pour s'installer dans des maisons

 18   d'Albanais qui se trouvaient à côté de la coopérative agricole. Dans

 19   l'intervalle,...

 20   Question: Non, Monsieur, je vais vous poser un certain nombre de questions

 21   dont les réponses m'intéressent. Nous irons plus rapidement si vous me

 22   laissez vous poser des questions et que vous y répondiez plutôt que

 23   d'essayer vous-même de prendre l'initiative de nous narrer les événements.

 24   Vous nous avez donc parlé des bombardements de l'OTAN. Est-ce qu'il y a eu

 25   des bombardements de l'OTAN dans votre village ou autour de votre village?

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  1   Comment savez-vous qu'il y a eu des bombardements de la part de l'OTAN?

  2   Réponse: Il n'y a pas eu de bombardement de l'OTAN autour de notre

  3   village, mais nous avons entendu des explosions, à distance, vers le nord,

  4   à une très grande distance, mais rien dans notre village.

  5   Question: Donc votre village n'a connu aucun bombardement de l'OTAN le 24

  6   mars: est-ce bien exact?

  7   Réponse: C'est exact. Il n'a pas été bombardé.

  8   Question: Avant le 24 mars ou bien le 24 mars, avez-vous connaissance de

  9   la présence de membres de l'UCK dans votre village?

 10   Réponse: Il n'y avait pas de forces de l'UCK dans notre village. Je ne les

 11   ai jamais vues et je n'ai jamais entendu parler de formation de ce type à

 12   ce moment-là. Et je parle toujours du village de Zheger.

 13   Question: Est-ce qu'il y a eu des escarmouches, est-ce qu'il y a eu des

 14   échanges de tirs entre les forces de l'armée régulière dont vous nous avez

 15   parlé et certains des habitants, qu'ils aient été habillés en civil ou en

 16   uniforme?

 17   Réponse: Non, il n'y a pas eu de combat, d'escarmouche entre les forces

 18   serbes et les habitants de l'endroit parce que nous n'avions aucune arme.

 19   Question: Bien. Monsieur, je vais maintenant parler du 28 mars. Si j'ai

 20   bien compris, il s'agissait là d'une fête musulmane ce jour-là?

 21   Réponse: Oui. Oui. C'était le jour de Bajram et les habitants de Zheger

 22   n'ont pas été en mesure de célébrer cette fête, vu les circonstances et

 23   étant donné que la situation était extrêmement tendue du fait de la

 24   présence de l'armée.

 25   Donc, le soir de cette journée de cette fête de Bajram, à l'est, où se

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  1   trouve le village de Llashticë, nous avons entendu des rafales d'armes.

  2   Cela a duré pendant une heure. Et ceci venait de la direction du village

  3   de Pasjan, qui est un village serbe où il y avait également des soldats et

  4   des réservistes. Ils ont tiré sur le village de Llashticë dans la soirée.

  5   Question: Avant de continuer, je voudrais savoir si c'est quelque chose

  6   que vous savez parce que vous en avez l'expérience personnelle, ou bien

  7   est-ce que c'est quelqu'un qui vous a raconté la chose? En d'autres

  8   termes, comment savez-vous que le village de Llashticë a été pris sous des

  9   feux venant d'un village serbe?

 10   Réponse: Je le sais à cause du bruit que cela a provoqué, à cause des

 11   tirs, des tirs d'armes automatiques lourdes. Nous avons entendu tout cela

 12   au loin bien que ce ne soit pas très loin, mais nous avons entendu cela à

 13   distance. Il s'agissait là d'armes détenues par l'armée et ce sont eux qui

 14   ont ouvert le feu sur Llashticë.

 15   Question: Maintenant, Monsieur, je souhaiterais que nous parlions du

 16   lendemain, du 29 mars 1989. J'aimerais savoir s'il s'est passé quelque

 17   chose dans votre village, quelque chose que vous pourriez nous relater?

 18   Réponse: Le 29 mars, à Zheger, des troupes supplémentaires sont arrivées,

 19   des paramilitaires, avec 8 bus, 8 bus et un minibus; c'étaient des

 20   véhicules immatriculés à Nis, d'après les témoins oculaires qui ont vu la

 21   chose. Parce que ma maison était éloignée du point d'arrivée des bus, donc

 22   moi je n'ai pas vu tout cela, mais d'autres habitants du village m'ont

 23   raconté que 8 bus et un minibus de Nis étaient arrivés à Zheger et

 24   s'étaient rendus à l'école du village.

 25   Question: Que s'est-il passé ensuite?

Page 1527

  1   Réponse: Eh bien, le soir, c'est-à-dire vers 18 heures, les habitants

  2   serbes de Zheger avaient préparé un plan de liquidation.

  3   Question: Monsieur, je ne vous demande pas de me donner un commentaire sur

  4   ce qui s'est passé, sur qui a planifié tout cela. Je voudrais savoir qui a

  5   fait quoi?

  6   Réponse: Eh bien, il y a eu un meurtre dans la maison de Tahir Tahiri,

  7   président de la Ligue démocratique du Kosovo, et ils ont tué son frère,

  8   Shyqeri Tahiri. Et la famille de Nasuf Tahiri était présente; et la fille

  9   de Nasuf Tahiri, Nexharije, a été blessée.

 10   La maison du président de la LDK a été signalée, a été identifiée par des

 11   Serbes de l'endroit. Et c'est alors que le sang des résidents albanais a

 12   commencé à couler. Ils étaient sans défense et ils n'avaient aucune arme,

 13   ils étaient dans leur propre maison.

 14   Cette nuit-là, pendant cette nuit atroce, certains des résidents des

 15   maisons aux alentours -en entendant les tirs- ont quitté leur maison, ont

 16   fui, courant de jardin en jardin, craignant de rencontrer les forces

 17   serbes qui étaient prêtes à tirer sur tous ceux qu'ils verraient.

 18   De ce fait, un certain nombre de villageois albanais, au cours de cette

 19   nuit du 29 mars, ont passé la nuit sur la colline de Kusljevica afin de se

 20   protéger de l'armée serbe qui avait commencé son opération d'expulsion de

 21   la population.

 22   Moi, j'étais parmi ces gens-là, j'étais avec ma famille, et nous avons

 23   tous passé la nuit là-haut. Au matin...

 24   Question: Bien. Avant de parler du matin, je souhaiterais que vous me

 25   donniez un certain nombre de précisions.

Page 1528

  1   Vous nous dites que ce soir-là deux personnes ont reçu des coups de feu.

  2   Une personne a été tuée, M. Tahiri, et une jeune fille a reçu un coup de

  3   feu au niveau du pied.

  4   Je voudrais savoir de quelles forces serbes vous nous avez parlé? Que

  5   voulez-vous dire par là précisément? Est-ce qu'il y avait un seul type de

  6   forces serbes? Est-ce qu'il y en avait plusieurs? Est-ce que vous pouvez

  7   nous dire précisément de quel type de forces serbes vous parlez?

  8   Réponse: C'était un mélange de forces serbes, les forces que l'on a vues à

  9   Zheger. Vous aviez d'une part l'armée régulière, il y avait également des

 10   paramilitaires, il y avait aussi des civils serbes armés qui étaient munis

 11   de leurs propres armes. C'était un mélange d'hommes, une force serbe mixte

 12   présente dans notre village.

 13   Question: Est-ce qu'il y avait des policiers dans votre village?

 14   Réponse: Oui. Le poste de police, il y en a un aussi à Zheger, et ils

 15   étaient aussi dans le village.

 16   Question: Vous nous avez dit que les habitants du village étaient

 17   terrorisés, à tel point qu'ils ont quitté le village en s'enfuyant et en

 18   passant de jardin en jardin. Mais quels sont les événements qui ont

 19   provoqué cette peur chez les habitants du village, qui les a incités à

 20   partir ainsi?

 21   Réponse: Ils ont été contraints, forcés de partir à cause de ce crime

 22   commis ce soir-là et à cause des tortures infligées à ceux qui étaient

 23   trouvés sur les routes. Il y a un père et son fils qui ont été frappés par

 24   des soldats serbes et des paramilitaires serbes. Et certains habitants ont

 25   paniqué et sont allés sur la colline de Kusljevica, où ils ont passé la

Page 1529

  1   nuit du 29 mars.

  2   Question: Vous nous avez décrit la composition mixte des forces serbes. Je

  3   voudrais savoir s'ils ont fait usage de leurs armes, d'une manière ou

  4   d'une autre, en dehors des tirs à l'encontre de M. Tahiri et de sa fille?

  5   Réponse: Bien entendu, oui. Pour le meurtre de Shyqeri Tahiri, oui; ce

  6   crime a été commis au moyen d'armes automatiques et sa fille a été blessée

  7   avec une arme automatique. En plus de cela, ils tiraient en l'air pour

  8   faire peur à la population albanaise et pour les chasser du village.

  9   Question: Je vais vous demander de vous concentrer sur certains points.

 10   Si j'ai bien compris, vous-même en compagnie de votre famille, vous êtes

 11   montés sur la colline de Kusljevica. Est-ce bien exact?

 12   Réponse: Oui. Oui, c'est vrai.

 13   Question: Quand vous êtes arrivés là, ce soir-là, est-ce que vous y avez

 14   trouvé beaucoup de monde? Etes-vous en mesure de nous dire s'il y avait

 15   beaucoup de monde? Combien vous étiez?

 16   Réponse: Oui, il y avait beaucoup de monde: environ 1.200 personnes. Il y

 17   avait là des femmes, des enfants, des hommes, toutes sortes de gens. Il

 18   pleuvait. Il pleuvait beaucoup et toute la population était là-haut.

 19   M. Ryneveld (interprétation): Je m'excuse. Je vous ai interrompu au moment

 20   où vous avez commencé à nous parler du lendemain matin; je vous ai arrêté

 21   pour vous demander un certain nombre de précisions. Maintenant, racontez-

 22   nous ce qui s'est passé le lendemain matin?

 23   M. Shabani (interprétation): Le lendemain matin, c'est-à-dire le 30 mars,

 24   un jour que le peuple albanais ne peut oublier parce que, ce jour-là

 25   aussi, des victimes innocentes ont péri aux mains des forces serbes...

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  1   M. le Président (interprétation): Veuillez, s'il vous plaît, simplement

  2   nous dire ce qui s'est passé.

  3   M. Shabani (interprétation): C'est le jour où Ukshin Ukshini et sa femme

  4   Miradia ont été assassinés, le matin du 30. Dans le même temps, toutes les

  5   forces serbes présentes dans le village ont commencé à pénétrer dans les

  6   maisons, l'une après l'autre, chassant les habitants, les effrayant pour

  7   qu'ils quittent leur maison.

  8   M. Ryneveld (interprétation): Et où sont partis les habitants du village?

  9   Réponse: Les habitants de Zheger, expulsés sous la menace des forces

 10   serbes, sont pour certains d'entre eux allés à Stubell e Ulet et, du nord,

 11   ils sont allés dans la direction de Koresht, escortés par les forces

 12   serbes; mais la plupart d'entre eux sont allés à Shtubell. Mais ce jour-

 13   là, Skender Aliu a été sauvagement battu, ainsi que son frère Xhafer Aliu;

 14   ils ont tous deux été tabassés dans leur propre maison, à coups de crosse

 15   de fusil. Et on leur a dit de quitter leur maison très vite. Comme pour

 16   tout le monde d'ailleurs.

 17   Question: Bien. Je vous interromps quelques instants pour vous demander

 18   comment vous avez appris la mort d'Ukshin Ukshini, ainsi que le passage à

 19   tabac de ces deux autres hommes. Est-ce que ceci vous a été rapporté par

 20   d'autres personnes, ou vous a été rapporté le jour même ou ultérieurement,

 21   ou est-ce que vous y avez assisté vous-même?

 22   Réponse: Non, non, pas le jour même. Mais ce sont les habitants du village

 23   qui habitaient à côté d'Ukshin Ukshini et qui ont été expulsés dans la

 24   même direction que nous, c'est-à-dire vers Shtubell. En ce qui concerne

 25   Skender et Xhafer Aliu, ils sont venus eux à Shtubell; là, nous avons pu

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  1   voir les traces de ce qui leur était arrivé.

  2   Question: Donc ils vous ont raconté ce qui leur était arrivé et vous avez

  3   pu voir les traces laissées par ces passages à tabac?

  4   Réponse: Oui, c'est exact. C'est exact. Je l'ai vu moi-même, de mes yeux,

  5   parce que j'ai pu voir les traces sur leurs visages et sur d'autres

  6   parties de leur corps.

  7   Question: Afin que les choses soit bien claires, je voudrais vous poser la

  8   question suivante: précédemment, je vous ai montré une carte détaillée, la

  9   deuxième carte et je vous ai demandé de m'indiquer Donja Stubla. Vous

 10   venez de parler de Shtubell: est-ce que c'est le même lieu ou est-ce que

 11   c'est un endroit différent? Ou est-ce que je me trompe?

 12   Réponse: Oui, c'est le même lieu. Parce que les cartes sont libellées en

 13   serbo-croate et pas en albanais.

 14   Question: Donc l'endroit que vous nous avez indiqué sur la carte comme

 15   étant Donja Stubla, c'est l'endroit où vous nous dites que vous-même et

 16   d'autres habitants avez été envoyés la deuxième fois, lors de votre

 17   deuxième expulsion de Zheger. C'est bien exact?

 18   Réponse: Tous les habitants n'ont pas pu trouver à se loger à Shtubell,

 19   car il n'y avait pas assez de maisons pour tout le monde. Donc s'ils sont

 20   réfugiés sous des tentes, sur les pentes autour de Donja Stubla, c'est-à-

 21   dire dans la partie supérieure de Stubla. Donc les habitants de Zheger,

 22   les habitants albanais de Zheger étaient dans cette situation.

 23   M. Ryneveld (interprétation): Donc vous et les autres réfugiés originaires

 24   du village de Zegra, vous vous êtes rendus vers le village Donja Stubla et

 25   avez essayé de trouver un abri quelconque là-bas?

Page 1532

  1   M. le Président (interprétation): Oui, c'est bien ce qu'il a dit. Essayons

  2   d'en terminer avec le témoignage principal de ce témoin dans cet après-

  3   midi.

  4   M. Ryneveld (interprétation): Certainement.

  5   Mais redites-nous combien de temps vous êtes restés au village de Donja

  6   Stubla?

  7   M. Shabani (interprétation): Eh bien, je suis resté dans ce village de

  8   Donja Stubla avec ma famille depuis le 30 mars jusqu'au 4 mai. Pendant

  9   notre séjour au village de Donja Stubla, il est survenu bon nombre

 10   d'événements tragiques dans cette région, à savoir dans les villages

 11   avoisinants du village de Stubla.

 12   Je puis mentionner la journée du 15 avril, lorsque le village de Delakarë

 13   dans la municipalité de Vitina avait été exposé à des actes de terrorisme

 14   perpétrés par des effectifs paramilitaires et militaires serbes.

 15   Question: Je me propose de résumer ce que je pense que vous souhaiteriez

 16   dire.

 17   Pendant que vous étiez au village de Donja Stubla, dites-nous, je vous

 18   prie, si les villageois des autres villages étaient également venus se

 19   réfugier dans ce village de Donja Stubla?

 20   Réponse: Oui, un grand nombre de personnes s'étaient rendues là-bas.

 21   Question: Pendant que vous vous trouviez là, combien de réfugiés s'étaient

 22   rassemblés, plus ou moins, au village de Donja Stubla pendant que vous

 23   vous y trouviez?

 24   Réponse: Oui. Je pourrais vous dire que pendant mon séjour là-bas, lorsque

 25   les gens affluaient des villages avoisinants, tels que Nasale, Lladovë et

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  1   Mogilla, ceux qui étaient venus de Gornja Stubla et de Donja Stubla

  2   avaient totalisé une vingtaine de milliers d'habitants, mais c'est juste

  3   une estimation.

  4   Question: Fort bien.

  5   Vous nous avez dit que vous êtes restés là-bas jusqu'au 4 mai. Pendant que

  6   vous étiez à Donja Stubla, est-ce que l'une quelconque des 20.000

  7   personnes, que vous venez de mentionner, a décidé de quitter cette région?

  8   Réponse: En effet. Depuis le moment où l'on a attaqué les villages de

  9   Delekarë, Ribnik et Lladovë, où ces villages ont été attaqués par les

 10   effectifs paramilitaires et militaires serbes, il s'est posé un problème

 11   de vivres et d'eau potable. Et au fur et à mesure que le temps passait, la

 12   situation se faisait plus critique parce que les gens vivaient sous des

 13   tentes en matière plastique, et un très grand nombre de gens s'étaient

 14   rassemblés là-bas, ce qui fait que cela avait l'apparence d'un camp de

 15   concentration. La population était essentiellement constituée de femmes,

 16   d'enfants et d'hommes. Compte tenu de cette situation déplorable, les gens

 17   avaient commencé à s'organiser spontanément.

 18   Ce qui fait qu'à compter du 15 avril, certains groupes de personnes ont

 19   commencé à quitter le village de Donja Stubla pour se diriger vers la

 20   frontière macédonienne, convaincus qu'ils allaient y trouver un abri.

 21   Question: Avez-vous entendu parler, Monsieur, de certains villageois qui

 22   avaient essayé de retourner vers leur village? Et est-ce qu'ils sont

 23   revenus pour vous relater ce qu'ils y avaient retrouvé?

 24   Réponse: Oui. Je n'ai pas très bien compris à quel village vous vous

 25   référiez. Est-ce que vous vous référiez à Delakarë ou au village de

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  1   Ribnik?

  2   Question: Est-ce que l'une quelconque de ces 20.000 personnes avait essayé

  3   de retourner vers son village? Et sont-ils revenus par la suite à Stubla

  4   pour raconter ce qu'ils y avaient trouvé? Si vous ne savez pas nous dire,

  5   c'est tout aussi bien; dites-nous que vous ne savez pas.

  6   Réponse: Non. Il est vrai que certaines personnes s'en étaient revenues

  7   chez elles et avaient trouvé leur domicile pillé. Certains domiciles

  8   avaient été incendiés. Mais cela n'est arrivé qu'au bout d'un certain

  9   temps, au bout d'une dizaine de jours, dans les villages de Delekare et

 10   Ribnik, alors que le reste de la population s'était enfui.

 11   Question: Et si j'ai bien compris, vous avez fui avec ces gens-là. Le 4

 12   mai, vous avez décidé de fuir vers la Macédoine, n'est-ce pas?

 13   Réponse: Oui c'est exact, c'est ce que nous avons fait le 4 mai. La

 14   pauvreté, la misère et les pénuries de vivres nous ont incité à nous

 15   déplacer. Et puis, il y avait la peur des tirs, des armes à feu, de tout

 16   ce que l'on entendait faire par l'armée serbe. Compte tenu de ces

 17   mouvements de l'armée, nous nous étions sentis en péril. Nous étions un

 18   groupe d'environ 600 personnes qui avait décidé de se déplacer vers la

 19   Macédoine.

 20   Question: Si j'ai bien compris, vous aviez marché, vous êtes allés là-bas

 21   à pied et puis vous avez fait une halte quelque part. Où cela?

 22   Réponse: Oui, le 4 mai nous nous déplacions la nuit, il devait être vers 8

 23   heures du soir. Nous nous déplacions la nuit parce que nous ne voulions

 24   pas être découverts par les effectifs serbes et nous ne voulions plus être

 25   exposés à quelque souffrance que ce soit.

Page 1535

  1   Aussi pendant notre déplacement avons-nous traversé le Donja Stubla, le

  2   village de Selishter, puis nous avons continué au travers de la cité de

  3   Sufaj et nous sommes arrivés au village de Seferaj qui se trouve...

  4   Question: Cela suffit. Vous avez passé la nuit là. Et le matin suivant,

  5   vous avez marché à pied jusqu'à Rustaj, n'est-ce pas?

  6   Réponse: Oui c'est cela, c'est exact à Rustaj. Nous sommes arrivés à

  7   Rustaj vers 2 heures.

  8   Question: Est-ce qu'il est arrivé quelque chose là-bas et, si oui, dites-

  9   nous quoi?

 10   Réponse: Notre groupe qui se dirigeait vers la Macédoine, une fois arrivé

 11   à la cité de Rustaj, était tombé sur des forces militaires et

 12   paramilitaires serbes. Ces dernières nous ont encerclés et, sous la

 13   menace, après avoir été fouillés, nous nous étions sentis en insécurité

 14   complète, et les hommes âgés de 16 à 60 ans se sont vus séparer des femmes

 15   et enfants, puis nous avons été emmenés à quelques 500 mètres du reste du

 16   groupe, puis on nous a donné l'ordre de nous mettre à genoux et de garder

 17   les bras au-dessus de la tête.

 18   Nous étions complètement cernés par ces forces serbes parmi lesquelles il

 19   y avait également des paramilitaires. Les membres de ces effectifs

 20   paramilitaires étaient tout le temps drogués. J'avais remarqué que leur

 21   comportement à notre égard était très brutal. On nous avait menacés de

 22   nous tuer, nous avons entendu des cris, des pleurs de femmes et d'enfants

 23   qui se trouvaient là-bas. Lorsque la situation s'était faite alarmante,

 24   certains soldats nous ont donné l'ordre de nous relever. A ce moment-là,

 25   les femmes et les enfants qui étaient toujours en train de crier, de

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  1   pleurer, se rapprochaient de nous et nous ont rejoints.

  2   Question: Je vais vous arrêter ici. Donc vous vous étiez réunis, une fois

  3   de plus, avec ces femmes et ces enfants. Et si je comprends bien, vous

  4   avez continué. Comment avez-vous fini par savoir où vous vous dirigiez et

  5   comment êtes-vous arrivés là où vous vous étiez dirigés?

  6   Réponse: Lorsque nous avons, une fois était de plus, été tous ensemble,

  7   réunis avec les femmes et les enfants, ils nous ont donné l'ordre de

  8   continuer à marcher pendant à peu près un kilomètre, et -chemin faisant-

  9   ils nous escortaient. Ils se trouvaient des deux côtés de notre colonne,

 10   de notre groupe.

 11   Puis ils nous ont demandés de nous asseoir sur un pré. Et pendant que nous

 12   étions assis dans ce pré, le commandant de cette unité militaire s'est

 13   approché de nous avec quatre paramilitaires, avec des armes pointées vers

 14   nous. En fait, les armes étaient pointées vers moi et ils m'avaient

 15   menacé.

 16   Question: Comment?

 17   Réponse: Eh bien, ils m'avaient menacé par les propos qu'ils avaient

 18   prononcés en demandant des explications sur les raisons pour lesquelles

 19   nous avions fait appel à l'OTAN. Ils ont commencé à m'injurier parce que

 20   j'étais Albanais. Ils avaient recouru à des obscénités. Nous sommes restés

 21   là à peu près une heure et je me suis efforcé de garder mon calme, mon

 22   sang-froid.

 23   Question: Pendant combien de temps se sont-ils adressés à vous, et

 24   comment?

 25   Réponse: Eh bien, ils ne s'adressaient à moi qu'en serbe, pas dans une

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  1   autre langue.

  2   Question: Au bout de cette heure, qu'est-il arrivé?

  3   Réponse: Alors, on nous a donné l'ordre de continuer en direction de

  4   Presevo et le village de Hoxhe e Presevo, et on nous a dit de pas nous

  5   retourner. Et si nous osions quitter la route qu'on nous avait dit de

  6   suivre, on nous a dit que nous serions abattus.

  7   Question: Est-ce que vous avez suivi leurs instructions?

  8   Réponse: Au début oui, nous nous sommes conformés à leurs instructions.

  9   Jusqu'au moment où nous avions pensé qu'il valait mieux bifurquer parce

 10   que nous avions peur de tomber sur d'autres forces.

 11   Certains, parmi nous, connaissaient mieux le terrain et nous avaient dit

 12   d'aller vers les collines. C'est ce que nous avons fait. Le groupe entier

 13   s'est dirigé vers les monts et nous nous étions approchés de la frontière

 14   macédonienne.

 15   Cette nuit, le groupe entier de citoyens déportés avait passé la nuit dans

 16   la localité de Malifac, sous la pluie. Le jour suivant, très tôt, nous

 17   sommes partis sous les instructions d'une personne qui connaissait la

 18   route à suivre et qui avait certaines relations avec les effectifs serbes.

 19   C'est cette personne-là qui nous avait dit où il fallait aller. Et en

 20   échange...

 21   Question: Fort bien. Finissez votre phrase et j'ai une question. En

 22   échange, quoi?

 23   Réponse: Cette personne, qui avait certaines relations avec des forces

 24   serbes, nous avait demandé à nous, membres du groupe, de lui confier un

 25   montant de deutschemarks déterminé pour nous montrer le chemin. Je crois

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  1   que tout cela avait été fait en collaboration avec les effectifs serbes

  2   frontaliers.

  3   Question: Et chemin faisant, avez-vous rencontré d'autres réfugiés

  4   originaires de Zegra?

  5   Réponse: Oui. A Malifac, il y avait un autre groupe qui avait été installé

  6   à Presevo et dans les autres villages avoisinants; ils devaient être

  7   environ 300. L'une de ces personnes connaissait le chemin et c'est elle

  8   qui nous a montré par où il fallait passer.

  9   Question: Est-ce que l'on pourrait dire que votre groupe avec cet autre

 10   groupe de 300 personnes qui s'était joint à vous, vous avez constitué un

 11   groupe combiné et c'est ensemble que vous avez traversé la frontière,

 12   n'est-ce pas?

 13   Réponse: Oui, c'est exact. Notre groupe et un autre groupe s'étaient

 14   joints l'un à l'autre, et nous avons traversé la frontière au point de

 15   contrôle: nous sommes passés en Macédoine.

 16   Question: Monsieur, j'ai encore quelques questions à vous poser. Je vous

 17   demanderai de vous pencher une fois de plus sur la pièce à conviction n°3,

 18   carte 10. Comme je l'ai déjà dit, nous étions censés revenir à cette carte

 19   ultérieurement.

 20   Pourriez-vous montrer à la Chambre quelle est la voie, le chemin que vous

 21   avez suivi jusqu'à la frontière, en d'autres termes, partant du village de

 22   Zegra? Je vous demande de ne pas faire de commentaire, mais juste de

 23   montrer avec le pointeur sur la carte quel est le chemin que vous avez

 24   suivi et où vous avez traversé la frontière, sans nous donner d'autres

 25   détails à ce sujet. Est-ce que vous avez bien compris ma question?

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  1   Réponse: Oui, oui.

  2   Question: Eh bien, cela nous sera très utile. Je vous prie de partir du

  3   village de Zegra.

  4   Réponse: Ici, se trouve le village de Zegra. Ici, se trouvaient les

  5   réfugiés. Puis nous avons suivi cet itinéraire-ci que je suis en train de

  6   vous indiquer avec mon pointeur.

  7   Question: Bien.

  8   Réponse: Nous avons traversé la rivière, puis là, Suferaj, la cité de

  9   Suferaj, puis Rushtajë, et ainsi de suite.

 10   Question: Jusqu'à la Macédoine, n'est-ce pas?

 11   Réponse: C'est cela. Et après, nous sommes passés en Macédoine.

 12   Question: Si nous nous penchons sur cette carte et aux fins du compte

 13   rendu d'audience, si nous nous penchons sur l'emplacement du village de

 14   Zegra, nous pouvons constater qu'il y a deux chemins fléchés qui vont vers

 15   la frontière. Vous avez pris le chemin qui se trouve à droite, n'est-ce

 16   pas?

 17   Réponse: Oui, c'est cela. Le chemin indiqué par les fléchettes de droite;

 18   c'était l'itinéraire que nous avions suivi.

 19   M. Ryneveld (interprétation): Juste encore une question, Monsieur. Une

 20   fois que vous êtes revenus dans votre village, pouvez-vous nous dire dans

 21   quel état vous avez retrouvé ce village de Zegra?

 22   M. Shabani (interprétation): Pendant que nous nous trouvions à Donja

 23   Stubla, à savoir depuis le 5 avril, le village de Zegra a été incendié.

 24   Les maisons ont été incendiées, les maisons des citoyens albanais ont été

 25   incendiées et cela a été fait par l'armée serbe et les unités

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  1   paramilitaires serbes.

  2   M. le Président (interprétation): Monsieur Shabani, nous avancerons mieux

  3   si vous écoutez les questions qui vous sont posées.

  4   M. Ryneveld (interprétation): Est-ce que vous êtes revenus au village de

  5   Zegra?

  6   M. Shabani (interprétation): Oui, oui, nous sommes revenus le 26 juin.

  7   Question: Une fois arrivés là-bas, dans quel état avez-vous retrouvé les

  8   maisons albanaises d'une manière générale?

  9   Réponse: D'une manière générale, les maisons des Albanais avaient été

 10   incendiées, en totalité ou en partie. Seules quelques-unes des maisons

 11   sont restées intactes. Je pourrais même dire qu'aucune maison n'était

 12   restée complètement intacte. La plupart des maisons, la plupart des 120

 13   maisons existantes avaient été entièrement incendiées; 420 maisons ont été

 14   partiellement incendiées et un petit nombre était resté plus ou moins

 15   intact.

 16   Question: Et les maisons des Serbes?

 17   Réponse: Les maisons des Serbes sont restées intactes. Quand je suis

 18   revenu de Macédoine -et je suis revenu là-bas en voiture-, le propriétaire

 19   de la voiture en question m'avait amené jusqu'au village; les Serbes

 20   locaux se préparaient à quitter le village de Zegra à ce moment.

 21   M. Ryneveld (interprétation): Eh bien, c'étaient toutes les questions que

 22   j'avais l'intention de vous poser.

 23   Je vous remercie, Monsieur.

 24   M. le Président (interprétation): Nous allons continuer demain notre

 25   contre-interrogatoire.

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  1   Monsieur Shabani, pendant cette interruption, je vous demande de pas

  2   perdre de vue la nécessité de ne vous entretenir avec personne de votre

  3   témoignage et cela inclut les membres du Bureau du Procureur.

  4   Je vous prie d'être ici demain matin, à 9 heures, pour mettre un terme à

  5   votre témoignage.

  6   Nous levons la séance et nous continuons après demain matin à 9 heures.

  7   (L'audience est levée à 15 heures 55.)

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