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1 (Vendredi 19 avril 2002.)
2 (L'audience est ouverte à 9 heures.)
3 (Audience publique.)
4 (Le témoin, M. Veton Surroi, est dans le prétoire.)
5 (Suite du contre-interrogatoire du témoin, M. Veton Surroi , par M.
6 Slobodan Milosevic.)
7 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous avez la parole.
8 M. Milosevic (interprétation): Il me reste peu de temps mais pendant le
9 temps qui m'est imparti, je vais vous poser des questions auxquelles vous
10 posez apporter une réponse négative ou affirmative.
11 Est-ce que vous êtes devenu membre de la délégation de négociations pour
12 les négociations impliquant le gouvernement de la République de Serbie et
13 pour les négociations de Rambouillet à la demande des Américains?
14 M. Surroi (interprétation): Non.
15 Question: Est-ce que vous étiez à même d'être leur homme au sein de la
16 délégation albanaise?
17 Réponse: Je ne comprends pas votre question.
18 Question: Moi, je n'ai pas compris votre réponse.
19 Réponse: Je n'ai pas compris la question.
20 M. Milosevic (interprétation): Je vous ai demandé si vous étiez l'homme
21 des Américains au sein de la délégation albanaise?
22 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous pourriez nous en dire un
23 petit peu plus, Monsieur Milosevic? Qu'entendez-vous par là?
24 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous travailliez pour les
25 Américains au sein de cette délégation?
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1 M. Surroi (interprétation): Non.
2 Question: Vous avez évoqué Gelbard, Holbrooke, Hill dans les événements
3 qui se sont produits en 1998 et 1999. N'est-il pas exact que ce sont les
4 représentants des Etats-Unis qui ont joué un rôle-clé quant à la remise
5 sur pied de l'UCK, quant à la préparation sur le terrain pour permettre
6 une l'intervention de l'OTAN?
7 Réponse: Non. Je crois que le rôle-clé, c'est vous-même qui l'avez joué.
8 Question: Est-ce que les représentants allemands ont joué un rôle
9 quelconque?
10 Réponse: L'Allemagne, comme tout le monde le sait est un pays membre de
11 l'Union européenne. A ce titre, elle a pris part aux négociations.
12 Question: Est-ce que vous pensez qu'ils ont joué un rôle fondamental pour
13 ce qui est de la stabilisation du pays?
14 Réponse: Je crois que celui qui a joué un rôle-clé dans le cadre de la
15 destruction de la Yougoslavie, c'est vous-même.
16 Question: Et ce que je dis n'est-il pas corroboré par la réunion que vous
17 avez eue avec Clinton qui a envoyé un signal clair: vous vouliez tourner
18 le dos aux négociations et vous vouliez employer la force contre la
19 Yougoslavie?
20 Réponse: Je ne vois pas en quoi cela aurait un lien avec le Président
21 Clinton mais, pendant la discussion que nous avons eue avec le Président
22 Clinton, l'accent a été placé sur l'établissement d'un cadre propice à
23 l'établissement d'un climat de sécurité. Nous voulions lancer un processus
24 de négociations qui pourrait aboutir. La délégation des Albanais du Kosovo
25 a toujours été prête à s'engager dans ce processus.
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1 Question: Vous affirmez donc, qu'à l'époque, la décision principale
2 n'était pas d'user la force contre la Yougoslavie?
3 Réponse: Absolument pas. Mais je ne vois pas en quoi tout ceci a un lien
4 avec le fait qu'à l'époque, au Kosovo, il y avait escalade de la violence,
5 escalade entretenue par les forces des autorités serbes; il y a eu
6 massacre de civils, y compris d'enfants, de femmes enceintes, de civils
7 désarmés.
8 Question: Cette réunion, sur le plan pratique, a signifié la fin de toute
9 communication avec la délégation serbe, a marqué la fin des négociations
10 de Rambouillet, a marqué les débuts des préparatifs pour la guerre. C'est
11 ainsi qu'on peut voir les choses si on regarde la séquence des événements
12 qui ont suivi.
13 Réponse: Non, vous oubliez toujours qu'après, pour parler avec Clinton,
14 vous avez vous-même rencontré son envoyé, Christopher Hill, qui vous a
15 indiqué qu'elle était l'opinion du camp kosovar et la délégation albanaise
16 a également rencontré M. l'ambassadeur Hill qui nous a fait part de
17 l'opinion de la délégation serbe. Vous avez donné votre accord à toutes
18 ces démarches.
19 Question: Mais après cela, lors des réunions auxquelles ont assisté la
20 délégation du gouvernement de Serbie, ces 11 réunions qui ont eu lieu,
21 vous n'avez pas répondu et vous n'avez pas assisté à ces réunions, n'est-
22 ce pas exact?
23 Réponse: La délégation du gouvernement serbe a assisté à certaines
24 réunions. Leur invitation était urbi et orbi de rencontrer les Albanais.
25 Il n'y a jamais eu proposition de rencontrer quelque délégation que ce
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1 soit et, de toute façon, cela n'a aucun lien avec les événements qui se
2 produisaient à l'époque. La délégation du gouvernement serbe avait lancé
3 une invitation; ceux qui ont pris part à ces réunions ne représentaient
4 qu'une fraction infime de la société albanaise.
5 Question: Quand vous parlez de "fraction infime de la société albanaise",
6 est-ce que vous parlez des représentants des autres communautés ethniques?
7 Merci de me répondre par un oui ou par un non?
8 Réponse: L'invitation était destinée aux Albanais, c'est ce que qui a été
9 dit.
10 Question: Thaci Selim et Haradinaj, ce qu'ont fait ces deux hommes en
11 matière d'enlèvements, de massacres de soldats, de policiers, de civils,
12 qu'il s'agisse de Serbes ou de civils, ces agissements constituent-ils des
13 crimes à vos yeux ou pas?
14 Réponse: Je crois que nous avons déjà débattu de cela hier.
15 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que cela constitue à vos yeux un
16 crime ou pas?
17 M. le Président (interprétation): C'est exact. Nous avons déjà couvert
18 tout cela hier. Il ne convient pas de passer plus de temps à débattre de
19 la question.
20 M. Milosevic (interprétation): Et qu'en est-il de l'attaque lancée par
21 l'OTAN contre la Yougoslavie? Est-ce que cela constitue un crime?
22 M. le Président (interprétation): La Chambre aura à se prononcer sur cela,
23 le Témoin n'a pas à exprimer son opinion.
24 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, le Témoin nous fait part de ses
25 opinions. Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas émettre son opinion
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1 vis-à-vis de cette question.
2 M. le Président (interprétation): Le Témoin essaye de vous répondre; et
3 vous lui demandez son opinion, c'est à vous qu'il essaie de répondre. Son
4 opinion, en l'occurrence, n'a pas de pertinence. Vous pouvez lui demander
5 quelle est sa réaction vis-à-vis de l'attaque mais ce n'est pas tout à
6 fait la même chose.
7 M. Milosevic (interprétation): Mais c'est précisément ce qui m'intéresse:
8 est-ce qu'il considère que cette attaque constitue un crime oui ou non?
9 M. le Président (interprétation): Là n'est pas la question. Ce que le
10 Témoin a déclaré, c'est que les bombardements ont été accueillis avec
11 soulagement par les Albanais. C'est sur cela que vous pouvez lui poser des
12 questions et pas sur autres choses.
13 M. Milosevic (interprétation): Très bien.
14 Parlons de la réunion entre les Serbes et les Albanais qui s'est tenue à
15 Munich et qui a été préparée par la fondation allemande Bertelsmann. Vous
16 avez déclaré que les idées de l'Union européenne quant à l'intégration
17 dans le système d'un Etat démocratique et moderne, vous avez dit donc que
18 ces idées permettraient aux Albanais de donner forme à leurs aspirations,
19 pourraient enfin leur permettre de vivre ensemble.
20 Lorsque vous dites "vivre ensemble", vous voulez dire: vivre ensemble en
21 tant qu'Albanais en Albanie? Est-ce que c'est ce que vouliez dire oui ou
22 non?
23 M. Surroi (interprétation): Non, je faisais référence à une communauté
24 multiethnique au sein du Kosovo.
25 Question: Et qu'en est-il de la question qui se trouvait au cœur même du
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1 concept établi par la Fondation Bertelsmann? Est-ce que vous pensez qu'il
2 s'agissait là de la mise en place d'un Kosovo indépendant?
3 Réponse: Non, la question était de savoir si l'on pouvait lancer un
4 processus. Si le processus permettait d'aboutir à l'indépendance du
5 Kosovo, tant mieux. Mais ce dont nous débattions, c'était de
6 l'établissement d'un processus qui permettrait de normaliser la situation
7 qui prévalait à l'époque, qui permettrait la tenue de négociations sur le
8 statut du Kosovo.
9 Question: Vous avez déclaré que vous jouissiez du soutien du ministre des
10 Affaires intérieures, Dusan Mihajlovic. Est-ce que vous bénéficiiez du
11 soutien de quelque autre homme politique serbe qui était en poste à
12 l'époque?
13 Réponse: Je n'ai pas dit que jouissais du soutien de telle ou telle
14 personne. J'ai dit que l'un des participants actifs à la réunion venait de
15 M. Dusan Mihajlovic qui est, à l'heure actuelle, ministre des Affaires
16 intérieures. Et j'ai dit également que j'avais estimé, au vu de mes
17 entretiens avec M. Mihajlovic, qu'il avait toujours été convaincu de
18 trouver une solution pacifique. Un grand nombre des membres de
19 l'opposition serbe de l'époque étaient également de cet avis,
20 manifestaient le même comportement.
21 Question: Vous avez également indiqué que les tensions au Kosovo étaient
22 causées par les aspirations de la mise en place d'une Grande Serbie. Est-
23 ce que vous considérez que le Kosovo ne fait pas partie de la Serbie? Est-
24 ce qu'on parle ici d'un pays ou d'un territoire?
25 Réponse: Je n'ai jamais considéré que le Kosovo faisait partie de la
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1 Serbie.
2 M. Milosevic (interprétation): Si nous suivons cette même logique, est-ce
3 que nous pouvons parler d'une hégémonie de la Grande Espagne au Pays
4 basque? Est-ce qu'on peut parler de l'hégémonie de la Grande Turquie?
5 J'essaie de suivre votre logique.
6 M. le Président (interprétation): Nous parlons ici du Kosovo.
7 M. Milosevic (interprétation): En décembre 1997, vous avez pris part à une
8 discussion dans le cadre de l'initiative pour une paix internationale à
9 Washington. Vous avez essayé de vous prononcer sur la politique non
10 violente dont Rugova était l'un des principaux partisans et vous avez
11 déclaré qu'il s'agissait d'une politique de non-action, une politique de
12 ce type. N'est-ce pas exact?
13 M. Surroi (interprétation): C'est l'interprétation que Rugova faisait
14 d'une politique pacifique; c'est en fait une politique passive.
15 Question: Est-ce que vous dites qu'au Kosovo, au Metohija, il était
16 nécessaire de s'engager dans une politique de violence, ce qui a été
17 effectivement était le cas un mois plus tard, en 1998?
18 Réponse: J'ai évoqué quel avait été mon comportement et quel avait été mon
19 raisonnement: la résistance pacifique suppose une certaine activité, ne
20 suppose pas la violence. Je pense que la passivité permet -et cela a été
21 le cas- de se retrouver dans une situation où il y a des manifestations
22 qui sont des manifestations violentes.
23 Question: Vous êtes l'un des signataires du texte rédigé par 123
24 intellectuels albanais? Ce mémorandum a été également signé par le
25 Secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana. Ce mémorandum demandait une
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1 intervention de la communauté internationale, une intervention militaire
2 au Kosovo. Est-ce exact ou non?
3 Réponse: Je n'ai pas connaissance de ce mémorandum. Moi, mes actions ont
4 toujours eu un seul but: assurer la protection des citoyens du Kosovo.
5 J'ai toujours pensé qu'une intervention militaire pouvait le permettre.
6 Question: Lors de la conférence sur le Kosovo-Metohija, qui s'est tenue à
7 Athènes, le 27 mars 1998, vous avez déclaré que le processus de
8 désintégration de la Yougoslavie devait aboutir au départ du Monténégro,
9 du Kosovo et peut-être même à la désintégration de la Serbie elle-même.
10 Est-ce exact ou non?
11 Réponse: Je n'ai aucun souvenir d'avoir dit quoi que ce soit à propos de
12 la Serbie, mais je crois que les événements qui ont marqué la
13 désintégration de la République socialiste de Yougoslavie. Je pensais que
14 cet ensemble d'événement permettrait, à terme, l'indépendance du Kosovo et
15 du Monténégro.
16 M. Milosevic (interprétation): Vous avez également évoqué la
17 désintégration de la Serbie.
18 Est-ce que vous avez l'impression qu'à l'heure actuelle, ce plan est mis
19 en place par le régime fantoche de Belgrade?
20 M. le Président (interprétation): Cela ne nous intéresse pas. Le Témoin a
21 déclaré qu'il n'avait rien dit à propos de la Serbie.
22 M. Milosevic (interprétation): Morton Abramovic était-il le conseiller de
23 Thaci à Rambouillet?
24 M. Surroi (interprétation): Monsieur Abramovic était effectivement
25 conseiller auprès de la délégation kosovare. C'est moi qui lui en avais
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1 fait la demande.
2 Question: Est-ce que vous l'avez invité individuellement? Est-ce qu'il n'y
3 avait que lui qui servait de conseiller ou est-ce qu'il y avait d'autres
4 personnes au sein du groupe de crise internationale qui jouaient ce rôle,
5 y compris Albright, Clark, Ashdown, qui est venu il y a quelque temps
6 témoigner dans le cadre de ce procès? Est-ce que les acteurs du groupe de
7 crise internationale ont joué un rôle en matière de conseil ou est-ce M.
8 Abramovic seul qui a joué ce rôle?
9 M. Surroi (interprétation): Madame Albright n'aurait pu être un conseiller
10 parce qu'elle était secrétaire d'Etat. Le général Clark, à l'époque, était
11 quant à lui commandant de l'OTAN; donc il n'aurait pas non plus pu jouer
12 un rôle de conseiller. Monsieur Abramovic a été invité à titre personnel.
13 Question: Avez-vous connaissance de la réunion qui a eu lieu entre Thaci
14 et Clark, précisément au cours de la Conférence de Rambouillet?
15 Réponse: (Inaudible.)
16 Pas seulement M. Thaci, mais il y a également d'autres membres de la
17 délégation qui venaient de l'UCK.
18 Question: Vous voulez dire que d'autres personnes, autres que Thaci, ont
19 rencontré Clark à Rambouillet, c'est cela?
20 Réponse: Ils se sont rencontrés à l'extérieur de Rambouillet; et les
21 efforts consentis par le général Clark visaient à persuader cette partie
22 de la délégation de signer non seulement l'accord mais également de
23 prendre des mesures permettant de transformer l'UCK et d'en faire l'une
24 des forces de la société civile.
25 Question: Lors de la réunion de 1997 qui s'est tenue à Munich, vous avez
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1 déclaré qu'il était nécessaire -je vous cite-: "De ressusciter, de
2 revitaliser les institutions albanaises légales". (Fin de citation.)
3 Est-ce que vous considériez que les institutions au Kosovo et au Metohija
4 ne pouvaient être qu'albanaises?
5 Réponse: Je ne pense pas avoir dit quoi que ce soit de ce genre, ce dont
6 j'ai parlé c'est des institutions légales kosovares, au sein desquelles le
7 personnel est à majorité albanaise.
8 M. Milosevic (interprétation): Si on en juge par ce qui se passe à l'heure
9 actuelle, si l'on en juge par les méthodes de nettoyage ethnique qui sont
10 mises en œuvre, est-ce que vous considérez que cela découle d'une
11 idéologie de nettoyage ethnique d'expulsion?
12 M. le Président (interprétation): Ce qui nous intéresse, c'est ce qui
13 s'est passé en 1999 et, avant cette année-là, ce qui m'intéresse c'est la
14 période de temps couverte dans le cadre de la déposition du Témoin.
15 M. Milosevic (interprétation): Je pense que vous voulez dire 1999 et les
16 années suivantes? Je vais poursuivre.
17 M. le Président (interprétation): Mais non: précisément avant 1999, avant.
18 M. Milosevic (interprétation): Est-ce l'idéologie sur laquelle repose sur
19 ce qui est fait à l'heure actuelle, à savoir des mesures sont prises tel
20 que l'établissement d'un camp de concentration à Kosovska-Mitrovica, un
21 camp aux dimensions sans commune mesure.
22 M. le Président (interprétation): Non.
23 M. Milosevic (interprétation): Très bien. Au mois de décembre 1997, vous
24 avez déclaré que la fondation Carnegie avait permis une rencontre à
25 Washington et vous avez déclaré que l'accord de paix qui avait été évoqué
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1 à l'époque était révélateur d'une certaine perversité.
2 (Les interprètes demandent à l'accusé de bien vouloir ralentir son
3 rythme.)
4 M. le Président (interprétation): Les interprètes vous demandent de bien
5 vouloir ralentir dès lors que vous faites lecture d'un texte.
6 M. Milosevic (interprétation): C'est ainsi que vous essayez de justifier
7 le terrorisme au Kosovo?
8 M. Surroi (interprétation): Nous essayons de ne rien justifier du tout,
9 nous essayons simplement de faire un commentaire sur la situation qui
10 prévalait. La conférence de Dayton a permis à ceux qui s'étaient livrés à
11 des actes de violence de s'asseoir à la table des négociations. Ils ont
12 été récompensés par la constitution d'un Etat. C'étaient des personnes qui
13 appartenaient à un mouvement fasciste et génocidaire.
14 M. Milosevic (interprétation): Vous affirmez que la Republika Srpska a été
15 créée par un mouvement fasciste et génocidaire, c'est bien cela?
16 M. Surroi (interprétation): La Republika Srpska a été constituée par le
17 biais de l'expulsion des Musulmans et des Croates de leur propre famille,
18 par le biais de la destruction de villages entiers, par le massacre
19 d'enfants, de femmes. Ce que ce Tribunal a d'ailleurs confirmé: un crime
20 de génocide a été perpétré en Bosnie-Herzégovine.
21 M. Milosevic (interprétation): Et vous estimez que ce sont les Serbes qui
22 ont été les auteurs de ce génocide?
23 M. le Président (interprétation): C'est cette Chambre qui est compétente
24 pour statuer sur ces questions. Nous n'allons pas rentrer dans cela plus
25 en avant.
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1 M. Milosevic (interprétation): Pour revenir à la question du Kosovo: est-
2 ce que vous avez connaissance des incidents qui se sont produits et qui
3 ont entraîné l'expulsion de centaines de milliers de Serbes, qui ont
4 entraîné l'expulsion de plusieurs centaines de milliers de personnes,
5 comme je le disais, qui ont entraîné la disparition de plusieurs milliers
6 de personnes? Est-ce qu'à l'époque vous avez jamais pris une position
7 publiquement, eu égard à l'UCK, et eu égard à ses activités au Kosovo, eu
8 égard à sa responsabilité dans le cadre de ces incidents?
9 M. Surroi (interprétation): Vous parlez de ce qui s'est passé après la
10 guerre?
11 Question: Oui, je parle également de ce qui s'est passé après la guerre.
12 Réponse: J'ai très clairement indiqué quelle était mon opinion. J'ai très
13 explicitement dit ce que je pensais de cette idéologie. Dès qu'il s'agit
14 d'expulser qui que ce soit du Kosovo, qu'il s'agisse de Serbes, d'Albanais
15 ou d'autres membres de minorité ethnique, dès lors qu'une telle idéologie
16 prévaut au sein de groupes organisés, j'ai toujours considéré qu'il
17 s'agissait d'une idéologie fasciste. J'ai toujours dit très clairement:
18 toute personne se faisant le porte-parole de ce type d'idéologies se
19 ferait l'écho de Milosevic et de son idéologie fasciste.
20 Question: Le 22 mars 1999, vous avez déclaré à "Reuter", c'est-à-dire deux
21 jours avant l'agression, vous avez déclaré que les Albanais du Kosovo
22 avaient peur des représailles serbes qui pouvaient d'écouler des frappes
23 de l'OTAN. Nombre de Kosavars en Albanie avaient peur du fait que les
24 attaques de l'OTAN pouvaient se retourner contre eux. Ils pensaient que le
25 pays était face à une situation de possibles catastrophes humanitaires.
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1 Catastrophes humanitaires qui a servi de signal auprès de la communauté
2 des Etats d'Europe de l'Ouest.
3 D'après l'OSCE et d'après les rapports qui ont été établis par cette
4 organisation, il n'y avait pas de catastrophes humanitaires avant le
5 bombardement, c'est après le bombardement et pendant le bombardement que
6 cette catastrophe s'est manifestée. Est-ce exact?
7 Réponse: Mais c'est absolument scandaleux de dire qu'au Kosovo il n'y
8 avait pas de catastrophes humanitaires avant le bombardement. Au moment
9 même où la Mission de vérification a été mise sur pied, il y avait plus
10 200.000 réfugiés à l'intérieur même du Kosovo -je l'ai vu de mes propres
11 yeux à Pristina- sur tout le territoire du Kosovo; j'ai pu voir de quelle
12 façon les personnes quittaient leurs villages dévastés.
13 Et mon interprétation des événements s'est avérée parfaitement exacte,
14 cette interprétation que j'avais faite de la situation auprès de l'agence
15 Reuter le 22 mars, parce que tout de suite après les bombardements, les
16 représailles serbes ont commencé. Tout de suite après le début des
17 bombardements.
18 Question: Vous ne savez donc rien -c'est ce que vous nous avez dit hier-
19 de toutes ces offensives qui ont été lancées? Decani, Prilep, Drenica,
20 toutes ces régions ont fait l'objet d'opérations qui ont mené à cette
21 situation chaotique dont vous tenez les Serbes pour responsable?
22 Réponse: J'ai vu de mes propres yeux de quelle façon l'artillerie serbe
23 pilonnait les villages, j'ai vu comment les populations étaient expulsées
24 de villages mis à feu.
25 Question: Très bien. Comme vous le dites vous-même, vous avez été le
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1 témoin de crimes serbe et pourtant vous n'avez connaissance d'aucun crime
2 commis par des Albanais. Est-ce que cela vous semble bien logique?
3 Réponse: Comme je vous l'ai dit hier, il s'agissait là d'une force
4 organisée dotée d'une structure de commandement qui dépendait d'un Etat.
5 Je parle ici des forces serbes. Cette force organisée était dotée d'une
6 structure de commandement vertical, était dotée d'un quartier général; et
7 cette force organisée a systématiquement détruit des villages, a
8 systématiquement attaqué des populations civiles albanaises du Kosovo.
9 Du côté albanais, il n'y avait pas d'Etat, pas de chaîne de commandement,
10 aucune structure verticale de ce type et il n'y avait aucune forme
11 d'organisation comparable. Aucune organisation ne pouvait, de la même
12 façon systématique, exercer des actes de violences à l'égard de la
13 population serbe.
14 Question: Et du côté albanais, il y avait une force terroriste qui a agi
15 conjointement avec les Etats qui ont attaqué la Yougoslavie.
16 Réponse: Je n'ai jamais entendu parler d'une organisation terroriste qui
17 aurait fonctionné au Kosovo.
18 Question: Très bien. Le 29 mars, les quotidiens ont déclaré que Veton
19 Surroi avait été tué un dimanche. Qu'est-ce que vous vous souvenez de ce
20 qui a été dit par les journaux à l'époque? Est-ce que vous pensez que
21 cette information erronée est le symbole même de la campagne de
22 désinformation qui a commencé à ce moment-là contre la Yougoslavie, et
23 est-ce que vous pensez que c'est ce type de nouvelle qui a justifié
24 l'agression qui a été lancée contre la Yougoslavie?
25 Réponse: Je n'ai pas lu ces articles parce que j'étais en train de me
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1 cacher. J'ai entendu cela à la radio.
2 M. Milosevic (interprétation): Vous avez déclaré en septembre 1999, dans
3 le cadre d'un entretien avec "Format" un hebdomadaire viennois, eu égard à
4 ce qui se passait au Kosovo, vous avez déclaré –je cite-: "J'ai honte de
5 voir les Albanais commettre ces crimes atroces pour la première fois de
6 leur histoire. Cela piétine toutes nos valeurs. Tous ceux qui pensent que
7 la violence s'arrêtera lorsque le dernier non-Albanais sera expulsé du
8 Kosovo, se trompent". Est-ce que vous considérez toujours cela comme étant
9 votre position?
10 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous avez effectivement dit
11 cela?
12 M. Surroi (interprétation): Cela est écrit dans le quotidien "Koha
13 Ditore", et cela a été repris par un grand nombre de quotidiens
14 internationaux. Je ne modifierai pas un seul mot de ce que j'ai dit à
15 l'époque. Si un Albanais, quel qu'il soit dans le cadre d'un système
16 organisé, devait persécuter un Serbe ou quelqu'un d'une autre nationalité,
17 quelqu'un de non albanais et ceci uniquement à cause de la nationalité de
18 la personne en question, je pense que cela serait quelque chose de honteux
19 pour toute la communauté.
20 Pour moi, j'estime qu'il s'agirait à ce moment-là d'une idéologie qui
21 ressemblerait à celle qui a été mise en application par Milosevic en
22 Serbie pendant des années et des années.
23 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, le temps qui vous
24 avait été imparti est maintenant arrivé à son terme. Je vous permets de
25 poser une question encore.
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1 M. Milosevic (interprétation): Encore une seule question?
2 M. le Président (interprétation): Oui.
3 M. Milosevic (interprétation): C'est difficile de choisir cette seule et
4 unique question mais disons… le 13 novembre à Amsterdam, au cours d'une
5 assemblée de l'OTAN, vous avez déclaré: "L'UCK n'existe pas à ce jour
6 parce que l'UCK a été transformé. Cela n'a jamais été une organisation
7 terroriste". Est-ce que c'est bien ce que vous avez dit?
8 M. Surroi (interprétation): Oui, j'estime que l'UCK est une organisation
9 de guérilla; c'est un mouvement et qui, maintenant, a changé.
10 M. Milosevic (interprétation): Et vous avez déclaré à "Delo", une
11 publication slovène en avril 2000 qu'un jour le Kosovo deviendrait
12 indépendant. Est-ce que vous pensez que les Serbes le permettront?
13 M. Surroi (interprétation): Je pense qu'il en va dans l'intérêt des Serbes
14 que nous construisions ensemble un Etat avec les Serbes du Kosovo. Je
15 pense que cela irait dans le sens des intérêts de la Serbie.
16 M. le Président (interprétation): Suffit! Nous n'allons pas poursuivre
17 cette discussion.
18 Maître Kay, Maître Tapuskovic, souhaitez-vous intervenir?
19 (Question de l'amicus curiae, M. Tapuskovic, au témoin, M. Veton Surroi.)
20 M. Tapuskovic (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
21 Monsieur Surroi, je vais vous poser des questions mais uniquement en me
22 référant à ce que vous avez dit hier; et je vais me référer à ce que vous
23 avez dit dans votre déclaration au Bureau du Procureur. Et je suis sûr que
24 vous allez en être en mesure par oui ou par non à la plupart de mes
25 questions.
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1 Dans votre déclaration préalable, est-il exact que, le 15 mai, lors de
2 votre réunion avec Milosevic, il vous ait déclaré, il a dit que la police
3 avait demandé à la famille -il s'agit de ce qui s'est passé à Prekaz, le 5
4 mars-, il a dit que la police avait demandé à la famille de se rendre. La
5 police leur a donné quelques heures pour quitter le complexe familial.
6 Est-ce que bien ce qu'il vous a déclaré?
7 M. Surroi (interprétation): Oui.
8 Question: C'était à peu près deux mois après les événements, peut-être un
9 peu plus longtemps après, et tout le monde au Kosovo, en Serbie, savait ce
10 qui s'était passé, plus ou moins?
11 Réponse: Eh bien, comme on peut le voir, la vérité n'a pas encore éclaté,
12 nous ne savons pas encore comment s'est déroulé ce massacre.
13 Question: Non, mais moi, tout ce qui m'intéresse est de savoir si vous
14 aviez connaissance de ces informations qui vous ont été communiquées par
15 Slobodan Milosevic, à savoir que la police avait arrêté de tirer pendant
16 cette fusillade et puis avait donné à tout le monde une ou deux heures
17 pour se constituer prisonniers. Donc deux heures pendant lesquelles ceux
18 qui le désiraient pouvaient quitter le complexe de maisons.
19 Réponse: Il ne s'est pas exprimé de la sorte. Je ne sais pas s'il y a eu,
20 pendant la fusillade, un moment où les tirs se sont interrompus. L'accusé
21 n'a rien déclaré de tel mais il a dit que la police avait fixé un
22 ultimatum de quelques heures aux personnes concernées pour qu'elles se
23 rendent.
24 Question: Donc, est-ce que vous êtes au courant de cela ou pas?
25 Réponse: Je crois que c'est un des chefs de la police qui l'a dit tout de
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1 suite après l'opération.
2 Question: Merci. Le 28 mars au Kosovo, les Albanais ont voté dans le cadre
3 de l'élection du parlement fantôme du Kosovo. Est-ce bien exact?
4 Réponse: Oui, une partie des partis politiques y ont participé, en effet.
5 Question: Et en ce qui concerne ce parlement, est-ce que ce qui en est
6 ressorti, l'opinion dominante était la suivante: à savoir qu'il pouvait
7 très bien y avoir sécession d'avec la Yougoslavie, d'avec la Serbie et
8 l'indépendance. Est-ce que c'était ce que préconisait ce parlement, au
9 bout du compte?
10 Réponse: Cet organe qui a ainsi été élu -si l'on peut vraiment parler
11 d'élection- ne s'est jamais réuni, même pas en 1992 ou 1993, ni même en
12 1997 ou en 1998, ce qui signifie que ces soi-disant élections n'ont jamais
13 mené à la constitution d'une institution, quelle qu'elle soit.
14 Question: Je vous entends bien. Mais est-ce que les opinions se sont
15 cristallisées autour de cette idée-force, à savoir l'indépendance du
16 Kosovo, l'autodétermination pour arriver à la sécession? Est-ce que
17 c'était l'opinion qui s'exprimait ainsi par le biais de ce catalyseur,
18 formé par l'Assemblée, cette Assemblée qui n'a jamais existé
19 officiellement bien entendu, mais où tout le monde partageait les mêmes
20 opinions? Les opinions que vous partagiez aussi.
21 Réponse: Il y avait un consensus qui existait au sein de la société
22 albanaise, que cette Assemblée se soit réunie ou non. L'immense majorité
23 des Albanais du Kosovo étaient favorables à l'indépendance du Kosovo; ils
24 l'étaient alors et ils le sont toujours aujourd'hui.
25 Question: Immédiatement après ces élections, c'est-à-dire après le 28
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1 mars, Robert Gelbard, un diplomate américain, a encouragé les Albanais du
2 Kosovo à mettre en place une équipe destinée à représenter les principaux
3 protagonistes albanais et les principales opinions présentes. C'est ce que
4 vous avez dit dans votre déclaration, n'est-ce pas?
5 Réponse: Oui, il nous y a encouragés, il nous a aidés à le faire.
6 Question: Est-ce que c'est lui qui a donné l'idée de créer le G5?
7 Réponse: Non, cela a découlé d'un débat interne entre les Kosovars et M.
8 Gelbard a apporté son assistance dans ce contexte.
9 Question: Vous avez également déclaré que les membres du G5 ont joué un
10 rôle décisif, ou plutôt qu'ils étaient fermement décidés à demander la
11 sécession et l'indépendance du Kosovo. Vous étiez membre de ce groupe?
12 Réponse: Oui.
13 Question: Et est-il exact que vous préconisiez cela? Vous demandiez que le
14 processus soit mis en oeuvre et que l'objectif à terme, c'était
15 l'indépendance du Kosovo?
16 Réponse: Nous, nous souhaitions voir la mise en route d'un processus sans
17 pour autant juger, préjuger de ce qui se passerait au bout du compte, bien
18 que nous fussions en faveur de l'indépendance. Mais notre position était
19 la suivante: nous souhaitions inviter la partie serbe à participer à un
20 processus entre parties traitées de manière équivalente. Et ce processus
21 devait être neutre au départ; on ne devait pas penser dès le départ que
22 c'était une cause entendue.
23 Question: Oui, mais c'est la manière dont vous avez présenté les choses.
24 Vous avez dit: "Nous étions prêts à discuter du calendrier, de la
25 procédure même si l'indépendance continuait à être notre objectif." Vous
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1 étiez prêts à parler de la démarche à adopter, de la manière dont les
2 pourparlers pourraient se dérouler afin de parler de quoi: de
3 l'indépendance?
4 Réponse: Non, là, il y a erreur d'interprétation. Lorsque deux parties
5 acceptent de négocier, chacune arrive à la table des négociations avec son
6 propre objectif. Notre objectif à nous, c'était l'indépendance; quant aux
7 Serbes, c'était peut-être autre chose. Mais nous ne voulions pas imposer
8 nos propres objectifs et nous refusions qu'ils nous imposent leurs propres
9 objectifs. Ceci valait des deux côtés.
10 M. Tapuskovic (interprétation): Mais, dans toutes les négociations que
11 vous avez eues avec les Serbes, c'était votre position dominante, à savoir
12 que vous vouliez que la procédure mène à l'indépendance.
13 M. le Président (interprétation): Oui?
14 M. Nice (interprétation): Je suis vraiment très surpris par le rôle des
15 amis de la Chambre, quand je les entends poser des questions de ce genre.
16 Je pense que ceci, il faudrait y réfléchir quand on pensera au rôle des
17 amis de la Chambre et après ce qu'a dit M. Milosevic.
18 Mais en ce qui concerne ce Témoin, je ne pense pas que ceci soit d'une
19 quelconque utilité à la Chambre.
20 M. le Président (interprétation): Où voulez-vous en venir avec toutes ces
21 questions?
22 M. Tapuskovic (interprétation): Eh bien, je pose ces questions parce que,
23 dans sa déclaration faite au Bureau du Procureur, le Témoin est
24 extrêmement précis dans ses déclarations. Je demande qu'on vous en
25 fournisse un exemplaire et vous verrez de vos yeux ce qu'a dit M. Surroi
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1 dans sa déclaration et moi, ce que j'attends de M. Surroi, c'est soit
2 qu'il nous confirme ce qu'il a dit précédemment ou qu'il nous apporte un
3 éclairage différent sur ses propos. Puisque nous en sommes déjà arrivés à
4 cette question que j'évoquais à l'instant…
5 M. le Président (interprétation): Mais non! Quelle est la pertinence de
6 toutes ces questions? Qu'il ait déclaré cela dans sa déclaration ou pas,
7 qu'est-ce que ça peut faire?
8 M. Tapuskovic (interprétation): Eh bien, notamment la chose suivante: je
9 souhaite qu'il confirme ce qu'il a dit aux enquêteurs du Tribunal et,
10 ensuite, je peux vous dire où cela se trouve dans la déclaration.
11 M. le Président (interprétation): Il me semble que cela n'a rien à voir
12 avec ce dont nous traitons ici.
13 (Les Juges se concertent sur le siège.)
14 Veuillez, s'il vous plaît, passer à autre chose.
15 M. Tapuskovic (interprétation): Il faut que j'y revienne. Excusez-moi,
16 mais je sais pertinemment pourquoi je pose cette question.
17 M. le Président (interprétation): Une fois que la Chambre a statué et a
18 pris une décision, vous devez vous y plier et passer à un autre sujet.
19 M. Tapuskovic (interprétation): Mais je me conforme tout à fait à votre
20 décision. Je vais simplement passer à un autre sujet. Je souhaite
21 simplement donner un autre exemple tiré de la déclaration. Il faut que je
22 pose cette question si je veux remplir mes fonctions en toute conscience.
23 Le 22 mai, vous avez rencontré Milosevic. Comme vous l'avez dit, vous
24 l'avez rencontré le 15 mai, qui s'est terminé comme on sait. Ensuite, vous
25 n'avez eu qu'une autre conversation, le 22 mai, avec la délégation serbe,
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1 à Pristina. Ces discussions ont eu lieu dans une pièce. Vous avez dit qu'à
2 ce moment-là, à plusieurs reprises, vous êtes sorti de la pièce où avaient
3 lieu les négociations; vous êtes allé à dans la pièce voisine où se
4 trouvait M. Hill; vous lui avez parlé et ensuite vous êtes revenu dans la
5 première pièce. Est-ce que c'est exact?
6 M. Surroi (interprétation): Oui.
7 Question: Merci.
8 Réponse: Mais je ne reviens aucunement sur ce que j'ai déclaré au
9 Procureur et aux enquêteurs.
10 Question: Merci. Donc ceci est exact, n'est-ce pas?
11 Elément suivant: hier, vous nous avez dit qu'on attendait de Dayton que
12 soit discuté le problème du Kosovo. Mais cela ne s'est pas passé de la
13 sorte. Dans ces conditions, comment se fait-il qu'on ait eu recours à
14 d'autres méthodes?
15 Précédemment, vous avez parlé de mesures pacifiques, de méthodes
16 pacifiques. Pouvez-nous expliquer comment il se fait que, finalement,
17 c'est une autre option qui a été choisie, pas une option pacifique avec
18 des méthodes pacifiques? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
19 Réponse: Je pense que les circonstances dans lesquelles Dayton a eu lieu
20 montraient qu'il s'agissait là d'une situation totalement artificielle,
21 quant à la participation du Kosovo. Il s'agissait là d'une vision
22 artificielle de la situation qui émanait de tentatives de désinformation
23 et d'activités politiques stériles. Je ne pense pas être suffisamment
24 compétent pour vous expliquer où, comment et pourquoi il a été décidé de
25 passer à l'intervention d'un mouvement armé, étant donné que moi, j'ai
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1 toujours été du côté des pacifistes.
2 Question: Mais jusqu'en 1995, jusqu'en 1996, il n'y a pas eu
3 d'affrontement important entre la police, entre l'armée, l'armée et la
4 population?
5 Réponse: Non. Pas de la manière dont vous l'entendez. Mais cependant, il y
6 avait toujours des citoyens kosovars qui étaient tués; ça je pense que
7 c'est déjà quand même assez grave. Donc les meurtres ne cessaient pas et
8 les rapports des organisations chargées des droits de l'homme confirment
9 que des civils étaient tués par des forces de sécurité et que les auteurs
10 de ces actes n'ont jamais été poursuivis par les tribunaux. Donc la
11 violence continuait à prévaloir sur le territoire pendant toute cette
12 période.
13 Question: Mais hier, vous nous avez dit, et j'en ai pris note, que la
14 guerre au Kosovo avait débuté avec l'attaque à Prekaz, le 5 mars 1998.
15 Pouvez-vous l'expliquer? Est-ce que ça veut dire qu'avant le 5 mars, il
16 n'y a eu absolument aucun affrontement entre, d'une part, l'armée, la
17 police yougoslave et, d'autre part, leurs adversaires? Et est-ce que ça
18 veut dire qu'avant, l'UCK n'existait pas?
19 Réponse: Comme je l'ai dit, ça a été un moment crucial. Je ne suis pas en
20 train de vous dire que la guerre a commencé ce jour-là bien que, du point
21 de vue symbolique, cela soit vrai. Mais avant, il y avait eu le massacre
22 de la famille Deliaj; ils ne cessaient de tuer des civils et l'UCK a fait
23 son apparition sur la scène quelques mois auparavant. Le 28 novembre 1997,
24 si je me souviens bien, c'est-à-dire le jour de l'indépendance.
25 Question: Mais quelle était la position de l'UCK? Que pensaient-ils de la
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1 possibilité de trouver le genre de solutions que vous-même, vous
2 préconisiez?
3 Réponse: Eh bien, à ma connaissance, l'UCK n'était pas favorable aux
4 solutions que je préconisais. Je pense que l'UCK était favorable à la
5 guerre.
6 Question: Moi, je vais vous poser des questions au sujet de Rambouillet
7 et, ensuite, j'en aurai terminé de mes questions.
8 Vous avez dit précédemment -il faut bien que je me réfère à votre
9 déclaration préalable à ce sujet-, vous avez dit que, lorsqu'ils sont
10 allés à Rambouillet, les délégués albanais ont reconnu formellement
11 l'identité de la République, plutôt l'intégrité de la République fédérale
12 de Yougoslavie.
13 Est-ce que vous avez véritablement, à ce moment-là, reconnu l'intégrité de
14 la République fédérale de Yougoslavie comme vous l'avez indiqué?
15 Réponse: Il s'agissait d'une des conditions préalables aux pourparlers,
16 puisque chacune des délégations a donné son accord sur un certain nombre
17 de points. L'une de ces conditions, c'était que, tout au long du processus
18 de négociation et lors de la mise en oeuvre de l'accord, il ne devait y
19 avoir aucune modification quant à l'intégrité du territoire, sauf à la fin
20 du processus, s'il y avait consentement des deux parties en présence.
21 Question: Donc ce qu'on peut lire ici est exact. Vous avez dit que vous
22 n'avez accepté cela pour que les pourparlers puissent commencer?
23 Réponse: C'était une des conditions préalables qui avaient été posées,
24 afin que certains points de vue soient couchés sur le papier. Bien
25 clairement, et en tant que délégation, nous avons dû donner notre accord à
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1 ce sujet. C'est le groupe de contact et la communauté internationale qui
2 ont défini toutes ces conditions.
3 M. Tapuskovic (interprétation): Merci.
4 M. Surroi (interprétation): Merci.
5 (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, M. Veton Surroi, par
6 M. Nice.)
7 M. Nice (interprétation): Trois choses seulement au sujet de vous-même et
8 de votre expérience précédente.
9 Vous avez dit que vous avez souffert de mesures de répression; il est
10 possible que vous ayez édulcoré ce qui vous est arrivé: le nombre
11 d'arrestations auxquelles vous avez été soumis, les traitements infligés,
12 etc. Avez-vous été arrêté une fois ou plusieurs fois?
13 M. Surroi (interprétation): J'ai été arrêté plusieurs fois. Je n'ai été
14 condamné qu'une seule fois.
15 Question: Est-ce que jamais, pendant le cours de ces arrestations, vous
16 avez été blessé?
17 Réponse: Non. Jamais. C'est seulement pendant l'intervention de la police,
18 au cours d'une manifestation pacifique, que j'ai été blessé.
19 Question: Vous avez parlé d'un certain nombre de limites imposées à la
20 liberté de publication de votre journal; vous avez expliqué quelle était
21 la réalité du paysage médiatique, contrairement à ce que nous disait
22 l'accusé. Peut-être avez-vous dit tout ce que vous souhaitiez au sujet de
23 la publication de votre journal mais je voudrais savoir si vous étiez
24 libre de publier tout ce que vous souhaitiez. Est-ce qu'il y avait des
25 mesures d'obstruction qui étaient mises en place?
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1 Réponse: Il y avait trois catégories d'obstacles à la liberté de la presse
2 et d'expression. En premier lieu, le journal: il y avait le journal
3 Rilindja et la télévision du Kosovo que l'on peut citer, avec la
4 télévision et la radio du Kosovo. Rilindija n'a jamais été publié pendant
5 ces dix années.
6 Deuxièmement, il y avait des limites qui étaient mises au réseau de
7 circulation des journaux, ainsi qu'à l'impression des journaux, non
8 seulement au Kosovo mais également en Serbie. Les journaux indépendants
9 devaient toujours passer par des imprimeries contrôlées par l'Etat. Donc
10 en fait, on avait l'impression que les difficultés étaient dues au
11 fonctionnement naturel du marché, mais en fait, c'était dû à
12 l'intervention de l'Etat qui voulait s'opposer à la publication de
13 journaux indépendants.
14 Troisième catégorie de mesures d'obstructions: eh bien, il s'agissait
15 d'intimidations physiques. On vivait dans des circonstances dans
16 lesquelles il était très possible que quelqu'un soit tué et que la police
17 n'intervienne absolument pas, si bien que chacun était conscient de
18 risquer sa vie constamment.
19 Question: Dans ces circonstances, comment avez-vous été en mesure de
20 publier votre journal et de survivre?
21 Réponse: Eh bien, il a fallu faire preuve de beaucoup de courage; je parle
22 non seulement de moi, mais de tous mes employés. Mais c'était quelque
23 chose de très nouveau: pour la première fois, nous disposions de médias
24 libres et beaucoup d'entre nous ont fait des sacrifices pour que ce
25 journal puisse rester libre.
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1 Question: Dernière question: vous nous avez répondu, dans une de vos
2 réponses, qu'à un moment donné, vous étiez caché au moment des
3 bombardements, puis quand vous êtes revenu au Kosovo. Je voudrais savoir
4 pourquoi vous vous étiez caché? Combien de temps? Mais rapidement, s'il
5 vous plaît.
6 M. Surroi (interprétation): En tant que cosignataire des Accords de Paris,
7 en tant que participant aux Accords de Rambouillet, après l'exécution de
8 mon ami Bajram Kelmendi et de ses deux fils, après l'irruption des forces
9 de police dans nos bureaux, après le meurtre d'un des gardes, Rexhep
10 Ramadani, j'ai pensé que le niveau d'insécurité était arrivé à son comble,
11 qu'il n'y avait plus aucune limite à la violence des forces serbes. Et
12 j'ai pensé qu'un certain nombre de gens allaient sans doute être exécutés
13 à partir de ce moment-là. En mars 1999 jusqu'au 13 juin 1999, je me suis
14 caché dans diverses maisons à Pristina.
15 M. Nice (interprétation): J'en ai terminé des questions supplémentaires
16 que je souhaitais poser au témoin.
17 (Questions de M. le Président au témoin, M. Veton Surroi.)
18 M. le Président (interprétation): Monsieur le Témoin, vous avez dit que
19 vous aviez vu, de vos propres yeux, les gens à Pristina fuir leur village,
20 fuir la ville et vous avez vu l'artillerie serbe bombarder les villages.
21 Est-ce exact?
22 M. Surroi (interprétation): Oui, je l'ai vu tous les jours, j'ai vu des
23 réfugiés tous les jours arriver à Pristina au cours de 1998. Et en fait,
24 j'ai aussi vu des réfugiés expulsés de Pristina pendant les bombardements
25 et dans les montagnes de Çicavica, à côté de Vucitrn. J'ai vu l'artillerie
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1 pilonner des villages. Au moment où les civils essayaient de s'enfuir,
2 j'étais dans un APC avec l'ambassadeur Hill; nous nous dirigions vers un
3 village qui soi-disant abritait des membres de l'UCK. Nous souhaitions
4 leur parler pour qu'ils participent aux négociations.
5 Question: Quand cela s'est-il passé?
6 Réponse: C'était en 1998, pendant l'été 1998, en juin ou en juillet.
7 Question: Est-ce que vous avez vu ce qui s'est passé dans les villages et
8 ce qui est arrivé aux villageois qui essayaient de fuir?
9 Réponse: La majorité avait déjà commencé à fuir avec les premiers
10 bombardements qui leur tombaient dessus, et dans un village, Maker Mal, je
11 pense. Je voyais de la fumée qui montait de ce village. Il y avait un long
12 convoi de tracteurs et de voitures chargées de civils qui fuyaient la
13 zone.
14 M. le Président (interprétation): Monsieur Surroi, je vous remercie de
15 votre déposition.
16 Un instant, Monsieur Milosevic.
17 Vous êtes libre de partir, Monsieur Surroi.
18 (Le témoin, M. Veton Surroi, est reconduit hors du prétoire.)
19 (Questions relatives à la procédure.)
20 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, nous souhaiterions
21 traiter d'un certain nombre de questions administratives.
22 Aujourd'hui, avec l'indulgence des interprètes, nous souhaiterions pour la
23 pause attendre 10 heures 40, faire une pause d'une demi-heure, pour
24 ensuite nous réunir à nouveau et siéger jusqu'à 12 heures 45. Il nous
25 reste encore environ 30 minutes à peu près jusqu'à la pause.
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1 Ces questions administratives, elles ont trait au témoin entendu aux
2 termes de l'Article 92bis. Divers arguments ont été présentés à ce sujet
3 lorsque nous avons en avons parlé la dernière fois.
4 Pour que les choses soient bien claires, s'agissant du calendrier, je
5 souhaiterais ajouter les choses suivantes.
6 Premièrement, en ce qui concerne les questions liminaires destinées à
7 présenter le témoin, questions posées par le Procureur, nous allons
8 permettre que des questions soient posées au sujet d'éléments tels que
9 l'âge du témoin, sa profession, son lieu de naissance, son lieu de
10 résidence, son état-civil et d'autres informations ayant trait à son
11 parcours.
12 Nous allons permettre au Procureur de donner un résumé bref de la teneur
13 de la déclaration faite par le témoin, mais ceci, sous forme synthétique,
14 c'est-à-dire concise. Il s'agira bien entendu d'un résumé concis.
15 Que ceci soit bien clair: le résumé lui-même ne fera pas partie de la
16 déposition en tant que telle, ne fera pas l'objet d'un contre-
17 interrogatoire. Le résumé lui-même, c'est un résumé de la déclaration
18 faite par le témoin pour permettre de présenter celui-ci avant d'entamer
19 le contre-interrogatoire.
20 Deuxième chose: Nous avons réfléchi aux déclarations Neill Wright et au
21 classeur qui s'y rapporte. Nous allons entendre lundi les arguments
22 présentés à ce sujet, au sujet de la déclaration, au sujet du classeur.
23 Troisième chose: nous allons statuer au sujet de ce que l'on a appelé "le
24 classeur Bela Cerska". Je vais demander à M. le Juge Robinson de vous
25 faire part de notre décision.
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1 M. Robinson (interprétation): Les éléments inclus dans ce classeur ont
2 trait au site d'exécution de Bela Cerska. On traite ici des Chefs 3 et 4,
3 meurtres en tant que crime contre l'humanité et en tant que violation aux
4 droits et coutumes de la guerre.
5 Les allégations sont les suivantes: vers le 25, les forces de la RFY et de
6 la Serbie ont encerclé et attaqué le village de Bela Cerska; au cours de
7 plusieurs incidents, un certain nombre de personnes auraient été tuées.
8 Dans un premier temps, 12 personnes, dont 10 femmes et enfants. Au cours
9 du deuxième, 65 Albanais du Kosovo ont été tués. Au cours du troisième
10 incident, 6 ont été tués. L'accusation nous a présenté un classeur qui
11 contient dix documents relatifs à cet incident.
12 Voici notre décision en ce qui concerne ces éléments:
13 Premièrement, en ce qui concerne la déclaration de John Zdrilic, enquêteur
14 du Bureau du Procureur: aux termes de notre décision, en ce qui concerne
15 l'affaire Tulica, dans l'affaire Kordic et conformément à la décision
16 prise en ce qui concerne Kevin Curtis, en l'espèce, nous estimons que ce
17 rapport ne peut être versé au dossier. Il n'a pas été établi au moment des
18 faits et l'enquêteur fait ici part de son évaluation après les faits.
19 Deuxièmement, les photographies représentant les lieux du crime, aux
20 termes de la décision Tulica, ces photographies sont acceptées; il s'agit
21 des photographies du lieu du crime. On peut y voir également les corps et
22 les vêtements trouvés sur le site d'exhumation. Cependant, il est
23 nécessaire de fournir un mémo ou une déclaration explicative au sujet de
24 la manière dont les corps photographiés et les autres choses
25 photographiées sont reliées à cet incident.
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1 Nous demandons au Bureau du Procureur de nous fournir ces documents. Les
2 documents à fournir aux termes de l'Article 70 n'ont pas encore été
3 communiqués; une décision sera rendue à ce sujet. Quatre radiographies de
4 Isuf Zhuniqi: il s'agit de radios concernant les blessures infligées à
5 Isuf Zhuniqi et, conformément à la décision Tulica, ces radiographies sont
6 versées au dossier.
7 Ainsi d'ailleurs que le cinquième élément, les photographies des victimes
8 avant le conflit.
9 Ainsi que le sixième élément, il s'agit des photographies des blessures de
10 Isuf Zhuniqi.
11 Le septième élément de ce classeur, c'est une vidéo de Bela Cerska qui
12 montre les lieux du crime et qui montre un enterrement également. La vidéo
13 a été réalisée par un membre du Bureau du Procureur en mars 2000. Dans la
14 première partie de l'enregistrement, on voit des plans du village et de la
15 zone environnante, et on entend un commentaire de l'enquêteur qui explique
16 où étaient localisés les chars de la VJ; il indique où se trouvaient des
17 tireurs embusqués, où il y a eu des incidents de ce style, la direction
18 dans laquelle les réfugiés ont pris la fuite, etc.
19 La Chambre estime que cette partie de l'enregistrement vidéo avec ce
20 commentaire qui nous montre la topographie de la zone, donc le plan qui
21 montre le village et les zones environnantes, peut être versée au dossier.
22 Cependant, aux termes de la décision Tulica, nous n'acceptons pas le
23 versement au dossier de la partie du commentaire de l'enquêteur qui a
24 trait aux incidents et qui fonde l'objet même de l'enquêteur parce que là,
25 l'enquêteur ne nous donne pas d'informations qu'il a acquises au moment
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1 des faits, mais il reconstruit, il reconstitue les événements tels qu'ils
2 sont présentés dans l'Acte d'accusation.
3 La deuxième partie de l'enregistrement vidéo nous montre des photographies
4 des personnes dont on dit qu'elles auraient été tuées. On voit également
5 des plans d'une cérémonie commémorative organisée dans le village lors du
6 premier anniversaire du massacre.
7 Toujours en vertu de la décision Tulica, nous versons au dossier, nous
8 acceptons cette partie de l'enregistrement vidéo.
9 Huitième élément: il s'agit du rapport d'exhumation établi par l'équipe de
10 médecins pathologistes britanniques. Ce rapport comporte sept éléments
11 qui, en vertu de la décision Tulica, sont versés au dossier.
12 Cependant, nous faisons valoir que ce rapport serait plus lisible si l'on
13 permettait de faire un rapprochement entre les personnes qui figurent dans
14 la liste adjointe à l'Acte d'accusation, les personnes décédées et les
15 personnes qui figurent dans une autre liste de victimes.
16 Neuvième élément: il s'agit d'une carte d'état-major qui montre le village
17 et le lieu du crime. Aux termes de la décision Tulica, nous admettons cet
18 élément de preuve.
19 Et enfin, dernier élément: il s'agit d'un croquis manuscrit qui montre les
20 lieux du crime et qui est également admis, toujours en vertu de la
21 décision Tulica. Merci.
22 M. Nice (interprétation): Nous allons respecter tout ce qui est demandé et
23 nous allons donner plus de considérations, guidés par la Chambre, si la
24 présentation de ce classeur mène à une efficacité judiciaire. Comme la
25 Chambre l'a indiqué, nous demanderons peut-être lieu par lieu, sinon,
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1 évidemment, je vais digérer tout ceci et y réfléchir un peu plus.
2 Avant d'en venir au témoin prochain, Monsieur Ryneveld, la décision que
3 vous avez donnée concernant la portée de l'interrogatoire principal au-
4 delà des cinq minutes par rapport à ce qui a été agréé hier, peut-être
5 qu'on aurait besoin d'un peu d'explications du témoin, car, si nous
6 demandons des informations sur le parcours du témoin, cela prendra peut-
7 être un peu plus de temps. Mais néanmoins nous aurons besoin d'une ou deux
8 minutes pour pouvoir expliquer la chose au Témoin, car on leur a donné des
9 explications par rapport à ce qui a été dit hier.
10 Maintenant, il y a eu contre-interrogatoire par l'accusé sur la base d'un
11 témoin protégé. La caractérisation de la déclaration de l'accusé n'est pas
12 quelque chose que nous acceptons, mais c'est quelque chose qu'on pourra
13 traiter plus tard.
14 Maintenant, pour ce qui est des observations que j'ai faites concernant
15 l'utilité du contre-interrogatoire par rapport aux changements de
16 circonstances du contre-interrogatoire des amis de la Chambre, c'est
17 pratiquement 5% du temps qui est pris par le contre-interrogatoire pris
18 par les amis de la Chambre, contre 40-45% par nous et 50% par l'accusé; ce
19 qui voudrait dire que, dans l'année qui nous reste dans ce procès et
20 l'élimination de dix témoins de l'accusation, si les amis de la Chambre
21 continuent à examiner à ce rythme, ma conclusion serait que le contre-
22 interrogatoire des amis de la Chambre devrait être limité à des cas
23 exceptionnels. Et ceci, je le mettrai par écrit et je vous le soumettrai
24 au début de la semaine prochaine. Je ne serai pas moi-même disponible
25 lundi prochain, mais je serai présent mercredi prochain.
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1 M. Robinson (interprétation): Oui, nous aurons votre conclusion par écrit.
2 Je pense que les amis de la Chambre ont un rôle très important à jouer; ce
3 rôle est encore plus significatif avec le développement du procès et
4 l'approche des questions de droit, surtout les questions reliées au droit
5 international et questions reliées. Du fait qu'il est possible pour
6 l'accusé de communiquer avec les deux associés, on acceptera de réduire
7 leur participation dans ce procès.
8 M. Nice (interprétation): Nous parlons de l'accusation qui a une tâche
9 énorme pour présenter les documents en un an et nous commençons à regarder
10 l'importance du contre-interrogatoire dans cette Chambre. Je critiquerai
11 la durée du contre-interrogatoire qui vient d'avoir lieu; je pense qu'on
12 ne peut pas être généreux avec le temps qui est extrêmement limité, pour
13 autant qu'il soit dans mon pouvoir d'assurer qu'il nous est disponible.
14 Dix témoins en un an, c'est que nous perdrons s'il y a ce contre-
15 interrogatoire de la part des amis de la Chambre.
16 Mais je vous soumettrai cela par écrit.
17 Le témoin prochain doit être libéré pour qu'il puisse rentrer la semaine
18 prochaine pour ses examens. Je ne sais pas. Je laisserai la parole à M.
19 Ryneveld.
20 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Milosevic?
21 M. Milosevic (interprétation): Il y a un instant, on a entendu qu'il
22 n'acceptait pas les observations que j'avais formulées, pertinentes, aux
23 déclarations écrites d'un témoin protégé. J'aimerais tout simplement
24 prendre note du fait que c'était un témoin protégé de l'accusation et
25 toutes les observations que j'ai présentées moi-même, à travers mes
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1 questions posées au témoin précédent, étaient des citations directes,
2 venant de la déclaration écrite du témoin protégé de l'accusation.
3 Donc dois-je comprendre que l'accusation n'accepte pas ses propres
4 témoins? Et le sujet sur lequel ils sont appelés ici à déposer devant
5 cette Chambre et devant le public? Et je ne vois pas comment il peut ne
6 pas accepter les déclarations que l'accusation a elle-même présentées pour
7 ses témoins.
8 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, ceci sera rendu très
9 clair avec le temps, mais nous devons tout de suite entendre le témoin
10 prochain, car il doit partir.
11 M. Milosevic (interprétation): Je dois ajouter encore une chose. Est-ce
12 que je vous comprends bien par rapport aux témoins qui ne déposent pas et
13 qui doivent être examinés, ou témoins qui ont fait des déclarations
14 écrites et nous ne savons pas qui a écrit ces dépositions pour eux,
15 sûrement cette autre partie?
16 (L'accusé fait un signe en direction de l'accusation.)
17 Mais, pour en autant que j'ai compris l'Article 92bis, c'est-à-dire les
18 dépositions qui ne sont pas orales, il n'y a pas d'interrogatoire
19 principal. D'après vos propres règles, cela ne peut pas être accepté étant
20 donné les circonstances des chefs d'accusation contre l'accusé, et le
21 caractère et le comportement de l'accusé.
22 Est-ce bien cela ou n'ai-je pas très bien compris la procédure?
23 M. le Président (interprétation): Vous pourrez lire l'Article: "les
24 déclarations qui ne sont pas liées au caractère ou au comportement ou aux
25 actes de l'accusé ont été admises comme déclarations de preuve par rapport
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1 à l'Acte d'accusation".
2 Ce que nous vous avons permis de faire, c'est de vous donner le droit
3 d'entreprendre un contre-interrogatoire; vous allez entendre un résumé
4 bref de la déclaration faite par l'accusation et, par la suite, vous aurez
5 toute liberté de les contre-interroger.
6 M. Milosevic (interprétation): Donc, examen uniquement sur la base d'une
7 déclaration écrite, sur la base de ce que l'accusation va nous dire ici?
8 M. le Président (interprétation): Oui, c'est effectivement la procédure.
9 Veuillez poursuivre, s'il vous plaît.
10 M. Milosevic (interprétation): Très bien.
11 M. Ryneveld (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Est-ce que
12 nous pouvons appeler M. Xhafer Beqiraj?
13 En attendant le témoin, Monsieur le Président, est-ce que je peux vous
14 demander une chose: voulez-vous que nous résumions une fois que le témoin
15 est assis ou avant qu'il n'arrive?
16 M. le Président (interprétation): Une fois qu'il est assis.
17 (Le témoin, M. Xhafer Beqiraj, est introduit dans le prétoire.)
18 M. Ryneveld (interprétation): Ce sera une présentation orale Monsieur le
19 Président, car je n'ai rien préparé au préalable si cela vous agrée.
20 M. le Président (interprétation): Que le Témoin lise la déclaration
21 solennelle.
22 M. Beqiraj (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
23 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
24 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir.
25 Veuillez poursuivre, Monsieur Ryneveld.
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1 (Interrogatoire principal du témoin, M. Xhafer Beqiraj, par M. Ryneveld.)
2 M. Ryneveld (interprétation): Monsieur Beqiraj, je comprends que le 14
3 avril 1999 et ensuite de nouveau le 6 octobre 2001 vous étiez interviewé
4 par les membres du Bureau du Procureur. Est-ce exact?
5 Est-ce que le Témoin entend la traduction?
6 M. le Président (interprétation): Veuillez reprendre, Monsieur Ryneveld.
7 M. Ryneveld (interprétation): Monsieur Beqiraj, m'entendez-vous?
8 M. Beqiraj (interprétation): Oui.
9 Question: Est-il exact que le 14 avril que 1999 et le 6 octobre 2001, vous
10 étiez interviewé par les membres du Bureau du Procureur?
11 Réponse: Je n'ai pas la traduction en albanais.
12 (Intervention de l'huissier.)
13 Question: Je vais recommencer. Est-ce que vous m'entendez, Monsieur le
14 Témoin?
15 Réponse: Oui, tout à fait. Je suis prêt.
16 Question: Monsieur le Témoin, est-il exact que le 14 avril 1999 et le 6
17 octobre 2001, vous étiez interviewé par les membres du Bureau du
18 Procureur?
19 Réponse: Oui.
20 Question: Et le 29 janvier 2002, c'est-à-dire cette année, avez-vous
21 assisté devant un officier instrumentaire à Prizren, moment durant lequel
22 vous avait été donné un exemplaire de votre déclaration en langue
23 albanaise?
24 Réponse: Oui.
25 Question: Est-ce que vous avez lu le contenu de cette déclaration? Est-ce
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1 que vous avez confirmé devant l'officier instrumentaire que le contenu de
2 cette déclaration était vrai pour autant que vous le sachiez?
3 Réponse: Oui.
4 M. Ryneveld (interprétation): Je devrais verser, demander le versement au
5 dossier de cette déclaration.
6 M. le Président (interprétation): Oui, versement formel.
7 M. Ryneveld (interprétation): Est-ce qu'on peut donner un exemplaire de la
8 déclaration au Témoin, Monsieur l'Huissier?
9 (Intervention de l'huissier.)
10 Mme Ameerali (interprétation): Pièce 103.
11 M. Ryneveld (interprétation): Voilà, Monsieur le Témoin, pendant qu'on
12 vous remet cette déclaration, est-ce que vous pouvez nous dire si vous
13 êtes marié?
14 M. Beqiraj (interprétation): Oui.
15 Question: Combien d'enfants avez-vous?
16 Réponse: J'ai deux enfants.
17 Question: Avant la guerre, Monsieur le Témoin, dans quelle ville habitiez-
18 vous?
19 Réponse: A Prizren.
20 Question: Quel était votre emploi?
21 Réponse: J'étais instituteur, je le suis toujours.
22 Question: Et vous étiez instituteur dans une école primaire, est-ce exact?
23 Réponse: Oui.
24 Question: Messieurs les Juges, si vous me permettez, je vais vous donner
25 un bref résumé de ce qui pourrait être un résumé de la déclaration.
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1 Monsieur le Témoin, si vous n'êtes pas d'accord avec un quelconque des
2 éléments, veuillez me le faire savoir.
3 Donc si je comprends bien, dans la déclaration, vous avez dit qu'il était
4 exact… vous avez dit à la Chambre, relaté à la Chambre les circonstances
5 lors de 1998 jusqu'en mars 1999. Vous avez relaté l'incident de la
6 première nuit de bombardements de l'OTAN, 24 mars 1999, où les casernes de
7 l'armée ont été bombardées. Est-ce exact?
8 Réponse: Oui.
9 M. Ryneveld (interprétation): Et vous avez décrit des réfugiés qui
10 arrivaient quelques mois avant le commencement des bombardements de
11 l'OTAN, y compris des réfugiés de la municipalité de Opterusha qui était
12 complètement détruite en août 1998. Vous avez décrit un grand nombre de
13 réfugiés qui arrivaient dans la ville de Prizren. Est-ce exact?
14 M. le Président (interprétation): On peut le faire sans que le Témoin ait
15 à commenter. Vous pouvez tout simplement résumer.
16 M. Ryneveld (interprétation): Monsieur le Président, la déclaration décrit
17 également que lorsque les bombardements de l'OTAN ont arrêté, la police
18 locale créait beaucoup de panique en tirant dans l'air avec leurs fusils,
19 et ensuite décrit les incidents du 25 et 26 mars et l'arrivée de davantage
20 de réfugiés, de jeunes hommes qui cherchaient un abri.
21 Et la déclaration parle du 27 mars, lorsque la police serbe était devenue
22 plus agressive et, à la suite de cela, la famille du Témoin décida d'aller
23 en centre ville, décrivant par la suite des fusils-mitrailleurs toute la
24 nuit.
25 Et le 28 mars, il décrit un incident où il se rend à l'extérieur de
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1 Prizren, et a noté une colonne de gens qui marchaient vers le sud en
2 direction de Djakove: il a décrit des dizaines de milliers de réfugiés se
3 déplaçant ainsi. Une note particulière: ces personnes étaient accompagnées
4 des paramilitaires et des soldats de la VJ, ainsi que des véhicules de
5 l'armée et de la police.
6 Ensuite, il décrit avoir quitté la prison lorsqu'il a indiqué que la
7 police tirait des armes automatiques afin d'essayer de faire peur aux
8 résidents; et ensuite décrit qu'à 5 heures, un jour précis, on a frappé à
9 la porte et la police en uniforme. A l'époque, il y avait à peu près 50
10 personnes dans sa maison. Et le message qui leur a été donné, c'est que
11 tout le monde avait cinq minutes pour quitter la maison sinon on les
12 tuerait.
13 Et il décrit donc comment cela s'est passé: quitter la cour et la maison;
14 et la police leur a indiqué où il fallait qu'ils se rendent, qu'il y avait
15 une route précise à prendre. Si quelqu'un déviait de cette route, il
16 serait tué. Et tout ceci était très bien planifié. Il a décrit les
17 uniformes, les forces spéciales et la police. Il décrit le fait qu'on leur
18 avait donné comme instruction de se rendre en Albanie.
19 Il a indiqué, dans sa déclaration, qu'on leur a demandé de passer devant
20 l'immeuble Printex, à travers le chemin de fer en Albanie; et il y avait
21 des lignes de police et de paramilitaires, avec les soldats et avec les
22 équipements et tout genre de véhicules. Ils les ont empêchés d'emprunter
23 quelque autre rue que ce soit, sauf celles qui étaient désignées et les
24 ont escortés hors de la ville.
25 Il décrit le convoi très long, l'atmosphère horrible, la crainte pour leur
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1 vie; ils ne savaient pas ce qui leur arrivait. Il décrit un grand nombre
2 d'incidents qu'il a noté en route par jour et les insultes à leur encontre
3 de la part des forces spéciales de police.
4 Lorsqu'ils sont arrivés à la frontière, il fallait qu'ils montrent leur
5 identité. Il dit également qu'en route, il y avait un incident où trois
6 jolies filles ont été sorties de cette colonne par la police, emmenées
7 dans une maison et dans les buissons. Il décrit également qu'il est arrivé
8 dans la marina, côté albanais, et il est retourné à Prizren seul, le 18
9 juin 1999.
10 Voilà, Monsieur le Président, le résumé de sa déclaration; évidemment, la
11 déclaration contient bien d'autres détails. Voilà le résumé et je suppose
12 que vous ne voulez pas que je pose d'autres questions aux termes de son
13 état-civil ou de son parcours.
14 M. le Président (interprétation): Merci.
15 Oui, Monsieur Milosevic?
16 M. Milosevic (interprétation): Je pose des questions au Témoin ou à
17 l'accusation?
18 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Xhafer Beqiraj, par l'accusé M.
19 Milosevic.)
20 M. le Président (interprétation): Non, ne posez pas de question à
21 l'accusation, vous le savez.
22 M. Milosevic (interprétation): Bien sûr que je le savais. Je posais cette
23 question, car l'accusation parlait au nom de l'accusation.
24 M. le Président (interprétation): Non, elle donnait un résumé de la
25 déclaration, elle ne déposait pas.
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1 M. Milosevic (interprétation): Très bien. C'est une pratique que les
2 tribunaux vont reconnaître dorénavant.
3 Vous travaillez en tant qu'instituteur de langue albanaise à Prizren. Est-
4 ce exact?
5 M. Beqiraj (interprétation): Oui.
6 Question: Prizren est une ville où un grand nombre de Serbes, Albanais et
7 Turcs vivaient, principalement ces trois communautés ethniques, et
8 quelques Roms.
9 Réponse: Oui, mais la grande majorité sont des Albanais.
10 Question: La grande majorité à Prizren? Vous êtes instituteur, en d'autres
11 mots un intellectuel. Vous êtes conscient de la situation qui prévaut dans
12 votre municipalité et quel était le pourcentage de Serbes à Prizren et le
13 pourcentage de Turcs à Prizren?
14 Réponse: Je ne le sais pas.
15 Question: Est-ce que c'était approximativement moitié Albanais, et moitié
16 Turcs et Serbes? Ou est-ce que les Albanais représentaient un peu moins de
17 la moitié?
18 Réponse: Plus de la moitié, à peu près70% étaient des Albanais.
19 Question: Mais ces trois communautés ethniques étaient dominantes: Serbes,
20 Albanais, Turcs et Roms. Est-ce exact?
21 Réponse: Oui.
22 Question: Vous étiez dans une école qui travaillait en langue albanaise.
23 Vous avez enseigné à vos élèves en langue albanaise?
24 Réponse: Oui, c'est exact.
25 Question: Est-ce que vous connaissez des écoles turques où les
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1 instituteurs turcs enseignaient à leurs élèves en turc?
2 Réponse: Oui, il y en a. Néanmoins, elles travaillaient toutes ensemble.
3 Là où il y avait une communauté turque, il y avait des Serbes, des Turcs
4 et des Albanais qui travaillaient dans la même école. Mais après 1992, il
5 y avait une classification d'après la nationalité, ce qui fait que les
6 Albanais travaillaient dans l'après-midi, après 14 heures 10 jusqu'à 19
7 heures 30, alors que les Serbes et les Turcs étaient ensemble le matin
8 jusqu'à 13 heures. Donc nous travaillions dans la même école: on ne peut
9 pas dire qu'il y avait des écoles séparées en langue turque.
10 Question: C'est précisément ce que je voulais vous demander. Les écoles
11 n'étaient pas séparées; c'était l'enseignement qui était séparé à cause de
12 la différence des langues, est-ce exact?
13 Réponse: Non, non, pas exactement. C'était un genre de discrimination à
14 l'encontre des écoles albanaises. On ne nous donnait pas accès aux écoles,
15 après 1992; et on nous a privés de notre droit d'utiliser toutes les
16 ressources en matière d'éducation: nous n'avions plus droit aux bureaux,
17 aux secrétaires, nous n'avions pas le droit d'utiliser les bibliothèques,
18 même si la plupart étaient en Albanais. En fait, cette division n'existait
19 pas à cause de la langue, mais c'était une question de discrimination. Du
20 moins, c'est ce que je pense.
21 Question: Très bien. C'est clair: c'est la façon dont vous le qualifiez.
22 Mais est-ce qu'il était possible pour les enfants albanais d'aller dans
23 des classes serbes et d'étudier en serbe, si leurs parents le voulaient et
24 si ces enfants le voulaient?
25 Réponse: Est-ce que vous pouvez reposer la question? Je ne vous ai pas
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1 très bien compris.
2 Non, il n'y avait pas de tels cas, je n'ai jamais entendu parler de tels
3 cas où un élève albanais ait pu étudier avec des élèves serbes. C'était
4 une division qui s'est opérée en 1992. On nous a enlevé ce droit; ce
5 n'était que les écoles primaires qui avaient ce droit limité. Dans les
6 écoles secondaires et au niveau universitaire, ces institutions étaient
7 complètement fermées aux Albanais.
8 Question: Très bien. Puisque vous êtes instituteur et vous nous parlez sur
9 ce sujet, est-ce que vous savez si, à Prizren… ou plutôt combien d'élèves
10 à Prizren ont étudié en langue albanaise, c'est-à-dire dans le district de
11 Prizren?
12 Réponse: Parlant de Prizren, je n'avais jamais travaillé dans
13 l'administration scolaire et je n'ai aucune compétence en la matière, mais
14 je peux parler de mon école. Dans la langue albanaise, en 1998, c'est-à-
15 dire jusqu'au 12 mars, lorsque nous avons arrêté les cours à cause du
16 danger, à l'école Emin Duraku, il y avait 1.270 élèves; et les matins,
17 lorsque les Serbes et les Turcs travaillaient ensemble, ils avaient 472 ou
18 478 ou 479 élèves. Il y a de la documentation à ce sujet à l'école où je
19 travaillais et on peut le vérifier.
20 Question: Donc votre école était nommée… avait le nom d'Emin Duraku, un
21 héros du peuple albanais d'après ce que vous venez de dire?
22 Donc c'était, comme vous avez dit, une école albanaise; les Serbes et les
23 Turcs y étudiaient, dont le nombre serait à 470 à peu près. Pourriez-vous
24 donc me dire pourquoi vous dites, dans votre déclaration, qu'on vous a
25 réprimandé? Le directeur de l'école était un Albanais, n'est-ce pas?
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1 Réponse: Tout d'abord, j'aimerais répondre à la première question car il
2 me semble qu'il y a deux questions dans ce que vous venez de dire. Pour
3 nous, l'école était appelée "Emin Duraku", mais pour les Serbes, après
4 1992, la plaque avec le nom a été enlevée et une personne, une figure
5 serbe au nom de Obradovic, si je ne me trompe, a donné son nom à cette
6 école pour les Serbes. Et c'est de la discrimination. Alors que le
7 directeur, le chef instituteur… Nous avions un directeur ou un chef
8 instituteur albanais et les instituteurs, les secrétaires. Nous
9 travaillions alors dans la même pièce que les Serbes, où le directeur
10 avait à sa disposition un secrétariat, des bureaux d'administration ainsi
11 que la bibliothèque. Nous n'avions aucune opportunité de pouvoir utiliser
12 ces services. Tout était entre les mains du directeur serbe.
13 M. le Président (interprétation): Nous allons lever la séance ici.
14 Nous allons donc nous arrêter, Monsieur le Témoin, pendant une demi-heure
15 et ne parlez à personne de votre déposition. Pas à l'accusation non plus.
16 Nous reviendrons dans une demi-heure. Merci.
17 (L'audience, suspendue à 10 heures 43, est reprise à 11 heures 13.)
18 (Le témoin, M. Xhafer Beqiraj, est déjà dans le prétoire.)
19 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, c'est à vous.
20 M. Milosevic (interprétation): Nous avons établi qu'il y avait environ
21 1.200 étudiants en langue albanaise dans votre école, n'est-ce pas?
22 M. Beqiraj (interprétation): Oui.
23 M. Milosevic (interprétation): Et nous avons établi qu'il y avait 470
24 élèves serbes et turcs. Savez-vous que c'est précisément dans votre
25 district, le district de Prizren, qu'il y avait un total de 37.934 élèves
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1 qui suivaient des cours en langue albanaise, alors que dans votre école il
2 n'y en avait que 1.200? Le chiffre pour le district était de 37.934. Est-
3 ce exact et êtes-vous au courant de cela?
4 M. Bequiraj (interprétation): Je préférerais que la question soit plus
5 courte. On me pose trop de questions à la fois.
6 M. le Président (interprétation): La question est celle ci: savez-vous que
7 dans votre district, il y avait 37.000 élèves qui suivaient l'enseignement
8 en langue albanaise? Si vous n'êtes pas au courant de cela, vous pouvez
9 simplement le dire.
10 M. Beqiraj (interprétation): Je ne suis pas au courant de cela.
11 M. Milosevic (interprétation): Ce chiffre indique qu'il y avait 37.974
12 élèves qui suivaient les cours en langue albanaise. Pour ce qui est des
13 élèves qui suivaient ces cours en langue serbe, ils étaient au nombre de
14 9.690.
15 M. le Président (interprétation): Le Témoin a déjà dit qu'il ne sait pas.
16 Il ne sait pas, il ne sert à rien de poursuivre.
17 M. Milosevic (interprétation): Très bien. Mais le Témoin sait que dans son
18 école, il y avait 1.200 élèves qui suivaient l'enseignement en langue
19 albanaise; ce qui est un chiffre absolument fondamental parce que beaucoup
20 ont affirmé que les élèves ne pouvaient pas suivre un enseignement en
21 langue albanaise.
22 M. le Président (interprétation): Très bien. C'est établi. Essayons
23 maintenant d'avancer un petit peu plus vite et éviter de faire ce type de
24 commentaire, Monsieur Milosevic.
25 Oui, Monsieur Beqiraj: vous souhaitiez ajouter quelque chose?
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1 M. Beqiraj (interprétation): Je voulais ajouter une chose. Je voulais
2 ajouter que l'accusé essaie de se justifier. Moi, je suis catégorique sur
3 le point suivant: après 1980, une discrimination absolue a été exercée à
4 notre encontre.
5 En 1991, j'ai essayé d'enseigner au niveau supérieur, à Prizren, c'était
6 le 1er octobre. Je voulais suivre les cours de l'école pédagogique de
7 Prizren; les forces serbes ne voulaient pas nous permettre de suivre cette
8 formation. Alors que nous manifestions, ils nous ont expulsés par la
9 force.
10 Puis, en 1992, la même chose s'est produite avec les écoles secondaires.
11 Les écoles secondaires et les écoles primaires ont été fermées. Les écoles
12 primaires, elles, fonctionnaient, mais très difficilement. C'est ce que je
13 peux dire et tout ce que je dis est vrai.
14 M. Milosevic (interprétation): Mais ce qui est vrai, c'est que dans votre
15 école il y avait 1.200 écoles qui suivaient l'enseignement en langue
16 albanaise, et vous venez de corroborer ce fait vous-même. Ce qui est
17 également vrai, c'est que dans les écoles secondaires il y avait un
18 enseignement en albanais, en turc, en serbe. Est-ce que cela n'est pas
19 vrai?
20 M. Beqiraj (interprétation): Ce n'est pas vrai parce que les écoles
21 albanaises -comme j'ai pu le dire précédemment- fonctionnaient dans des
22 locaux privés.
23 Moi-même, j'ai été élève et j'ai suivi les cours dans des maisons privées
24 individuelles et j'ai continué à travailler en tant qu'enseignant dans un
25 système de répression. Tous nos droits élémentaires nous étaient refusés.
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1 Nous n'avions pas le droit d'utiliser l'école pendant plus de sept heures;
2 alors que les Serbes, les Turcs pouvaient l'utiliser. Et les Albanais,
3 avec quelques plusieurs milliers d'élèves, ne pouvaient pas utiliser
4 l'école pour plus de cinq heures et demi d'affilée parfois. Est-ce que ce
5 n'est pas de la discrimination? Est-ce que ce n'est pas une violation des
6 droits de l'homme, une violation de toutes les conventions
7 internationales? Est-ce que ce n'est pas une violation des droits dont
8 tout élève devrait pouvoir jouir, notamment le droit à l'égalité?
9 M. le Président (interprétation): Monsieur Beqiraj, nous vous avons bien
10 entendu.
11 Monsieur Milosevic, vous venez de consacrer un quart de votre temps de
12 parole à cette question de l'éducation. Je me demande si ceci va beaucoup
13 nous aider au sujet des événements qui se sont produits en 1999.
14 M. Milosevic (interprétation): Bien. Je ne comprends pas pourquoi vous
15 limitez mon temps de parole que je souhaite consacrer au contre-
16 interrogatoire de ce Témoin.
17 M. le Président (interprétation): Nous avons limité votre temps de parole
18 pour des raisons déjà exposées. Mais je vous encourage vivement à passer à
19 des questions pertinentes.
20 M. Milosevic (interprétation): Pensez-vous que le fait que ces 1.200
21 élèves suivaient l'enseignement en langue albanaise –et cela est tiré de
22 la déclaration du Témoin-, est-ce que vous pensez que c'est quelque chose
23 de pertinent? Est-ce que vous ne pensez pas que c'est un chiffre important
24 alors que le Témoin a précisé qu'il ne pouvait pas aller à l'école, suivre
25 leur enseignement dans une langue albanaise?
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1 M. le Président (interprétation): Vous avez, je le répète, consacré un
2 quart de votre temps de parole à cette question. Il y a peut-être d'autres
3 points qui vous intéressent et sur lesquelles vous souhaiteriez poser des
4 questions.
5 M. Milosevic (interprétation): Bien sûr qu'il y en a.
6 A Prizren, les Albanais, les Serbes, les Turcs vivaient tous ensemble.
7 Est-ce que l'on peut dire que les liens entre ces communautés étaient
8 normaux et que la vie quotidienne à Prizren était une vie marquée par la
9 tolérance? Aucun incident réel ne s'est jamais vraiment produit?
10 M. Beqiraj (interprétation): Il y a eu une coexistence tout à fait normale
11 jusqu'en 1990. Mais à partir de là, à partir de cette date, cela n'a plus
12 été une vie normale, comme vous essayez de le dire. Il y a eu certain
13 nombre d'incidents; je ne peux pas vraiment m'exprimer sur ces incidents,
14 d'autres seront à même de se prononcer devant cette Chambre; il y a des
15 personnes qui sont des experts en la matière.
16 Moi, tout ce que je peux dire, c'est ce que j'ai déjà indiqué dans ma
17 déclaration préalable, à savoir que j'ai été expulsé par la violence; et
18 je peux dire qu'il y avait une discrimination exercée à notre égard dans
19 le domaine de l'éducation. Ça, ce sont deux choses avérées; je les ai
20 indiquées dans ma déclaration et je me tiens à ce que j'ai dit dans ma
21 déclaration.
22 M. Milosevic (interprétation): Très bien. Je vais maintenant vous demander
23 de bien vouloir vous contenter de répondre à mes questions. Ici, vous ne
24 répétez pas ce que vous avez déjà dit.
25 Vous avez déclaré que, dans votre maison, se trouvaient huit réfugiés du
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1 village Opterusha. Ces amis ou ces parents qui venaient du village
2 d'Opterusha, est-ce qu'ils vous ont dit quoi que ce soit à propos de ce
3 village Opterusha, d'où ils venaient? Est-ce qu'ils ne vous ont pas dit
4 que, dans ce village, des crimes avaient été perpétrés comme contre des
5 Serbes? Est-ce qu'ils vous ont parlé de l'enlèvement de Vesna Bozanic, de
6 Mladen Bozanic, de Nemanja Bozanic, de Nebojso Bozanic, de Novica, de
7 Tihomir…?
8 M. le Président (interprétation): Nul besoin de lire cette liste de noms.
9 M. Beqiraj (interprétation): Je voudrais tout d'abord dire que la famille
10 qui est venue d'Opterusha est une famille qui m'était jusqu'alors
11 inconnue. Ils ont frappé à la porte et ils ont demandé un abri; moi, j'ai
12 fait ce que je pouvais faire dans de telles circonstances: je leur ai
13 proposé de rester chez nous. Au cours de conversations que nous avons
14 eues, ils m'ont expliqué qu'ils avaient fui les combats de Rahovec, qu'ils
15 avaient fui d'autres villages; après quelques jours, ils sont retournés
16 dans leur propre village pour constater que leur propre maison avait été
17 incendiée, qu'il ne restait plus rien. A la suite de cela, ils ont décidé
18 de se diriger vers la ville de Prizren.
19 Et pour ce que vous dites à propos de Serbes qui auraient été tués, je
20 n'ai sur ce point aucun élément d'information. Vous devriez poser des
21 questions aux personnes qui viennent de cette région; moi, je n'ai aucune
22 connaissance de cela.
23 Question: Eh bien, je vous ai posé la question parce que ces personnes
24 venaient précisément de ce village et vous avez sans doute parlé avec ces
25 personnes. Vous auriez pu simplement répondre "non" à ma question, si vous
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1 ne le saviez pas: non, ils ne vous ont rien dit à propos de ces
2 enlèvements de Serbes.
3 Réponse: La réponse est: non. Non, ils ne m'ont rien dit.
4 Question: Vous avez évoqué les bombardements de l'OTAN; vous en avez parlé
5 dès les premiers temps de votre déposition. Est-ce que vous savez ce qui
6 était visé par ces bombardements?
7 Réponse: Oui, je le sais très bien. Ce qui était visé, c'étaient les
8 positions tenues par l'armée serbe. Ces positions ont été bombardées.
9 Question: Est-ce que vous affirmez que Prizren n'a pas été bombardée, à
10 l'exception des casernes?
11 Réponse: Oui, le 24 mars 1999, à 8 heures, les bombes de l'OTAN ont
12 commencé à atteindre Prizren, et notamment la caserne militaire de
13 Prizren.
14 (M. Nice vient de rentrer dans le prétoire à 11 heures 25.)
15 Ce sont des Serbes qui se trouvaient là. Le lendemain et les jours
16 suivants, un autre bâtiment a été bombardé parce qu'il était dit qu'il
17 abritait des radars et certains types d'équipement. Ça, c'est ce que j'ai
18 entendu dire; moi, je n'ai pas connaissance d'autres bombardements. Par la
19 suite, après notre départ, peut-être que d'autres lieux de la ville ont
20 été bombardés, mais je n'en ai pas eu connaissance et je ne le sais pas.
21 Question: Donc, même par la suite, vous n'avez rien entendu dire à propos
22 d'un bombardement de Prizren? Vous ne pouvez rien dire à ce sujet?
23 Réponse: Non, je ne peux rien dire.
24 Question: Aviez-vous peur lorsque les bombardements ont commencé?
25 Réponse: J'ai entendu dire par d'autres personnes, par certaines personnes
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1 de ma famille également, que les bombes de l'OTAN étaient notre espoir.
2 Nous n'avions pas peur de ces bombes. Nous étions convaincus que l'OTAN ne
3 viserait pas des civils. Ce dont nous avions peur, c'étaient des
4 paramilitaires et des policiers serbes. Nous avions entendu dire un
5 certain nombre de choses quant à ce qui s'était produit dans des villages
6 et des villes.
7 Question: Est-ce que vous dites que les bombardements de l'OTAN n'ont fait
8 aucune victime parmi la population civile?
9 Réponse: Peut-être y a-t-il eu certains civils qui ont été tués, mais je
10 suis convaincu qu'il s'agissait d'accidents. J'ai entendu dire -je n'ai
11 rien pu observer par moi-même-, j'ai entendu dire que les forces serbes
12 s'étaient mêlées à la population civile et c'est en ces occasions qu'il y
13 a peut-être eu des victimes parmi les civils.
14 (Les Juges se concertent sur le siège.)
15 Question: Savez-vous si des civils albanais ont été visés par ces
16 bombardements?
17 Réponse: Comme je l'ai dit précédemment, peut-être y a-t-il eu des
18 incidents de ce type, mais la population du Kosovo n'a jamais pensé que
19 c'était la population albanaise qui était visée. Nous avons pensé que
20 lorsque cela se produisait, ce n'était qu'accidentel et cela s'est sans
21 doute produit quand les paramilitaires et les policiers serbes se sont
22 mêlés aux civils. C'est peut-être dans ces situations-là qu'il y a eu des
23 victimes parmi les civils mais je n'ai pas d'information à vous
24 transmettre là-dessus.
25 Question: Vous n'avez pas d'éléments d'information à nous transmettre. Le
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1 lendemain soir, nous dites-vous que 12 jeunes hommes sont venus chez vous.
2 Qui étaient ces jeunes hommes?
3 Réponse: Oui, ces 12 hommes vivaient dans le même endroit. Ils avaient
4 peur, ils sont venus passer la nuit avec nous parce qu'ils avaient peur.
5 Question: Donc c'étaient de simples jeunes hommes; il n'y avait pas, parmi
6 ce groupe de personnes, des enfants, des femmes, des membres d'une jeune
7 famille. C'étaient simplement de jeunes hommes. Est-ce qu'il aurait pu
8 s'agir de membres de l'UCK?
9 Réponse: Certainement pas. Ces jeunes hommes étaient restés en arrière
10 pour protéger leurs familles. Leurs familles, parce qu'elles avaient peur,
11 étaient parties et vous savez très bien qu'il n'y avait pas de force de
12 l'UCK à Prizren parce que nous étions encerclés de toute part par les
13 forces en présence. Et il est absurde, absurde de penser que l'UCK
14 comptait des membres parmi ces jeunes hommes, parmi les civils. Peut-être
15 que cela a pu être le cas, mais je n'ai eu connaissance d'aucun incident
16 qui se serait produit à Prizren et qui aurait impliqué des membres de
17 l'UCK et des forces du camp serbe.
18 Question: Vous déclarez que ces jeunes hommes se sont présentés chez vous
19 pour protéger leur famille mais leur famille n'était pas avec eux; ils
20 sont venus seuls, sans leur famille, ils se sont réfugiés chez vous?
21 Réponse: Pas pour protéger la famille, ils étaient restés après le départ
22 de leur famille pour protéger leur maison. Les membres de leur famille
23 étaient partis et s'étaient rendus vers le centre-ville pensant que ce
24 serait une zone plus sûre. C'est ce que je dis dans ma déclaration.
25 Question: Eh bien, alors, il y a une erreur d'interprétation parce que,
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1 d'après l'interprétation, il apparaît que vous avez dit que c'était pour
2 protéger leur famille. En fait, vous dites simplement qu'ils ont passé la
3 nuit chez vous et qu'ils sont partis le lendemain matin, c'est bien cela?
4 Réponse: Oui, et il n'y avait pas que de jeunes hommes. Il y avait
5 également des hommes plus âgés; des personnes âgées qui vivaient dans ce
6 quartier. Et je suis certain de ce que j'avance dans ma déclaration.
7 Il n'y a pas eu de tentative...
8 Question: Vous êtes rentré chez vous… Pardon, il n'y a pas eu de tentative
9 de quoi? Pardon, je ne vous ai pas entendu?
10 Réponse: J'ai dit que ces hommes jeunes et moins jeunes étaient venus
11 passer la nuit chez nous parce qu'ils avaient peur. Il n'y avait aucune
12 activité du type de celles que vous évoquiez tout à l'heure. Et pour ce
13 qui est d'activités militaires à Prizren menées par l'UCK, je voudrais
14 dire qu'il n'y a eu rien de similaire à ce que vous évoquer. Et vous
15 essayez de dire exactement l'inverse de ce que, moi, j'ai essayé de dire.
16 M. Milosevic (interprétation): Je regarde ce que vous avez écrit dans
17 votre déclaration préalable. Et je vous pose des questions à ce sujet
18 parce que dans votre déclaration vous dites que 12 jeunes hommes se sont
19 présentés chez vous et vous ajoutez maintenant que se trouvaient parmi ces
20 hommes, des hommes plus âgés, alors que ce n'est pas ce qui apparaît dans
21 votre déclaration. Alors, quand dites-vous la vérité? Quand vous écrivez?
22 M. le Président (interprétation): Il reviendra à la Chambre de se
23 prononcer sur la pertinence de cet élément. Il y a encore bien des sujets
24 à couvrir. Je propose que nous essayons d'avancer.
25 M. Milosevic (interprétation): Vous avez déclaré que, ce soir-là lorsque
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1 vous êtes rentré chez vous, deux voisins étaient passés pour vous dire de
2 partir, que vous seriez plus en sûreté si vous partiez. Comment cela "plus
3 en sûreté"? Est-ce que vous pourriez développer un petit peu ce point? Et
4 que vous ont dit exactement vos voisins?
5 M. Beqiraj (interprétation): Les trois ou quatre familles qui étaient
6 restées dans le quartier, étaient des familles qui avaient eu l'occasion
7 d'entendre les tirs. Une certaine panique s'était répandue dans le
8 quartier. Il y avait beaucoup d'enfants en bas-âge qui se trouvaient dans
9 ces familles et nous avons décidé que nous rendre dans le centre-ville
10 pensant que nous y serions plus en sécurité parce que les forces de la
11 police serbe se trouvaient dans le bâtiment "Progres".
12 Question: D'après ce que vous dites, c'est alors que vous vous déplaciez
13 vers le centre de la ville -comme vous le dites ici- qu'il y a eu des
14 bombardements répétés. Il apparaît ensuite qu'une personne vous a ouvert
15 la porte de sa cour et vous a dit d'y entrer. Je vous lis, je cite-:
16 "C'est là que nous serions plus en sécurité." (Fin de citation.) Donc ça
17 s'est passé pendant les bombardements d'après votre déclaration?
18 Réponse: C'est tout à fait exact. Néanmoins, ce que vous dites est
19 légèrement différent de ce que j'indique. Nous ne nous sommes pas dirigés
20 vers le centre-ville directement. Nous sommes passés par des voies
21 détournées parce que nous avions des proches en centre-ville.
22 Et vers 8 heures, si je ne m'abuse, la caserne de l'armée serbe a été
23 attaquée. Sur cette petite route sur laquelle nous nous trouvions,
24 quelqu'un a ouvert une porte. Nous nous sommes scindés en deux groupes et
25 c'est là que nous avons passé la nuit.
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1 Question: Très bien. Mais il semble assez clair que tout cela s'est
2 produit pendant les bombardements, on vous vous a appelé, on vous a dit
3 d'aller à l'intérieur pour vous mettre en sécurité. Est-ce que nous nous
4 sommes bien d'accord? C'est à cause des bombardements ou pas?
5 Réponse: Non, à ce moment-là, après le début des bombardements de l'OTAN,
6 il y a eu des coups de feu qui ont été tirés depuis la direction où se
7 trouvait la caserne de l'armée serbe. Mais nous ne savions pas qui tirait
8 parce que c'était à quelque distance de là où nous nous trouvions. Alors
9 que nous nous sommes dirigés vers la maison, que nous y sommes entrés, des
10 balles frappaient les murs, les tuiles -c'était une maison d'un étage- et
11 nous étions effrayés par ces tirs, par ces coups de feu, et non par les
12 bombardements de l'OTAN.
13 Question: En fait, vous n'aviez peur que des coups de feu qui étaient
14 tirés au sol, alors que les bombes qui tombaient du ciel ne représentaient
15 en rien un danger pour vous: c'est ça que vous nous dites?
16 Réponse: Parfaitement, l'OTAN n'attaquait pas les civils, nous n'avions
17 pas peur de l'OTAN. C'est ça que j'essaie de dire.
18 M. Milosevic (interprétation): Je comprends bien que c'est ce que vous
19 êtes en train de dire. Vous ne savez même pas que l'OTAN a attaqué des
20 civils, n'est-ce pas?
21 M. le Président (interprétation): Ça, c'est purement subjectif.
22 M. Milosevic (interprétation): D'après ce que vous dites, ces coups de feu
23 vous ont empêchés de dormir. Il est dit que "la mitrailleuse a tiré
24 pendant toute la nuit; nous n'avons pas pu fermer l'œil". C'est ce que
25 vous dites dans votre déclaration?
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1 M. Beqiraj (interprétation): C'est exact.
2 Question: Ensuite, vous vous êtes rendu chez un parent, le parent d'une
3 des familles de réfugiés qui était restée chez vous, et vous avez passé
4 chez cette personne plusieurs jours?
5 Réponse: C'est exact.
6 Question: Ensuite, vous dites que, pendant ce séjour chez cette personne
7 -je vous cite-, "nous avons accueilli nombre de jeunes hommes qui
8 sautaient à bas des tracteurs". (Fin de citation.)
9 Vous parlez de jeunes hommes et de jeunes hommes uniquement; vous ne
10 parlez pas de réfugiés, de familles, de personnes âgées. Vous n'évoquez
11 que de jeunes hommes, vous ne parlez de rien d'autre, n'est-ce pas?
12 Réponse: C'est exact. Nombre de familles empruntaient cette route. C'était
13 une longue colonne, un convoi qui était parti en direction de l'Albanie.
14 Ils avaient entendu dire que la police serbe, le long des routes, arrêtait
15 les jeunes hommes. Ils s'étaient arrêtés dans le quartier parce qu'ils
16 avaient peur et ils étaient descendus de leurs tracteurs par peur. Ils se
17 sont donc arrêtés à Prizren.
18 Question: Mais votre famille est cependant rentrée chez elle après
19 quelques jours, n'est-ce pas exact? Parce que vous pensiez que vous seriez
20 plus en sécurité chez vous?
21 Réponse: Non, ce n'est pas exact. Si je ne m'abuse, ma famille et moi-
22 même, nous avons quitté notre maison le 24 mars 1999; les femmes et les
23 enfants, nous les avons installés dans la maison de cette famille que nous
24 connaissions en ville. Puis le 26 mars, au vu de la situation dans
25 laquelle la ville se trouvait, nous avons pensé qu'il valait mieux nous
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1 séparer. Nous sommes allés chercher les femmes et, dans le courant de la
2 soirée, nous avons quitté la maison.
3 Question: Vous avez quitté la maison à la demande du propriétaire de
4 ladite maison? Ou est-ce que vous avez décidé de quitter la maison sur
5 votre propre initiative? Est-ce que le propriétaire vous a demandé de
6 partir ou est-ce que vous êtes vous-même arrivés à cette décision?
7 Réponse: Mais nous étions les propriétaires. Là, je parle du 26 mars, je
8 parle de la journée au cours de laquelle nous avons quitté ma maison. Je
9 ne parle pas du 28 mars. C'est le 28 mars, vers 16 heures 30 ou 17 heures
10 30, c'était Bajram, cette fête religieuse musulmane, et quelqu'un a dit:
11 "Aujourd'hui, c'est jour férié, jour de fête"
12 Et donc, vers 16 heures 30 ou 17 heures 30, la police serbe a frappé à la
13 porte et elle nous a donné cinq minutes pour partir pour l'Albanie. La
14 police a déclaré que toute personne restant en arrière serait abattue.
15 Nous avions donc le choix, soit nous partions pour l'Albanie, soit nous
16 mourions. Nous sommes donc partis pour l'Albanie, là où l'on nous avait
17 recommandé de nous rendre.
18 Question: C'est ce que vous a dit le policier: qu'ils vous tueraient si
19 vous ne quittiez pas les lieux?
20 Réponse: Oui.
21 Question: Il est dit, dans votre déclaration préalable, que le
22 propriétaire de la maison vous a dit cela et non pas les policiers. Il
23 semble que c'est le propriétaire de la maison qui vous a dit que les
24 policiers lui avaient dit cela?
25 Réponse: C'est exact. Pas moi, mais ils ont dit au propriétaire de la
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1 maison. Mais nous étions dans la même position. C'était Ibrahim Collaku
2 qui était propriétaire de la maison; il parlait le serbe, il a parlé à la
3 police, il était sorti pour parler avec les policiers.
4 Question: Oui, mais vous n'avez pas entendu cela, vous avez entendu dire
5 par le propriétaire de la maison que vous aviez cinq minutes pour quitter
6 les lieux, parce que c'était a priori ce que les policiers lui avaient
7 dit. C'est ce que vous avez dit dans votre déclaration.
8 Réponse: Je me trouvais près du portail, je me trouvais près de l'entrée.
9 J'ai pu suivre la conversation. J'ai entendu cette conversation, mais je
10 n'ai pas entendu le contenu de la conversation, mais c'est ce que le
11 propriétaire nous a dit.
12 M. Milosevic (interprétation): Oui, mais ce n'est pas ce que vous avez
13 écrit dans votre déclaration.
14 M. le Président (interprétation): Ce qui figure dans la déclaration, si
15 l'on s'en réfère à la version anglaise, c'est que "les policiers sont
16 venus frapper à la porte, le propriétaire a répondu. Quelques minutes plus
17 tard, il est revenu. Les policiers lui avaient dit de nous transmettre un
18 message aux termes duquel nous avions cinq minutes pour quitter la maison,
19 faute de quoi, ils abattraient tout le monde". Voilà ce qu'on peut lire
20 dans sa déclaration.
21 M. Beqiraj (interprétation): Oui, c'est ainsi que les choses se sont
22 passées.
23 M. Milosevic (interprétation): Et justement, c'est ce dont je parle. Ils
24 ont été informés de cela par le propriétaire de la maison et non pas par
25 les policiers eux-mêmes.
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1 M. le Président (interprétation): Nous disposons des informations qu'il a
2 nous communiquées à ce sujet: il dit que les policiers ont parlé au
3 propriétaire et lui ont dit de transmettre le message.
4 M. Milosevic (interprétation): Oui, mais c'est le propriétaire qui le lui
5 a dit et pas les policiers.
6 M. le Président (interprétation): Oui, c'est ce qu'il a dit.
7 M. Milosevic (interprétation): Bien. Alors, qu'est-il arrivé à cet enfant
8 lorsque la mère a placé l'enfant au-dessous des valises? Vous n'étiez plus
9 en mesure de trouver l'enfant, puis finalement vous l'avez retrouvé.
10 Quel est le rapport de cet événement avec une action de ce que vous
11 appelez les forces serbes?
12 M. Beqiraj (interprétation): Je n'ai pas dit que les forces serbes étaient
13 impliquées, mais ceci s'expliquait par la hâte dans laquelle nous sommes
14 partis. C'est pourquoi l'enfant s'est retrouvé en dessous des valises.
15 Nous avons sauvé cet enfant et puis nous avons pris la route.
16 M. Milosevic (interprétation): Mais il semble que la mère avait oublié où
17 elle avait placé son enfant, rien de plus?
18 M. le Président (interprétation): Ce qui est arrivé ressort assez
19 clairement de la déclaration et le Témoin nous l'a expliqué.
20 M. Milosevic (interprétation): Ensuite, vous parlez du comportement
21 agressif dont faisaient preuve les forces serbes. Cependant, d'après ce
22 que je lis dans votre déclaration, personne n'a été blessé par quiconque.
23 Tout ce que vous affirmez, c'est qu'ils se sont adressés à vous en termes
24 peu amènes. Est-ce bien exact?
25 M. Beqiraj (interprétation): Nous étions en danger. Nous ignorions ce qui
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1 allait nous arriver. Ils faisaient le geste de nous couper la gorge, ils
2 nous insultaient. Nous ignorions où nous allions, nous ne savions pas ce
3 qui allait nous arriver. On nous avait chassés de nos propres maisons, de
4 nos biens. Or, c'est un droit reconnu au niveau international d'avoir sa
5 maison, de pouvoir y vivre; c'était notre droit. Nous, nous ne voulions
6 pas partir en Albanie. Nous ne sommes pas partis de notre propre gré. On
7 nous a ordonnés d'y aller.
8 M. Milosevic (interprétation): Et qui vous l'a ordonné?
9 M. le Président (interprétation): En fait, ce que l'on vous dit, Monsieur
10 le Témoin, c'est que ce jour-là, personne n'a été blessé par les forces
11 serbes, enfin, d'après ce vous avez vu?
12 M. Beqiraj (interprétation): Oui, c'est exact. Aucun des membres de ma
13 famille n'a été blessé. Nous avons traversé la frontière sans que personne
14 soit blessé, tué ou quoi que ce soit d'autre. C'est exact.
15 M. Milosevic (interprétation): Et quand vous êtes revenus chez vous, vous
16 avez constaté que votre maison n'avait pas été endommagée?
17 M. Beqiraj (interprétation): Oui. Oui. Tout était en bon ordre. Rien
18 n'avait été endommagé. Alors qu'un peu plus loin, dans le même quartier,
19 les maisons avaient été endommagées. Mais dans notre quartier à nous,
20 beaucoup de maisons étaient intactes.
21 Question: Oui, mais moi, la question que je vous pose vous concerne vous,
22 personnellement. Si bien que, d'après les faits que vous-même vous nous
23 avez communiqués, vous avez assisté à deux bombardements à Prizren et,
24 dans le même temps, il y a eu un exode massif depuis Prizren, qui a vu se
25 former des colonnes de gens.
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1 Est-il exact que, quand on fait la relation entre ces bombardements et
2 cette image assez familière de personnes qui s'enfuient dans de telles
3 circonstances, on peut dire en fait que ces personnes qui s'enfuient le
4 font à cause des bombardements, qu'il y a là une relation de cause à
5 effet, n'est-ce pas? Oui ou non?
6 M. Beqiraj (interprétation): Il y a des gens qui s'étaient enfuis de
7 Krushe e Madhe, Landovica, Pirana, et la raison pour laquelle ces gens
8 sont passés, c'était à cause de l'atmosphère de terreur qui était créée
9 par les forces serbes.
10 Voilà pourquoi les gens partaient. Il s'agissait là d'un plan qui avait
11 été préparé à l'avance et nous, nous avions pris la fuite du fait de ces
12 actes de terreur en direction de l'Albanie. Je crois que personne n'est
13 parti pour une autre raison. Personne n'a dit quoi que ce soit, dans ce
14 sens-là en tout cas.
15 M. Milosevic (interprétation): Je comprends que personne ne l'ai dit. Moi,
16 je parle des faits au sujet desquels vous déposez: le premier
17 bombardement, le deuxième bombardement, la panique et puis, en fin de
18 compte, la fuite vers la frontière au sujet de laquelle, il y a deux ou
19 trois minutes, vous nous avez dit que personne ne vous avait maltraités,
20 etc.
21 M. le Président (interprétation): Il a dit qu'il avait fui les actes de
22 terreur perpétrés par les forces serbes. C'est ce qu'il nous dit.
23 M. Milosevic (interprétation): Mais est-ce qu'on peut considérer qu'il y a
24 terreur, atmosphère de terreur, lorsque personne n'a été blessé, personne
25 n'a été maltraité? Est-ce que vous considérez à ce moment-là qu'on peut
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1 parler de terreur?
2 M. Beqiraj (interprétation): On peut parler de terreur dans d'autres
3 villages autour de Prizren. Mais nous, en tout cas, nous avons été
4 expulsés par la force; là, on peut parler de terreur. On nous ôtait le
5 droit de vivre dans nos foyers. On nous a fait partir par la force, par la
6 violence.
7 Question: Et comment ont-ils fait pour vous expulser par la force? Est-ce
8 que quelqu'un, physiquement, vous a sortis de la maison ou bien est-ce
9 que, finalement, tout se résume au message qui vous a été transmis par le
10 propriétaire de la maison?
11 Réponse: Il y a eu des menaces, des menaces. Et toute la rue Ukshin
12 grouillait des habitants de l'endroit. Tout le monde a été forcé de
13 partir. Voilà, la violence.
14 Question: Et pensez-vous que, du moins dans une certaine mesure, ces
15 habitants fuyaient à cause des bombardements?
16 Réponse: Non, pas dans une certaine mesure. Le convoi était si long, c'est
17 inimaginable. C'était un convoi complètement interminable.
18 M. Milosevic (interprétation): D'accord, mais est-ce qu'il vous semble
19 logique de voir, s'il y a des bombardements, voir la population s'enfuir?
20 Et vous nous affirmez que non, la population ne fuit pas à cause des
21 bombardements, mais parce qu'un voisin a dit à tout le monde qu'il fallait
22 partir?
23 M. le Président (interprétation): Bien, s'il vous plait, ne répondez pas à
24 cette question, Monsieur le Témoin.
25 M. Milosevic (interprétation): Moi, je parle des faits qui ont été
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1 présentés par les témoins. Je parle de deux bombardements. En fait, voici
2 les images qu'il a évoquées devant nous. Un bombardement, deux
3 bombardements et ensuite un départ massif des civils.
4 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, il est possible que
5 les réponses qui vous sont données ne vous plaisent pas, mais ce qu'il
6 nous dit est tout à fait clair: que les gens ne sont pas partis à cause du
7 bombardement. Inutile de continuer d'ergoter à ce sujet de manière
8 interminable. C'est ce qu'il a à nous dire, voilà.
9 M. Milosevic (interprétation): Oui, mais même cette partie de sa
10 déposition présente une incohérence sur deux points, mais je ne vais pas
11 m'attarder à ce sujet. Si l'on regarde ces deux déclarations, on voit que
12 la deuxième déclaration correspond mieux à cette soi-disant persécution, à
13 ces soi-disant accusations, soi-disant expulsions, parce que le Témoin
14 nous donne des réponses très sèches, très schématiques et il oublie
15 complètement de nous dire...
16 M. le Président (interprétation): Il vous reste moins de dix minutes.
17 Alors, si vous avez des questions importantes à poser, allez-y.
18 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous affirmez que le
19 bombardement à Prizren n'a créé aucune panique, quelle qu'elle soit, et
20 n'a entraîné personne à fuir?
21 M. Beqiraj (interprétation): Tout à fait. J'ai déjà dit avant que nous
22 considérions les forces de l'OTAN comme la seule chance d'espoir, la seule
23 chance d'échapper à cette terreur. Et tout le monde avait cet espoir pour
24 l'avenir.
25 Question: Et savez-vous combien de Serbes ont fui Prizren à cause des
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1 bombardements?
2 Réponse: Ça, je n'en sais rien. Mais je crois que les Serbes ont quitté
3 Prizren parce qu'ils avaient peur de ce qu'ils avaient fait eux-même à
4 Prizren.
5 C'est vrai, il y avait peut-être des innocents parmi eux, mais je crois
6 qu'ils sont partis parce qu'ils avaient peur à cause de ce qu'ils avaient
7 fait auparavant. Nous, nous ne les avons pas expulsés, en tout cas. Je ne
8 sais pas.
9 Je n'ai connaissance d'aucun incident au cours duquel quelqu'un aurait
10 forcé des Serbes à partir de Prizren.
11 M. Milosevic (interprétation): Moi, je parle de la période sur laquelle
12 vous déposez, cette période qui se situait au début de la guerre. Vous
13 parlez ici des bombardements, vous parlez du départ de la population de
14 Prizren. Vous affirmez que vous êtes partis de Prizren parce que les
15 Serbes vous avaient menacés. Est-ce bien exact?
16 M. le Président (interprétation): Nous en avons déjà parlé. Inutile de se
17 répéter.
18 Savez-vous quoi que ce soit, Monsieur le Témoin, au sujet du départ des
19 Serbes, de la raison de leur départ? Avez vous des informations
20 personnelles à ce sujet?
21 M. Beqiraj (interprétation): Après la guerre, Monsieur le Président? C'est
22 de cela dont vous parlez?
23 M. le Président (interprétation): Pendant la guerre.
24 M. Beqiraj (interprétation): Moi, je ne sais rien de cela pendant la
25 guerre. Peut-être qu'il y a eu confusion parce que moi, je n'ai pas
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1 connaissance de Serbes qui soient partis pendant la guerre.
2 M. Milosevic (interprétation): Mais au moment où vous-même avez quitté
3 Prizren, est-ce que d'autres, les civils serbes, ont quitté Prizren en
4 raison des bombardements intenses dont Prizren faisait l'objet?
5 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, veuillez cesser
6 d'intervenir ici au sujet de questions qui sont contestées. Vous avez
7 entendu ce que le Témoin avait à dire. Il a été très clair: il a fui à
8 cause des actes de terreur qui étaient perpétrés sur place. Inutile de
9 vous contenter de répéter ce que vous avez déjà dit.
10 Vous pourrez en temps utile présenter vos propres témoins. Vous êtes en
11 train de perdre du temps au sujet de ces questions qui sont contestées.
12 M. Milosevic (interprétation): Mais je ne me répète pas. Moi, je dis que
13 le Témoin a dit qu'il avait quitté Prizren, qu'à cause de la terreur, des
14 milliers de personnes sont parties; et il dit que personne ne l'a touché,
15 personne n'a mis en cause sa sécurité. Voilà tout ce que j'essaie de dire.
16 M. le Président (interprétation): Inutile de continuer de la sorte, de
17 continuer de cette manière. Si vous avez autre chose à demander au Témoin,
18 vous pouvez encore le faire dans les cinq minutes qui vous restent. Sinon,
19 nous pouvons arrêter cet exercice tout de suite.
20 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous, puisque vous êtes de Prizren,
21 puisque vous êtes enseignant, savez-vous combien de meurtres ont été
22 commis dans la région de Prizren par l'UCK avant le début des
23 bombardements, avant le début de la guerre, c'est-à-dire jusqu'au jour de
24 votre départ de Prizren?
25 M. Beqiraj (interprétation): Non, il n'y a pas eu de meurtre à Prizren,
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1 pas de meurtre commis par l'UCK. Il n'y avait pas d'opérations de l'UCK: à
2 Prizren, je n'ai rien vu de tel et, quant à la région environnante, je
3 n'en sais rien. Je ne peux rien vous dire.
4 Question: Mais avez-vous entendu dire, parce que si quelque chose se passe
5 -Srdjan Simonovic, un soldat tué en octobre 1998-, lorsque ce genre de
6 choses se passe, quand il y a des meurtres dans les alentours d'une ville,
7 on en parle dans les journaux locaux. Donc avez-vous entendu parler de ce
8 meurtre-là?
9 Réponse: Non, il y a eu tellement de meurtres qu'il est impossible de se
10 souvenir de tous. Et moi, j'étais plus intéressé par tout ce qui
11 concernait mon métier; et puis, dans le même temps, j'étudiais à Pristina.
12 Donc je ne sais rien du tout de ce genre d'événements.
13 Question: Mais on parle d'octobre 1998: donc à ce moment-là, vous étiez
14 étudiant à Pristina, vous n'étiez pas à Prizren?
15 Réponse: J'étais à Prizren, j'étudiais pour mes examens, tout en
16 travaillant l'après-midi à l'école. Donc je n'avais pas beaucoup de temps
17 libre.
18 M. Milosevic (interprétation): Et vous souvenez-vous peut-être du meurtre
19 de Vladimir Markovic, un soldat, le 17 mars 1999, à savoir une semaine
20 avant le début de l'agression de l'OTAN?
21 M. Beqiraj (interprétation): Monsieur le Président, je ne sais pas.
22 M. le Président (interprétation): Si vous n'en savez rien, contentez-vous
23 de nous dire cela.
24 M. Beqiraj (interprétation): Non, je ne sais pas.
25 M. le Président (interprétation): Le temps qui vous est imparti s'est
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1 écoulé. Monsieur Milosevic, le Témoin ne sait rien à ce sujet, il ne peut
2 rien vous dire donc. Nous avons perdu beaucoup de temps.
3 Maître Tapuskovic, avez-vous des questions? Bien.
4 Je me tourne vers l'accusation, y a-t-il des questions supplémentaires?
5 M. Ryneveld (interprétation): Non, Monsieur le Président.
6 M. le Président (interprétation): Monsieur Beqiraj, merci d'être venu
7 déposer devant le Tribunal. Vous en avez maintenant terminé et vous pouvez
8 quitter maintenant le prétoire.
9 M. Beqiraj (interprétation): Merci beaucoup.
10 (Le témoin, M. Xhafer Beqiraj, est reconduit hors du prétoire.)
11 (Questions relatives à la procédure.)
12 M. Nice (interprétation): Avant l'entrée du témoin suivant, je me demande
13 si, pour une fois au moins, il ne conviendrait pas pour tous ceux qui ne
14 comprennent pas bien comment ceci fonctionne, s'il ne conviendrait pas de
15 fournir les documents que nous utilisons, la déclaration, comme ça, ceci
16 vaudrait pour le reste du procès.
17 M. le Président (interprétation): Bien.
18 M. Nice (interprétation): Je vais donc demander à l'huissier de placer
19 ceci sur le rétroprojecteur. Je vais demander à la cabine technique de
20 mettre celui-ci en état de marche et je vais expliquer brièvement de quoi
21 il retourne.
22 (Intervention de l'huissier.)
23 Veuillez, s'il vous plaît, nous montrer le haut de la page, Monsieur
24 l'Huissier.
25 Lorsqu'une déclaration est recueillie par un officier instrumentaire aux
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1 termes de l'Article 92bis, et si, en l'occurrence, ces déclarations ont
2 été recueillies au Kosovo, l'officier instrumentaire présente un
3 formulaire qui se présente de la manière suivante et qui indique que "la
4 personne qui fait office d'officier instrumentaire, en fonction du
5 Règlement de procédure et de preuve, certifie que -ensuite, la date et
6 l'endroit où cela a lieu- le témoin -dont on voit ensuite le nom, la date
7 de naissance, le lieu de naissance, le numéro de passeport, le lieu de
8 résidence, etc.-…".
9 Un peu plus bas sur la page, Monsieur l'Huissier, s'il vous plaît.
10 Ensuite, l'officier instrumentaire, dans cette attestation, explique que
11 la déclaration jointe est signée, datée par le soussigné. L'officier
12 instrumentaire stipule que cette déclaration est identifiée par le
13 déclarant; l'officier instrumentaire précise encore que le témoin s'est vu
14 remettre un exemplaire de la déclaration dans une langue qu'il ou elle
15 comprend. On précise ensuite que le témoin a été informé par l'officier
16 dans une langue qu'il ou elle comprend, que si jamais le contenu de la
17 déclaration n'est pas véridique, le témoin est passible de poursuites. On
18 stipule que tout ceci se déroule en vertu de l'Article 91 du Règlement de
19 procédure et de preuve.
20 Page suivante, s'il vous plaît.
21 Le témoin déclare que le contenu de la déclaration est véridique autant
22 qu'il le sache, qu'aucune pression n'a été exercée sur le témoin pour
23 qu'il ou elle signe la déclaration jointe. Ensuite, il y a la date et
24 ensuite, si nécessaire, on précise le nom des gens qui étaient présents.
25 Ceci est suivi d'une feuille où il y a attestation de l'officier
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1 instrumentaire, qui précise le lieu et l'endroit de l'opération. Ensuite,
2 nous avons ici -donc, je viens de vous montrer une déclaration en
3 anglais-, une attestation en anglais, mais cette attestation est également
4 communiquée en albanais et signée par le témoin en vertu de l'Article
5 92bis. Il signe donc dans sa langue aussi.
6 La déclaration nous indique le nom, le lieu de naissance, la date de
7 naissance. On peut ici lire que le témoin confirme qu'en présence de
8 l'officier instrumentaire, il a fait une déclaration qui est conforme à la
9 vérité, autant que le témoin puisse le dire et puisse s'en souvenir.
10 On peut ensuite lire que le témoin s'est vu remettre un exemplaire de
11 l'Article 91 du Règlement de procédure et de preuve, dans une langue qu'il
12 ou elle comprend. Et ensuite, on précise que le témoin sait qu'il ou elle
13 peut être passible de poursuites si jamais la teneur de sa déclaration
14 n'est pas véridique. Ensuite, nous avons une signature.
15 Voici donc les formulaires qui sont utilisés dans le cadre de cet
16 exercice.
17 Il faudra bien entendu procéder à quelques adaptations de ces formulaires
18 au cas ou un témoin soit illettré. C'est le cas du témoin que nous allons
19 entendre maintenant. Dans le cas d'un témoin de ce type, il faut donner
20 lecture de ce genre d'attestation.
21 Voilà la manière de procéder.
22 M. Kwon (interprétation): Pouvez-vous, s'il vous plaît, nous donner
23 quelques explications au sujet de l'officier instrumentaire. D'où vient-il
24 ou elle?
25 M. Nice (interprétation): En ce qui concerne l'officier instrumentaire,
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1 pour ce qui est de ces déclarations, il s'agit d'un officier désigné par
2 le Greffe, donc quelqu'un qui n'appartient pas au Bureau du Procureur, ni
3 à la Chambre. C'est quelqu'un qui représente le troisième pilier du
4 Tribunal et qui est chargé de mener cet exercice à bien, d'une manière
5 totalement indépendante.
6 M. Kwon (interprétation): Merci.
7 M. Nice (interprétation): Je vais maintenant citer à la barre Reshit
8 Salihi.
9 D'après ce que je sais, un accord a été conclu entre le Greffe et le
10 Bureau du Procureur sur la manière dont les documents sont versés au
11 dossier. Nous allons parler de Celine, qui se trouve sous la référence K22
12 sur la carte qui vous a été fournie, page 10.
13 Il faudra que l'on donne lecture de la déclaration solennelle au témoin
14 par un membre de l'équipe d'interprètes albanais.
15 (Le témoin, M. Reshit Salihi, est introduit dans le prétoire.)
16 (Interrogatoire principal du témoin, M. Reshit Salihi, par M. Nice.)
17 M. le Président (interprétation): Veuillez faire avancer le Témoin.
18 Veuillez, s'il vous plaît, rester debout quelques instants. Je vais
19 demander que l'on place la déclaration sur le rétroprojecteur.
20 (Intervention de l'huissier.)
21 Monsieur Salihi, on va vous donner lecture de cette déclaration. C'est un
22 interprète qui va le faire. Je vais vous demander simplement de suivre ce
23 qu'il vous dit et puis de répéter ce que dit l'interprète. Je vais
24 demander à l'interprète de donner lecture de la déclaration.
25 M. Salihi (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
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1 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
2 M. le Président (interprétation): Merci, veuillez vous asseoir.
3 M. Salihi (interprétation): Merci.
4 M. Nice (interprétation): Pouvez-vous, s'il vous plaît, Monsieur, donner
5 vos nom et prénom à la Chambre?
6 Réponse: Reshit Salihi, de Celine, commune de Grahovac.
7 Question: Je vais maintenant vous résumer la déclaration du Témoin.
8 Ensuite, je lui poserai un certain nombre de questions. La déclaration du
9 Témoin nous montre qu'il habite à Celine; que le 24 mars 1999, dans son
10 village, il a vu des unités de la VJ qui encerclaient le village et qui
11 ont entrepris de bombarder le village.
12 Les choses se sont passées de la manière suivante: les soldats ont
13 encerclé le village, ensuite l'ont bombardé, et puis les soldats sont
14 entrés dans le village. Ceci a duré jusqu'à 17 heures. Au cours de cette
15 opération, des bâtiments ont été incendiés et notamment la mosquée. Le
16 Témoin a très clairement vu des soldats mettre le feu à un certain nombre
17 de bâtiments. Les bâtiments ont été pillés par des soldats et les
18 véhicules transportant les biens pillés sont partis. Tout ce que l'on ne
19 pouvait pas emporter a été détruit.
20 A minuit, ce jour-là, la plupart des gens avaient quitté le village, mais
21 le Témoin se trouvait sur place avec son frère Bajram et d'autres membres
22 de sa famille. En tout cas, avec Bajram sûrement, puisque tous les autres
23 membres de sa famille avaient pris la fuite pour se rendre dans la forêt.
24 Vers 3 heures, il a vu des Serbes qui s'approchaient de la ferme. Ils sont
25 entrés dans les maisons avoisinantes et y ont mis le feu. Il a entendu des
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1 tirs d'arme automatique dans la zone qui se trouvait près de sa maison et
2 il a constaté que son frère avait été abattu. Il a entendu des tirs en
3 provenance de sa propre maison ou de sa propriété, là où il s'était caché.
4 Il a entendu des hommes parler en serbe. Il s'est ensuite dirigé vers la
5 forêt et il y est arrivé vers 9 heures 30.
6 Le lendemain matin, un groupe d'environ 40 policiers est arrivé. Il est en
7 mesure de nous dire quel type d'uniforme, quel type d'armes ils portaient.
8 Ils se sont mis à tirer en l'air. Il estime qu'il y avait 10.000 personnes
9 environ à cet endroit. Les policiers ont séparé les hommes des femmes et
10 des enfants et ont procédé à des fouilles. Le Témoin lui-même a dû
11 remettre 5.000 marks allemands dont il disposait. Sa sœur, elle, a dû
12 donner un collier en or, ainsi que 6.000 marks qu'il lui avait confiés
13 précédemment.
14 Toutes les personnes présentes se sont vu donner l'ordre de remettre leurs
15 papiers d'identité et, si elles s'y refusaient, on leur avait promis
16 qu'elles seraient abattues. Un homme de 22 ans, Rexhep Ramadani, a été
17 déshabillé et il a été abattu au moyen de trois balles tirées dans sa
18 tête.
19 Ensuite, on peut voir dans la déclaration comment les papiers d'identité
20 qui avaient été rassemblés ont été entassés, ont été brûlés. Tout le monde
21 a reçu l'ordre de s'aligner, les mains derrière la tête; ensuite, les
22 personnes concernées ont été contraintes de retraverser le village sous la
23 menace des armes. Les femmes et les enfants étaient en tête de colonne et,
24 en chemin, ils ont été frappés à plusieurs reprises par des fusils, par
25 des coups de crosse.
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1 Ils sont passés… La colonne ensuite a traversé Krushe e Madhe, Krushe sur
2 la principale route, puis ils ont dû monter dans un camion et sont allés
3 jusqu'à Zur, où on leur a ordonné de descendre du camion, et sont allés
4 jusqu'en Albanie qui se trouvait à cinq ou six kilomètres.
5 Dans sa déclaration, le Témoin affirme qu'il n'a jamais été membre de
6 l'UCK et qu'au bout d'un certain temps, il est retourné chez lui et il a
7 constaté que sa maison avait été pillée.
8 J'en ai ainsi terminé du résumé de la déclaration du témoin.
9 Monsieur Salihi, j'ai environ trois questions à vous poser seulement.
10 Je voudrais savoir dans quel village vous êtes né.
11 Réponse: Dans le village de Celinë.
12 Question: Est-ce que vous y avez vécu toute votre vie depuis lors?
13 Réponse: Toute ma vie. Et également mon père et mon grand-père avant moi.
14 Question: Et quel était votre emploi?
15 Réponse: Nous disons fermier. Je travaille mes terres.
16 Question: Est-ce que vous avez fait une déclaration aux représentants du
17 Bureau du Procureur pour ce Tribunal?
18 Réponse: Oui, je l'ai fait à Tirana lorsque nous y avions été envoyés. Je
19 ne savais pas où nous irions, mais j'ai fait ma déclaration à Tirana
20 lorsque nous avions été envoyés.
21 Question: Plutôt cette année, c'est-à-dire le 30 janvier de cette année,
22 est-ce que vous êtes apparu devant un officier instrumentaire nommé par le
23 Tribunal, à Celinë?
24 Réponse: Oui.
25 Question: Est-ce que la déclaration, telle qu'elle vous a été relue, était
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1 exacte?
2 Réponse: Oui, elle était précise.
3 M. Nice (interprétation): Je ne sais pas s'il faut donner un numéro de
4 pièce maintenant?
5 Mme Ameerali (interprétation): Numéro 104.
6 M. Nice (interprétation): Veuillez attendre, Monsieur Salihi. Vous aurez
7 peut-être d'autres questions qui vous seront adressées.
8 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Reshit Salihi, par l'accusé, M.
9 Milosevic.)
10 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Milosevic?
11 M. Milosevic (interprétation): Dans votre déclaration, vous avez écrit
12 que, jusqu'au 24 mars, lorsque l'agression de l'OTAN a commencé, vous
13 aviez une vie normale, vous meniez une vie normale.
14 M. Salihi (interprétation): Oui.
15 Question: Donc, jusqu'à ce moment, il n'y avait pas d'incident ou autre
16 chose qui aurait perturbé la vie normale dans votre village. Est-ce exact?
17 Réponse: Non. Il n'y avait rien dans le village de Celinë jusqu'au 25
18 mars.
19 Question: Vous connaissez votre région et vous avez vous-même dit, il y a
20 un instant, que vous y aviez vécu toute votre vie -à Velika Krusha,
21 Samodrazhë, Studencane et d'autres villages de la municipalité
22 d'Orahovac-, qu'il n'y avait pas de forces de l'armée, de la police,
23 stationnées dans ce voisinage. Est-ce exact?
24 Réponse: J'ai dit dans ma déclaration que le 25, ils sont arrivés et,
25 après cela, je n'ai rien de plus à ajouter, c'est-à-dire après le 28 mars.
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1 Question: Je vous pose la question jusqu'à la période où vous vous y
2 trouviez. Je ne vous demande pas de parler de la période après que vous
3 avez quitté le village. Est-ce exact ou non?
4 Réponse: Je ne peux pas vous donner de réponse concernant les villages
5 avoisinants. Je ne peux vous parler de Celinë, le village de Celinë.
6 Question: Mais je suppose que vous connaissiez des gens des villages
7 avoisinants et que vous étiez au courant des événements dans les villages
8 avoisinants. Est-ce exact ou non?
9 Réponse: Non.
10 M. Milosevic (interprétation): Connaissez-vous quelque chose, est-ce que
11 vous êtes au courant de quelque chose concernant les activités de l'UCK
12 dans ces villages? Lorsque je vous dis "dans ces villages", je me réfère à
13 Mala Krusha, Pirane, Medveca, Samodraza, Studencane, Zociste et
14 l'enlèvement des citoyens de l'ethnicité serbe, de la municipalité de
15 Rahovec.
16 M. le Président (interprétation): Vous allez semer la confusion pour le
17 témoin si vous continuez de la sorte.
18 La question, c'était: est-ce que vous êtes au courant d'une activité
19 quelconque de l'UCK dans les villages avoisinants? Si vous ne l'êtes pas,
20 dites-le tout simplement, Monsieur le Témoin.
21 M. Salihi (interprétation): Non.
22 M. Milosevic (interprétation): Et est-ce que vous saviez que le quartier
23 général de l'organisation terroriste de l'UCK se trouvait dans le village
24 de Malisevo? Je pense que c'est un village qui se trouve dans votre
25 région?
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1 M. Salihi (interprétation): Je n'en sais rien. J'étais intéressé par mon
2 travail et m'occupais de ma famille, c'est ce qui me préoccupait.
3 Je ne me suis pas occupé de la question d'où se trouvait l'UCK et où ne se
4 trouvait pas l'UCK. Je m'occupais. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il
5 est n'était pas à Celinë.
6 Question: Est-ce que ça veut dire vous n'avez jamais rencontré ou vu un
7 seul membre de l'UCK?
8 Réponse: Non.
9 Question: Quand est-ce que vous les avez vus?
10 Réponse: Je voulais dire: non, je ne les ai pas vus.
11 Question: Procédons d'après votre déclaration: le 25 mars, c'est-à-dire le
12 premier jour après le début de l'agression, après le début des
13 bombardements, vous avez dit que vous vous êtes levé tôt afin de pouvoir
14 reprendre vos activités habituelles, que vous pratiquiez tous les jours? A
15 quelle heure vous levez-vous habituellement?
16 Réponse: Chez moi, on se réveille à 5 ou 6 heures, l'heure à laquelle on
17 se réveille le matin.
18 Question: Et qu'en est-il de ce matin-là? Est-ce que vous vous êtes levé
19 tôt, ou est-ce que vous vous êtes levé comme d'habitude, à 5 ou 6 heures?
20 Réponse: Comme d'habitude.
21 Question: Et quelle est cette heure habituelle? Vous avez dit 5 ou 6
22 heures. Est-ce que c'est 5 heures ou 6 heures? Ou est-ce que c'est entre 5
23 et 6 heures?
24 Réponse: Je ne peux pas vous dire précisément si je me suis réveillé à 5
25 ou 6 heures. Je ne peux pas vous le dire avec précision.
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1 Question: A peu près alors? Car, en mars, même à 6 heures, il fait nuit,
2 et encore plus à 5 heures. Alors, quand est-ce que vous vous êtes réveillé
3 approximativement?
4 Réponse: Je me suis réveillé, il était probablement 6 heures. Lorsque je
5 me suis réveillé le village de Celinë avait été entouré la veille par la
6 police et des chars; ils ont commencé à tirer, par la police et l'armée.
7 Et pendant toute la journée, pour ceux qui ont pu sortir de chez eux, ils
8 ont pu s'enfuir; les autres ont été tués. Ça, c'est pour la journée du 25.
9 Ensuite...
10 Question: J'y viendrai. Je vous poserai des questions là-dessus. Veuillez
11 tout simplement répondre à mes questions et lorsque j'y viendrai, vous
12 pourrez répondre.
13 Mais vous avez dit que vous vous êtes réveillé vers 6 heures et, dans
14 votre déclaration, c'est dit qu'à 5 heures du matin, vous avez vu des
15 unités qui commençaient le bombardement du village.
16 Réponse: Oui.
17 M. Milosevic (interprétation): Alors, avez-vous pu voir des unités à 5
18 heures du matin, si vous vous êtes levé à 6 heures?
19 M. le Président (interprétation): Vous avez posé de nombreuses questions
20 sur l'heure. Le Témoin fait de son mieux.
21 Aidez-nous, lorsque vous vous êtes réveillé, Monsieur le Témoin, est-ce
22 qu'il faisait jour ou nuit?
23 M. Salihi (interprétation): Oui, c'était bien le cas.
24 M. Milosevic (interprétation): A 6 heures, le 25 mars, vous vous êtes donc
25 réveillé. Dans votre déclaration, vous dites qu'à 5 heures du matin, vous
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1 avez vu des unités qui ont commencé à bombarder le village.
2 M. le Président (interprétation): Nous avons déjà traité cette question.
3 Quelle est la question suivante?
4 M. Milosevic (interprétation): J'attire l'attention sur ce fait: le fait
5 que les officiels du Bureau du Procureur ont écrit la déclaration pour
6 lui. C'est évident.
7 M. le Président (interprétation): Vous avez posé de nombreuses questions
8 pour semer la confusion dans l'esprit du témoin. Ce n'est pas utile.
9 Maintenant, vous soulevez un point qui ne devait pas être soulevé.
10 M. Nice (interprétation): Ce n'est pas la première fois que l'accusé fait
11 des commentaires sur le Bureau du Procureur. Je dois dire que c'est un
12 privilège de travailler ici avec le groupe international d'enquêteurs,
13 c'est un privilège, et je peux parler de leur intégrité. Et pour ce qui
14 est du Témoin, l'interprète qui a lu la déclaration au témoin sera
15 disponible à la conclusion de cette déposition.
16 M. Robinson (interprétation): Monsieur Milosevic, vous faites des
17 commentaires sur le Bureau du Procureur et je vous ai entendu de
18 nombreuses fois. Je voulais vous réprimander en la matière. Il n'est pas
19 acceptable de vous voir faire des commentaires sur le Bureau du Procureur
20 sans preuve les étayant. Dans la juridiction d'où je viens, ceci est
21 considéré de façon très, très sérieuse. Vous l'avez déjà fait aujourd'hui
22 et je ne veux pas que vous le refassiez. Je veux que ce soit très, très
23 clair.
24 Les Bureaux du Procureur sont des bureaux du Tribunal; je vous traite
25 comme un Bureau du Tribunal. Ne remettez pas en question l'intégrité du
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1 Bureau du Procureur, à moins que vous ayez des preuves étayant ce que vous
2 dites. C'est une question d'une grande importance.
3 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Robinson, est-ce que vous pouvez
4 m'expliquer une chose, s'il vous plaît?
5 Est-ce que vous pensez qu'il est important et essentiel que, dans le
6 contre-interrogatoire du témoin, je teste les faits qui sont écrits dans
7 sa déclaration et que je puisse les comparer à ses réponses qu'il donne
8 dans le contre-interrogatoire?
9 M. Robinson (interprétation): Oui, vous êtes tout à fait libre de le
10 faire, mais vous pouvez le faire sans fonder, émettre des critiques non
11 fondées sur l'équipe de l'accusation. Si vous avez des preuves pour
12 remettre en question leur intégrité, alors vous pouvez produire ces
13 preuves. Mais simplement remettre en question l'accusation est
14 inacceptable dans cette Chambre.
15 Vous pouvez tester la véracité de la déclaration du témoin, mais vous
16 devez le faire sans pour autant remettre en question l'intégrité de
17 l'équipe du Bureau du Procureur. Voilà ce que je voulais vous dire.
18 M. Milosevic (interprétation): Je ne fais que comparer les faits. Les
19 faits qui ont été écrits et les faits qui viennent d'être prononcés. Et le
20 fait supplémentaire que nous traitons d'une déclaration écrite est que le
21 témoin, qui est analphabète, n'a pas pu re-vérifier par lui-même.
22 Donc je ne fais qu'ajouter ces faits et j'émets mes hypothèses. C'est
23 maintenant à vous de voir si c'est bien fondé ou pas. Je ne veux pas du
24 tout critiquer qui que ce soit, au contraire. Ce ne sont que des faits qui
25 peuvent faire mal à qui que ce soit, et non pas les intentions. Ce serait
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1 frapper trop bas, si je voulais faire des accusations, et je n'ai jamais
2 eu recours à ce genre de choses dans ma vie.
3 M. Robinson (interprétation): Veuillez poursuivre, s'il vous plaît.
4 M. Milosevic (interprétation): Vous avez décrit la méthode qui a été
5 utilisée par l'armée de la Yougoslavie, donc vous parlez de l'armée. Je
6 vais la lire -malheureusement, je n'ai pas la déclaration du témoin, je ne
7 l'ai qu'en anglais-, donc je vais la lire lentement pour qu'elle puisse
8 être lue en anglais.
9 Je cite: "L'armée VJ yougoslave a bombardé le village pendant une période.
10 Le bombardement s'est arrêté pendant quelques moments, moments pendant
11 lesquels les forces terrestres serbes entraient dans le village. Une fois
12 qu'elles se retiraient, le bombardement recommençait pendant un certain
13 temps. Ceci était ensuite suivi par une autre entrée par les forces au
14 sol. Cette action a continué pendant toute la journée de cette façon".
15 Combien de fois? Et vous nous l'avez décrit: tout d'abord, vous dites que
16 l'armée bombardait le village, ensuite l'armée arrêtait de bombarder le
17 village, est-ce exact?
18 M. Salihi (interprétation): Oui.
19 Question: Ensuite, vous poursuivez et vous dites qu'ils rentrent dans le
20 village à pied.
21 Combien de temps sont-ils restés dans le village une fois qu'ils entraient
22 dans le village?
23 Réponse: Lorsqu'ils étaient entrés dans le village, ils restaient pendant
24 toute la journée. Et ils ont brûlé et pillé, nous le savons. Par la suite,
25 nous avons remarqué leurs entrées et sorties. Nous avons quitté la maison,
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1 car nous avons vu la police et l'infanterie entrer et brûler des maisons;
2 ils étaient à peu près à 30 ou 40 mètres de distance et moi j'étais avec
3 mon frère...
4 Question: Je ne vous pose pas la question sur ce sujet. Je ne vous pose
5 que des questions sur le passage que je vous ai lu.
6 Ecoutez-moi avec attention. Vous avez dit que l'armée a d'abord bombardé
7 le village, ensuite ils sont entrés dans le village à pied. Par la suite,
8 ils se sont retirés du village, et ils ont re-bombardé le village et ils
9 sont re-rentrés dans le village. Ensuite, ils se sont retirés du village,
10 re-bombardé le village. Car vous avez dit qu'ils ont bombardé le village
11 toute la journée. Après le bombardement, ils rentraient, se retiraient,
12 re-bombardaient.
13 Donc je vous demandais combien de fois ça avait eu lieu car vous dites que
14 c'était la méthode utilisée pendant toute la journée. Je vous demande
15 donc: combien de fois sont-ils entrés dans le village et combien de fois
16 ils se sont retirés? Combien de fois ont-ils bombardé le village?
17 Réponse: Ils faisaient ce qu'ils voulaient. Ils ont bombardé, ils
18 partaient, ils faisaient ce qu'ils voulaient, ce qu'ils estimaient qu'ils
19 voulaient faire.
20 M. Milosevic (interprétation): Oui, mais nous parlons ici… Et faites
21 attention, nous essayons d'établir des faits ici. Vous avez dit qu'ils ont
22 bombardé, ensuite ils sont entrés dans le village, ils se sont retirés.
23 Ils ont re-bombardé, ils sont entrés dans le village, ils se sont retirés.
24 M. le Président (interprétation): Ne répétez pas la question car cela ne
25 nous amène nulle part.
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1 Monsieur Sahili, est-ce que vous pouvez nous dire à quelle fréquence les
2 forces sont entrées dans le village ce jour-là?
3 M. Sahili (interprétation): Vous savez, c'est tellement difficile pour moi
4 d'expliquer ce que j'ai vu mais si vous me permettez de mettre de l'ordre
5 dans tout ceci, je pourrais vous le dire.
6 M. le Président (interprétation): Oui.
7 M. Milosevic (interprétation): Pendant combien de temps a duré le premier
8 bombardement du village, le bombardement auquel vous faites allusion dans
9 votre déclaration?
10 M. Sahili (interprétation): Je ne peux pas vous le dire avec précision.
11 C'était pendant une heure, ensuite cela a recommencé. Après une heure, ils
12 revenaient dans le village.
13 Question: Donc ils bombardaient le village pendant une heure. Combien de
14 fois ont-ils bombardé le village pendant une heure?
15 Réponse: Je ne peux pas vous dire exactement combien de fois. Le
16 bombardement continuait et je n'étais vraiment pas en position de pouvoir
17 vous dire combien de fois.
18 Question: Et la période sans bombardement, combien de temps cela a duré?
19 Vous disiez qu'ils bombardaient et qu'ensuite ils s'arrêtaient, ils
20 entraient dans le village. Combien de temps restaient-ils dans le village
21 avant de se retirer et de recommencer le bombardement qui durait, selon
22 vous, pendant une heure?
23 Réponse: Je ne sais pas. Probablement une demi-heure, 20 minutes; disons
24 entre 10 minutes et une heure. Je ne peux pas dire.
25 Question: Ensuite, ils passaient une heure à bombarder le village et,
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1 ensuite, ils entraient dans le village. Est-ce exact?
2 Réponse: Oui.
3 Question: Est-ce que vous étiez à même d'établir une raison quelconque? Y
4 avait-il une raison d'après vous? Est-ce que vous avez une opinion?
5 Saviez-vous pourquoi ils bombardaient le village et pourquoi ensuite ils
6 rentraient dans le village, et pourquoi ensuite ils se retiraient pour re-
7 bombarder le village? Quelle en était la raison, d'après vous? Pourquoi se
8 sont-ils comportés de la sorte d'après vous?
9 Réponse: C'est eux qui le savent, nous on ne le sait pas. Ils sont venus
10 faire ce qu'ils voulaient faire. Je ne sais pas pourquoi ils l'ont fait.
11 Question: Comme vous avez dit, ils ont commencé à bombarder le village. Y
12 avaient-ils des habitants dans le village? Est-ce que les gens sont
13 restés? Quelques gens sont restés dans le village ou tout le monde avait
14 fui le village?
15 Réponse: A cette époque, il était impossible pour tout le monde de fuir.
16 Ceux qui étaient restés ont été massacrés et tués. Certains ont pu quitter
17 le village, mais d'autres non.
18 M. Milosevic (interprétation): Mais vous n'avez rien écrit sur les soldats
19 qui circulaient dans le village en train de tuer, ce n'est pas quelque
20 chose qui est contenu dans votre déclaration?
21 M. le Président (interprétation): Nous allons y revenir plus tard. Nous
22 allons lever la séance maintenant.
23 Est-ce que vous vouliez ajouter quelque chose, Monsieur le Témoin?
24 M. Sahili (interprétation): J'ai beaucoup à dire mais je ne suis pas venu
25 ici pour mentir. Je suis là pour expliquer ce qui nous est arrivé. Si vous
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1 me le permettez, je pourrais continuer.
2 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur le Témoin. Il faut qu'on
3 vous demande de revenir lundi matin pour terminer votre déposition.
4 Pendant la période jusqu'à lundi, vous vous souviendrez de ne pas parler à
5 qui que ce soit de votre déposition et ceci inclut l'équipe du Bureau du
6 Procureur.
7 Nous allons lever la séance jusqu'à lundi matin. Et on va me dire à quelle
8 heure? 9 heures, lundi matin.
9 Donc, Monsieur le Témoin, vous serez amené à revenir à 9 heures lundi.
10 M. Sahili (interprétation): Oui, c'est pour cela que je suis venu: pour
11 déposer, faire ma déposition, témoigner de ce que j'ai eu à vivre.
12 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.
13 (L'audience est levée à 12 heures 45.)
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