Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 2 mai 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 30.)

3 (Audience publique.)

4 (Le témoin, M. Shukri Gërxhaliu, est déjà dans le prétoire.)

5 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Milosevic?

6 M. Milosevic (interprétation): Je voudrais clarifier une question

7 particulière.

8 Hier, vous m'avez demandé, au sujet du témoin K21, quand la proposition a

9 été faite au titre de l'Article 92bis; ma réponse avait été que je

10 m'attendais à recevoir la déclaration de ce témoin hier après-midi.

11 Effectivement, je l'ai obtenue hier après-midi. J'ai lu sa déclaration et

12 je souhaiterais que vous preniez en considération certains faits qui

13 indiquent qu'il n'y a aucune raison, absolument aucune raison, quelle

14 qu'elle soit, pour que ce témoin soit un témoin bénéficiant de mesures de

15 protection.

16 M. le Président (interprétation): On en traitera. Nous avons un témoin;

17 nous examinerons la question de K21en temps utile. Pour le moment,

18 continuons avec les éléments de preuve.

19 Que le témoin fasse la déclaration solennelle.

20 M. Gërxhaliu (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

21 vérité, toute la vérité et rien d'autre que la vérité.

22 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir.

23 Oui, Monsieur Saxon.

24 (Interrogatoire principal du témoin, M. Shukri Gërxhaliu, par M. Saxon.)

25 M. Saxon (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

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1 Monsieur, est-ce que votre nom est bien M. Shukri Gërxhaliu?

2 M. Gërxhaliu (interprétation): Oui.

3 Question: Docteur Gërxhaliu, êtes-vous né le 23 août 1953?

4 Réponse: Oui.

5 Question: Etes-vous né dans le village de Studime e Poshtëme dans la

6 municipalité de Vushtrri, au Kosovo?

7 Réponse: Oui.

8 Question: Et ce village est maintenant appelé Martiret?

9 Réponse: Oui.

10 Question: Docteur Gërxhaliu, du 17 au 19 février 2000, avez-vous fait une

11 déclaration à des représentants du Bureau du Procureur concernant les

12 événements dont vous avez été le témoin ou dont vous avez eu l'expérience

13 au Kosovo en 1999?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Le 4 février 2002, dans le village de Martiret, dans la

16 municipalité de Vushtrri au Kosovo, vous a-t-on fourni un exemplaire de la

17 déclaration, copie de la déclaration que vous avez faite en février 2000,

18 en la présence des représentants du Bureau du Procureur et d'un

19 fonctionnaire instrumentaire désigné par le Greffe de ce Tribunal?

20 Réponse: Oui.

21 Question: Avez-vous confirmé à l'époque que la copie de la déclaration qui

22 vous a été fournie était exacte et véridique?

23 Réponse: Oui.

24 M. Saxon (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je

25 présente maintenant cette déclaration pour être reçu comme pièce à

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1 conviction au titre de l'Article 92bis.

2 Mme Anoya (interprétation): Ce sera, Monsieur le Président, la pièce 122

3 présentée par le Bureau du Procureur; pièce à conviction 122.

4 M. Saxon (interprétation): Monsieur le Président, M. Shukri Gërxhaliu a

5 vécu la plus grande partie de sa vie dans le village de Studime e Poshtëme

6 -ou Martiret- dans la municipalité de Vushtrri au Kosovo. Il est marié et

7 il a quatre enfants.

8 Il a travaillé comme médecin à l'hôpital de Vushtrri et, actuellement,

9 occupe le poste de spécialiste de la médecine du travail. Du côté du mois

10 d'octobre 1998, M. Gërxhaliu a également traité des blessés de KLA, soit

11 chez lui, soit dans des villages, ainsi que des membres de la population

12 civile dans ces villages qui avaient besoin d'aide et d'assistance

13 médicale.

14 Monsieur Gërxhaliu décrit comment, après la campagne de bombardements de

15 l'OTAN, après son début, les forces serbes ont lancé une offensive du

16 village de Rashica commençant le 28/29 mars 1999. Cette offensive

17 comportait du pilonnage du village où le docteur vivait avec sa famille.

18 Le docteur et sa famille et d'autres résidents de Studime e Poshtëme ont

19 quitté leur village.

20 Le Dr Gërxhaliu est allé dans la montagne pour travailler dans les

21 hôpitaux de campagne de l'UCK à l'époque. Vers le 7 au 10 avril 1999, la

22 famille du Dr Gërxhaliu est rentrée au village, mais les forces serbes

23 sont arrivées à sa recherche, à la recherche du Dr Gërxhaliu. A cette

24 époque, le Dr Gërxhaliu a décidé d'emmener sa famille dans le secteur

25 montagneux contrôlé par l'UCK.

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1 Le témoin décrit comment lui-même et sa famille ont ensuite été pris pour

2 cibles par les forces serbes, alors qu'ils se rendaient au village de

3 Poshtëme. Pendant les deux à trois semaines qui ont suivi, le Dr Gërxhaliu

4 a continué de travailler dans les hôpitaux de campagne de l'UCK.

5 Le Dr Gërxhaliu décrit comment…

6 M. le Président (interprétation): Oui. Laissez-moi vous interrompre.

7 M. Tapuskovic (interprétation): Il n'y a pas d'interprétation. Il semble

8 que M. Slobodan Milosevic n'entende pas l'interprétation non plus. Il n'y

9 a pas d'interprétation vers le serbe, Monsieur le Président.

10 M. le Président (interprétation): Monsieur Saxon, voudriez-vous vous

11 asseoir une seconde? On va voir ce qui se passe.

12 (Intervention technique.)

13 Je comprends que, dans quelques minutes, on aura réglé le problème.

14 M. Tapuskovic (interprétation): Oui, on le reçoit bien.

15 M. Saxon (interprétation): Vers le 7 au 10 avril 1999, la famille du Dr

16 Gërxhaliu est retournée au village, mais les forces serbes sont arrivées à

17 la recherche du Dr Gërxhaliu.

18 A cette époque, le Dr Gërxhaliu a décidé d'emmener sa famille dans le

19 secteur montagneux contrôlé par l'UCK. Le témoin décrit comment lui-même

20 et sa famille ont été pris pour cibles par les forces serbes, alors qu'ils

21 se rendaient au village de Studime e Poshtëme.

22 Au cours des deux à trois semaines qui ont suivi, le Dr Gërxhaliu a

23 continué de travailler dans des hôpitaux de campagne de l'UCK.

24 Le Dr Gërxhaliu décrit comment, le 2 mai 1999, à la suite d'une percée

25 opérée par les forces serbes aux lignes de front proches des villages de

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1 Llap et Meljenica, les civils qui avaient essayé de se réfugier dans les

2 montagnes ont décidé de former un convoi et de descendre de la montagne en

3 direction de la ville de Vushtrri. Le Dr Gërxhaliu estime qu'il y avait

4 environ 40.000 personnes dans ce convoi. Ce convoi s'est mis en route dans

5 l'après-midi du 2 mai. Et M. Gërxhaliu décrit comment ce convoi s'est

6 déplacé très lentement et a été pris pour cible par les Serbes qui ont

7 commencé à tirer dessus. Il a vu de nombreux blessés.

8 Le témoin s'est caché sous des abris de plastique dans la remorque dans

9 laquelle il se trouvait. Il a décrit des soldats serbes et des

10 paramilitaires qui s'approchaient à maintes reprises du convoi, exigeant

11 de l'argent des membres du convoi et tirant sur ceux qui n'en avaient pas.

12 La femme du Dr Gërxhaliu a été menacée d'être violée, jusqu'à ce qu'elle

13 ait remis plusieurs centaines de deutschemarks à l'un des Serbes. De

14 l'endroit où il se trouvait dans la remorque, le docteur a entendu les

15 Serbes questionner et battre son beau-frère et il a vu et entendu des

16 forces serbes tirer et tuer l'homme qui conduisait un tracteur derrière la

17 famille Gërxhaliu.

18 Le Dr Gërxhaliu a entendu deux hommes qui parlaient en serbe près de sa

19 remorque. L'un disait: "Combien en as-tu tué déjà?" L'autre a répondu:

20 "Environ 50." La première voix disait: "Continuons jusqu'à ce que nous

21 arrivions à 100." Les forces serbes ont tué des hommes de leur convoi qui

22 ne satisfaisaient pas leur demande d'argent. Craignant pour leurs vies, le

23 Dr Gërxhaliu et son beau-frère Halil se sont enfuis du convoi et se sont

24 cachés près d'un cours d'eau. La femme du Dr Gërxhaliu a convaincu les

25 forces serbes que les hommes de leur famille avaient déjà été tués.

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1 Vers 11 heures 45 de la même nuit, les survivants du convoi se sont remis

2 en route. De l'endroit où le Dr Gërxhaliu et son beau-frère Halil se

3 cachaient, ils ont vu une dizaine de véhicules remonter la route venant du

4 sud de la direction Studime e Poshtëme. Le Dr Gërxhaliu a vu que deux des

5 trois véhicules étaient des véhicules de la police serbe et les autres

6 étaient des transports, des blindés. Les véhicules avaient leurs phares

7 allumés et semblaient fouiller la zone. Le Dr Gërxhaliu a entendu une voix

8 crier en serbe: "Soldats, repartons maintenant. Nous n'avons pas de

9 carburant et tout a été réglé ici."

10 Par la suite, le Dr Gërxhaliu et son beau-frère se sont rendus vers le

11 village de Studime e Epërme, puis au village de Slakovc et, par la suite,

12 le Dr Gërxhaliu et son beau-frère sont redescendus de la montagne à

13 Studime e Epërme où le massacre avait eu lieu.

14 A l'époque, les soldats de l'UCK aidaient à enterrer les morts. Le Dr

15 Gërxhaliu a vu certaines des victimes dont de nombreuses portaient des

16 blessures qui les rendaient méconnaissables. Le Dr Gërxhaliu a vu une

17 liste des morts qui s'élevait à 97 noms à l'époque. A la demande de l'UCK,

18 le Dr Gërxhaliu est venu travailler à nouveau à leur hôpital de campagne,

19 à Sllakovc et, le 29 mai, il est retourné chez lui pour voir sa famille.

20 Le 31 mai 1999, on a vu de la police serbe près du domicile du cousin du

21 Dr Gërxhaliu, Saladin Gërxhaliu. Il s'est enfui. Lorsqu'il s'enfuyait, il

22 a entendu des voix jurer et crier en langue serbe et il a entendu des

23 coups de feu.

24 D'autres voisins ont dit qu'ils avaient vu sept policiers serbes dans le

25 secteur, ainsi que trois cadavres. Le Dr Gërxhaliu, par la suite, a vu que

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1 ces trois cadavres étaient des parents à lui -excusez-moi si je prononce

2 mal ces noms-: Selman Gërxhaliu, Saladin Gërxhaliu, le fils de Saladin,

3 Shaban. Le Dr Gërxhaliu a vu des blessures par balles sur ces trois corps.

4 Un autre parent, Fatbardha, a pris des photographies de ces corps avec un

5 appareil photographique et les autorités serbes ont été appelées. Après

6 qu'un juge et un médecin et des policiers serbes étaient venus sur place,

7 puis repartis, le Dr Gërxhaliu est entré dans la maison où il a découvert

8 neuf cadavres appartenant à sa famille, y compris sept enfants de moins de

9 12 ans. Tous avaient apparemment été tués, abattus par balles.

10 Un ou deux jours plus tard, le 4 ou 5 juin, le reste de la famille

11 Gërxhaliu, y compris ce témoin, est parti pour le Monténégro. Ils y sont

12 restés pendant deux semaines avant que les soldats de l'OTAN ne soient

13 entrés au Kosovo, plus tard, en juin 1999.

14 M. Gërxhaliu (interprétation): Excusez-moi, Monsieur le Juge, je ne

15 dispose pas de ma déclaration; je ne l'ai pas sous les yeux.

16 M. le Président (interprétation): On va vous en remettre un exemplaire.

17 M. Gërxhaliu (interprétation): Je vous remercie.

18 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Milosevic?

19 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Shukri Gërxhaliu, par l'accusé M.

20 Milosevic.)

21 M. Milosevic (interprétation): J'espère que le microphone est allumé

22 maintenant.

23 Je commencerai par l'événement que le témoin a décrit comme une attaque

24 contre les civils. Il est dit dans votre déclaration, à la page 1, au

25 dernier paragraphe, que 80% de la municipalité de Vucitrn était sous le

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1 contrôle de l'UCK. Est-ce exact?

2 M. Gërxhaliu (interprétation): Oui, c'est correct. Oui, je crois bien que

3 c'est exact.

4 Question: Plus loin, à la page 2, vous parlez des concentrations très

5 importantes à Bajgora, n'est-ce pas?

6 Réponse: De qui, à Bajgora?

7 Question: L'UCK était aussi à Bajgora. Il y avait un quartier général de

8 l'UCK, ou peut-être voulez-vous dire qu'il ne s'y trouvait pas?

9 Réponse: Je parle de la commune de Vushtrri. Bajgora, ce n'est pas dans la

10 commune de Vushtrri.

11 Question: Bien, bon. Alors, ne perdons pas de temps là-dessus. Je traite

12 simplement de votre déclaration.

13 A la page 2, au dernier paragraphe, vous dites qu'on vous a donné des

14 ordres ou plutôt il est dit plus précisément que "le 2 mai, l'ordre est

15 venu pour l'UCK de se déplacer". C'est ce qui est dit ici. Je pense que

16 cela voulait dire de se retirer, je suppose, parce que les Serbes avaient

17 fait une percée à travers la ligne de front.

18 Combien de temps est-ce que ces combats ont duré?

19 Réponse: Je ne suis pas un officier militaire et je n'étais pas en ligne

20 de front; je me trouvais à l'hôpital. Mais je sais qu'il y a eu des

21 combats là-bas alors que, le 2 mai, en raison de la chute, parce que la

22 ligne du front est tombée, en raison de manques de nourriture et d'autres

23 -notamment le 2 mai- juste lorsqu'on était pilonné en même temps, on est

24 partis en direction de Ceceli et après de Vushtrri.

25 M. Milosevic (interprétation): Donc, d'après votre déclaration, 80% du

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1 territoire était sous le contrôle de l'UCK; des combats ont eu lieu et il

2 y avait une ligne de front, d'après votre déclaration. D'après votre

3 déclaration, nos forces ont percé la ligne de front et puis vous vous êtes

4 retirés, c'est-à-dire que l'UCK s'est retirée.

5 Et vous, qui étiez un non-combattant, mais avec l'UCK, vous travailliez

6 comme un médecin pour l'UCK, n'est-ce pas? Vous étiez en train de vous

7 retirer dans une certaine direction, peu importe dans quelle direction

8 pour le moment, mais est-ce exact?

9 M. le Président (interprétation): Mais oui, il a déjà dit cela dans sa

10 déclaration.

11 M. Milosevic (interprétation): Par conséquent, les opérations qu'il décrit

12 sont des opérations contre l'UCK. Parmi celle-ci, il y avait le médecin

13 qui les soignait. Ce ne sont pas des opérations contre la population

14 civile. Est-ce exact ou non?

15 M. le Président (interprétation): Vous êtes en train de dire que les

16 opérations des forces serbes étaient contre l'UCK et non contre la

17 population civile. C'est bien cela?

18 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, je pense que j'ai dit les choses

19 très clairement, ce dont il s'agissait en général. Il a décrit la

20 situation en disant que 80%...

21 M. le Président (interprétation): N'y revenez pas encore une fois. Ce qui

22 est dit au témoin, et vous pouvez répondre selon ce que vous avez vécu,

23 c'est que cette opération était une opération contre l'UCK et ne visait

24 pas la population civile, ne visait pas des civils.

25 Pouvez-vous nous aider pour nous dire si ceci est exact ou non? Si vous ne

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1 pouvez pas nous aider, dites simplement non.

2 M. Gërxhaliu (interprétation): L'opération? Lorsque la ligne de front

3 s'est retirée, l'opération s'est adressée à ce moment-là, dans l'après-

4 midi, contre des civils. Car les soldats ne se trouvaient pas dans la

5 partie est, mais, en colonne, ils se sont adressés contre les civils; ils

6 ont attaqué les civils. Les forces serbes, donc.

7 M. Milosevic (interprétation): Nos forces cherchaient, fouillaient le

8 convoi après ces combats et après que le front fut tombé. C'est cela que

9 vous avez dit, n'est-ce pas?

10 Réponse: Les forces serbes, provenant de la partie arrière et de la partie

11 nord suivaient la colonne, le convoi alors que, dans la partie en avant,

12 il y avait d'autres forces sur la colline. Alors, toutes ces forces-là

13 nous ont entourés jusqu'à 4 ou 5 heures, quand il a commencé à faire nuit

14 donc. C'est à ce moment-là que la nuit terrible a commencé.

15 Question: Un groupe de l'UCK se retirait avec le convoi, n'est-ce pas?

16 Réponse: Non.

17 Question: Vous êtes en train de dire que vous étiez le seul membre de

18 l'UCK du convoi?

19 Réponse: Il ne s'est pas retiré. J'étais le seul. J'étais seul et je

20 n'étais pas en uniforme, sans armement. J'avais seulement le stéthoscope

21 et donc mes instruments médicaux.

22 Question: Ma question est de savoir si vous étiez le seul membre de l'UCK

23 dans ce convoi de 40.000 individus qui se retiraient?

24 Réponse: Oui, j'étais moi seul.

25 M. Milosevic (interprétation): Alors, vous soutenez que l'UCK ne se

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1 retirait pas avec des civils et qu'il n'avait pas pris des civils comme

2 boucliers humains, comme c'était leur pratique habituelle?

3 M. Gërxhaliu (interprétation): Non, ce n'est pas vrai du tout. L'UCK se

4 trouvait sur la partie est vers Dumnicë, alors que les civils n'étaient

5 pas du tout protégés. J'étais l'unique civil et j'avais seulement mon sac

6 de médecin, avec le stéthoscope et autres.

7 M. le Président (interprétation): Il a été aussi suggéré que l'UCK prenait

8 des civils comme boucliers humains. Est-ce que l'UCK a fait cela?

9 M. Gërxhaliu (interprétation): Non, ce n'était pas comme ça. Je ne l'ai

10 jamais vu comme ça. Ce n'est pas du tout vrai!

11 M. le Président (interprétation): Il était suggéré que c'était leur

12 pratique habituelle. Est-ce exact?

13 M. Gërxhaliu (interprétation): Non, ce n'est pas vrai! Les soldats ont

14 transporté les blessés dans un endroit sûr, alors que les civils, en

15 raison de manque de médicaments et de nourriture, et en raison des

16 pilonnages qui les suivaient, ont été obligés de prendre la direction de

17 Vushtrri en espérant sortir de là.

18 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, s'il vous plaît,

19 n'interrompez pas mon contre-interrogatoire parce qu'il y a une certaine

20 logique en soi et je voudrais que le témoin réponde aux questions les unes

21 après les autres.

22 M. le Président (interprétation): Il répond aux questions les unes après

23 les autres, et la logique apparaîtra si vous vous abstenez de demander

24 d'autres questions qu'une seule à la fois. Ce que vous faites, c'est que

25 vous dites plusieurs questions être une seule question, comme la question

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1 de l'UCK prenant des boucliers humains comme pratique habituelle.

2 Posez une question à la fois et nous pourrons progresser.

3 M. Milosevic (interprétation): Bien. Alors, nous allons avancer plus vite.

4 Vous venez de dire que c'était un convoi de civils non protégé parce que

5 l'UCK était allé de l'autre côté. Ma question est très simple. Elle ne

6 contient qu'une seule question.

7 Pourquoi est-ce que l'UCK a laissé ces civils sans protection?

8 M. Gërxhaliu (interprétation): L'UCK a changé de stratégie: elle a protégé

9 les blessés et les malades, alors que les civils étaient en si grand

10 nombre et qu'ils manquaient de nourriture, de médicaments. Ils étaient

11 donc obligés de continuer de changer de place, de chercher un autre lieu

12 pour survivre, de chercher d'autres chances, de trouver d'autres espoirs.

13 Question: Est-ce que cela veut dire qu'en dehors des civils qui se

14 trouvaient dans le convoi, il y en avait d'autres, blessés ou malades?

15 Réponse: De quels civils parlez-vous? Où? Quels sont ces autres civils?

16 Question: Des civils de l'UCK.

17 Réponse: Non, avec l'UCK, je ne crois pas qu'il y ait eu des civils dans

18 les rangs. Eux, ils m'ont demandé: "Si tu veux bien rester avec les

19 blessés, nous on tient le coup jusqu'à la dernière cartouche. On ne se

20 rendra pas vivants". Mais moi, j'ai suivi ma famille en direction de

21 Vushtrri dans l'espoir de pouvoir survivre avec les civils donc.

22 Question: Mais avez-vous emmené avec vous les blessés de l'UCK et les

23 cadavres des hommes de l'UCK qui étaient morts ou bien les avez-vous

24 laissés sur place?

25 Réponse: Non, ils sont partis. Non, il y avait quelqu'un qui était mort,

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1 il a été enterré dans la matinée, alors que les autres ont suivi l'armée,

2 alors que les civils sont blessés, sont malades. Tous les civils étaient

3 ensemble. Ils étaient là, tous ensemble, en bonne santé jusqu'à ce que les

4 forces soient arrivées et les aient assiégés.

5 Question: Mais vous êtes-vous peut-être séparés en route des membres de

6 l'UCK qui avaient été tués?

7 Réponse: Non, non, non, non. On pouvait le lire clairement dans ma

8 déclaration. Un membre seulement de l'UCK, dans la matinée, a été enterré

9 ce jour-là. Les autres: il n'y en a pas eu d'autres. Tout le convoi,

10 jusqu'à ce que les forces de police et d'armée, les forces serbes donc,

11 entre les deux Studime, donc tous les civils du convoi étaient tous en

12 bonne santé. Il n'y avait pas de blessés, là.

13 Question: Bon, d'accord, un membre de l'UCK. Mais est-ce que cela signifie

14 qu'il n'y en avait qu'un dans le convoi?

15 Réponse: Non, non, non! Il a été enterré dans la matinée. Et il n'y avait

16 que moi en civil avec l'UCK. Je vous le dis, mais vous oubliez les choses,

17 paraît-il. Ce n'est pas comme ça.

18 Question: Et celui qui a été enterré était-il également un civil?

19 Réponse: Non, il a été enterré dans la matinée. Il était soldat. Il a été

20 enterré dans une cérémonie, on lui a rendu hommage. C'est très précis dans

21 ma déclaration, tout ça.

22 Question: Mais comment se fait-il qu'il y avait avec vous un soldat

23 puisque vous avez dit qu'avec vous il n'y avait pas de soldat.

24 Réponse: Vous êtes en train de mélanger les choses. Car le soldat a été

25 enterré dans la matinée, en raison des blessures, il a été blessé,

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1 gravement blessé en ligne de front, alors que le convoi est parti en début

2 d'après-midi. Il a été enterré en Ceceli, alors que le convoi ensuite a

3 continué à Ceceli, une colonne, ensuite Studime e Epërme et c'est après

4 que les forces serbes sont arrivées.

5 Question: Autrement dit, ce matin-là, vous vous êtes séparé de l'UCK?

6 Réponse: Non.

7 M. Milosevic (interprétation): Quand le corps de ce soldat a été enterré,

8 vous y étiez? Et l'UCK était là également. Ensuite, vous vous êtes séparés

9 et vous avez poursuivi votre chemin, oui ou non?

10 M. le Président (interprétation): Nous avons déjà parlé de cela à

11 plusieurs reprises. Il n'est pas nécessaire, cela ne sert à rien de

12 poursuivre. Le témoin vous a expliqué quand et comment cet homme a été

13 enterré.

14 M. Milosevic (interprétation): Oui, tout est clair. Vous parlez de 80% de

15 territoire, vous parlez de front, mais il n'y a pas de combat, et ensuite

16 ces hommes sont des civils. Mais enfin!

17 Revenons au début des événements. Vous avez toujours vécu à Vucitrn,

18 n'est-ce pas?

19 M. Gërxhaliu (interprétation): De quel moment parlez-vous?

20 Question: Je parle de la période qui va jusqu'à la guerre.

21 Réponse: J'ai vécu dans mon village Studime e Postëme et j'ai travaillé

22 dans la maison de santé de Vushtrri.

23 Question: Bon, vous travailliez à Vucitrn et Donje Studimlje est en fait à

24 la périphérie de Vucitrn, n'est-ce pas?

25 Réponse: Oui. Là.

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1 Question: Quand les tensions ont-elles commencé avec les violences dans

2 votre région?

3 Réponse: La tension et la violence ont commencé très tôt.

4 Question: Quand a eu lieu le premier assassinat à Vucitrn?

5 Réponse: Cela ne m'intéresse pas. Je n'ai pas étudié ce cas. J'étais

6 médecin. Je ne m'en suis pas occupé de ces détails: quand il y a eu le

7 premier assassinat, comment s'est-il passé, etc.

8 Question: Bon, vous ne savez pas. Mais vous rappelez-vous la mi-1998? Un

9 jour où Milan Zivic, bûcheron, a été tué, il a été tué par balle, une arme

10 à canon long. Donc puisque vous êtes médecin, vous avez tout de même dû

11 être informé au moins de cela. Dites-nous simplement oui ou non, de façon

12 que nous ne perdions pas de temps.

13 Réponse: A vrai dire, je ne me souviens pas. Peut-être que le nom et le

14 prénom, ça ne me dit pas grand chose. Il n'est pas de mon propre village,

15 de Studime, donc je ne peux rien dire là-dessus.

16 Question: Et vous rappelez-vous un jour, à la fin 1998, où Momcilo Zivic a

17 été assassiné, oui ou non, dans la cour de sa maison?

18 Réponse: Je n'ai rien entendu dire. Je n'ai jamais entendu parler de cela.

19 Question: Vous rappelez-vous le jour de la fête du Bajram, avant

20 l'agression de l'OTAN, un jour où un groupe des membres de l'UCK masqués

21 ont enlevé Fehmi Mulanju devant sa famille qui était employé au centre des

22 revenus publics?

23 Réponse: Non, je n'ai jamais entendu parler de cela. Je ne connais ni le

24 nom dont vous parlez. Non, jamais.

25 Question: Vous n'en avez pas entendu parler?

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1 Réponse: Non, non, je n'ai jamais entendu parler de cela. Je ne sais pas

2 qu'un nom pareil existe. Je connais toutes les familles de Studime. Il n'y

3 a pas de famille avec ce nom. Ce n'est pas vrai. Cela n'existe pas.

4 M. Milosevic (interprétation): Un employé du service des revenus publics

5 de Vucitrn.

6 M. le Président (interprétation): Non, non, non. Nous perdons du temps.

7 Revenons sur cette question. Le témoin a dit qu'il ne savait pas.

8 M. Gërxhaliu (interprétation): Je ne sais pas. Cela n'existe pas. Un tel

9 nom n'existe pas à Studime.

10 M. Milosevic (interprétation): J'ai relu le nom de cet homme, Fehmi

11 Muljanu.

12 M. Gërxhaliu (interprétation): La première fois que j'entends un tel nom

13 de famille. Des prénoms Fehmi, il y en a beaucoup. Mais je n'ai jamais

14 entendu un nom de famille pareil. Peut-être qu'on vous a mal informé.

15 Question: Bon. Est-ce que vous connaissez un homme qui s'appelle Fehmi et

16 qui aurait été enlevé par l'UCK?

17 Réponse: Je n'ai jamais entendu parler d'un enlèvement fait par l'UCK.

18 Mais à vrai dire, je sais…

19 Question: Ça suffit, ça suffit. Vous ne savez pas que quelqu'un a été

20 enlevé. Savez-vous si l'UCK a tué quelqu'un, avant l'agression de l'OTAN?

21 Réponse: Qui, par exemple, pensez-vous que l'UCK a tué?

22 Question: Mais vous dites que vous ne connaissez personne, mais je pense

23 aussi bien aux Serbes qu'aux Albanais: connaissez-vous le nom d'un Serbe

24 ou d'un Albanais que l'UCK a tué avant l'agression de l'OTAN?

25 Réponse: Non, non, non. L'UCK a fait des combats dans son front. Cela n'a

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1 rien à voir. L'UCK n'avait pas besoin de tuer qui que se soit dans le

2 village, non.

3 Question: Mais en dehors du front? Dites-moi, connaissez-vous les attaques

4 terroristes de l'UCK sur des Serbes, des Albanais, des Roms et d'autres

5 habitants du Kosovo? Avez-vous la moindre connaissance à ce sujet?

6 Réponse: A vrai dire, je crois que ce sont des choses… Je connais par

7 exemple une personne de Mitrovica qui travaillait dans la police secrète

8 serbe jusqu'au 3 juin 2000 et notamment la police secrète serbe…

9 M. Milosevic (interprétation): Mais cela n'a rien à voir. Je vous

10 interrogeais...

11 M. le Président (interprétation): Non, non, non. Je m'adresse à vous deux.

12 Nous n'avancerons pas si vous vous interrompez l'un l'autre. Le témoin a

13 dit que ce n'était pas exact. Donc il est inutile de poursuivre la

14 discussion sur ce point. Ce qui nous intéresse, c'est la déposition du

15 témoin.

16 M. Gërxhaliu (interprétation): Merci, Monsieur.

17 M. Milosevic (interprétation): Vous travailliez au centre de santé de

18 Vucitrn, n'est-ce pas?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Et vous travailliez trois heures par jour dans une usine qui

21 s'appelait "Lamoks", n'est-ce pas?

22 Réponse: Oui.

23 Question: Puisque vous examiniez les employés de cette entreprise, savez-

24 vous que sur 520 personnes qui travaillaient dans cette entreprise, il y

25 en avait 270 qui étaient albanais? C'est bien cela?

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1 Réponse: J'ai travaillé là, je travaillais trois heures par jour. Il y

2 avait des Albanais, des Serbes, d'autres. Moi, je les ai tous examinés de

3 la même façon, selon le serment d'Hippocrate. Donc le reste, cela ne

4 m'intéressait pas.

5 Question: Moi, je vous demande simplement si la majorité des personnes qui

6 travaillaient dans cette entreprise étaient des Albanais, sur 520 au

7 total?

8 Réponse: En effet, des chiffres devraient être donnés par d'autres

9 personnes, par ceux qui dirigent.

10 Question: Mais ne teniez-vous pas un registre de tous les employés de

11 cette entreprise? Vous étiez le seul médecin qui s'occupait de leur santé?

12 Réponse: J'ai les fiches médicales, mais ils n'étaient pas... C'est-à-dire

13 que j'avais seulement les fiches de ceux que j'examinais; je les ai

14 toujours. Elles se trouvent dans le centre médical. Mais ils n'étaient pas

15 tous passés par moi.

16 Question: Donc vous n'êtes pas en mesure de confirmer que la majorité des

17 personnes qui travaillaient dans cette entreprise "Lamoks" étaient des

18 Albanais?

19 Réponse: Peut-être, oui. Mais pour moi, ce n'était pas intéressant, cela.

20 Pour moi, ils étaient tous des travailleurs. Je les ai tous traités de la

21 même façon.

22 M. Milosevic (interprétation): Bon. Vous avez quitté ce travail quand

23 l'agression de l'OTAN contre la Yougoslavie a débuté; c'est bien cela?

24 M. Gërxhaliu (interprétation): Le 26 mars, j'étais encore là, pas quand

25 les bombardements ont commencé, les bombardements tellement attendus par

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1 nous. Mais le 26 mars, le directeur, il était violent; il est venu à ma

2 porte et il m'a dit: "Vas-y, va-t'en!" Je lui ai demandé des explications.

3 Il m'a dit: "C'est ainsi qu'il faut faire parce qu'il y a un ordre qui

4 vient de Belgrade".

5 M. le Président (interprétation): Un instant, je vous prie. Je voudrais

6 mieux comprendre.

7 Où cela s'est-il passé, Docteur? Où étiez-vous quand le directeur est venu

8 vous dire de partir?

9 M. Gërxhaliu (interprétation): C'était dans son bureau. Il était dans son

10 bureau et il est venu dans mon bureau, là où je travaillais, dans la pièce

11 où je me trouvais.

12 M. le Président (interprétation): Mais c'était à l'usine, ce n'était pas à

13 l'hôpital?

14 M. Gërxhaliu (interprétation): Non, Monsieur le Président, la fabrique se

15 trouvait à deux kilomètres de l'hôpital. J'y allais seulement deux fois

16 par semaine, trois heures par jour, et sinon je travaillais à plein temps

17 à l'hôpital.

18 M. le Président (interprétation): Oui, oui, mais c'est donc bien le

19 directeur de l'hôpital qui vous a dit qu'il fallait partir?

20 M. Gërxhaliu (interprétation): C'est le directeur de l'hôpital, le Dr

21 Ranko Milankovic. C'est lui qui me l'a dit. Je me trouvais à l'hôpital,

22 pas dans la fabrique.

23 M. Milosevic (interprétation): Avez-vous un document qui montre que vous

24 avez quitté votre emploi?

25 M. Gërxhaliu (interprétation): On était là, il y avait de l'armement, il y

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1 a des forces armées en bas au rez-de-chaussée, mais même dans les étages

2 supérieurs il y avait des forces armées. Ils ont usé de la violence.

3 Question: Bon. Cela signifie que vous n'avez pas de documents montrant que

4 vous auriez été licencié? Or, vous affirmez que c'est le directeur de

5 l'hôpital qui vous a renvoyé. Mais ne serait-ce pas peut-être que l'UCK

6 vous a donné l'ordre de quitter votre emploi, parce que déjà le 26 mars

7 1999, vous lui étiez nécessaire?

8 Réponse: Non. Ce n'est pas l'UCK. L'UCK, à ce moment-là, on n'en avait pas

9 besoin. Au contraire, l'UCK et tous nous ont tous dit: "Vous restez à vos

10 postes de travail. Ne quittez pas vos postes de travail". C'est ce qu'on a

11 fait, c'est par la violence qu'on a obligés. La police était dans les

12 couloirs et le directeur a donné l'ordre, il m'a dit: "Va-t-en, va à la

13 maison, rentre à la maison." Je lui ai demandé des explications. Il m'a

14 dit: "J'ai reçu un ordre des supérieurs".

15 Question: Bon, bon, bon. Combien de médecins travaillaient-il à l'hôpital

16 de Vucitrn?

17 Réponse: 20 ou 30, je n'en suis pas sûr des chiffres. Je n'ai pas de

18 chiffres exacts.

19 Question: Vous ne savez même pas combien de médecins étaient employés dans

20 l'hôpital où vous avez travaillé pendant des années?

21 Réponse: Le nombre variait. Lorsqu'il y avait des organes albanais, il y

22 avait à peu près 40 médecins. C'est-à-dire: lorsqu'il y avait des

23 autorités albanaises, il y avait à peu près 40 médecins. Mais, en raison

24 de la violence et des conditions économiques, le nombre de médecins s'est

25 réduit au fur et à mesure.

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1 Question: Combien de ces médecins qui travaillaient à l'hôpital de Vucitrn

2 étaient-ils albanais?

3 Réponse: 80% des médecins étaient des Albanais.

4 Question: Donc, 80% des médecins de l'hôpital -selon les informations dont

5 je dispose le pourcentage est même plus élevé mais enfin cela me suffit-

6 80% des médecins travaillaient à l'hôpital de Vucitrn étaient albanais. Et

7 vous affirmez que le directeur de l'hôpital, dans une situation de guerre,

8 avec des bombardements à la clef et des attaques terroristes incessantes

9 de la part de l'UCK, se défait de 80% des cadres de l'hôpital?

10 Vous affirmez qu'il vous a dit à tous de partir? C'est bien cela que vous

11 affirmez? Concrètement, un directeur d'hôpital serait en train de se

12 débarrasser de 80% de ces médecins? C'est bien cela que vous affirmez?

13 Réponse: Oui. Il a chassé tous les médecins albanais de l'hôpital.

14 M. Milosevic (interprétation): Bien. Comment s'appelait cette femme serbe

15 qui vous aurait averti du fait que votre nom figurerait sur je ne sais

16 trop quelle liste de personnes menacées de liquidation? Vous dites dans

17 votre déclaration qu'une femme vous a averti, vous a prévenu qu'il fallait

18 que vous partiez. Comment s'appelait cette femme?

19 M. le Président (interprétation): Quelle est la pertinence de cela? Quelle

20 importance son nom?

21 M. Milosevic (interprétation): C'est pertinent, parce que je souhaite

22 citer à la barre cette personne en tant que témoin, car je considère que

23 le témoin dit des contre-vérités. C'est pour cela que c'est pertinent.

24 M. le Président (interprétation): Monsieur Saxon, vous avez la parole.

25 M. Saxon (interprétation): Au deuxième paragraphe de la déclaration du

Page 4115

1 témoin, s'agissant de cette personne, il est écrit entre parenthèses -je

2 cite-: "Je ne me souviens pas de son nom." (Fin de citation.)

3 M. Gërxhaliu (interprétation): Juste un moment, Monsieur le Président.

4 M. le Président (interprétation): Vous rappelez-vous ce nom?

5 M. Gërxhaliu (interprétation): Oui. Ecoutez, moi je suis médecin, je

6 contacte beaucoup de patients, il est vraiment difficile de retenir tous

7 leurs noms. Mais si j'avais la possibilité de la revoir cette vieille

8 dame, je voudrais la remercier à nouveau.

9 M. le Président (interprétation): Très bien.

10 M. Milosevic (interprétation): Bien. Mais avez-vous quitté l'hôpital parce

11 que vous aviez peur ou parce que le directeur de l'hôpital vous a

12 licencié?

13 M. Gërxhaliu (interprétation): Je l'ai déjà dit tout à l'heure. Le

14 directeur serbe est venu à ma porte et il a dit "Ordre des supérieurs:

15 allez tous chez vous, tous les Albanais." Moi, avec eux bien sûr. J'ai

16 bien dit aussi que la police était présente à l'hôpital, elle était armée.

17 Question: Vous affirmez qu'à partir d'octobre 1998, il vous arrivait, la

18 nuit, de devoir vous rendre au chevet de membres de l'UCK blessés. C'est

19 bien cela?

20 Réponse: Oui.

21 Question: Qui vous appelait pour vous demander votre intervention

22 médicale?

23 Réponse: Souvent, ils venaient chez moi ou ils m'accompagnaient chez eux.

24 Cela dépendait des besoins des patients. J'ai suivi le serment

25 d'Hippocrate.

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1 Question: Quand avez-vous terminé vos études de médecine?

2 Réponse: En 1982, à Prishtina, à la faculté de médecine.

3 Question: Quand avez-vous terminé votre spécialisation?

4 Réponse: En 1996.

5 Question: 1996. Où avez-vous terminé votre spécialisation dans la médecine

6 du travail?

7 Réponse: La médecine du travail, je l'ai faite à Belgrade.

8 Question: Et vos autres collègues albanais, où ont-ils fait leurs études?

9 Donc cela veut dire qu'en 1996, vous avez obtenu votre spécialisation,

10 votre diplôme de spécialiste à Belgrade. Mais vos collègues, ils ont suivi

11 leurs études où?

12 Réponse: Selon leurs possibilités. Ceux qui avaient de l'argent et du

13 savoir, ils ont trouvé les meilleures conditions d'enseignement.

14 Question: Bon. Vous dites, dans votre déclaration, que vous avez commencé

15 à les soigner, qu'ils ne pouvaient pas amener leurs blessés à l'hôpital

16 parce que les Serbes les auraient tués. C'est ce que vous dites. Mais,

17 puisque vous dites que les Serbes auraient tué des malades qui seraient

18 venus à l'hôpital, savez-vous si une quelconque personne, qui est venue à

19 l'hôpital pour demander des soins, a été tuée?

20 Réponse: Vu les postes de contrôle qui se trouvaient autour de Vushtrri,

21 près de ma maison, vu ces postes de contrôle, il était difficile de

22 passer, donc de passer au-delà des zones contrôlées. Cela dépendait des

23 besoins: soit je suis allé, ou ils venaient. Mais comme il y avait un

24 contrôle très fort, un encerclement très fort, police et militaire, c'est

25 moi plutôt qui me rendais chez eux.

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1 Question: Est-ce que vous dites que les points de contrôle étaient des

2 barricades par lesquelles personne ne pouvait passer ou tout simplement

3 des points de contrôle pour vérifier les documents?

4 Réponse: Dans les postes de contrôle, dans les points de contrôle qui

5 étaient installés là, les habitants de ces villages-là qui avaient des

6 liens avec l'UCK: soit ils ont été massacrés, contrôlés ou tués

7 directement. Ils ne pouvaient pas avoir accès aux soins médicaux de

8 l'hôpital de Vushtrri.

9 Question: Et comment est-ce qu'un médecin de l'hôpital pouvait savoir si

10 un civil qui était venu se faire soigner était membre de l'UCK ou pas?

11 Réponse: Vous mélangez les choses. Vous n'arrivez pas à comprendre. Peut-

12 être que vous n'arrivez pas apercevoir les choses comme il faut.

13 J'ai dit: ceux qui étaient habitants de Ceceli, donc de ce village-là qui

14 était sous le contrôle de l'UCK, qui n'était pas à côté de la route

15 goudronnée Prishtina/Mitrovica, ils n'osaient pas venir. Dès qu'ils

16 sortaient de leur zone, ils étaient tous battus.

17 Question: Mais il y a juste un moment, vous avez dit que personne ne

18 pouvait passer, traverser ces points de contrôle?

19 Réponse: Oui, naturellement. Ceux qui étaient habitants de ces villages-

20 là, qui étaient contrôlés, ils ne pouvaient pas passer. S'ils osaient

21 passer, ils seraient maltraités, battus, internés, etc. Personne n'osait

22 traverser ces zones.

23 Question: Et c'est pour cela qu'ils ne passaient pas par ces points de

24 contrôle?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: Bien. Alors, ceci veut dire que les Albanais qui vivaient sous

2 le contrôle de l'UCK étaient traités secrètement, tandis que ceux qui

3 vivaient dans des secteurs qui n'étaient pas sous le contrôle de l'UCK

4 étaient traités à l'hôpital, soignés à l'hôpital. Est-ce que c'est ceci

5 que vous affirmez?

6 Réponse: Oui. Ceux qui se trouvaient dans les zones contrôlées par l'UCK,

7 sans tenir compte du fait qu'ils soient Albanais ou Serbes, nous, on les a

8 tous traités de la même façon. Mais ceux qui se trouvaient ici, il y avait

9 quand même une séparation pour une longue période et ils ont été examinés

10 de ce côté-là.

11 Question: Ceci veut dire que, au point de contrôle, tout le monde faisait

12 l'objet d'un contrôle, qu'il fût Serbe ou Albanais. Est-ce bien cela que

13 vous avez dit?

14 Réponse: Ils étaient contrôlés, tous, mais les Albanais étaient

15 maltraités, les Serbes non.

16 Question: Et pendant 1998 et 1999, avez-vous soigné des soldats blessés et

17 des policiers blessés aussi?

18 Réponse: Qui?

19 Question: Des soldats de l'armée yougoslave, des policiers de la police

20 serbe qui avaient été blessés dans ce secteur. Avez-vous soigné ces

21 personnes? Vous étiez là en train de remplir vos fonctions à l'hôpital.

22 Répondez oui ou non?

23 Réponse: Oui, je les ai examinés. Mais il n'y a pas eu de blessés,

24 seulement des malades, et d'autres comme cela. Tous ceux qui avaient

25 besoin de nos soins, je l'ai dit à plusieurs reprises, selon le serment

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1 d'Hippocrate, je les ai tous examinés. Je le fais encore et je le ferai

2 toujours.

3 M. Milosevic (interprétation): Ceci veut dire que vous soutenez qu'il n'y

4 avait pas de tués ou de blessés parmi les militaires ou les policiers dans

5 la municipalité de Vucitrn?

6 M. le Président (interprétation): Ce qu'il a dit, c'est qu'il n'en a pas

7 soigné, seulement certains qui étaient malades. Il n'a pas soigné de

8 blessés.

9 Si vous voulez lui demander si des policiers ou des soldats avaient été

10 tués dans la municipalité de Vucitrn, bien sûr, vous pouvez lui poser la

11 question.

12 M. Milosevic (interprétation): Je lui demande maintenant, est-ce qu'un

13 soldat ou un policier a été tué dans la municipalité de Vucitrn?

14 M. Gërxhaliu (interprétation): L'hôpital de Mitrovica, vous le saurez

15 mieux que nous; parce que nous dans la maison de santé, nous avons soigné

16 que des malades. Alors que des soldats des forces serbes, si j'ai bonne

17 mémoire: le 10 janvier 1999, des forces opérationnelles de Shala, il y a

18 eu une équipe de huit, je crois, huit soldats serbes, donc une équipe de

19 soldats serbes, ils ont été saisis en uniforme, ils étaient armés. Les

20 supérieurs, leurs supérieurs militaires leur ont demandé s'ils ont des

21 problèmes de santé, s'ils ont besoin de soins particuliers. Ils ont dit

22 qu'il n'avait pas de problème de santé, aucun problème. D'après ce que je

23 sais, avec la médiation par les médiateurs internationaux, ils ont été

24 accompagnés et ils ont été là tous en bonne santé. Ils sont partis.

25 Question: Je vous avais demandé si vous saviez…, non pas si vous aviez

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1 soigné de telles personnes, mais si vous aviez connaissance, si vous

2 saviez si des soldats ou des policiers avaient été tués, si vous aviez

3 connaissance de cela avant l'agression de l'OTAN dans le territoire de

4 votre municipalité.

5 Réponse: J'ai déjà souligné que j'ai vu seulement ces huit soldats armés

6 qui ont été accompagnés. Ils ont été saisis, ils ont été pris par les

7 forces de l'UCK. Ils ont été libérés après. Ça, tout le monde le sait.

8 Question: Alors, disons que vous les avez visités en prison en votre

9 qualité de médecin de l'UCK. C'est-à-dire là où se trouvaient les groupes

10 de l'UCK.

11 Réponse: Non, je ne suis pas allé les examiner. Mais les officiers et

12 leurs commandants leur ont demandé s'ils ont des besoins d'être soignés.

13 Ils ont dit: "Non, on n'a pas besoin d'être soignés."

14 Question: Avez-vous eu connaissance d'Albanais qui auraient été blessés ou

15 tués par l'UCK?

16 Réponse: Ce n'est pas vrai, l'UCK n'a tué personne. Le combat auquel il

17 s'est livré, c'était une vraie guerre de front. Pour des Albanais blessés,

18 c'est le service secret serbe qui les a tués.

19 Nexhmedin Ajeti, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, il a travaillé

20 jusqu'en juin, le 3 juin de l'année 2000 à la police secrète serbe. La

21 police secrète serbe a tué son fils, a blessé sa fille, elle est invalide;

22 elle est toujours à Prishtina. Toujours en raison de ces …(inaudible),

23 c'est un exemple qui montre bien que, selon le principe, la révolution

24 mange ses propres fils, c'est vous qui les avez... Les forces secrètes

25 serbes ont tué son fils à Mitrovica. Je suis allé à Vushtrri avec ses

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1 enfants. Il nous a montré lui-même qu'il a été tué comme cela.

2 Question: Son fils est vivant à Pristina. Il est vivant. Il est à

3 Pristina. Il a été tué par les forces serbes.

4 Réponse: Il était blessé. Le 3, il a travaillé jusqu'au 3 juin dans les

5 services secrets serbes. Il est blessé. Sa fille est blessée. Elle est

6 invalide aujourd'hui. Il s'appelle Nexhmedin Ajeti. Alors que son fils a

7 été tué, ils ont tenté de le tuer aussi, selon justement ce principe

8 communiste "la révolution mange ses propres fils".

9 Question: Savez-vous qui a véritablement attaqué Ajeti? Le savez-vous ou

10 en avez-vous seulement entendu parler?

11 Réponse: Ajeti a dit lui-même que les forces policières serbes l'ont

12 attaqué.

13 Question: Est-ce que vous pensez que quelqu'un qui vit à Pristina

14 maintenant oserait dire quoi que ce soit d'autre?

15 Réponse: C'est une vérité, parce que jusqu'au 3 juin il a travaillé dans

16 les services, dans le service policier serbe, et après il a pu en sortir

17 vif, il est rentré là. Il n'y a pas de problème. La vérité, il faut la

18 dire telle quelle: Prishtina est une ville démocratique sous la

19 surveillance occidentale. Il faut dire… Vous pouvez dire tout ce que vous

20 voulez, mais on dit la vérité.

21 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous combien de victimes ont été

22 tuées à Pristina par rapport à la situation qui existait avant l'agression

23 de l'OTAN, selon les données fournies par les services démocratiques

24 d'Europe?

25 M. le Président (interprétation): Ceci va bien au-delà de la déposition du

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1 témoin.

2 M. Gërxhaliu (interprétation): (Inaudible)…, Monsieur le Président.

3 M. le Président (interprétation): Passons à une autre question.

4 M. Milosevic (interprétation): Depuis que vous avez quitté votre domicile,

5 c'est-à-dire le 28 mars et jusqu'à votre retour entre le 7 et le 10 avril,

6 votre maison était vide, n'est-ce pas?

7 M. Gërxhaliu (interprétation): Oui, elle était vide.

8 Question: Vous soutenez qu'un grand nombre de maisons à Donje Studimlje

9 ont été brûlées ou endommagées. Est-ce exact?

10 Réponse: Oui.

11 Question: Or, pour votre maison, tout était intact quand vous êtes revenu,

12 n'est-ce pas?

13 Réponse: Non. Ma maison était incendiée. On lui a mis le feu à deux

14 reprises. Mais heureusement elle n'a pas été entièrement brûlée. Mais elle

15 a été entièrement pillée. On a tout pris.

16 Question: Vous avez écrit ici que votre maison n'avait pas été incendiée,

17 brûlée. Vous avez mis dans votre déclaration qu'il y avait des traces de

18 tentative pour la brûler, mais vous avez dit que vous ne saviez pas

19 pourquoi elle n'avait pas été incendiée. Par conséquent, votre maison n'a

20 pas été brûlée.

21 Réponse: Oui, ils ont tenté de la brûler, mais finalement ils l'ont pillée

22 seulement. Et puis Dieu l'a sauvée.

23 M. Milosevic (interprétation): Alors vous soutenez qu'ils ont seulement

24 tenté de brûler votre maison, mais qu'ils ne l'ont pas brûlée. Ici, vous

25 dites que vous ne savez pas pourquoi? Comment se fait-il que votre maison

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1 ait été épargnée, soit restée intacte, alors que vous soutenez que vous

2 étiez le premier ou le second sur la liste des liquidations prévues?

3 M. le Président (interprétation): Il ne peut pas répondre à cela. Tout ce

4 qu'il peut dire, c'est quelle était la situation. Vous devez demander à

5 ceux qui étaient responsables de cela.

6 M. Milosevic (interprétation): Vous soutenez qu'il y avait des tirs, des

7 coups de feu constamment autour de chez vous. Est-ce exact?

8 M. Gërxhaliu (interprétation): Oui. C'est cela. C'étaient les forces

9 serbes militaires qui se situaient sur la colline, derrière ma maison, et

10 puis sur l'autre colline, en face. Ils ont tous tiré dans ce sens. La

11 deuxième colline s'appelait Saraçak.

12 Question: Des tirs contre qui?

13 Réponse: Contre ma maison, contre nos maisons à Studime, c'est-à-dire dans

14 le quartier donnant vers le bas.

15 Question: Donc c'étaient des combats entre l'UCK et l'armée et la police,

16 n'est-ce pas?

17 Réponse: Non, non. Les distances depuis ma maison jusqu'à la zone où se

18 trouvait l'UCK, c'était cinq kilomètres à vol d'oiseau. Donc c'était juste

19 pour nous faire peur. Ils ont tiré pour nous faire peur et pour nous

20 éloigner, pour nous chasser, pour nous expulser de là.

21 Question: Bien. Alors, le jour suivant, vous avez quitté votre maison avec

22 votre famille. Vous êtes partis dans les collines et vous vous êtes rendus

23 à ce village de Sllakovc, n'est-ce pas, sous le contrôle de l'UCK, n'est-

24 ce pas?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: Et vous dites que, tous les jours, il y avait des combats entre

2 l'UCK et l'armée et la police. Est-ce vrai ou non?

3 Réponse: Oui. Le combat s'est livré à Melenice, à Bajgora et jusqu'à la

4 ligne du front, à Llap, mais Sllakovc est loin de là où je me trouvais.

5 Question: De sorte que l'UCK ne combattait pas là où elle était

6 stationnée?

7 Réponse: L'UCK, là où je me trouvais, ce n'était pas là. Là, il y avait

8 l'hôpital. Les positions de l'UCK se trouvaient loin de l'hôpital.

9 Question: Mais vous dites qu'il y avait des combats entre l'UCK et l'armée

10 et la police. C'est-à-dire que vous avez dû le voir pour parvenir à une

11 telle conclusion, pour vous informer de cela d'une façon ou d'une autre.

12 Comment se fait-il que vous l'ayez su alors que vous étiez si loin de là?

13 Réponse: On entendait des coups de feu. Cela s'entendait de partout.

14 Après, les blessés que j'ai reçus là, je les ai bien reçus. Je les ai

15 examinés, j'ai pris soin d'eux. J'étais dans la logistique. J'étais loin

16 de la ligne du front.

17 Question: Et savez-vous combien de bombardements de l'OTAN il y a eu dans

18 votre secteur? Savez-vous quoi que ce soit en ce qui concerne les victimes

19 de ce bombardement?

20 Réponse: L'OTAN, dans ma zone, a bombardé de façon très précise, avec un

21 objectif très précis. Ils ont bombardé seulement les positions militaires,

22 les postes militaires serbes ou yougoslaves. Alors, des victimes, je ne

23 crois pas qu'il y en a eu. Ils avaient des objectifs vraiment très précis.

24 C'était une merveille, un miracle. Je ne crois pas qu'il y ait eu des

25 victimes. Mais ils ont seulement causé des dégâts aux armements

Page 4125

1 yougoslaves.

2 Question: Vous avez dit que, par deux fois, alors que vous étiez sur le

3 tracteur, ils étaient allés jusqu'à vous et ils avaient fouillé la

4 remorque. Pourquoi est-ce seulement la deuxième fois que vous et votre

5 cousin Halil avez décidé de vous échapper? Pourquoi ne l'avez-vous pas

6 décidé la première fois?

7 Réponse: Pas deux fois, mais à quatre reprises. Les premières fois, on a

8 pu se sauver en disant merci à notre argent, aux deutschemarks dont on

9 disposait; après, tous ceux qui n'en avaient pas étaient tués; on a vu que

10 ceux qui n'en avaient pas étaient tués. C'est pour cette raison que nous

11 nous sommes échappés.

12 M. Milosevic (interprétation): Et vous soutenez qu'après cette percée de

13 la ligne de front, ils ne cherchaient pas des membres de l'UCK dans votre

14 convoi? Vous dites qu'ils cherchaient des deutschemarks: c'est cela que

15 vous affirmez?

16 M. Gërxhaliu (interprétation): Les forces serbes combinées en convoi,

17 lorsqu'elles sont arrivées, elles nous ont assiégés. Tout d'abord, elles

18 ont demandé des deutschemarks; ensuite, quand on n'en avait plus, ils nous

19 maltraitaient, ils nous battaient et éventuellement ils nous tuaient. Dans

20 une telle situation, comme je voyais ce qui se passait autour de moi,

21 quand je n'ai plus eu de deutschemark, je suis parti, je me suis enfui.

22 C'est là que je me suis sauvé: j'ai pu échapper à cette horreur.

23 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, il va être temps

24 maintenant. Vous avez eu une heure. Vous pouvez encore poser deux

25 questions, si vous le voulez.

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1 M. Milosevic (interprétation): Vous dites que vous avez entendu des

2 explosions très fortes le 31 mai lorsqu'il y avait des bombardements près

3 de votre maison, n'est-ce pas? Vous avez dit que la caserne a été

4 bombardée ou quelque chose comme cela?

5 M. Gërxhaliu (interprétation): Oui, les casernes étaient bombardées, les

6 casernes de l'armée. C'est le bruit des bombardements, je l'entendais

7 depuis chez moi. C'est après la guerre que j'ai vu en effet les traces des

8 bombardements. C'était loin de là où je me trouvais, à peu près quatre

9 kilomètres.

10 Question: Sur la base de ce que vous avez dit, il semble que personne ne

11 vous a chassé de votre maison. Vous êtes parti de chez vous de votre plein

12 gré. Est-ce vrai ou non?

13 Réponse: Non. J'ai dû abandonner ma maison en raison des pilonnages et des

14 attaques. Alors mes voisins sont arrivés, ils ont dit: "Allez-vous-en.

15 Partez. Car s'ils arrivent et qu'ils vous trouvent ici, ils vont vous

16 tuer".

17 M. Milosevic (interprétation): Bon. Alors, vous n'étiez pas en train de

18 fuir les bombardements de l'OTAN, vous étiez en train de fuir les Serbes,

19 n'est-ce pas? J'ai bien compris ce que vous avez dit?

20 Comme vous étiez en train de fuir les Serbes, vous vous êtes échappé tout

21 simplement à travers la Serbie, ni plus ni moins. Et vous dites que vous

22 n'avez pas eu de problème là. Puis, vous êtes allé au Montenegro où vous

23 n'avez pas eu de problèmes non plus?

24 M. le Président (interprétation): Avez-vous eu des problèmes au

25 Monténégro?

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1 M. Gërxhaliu (interprétation): Non, Monsieur May, nous avons eu des

2 problèmes chemin faisant, mais on a payé des deutschemarks, mais au

3 Monténégro, non. C'était le Haut-Commissariat aux réfugiés qui a pris soin

4 de nous.

5 M. le Président (interprétation): Monsieur Tapuskovic, avez-vous des

6 questions?

7 (Questions de l'amicus curiae, M. Tapuskovic, au témoin, M. Shukri

8 Gërxhaliu.)

9 M. Tapuskovic (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Messieurs

10 les Juges. Je vais essayer d'en finir en cinq minutes, jusqu'au moment de

11 la suspension de séance.

12 Docteur Gërxhaliu, je suis sûr que votre travail ne vous a pas permis

13 d'utiliser autre chose qu'un scalpel. Je suis bien sûr que vous n'avez

14 fait que votre travail. Mais je voudrais vous poser quelques questions qui

15 ont trait seulement aux événements qui se sont produits après le 25 mars.

16 La première chose que je voudrais vous demander, c'est ceci: il est très

17 clair que -vous l'avez dit- 80% du territoire, là où vous étiez et

18 remplissiez vos fonctions, étaient sous le contrôle de l'UCK. Est-ce que

19 ceci veut dire que vous alliez de village en village chaque fois que

20 quelqu'un avait besoin d'être soigné, en particulier l'hôpital de campagne

21 de l'UCK dont vous avez parlé dans votre déclaration?

22 M. Gërxhaliu (interprétation): Oui, j'ai travaillé dans tous les hôpitaux

23 de campagne de l'UCK. Mais j'ai pris le cours d'eau du village qui est

24 assez profond et c'est là que j'ai pu échapper aux forces serbes qui se

25 trouvaient sur la colline.

Page 4128

1 Question: Peut-être que je ne vous ai pas parlé de ce cours d'eau, mais,

2 puisque vous le mentionnez vous-même, Monsieur le Président, Messieurs les

3 Juges, à la page 6 de la version anglaise, au paragraphe 3, vous dites que

4 c'est le cours d'eau -vous donnez son nom-, vous dites qu'il était gardé

5 par des soldats de l'UCK et qu'il s'agissait de la voie qui conduisait à

6 la route, mais que c'était gardé par l'UCK. C'est bien cela?

7 Réponse: Le cours d'eau, sur la partie supérieure du cours d'eau vers

8 Studime, oui, mais le bas, non; c'était impossible puisqu'il était sous le

9 contrôle absolu des forces militaires serbes. La partie supérieure, le

10 haut du cours d'eau était sous le contrôle de l'UCK. C'était à vol

11 d'oiseau à cinq ou six kilomètres. Le cours d'eau est assez long.

12 Question: Bien. Mais alors, plus loin dans votre déclaration, vous dites

13 que tout près de ce cours d'eau, des personnes ont été tuées ou blessées.

14 Réponse: A quelle date?

15 Question: Dans votre déclaration, vous ne vous référez pas à une date

16 particulière. Vous dites qu'il arrivait souvent, au cours de ces mois,

17 que, près de ce cours d'eau, il y ait des affrontements et que des

18 personnes ont trouvé la mort.

19 Réponse: Il n'y a pas eu alors de combat le long du cours d'eau, dans le

20 secteur de Studime e Poshtëme, mais, le 2 mai, il y a eu 109 victimes,

21 toutes victimes civiles innocentes. Le 14 mai, à côté du même cours d'eau,

22 à Studime e Poshtëme, dont les deux côtés étaient sous le contrôle des

23 forces militaires serbes, il y a eu six civils qui ont été tués, des

24 Albanais. Le 24 mai, il y a eu huit filles albanaises qui ont été tuées

25 par les forces militaires. Le 31 mai, chez moi, mon cousin Xheledin et mon

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1 oncle ont été tués; tous les membres de la famille ont été tués: 18

2 personnes, dont l'un a été tué avant le 27 mars par un policier qu'on

3 connaissait, nous aussi.

4 Question: C'était près de ce cours d'eau, n'est-ce pas?

5 Réponse: Oui, les forces militaires et policières étaient combinées. Elles

6 descendaient de Rashicë; elles faisaient un contrôle. Après, tout ceux

7 qu'ils trouvaient, tout ceux qu'ils trouvaient devant eux, ils les

8 tuaient, des civils non protégés. Il y a déjà des photos et toute la

9 documentation nécessaire qui le prouvent.

10 Question: Très bien, Docteur. Voilà ce qui m'intéresse maintenant. Lorsque

11 vous êtes allé dans ces nombreux villages, y avait-il des patrouilles dans

12 les villages en question? Est-ce que les gens portaient des armes ou y

13 avait-il seulement des membres de l'UCK? S'il y avait des membres de

14 l'UCK, pourriez-vous nous dire approximativement combien il y avait

15 d'hommes de l'UCK dans ces villages?

16 Réponse: Il n'y a pas eu de patrouille. Le nombre des membres de l'UCK

17 dans les villages: je ne sais pas combien ils étaient. Ce qui

18 m'intéressait, c'étaient les patients, les malades, les blessés. Je

19 m'intéressais pas, cela ne m'intéresse d'ailleurs pas du tout des

20 chiffres, en dehors de cela.

21 Question: Parmi les membres de l'UCK, y avait-il des personnes qui étaient

22 en civil?

23 Réponse: Moi seulement. Il n'y avait que moi en civil. D'autres, non, je

24 ne crois pas.

25 Question: Encore deux questions supplémentaires. La première a trait au

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1 jour de combats qui ont eu lieu avant le 2 mai, lorsque la ligne de front

2 a été percée.

3 Vous dites qu'il y a un nombre important de personnes blessées que vous

4 avez dû soigner, qui vous ont été amenées à l'hôpital. Combien de blessés

5 approximativement vous ont été amenés?

6 Réponse: Il y avait trois chambres, trois pièces dans lesquelles il se

7 trouvait 35, 36 blessés, dont quelques-uns des civils, alors que 15, 20%

8 étaient des soldats blessés. 80% des civils.

9 Question: C'étaient des civils? Ils sont venus vous voir à l'hôpital.

10 Aucun ne portait d'arme? Ni ceux qui étaient en uniforme ni ceux qui

11 étaient en vêtements civils?

12 Réponse: Non. Ceux qui étaient des soldats étaient en uniforme. Ils se

13 trouvaient dans un secteur à part. Les autres, c'étaient des femmes, des

14 petits enfants, des femmes. Il y avait même des enfants de 2 ans, une

15 fille de 15 ans, des femmes qui étaient des civils qui soit étaient

16 blessées par des pilonnages ou par des balles perdues, blessures de

17 différentes formes. Mais 80% c'étaient des civils.

18 M. Tapuskovic (interprétation): Mais on vous les amenait depuis la ligne

19 de front, pendant ces quelques jours? Je vous parle de ce qui s'est passé

20 après le 25 mars. Ce sont les jours où les combats ont eu lieu. Je ne

21 demande pas avant le 25 mars.

22 M. Saxon (interprétation): Peut-être que Me Tapuskovic pourrait préciser

23 ce qu'il veut dire? Est-ce que Me Tapuskovic pourrait préciser dans sa

24 question qui il vise par le mot "eux"? Qui veut-il désigner par là?

25 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Tapuskovic, pouvez-vous

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1 préciser ce que vous entendez par "ils vous ont été amenés"?

2 M. Tapuskovic (interprétation): Je veux dire précisément ce qu'a dit le

3 témoin, Monsieur le Président. La ligne de front est tombée.

4 M. le Président (interprétation): A l'évidence, nous n'allons pas beaucoup

5 progresser dans ce domaine. Y a-t-il d'autres questions que vous voulez

6 poser au témoin?

7 M. Tapuskovic (interprétation): Oui, je voulais poser en conclusion la

8 question suivante au témoin.

9 Avez-vous entendu dire s'il y avait eu des victimes à la ligne de front,

10 s'il y avait eu des victimes de l'UCK, parce que hier, nous avons entendu

11 un témoin dire qu'il y avait eu de lourdes pertes du côté de l'UCK. Y a-t-

12 il eu des victimes, indépendamment de cette seule personne qui vous a été

13 amenée de l'endroit où la ligne de front avait été percée?

14 M. Gërxhaliu (interprétation): Naturellement, il y en a eu. S'il n'y avait

15 pas de victimes, le front serait tombé.

16 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

17 Avez-vous des questions supplémentaires?

18 M. Saxon (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Je pense que cela

19 prendra 10 à 15 minutes.

20 M. le Président (interprétation): Vraiment, Monsieur Saxon?

21 M. Saxon (interprétation): Est-ce que je pourrais avoir 5 ou 10 minutes,

22 Monsieur le Président?

23 M. le Président (interprétation): Prenez 5 minutes maintenant, de façon

24 que nous puissions finir.

25 (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, M. Shukri Gërxhaliu,

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1 par M. Saxon.)

2 M. Saxon (interprétation): Monsieur Gërxhuliu, vous avez dit que vers le

3 26 mars le directeur de votre hôpital vous a dit de partir et que les

4 médecins albanais de l'hôpital ont tous été renvoyés ce jour-là. Vous

5 dites que le nom du directeur était Branko Milankovic. Pour être bien au

6 clair.

7 M. Gërxhaliu (interprétation): Ce n'est pas Branko, c'est Ranko.

8 Question: Ranko Milenkovic. Si vous le savez, quelle était l'origine

9 ethnique du directeur de l'hôpital, M. Milenkovic?

10 Réponse: Il était serbe.

11 Question: Je voudrais vous montrer une carte.

12 Monsieur le Président, je voudrais parler au témoin, M. Gërxhaliu, de

13 cette notion de ligne de front.

14 Monsieur le Président, j'ai ici des exemplaires d'une pièce qui a déjà été

15 versée au dossier, et qui porte une cote, la carte 10 de la pièce n°4.

16 J'ai un certain nombre d'exemplaires en couleur, ainsi qu'en noir et

17 blanc. J'aimerais bien avoir l'aide de l'huissier pour que ces exemplaires

18 en couleur puissent être placés sur le rétroprojecteur, s'il vous plaît.

19 Tandis que d'autres exemplaires seraient remis aux Juges du Tribunal et

20 aux amici curiae et à l'accusé.

21 Monsieur Gërxhaliu, est-ce que vous pourriez regarder, s'il vous plaît, la

22 carte qui a été placée sur votre gauche, juste à côté de vous? Voulez-vous

23 regarder cette carte, Monsieur Gërxhaliu?

24 Au cours du contre-interrogatoire, vous avez parlé du fait que du côté du

25 2 mai, on a entendu dire que les forces serbes avaient percé la ligne de

Page 4133

1 front. C'était dans le secteur de Llap, à un endroit qui je crois,

2 s'appelle Milanica. Je me demande, Docteur Gërxhaliu, si vous pourriez

3 prendre un feutre -peut-être que l'huissier pourrait vous en fournir un-

4 et indiquer en gros où cette ligne de front ou ces lignes de front se

5 trouvaient par rapport à l'endroit où vous vous trouviez le 2 mai dans la

6 matinée?

7 Réponse: Regardez: là, vous voyez Sllakovc? C'est ici.

8 Question: Pourriez-vous inscrire un cercle autour de ce nom, je vous prie?

9 Monsieur Gërxhaliu, Docteur, pourriez-vous inscrire un cercle autour du

10 nom de l'endroit où vous étiez?

11 (Le témoin s'exécute.)

12 Pourriez-vous maintenant tracer une ligne représentant approximativement

13 ce qui, à votre avis, était la ligne de front, ce jour-là.

14 Réponse: La ligne de front devrait se trouver ici, de Milanica, Trepca,

15 dans cette partie-là. Tout au long de cela.

16 Question: Et Llap. Qu'en est-il de Llap?

17 Réponse: Llap se trouve ici. Mais je n'arrive pas à le voir ici sur la

18 carte. Je n'arrive pas à le trouver. Il doit se trouver là, quelque part

19 par là.

20 Question: Pourriez-vous tracer un trait, une ligne à peu près à l'endroit

21 où se trouve Llap?

22 Réponse: Là, c'est le village Segash et tous ces villages-là doivent

23 appartenir à Llap, cette partie-là. Et là Melanica, Trepca se trouvent

24 dans cette partie-là. La ligne devrait passer par là, encore derrière, et

25 là les deux lignes qui se trouvent ici, les forces sont arrivées en...

Page 4134

1 Question: Docteur Gërxhaliu, ce que je vous demande simplement, c'est de

2 tracer une ligne passant par Llap, c'est tout.

3 Réponse: C'était la ligne du front. Là, la carte ne suffit pas. C'est au-

4 dessus de la carte.

5 M. Saxon (interprétation): Merci beaucoup.

6 Je demande maintenant le versement au dossier de ce document en tant que

7 pièce à conviction. On peut retirer le document du rétroprojecteur.

8 Mme Anoya (interprétation): Monsieur le Président, ce document sera donc

9 la pièce à conviction 123 de l'accusation.

10 M. Saxon (interprétation): Merci beaucoup. J'en arrive maintenant au

11 dernier point qui m'intéresse. On vous a laissé entendre qu'il y aurait eu

12 d'autres membres de l'UCK dans le convoi qui a été attaqué le 2 mai dans

13 la soirée.

14 Je voudrais faire diffuser une séquence de 20 secondes d'une pièce à

15 conviction. C'est la pièce à conviction 13/1, qui a déjà été admise au

16 dossier. Je demanderai aux techniciens de bien vouloir commencer au niveau

17 de la cote 530 et de poursuivre la diffusion jusqu'à la cote550. Ensuite,

18 j'aurais quelques questions à poser au témoin. Je demanderai donc que la

19 diffusion se poursuive pendant quelques secondes, sans interruption.

20 Arrêt sur image, je vous prie.

21 Docteur Gërxhaliu, reconnaissez-vous l'homme dont on voit ici l'image?

22 Réponse: Oui, je le connais, je le reconnais.

23 Question: Qui était cet homme?

24 Réponse: C'était Fatmir Gërxhaliu.

25 Question: Fatmir Gërxhaliu était-il un parent à vous?

Page 4135

1 Réponse: Oui, c'est mon cousin. C'était mon cousin. Oui, c'est vrai,

2 c'était mon cousin.

3 Question: Monsieur Gërxhaliu était-il plus jeune ou plus âgé que vous?

4 Réponse: Il était de dix ans, douze ans plus jeune que moi.

5 Question: Etait-il marié, avait-il des enfants?

6 Réponse: Oui, marié. Sa femme est de Saraçak. Et il a laissé deux enfants,

7 deux garçons.

8 Question: Pour le compte rendu d'audience, j'indique que nous sommes en

9 train de regarder le corps sans vie d'un homme qui a du sang sur le

10 visage, des traces de sang.

11 Où habitait cet homme?

12 Réponse: Il habitait plus près de la ville, c'est-à-dire entre ma maison

13 et la ville, à Studime e Postëme.

14 Question: Etait-ce un homme aisé, pauvre ou de niveau moyen?

15 Réponse: Oui, il avait un niveau moyen de biens.

16 Question: Quelle était la profession de Fatmir Gërxhaliu?

17 Réponse: Il n'avait pas un poste dans l'administration publique, il était

18 surtout agriculteur.

19 Question: Avant le 2 mai 1999, Fatmir Gërxhaliu était-il membre de l'UCK?

20 Réponse: Non, il ne l'a jamais été.

21 M. Saxon (interprétation): Merci.

22 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je n'ai plus de question.

23 M. le Président (interprétation): Docteur Gërxhaliu, ceci met fin à votre

24 déposition.

25 Je vous remercie d'être venu devant le Tribunal pénal international pour

Page 4136

1 témoigner. Vous pouvez maintenant vous retirer.

2 Nous suspendons l'audience jusqu'à…

3 M. Gërxhaliu (interprétation): Est-il possible, Monsieur le Président…

4 Est-il possible, Monsieur le Président, de dire juste un mot?

5 Je voudrais juste vous remercier, en mon nom et au nom de ma famille, qui

6 a eu le plus de victimes. Il y a trois ans, justement aujourd'hui, le 2

7 mai 1999, les gens de ma famille ont été tués. Merci de m'avoir donné la

8 possibilité de dire la vérité, toute la vérité. J'espère vraiment qu'elle

9 gagnera.

10 M. le Président (interprétation): Merci.

11 M. Gërxhaliu (interprétation): C'est moi qui vous remercie.

12 (Le témoin, M. Shukri Gërxhaliu, est reconduit hors du prétoire.)

13 (L'audience, suspendue à 11 heures 15, est reprise à 11 heures 40.)

14 (Le témoin, Mme Fedrije Xhafa, est déjà dans le prétoire.)

15 Mme Xhafa (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

16 vérité, toute la vérité rien que la vérité.

17 M. le Président (interprétation): Vous pouvez vous asseoir, Madame.

18 Monsieur Saxon, vous avez la parole.

19 (Interrogatoire principal du témoin, Mme Fedrije Xhafa, par M. Saxon.)

20 M. Saxon (interprétation): Madame, vous appelez-vous Fedrije Xhafa?

21 Mme Xhafa (interprétation): Oui.

22 Question: Madame Xhafa, êtes-vous née le 16 juin 1964?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Etes-vous née dans le village de Svaraçak i Ulët, dans la

25 municipalité de Vushtrri, au Kosovo?

Page 4137

1 Réponse: Oui.

2 Question: Ce village porte-t-il actuellement… a-t-il été rebaptisé et

3 s'appelle-t-il "Monza" aujourd'hui?

4 Réponse: Oui.

5 Question: Madame Xhafa, le 26 février de l'an 2000, avez-vous fait une

6 déclaration devant des représentants du Bureau du Procureur, s'agissant

7 des événements dont vous avez été témoin et que vous avez vécus au Kosovo,

8 en 1999?

9 Réponse: Oui.

10 Question: Et le 11 octobre 2001, avez-vous fait une déclaration

11 complémentaire devant des représentants du Bureau du Procureur s'agissant

12 d'événements que vous avez vécus ou dont vous avez été témoin au Kosovo?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Le 15 mars 2002, dans le village de Svaraçak i Ulët ou Monza,

15 dans la municipalité de Vushtrri au Kosovo, vous a-t-on remis un

16 exemplaire des déclarations que vous avez faites en février 2000 et en

17 octobre 2001, en présence de représentants du Bureau du Procureur, ainsi

18 que de l'officier instrumentaire désigné par ce Tribunal?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Ce jour-là, avez-vous confirmé que les exemplaires des

21 déclarations qui vous ont été remis correspondaient à la vérité?

22 Réponse: Oui.

23 M. Saxon (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je

24 demande le versement au dossier de ces déclarations en application de

25 l'Article 92bis.

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1 Mme Anoya (interprétation): Il s'agira de la pièce à conviction de

2 l'accusation 124.

3 M. Saxon (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, Mme

4 Xhafa a suivi l'école primaire et les cours d'un lycée de Vushtrri en se

5 spécialisant en mathématiques. Elle était couturière. Avant la guerre, en

6 1999, elle ne travaillait qu'à la maison. Madame Xhafa dit que le 28 mars

7 1999, elle-même et sa famille ont été contraintes de quitter leur maison,

8 qui se trouvait dans le village de Svaraçak, une fois que les forces

9 serbes ont commencé à mettre le feu aux maisons.

10 La famille a pris la fuite en direction du village de Dubnica, puis du

11 village de Samodreza et de Vesekoc où elle est restée cinq semaines.

12 Aux alentours du 30 avril 1999, la famille a quitté Vesekoc pour se rendre

13 dans la direction de Sllakovc où elle a passé deux nuits. Elle a été

14 informée par des combattants de l'UCK que la résistance de l'UCK avait été

15 brisée à Melanica, dans un village qui se trouve dans la municipalité de

16 Mitrovica, au nord-ouest, et que les forces serbes avançaient en

17 provenance du nord.

18 La famille de Mme Xhafa a rejoint un convoi important qui se dirigeait

19 vers Vushtrri et Mme Xhafa conduisait un camion-remorque dans lequel se

20 trouvaient 13 membres de sa famille.

21 Madame Xhafa parle de l'approche des forces serbes, qui se sont donc

22 approchées du convoi à plusieurs reprises. Elle dit que les forces serbes

23 ont d'abord frappé son neveu, puis son frère. Ensuite, elles ont dérobé à

24 la famille tous les objets de valeur.

25 Par la suite, aux environs de 23 heures 30, un autre groupe de six

Page 4139

1 policiers masqués s'est approché de ce véhicule de Mme Xhafa et les

2 policiers ont abattu le père de Mme Xhafa et blessé son frère.

3 Madame Xhafa dit comment sa famille a continué son chemin à pied par la

4 montagne, avant de se diriger vers la coopérative agricole, finalement à

5 Vushtrri.

6 Le lendemain matin, la police serbe a séparé les hommes qui avaient entre

7 15 et 60 ans des autres personnes. Les hommes ont été emmenés dans la

8 prison de Smrekovnica et tous ceux qui avaient un tracteur ont reçu

9 l'ordre de se rendre en Albanie. Madame Xhafa et les membres survivants de

10 sa famille ont marché jusqu'au village de Kqiq, puis ont été dirigés sur

11 le village de Doberlluka.

12 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous avez la parole.

13 (Contre-interrogatoire du témoin, Mme Fedrije Xhafa, par l'accusé, M.

14 Milosevic.)

15 M. Milosevic (interprétation): (Hors micro.)

16 M. le Président (interprétation): Micro.

17 M. Milosevic (interprétation): Maintenant, le micro est branché.

18 Dites-moi, Madame, comment est-ce que l'on vivait dans votre région avant

19 la guerre?

20 Mme Xhafa (interprétation): Dans mon village, la vie était très difficile

21 avant la guerre. Elle empirait de jour en jour.

22 Question: Dans le village de Bare, qui est le village central de cette

23 région de Saraçak, l'entreprise Partizanka d'Uzice a construit une usine

24 et plusieurs centaines de jeunes femmes albanaises étaient employées dans

25 cette usine. Etes-vous au courant de cela?

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1 Réponse: J'ai su qu'il y a eu une fabrique, mais je ne sais pas qui y

2 travaillait.

3 Question: Savez-vous que, dans le courant de l'année 1998, cette usine est

4 devenue un abri pour ce qu'on appelle l'UCK, à savoir le centre de sa zone

5 opérationnelle?

6 Réponse: Je ne sais pas.

7 M. Milosevic (interprétation): Etes-vous au courant du fait que parmi ces

8 forces de l'UCK qui se trouvaient dans ce centre...

9 M. le Président (interprétation): Le témoin a dit ne rien savoir à ce

10 sujet. Il n'y a donc aucune raison de l'interroger sur ce point.

11 M. Milosevic (interprétation): Mais c'est une autre question que je pose

12 au témoin, Monsieur May.

13 Je demande au témoin si elle sait que des membres de sa famille

14 participaient à ces réunions de l'UCK.

15 Mme Xhafa (interprétation): Non, il n'y en a pas eu. Au début, c'était le

16 fils de mon frère. Mais après il s'est retiré.

17 Question: Connaissez-vous le nom de Xhafa Vesel? Son père se prénommant

18 Ahmed, né en 1958?

19 Réponse: Non.

20 Question: Donc, ce n'est pas un parent à vous de la même région que vous?

21 Réponse: Nous vivons dans le village de Saraçak.

22 Question: Mais savez-vous que, durant l'année 1998, il y avait aussi une

23 prison de l'UCK à Bare?

24 Réponse: Non, je ne sais pas. Je n'en sais rien.

25 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous que, dans cette prison, au début

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1 du mois de janvier, étaient enfermés également des soldats de l'armée

2 yougoslave arrêtés par l'UCK, non loin de Stari Grad. Etes-vous au courant

3 de cela?

4 M. le Président (interprétation): Le témoin a dit n'avoir aucune

5 information sur ce point. Il n'y a aucune raison de poursuivre.

6 M. Milosevic (interprétation): Donc elle n'a aucune information. Savez-

7 vous, Madame le Témoin, que dans la maison de Azemi, comme dans celle de

8 Bajram Shala, un directeur d'une usine, était stationnée une partie de

9 l'UCK?

10 Réponse: Non, je ne sais pas.

11 Question: Vous affirmez que votre neveu, Ismet, le frère de votre fils

12 Jetish était membre de l'UCK jusqu'au début de la guerre, mais que c'est

13 justement à ce moment-là qu'il est sorti des rangs de l'UCK. Est-ce exact?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Quel âge avait-il à ce moment-là?

16 Réponse: Vingt ans.

17 Question: Pourquoi a-t-il quitté l'UCK?

18 Réponse: Parce qu'il était poursuivi par la police serbe, surtout il y

19 avait Dusan Sijanic le policier de notre village, il était

20 particulièrement intéressé à cela. Ayant peur qu'un malheur arrive dans la

21 famille, il s'est retiré.

22 Question: Et il est resté dans le village avec vous, avec la famille?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Mais si un policier s'intéressait à lui à cause de son

25 appartenance à l'UCK, comment se fait-il qu'il se sentait suffisamment en

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1 sécurité pour rester au village?

2 Réponse: Parce qu'à chaque fois on pensait, on croyait bien que lorsqu'un

3 policier ou un Serbe s'intéressait à une famille, cette famille devrait

4 s'attendre à un malheur.

5 Question: Et qu'est-ce que qui lui est arrivé? Quel malheur lui est arrivé

6 à lui?

7 Réponse: Non. Il est resté avec sa famille.

8 Question: Qu'a-t-il fait quand il est sorti de l'UCK?

9 Réponse: Il est resté près de sa famille, dans sa famille.

10 Question: Savez-vous combien de temps il avait fait partie de l'UCK avant

11 de quitter les rangs de l'UCK?

12 Réponse: Trois, quatre semaines à peu près.

13 Question: Avez-vous vu des armes chez lui?

14 Réponse: Oui, mais il l'a rendue après, son arme.

15 Question: Savez-vous éventuellement dans quelles circonstances il est

16 entré à l'UCK?

17 Réponse: Tous les jeunes ont été mobilisés à l'époque dans les rangs de

18 l'UCK. Mais, craignant le pire pour sa famille, il a quitté l'UCK, car le

19 danger devenait de plus en plus grand.

20 Question: En d'autres termes, il a été mobilisé. Donc ce n'est pas de son

21 plein gré, ce n'est pas de façon volontaire qu'il est entré dans les rangs

22 de l'UCK?

23 Réponse: Non. Non, il a rejoint l'UCK de son propre gré, et de son propre

24 gré il l'a quittée.

25 Question: Dans votre première déclaration, vous affirmez que le 28 mars

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1 vous avez été contrainte de quitter la maison dans laquelle vous habitiez,

2 de même que les membres de votre famille. C'est bien exact?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Qui vous a contraints à quitter la maison?

5 Réponse: Les Serbes ont commencé à brûler les maisons de mon village.

6 Question: Pouvez-vous m'expliquer pourquoi vous affirmez, dans votre

7 première déclaration, que vous êtes partis parce que vous avez vu des

8 Serbes en train d'incendier les maisons albanaises, comme vous venez de le

9 dire à l'instant, alors que dans votre deuxième déclaration, vous dites

10 être partis parce que certains de vos voisins, des Serbes, avaient

11 déménagé? Donc vous avez commencé à craindre que quelque chose ne vous

12 arrive?

13 Réponse: Quand les villageois ont quitté le village, les maisons ont

14 commencé à brûler. Le jour d'avant, les Serbes aussi quittaient le

15 village. Ils allaient vers le village de Nedahovec.

16 M. Milosevic (interprétation): Vous dites dans votre deuxième déclaration,

17 au paragraphe 3, page 1, que "nous avons quitté le village parce que

18 certains de nos voisins, serbes, étaient partis et nous sommes partis pour

19 le village de Nedakovac.

20 M. le Président (interprétation): "Nous avons pensé que quelque chose

21 pourrait se produire. Nous avons donc décidé de partir." Les deux ne sont

22 peut-être pas incompatibles. Pouvez-vous ajouter quoi que ce soit à ce que

23 vous avez dit dans vos déclarations?

24 Mme Xhafa (interprétation): Oui, c'est cela la vérité, Monsieur le

25 Président. La raison est que les maisons ont commencé à être en plein feu;

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1 on craignait le pire. Tous les villageois, tous les paysans ont quitté le

2 village. Nous sommes partis en direction de Dumnicë. Là, il y avait un

3 long convoi qui venait aussi de Vushtrri et nous sommes donc allés à

4 Dumnicë. Nous y avons passé une nuit. Le lendemain, nous avons repris le

5 chemin vers Samadrexha. Là, nous y sommes restés juste cinq minutes.

6 M. le Président (interprétation): Oui. Monsieur Milosevic?

7 M. Milosevic (interprétation): Ma question était…

8 M. le Président (interprétation): Le témoin a répondu à la question de son

9 mieux. Si vous voulez ré-évoquer cette question, elle a déjà donné son

10 explication et il n'est pas nécessaire, il n'est pas utile de lui poser

11 davantage de questions sur ce point.

12 M. Milosevic (interprétation): Oui, mais les explications sont

13 contradictoires. Alors, je voulais essayer de clarifier les choses pour

14 savoir quelle était la véritable raison. Toutefois, si vous le dites,

15 probablement, il faut agir conformément à ce que vous suggérez.

16 Dans votre première déclaration, vous dites que vous êtes allée au village

17 de Dumnicë. Mais vous avez dit que vous êtes allée au village de

18 Nedakovac. Vers où êtes-vous partie? En fait, ma question est de savoir:

19 en partant de votre village, où êtes-vous allée?

20 Réponse: Nous n'avons pas été au village de Nedakovac. Depuis notre

21 village, nous avons pris la direction de Maxhuni et nous avons passé une

22 nuit à Dumnicë. C'est ce que j'ai dit aussi dans ma déclaration.

23 Question: Vous dites dans votre première déclaration que de Dumnicë vous

24 vous êtes allée à Samodreza. Dans la deuxième déclaration, vous dites que

25 les gens avaient peur d'aller à Samodreza, parce que la police avait mis

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1 des points de contrôle à Lazoviq. Alors, êtes-vous allée à Samodreza ou

2 pas?

3 Réponse: Avant de quitter notre village, les gens n'ont pas pu aller vers

4 Samadrexha, parce que là, il y avait un poste de contrôle, dans le

5 quartier de Lazoviq, un poste de contrôle serbe. Après avoir quitté le

6 village, on est allés à Dumnicë. Ensuite, nous sommes allés à Samadrexha.

7 Nous avons pris un autre chemin et non pas par le poste de contrôle de la

8 police.

9 Question: Est-ce que ceci veut dire que vous avez réussi à éviter le point

10 de contrôle de la police et vous êtes arrivés à Samodreza sans vous

11 arrêter au point de contrôle de la police?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Et dans le village, dans les villages de Dubnica et Samodreza, y

14 avait-il des membres de l'UCK?

15 Réponse: A Ceceli, oui.

16 Question: A quelle distance est-ce que cela se trouve de Samodreza et de

17 Dumnicë?

18 Réponse: A 7 kilomètres de distance, à mon avis.

19 Question: Donc à Samodreza et Dubnica, vous n'avez pas vu l'UCK?

20 Réponse: Non. Nous y avons passé une nuit seulement.

21 Question: Et comment saviez-vous que l'UCK se trouvait à Cecelia?

22 Réponse: Tout le monde le savait.

23 Question: Et pendant cette période, les membres de l'UCK qui se trouvaient

24 à Cecelia, comme vous l'avez dit, étaient-ils en train de combattre les

25 membres de l'armée yougoslave et de la police serbe?

Page 4146

1 Réponse: Je ne sais pas. Je n'ai pas eu d'information sur cela. Nous avons

2 seulement quitté la maison pour échapper au pire et on ne s'est pas

3 occupés de ce genre de choses. Je ne sais pas.

4 Question: Et pendant votre voyage, votre trajet depuis chez vous, est-ce

5 que vous alliez dans la direction dans laquelle, par ailleurs, l'UCK se

6 déplaçait aussi?

7 Réponse: Nous nous sommes déplacés dans la zone où il n'y avait pas de

8 l'UCK, même pas de la police serbe.

9 Question: Est-ce que ceci veut dire, en fait, que vous avez essayé

10 d'éviter des secteurs dans lesquels il aurait pu y avoir des conflits

11 entre la police et l'UCK?

12 Réponse: Nous n'avons pas à échapper à l'UCK. Elle nous protégeait. Mais

13 le chemin passait justement par ces zones-là où il n'y avait pas de l'UCK

14 et où il n'y avait pas non plus des policiers serbes.

15 Question: Je n'étais pas en train de suggérer que vous vous enfuyiez en

16 fuyant l'UCK, je vous ai simplement posé une question. Vous aviez dit que

17 vous êtes allés dans un secteur où il n'y avait pas d'UCK ni de police.

18 Est-ce que vous l'avez fait pour éviter dans des combats éventuels entre

19 la police et l'UCK, pour ne pas vous trouver dans un secteur où il y

20 aurait des combats?

21 Réponse: Nous étions à la recherche d'une zone où il n'y avait pas de

22 police serbe.

23 Question: Et qui vous a dit que vous devriez aller de Vesekoc à

24 Smrekonicë?

25 Réponse: C'était notre idée, c'était notre gré d'y aller: nous savions que

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1 c'était une zone libre.

2 Question: Et qui se trouvait là, dans ce secteur?

3 Réponse: Il y avait des paysans, des Albanais.

4 Question: Et pourquoi alors avez-vous quitté Vesekoc?

5 Réponse: Je ne comprends pas la question.

6 Question: Pourquoi avez-vous quitté Vesekoc? Il y a peu de temps, vous

7 avez dit que vous étiez allée dans cette zone parce qu'elle était sûre,

8 pour autant que j'ai pu comprendre. Pourquoi l'avez-vous quittée?

9 Réponse: Accusé, parlez-vous de 30 avril comme je l'ai déjà dit?

10 Question: Oui, oui. Pourquoi avez-vous quitté Vesekoc? Vous avez dit que

11 c'était un endroit paisible.

12 Réponse: Oui. Nous avons quitté car le front était percé à Melanica à

13 l'ouest et à l'est de Kaçandol. Le pilonnage a commencé depuis Llap, du

14 côté de Llap. La population a commencé à se retirer en direction de

15 Sllakovc à nouveau.

16 Question: Mais vous avez dit que les combattants de l'UCK vous ont dit

17 d'aller à Vucitrn, est-ce vrai?

18 Réponse: Non. Les combattants de l'UCK se sont retirés depuis là, mais le

19 peuple, les gens sont partis en direction de Vushtrri en convoi.

20 Question: Est-ce qu'une partie de l'UCK est allée avec vous, s'est

21 déplacée avec vous, avec ce convoi?

22 Réponse: L'UCK a pris le sens contraire. Nous sommes allés en direction de

23 Vushtrri.

24 Question: Etiez-vous avec votre famille dans la première partie du convoi?

25 Réponse: Nous étions au milieu du convoi.

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1 Question: Et qu'en est-il de la première partie du convoi? Est-ce que

2 c'est là que les femmes et les enfants se trouvaient pour l'essentiel?

3 Réponse: On était tous ensemble, des hommes, des femmes, des enfants. Mais

4 peut-être au début il y avait un premier groupe vers Vushtrri.

5 Question: Et ce groupe qui est parti plus tôt, est-ce que c'étaient

6 essentiellement des femmes et des enfants?

7 Réponse: Oui.

8 Question: Où est-ce que ce groupe est parti?

9 Réponse: Ce groupe est parti vers Vushtrri.

10 Question: Est-ce qu'ils ont eu des problèmes en route vers Vucitrn?

11 Réponse: Je ne sais pas. Peut-être qu'ils ont eu des problèmes, peut-être

12 ils ont été pillés aussi. Ils sont passés avant nous.

13 Question: Et combien d'hommes y avait-il dans votre convoi, parce que vous

14 dites que vous étiez ensemble?

15 Réponse: Accusé, je ne vous comprends pas.

16 Question: Je vais poser la question différemment. Le groupe de femmes et

17 d'enfants étaient-ils très en avant? De combien étaient-ils en avant?

18 Réponse: Ils sont passés dans la matinée quelque part, selon quelques

19 témoins qui en ont parlé. Mais, moi, je ne les ai pas vus de mes propres

20 yeux.

21 Question: Et quand êtes-vous partis après eux? Combien de temps s'était

22 écoulé depuis leur départ?

23 Réponse: Je ne sais pas. Je ne sais pas à quel moment ils sont sortis. Je

24 sais qu'ils sont sortis, qu'ils sont partis dans la matinée. Nous, on nous

25 a arrêtés vers 16 heures de l'après-midi.

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1 Question: Ainsi, ceux qui sont partis avant vous dans la matinée étaient

2 des femmes et des enfants. Et vous ne savez pas si quoi que ce soit leur

3 est arrivé? Quant à ce convoi dans lequel vous vous trouviez, en plus de

4 vous, il y avait aussi des hommes et vous étiez un groupe mixte; vous

5 n'étiez pas divisés en quelque sorte en première section et deuxième

6 section du convoi. Est-ce que j'ai bien compris ce que vous avez dit?

7 Réponse: Dans mon convoi, il y avait des femmes, des hommes, des enfants,

8 des vieillards.

9 Question: Et quand avez-vous rencontré la police? Quand est-ce que votre

10 convoi a été vu de la police?

11 Réponse: Après 16 heures, nous avons décidé de faire une pause sur une

12 plaine de Studime. Vers 21 heures du soir, la police serbe est arrivée.

13 Question: Vers 9 heures du soir?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Sur la base de ce que vous avez dit, est-il vrai de dire que les

16 policiers ont envoyé une partie des hommes à la prison de Smrekonicë?

17 Réponse: Ils les ont pris le 3 mai. Après nous avoir chassés, ils nous ont

18 mis dans la cour de la coopérative agricole de Vushtrri.

19 M. Milosevic (interprétation): Puisqu'ils les ont amenés à la prison, est-

20 ce qu'on les soupçonnait d'être des membres de l'UCK?

21 M. le Président (interprétation): Ce n'est pas au témoin de répondre à

22 cette question. C'est à ceux qui l'ont emprisonné, emmené en prison.

23 M. Milosevic (interprétation): Pour autant que vous puissiez savoir,

24 combien de temps sont-ils restés à la prison?

25 Mme Xhafa (interprétation): Quelqu'un y a passé deux semaines, quelqu'un

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1 d'autre dix jours. Après, on les a conduits vers l'Albanie.

2 Question: Est-ce que quelqu'un a été détenu? Est-ce que quelqu'un a été

3 gardé après ces dix jours, ces deux semaines d'interrogatoire?

4 Réponse: Oui, il y en a eu d'autres qui ont été retenus plus longtemps.

5 Mais là, je parle de ma famille; le fils de mon frère et le fils de mon

6 oncle ont passés 10 jours, alors que mon frère y a été retenu pendant 13

7 jours dans la prison de Smrekonicë.

8 Question: C'est ce que vous avez dit. Certains pour 10 jours, d'autres 14

9 jours ou 13 jours. Peu importe. Mais indépendamment de ces 10 ou 14 jours,

10 est-ce que quiconque a été détenu là après, après les interrogatoires?

11 Réponse: Oui. Il y en a pas mal qui sont restés, vous le savez mieux que

12 nous.

13 M. Milosevic (interprétation): Je ne sais pas mieux que vous, mais je vous

14 demande de me donner le renseignement en question. Combien d'entre eux ont

15 été gardés là?

16 M. le Président (interprétation): Le témoin n'en fait pas partie. Pour

17 répondre à cette question, ce serait extrêmement difficile.

18 Pourriez-vous nous aider avec ce que savaient les membres de votre

19 famille?

20 Réponse: Non, je ne sais pas.

21 Question: Bien. Alors, votre famille a été relâchée après dix ou treize

22 jours, l'un après treize jours, l'autre après dix jours. Est-ce qu'ils

23 vous ont dit ce qu'on leur avait demandé, ce que les autorités de la

24 prison qui les interrogeaient leur avaient demandé?

25 Réponse: Oui. Ils étaient tous accusés d'être membres de l'UCK. Tous les

Page 4151

1 Albanais qui sont entrés dans la prison Smrekovnica étaient tous accusés

2 d'être membres de l'UCK.

3 M. Milosevic (interprétation): Dois-je comprendre que ceci veut dire qu'on

4 leur a demandé…, parce que vous dites vous-même qu'après cela, ils ont été

5 relâchés?

6 Mme Xhafa (interprétation): Je ne vous comprends pas.

7 M. le Président (interprétation): Vous savez, Monsieur Milosevic, nous

8 avons entendu déposer par ceux qui avaient été détenus; un témoin nous

9 parle des interrogatoires. Je crois que tout ceci a déjà été examiné.

10 Avez-vous d'autres questions à poser à ce témoin sur ce qui a été dit en

11 ce qui concerne la détention, les détenus?

12 M. Milosevic (interprétation): Bien, bien. Je ne vais plus lui poser de

13 question sur ce point.

14 Dans votre déclaration, votre deuxième déclaration, vous dites que vous

15 avez d'abord vu des véhicules blindés à Drenica et le meurtre de la

16 famille Jashari. Est-ce exact?

17 M. le Président (interprétation): Quelle est la question?

18 M. Milosevic (interprétation): Est-il exact que vous avez d'abord vu des

19 blindés à Drenica, comme vous le décrivez, après le massacre de la famille

20 Jashari, à Drenica? Est-ce exact?

21 Mme Xhafa (interprétation): Donc vous voulez dire… S'il s'agit en effet de

22 la couleur des véhicules, je l'ai vue à la télévision, après le massacre

23 perpétré avec la famille Jashari.

24 Question: Donc vous avez vu les véhicules à la télévision, non pas là-bas?

25 Donc vous n'étiez pas à Drenica en fait?

Page 4152

1 Réponse: Non.

2 Question: Est-ce que vous connaissiez des membres de la famille Jashari?

3 Réponse: Je ne les connaissais pas.

4 Question: Alors, vous dites cela uniquement par rapport à ce que vous avez

5 vu à la télévision?

6 Réponse: La couleur, c'est à propos de la couleur du véhicule.

7 Question: Bien. Est-il vrai de dire que vous avez déclaré voir les mêmes

8 véhicules à Belgrade lorsque vous êtes venue rendre visite à votre sœur?

9 Réponse: Oui. Il s'agit toujours de la couleur!

10 Question: Votre sœur vit-elle à Belgrade?

11 Réponse: Non. Elle se trouvait hospitalisée à l'hôpital de Belgrade; elle

12 était malade.

13 M. Milosevic (interprétation): Avez-vous des parents, des amis qui vivent

14 à Belgrade?

15 M. le Président (interprétation): Quelle est la pertinence de cette

16 question?

17 Mme Xhafa (interprétation): Non.

18 M. Milosevic (interprétation): Lorsque vous étiez à Belgrade, avez-vous eu

19 des problèmes?

20 Réponse: Non, je n'ai pas eu de problème. Nous sommes allés rendre visite

21 à notre sœur à l'hôpital.

22 Question: Combien de Serbes ou de familles serbes vivaient à Donji

23 Svaraçak, jusqu'à ce que l'UCK…

24 Réponse: Je ne comprends pas la question.

25 Question: Y avait-il des familles serbes dans votre village jusqu'à la fin

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1 de la guerre, à la veille de la guerre, avant la guerre, à la fin de la

2 guerre?

3 Réponse: Oui, il y en a eu. Jusqu'à la fin de la guerre, les Serbes sont

4 restés dans le village. Lorsque l'infanterie de l'OTAN est intervenue, ils

5 ont quitté le village. On ne sait pas où ils sont allés.

6 Question: Y a-t-il des Serbes qui vivent dans votre région, dans votre

7 secteur, maintenant?

8 Réponse: Non.

9 Question: Est-ce que vous savez ou est-ce que vous avez peut-être vu,

10 entendu dire ou appris qu'il y avait eu des meurtres de Serbes et

11 d'Albanais avant le commencement de l'agression de l'OTAN, le 24 mars,

12 dans votre région?

13 Réponse: La question est trop longue. Je ne vous comprends pas.

14 Question: Est-ce que vous savez, par exemple, en 1998, quelque chose

15 concernant les crimes ou les massacres ou les enlèvements qui ont eu lieu

16 dans votre zone, qui ont été effectués par ce qu'on appelle l'UCK?

17 Mme Xhafa (interprétation): Non, il n'y a pas eu de crimes dans ma zone,

18 des crimes effectués donc par l'UCK.

19 M. Milosevic (interprétation): Donc vous considérez que l'UCK n'a pas

20 commis d'actes de terrorisme?

21 M. le Président (interprétation): Elle a dit que l'UCK n'a pas commis de

22 crimes, de sorte que ceci conclut la réponse sur ce point.

23 M. Milosevic (interprétation): Je n'ai pas d'autre question à poser.

24 M. Tapuskovic (interprétation): Monsieur le Président, nous n'avons pas

25 d'autres questions, nous non plus, à poser.

Page 4154

1 M. Saxon (interprétation): J'ai une ou deux questions à poser, Monsieur le

2 Président.

3 (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, Mme Fedrije Xhafa, par

4 M. Saxon.)

5 Madame Xhafa, vous avez mentionné le fait que dans votre partie du convoi

6 qui descendait la montagne, le 2 mai, se trouvaient des femmes, des

7 hommes, des enfants et des personnes âgées.

8 Je voudrais que vous vous reportiez un instant sur le tracteur et la

9 remorque dans laquelle se trouvaient vous-même et votre famille. Est-ce

10 que des membres de votre famille ou d'autres personnes se trouvant sur

11 cette remorque étaient-ils membres de l'UCK à l'époque?

12 Mme Xhafa (interprétation): Non.

13 Question: A combien de reprises les groupes de policiers serbes se sont-

14 ils approchés de votre tracteur et de sa remorque cet après-midi et cette

15 soirée-là?

16 Réponse: Trois fois.

17 Question: En ces trois occasions, chaque fois que la police serbe

18 s'approchait de votre tracteur et de votre remorque, les policiers ont-ils

19 fait la moindre tentative pour fouiller le tracteur ou la remorque?

20 Réponse: La première fois, c'est quand ils se sont approchés du

21 conducteur: on lui a demandé les papiers d'identité et le permis de

22 conduire. Ensuite, ils ont commencé à battre le fils de mon frère, Ismet,

23 qui se trouvait à côté de son père, c'est-à-dire de mon frère, dans la

24 remorque. Ensuite, ils nous ont demandé de l'argent. On a donné de

25 l'argent. Ils nous ont quittés, ils se sont éloignés, ils sont partis.

Page 4155

1 Ensuite, il y a eu un autre groupe. Ils ont pris mon frère Jetish; ils ont

2 commencé à le battre, à lui tabasser dessus. Mon père s'est approché d'eux

3 et il les a priés de le libérer. Ils ont demandé de l'argent à mon père.

4 Ils ont dit: "Donne-nous 2.000 ou 3.000 marks, sinon on va tuer ton fils."

5 A ce moment-là, on n'avait plus d'argent et on a donné de l'or qui avait

6 une valeur à peu près de 2.000 deutchemarks.

7 M. Saxon (interprétation): Monsieur le Président, moi en tout cas, je ne

8 sais pas si c'est le cas pour tout le monde, tous ceux qui écoutent

9 l'anglais, mais je n'ai aucune interprétation de l'Albanais.

10 M. le Président (interprétation): Vous avez bien demandé au témoin si les

11 policiers ont fouillé le tracteur. C'est cette question à laquelle il faut

12 répondre, Madame.

13 Mme Xhafa (interprétation): Au début, non.

14 M. Saxon (interprétation): Y a-t-il eu un moment quelconque où le tracteur

15 ou la remorque ont été fouillés?

16 Réponse: Non.

17 Question: L'une quelconque des personnes qui se trouvait à bord de ce

18 tracteur ou de cette remorque était-elle armée ou portait-elle un

19 uniforme?

20 Réponse: Non.

21 Question: Je sais que votre père a été tué ce soir-là, quel âge avait-il à

22 ce moment-là?

23 Réponse: 71 ans.

24 Question: Y avait-il des enfants à bord de ce tracteur et de cette

25 remorque?

Page 4156

1 Réponse: Le plus jeune, il avait 13 ans.

2 M. Saxon (interprétation): Merci. Je n'ai plus de questions.

3 M. le Président (interprétation): Madame Xhafa, ceci met un terme à votre

4 déposition devant le Tribunal. Je vous remercie d'être venue témoigner

5 ici. Vous pouvez maintenant vous retirer.

6 Mme Xhafa (interprétation): Je voudrais remercier la Chambre qui m'a rendu

7 possible ce témoignage et de pouvoir dire la vérité. Je vous remercie

8 vous, Monsieur le Juge.

9 M. le Président (interprétation): Très bien. Merci.

10 (Le témoin, Mme Fedrije Xhafa, est reconduite hors du prétoire.)

11 (Questions relatives à la procédure.)

12 Mme Romano (interprétation): Le témoin suivant est Isa Raka.

13 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le témoin va parler de la

14 ville de Kacanik qui se trouve au Kosovo, et dont vous trouverez

15 l'emplacement en page 12 de l'atlas du Kosovo.

16 M. le Président (interprétation): Madame Romano, je ne sais pas où se

17 trouve ce témoin. Peut-être y a-t-il eu un petit effet de surprise, mais

18 cela fait déjà 5 minutes que nous attendons.

19 Mme Romano (interprétation): Monsieur le Président, je n'en ai pas la

20 moindre idée non plus. Mais je vais essayer de voir s'il y a un problème.

21 M. le Président (interprétation): Ce serait gentil, s'il vous plaît.

22 Mme Romano (interprétation): Monsieur le Président, apparemment il y a eu

23 un malentendu quant à la personne qui témoignerait maintenant. Mais le

24 témoin que nous attendons est bien dans le bâtiment; donc simplement

25 quelqu'un va le chercher pour le ramener. Il nous faudra quelques minutes,

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1 je le crains. Pouvons-nous suspendre peut-être?

2 M. le Président (interprétation): Oui, il serait peut-être intelligent de

3 suspendre. Nous allons faire la pause un quart d'heure plus tôt que prévu.

4 Nous reprendrons nos travaux à 14 heures 15.

5 Mme Romano (interprétation): Merci. Excusez-moi pour ce problème.

6 (L'audience, suspendue à 12 heures 45, est reprise 14 heures 15.)

7 (Le témoin, M. Isa Raka, est dans le prétoire.)

8 M. le Président (interprétation): Je demande au témoin de faire la

9 déclaration solennelle.

10 M. Raka (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

11 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

12 M. le Président (interprétation): Vous pouvez vous asseoir, Monsieur.

13 (Interrogatoire principal du témoin, M. Isa Raka, par Mme Romano.)

14 Mme Romano (interprétation): Monsieur le Témoin, je vous demanderai de

15 décliner vos nom et prénom.

16 M. Raka (interprétation): Isa Raka.

17 Mme Romano (interprétation): Monsieur Raka, quand êtes-vous né?

18 M. Raka (interprétation): Je suis né le 17 septembre 1971.

19 Question: Où êtes-vous né?

20 Réponse: A Kacanik.

21 Question: Avez-vous passé toute votre vie à Kacanik?

22 Réponse: Oui. Oui.

23 Question: Etes-vous marié?

24 Réponse: Maintenant, oui.

25 Question: C'est votre deuxième mariage, n'est-ce pas?

Page 4158

1 Réponse: Oui.

2 Question: Qu'est-il arrivé à votre première épouse?

3 Réponse: Ma femme, le 27 mars 1999, les forces serbes l'ont blessée à la

4 maison. Quelques jours après, elle est morte à cause des plaies qu'elle

5 avait sur son corps.

6 Question: Merci. Monsieur Raka, vous souvenez-vous avoir été interrogé par

7 les membres du Bureau du Procureur de ce Tribunal, le 26 novembre 1999?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Vous avez, ce jour-là, fait une déclaration, n'est-ce pas?

10 Réponse: Oui.

11 Question: Le 31 janvier 2002, vous avez participé à une réunion à laquelle

12 étaient présents également des membres du Bureau du Procureur, ainsi que

13 la personne désignée en tant qu'officier instrumentaire par le Greffe. Et

14 on vous a remis un exemplaire de la déclaration que vous avez faite

15 précédemment, n'est-ce pas?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Vous avez pu relire cette déclaration et vérifier que la teneur

18 de votre déclaration était conforme à la vérité? Vous avez lu votre

19 déclaration en albanais?

20 Réponse: Oui. Avec quelques petites erreurs, mais qui ne jouaient pas un

21 rôle important.

22 Mme Romano (interprétation): Merci, Monsieur le Témoin. Ces erreurs n'ont

23 pas beaucoup d'importance.

24 Je demande maintenant le versement au dossier de cette déclaration en

25 application de l'Article 92bis du Règlement.

Page 4159

1 Mme Anoya (interprétation): Monsieur le Président, il s'agit de la pièce à

2 conviction de l'accusation 125.

3 Mme Romano (interprétation): Voici la synthèse du témoignage de ce témoin.

4 Le témoin est un Albanais du Kosovo de 32 ans, originaire de Kacanik.

5 Avant le 27 mars 1999, il était marié et attendait un enfant. Il vivait

6 dans la maison de famille à Kacanik avec son épouse, sa mère, ses sœurs,

7 un frère et sa belle-sœur. Depuis cette date, il s'est remarié avec une

8 femme qui a un enfant et dont l'ex-mari a été tué.

9 Dans sa déclaration, le témoin dit que, depuis le début de mars 1999,

10 l'action de la police était accrue à Kacanik. Le 27 mars 1999, le témoin a

11 vu deux jeeps de l'armée, ainsi qu'une Lada Niva blanche -un 4x4-, qui

12 circulaient devant l'usine de calcaire qui se trouvait de l'autre côté de

13 la rivière par rapport à sa maison.

14 Il y avait environ vingt ou trente officiers de police dans ce groupe et

15 deux officiers qui portaient les uniformes de la VJ. Ils sont tous sortis

16 des véhicules.

17 Le témoin a reconnu un homme qui s'appelait Ljubisa, commandant adjoint de

18 la police à Kacanik et qui donnait des ordres aux autres hommes.

19 Le témoin a vu les soldats prendre position à l'étage supérieur de

20 l'usine. Ils portaient des fusils automatiques et un mortier. Ces soldats

21 ont commencé à tirer dans la direction des maisons qui se trouvaient sur

22 l'autre rive, de l'autre côté de la rivière. Une grenade a été jetée sur

23 sa maison par le toit. Deux gardiens de l'usine ont ensuite été trouvés

24 morts. Le témoin dit également que d'autres hommes qu'il connaissait sont

25 morts ce jour-là.

Page 4160

1 Quelque temps plus tard, lorsque la femme du témoin, qui était enceinte à

2 l'époque, s'est aventurée à l'extérieur, une balle l'a frappée à la hanche

3 droite.

4 Le 28 mars 1999, le témoin, ainsi qu'un groupe assez nombreux, a commencé

5 à se diriger à pied à travers les bois, en direction de la Macédoine. Le

6 témoin faisait partie d'un groupe de 13 ou 14 personnes qui ont transporté

7 sa femme sur une civière. Lorsqu'ils sont arrivés à la frontière, un

8 soldat macédonien a empêché l'accès à la Macédoine et 700 personnes

9 environ ont dû rester dans les bois pendant deux jours. Le témoin et le

10 groupe auquel il appartenait ont réussi à contacter des personnes de Blace

11 qui les ont aidés à traverser la frontière de la Macédoine.

12 La femme du témoin a été envoyée à l'hôpital à Skopje. Les médecins ont

13 procédé à son accouchement chirurgical, lui ont fait une césarienne. Son

14 épouse est morte suite aux blessures subies au moment des coups de feu.

15 L'enfant est mort également. L'épouse est morte le 5 avril 1999 en raison

16 de la perte de sang.

17 Le témoin est ensuite retourné à Kacanik le 16 juin 1999.

18 Voilà, Monsieur le Président, je n'ai rien d'autre à ajouter.

19 M. le Président (interprétation): Merci. Monsieur M. Milosevic vous avez

20 la parole.

21 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Isa Raka, par l'accusé, M.

22 Milosevic.)

23 M. Milosevic (interprétation): En première page de votre déclaration, vous

24 dites que jusqu'au début de 1999, dans votre municipalité, on vivait à peu

25 près normalement. Ce sont les mots que vous avez employés, n'est-ce pas.

Page 4161

1 C'est exact?

2 Réponse: Un peu, pas tout à fait.

3 Question: Mais Kacanik, qui compte à peu près 40.000 habitants, était

4 peuplée de 90% d'Albanais à l'époque, n'est-ce pas?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Donc il n'y avait que 2% de représentants d'autres nationalités,

7 en majorité des Serbes et des Roms. C'est bien cela?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Etes-vous au courant du fait que, à l'Assemblée municipale de

10 Kacanik, donc au niveau des organes du pouvoir local de Kacanik, 62 des

11 employés de l'Assemblée municipale étaient Albanais alors que le nombre

12 des personnes travaillant à la municipalité était de 85 au total, et ce,

13 jusqu'à la guerre. Etes-vous au courant de ce fait?

14 Réponse: Je n'ai pas travaillé dans la commune de Kacanik; j'étais au

15 chômage. Je ne me suis pas intéressé à ces faits-là.

16 Question: Bon. Etes-vous au courant du fait que, à Djeneral Jankovic, à

17 l'usine Sharra, qui employait au total 1.700 personnes, il y avait plus de

18 1.500 de ces personnes employées par l'usine qui étaient également des

19 Albanais?

20 Réponse: Je vous ai dit: je ne travaillais pas à l'époque. Je ne suis

21 jamais allé dans la fabrique de Sharra. Je l'ai vue seulement de

22 l'extérieur. J'étais au chômage. Je vous l'ai déjà dit.

23 M. Milosevic (interprétation): Mais vous habitez à Kacanik. Donc je

24 suppose que vous avez une idée de la façon dont la vie se passe à Kacanik.

25 M. le Président (interprétation): C'est possible, mais il n'est pas au

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1 courant de la situation de l'emploi.

2 M. Milosevic (interprétation): Etes-vous au courant du fait -et là je vous

3 pose une question d'ordre public, qui n'a aucun rapport avec une usine

4 particulière ou avec la mairie; je vous parle de la vie de la population à

5 Kacanik-, êtes-vous au courant du fait que, avant la guerre, en 1998, les

6 habitants de Kacanik ont choisi leurs policiers, qui étaient tous

7 Albanais, avec quelques policiers roms. Etes vous au courant de cela?

8 M. Raka (interprétation): Pourriez-vous répéter la question, s'il vous

9 plaît?

10 Question: Je vous parle des policiers de la ville de Kacanik qui ont été

11 choisis par les habitants. Ils ne dépendaient pas du ministère de

12 l'Intérieur. C'étaient des policiers de la localité que les habitants ont

13 choisis, ont nommés à leur poste et la mairie leur a donné des uniformes

14 et des pistolets, et tout ce que les policiers portent sur eux, de façon

15 générale.

16 Savez-vous que ce sont les habitants de la ville qui ont élus, choisis

17 -pour les nommer à leurs postes- un certain nombre d'Albanais et plusieurs

18 Roms en tant que policiers?

19 Réponse: A Kacanik, il n'y a pas eu de policiers albanais; ils étaient

20 tous serbes, sauf un ou deux, je n'en suis pas tout à fait sûr. Depuis

21 1991 ou 1990, je n'en suis plus sûr, il n'y a pas eu de policiers

22 albanais.

23 Question: Moi, je vous parle de 1998, date à laquelle les habitants ont

24 eux-mêmes choisi les policiers.

25 Réponse: De quels habitants parlez-vous?

Page 4163

1 Question: Les habitants de Kacanik: 98% des habitants de Kacanik étaient

2 des Albanais et ils ont choisi les policiers de la ville dans leurs rangs.

3 Ces policiers étaient également des Albanais. Il y avait quelques Roms par

4 la population rom était moins importante. Il y avait donc quelques

5 policiers roms. Savez-vous cela?

6 Réponse: Je ne sais pas que la population de Kacanik puisse choisir la

7 police de la Serbie. Que 40.000 ou 50.000 habitants, que ces habitants

8 aient la possibilité de choisir les policiers de Kacanik, ça, je n'ai

9 jamais entendu parler de cela, moi.

10 M. Milosevic (interprétation): Je ne dis pas qu'ils ont choisi des

11 policiers serbes, je dis qu'ils ont choisi des policiers albanais.

12 M. le Président (interprétation): Monsieur Raka, pouvez-vous répondre à la

13 question? Y a-t-il eu des élections pour choisir les policiers de Kacanik?

14 M. Raka (interprétation): Il n'y en a pas eu.

15 M. Milosevic (interprétation): Connaissez-vous Isen Tushi, dont le père

16 est prénommé Ali?

17 Réponse: Je ne le connais pas.

18 Question: Connaissez-vous Osman Kuka, dont le père est prénommé Xheladin?

19 Réponse: Je le connais approximativement. Approximativement, je le

20 connais. Il était gardien avant, dans un endroit où l'on ne vendait des

21 matériaux de construction. Il était un vieillard sans instruction de la

22 commune de Kacanik.

23 Question: Et Bektec Dadish, dont le père est prénommé Malush, le

24 connaissez-vous?

25 Réponse: Lui aussi, il a travaillé dans l'économie forestière en tant que

Page 4164

1 gardien. Lui non plus, il n'a pas pu. C'est comme Osman: lui aussi, il

2 n'était pas scolarisé. C'était quelqu'un de normal.

3 Question: Connaissez-vous le nom Selim Topolani?

4 Réponse: Je ne le connais pas.

5 Question: Et Shaip Reka?

6 Réponse: Oui, Shaip, j'ai eu l'occasion de le connaître, puisque son frère

7 était mon voisin. Pendant la journée, il est venu prendre sa famille-là.

8 Je l'ai vu de ma maison, il est parti. Il avait une arme. Je le connais

9 aussi parce qu'il avait un petit local à côté de notre maison, un café.

10 Question: Donc, lui, vous le connaissez?

11 Réponse: Je n'ai pas dit que je le connais.

12 Question: Mais connaissez-vous le nom Riza Kika

13 Vous l'avez vu armé, dites-vous.

14 Réponse: J'ai parlé clairement. Shaif était armé. Il est venu prendre la

15 famille de son frère et il est parti avec le jour du pilonnage.

16 M. Milosevic (interprétation): Connaissez-vous le nom Bedri Berisha?

17 M. Raka (interprétation): Non.

18 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, quel est le but de

19 cette énumération de noms? Quelle est la pertinence de cette liste?

20 M. Milosevic (interprétation): La pertinence vient du fait que le témoin

21 est originaire de Kacanik et que les noms que je suis en train de

22 prononcer sont indubitablement des noms d'habitants albanais de Kacanik

23 qui étaient représentants de la police locale, choisis par les habitants

24 de Kacanik pour s'occuper...

25 M. le Président (interprétation): Le témoin a dit que ces policiers

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1 n'avaient pas été élus, donc il n'y a aucune raison de poursuivre dans ce

2 sens. Mais le témoin doit avoir la possibilité de répondre quant au fait

3 de savoir si les noms dont vous venez de donner lecture sont bien les noms

4 de policiers ou pas.

5 Monsieur Raka, reconnaissez-vous les noms qui viennent d'être lus?

6 M. Raka (interprétation): Ce que j'ai déjà cité, j'en connaissais deux ou

7 trois. C'étaient des gens qui avaient travaillé à la montagne, à la forêt,

8 avec du bois. Osman, il a travaillé là où on vendait des matériaux de

9 construction. L'autre, c'était un gardien forestier. Ce sont des gens qui

10 n'avaient eu aucune scolarisation.

11 M. le Président (interprétation): Ce qui est suggéré, dans la question,

12 c'est qu'il s'agissait de policiers. Etaient-ce des policiers ou pas?

13 M. Raka (interprétation): Je ne les ai jamais vus en uniforme de police.

14 M. Milosevic (interprétation): Ils ne portaient pas l'uniforme de la

15 police d'Etat, mais un uniforme de couleur un peu plus claire, bleu clair,

16 qui était l'uniforme de la police locale. Ils voulaient se distinguer de

17 la police nationale. Avez-vous vu ces hommes revêtus de cet uniforme?

18 M. Raka (interprétation): Je ne les ai pas vus.

19 Question: Avez-vous entendu dire qu'un certain nombre d'entre eux -et j'ai

20 ici sous les yeux encore pas mal d'autres noms- mais comme vous pouvez le

21 voir je n'ai pas la possibilité de donner lecture de ces noms. Avez-vous

22 entendu dire qu'un certain nombre de ces policiers de la localité avaient

23 été enlevés et tués par l'UCK?

24 Réponse: Non, je ne sais pas. Je ne sais pas qui. Peut-être vous. Peut-

25 être que c'étaient vos employés qui les ont enlevés. Je ne sais pas, je ne

Page 4166

1 travaillais pas, je ne peux rien savoir sur cela.

2 Question: Bien. Savez-vous qu'à Kacanik, un parti albanais qui portait le

3 nom de "Initiative démocratique albanaise" a été créé? Etes-vous au

4 courant de la création de ce parti?

5 Réponse: De quel parti s'agit-il?

6 Question: "L'initiative démocratique albanaise." Le parti des Albanais de

7 Kacanik qui était présidé par Faik Jashari.

8 Réponse: Jamais entendu parler.

9 Question: Connaissez-vous Faik Jashari?

10 Réponse: Non.

11 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous que Faik Jashiri était membre de

12 la délégation d'Etat à Rambouillet en tant que président de ce parti?

13 M. le Président (interprétation): Il n'est pas au courant. Pas la peine de

14 répondre, Monsieur le Témoin.

15 M. Milosevic (interprétation): Le témoin connaît le garde forestier, mais

16 dans une ville comme Kacanik, qui est tout de même une petite ville, il ne

17 connaît pas une personne aussi importante que Faik Jashari. Cela me paraît

18 assez peu logique.

19 M. le Président (interprétation): C'est ce qu'il a dit. C'est ce qu'il a

20 dit.

21 M. Milosevic (interprétation): Oh, ici on entend toute sorte de choses,

22 plus que n'importe où ailleurs.

23 Monsieur le Témoin, la situation était normale, comme vous l'avez dit

24 vous-même. 98% d'habitants albanais, énorme majorité d'Albanais au sein de

25 l'administration et au niveau des entreprises. Alors, pouvez-vous me dire

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1 pourquoi il était nécessaire d'attaquer Kacanik?

2 M. Raka (interprétation): Je vous ai dit, je n'ai pas travaillé dans

3 l'administration en ce qui concerne la première question. Veuillez, s'il

4 vous plaît, répéter de la deuxième question. Moi aussi, j'ai une question,

5 s'il vous plaît.

6 Question: J'ai rappelé ce que nous avions vu ensemble, à savoir qu'il y

7 avait 98% d'habitants albanais. Vous avez répondu que vous étiez au

8 courant de cela: le fait que, dans tous les services publics aussi bien

9 qu'au niveau des autorités locales, les Albanais étaient en très grande

10 majorité. Vous avez dit vous-même ensuite que la situation était normale.

11 Donc la question que je vous pose c'est: pourquoi fallait-il attaquer à

12 Kacanik? Qui a introduit la violence à Kacanik?

13 Réponse: La violence à Kacanik a été exercée par la police et l'armée

14 serbes.

15 Question: Et vous n'êtes pas au courant de l'action menée par le groupe

16 terroriste de l'UCK à Kacanik et dans ses alentours?

17 Réponse: Les forces serbes, c'étaient les forces qui ont perpétré des

18 crimes et la terreur, pas seulement à Kacanik, mais dans tout le Kosovo.

19 Question: Bien. Vous affirmez que, lorsque l'OTAN a commencé à bombarder,

20 les Serbes ont répondu par des tirs. C'est ce que vous avez dit, c'est

21 bien cela?

22 Réponse: Oui. C'est comme cela.

23 Question: Sur qui les Serbes ont-ils tiré? Vous dites que l'OTAN a

24 bombardé, que les Serbes ont répliqué en tirant, mais sur qui les Serbes

25 tiraient-ils?

Page 4168

1 Réponse: Au départ, lorsque les bombardements de l'OTAN ont commencé, tant

2 que j'y étais à Kacanik, il n'y avait pas de bombardement de l'OTAN sur

3 Kacanik. Alors, eux, ils ont commencé à pilonner depuis la station de

4 police, très tôt le matin. Ils tiraient n'importe où, aveuglément. Voilà.

5 Question: Sahib Dema était-il membre de l'UCK?

6 Réponse: Sahib Dema n'étaient pas membre de l'UCK. Lui, il avait logé dans

7 sa maison la Mission de vérification de l'OSCE. Le 27 mars, sa maison a

8 été pilonnée depuis la station de la police. Sahib Dema, c'est un

9 vieillard; il a à peu près 70 ans.

10 Question: Et les policiers serbes, selon ce que vous dites au sujet du 27

11 mars, vous dites que lorsque ces hommes sont sortis des véhicules, ils ont

12 commencé à ramper en direction de l'usine. Vous dites qu'ils sont sortis

13 des véhicules et qu'ils ont commencé à ramper vers l'usine.

14 Réponse: Ils sont allés à plat ventre. Ils se sont entraînés avec des

15 armes à plat ventre. Ils sont restés là, aux alentours. Après, ils ont

16 pris l'escalier, ils sont montés aux escaliers de la fabrique.

17 Question: Considérez-vous qu'ils étaient en train de ramper vers une usine

18 déserte? L'usine était vide et ils étaient en train de ramper vers cette

19 usine vide?

20 Réponse: Je n'ai pas dit qu'ils ont tiré vers l'usine, mais ils sont

21 entrés dans l'usine. Ils ont pris position dans l'usine même.

22 Question: Vous dites qu'ils sont entrés dans l'usine, mais est-ce que

23 quelqu'un a commencé à leur tirer dessus?

24 Réponse: Personne. En ville, dans notre quartier, à ce moment-là, il n'y

25 avait que des civils.

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1 Question: Et est-ce qu'on a ouvert le feu sur les policiers à partir de la

2 rivière Lepence ou de cette rive de la rivière Lepence où se trouve votre

3 maison?

4 Réponse: Pourriez-vous répéter la question, s'il vous plaît? Soyez plus

5 clair aussi.

6 Question: Est-ce qu'on a ouvert le feu vers les policiers à partir de la

7 rivière Lepence, de cette partie proche de la rivière où se trouve votre

8 maison?

9 Réponse: Il n'y a pas eu de tir depuis là où j'habite, de mon quartier, ni

10 de la ville. Il n'y a pas eu de tir contre les forces serbes de là où se

11 trouvait la population civile. C'étaient seulement les policiers serbes

12 qui tiraient.

13 Question: Alors, vous soutenez que la police n'a pas été attaquée par des

14 membres de l'UCK qui se trouvaient dans les maisons autour de votre

15 maison?

16 Réponse: Dans notre quartier, je vous ai dit qu'il n'y avait pas d'UCK.

17 Question: Et contre qui tiraient les policiers alors?

18 Réponse: Ils tiraient contre tout mouvement. Ils savent mieux que moi

19 contre qui ils tiraient.

20 Question: Et vous soutenez qu'on a continué à tirer pendant à peu près une

21 heure. Est-ce bien cela?

22 Réponse: Les tirs ont continué d'autour de 10 heures jusqu'à 10 heures 30,

23 donc 20 minutes 30.

24 Question: Bien. Un peu moins que cela. Est-ce que cela veut dire que vous

25 affirmez que, pendant ce moment, vous avez mentionné le fait que les

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1 policiers tiraient de leurs positions vers les maisons de l'autre côté de

2 la rivière Lepence sans aucun motif?

3 Réponse: Ils ont commencé à tirer contre nous et contre le village Bob

4 sans aucune raison. Ils ont pris des positions dans l'usine.

5 Question: Je pense qu'il y a un moment vous aviez dit que vous aviez

6 entendu prononcer le nom de Riza Kika qui était chef des services de

7 sécurité et avait cette usine de calcaire?

8 Réponse: J'ai déjà répondu, je crois, à cette question. Je vous ai dit que

9 je ne connais pas.

10 Question: Est-ce que vous savez que le 27 février 1999, il a été enlevé

11 par des membres de l'UCK et emmené dans la direction du village de Gajre?

12 Répondez par oui ou par non. Dites si vous savez ou si vous ne savez pas?

13 Réponse: Non.

14 Question: Et savez-vous que la police a essayé de libérer ce Kika qui

15 avait été enlevé?

16 Réponse: Non, je ne sais pas.

17 Question: Et savez-vous que le 28 février, c'est-à-dire un jour plus tard,

18 les membres de l'UCK, précisément dans le village de Gajre, ont attaqué

19 les policiers qui sortaient pour essayer de faire relâcher Kika?

20 Réponse: Je vous ai dit: ne me demandez plus de cela, je n'en sais rien.

21 Ce que j'avais à dire: ce que vous dites, ce n'est pas argumenté.

22 Question: Mais alors dites que vous ne savez pas. Je vous pose des

23 questions. Dites: "Je ne sais pas".

24 Connaissez-vous le nom de Bogoljub Staletovic?

25 Réponse: Non.

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1 M. Milosevic (interprétation): C'était le commandant de la police à

2 Kacanik.

3 M. le Président (interprétation): Ceci n'a aucun but puisque le témoin ne

4 sait pas. Savez-vous quelque chose au sujet de la police à Kacanik?

5 Connaissez-vous cet homme?

6 M. Raka (interprétation): Je peux vous dire que cela fait dix ans que je

7 ne suis jamais allé aux casernes de la police. J'ai vu des policiers un

8 peu dans des villes qui circulaient. J'en connais quelques pseudonymes,

9 selon des ouï-dire, ce que d'autres gens m'ont dit. Moi, personnellement,

10 je n'ai rien su.

11 M. Milosevic (interprétation): Avez-vous entendu dire, puisque ceci était

12 un événement important pour Kacanik, que le chef de la police qui s'y

13 trouvait, dont vous ne savez pas le nom, mais le poste même, la fonction

14 même, le fait qu'il a été tué lorsqu'on a tenté de libérer Kika, un

15 Albanais qui avait été enlevé par l'UCK, avez-vous su que le chef de la

16 police avait été tué? Avez-vous entendu parler de cet événement?

17 M. Raka (interprétation): J'ai entendu dire, des rumeurs. Je ne suis

18 jamais allé. J'ai entendu dire que ce commandant a été tué mais je n'en

19 sais plus rien. Je n'y suis jamais allé dans le village de Gajra.

20 Je suis né en ville et j'ai été élevé en ville, donc j'ai grandi

21 là, je ne suis jamais allé dans le village.

22 Question: Est-ce que vous avez entendu dire qu'il avait été tué à Gajre?

23 Avez-vous entendu dire que trois autres policiers avaient aussi été

24 grièvement blessés, ceux qui faisaient partie de ce groupe qui essayait de

25 libérer Riza Kika?

Page 4172

1 Réponse: Je ne sais pas ce qui s'est passé. Je n'étais pas présent pour

2 vérifier ce que vous me demandez. Donc je n'en sais rien.

3 M. Milosevic (interprétation): Avez-vous entendu le nom de Ajsah Atom

4 (phon.)?

5 M. le Président (interprétation): Ceci est une perte de temps complète de

6 poser des questions au témoin sur ces événements. Je ne sais pas quel en

7 est le but.

8 Monsieur Milosevic, vous pouvez présenter vos propres éléments de preuve

9 en temps utile. Mais harceler le témoin de cette façon n'aide personne, ne

10 sert à rien.

11 M. Milosevic (interprétation): Etes-vous en train d'essayer de me refuser

12 le droit de faire un contre-interrogatoire, Monsieur May?

13 M. le Président (interprétation): Avez-vous d'autres questions à poser à

14 ce témoin? Je vais vous arrêter si vous posez des questions dénuées de

15 pertinence, en harcelant le témoin avec des questions de ce genre. Cela ne

16 sert à rien. Vous pouvez poser à ce témoin des questions concernant sa

17 déclaration. C'est pour cela qu'il est ici, pour répondre à cela, mais non

18 pas pour répondre à des questions tout à fait différentes.

19 M. Milosevic (interprétation): Bien. Alors voici une question très

20 concrète. Je crois que ces questions venaient également de sa déclaration.

21 Mais voici une autre question très pertinente.

22 Sur quelle base soutenez-vous que les policiers, le 27 mars, ont tué Halil

23 Nikofci et Shefqet Dema, les gardes?

24 M. Raka (interprétation): Les membres de leurs familles -de Shefq et de

25 Halil- parce que les deux gardes se trouvaient ce jour-là à leur poste de

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1 travail, à l'usine.

2 Question: Savez-vous que la police les a trouvés morts sur place

3 lorsqu'ils ont été attaqués par l'UCK?

4 Réponse: Ce n'est pas vrai, il n'avait pas de l'UCK, là. Je vous l'ai dit

5 aussi tout à l'heure.

6 Question: Comment se fait-il que vous sachiez que Ilaz Nika a aussi été

7 tué le 27 mars?

8 Réponse: Parce qu'il était mon voisin. Et que son fils me l'a dit; lors du

9 chemin, il m'a dit que notre père était mort, on l'a laissé là. Il était

10 âgé, il était malade de ses jambes, il ne pouvait pas se déplacer. On l'a

11 laissé dans la cave, là où il a été tué.

12 Question: Comment savez-vous qu'il a été tué par la police?

13 Réponse: Qui donc pourrait le tuer? Sinon, il n'y avait pas d'autres

14 personnes que les policiers et les deux soldats. Il n'y avait pas d'autres

15 tirs. Il n'y avait que les tirs de ceux-ci, de la police.

16 Question: Vous soutenez que vous pouvez distinguer des balles d'un fusil

17 automatique de munitions pour un fusil de précision, une carabine?

18 Réponse: Quand je suis retourné de Skopje, j'ai trouvé les restes des

19 cartouches. J'ai vu que c'était... on m'a dit là que c'est justement des

20 balles de sniper. C'était vraiment des tirs de haute précision,

21 directement à la maison. Je ne sais pas comment peut-on tirer sur

22 quelqu'un de façon tellement précise, sinon.

23 Question: Pourriez-vous m'expliquer ceci: si quelqu'un utilise un fusil

24 pour tirer sur votre maison, est-ce qu'il fallait que ce soit d'une

25 certaine distance?

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1 Réponse: Vous répétez la question, s'il vous plaît?

2 Question: Comment pourriez-vous trouver des douilles de cartouches dans

3 votre maison, lorsque les douilles restent à côté de l'arme elle-même.

4 Vous n'auriez pu trouver que la balle qui était arrivée. Où auriez-vous pu

5 avoir trouvé la douille?

6 Réponse: Justement, je parlais des balles. J'ai trouvé la balle dans…la

7 balle est restée dans le béton de la cave. C'est quand on a tué ma femme.

8 Et après j'ai retrouvé justement ce morceau-là.

9 Question: Alors c'est la balle qui a frappé votre femme: c'est cela?

10 Réponse: Oui, oui, c'est sûr. Il n'y avait que cette balle-là et puis, il

11 y en avait une autre, un peu plus loin, qui est restée dans le goudron.

12 Question: Alors, ce sont les deux balles qui ont été tirées contre votre

13 maison, sur votre maison?

14 Réponse: Oui. Une balle à l'étage au-dessus et puis aussi une grenade.

15 Question: Comment est-ce qu'une douille de balle peut arriver jusque là

16 par rapport à une balle qui a été tirée à distance?

17 Réponse: C'était par hasard. Cela peut arriver à tout moment. C'est par

18 hasard qu'elle est restée morte là.

19 Question: Donc vous avez trouvé, dans votre maison, à la fois la balle et

20 la douille tirée par un sniper par lequel votre femme a été blessée?

21 Réponse: Je n'ai pas dit que j'ai trouvé une douille. J'ai dit tout

22 simplement que j'ai trouvé la balle. Je ne connais pas très bien les

23 armes. J'ai trouvé seulement la balle; c'est ce qui reste normalement dans

24 le corps humain.

25 M. Milosevic (interprétation): Mais vous avez parlé de la cartouche, de la

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1 douille, il y a un moment?

2 M. le Président (interprétation): Je me demande: est-ce que vous avez dit

3 que vous avez trouvé la douille, Monsieur le Témoin? C'est la façon dont

4 cela a été traduit. Mais avez-vous dit en fait que vous aviez trouvé la

5 douille de la cartouche?

6 M. Raka (interprétation): Je ne sais pas comment on dit, "douille" ou

7 "balle", mais j'ai trouvé cette partie de la cartouche qui sort

8 effectivement. Je ne sais pas comment on appelle cela.

9 M. le Président (interprétation): Nous avons épuisé ce sujet. Il a

10 expliqué ce qu'il voulait dire.

11 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, il semble que nous avons

12 seulement un problème avec l'interprétation en albanais. Hier, nous avions

13 un problème pour la question de savoir s'il y avait une différence entre

14 février et avril, bien que le témoin ait répété "avril" plusieurs fois. Et

15 vous savez très bien que, même lorsque les enfants étudient une langue

16 étrangère, pendant les trois premières leçons, ils apprennent les mois,

17 les années, les nombres. Il est impossible que vos interprètes pour

18 l'albanais ne sachent pas la différence entre les mois d'avril et de

19 février, ce que c'est qu'une balle par rapport à une douille ou une

20 cartouche.

21 M. le Président (interprétation): La question peut être vérifiée. Nous

22 n'allons pas y consacrer davantage de temps maintenant. Alors, quoi

23 d'autre?

24 M. Milosevic (interprétation): Bien sûr, j'ai bien d'autres questions à

25 poser.

Page 4176

1 Donc votre femme a été grièvement blessée. Elle était enceinte. Pourquoi

2 a-t-il fallu qu'elle reste dans la maison?

3 M. Raka (interprétation): J'étais chez moi. Il n'y avait pas d'autre

4 endroit où me rendre, à part ma maison. Personne n'a envie de quitter sa

5 propre maison comme cela, par plaisir.

6 Question: Essayez-vous de dire que vous n'osiez pas aller à l'hôpital de

7 Kacanik?

8 Réponse: Il était impossible.

9 Question: Pourquoi n'avez-vous pas osé emmener votre femme blessée à

10 l'hôpital, sur-le-champ, votre femme qui était blessée et enceinte?

11 Pourquoi n'avez-vous pas osé l'emmener immédiatement à l'hôpital?

12 Réponse: Après le meurtre de Jonuz, du Rom, il y a eu les gens de la

13 première urgence; ils ont pris le cadavre. A cette époque, le téléphone

14 fonctionnait encore; on a appelé par téléphone l'ambulance. Ils nous ont

15 dit qu'on ne pouvait pas venir récupérer la blessée, car leur conducteur,

16 leur chauffeur était en danger. C'était trop dangereux pour le chauffeur

17 de passer par-là.

18 Question: Il arrive souvent qu'une ambulance ne puisse pas venir. Est-ce

19 qu'il n'aurait pas été plus facile pour vous de porter vous-même votre

20 femme jusqu'à l'hôpital pour l'y emmener? Plus tard, vous l'avez portée

21 sur une civière sur la frontière, à travers la frontière macédonienne.

22 N'aurait-il pas été plus logique de la transporter si un conducteur ne

23 pouvait pas venir pour la conduire à l'hôpital?

24 Réponse: C'était trop dangereux, parce qu'on mettait la vie des gens en

25 danger. Le chauffeur avait risqué gros, le chauffeur de l'autre ambulance.

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1 Et puis, il y avait aussi Jonuz, le Rom, qui avait été tué. On a appris

2 cette nouvelle et on a dit qu'il valait mieux rester. Et puis après, on

3 est parti vers Bllacë.

4 Question: Vous affirmez que le médecin qui a aidé votre femme décédée

5 était venu d'un endroit dans les bois. Est-ce exact?

6 Réponse: Il est venu de sa maison qui se trouve dans le nouveau quartier.

7 Il a traversé, il est passé par la montagne pour éviter la police serbe.

8 C'était le 28, le soir, tard. Et il lui a fait une perfusion.

9 Question: Comment êtes-vous entré en contact avec lui?

10 Réponse: Je ne sais pas. On a appelé Sotir, on l'a appelé et il nous a dit

11 que peut-être on pourrait l'accompagner pour l'aider. Et l'ambulance,

12 justement, dit qu'il allait voir s'il pouvait envoyer un docteur chez

13 nous.

14 Question: Alors, ils ne l'ont pas trouvé; c'est votre cousin qui l'a

15 trouvé. C'est bien cela?

16 Réponse: Les docteurs l'ont appelé. J'ai parlé clairement.

17 Question: Alors, ce sont des médecins qui l'ont trouvé.

18 Je voudrais appeler votre attention sur votre déclaration, à la page 4,

19 paragraphe 2, où vous dites -je peux lire l'ensemble du paragraphe de

20 façon à ne pas être critiqué en disant que j'ai sauté quelque chose

21 exprès-, vous dites ce qui suit: "Ma femme a dû rester à la maison pendant

22 deux jours. Nous n'avions pas pu obtenir d'aide pour elle. Il y avait un

23 grand nombre de personnes qui se cachaient dans notre maison et quelqu'un,

24 je ne sais pas qui, a réussi à se mettre en contact avec un médecin. Après

25 deux jours, le 28 mars, à 2 heures du matin, le docteur est venu. Il

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1 venait des bois, quelque part. Et il a donné des soins à ma femme."

2 Le paragraphe poursuit en disant: "Le docteur était Lul Raka. C'est un

3 médecin local de la clinique de Kacanik et il y travaille encore."

4 Donc ce que vous avez écrit dans votre déclaration, c'est qu'il était venu

5 de quelque part dans les bois. Vous dites que maintenant il était chez

6 lui, dans sa propre maison et qu'il a été informé par téléphone. Où était-

7 il? Que faisait-il dans les bois?

8 M. Raka (interprétation): Je ne sais pas d'où il est parti. Ce n'était pas

9 clair. Donc je ne sais pas d'où. Il a dit qu'il a pris une rue par les

10 montagnes et c'est en traversant les bois qu'il a pu arriver. Justement,

11 c'est de cette façon qu'il a pu éviter les forces serbes pour échapper. Et

12 lui, ce n'est pas vraiment de l'aide qu'il a fait, il a tout simplement

13 fait une injection pour…

14 M. Milosevic (interprétation): C'est un événement, en tous les cas, très

15 triste. Mais ma question avait trait au fait qu'il venait des bois. Je

16 vous demandais pourquoi il était dans les bois en premier lieu.

17 M. Robinson (interprétation): Quelle est l'importance du fait qu'il soit

18 venu de chez lui ou qu'il ait été dans les bois, Monsieur Milosevic? En

19 quoi est-ce important?

20 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, ce qui est important, c'est qu'il

21 dépend de savoir si c'était un médecin qui était dans les bois en train de

22 s'occuper des gens de l'UCK ou pas.

23 M. Robinson (interprétation): Peut-être pourriez-vous poser ces questions

24 directement?

25 M. Milosevic (interprétation): Oui, je vais poser une question directe.

Page 4179

1 Monsieur, était-ce un médecin qui se trouvait dans les bois en train de

2 donner des soins aux blessés de l'UCK?

3 M. Raka (interprétation): Là où l'on vivait à l'époque, on était entourés

4 par des bois et la maison se trouve dans le nouveau quartier. Et donc il

5 est venu justement de chez lui. Il a dû traverser les bois pour arriver

6 jusqu'à nous et pour effectuer ces injections, enfin une perfusion.

7 Question: Vous dites qu'il avait travaillé à la clinique à Kacanik. Est-ce

8 qu'il travaillait à la clinique de Kacanik à l'époque aussi?

9 Réponse: Au moment critique, lorsque mon cousin l'a appelé, il n'était pas

10 là et les autres n'ont pas pu venir. C'est seulement à 2 heures du matin

11 qu'il a pu parvenir chez nous et offrir son assistance médicale.

12 Question: Donc, quand tout ceci avait lieu, est-ce que vous étiez au

13 courant de ce que vous risquiez avec votre femme qui était grièvement

14 blessée, qui est restée sans assistance médicale pendant deux jours? Et

15 puis vous l'avez emmenée en voyage pour l'emmener au Monténégro? Non,

16 excusez-moi, en Macédoine?

17 Réponse: Oui. D'après les informations données par d'autres personnes et

18 par des proches, le 28, lors de la journée, je ne me souviens pas de

19 l'heure, ils ont envoyé l'autre ambulance de la ville.

20 Question: Et alors, qu'est-ce qui s'est passé après avec cette ambulance?

21 Réponse: Il s'est passé quelque chose, mais personne n'a pu comprendre.

22 Les gens commençaient à partir, à quitter les lieux.

23 Question: Dans le paragraphe que j'ai cité -pour gagner du temps, je ne

24 vais pas en redonner lecture-, vous dites que beaucoup de gens se

25 cachaient dans votre maison. Qui étaient ces gens?

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1 Réponse: Il y avait des réfugiés. Je peux dire Hani i Elezit. C'était le

2 gendre, deux fils d'oncles, la femme de mon oncle, la tante, le mari de la

3 tante; ils étaient tous là.

4 Ce n'était pas seulement chez moi comme ça; dans tout le quartier, dans

5 toutes les maisons, c'était comme ça. Chacun se réfugiait autant qu'il

6 pouvait. Je ne sais pas comment ils sont partis, comment ils ont quitté

7 les lieux. Ils disaient qu'ils ont tous quitté les lieux à cause de la

8 guerre, mais je ne sais pas exactement ce qui s'est passé en détail.

9 Question: Ainsi, ils sont partis à cause de la guerre, n'est-ce pas? C'est

10 cela? Vous dites que vous avez commencé votre voyage en Macédoine avec un

11 groupe de 14 hommes?

12 Réponse: 14 peut-être, plus ou moins. C'est-à-dire, on était un groupe qui

13 s'occupait de ma femme. Les autres sont partis à pied.

14 Question: Est-ce que c'étaient les mêmes parents que ceux qui se

15 trouvaient dans votre maison ou étaient-ce d'autres personnes?

16 Réponse: Lors du transport jusqu'à la maison de mon cousin -et là ce sont

17 d'autres cousins-, mon frère, le mari de la tante nous ont aidés... Et

18 puis, on a avancé un peu plus pour aller jusqu'au milieu du quartier. Ils

19 habitaient tous là, donc le groupe de 14 personnes qui nous ont

20 accompagnés. Nous sommes allés tous ensemble jusqu'à Bllacë.

21 M. Milosevic (interprétation): Ainsi, ce n'étaient pas les personnes qui

22 se trouvaient dans votre maison que vous venez de décrire?

23 M. le Président (interprétation): Mais quelle peut être l'importance de

24 tout cela, Monsieur Milosevic, quant à savoir qui faisait ce voyage?

25 M. Milosevic (interprétation): C'est important parce qu'il y a un instant,

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1 il a dit que sa sœur était là, les enfants et ainsi de suite, et puis, il

2 traverse la frontière avec 14 hommes. Alors je voudrais lui demander si

3 c'étaient des membres de l'UCK.

4 M. le Président (interprétation): Voilà une question que vous pouvez

5 poser.

6 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, c'est ce que je lui demande. Je le

7 lui demande maintenant: ces 14 hommes, y avait-il des membres de l'UCK

8 parmi eux?

9 M. Raka (interprétation): Non, il n'y en a pas eu. C'étaient des civils

10 qui n'étaient pas armés, des jeunes, des âgés, des moins âgés. Ils m'ont

11 aidé à transporter ma femme jusqu'au village de Bllacë. Je l'ai dit tout à

12 l'heure aussi.

13 Question: Où se trouvaient-ils les villages de Ivaja et de Kotlina?

14 Réponse: Colline de Kacanik. Je ne suis pas allé dans ces villages moi-

15 même.

16 Question: Vous n'avez jamais été là, mais saviez-vous qu'il y avait des

17 camps de l'UCK dans ces villages où des Albanais de la municipalité de

18 Kacanik avaient été emmenés?

19 Réponse: Non, je ne sais pas.

20 Question: Et avez-vous entendu parler d'un incident auquel aurait

21 participé la police, lorsque la police a réussi à libérer 15 Albanais de

22 la prison de l'UCK à Ivaja? Est-ce que vous avez entendu dire que cela

23 s'était passé?

24 Réponse: Non, je ne sais pas. Si j'avais participé dans les combats, je

25 vous aurais raconté. Je n'ai jamais été membre de l'UCK et je n'ai rien

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1 entendu. Je n'en sais rien.

2 M. Milosevic (interprétation): Je comprends cela et c'est pour cela que je

3 vous demande si vous savez quelque chose, non en tant que membre de l'UCK,

4 mais en tant que citoyen, en tant qu'homme.

5 Etes-vous au courant de l'événement survenu en décembre 1998, non loin de

6 votre village, à la frontière macédonienne, dans le village Dimçe? A ce

7 moment-là, une quantité très importante d'armes qui étaient introduites en

8 fraude à cet endroit, en provenance de Macédoine, a été saisie. Etes-vous

9 au courant de cela?

10 M. Raka (interprétation): Non, je n'en sais rien.

11 M. le Président (interprétation): Cela ne ressort pas de la déclaration du

12 témoin. Cela n'a pas de pertinence par rapport au témoignage du témoin.

13 A moins que vous n'ayez une question pertinente, je vais mettre un terme à

14 ce contre-interrogatoire. Nous perdons un temps très valable. Vous savez

15 très bien qu'en temps utile vous pourrez présenter tous les éléments de

16 preuve que vous souhaitez et les soumettre au Tribunal. Il est absolument

17 inutile de poser ces questions au témoin qui vous a dit ne rien savoir.

18 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, je l'interroge. Il est habitant de

19 Kacanik et nous parlons de la situation à Kacanik. Je crois que mes

20 questions sont pertinentes.

21 Monsieur le Témoin, savez-vous que, le 24 avril 1999, dans le village de

22 Doganovic, cinq Albanais, des enfants, ont été tués par une bombe de

23 l'OTAN et deux autres blessés grièvement. Etes-vous au courant de cela?

24 M. Raka (interprétation): Le 24 avril, je me trouvais à Skopje. Donc je ne

25 sais pas.

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1 M. Milosevic (interprétation): Bon, dans ce cas-là, je vous interroge au

2 sujet du 28 mars.

3 Savez-vous que le 28 mars, aux alentours de 22 heures, dans le vieux

4 Kacanik, une bombe à fragmentation de l'OTAN a été jetée, qui a frappé une

5 superficie de deux hectares en créant plus de 80 cratères. Etes-vous au

6 courant de cela?

7 M. Raka (interprétation): Le 28 mars, je m'occupais de ma femme. J'étais

8 assez occupé des problèmes de ma femme. Je n'ai pas suivi ce qui se

9 passait, donc je n'ai rien entendu de cela non plus.

10 M. le Président (interprétation): Nous n'allons nulle part avec ce genre

11 de questions. Je vais mettre un terme au contre-interrogatoire.

12 Les questions générales relatives aux municipalités n'ont aucun rapport et

13 n'aident pas à obtenir des renseignements du témoin qui sont là pour

14 parler de leur déclaration. Si vous avez des questions à poser à ce sujet?

15 Non, vous n'en avez pas?

16 Maître Tapuskovic, avez-vous des questions pour ce témoin?

17 M. Milosevic (interprétation): J'ai encore une question à lui poser.

18 M. le Président (interprétation): Une seule alors.

19 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous, Monsieur, quel est le nombre

20 des Albanais qui ont quitté Kacanik à partir du 24 mars, date du début de

21 l'agression de l'OTAN? Le témoin sait-il que pratiquement tous les

22 habitants de Kacanik sont restés chez eux, dans leurs maisons?

23 M. Raka (interprétation): Pouvez-vous répéter la question, qu'elle soit

24 plus claire?

25 Question: Savez-vous que pratiquement tous les habitants du vieux Kacanik

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1 sont restés dans leurs maisons pendant toute la guerre, depuis le 24 mars

2 jusqu'au mois de juin, donc pendant toute cette période critique? Etes-

3 vous au courant de cela?

4 Réponse: Non, je ne suis pas au courant.

5 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous que les 40 maisons serbes de

6 Kacanik, du vieux Kacanik, ont été incendiées et pillées?

7 M. Raka (interprétation): Non, je n'étais pas… je n'ai jamais été dans le

8 vieux Kacanik. Je vous ai dit, j'ai passé toute ma vie, 90% de ma vie,

9 dans Kacanik même.

10 M. le Président (interprétation): Très bien.

11 M. Milosevic (interprétation): Bon.

12 M. Tapuskovic (interprétation): Monsieur le Président, il n'y a pas de

13 question pour ce témoin de la part des amici.

14 (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, M. Isa Raka, par Mme

15 Romano.)

16 Mme Romano (interprétation): Monsieur le Président, je n'ai pas de

17 question supplémentaire, mais je vous propose simplement d'examiner trois

18 photographies que le témoin a apportées avec lui pendant son voyage à La

19 Haye. Ce sont des photos de sa maison et de l'usine.

20 Compte tenu du fait que, dans le contre-interrogatoire, des questions ont

21 été posées au sujet des bois et des distances relatives entre ces

22 différents bâtiments, je me propose de vous montrer ces photos.

23 M. le Président (interprétation): Oui, oui, oui.

24 Mme Romano (interprétation): Monsieur le Témoin, sont-ce bien des

25 photographies que vous avez apportées avec vous en arrivant à La Haye?

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1 M. Raka (interprétation): Oui.

2 Mme Romano (interprétation): Etes-vous l'auteur de ces photographies?

3 Avez-vous pris ces photographies?

4 Réponse: Oui. C'est un photographe qui les a faites.

5 Question: Pouvez-vous nous expliquer, en les prenant une part une, ce que

6 sont ces photographies, ce qu'elles montrent?

7 Réponse: Là, vous voyez la partie où les véhicules se sont arrêtés. Après,

8 ils sont allés vers le centre. Ensuite, ils ont fait un demi-tour et ils

9 sont revenus là.

10 Question: Lorsque vous dites "ils", de qui s'agit-il, Monsieur le Témoin?

11 Réponse: La police serbe et les deux soldats qui étaient avec eux.

12 Question: Quel est le bâtiment que l'on voit, là, celui qu'on voit sur

13 cette photographie?

14 Réponse: C'est l'usine de chaux. Ça, c'est le vieux bâtiment; l'autre,

15 c'est le renouvelé.

16 Question: Pouvez-vous nous montrer maintenant où se trouve l'emplacement

17 de votre maison sur une autre photographie?

18 Réponse: Vous voyez là ma maison. Voilà, ça, c'est une maison.

19 Question: Pouvez-vous replacer le pointeur sur votre maison?

20 (Le témoin ne parle pas devant son micro.)

21 Pouvez-vous nous montrer d'où provenaient les tirs?

22 Réponse: Oui, oui.

23 Question: Et la dernière photographie?

24 Réponse: Les fenêtres, là, c'était là que se trouvaient les forces de la

25 police. Alors qu'ici, ou ici, dans l'usine, c'est ici que se trouvaient

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1 les deux soldats, enfin les deux hommes en uniforme militaire.

2 Question: Et le toit qu'on voit ici au premier plan?

3 Réponse: C'est le toit de ma maison. C'est ici qu'ils ont pilonné, c'est à

4 cet endroit-là qu'ils ont tiré.

5 Mme Romano (interprétation): Merci, Monsieur le Témoin.

6 M. le Président (interprétation): Mme Romano, souhaitez-vous demander le

7 versement au dossier de ces photographies?

8 Mme Romano (interprétation): Oui.

9 M. le Président (interprétation): Peut-on affecter une cote à ces

10 photographies?

11 Mme Anoya (interprétation): Ce sera la pièce à conviction de l'accusation

12 n°126.

13 Mme Romano (interprétation): Je n'ai plus de question, Monsieur le

14 Président.

15 M. le Président (interprétation): Monsieur Raka, ceci met un terme à votre

16 témoignage devant le Tribunal pénal international. Merci d'être venu

17 témoigner. Vous pouvez vous retirer.

18 (Le témoin, M. Isa Raka, est reconduit hors du prétoire.)

19 M. le Président (interprétation): Monsieur Ryneveld, vous avez un autre

20 témoin dans le bâtiment, n'est-ce pas?

21 M. Ryneveld (interprétation): Oui.

22 M. le Président (interprétation): Mais nous ne pouvons pas terminer

23 l'audition de cet autre témoin aujourd'hui.

24 M. Ryneveld (interprétation): Cela dépend de la durée de l'audience, bien

25 entendu. Il appartient aux Juges d'en décider. Mais selon l'horaire

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1 normal, je vois qu'il nous reste 35 minutes.

2 M. le Président (interprétation): Non, pas autant que cela parce que nous

3 avons commencé à 14 heures 15. Nous ne pouvons poursuivre que jusqu'à 15

4 heures 35. Je vais consulter mes collègues.

5 (Les Juges se consultent sur le siège.)

6 Monsieur Ryneveld, nous pensons que, vu les circonstances, il est

7 préférable de suspendre à présent plutôt que d'essayer de terminer

8 l'audition du prochain témoin très rapidement. A moins que vous ne

9 souhaitiez nous convaincre du contraire?

10 M. Ryneveld (interprétation): Monsieur le Président, compte tenu du très

11 peu de temps qu'il nous reste, je ne peux pas me permettre de perdre une

12 minute. Je suis à votre disposition. Je préférerais commencer l'audition

13 de ce témoin, mais c'est votre décision qui importe.

14 M. le Président (interprétation): Je pense que puisque nous ne poursuivons

15 pas demain, nous commencerions l'audition maintenant pour la poursuivre

16 lundi. Je crois qu'il est préférable de commencer lundi.

17 M. Ryneveld (interprétation): Oui, Monsieur le Président, mais nous tenons

18 beaucoup à saisir toutes les chances qui nous sont données d'avancer dans

19 cette affaire car nous manquons cruellement de temps.

20 M. le Président (interprétation): J'apprécie, Monsieur Ryneveld, et nous

21 avons siégé hier plus tard que d'habitude.

22 M. Ryneveld (interprétation): C'est vrai.

23 M. le Président (interprétation): Nous suspendons l'audience jusqu'à

24 demain 9 heures 30.

25 (L'audience est levée à 15 heures 30.)