Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Lundi 3 juin 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 07.)

3 (Audience publique avec mesures de protection.)

4 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice?

5 M. Nice (interprétation): Je vous demande, Monsieur le Président, quelques

6 minutes, car nous avons quelques problèmes avec le premier témoin de ce

7 matin, K12, mais je crois savoir que le témoin arrive néanmoins.

8 (Le Témoin K12 est introduit dans le prétoire.)

9 M. le Président (interprétation): Je demande au témoin de prononcer la

10 déclaration solennelle.

11 Veuillez lire ce qui est écrit sur la petite carte qu'on vous a remise.

12 Témoin K12 (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

13 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

14 M. le Président (interprétation): Bien, vous pouvez vous asseoir,

15 Monsieur.

16 (Interrogatoire principal du Témoin K12 par M. Nice.)

17 M. Nice (interprétation): Au cours des débats, chacun s'adressera à vous

18 en vous appelant Témoin K12.

19 Monsieur l'huissier va vous montrer une feuille de papier sur laquelle

20 sont écrits un nom, une date de naissance et le pseudonyme K12.

21 Je vous demanderai de bien vouloir lire ce qui est écrit sur cette feuille

22 de papier en silence et de simplement dire "oui"; donc le seul mot que

23 vous aurez à prononcer est "oui" si le nom et la date de naissance

24 figurant sur cette feuille de papier sont bien les vôtres.

25 Si tel ne devait pas être le cas, veuillez dire "non".

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1 Témoin K12 (interprétation): Oui.

2 M. Nice (interprétation): J'aimerais que cette feuille de papier soit

3 montrée aux personnes à qui elle doit être montrée, comme d'habitude. Je

4 rappelle que nous disposons d'une carte géographique sur laquelle figure

5 tous les lieux qui seront évoqués par ce témoin.

6 Mais je pense que les régions de Serbie auxquelles le témoin fera

7 référence sont suffisamment identifiables sans entrer dans des détails

8 plus précis que le nom de la région.

9 Je demande également que la première partie du témoignage se fasse à huis

10 clos car, bien sûr, c'est celle au cours de laquelle l'identité du témoin

11 peut être reconnue.

12 Mme Ameerali (interprétation): Nous sommes en huis clos partiel.

13 (Audience à huis clos partiel à 9 heures 11.)

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18 (Audience publique.)

19 (Questions relatives à la procédure.)

20 M. Nice (interprétation): Le témoin suivant?

21 M. le Président (interprétation): Que souhaitez-vous dire, Monsieur

22 Milosevic?

23 M. Milosevic (interprétation): Il y a quelques minutes, M. Nice nous a

24 expliqué que K12 a commencé à témoigner; ensuite, vous l'avez laissé

25 sortir. Moi, je pense que j'ai le droit de le contre-interroger, tout au

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1 moins en ce qui concerne…, car il s'agit d'un témoin qui ne fait que

2 mentir. Et puis, ça prouve…

3 M. le Président (interprétation): Il n'a donné aucun élément de preuve qui

4 pourrait servir de fondement à un contre-interrogatoire, raison pour

5 laquelle nous ne vous avons pas donné l'occasion de le contre-interroger.

6 M. Nice (interprétation): Le prochain témoin est Fred Abrahams. Il pourra

7 témoigner en séance publique mais, comme la Chambre le sait, l'accusé a

8 des objections à l'égard de ce témoin. Donc peut-être conviendrait-il

9 d'entendre ces objections maintenant?

10 Mais j'aimerais informer M. Milosevic et la Chambre que la portée des

11 éléments de preuve qui feront l'objet de la déposition est plus limitée

12 que ce qui figure dans la déclaration déjà faite par le témoin.

13 Comme je l'ai expliqué vendredi, cela ne m'intéresse pas d'examiner plus

14 avant l'histoire récente. Permettez-moi de retrouver le résumé.

15 Ce qui m'intéresse, ce sont les événements de 1998 et puis, la manière

16 dont différents rapports qu'il a rédigés ont été soumis aux autorités

17 serbes et yougoslaves à l'époque, et ont été également soumis à l'accusé.

18 La Chambre aura peut-être aussi envie de l'entendre nous parler de la

19 préparation de la rédaction de la pièce sous ordonnance.

20 Mais, bon, je comprends qu'il y a manifestement une objection de grande

21 envergure concernant le travail de M. Abrahams pour le Bureau du

22 Procureur.

23 M. le Président (interprétation): Simplement pour qu'on puisse suivre:

24 est-ce que vous avez devant vous le résumé que vous avez évoqué?

25 M. Nice (interprétation): Oui.

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1 M. le Président (interprétation): C'est ce que vous… Vous allez en

2 demander le versement?

3 M. Nice (interprétation): Oui.

4 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous avez formulé

5 une objection quant à la comparution de ce témoin.

6 Vous avez évoqué le fait qu'à certaines périodes, le témoin a travaillé

7 pour le Bureau du Procureur, pendant deux périodes précisément, et en

8 particulier le fait qu'il ait travaillé à l'élaboration de cet Acte

9 d'accusation. Une déclaration du 24 janvier de cette année nous dit qu'il

10 a travaillé pendant deux courtes périodes en tant que consultant pour le

11 Bureau du Procureur, du mois d'avril au mois de juin 2000, et encore

12 pendant le mois d'août de l'an 2000. Il y est écrit: "J'ai fait des

13 recherches, j'ai fait des analyses concernant l'Acte d'accusation du

14 Kosovo à l'encontre de Milosevic, etc." Donc votre objection tient au fait

15 qu'il a contribué à cet Acte d'accusation.

16 Vous allez évidemment pouvoir le contre-interroger à ce propos, mais la

17 question est de savoir si cela devrait être une raison qui l'empêcherait

18 de témoigner concernant des questions tout à fait différentes des choses

19 qu'il a pu voir ou entendre au Kosovo. Est-ce que vous aimeriez prendre la

20 parole?

21 M. Milosevic (interprétation): Oui. Ce que je tiens à dire, c'est que ça

22 m'est absolument égal, ce que vous allez décider. Mais vous avez ici, de

23 manière tout à fait claire, quelque chose: depuis le mois d'avril jusqu'en

24 juin 2000 et ensuite, de nouveau, en août 2000; d'ailleurs, comme il le

25 précise dans sa déclaration, il a procédé aux enquêtes, a fait une analyse

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1 pour l'Acte d'accusation dressé à l'encontre de Slobodan Milosevic. En

2 d'autres termes, Abrahams a participé à la rédaction de l'Acte

3 d'accusation.

4 Une fois de plus, le Procureur souhaite être Procureur et témoin. Il veut

5 poser des questions, il veut y répondre. Il s'agit, en d'autres termes,

6 d'un collaborateur très étroit du Bureau du Procureur au moment où l'Acte

7 d'accusation a été rédigé. Il s'agit également de l'auteur de ce livre de

8 Human Rights Watch, des Droits de l'homme, et qui est un des éléments de

9 l'Acte d'accusation.

10 Et d'un autre côté, je vous ai signalé également, comme vous pouvez le

11 constater, qu'en dehors de ces dates qui figurent dans cette déclaration,

12 ce qu'il précise d'ailleurs, depuis avril jusqu'en juin et août 2000, en

13 dehors de ces dates également qu'il avait citées et pendant lesquelles il

14 avait travaillé pour le Bureau du Procureur; il avait également des

15 entretiens en novembre et il avait également coopéré avec Ibrahim Rugova.

16 Non seulement il n'en a pas parlé, mais il a caché ce fait. Il y a

17 d'autres activités également qui existent et qu'il avait cachées pour

18 rédiger cet Acte, qui est un faux Acte d'accusation.

19 M. le Président (interprétation): La réponse à cela est que vous pouvez,

20 de toute façon, le contre-interroger à ce propos. Donc on ne parle pas du

21 fait qu'il soit autorisé ou non à témoigner. Cela concerne plutôt la

22 portée, le poids de son témoignage.

23 M. Milosevic (interprétation): C'est de cela que je parle et j'ai dit que

24 c'est tellement clair qu'il avait participé directement à la rédaction de

25 l'Acte d'accusation que sa déclaration correspond pratiquement à l'Acte

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1 d'accusation; c'est de cela que je parle. Par conséquent, il s'agit d'une

2 déposition qui est en fonction de la propagande et du caractère de

3 propagande pour l'Acte d'accusation.

4 En ce qui me concerne, n'importe qui peut venir témoigner. Mais je tiens à

5 souligner, tout simplement pour prouver quels sont les moyens utilisés par

6 l'autre partie, en essayant de déployer la propagande de cet Acte

7 d'accusation qui est un faux Acte d'accusation: l'homme n'a participé en

8 aucun endroit dont il se porte témoin.

9 (Les Juges se concertent sur le siège.)

10 M. le Président (interprétation): Nous allons accepter cette déclaration.

11 Les objections notamment concernant le fait qu'il a travaillé pendant une

12 courte période -période que j'ai évoquée pour le Bureau du Procureur-, le

13 fait qu'il a contribué à l'élaboration de cet Acte d'accusation, ces

14 faits-là ne rendent pas sa déposition irrecevable. L'accusé aura le loisir

15 de le contre-interroger, de lui poser des questions à ce sujet, mais tout

16 cela ne fait pas obstacle à sa déposition.

17 M. Nice (interprétation): J'espère que nous allons maintenant pouvoir

18 faire entrer le témoin, j'espère qu'il se trouve à proximité.

19 Je me rends bien compte que nous sommes déjà dans une phase du procès où

20 il y aurait des éléments de preuve qui ne feraient que répéter d'autres

21 éléments que nous avons déjà entendus. Je vais donc tenter maintenant de

22 supprimer ce qui a un caractère redondant, à moins que cela ne mérite

23 vraiment d'être répété du fait qu'il s'agit d'un point réellement contesté

24 par l'accusé.

25 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je crois que les déclarations

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1 du témoin ont été soumises à la procédure de l'Article 92bis, mais je pars

2 du principe que ce ne sera pas acceptable dans ces conditions-là. Je ne

3 sais pas si la Chambre a tranché?

4 M. le Président (interprétation): Non, nous aimerions bien l'entendre de

5 vive voix. Je crois que c'est beaucoup mieux de procéder ainsi.

6 Puisque nous attendons, afin de savoir comment nous allons procéder par la

7 suite, le témoin suivant?

8 Monsieur Nice, il s'agira des témoins concernant les faits incriminés donc

9 pour Racak. J'ai noté ici que, pour Elshani, Mehmeti, Avdyli, les

10 déclarations ont été notifiées après le 11 février. Donc il faudrait

11 demander une autorisation.

12 M. Nice (interprétation): Oui, je vous suis très reconnaissant de soulever

13 la question. Je sais que Mme Graham allait me donner une note à ce sujet

14 ce matin. Je pense que cela ne sera pas aussi insatisfaisant que la

15 Chambre ne semble le craindre, mais je vais aborder cela.

16 (Le témoin, M. Frederick Abrahams, est introduit dans le prétoire.)

17 M. le Président (interprétation): Que le témoin prononce la déclaration.

18 M. Abrahams (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

19 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

20 M. le Président (interprétation): Veuillez prendre place, s'il vous plaît.

21 Votre nom?

22 M. Abrahams (interprétation): Frederick Cronig Abrahams.

23 (Interrogatoire principal du témoin, M. Frédéric C. Abrahams, par M.

24 Nice.)

25 M. Nice (interprétation): Je vais vous demander ce matin d'être aussi

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1 concis que possible dans vos réponses. Ce sera peut-être parfois difficile

2 de vous conformer à cela, si vous souhaitez répondre plus longuement, mais

3 je vous prie de garder à l'esprit qu'il est important de procéder de façon

4 aussi rapide que possible.

5 Je vais vous donner quelques détails concernant votre formation: licence à

6 Washington University, Masters à l'université de Columbia, école des

7 Etudes internationales avec une spécialisation en Europe orientale.

8 Vous avez travaillé à l'assemblée des citoyens d'Helsinki, à Prague, entre

9 1990 et 1992, n'est-ce pas?

10 M. Abrahams (interprétation): Oui, c'est exact.

11 Question: Est-ce que vous avez travaillé en Albanie au centre de formation

12 dans les médias, Centre de la Fondation Soros, entre 1993 et 1994.)

13 Ensuite, pendant cinq ans, est-ce que vous avez travaillé pour la Ligue

14 des Droits de l'homme, en tant que responsable de recherche, chargé

15 notamment de l'Albanie, de la Macédoine et du Kosovo?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Avant d'en venir au travail que vous avez fait pour le Bureau du

18 Procureur, est-ce qu'en raison du temps que vous avez passé en Albanie,

19 vous avez appris à parler l'albanais?

20 Réponse: Oui.

21 Question: Une connaissance suffisante pour pouvoir converser, mais, à

22 votre avis, vous ne pourriez pas faire des déclarations de témoin dans

23 cette langue?

24 Réponse: Je peux avoir des entretiens rudimentaires en albanais.

25 Question: Vous avez travaillé pour le Bureau du Procureur, une fois ou

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1 plus d'une fois?

2 Réponse: A deux reprises.

3 Question: A quelle date?

4 Réponse: Tout d'abord, au mois d'avril, mai et juin 2000, ensuite au mois

5 d'août 2001.

6 Question: Quels étaient votre titre, vos fonctions?

7 Réponse: J'étais analyste en matière de recherche.

8 Question: Est-ce que vous avez également participé aux entretiens avec des

9 témoins potentiels et à la consignation de déclarations de témoins?

10 Réponse: Oui.

11 Question: Avez-vous quitté votre travail à Human Rights Watch pour

12 certaines tâches de consultant?

13 Est-ce qu'à l'heure actuelle, vous écrivez un livre sur l'Albanie?

14 Réponse: J'ai quitté Human Rights Watch en mars 2000 avant de commencer à

15 travailler, ici, au Tribunal. Je suis de temps en temps consultant pour

16 eux; j'ai été consultant pour eux à une reprise après avoir quitté

17 l'organisation en tant qu'employé à plein temps.

18 Question: Et vous écrivez un livre?

19 Réponse: Oui, j'écris un livre sur "la transition de l'Albanie du

20 communisme à notre régime".

21 Question: Human Rights Watch est une ONG?

22 Réponse: Human Rights Watch surveille et fait des rapports sur les

23 violations des Droits de l'homme. Il s'agit d'une ONG qui n'a aucune

24 affiliation religieuse, ethnique ou politique, et nous n'acceptons aucun

25 financement de la part de l'Etat, du gouvernement.

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1 Question: Est-ce que vos rapports se sont également étendus aux Etats-

2 Unis?

3 Réponse: Oui, notre organisation, Human Rights Watch, est très active en

4 ce qui concerne les rapports sur les violations des Droits de l'homme aux

5 Etats-Unis.

6 Question: Pour en venir au paragraphe 6 de votre résumé, ceci à

7 l'intention de la Chambre, voudriez-vous bien nous énumérer certains pays

8 à propos desquels vous avez critiqué la situation des Droits de l'homme?

9 Réponse: La liste est bien longue. Je pense que notre organisation a été

10 active presque dans tous les pays du monde pour ce qui est de faire des

11 rapports sur les violations commises par des acteurs non étatiques.

12 L'organisation a longtemps été active dans la région des Balkans. Nous

13 avons émis des rapports, des critiques de tous les gouvernements de la

14 région: Albanie, Macédoine, Yougoslavie, Bulgarie et Roumanie. La liste

15 est donc bien longue.

16 Question: Qu'en est-il de l'OTAN après le bombardement de 1999?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Quelle était l'attitude adoptée par Human Rights Watch?

19 Réponse: L'organisation était très critique de l'OTAN à maints égards.

20 Question: Je crois qu'il suffit de dire que vous avez été critique.

21 Pour ce qui est maintenant de nous concentrer sur l'ex-Yougoslavie et les

22 rapports qui ont été faits concernant des abus, des violations, par

23 rapport à quel groupe ethnique en ex-Yougoslavie, des observations

24 critiques ou des rapports ont-ils été faits?

25 Réponse: Je ne dirai pas un gouvernement ou un groupe ethnique. Je ne

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1 dirai pas que nous ayons été critiques vis-à-vis de certains groupes

2 ethniques mais, en fait, nous avons été critiques vis-à-vis de toutes les

3 parties au cours du conflit en ex-Yougoslavie.

4 Nous avons publié des rapports critiques, des formules critiques à l'égard

5 des forces du gouvernement serbe et yougoslave, des forces du gouvernement

6 croate, des forces du gouvernement bosnien ainsi que des critiques vis-à-

7 vis de l'UCK.

8 Question: Je crois que nous allons un peu trop vite. Il faut observer une

9 pause entre question et réponse.

10 Pour en revenir au paragraphe 5, "Méthodologie adoptée par l'organisation

11 Human Rights Watch", très brièvement, nous avons besoin de consigner

12 quelque chose concernant cette méthodologie au compte rendu.

13 Réponse: Notre première source d'information, ce sont les entretiens avec

14 les victimes et les témoins de ces abus.

15 Nous avons des entretiens très approfondis avec ces personnes. Nous

16 tentons de trouver des pièces justificatives, des moyens de preuve qui

17 confirment ce qu'ils nous disent.

18 Si quelqu'un prétend qu'il y a eu une violation par les voies juridiques,

19 nous demandons les procès-verbaux, les comptes rendus d'audience. S'ils

20 font état d'atteinte physique à l'intégrité corporelle, nous demandons à

21 voir des cicatrices, des hématomes; nous essayons aussi de rassembler des

22 dossiers médicaux, des rapports étatiques et ainsi de suite.

23 Nous essayons de nous rendre sur les lieux des crimes dans la mesure du

24 possible, les sites de ces prétendues violations et nous essayons aussi de

25 retirer des informations auprès des auteurs présumés.

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1 Question: Paragraphe 7, quand est-ce que Human Rights Watch a commencé à

2 travailler sur la question du Kosovo?

3 Réponse: En 1990.

4 Question: De 1990 à 2001, combien de rapports sur cette région est-ce que

5 Human Rights Watch a élaborés?

6 Réponse: Je pense qu'il y a eu 16 rapports sur le Kosovo pendant cette

7 période.

8 Question: Et ces rapports sont publiés à l'intention du grand public, mais

9 à quelles autres personnes ces rapports sont-ils adressés? Est-ce qu'il

10 s'agit de copie sur support papier ou même par courrier électronique?

11 Réponse: Les rapports sont donc publiés et sont à disposition sur le site

12 internet, mais nos rapports sont également envoyés aux auteurs présumés.

13 Donc, dans ce cas particulier, tous nos rapports ont été envoyés aux

14 autorités serbes et yougoslaves.

15 Question: Comment avez-vous pu faire cela?

16 Réponse: Par trois méthodes. Nous avons une liste d'expédition d'adresses

17 postales.

18 Question: Vous parlez de la Serbie et de la Yougoslavie: donc vous

19 envoyiez cela à une adresse en Serbie?

20 Réponse: Oui.

21 Question: Est-ce le seul moyen par lequel vous tentiez de rentrer en

22 contact avec les autorités?

23 Réponse: Non. Nous avions non seulement la voie postale, mais également

24 nous utilisions le fax et le courrier électronique. Et je sais

25 pertinemment que tous nos rapports ont été envoyés à l'accusé par ces

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1 trois méthodes. Je me souviens d'avoir personnellement inscrit son

2 courrier électronique à la liste de nos adresses électroniques.

3 Question: Avait-il, à l'époque, une adresse personnelle de courrier

4 électronique?

5 Réponse: Oui: "slobodan.milosevic.gov.yu"

6 Question: Est-ce que vous avez utilisé ces boîtes à lettres?

7 Réponse: Je ne comprends pas très bien la question.

8 Question: Pour ce qui est de la Serbie?

9 Réponse: Oui, nos rapports ont également été envoyés à l'ambassade

10 yougoslave à Washington.

11 Question: Votre premier voyage au Kosovo?

12 Réponse: Mon premier voyage date de l'été 1995; ma première mission de

13 recherche a été effectuée au mois de juillet 1996.

14 Question: Et sur la base de cette mission, un rapport a été préparé?

15 Réponse: J'ai écrit un rapport intitulé "La persécution continue", qui

16 fait état de toute une série de questions, mais il s'intéresse notamment

17 aux abus commis par la police, les autorités serbes, contre les Albanais

18 du Kosovo.

19 Question: Je ne vais pas aborder en détail ces différents rapports, mais

20 la même méthode a toujours été suivie?

21 Réponse: Oui, c'est exact: la même méthode pour tous les rapports.

22 Question: Ces rapports sont surtout utiles à des fins de référence. Je ne

23 vais pas les parcourir en détail, peut-être qu'ils deviendront plus

24 importants à un stade ultérieur du procès.

25 Concernant ce rapport, à moins qu'il n'y ait un passage particulier qui

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1 vous semble particulièrement important, je vais vous demander de résumer

2 ce rapport brièvement et oralement. Ce rapport concerne donc les abus que

3 vous avez déjà évoqués.

4 Est-ce qu'il y aurait un passage particulier que vous aimeriez nous faire

5 voir sur le rétroprojecteur? Sinon…

6 Réponse: Je ne m'étais pas préparé à cela, à identifier un paragraphe

7 particulier.

8 Question: Bon, alors résumez simplement pour nous la teneur générale de ce

9 rapport.

10 Réponse: Très brièvement, ce rapport fait état de ce qui, à notre avis,

11 était une ligne de conduite de discrimination, un schéma de discrimination

12 dans la formation, l'éducation, l'emploi, la santé. Mais le rapport a mis

13 l'accent sur les abus commis par la police; nous avons fait état de

14 nombreux cas de violence excessive utilisée par la police, y compris des

15 personnes qui sont mortes en détention.

16 M. Nice (interprétation): Est-ce qu'on peut donner à ce rapport une cote?

17 Mme Ameerali (interprétation): Il s'agit de la pièce à conviction 188.

18 M. Nice (interprétation): Merci.

19 Et après votre mission au Kosovo, avez-vous demandé à pouvoir vous

20 entretenir avec des membres des ministères?

21 M. Abrahams (interprétation): Oui. Après ce voyage, j'ai demandé à pouvoir

22 rencontrer des membres de différents ministères. J'avais essayé de

23 contacter les ministères serbes yougoslaves de l'Intérieur ainsi que le

24 ministère des Droits de l'homme; cela m'a été très difficile d'obtenir des

25 entretiens avec ces personnes. J'ai enfin réussi à rencontrer le ministère

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1 adjoint de l'Information de la Serbie, mais je me souviens qu'il m'a fait

2 attendre deux heures avant que je puisse le rencontrer.

3 Question: Maintenant, nous allons pouvoir demander le versement d'une

4 pièce: il s'agit de la correspondance, d'une compilation de toute la

5 correspondance que vous avez envoyée à différents ministères et

6 différentes autorités, n'est-ce pas?

7 Réponse: Oui, c'est exact.

8 M. Nice (interprétation): Donc, ils sont énumérés dans le résumé. Je vais

9 vous demander de les rassembler en tant que pièce unique et nous en

10 demanderons le versement.

11 M. le Président (interprétation): Nous allons attribuer à cela une cote

12 d'ores et déjà, afin de respecter l'ordre chronologique. Il s'agira donc

13 du n°189, n'est-ce pas?

14 M. Nice (interprétation): Je ne vais pas demander au témoin d'aborder les

15 questions qui figurent aux paragraphes 12 à 17, sauf pour le paragraphe

16 16.

17 Monsieur Abrahams, nous avons entendu parler des accords concernant

18 l'éducation, les questions électorales et tout cela, mais nous n'avons pas

19 entendu parler du système des pyramides. Est-ce que vous pourriez nous

20 dire, en une phrase, quel a été le rôle de ces systèmes?

21 M. Abrahams (interprétation): Ces systèmes de pyramides se sont effondrés

22 au début de l'année 1997 et cela a vraiment mené à la dissolution de

23 l'Etat en Albanie. Au mois de mars 1997, un chaos s'en est suivi; cela a

24 eu un impact direct sur le Kosovo, notamment sur la distribution des armes

25 et le fait qu'environ peut-être 700.000 armes de petit calibre ont été

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1 distribuées ou alors ont été pillées en Albanie, et cela explique que

2 l'UCK ait eu une source d'armes, des armes auxquelles elle n'avait pas

3 accès auparavant.

4 Question: Et d'après vous, est-ce que cela a changé les forces de l'UCK?

5 Réponse: Oui, je crois que cela a contribué à cela, mais ce n'est

6 certainement pas l'élément principal qui a conduit à l'augmentation très

7 rapide de la taille de l'UCK.

8 Question: Pouvez-vous nous dire quelque chose concernant le rapport

9 intitulé "Décourager la démocratie"?

10 Réponse: Il s'agissait d'un rapport qui mettait l'accent sur la violence

11 policière en Serbie, notamment à Belgrade, dans d'autres villes également.

12 En novembre 1997, des élections ont eu lieu en Serbie. Les partis de

13 l'opposition ont obtenu 14…, ou ont remporté 14 villes parmi les 18

14 villes.

15 Le gouvernement a tenté de bloquer ou d'annuler les résultats de cette

16 élection. Cela a donné lieu à des protestations massives, huit jours de

17 protestation menée par l'opposition et le mouvement des étudiants à

18 Belgrade; des protestations, des manifestations très spectaculaires. Et

19 j'ai fait état de la violence policière qui a été infligée aux personnes

20 qui manifestaient. Il s'agissait de violences à l'égard de personnes qui

21 manifestaient de façon paisible, et qui a également visé certains

22 journalistes qui couvraient ces événements.

23 M. Nice (interprétation): Ce résumé, est-ce qu'on pourrait en voir la

24 toute première partie et mettre cela sur le rétroprojecteur?

25 Mme Ameerali (interprétation): Il s'agit de la pièce à conviction 190.

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1 M. Nice (interprétation): Si vous voulez bien mettre la première page sur

2 le rétroprojecteur? Il s'agit donc du résumé.

3 (Intervention de l'huissier.)

4 Ici, on affirme que le gouvernement de la République socialiste de

5 Yougoslavie a démontré ouvertement un non-respect des droits de l'homme au

6 cours de l'année dernière; c'est ce qui est marqué. Ensuite, on parle des

7 abus électoraux qui ont été découverts par les journalistes. Par la suite,

8 nous pouvons également voir ce qui est marqué en bas de la page.

9 Je cite: "L'Union européenne a donc averti le Président Milosevic sur les

10 élections et la manière dont les élections ont été organisées, à savoir

11 que l'Union européenne lui a demandé de reconnaître les élections, mais

12 même l'Union européenne a commis un certain nombre de violations des

13 droits de l'homme.

14 D'un autre côté, en novembre 1993 jusqu'en 1997, la Communauté européenne

15 a essayé de faire un certain nombre de pressions pour que Milosevic

16 respecte les Droits de l'homme et applique les accords de Dayton.

17 D'un autre côté, le rapport insiste également sur les violations des

18 droits de l'homme, mais ne traite pas les violations des droits de l'homme

19 lors des élections. On n'a pas non plus essayé de procéder à un certain

20 nombre de changements qui ont procédé à des élections qui ont été

21 organisées".

22 Question: Par conséquent, il s'agit d'un certain nombre d'éléments de

23 preuve qui sont issus des élections?

24 Réponse: Oui. J'ai déjà précisé que ces élections ont eu lieu en novembre

25 1997.

Page 6059

1 Question: Maintenant, nous allons revenir à ce que vous avez fait en 1998.

2 Après quoi vous avez également rédigé un rapport et vous avez envoyé le

3 rapport sur les droits humanitaires. Vous avez parlé également des

4 violations des droits de l'homme, aussi bien du côté des Albanais que du

5 côté des Serbes?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Vous avez également préparé ce rapport. Pouvez-vous nous dire

8 également ce que vous avez fait au niveau de faits au niveau de Drenica?

9 De quoi parle le rapport?

10 Réponse: Eh bien, pour ce qui concerne ce rapport, il couvre toute une

11 série de violations qui ont été commises aussi bien des deux côtés. Mais

12 ce qui était le plus drastique comme… A titre d'illustration, je peux

13 citer l'événement dans la vallée de Drenica en février, mars 1998. Il

14 s'agissait d'un incident manifeste: c'est l'attaque de la famille Jashari

15 et de Prekaz où 50 personnes ont été tuées et une jeune fille, Besarte, de

16 11 ans qui a été tuée. Nous avons également précisé de quelle manière on

17 avait recouru à la violence en février et le 28 mars également dans ces

18 villages.

19 Par la suite, nous avons parlé des villages Likoshanë et Cirez. Par

20 exemple, nous avons parlé des membres de la famille Ahmeti; il y a eu

21 également une dizaine de jeunes membres de la famille Ahmeti qui ont été

22 fusillés, exécutés. Par la suite, ce que je peux également souligner,

23 c'est que tout ce qui s'est passé à Drenica, cela a radicalisé la position

24 de la population albanaise. Jusqu'à cette époque-là, l'UCK était une

25 organisation qui était plus ou moins mystérieuse après les meurtres qui

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1 ont eu lieu à Drenica, il est devenu clair qu'il était impossible de

2 résoudre le conflit par la voie pacifique. Ceci a été la goutte qui a fait

3 déborder le vase.

4 M. Nice (interprétation): Nous pouvons dire quelque chose en ce qui

5 concerne la région de Decani et de ce que vous avez fait en interviewant

6 les réfugiés de l'Albanie du nord.

7 M. Kwon (interprétation): Monsieur Nice et Monsieur Abrahams, les

8 interprètes vous demandent de ralentir quelque peu.

9 M. Abrahams (interprétation): Il s'agit d'un rapport qui est un document

10 de support, qui représente pour nous la première offensive d'importance du

11 gouvernement au Kosovo. Cela s'est passé au mois de mai 1998. C'est autour

12 de la ville de Decani et le long de la frontière avec l'Albanie.

13 L'UCK a été active dans la région. L'UCK était armée et a amené des armes,

14 ainsi que tout le reste de l'Albanie du Nord. Et, d'après mon estimation

15 -je ne suis pas un expert militaire du gouvernement--, le gouvernement

16 serbe et le gouvernement yougoslave ont essayé de déblayer le terrain

17 autour de la frontière et toute cette zone.

18 En d'autres termes, ils ont commis de nombreux actes de violence et ils

19 ont violé les Droits de l'homme humanitaires. En ce qui me concerne, j'ai

20 interviewé beaucoup de personnes au Kosovo. Je me suis rendu en Albanie du

21 Nord; il y avait à peu près 15.000 réfugiés de l'Albanie du Nord et,

22 d'après les estimations, il y avait 30.000 personnes qui se sont rendues

23 au Monténégro également. D'après l'évaluation du HCR, nous avons

24 interviewé ces gens-là en Albanie, nous avons également documenté de très

25 grandes violations, telles expulsion, destruction des biens civils,

Page 6061

1 attaques à l'égard de la population civile.

2 M. Nice (interprétation): Entendu. Merci.

3 Réponse: Excusez-moi.

4 Question: Il s'agit d'un rapport qui a été publié sous forme d'un livre.

5 Maintenant nous pouvons également voir ces documents sur le

6 rétroprojecteur. Vous avez dit, par la suite, que, malgré le fait que le

7 rapport en question avait été publié sous forme d'un livre, que vous

8 pouviez également l'envoyer dans l'ensemble, par e-mail, sur les

9 différentes adresses?

10 Réponse: Non, pas en totalité, mais de toute façon, on a pu envoyer ce

11 rapport pour la presse où on annonce que nous allons publier par la suite

12 le rapport dans l'intégralité.

13 Question: En ce qui concerne ce livre, il a donc été envoyé à des adresses

14 différentes par courrier?

15 Réponse: Oui, effectivement.

16 Question: Si nous nous référons à la première page du livre, je pense que

17 nous pouvons constater que ce livre a été publié en octobre 1998 ou

18 quelque chose comme cela?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Et on peut voir également sur la couverture que le rapport est

21 un document qui prouve qu'il y a eu une violation grave des droits de

22 l'homme humanitaires. Par la suite, d'autres également règlements

23 juridiques.

24 Réponse: Ce qui s'est passé au Kosovo, entre février et septembre 1998,

25 par la suite -je cite-: "La majorité de ces crimes ont été commis de la

Page 6062

1 part des forces serbes et yougoslaves à la tête desquelles se trouvait

2 Slobodan Milosevic. Les troupes gouvernementales détruisaient

3 systématiquement les biens civils, attaquaient les employés humanitaires,

4 ont commis des exécutions. Et tout ceci représente des violations d'un

5 Etat de droit."

6 Dans le paragraphe suivant, il est marqué -je cite-: "Les insurgés

7 albanais, qui sont connus comme l'UCK, eux aussi ont violé les lois de la

8 guerre en prenant des témoins civils, en commettant d'autres exécutions".

9 Réponse: C'est correct.

10 M. Nice (interprétation): Par conséquent, vous avez parlé également de ce

11 qui a été fait par l'autre parti.

12 M. Kwon (interprétation): Mais est-ce que vous pouvez nous donner la cote

13 du document?

14 Mme Ameerali (interprétation): Il s'agit de la pièce à conviction 191.

15 M. Nice (interprétation): Vous êtes retourné au Kosovo en décembre pour

16 pouvoir procéder aux recherches, n'est-ce pas?

17 M. Abrahams (interprétation): Oui.

18 Question: Quand vous vous êtes rendu en juin, est-ce que vous vous êtes

19 adressé au secrétaire de l'Information au Kosovo? Je pense que vous avez

20 parlé avec le ministre, n'est-ce pas?

21 Réponse: Oui, au cours de mes recherches que j'ai effectuées en juin, j'ai

22 eu l'occasion d'être interviewé avec M. Bosko Drobnjak; c'était à

23 Pristina.

24 Question: Quelle était son attitude à cette époque-là?

25 Réponse: Monsieur Drobnjak, en effet, a défendu l'attitude du

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1 gouvernement, il affirmait que la police combattait les terroristes et que

2 leurs actions étaient justifiées. Je pense que les deux points que j'ai

3 soulevés lors de ma conversation avec lui concernaient le fait que l'aide

4 humanitaire ne pouvait pas passer, que cela a été bloqué. A cette époque-

5 là, le gouvernement bloquait la délivrance de l'aide humanitaire aussi

6 bien quand il s'agissait des autorités locales, telles que par exemple la

7 société de mère Térésa, que les organisations internationales.

8 En ce qui me concerne, quand je lui ai posé les questions au sujet de tout

9 cela, il m'a dit qu'un certain nombre d'organisations humanitaires

10 aidaient les terroristes, ils permettaient que toute cette aide soit donc

11 adressée à ces organisations.

12 Question: Nous allons nous arrêter ici. Vous avez eu également des

13 connaissances directes sur ce qui a été fait la veille pour les droits de

14 l'homme et d'autres organisations également présentes sur place?

15 Réponse: Oui, tout à fait. Il y avait beaucoup d'organisations qui

16 travaillaient au Kosovo à cette époque-là.

17 Question: Et puis par la suite, vous affirmez également que les

18 organisations non gouvernementales aidaient l'une ou l'autre partie au

19 conflit, est-ce que c'est une affirmation sans précédent, ou

20 éventuellement périodiquement vous avez annoncé cette affirmation à

21 travers le monde?

22 Réponse: Non, ce n'était pas une affirmation qui n'avait pas de précédent,

23 mais c'était la première fois que j'en avais entendu parler, qu'on en a

24 parlé au sujet du Kosovo.

25 Question: Est-ce que nous pouvons dire également qu'il s'agissait de

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1 quelque chose que vous avez pu également examiner, voir s'il s'agissait de

2 quelque chose de très sérieux?

3 Réponse: Oui, tout à fait, nous avons examiné de manière tout à fait

4 sérieuse toutes ces questions-là. Et ce que je me dois de vous dire, c'est

5 que le gouvernement n'a jamais véritablement articulé de manière tout à

6 fait claire cette allégation. On n'a jamais parlé de quelle organisation

7 il parlait. A ma connaissance, aucune organisation humanitaire ne s'est

8 pas vu retirer le droit d'agir. Il n'y a aucune mesure qui a été

9 entreprise à l'encontre de l'organisation qui était sur place dans le sens

10 de ne pas pouvoir travailler par la suite.

11 Question: Au cours des préparatifs, pour le rapport que nous venons de

12 voir, est-ce que vous-même, vous avez envoyé également des lettres, des

13 télécopies aux ministres, à différents ministres serbes, yougoslaves, sur

14 les différentes questions?

15 Réponse: Oui, tout à fait. Premièrement, nous avons envoyé une lettre

16 (inaudible) en 1998; je lui ai envoyé une liste des Albanais ethniques qui

17 avaient été portés disparus. Je lui ai demandé un certain nombre

18 d'informations au sujet de ces gens-là; alors, il m'a répondu que ce

19 n'était pas dans ses compétences.

20 Au moment où je suis retourné à New York, j'ai envoyé toute une autre

21 série de lettres et de télécopies aux autorités compétentes -je ne me

22 souviens pas exactement à qui j'ai envoyé ces lettres-, mais je me

23 souviens très bien par la suite que toutes ces lettres ont été envoyées

24 aux ministères des Républiques, ministère fédéral de l'Intérieur

25 également.

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1 Question: Nous allons nous arrêter ici pour abréger.

2 Réponse: Oui.

3 Question: Est-ce qu'on vous a répondu à ce courrier que vous avez envoyé?

4 Réponse: Non, on a envoyé toute une série de questions, on n'a pas reçu de

5 réponse.

6 Question: Maintenant, je vais vous demander que toute cette correspondance

7 soit donc présentée comme une seule pièce à conviction et qu'on lui

8 accorde une cote.

9 Mme Ameerali (interprétation): On va donc donner à cette pièce à

10 conviction la cote 192.

11 M. Nice (interprétation): Pendant que vous prépariez ce rapport, moi j'ai

12 l'impression que vous-même, ainsi que votre collègue Petar Bouckaert, avez

13 également eu l'occasion de voir quelque chose sur place, en personne?

14 M. Abrahams (interprétation): Oui, tout à fait.

15 Question: Maintenant, je vais vous demander de manière tout à fait simple

16 de nous informer sur ce qui s'est passé, sur cet incident en question,

17 étant donné que les Juges en ont entendu parler énormément. Nous ne

18 voulons pas entrer dans les détails.

19 Réponse: Tout à fait, je comprends.

20 Question: Pouvez-vous nous dire quel est l'incident le plus grave auquel

21 vous avez assisté?

22 Réponse: C'était un incident qui s'est passé en septembre, le 26, dans la

23 vallée de Drenica, à Gornje Obrinje. Ce sont des meurtres; à cette époque-

24 là, 21 membres de la famille Delijaj ont été tués.

25 Question: Pouvez-vous très brièvement nous dire, en quelques phrases

Page 6066

1 seulement, ce que vous avez vu? Et il va sans dire que la Chambre ainsi

2 que l'accusé ont les documents, si jamais ils veulent se renseigner.

3 Réponse: Au moment où M. Bouckaert et moi-même nous sommes rendus à Gornje

4 Obrinje, le 29 septembre, quand nous sommes rentrés donc et que nous nous

5 sommes rendus sur les lieux, les trois corps étaient exposés: ils étaient

6 sur les brancards. Il y avait un enfant de 18 mois, Valmir Delijaj. Il y

7 avait cinq femmes, deux enfants, dans la forêt. Il paraît que tous

8 portaient des lésions sur la tête. On les sortait sur les brancards, comme

9 je l'ai dit, pour les enterrer.

10 Question: Et vous avez fait des interviews; qu'avez-vous appris?

11 Réponse: Nous avons procédé à une enquête très détaillée. Il va sans dire

12 qu'il y a eu des conflits dans le village de Gornje Obrinje, autour

13 également, entre l'UCK et les forces serbes, mais il en sortait clairement

14 que les membres de la famille Delijaj ont été tués. Il s'agissait de

15 civils qui se cachaient dans la forêt alors qu'il y avait des combats tout

16 autour.

17 M. Nice (interprétation): Merci.

18 M. le Président (interprétation): C'est le bon moment pour suspendre la

19 séance.

20 M. Nice (interprétation): Monsieur le Président, je ne sais pas ce qui va

21 se passer avec le témoin précédent, mais je pense que nous n'aurions pas

22 besoin de plus de temps que le temps que le temps de la pause. Si jamais

23 il y a autre chose à rajouter au sujet de ce témoin, je vais y revenir,

24 mais ultérieurement.

25 M. le Président (interprétation): Monsieur Abrahams, je vais vous demander

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1 surtout de ne pas oublier qu'au cours de cette pause ou d'une autre pause

2 qui vous sera accordée, vous ne devez pas parler de votre témoignage avec

3 qui que ce soit pendant que votre déposition est en cours. Et cet

4 avertissement concerne également le Bureau du Procureur.

5 Nous allons commencer la pause de 20 minutes .

6 (L'audience, suspendue à 10 heures 30, est reprise à 10 heures 55.)

7 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, vous avez la parole.

8 M. Nice (interprétation): S'agissant des pièces à conviction, Mme Graham

9 et M. Triolo, des responsables de la mise en état, qui ont travaillé de

10 façon extraordinaire dans la présente affaire, m'ont proposé à très juste

11 titre, vendredi, de placer toutes les pièces à conviction dans un classeur

12 pour leur faciliter la tâche, notamment s'agissant des envois par courrier

13 électronique. Je ne l'ai pas fait et je les prie de m'en excuser.

14 Bien, revenons maintenant à Gornje Obrinje. Si je ne m'abuse, Monsieur

15 Abrahams, la pièce FA17 porte sur ce que vous avez vu à Gornje Obrinje,

16 est-ce bien cela? Pouvez-vous vous nous en parler?

17 M. Abrahams (interprétation): Comme je l'ai dit, lorsque M. Bouckaert et

18 moi-même sommes arrivés dans la forêt, nous avons vu des villageois qui

19 transportaient trois corps. Et on voit ici deux de ces corps, deux

20 cadavres d'enfants.

21 M. Nice (interprétation): Quelle est la cote?

22 Mme Ameerali (interprétation): Pièce à conviction de l'accusation 193.

23 M. Nice (interprétation): Ensuite, la pièce FA18 qui deviendra la pièce à

24 conviction de l'accusation 194.

25 Un mot à ce sujet, Monsieur Abrahams, dès que cette pièce sera sur le

Page 6068

1 rétroprojecteur.

2 M. Abrahams (interprétation): Là encore, plusieurs cadavres découverts

3 dans la forêt, dans une petite ravine. Sur ce document, nous voyons l'un

4 de ces corps.

5 Question: En fait, on voit deux corps, me semble-t-il, n'est-ce pas: un

6 corps entier et une tête au-dessus?

7 M. Abrahams (interprétation): Cela où pourrait être le cas, mais très

8 franchement, je n'en suis pas sûr; je ne suis pas sûr qu'il y a un

9 deuxième corps. Au total, ils étaient sept cadavres, donc c'est une

10 possibilité en tout cas.

11 M. Nice (interprétation): FA19 à présent, qui deviendra la pièce à

12 conviction 195?

13 Mme Ameerali (interprétation): Pièce à conviction de l'accusation 195.

14 M. Nice (interprétation): Je crois qu'il s'agit de la photographie, de

15 quoi?

16 M. Abrahams (interprétation): C'est le corps d'un des enfants découverts

17 dans la ravine. Peut-être est-ce un peu difficile à identifier, mais c'est

18 un…

19 Question: C'est un corps d'enfant qui a été photographié par l'un de vos

20 collègues?

21 Réponse: Oui, cette photographie a été prise par M. Bouckaert, en ma

22 présence.

23 M. Nice (interprétation): Pièce suivante, FA21: une photographie de tache

24 de sang, si je ne m'abuse. Pouvez-vous nous parler de l'importance de ce

25 document?

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1 Mme Ameerali (interprétation): Pièce à conviction de l'accusation 196.

2 M. Abrahams (interprétation): Le même jour où nous sommes allés à Gornje

3 Obrinje, nous sommes également allés dans un autre village, le village de

4 Golubovac, situé non loin de Gornje Obrinje. Les villageois nous ont dit

5 que 13 hommes avaient été exécutés dans ce village, dans une cour. Nous

6 avons parlé à un certain nombre de témoins, nous avons inspecté les lieux,

7 et nous avons vu plusieurs taches de sang le long d'une barrière qui

8 correspondait à l'endroit où l'on nous a dit que ces hommes avaient été

9 tués. Sur cette photo, on voit l'une de ces taches de sang. Nous avons

10 également vu…

11 Question: Nous devons maintenant passer à la pièce suivante, FA22, qui

12 deviendra la pièce à conviction de l'accusation 197.

13 C'est l'endroit auquel vous venez de faire référence lorsque vous avez

14 parlé des villageois de Golubovac. Je vais vous demander dans un instant

15 de nous dire à quelle distance vous vous trouviez de ces taches de sang

16 que vous avez vues? L'importance de cet élément est tout à fait claire

17 parce que ce que nous voyons ici ce sont des douilles de balles, n'est-ce

18 pas?

19 Réponse: Oui, ce sont des douilles qui se trouvaient à peu près à trois ou

20 quatre mètres des taches de sang. Et j'ajouterai un détail important, à

21 savoir que 14 hommes ont été alignés pour être exécutés: 13 d'entre eux

22 ont été tués, mais il a eu un survivant, un homme dénommé Selman Morina,

23 qui s'est caché. Nous l'avons découvert, mon collègue l'a interrogé et il

24 nous a relaté de façon très détaillée dans quelles conditions il a réussi

25 à survivre à cette exécution. Il a reçu trois balles dans le corps, une

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1 dans la jambe et deux dans le bras.

2 Question: Revenons au résumé de votre déposition. Je vous demanderai un

3 détail au sujet de l'endroit dénommé Plocica.

4 Réponse: Mon collègue et moi-même circulions en voiture aux environs de

5 Drenica, sur la grande route et, en fait, nous étions accompagnés d'un

6 journaliste du New York Times, Jane Perlez, ainsi que de son photographe

7 Wade Goddard. Nous avons vu un convoi qui quittait Drenica et il est tout

8 à fait clair que l'armée était présente avec des armes lourdes et des

9 chars.

10 Une fois que le convoi a quitté Drenica, nous sommes allés dans le village

11 de Plocica qui était encore en feu. Nous avons vu de nos yeux un certain

12 nombre de structures en feu dans le village, des structures civiles. Je me

13 souviens avoir vu un entrepôt destiné à entreposer des melons et des

14 grains qui était en flammes. Je me souviens avoir vu des meules de foin en

15 flammes également, auxquelles le feu avait été mis manifestement de façon

16 volontaire parce qu'il n'y avait pas d'autres incendies dans les environs.

17 Ce qui est également très important, c'est que nous n'avons vu aucun

18 combat dans le village, il n'y avait pas de traces d'impact de balles, il

19 n'y avait pas de traces particulières signalant des combats sur les

20 façades des bâtiments. Nous n'avons pas vu non plus de tranchées indiquant

21 une présence éventuelle de l'UCK. Nous n'avons pas vu de douilles dans ce

22 village. Je me souviens avoir trouvé un bidon d'essence simplement.

23 Question: Savez-vous à quelle distance vous étiez des dommages que vous

24 décrivez ou des éléments des structures qui étaient en feu?

25 Réponse: Vous voulez parler du bidon?

Page 6071

1 Question: Oui.

2 Réponse: Je crains ne pas me rappeler exactement, mais c'était dans un

3 village où les destructions étaient importantes.

4 Question: Vous avez pris quelques photographies des meules de foin en feu.

5 Ces photographies ont été communiquées à l'accusé. En tout cas, s'il

6 demande à les voir, elles peuvent lui être remises; nous n'avons pas

7 besoin de les verser au dossier immédiatement.

8 Enfin, pouvez-vous nous parler du rapport établi au sujet de la semaine de

9 terreur à Drenica?

10 Réponse: Une semaine de terreur, c'est ce que nous avons constaté depuis

11 Gornje Obrinje et les massacres qui ont eu lieu jusqu'aux autres villages

12 où d'autres tueries ont eu lieu.

13 Question: Je pense que tout ceci a été publié dans un livre également?

14 Réponse: Oui.

15 M. Nice (interprétation): Versement au dossier: pièce à conviction?

16 Mme Ameerali (interprétation): Pièce à conviction de l'accusation 198.

17 M. Nice (interprétation): L'adresse était la même, la boite postale

18 également?

19 M. Abrahams (interprétation): Oui.

20 Question: Vous aviez les mêmes capacité de communication par courrier

21 électronique?

22 Réponse: Oui. Ce rapport a été diffusé très largement, y compris dans la

23 presse et même dans la presse yougoslave.

24 Question: Nous voyons ici la couverture de l'ouvrage publié en février

25 1999, mais il y a eu une publication avancée de cet ouvrage en septembre

Page 6072

1 1998, n'est-ce pas?

2 Réponse: Oui, quelques extraits. Lorsque nous avions publié le rapport

3 précédent concernant les violations des droits humains au Kosovo, un

4 rapport a été publié au mois d'octobre. Donc, nous avons inclus un résumé

5 de nos constatations à Gornje Obrinje en annexe du rapport. Mais ce

6 rapport que nous avons maintenant sous les yeux est plus approfondi et

7 plus complet.

8 Question: Et bien sûr, au moment où le rapport a été publié, donc en

9 février, Racak avait eu lieu?

10 Réponse: C'est exact.

11 Question: Avez-vous continué à travailler sur ce rapport selon la même

12 démarche que celle que vous nous avez décrite pour le rapport précédent?

13 Avez-vous inclus, dans le rapport, un résumé des événements de Racak?

14 Réponse: Effectivement.

15 Question: Donc il y a un rapport qui a paru dès février 1999 qui traite

16 des événements survenus à partir de septembre 1998 à Racak?

17 Réponse: Oui.

18 Question: La première chose que nous voyons en examinant ces rapports,

19 c'est que le document a été reçu dans l'ambassade, ou en tout cas dans un

20 bureau officiel. Nous lisons les mots suivants -je cite-: "Au cours de la

21 dernière semaine de septembre 1998, les forces gouvernementales serbes et

22 yougoslaves ont mis fin à leur offensive d'été par une campagne de

23 violence dans la région de Drenica au Kosovo. Au vu de la résolution du

24 Conseil de sécurité des Nations Unies appelant à ce qu'un terme soit mis

25 aux violations dont ont été victimes les civils, les forces

Page 6073

1 gouvernementales ont procédé à des exécutions sommaires et ont lancé des

2 attaques aveugles contre les civils en détruisant également, de façon

3 systématique, des biens civils." (Fin de citation.)

4 Il est question ensuite de la famille Delijaj, qui a été tuée dans sa

5 ferme à Gornje Obrinje et des événements qui ont eu lieu dans une ferme

6 voisine où 13 hommes ont été tués à Golubovac.

7 Finalement, on trouve une référence à Racak.

8 Bien entendu, ces rapports ont été établis selon une méthodologie

9 différente, Monsieur Abrahams, c'est bien cela?

10 Réponse: Oui, c'est exact.

11 Question: Avez-vous, au moment de la publication de ces rapports et de

12 l'envoi de ces rapports aux autorités auxquelles vous les avez envoyés,

13 reçu quelque critique que ce soit au sujet de votre travail, de la méthode

14 utilisée, des conclusions auxquelles vous êtes parvenu?

15 Réponse: Nous n'avons jamais reçu aucune critique directe, si c'est bien

16 le sens de votre question.

17 Question: Avez-vous reçu des dénégations au sujet de souvenirs relatés par

18 les personnes auxquelles vous avez parlé de la part de l'accusé ou d'un

19 représentant quelconque des autorités lors de l'envoi de ces rapports?

20 Réponse: Non, je ne me rappelle aucune dénégation des autorités. Il est

21 possible que certaines aient été publiées dans la presse, mais je ne me

22 souviens d'aucun incident particulier.

23 Question: Vous nous avez parlé de votre retour en décembre en 1998. Avez-

24 vous ensuite publié un rapport intitulé "Détention et violation au

25 Kosovo"?

Page 6074

1 Réponse: C'est exact.

2 Question: Vous n'en n'avez peut-être pas un exemplaire sous les yeux, mais

3 pouvez-vous nous dire quel était le contenu de cette synthèse?

4 Réponse: Il s'agissait d'un rapport bref qui traitait des violations

5 commises dans les lieux de détention. En particulier, il y est question de

6 cinq personnes qui ont trouvé la mort en 1998, suite à des violations

7 commises durant leur détention.

8 Question: Avez-vous….

9 Réponse: Les documents en question traitent donc de violations et de

10 violence.

11 Question: Il faut une pause entre les questions et les réponses.

12 Réponse: Excusez-moi.

13 Question: J'écoute le français et cela vous donne une idée assez bonne du

14 rythme à suivre.

15 Veuillez reprendre maintenant au sujet du contexte.

16 Il y a eu un autre rapport qui a été envoyé selon la procédure habituelle.

17 En février 1999, qu'avez-vous fait?

18 Réponse: En février 1999, je suis retourné au Kosovo pour procéder à des

19 recherches de nature générale afin de rester au courant de la situation.

20 Ce qui nous intéressait également, était d'établir par voie documentaire

21 la réalité de la destruction systématique de biens civils.

22 Un collègue consultant pour Human Rights Watch a mené des recherches pour

23 sa part au sujet des violences sexuelles et des viols.

24 Question: Au vu de ce qui s'est passé au moment où les bombardements de

25 l'OTAN ont commencé, avez-vous pu achever votre cherche au sujet des

Page 6075

1 destructions de biens civils?

2 M. Abrahams (interprétation): Non, la direction, l'orientation de nos

3 recherche a changé avec le début des bombardements de l'OTAN.

4 M. Nice (interprétation): Avez-vous cependant reçu des photographies? Nous

5 pouvons les produire en tant que pièces à conviction collectives, mais

6 j'aimerais vos explications à ce sujet, je vous prie.

7 S'agit-il de photographies de cadavres et d'autres éléments? Pouvez-vous

8 nous dire de quoi il est question exactement?

9 Mme Ameerali (interprétation): Il s'agira de la pièce à conviction de

10 l'accusation 199.

11 M. Nice (interprétation): J'aimerais que l'on place ces photographies sur

12 le rétroprojecteur; nous les passerons en revue l'une après l'autre.

13 D'abord la photographie 1 de la pièce 199.

14 La photographie en couleurs est sans doute plus utile, les photographies

15 originales étant en couleurs. Je demanderai donc que l'on place sur le

16 rétroprojecteur une photographie en couleurs.

17 Qu'en est-il de cette photographie, Monsieur Abrahams?

18 M. Abrahams (interprétation): Nous avons reçu des photographies des cinq

19 personnes qui ont été tuées durant leur détention et l'on voit ici le

20 corps d'une de ces personnes.

21 Question: Qui vous a remisé ces photographies?

22 Réponse: Une organisation locale des Droits humains au Kosovo.

23 Question: Nous voyons ici des contusions.

24 Passons maintenant à la photographie suivante, n°2, sur laquelle on voit

25 le dos d'un homme mort avec, comme on le constate, un grand nombre de

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1 contusions.

2 Les photographies suivantes?

3 Je demanderai que la tête de la personne ne soit pas vue sur le

4 rétroprojecteur pour la photographie n°3. Les contusions sont évidentes.

5 Photographie n°4: on y voit une nouvelle fois le dos d'une personne avec

6 de nombreuses contusions et des lignes tracées sur la peau.

7 Pouvons-nous maintenant voir la photographie n°5? Vous nous en parlerez,

8 si vous le voulez bien.

9 Réponse: On voit ici le village de Loxha, non loin de Pec. Je crois que

10 cette photo a été prise en février 1999.

11 Question: Les destructions sont tout à fait visibles sur la photo. Vous

12 êtes-vous rendu sur les lieux?

13 Réponse: Oui, c'est moi qui ai pris la photographie.

14 Question: Quelle est la description des dommages que l'on voit sur ces

15 maisons?

16 Réponse: Loxha est un lieu assez particulier. Je vous donnerai des détails

17 si vous le souhaitez, mais l'UCK était présente à Loxha. Il y a eu deux

18 moments où le village a été détruit. La deuxième fois, des engins lourds

19 ont été utilisés pour démolir les piliers soutenant les maisons.

20 Question: Donc, on voit des destructions de biens civils sur ces

21 photographies. Donnent-elles une idée assez fidèle de l'aspect des fermes

22 au Kosovo?

23 Réponse: Oui, effectivement.

24 Question: On voit que ces fermes sont en général entourées d'un mur assez

25 haut; c'est une description fidèle à la réalité?

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1 Réponse: Je considère que ça l'est, oui, effectivement.

2 Question: Photographie suivante, s'il vous plaît.

3 Réponse: On voit ici une maison; d'ailleurs, c'est la seule maison de

4 Loxha qui était encore debout. Les villageois nous ont dit que cette

5 maison avait servi de base aux forces serbes et, si je ne m'abuse, les

6 graffitis que l'on voit ici signifient "le Café Flat de Loxha"; à gauche

7 et à droite, si je ne m'abuse, ce qui est écrit, c'est "Porc grillé" qui,

8 manifestement, était destiné à insulter les personnes dont la religion

9 était la religion musulmane.

10 Question: Mais les dommages ne sont pas très importants sur ce bâtiment,

11 n'est-ce pas? On n'en voit pas de très importants, sur cette photographie?

12 Réponse: Non, je pense que ce bâtiment n'a pas été endommagé de façon

13 importante.

14 Question: Merci. Sans doute parce qu'il a été utilisé par les forces

15 serbes?

16 Réponse: C'est ce que je crois comprendre, oui.

17 Question: Passons maintenant à la photographie suivante, n°7. C'est le

18 même village ou un autre village?

19 Réponse: C'est une photographie prise le long de la route menant à Suva

20 Reka. Nous avons pris cette photographie parce que, à mon avis, elle

21 montre de façon très claire les destructions provoquées sur une maison

22 privée. Vous remarquerez les cheminées qui sont toujours debout et des

23 traces de fumée noire qui sortent des fenêtres et qui montrent donc que

24 cette maison a été incendiée de l'intérieur.

25 Question: Photographie n°8, je vous prie.

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1 Que pouvez-vous dire de l'importance de ce qu'elle montre?

2 Réponse: On voit manifestement ici une mosquée qui a été détruite. Je dois

3 admettre que je ne suis pas sûr du village où cette photographie a été

4 prise.

5 Question: Cette photographie a-t-elle été prise par vous et votre

6 collègue?

7 Réponse: Oui.

8 Question: Toujours en février 1999?

9 Réponse: C'est exact, bien que celle-ci ait pu être prise en décembre

10 1998.

11 Question: Très bien. Nous mettrons un point d'interrogation, donc,

12 s'agissant de cette photographie. Mais en tout état de cause, c'était

13 avant les bombardements de l'OTAN parce que vous êtes parti avant, n'est-

14 ce pas? Les minarets ont été détruits de cette façon avant?

15 Réponse: Sans l'ombre d'un doute.

16 Question: Photographie n°9.

17 Réponse: Je dois dire que je ne suis pas entièrement sûr, mais c'est une

18 photo de Gornje Obrinje, septembre…. Non, non, non, je me corrige. La

19 porte que l'on voit ici rend la chose impossible.

20 Question: Est-ce une photographie prise par vous?

21 Réponse: Oui; ça, c'est certain. On voit une maison détruite.

22 Question: Photographie n°10, à présent. Et photographie 11. La raison pour

23 laquelle ces photographies ont été prises est tout à fait claire?

24 Réponse: Oui. Je suis raisonnablement certain qu'il s'agit de la mosquée

25 de Gornje Obrinje.

Page 6079

1 Question: Si nous regardons la photographie n°11, nous voyons des signes

2 d'endommagement du minaret. Avez-vous pu, à ce moment-là, vérifier la

3 nature exacte des dommages?

4 Réponse: Comme vous le voyez, le haut du minaret est détruit, le toit

5 également. Et l'intérieur de la mosquée a été vandalisé ou saccagé.

6 Question: Merci. Très bien, avançons. Les Juges disposent déjà de très

7 nombreux documents provenant d'autres témoins, donc nous allons aller

8 assez vite. Mais Human Rights Watch a-t-elle traité de Racak en tant

9 qu'incident distinct, étudié de façon séparée?

10 Réponse: Oui.

11 Question: Ce n'est pas vous qui l'avez fait, mais quelqu'un d'autre?

12 Réponse: En effet.

13 Question: Une personne dont le nom était…?

14 Réponse: C'était une consultante de Human Rights Watch dénommée Gordana

15 Igric.

16 Question: Savez-vous quelle a été la durée de l'enquête menée par elle au

17 sujet de Racak?

18 Réponse: Oui, son enquête a duré environ une semaine.

19 Question: Un rapport a-t-il été élaboré?

20 Réponse: Oui, mais un mini rapport.

21 Question: Donc, si quelqu'un souhaite examiner les documents relatifs à

22 Racak, il existe un rapport de Human Rights Watch intitulé "Crimes de

23 guerre commis par le Gouvernement yougoslave à Racak", qui est un rapport

24 sur papier?

25 Réponse: C'est exact.

Page 6080

1 M. Nice (interprétation): Je l'ai ici entre les mains et j'aimerais qu'il

2 soit versé au dossier. Une cote devrait lui être affectée.

3 Mme Ameerali (interprétation): Pièce à conviction de l'accusation 200.

4 M. Nice (interprétation): Je ne vais pas proposer que nous examinions

5 toutes les conclusions tirées dans ce rapport immédiatement, compte tenu

6 des très nombreuses informations de première main dont nous disposons

7 déjà, mais l'accusé ou d'autres pourront trouver une utilité à ce document

8 par la suite.

9 Monsieur Abrahams, les bombardements de l'OTAN ont donc commencé. Quel

10 travail ont-ils suscité de la part des représentants de Human Rights

11 Watch?

12 M. Abrahams (interprétation): L'organisation a immédiatement envoyé des

13 chercheurs dans la région. Le 28 mars, le premier chercheur est arrivé en

14 Macédoine et, le lendemain, un autre représentant est arrivé dans le nord

15 de l'Albanie. Nous avions une présence de chercheurs sur le terrain

16 pendant toute la durée de la campagne de bombardements, l'objectif étant

17 d'interroger les réfugiés après leur départ du Kosovo afin d'établir sur

18 document les violations dont nous estimions qui avaient été commises.

19 Question: Pouvez-vous nous donner une idée, ou donner plutôt aux Juges de

20 cette Chambre une idée du nombre de personnes interrogées par Human Rights

21 Watch à ce moment-là?

22 Réponse: Entre le 28 mars 1999 et le mois de décembre 1999, nous avons

23 interrogé 600 Albanais du Kosovo, à peu près, en rapport avec les crimes

24 commis par les Serbes et les Yougoslaves. Je parle là des personnes que

25 nous avons interrogées durant la campagne de bombardements ainsi que des

Page 6081

1 personnes que nous avons interrogées sur le territoire du Kosovo après la

2 campagne de bombardements.

3 Question: Je vais vous demander maintenant, si vous le voulez bien, de

4 traiter de façon très globale de la méthodologie que vous avez utilisée

5 pour la rédaction de l'ouvrage intitulé "Aux ordres" qui a déjà été versé

6 au dossier.

7 Mais avant d'en venir à cela, j'aborderai un autre sujet dont nous avons

8 déjà entendu par un témoin dénommé Patrick Ball. Je pense que son travail

9 et le vôtre ont un certain rapport. Peut-être pourriez-vous nous décrire

10 ce contexte en une ou deux phrases?

11 Réponse: Oui, je connaissais Patrick Ball, notamment les statistiques

12 relatives aux droits humains établies par lui. C'était un homme qui était

13 favorable aux recherches relatives à la crise du Kosovo, qui nous a

14 encouragés à effectuer des recherches, ce que nous avons fait.

15 Une fois que les 600 interviews ont été réalisées, j'ai pensé que nous

16 pourrions également, en tant que représentants de Human Rights Watch,

17 établir nos statistiques sur la base des données recueillies par nous. Et

18 le docteur Ball nous a aidés, notamment s'agissant de la construction

19 d'une base de données et la mise au point d'une démarche particulière.

20 Mais en dehors de lui, il y avait de très nombreux statisticiens et

21 consultants qui nous ont également aidés à l'encodage des données ainsi

22 qu'à l'analyse de ces données. Le docteur Ball n'a pas travaillé dans ces

23 deux domaines.

24 Question: Si nous regardons les choses de près, nous voyons qu'en page 424

25 et en page 427 de l'ouvrage intitulé "Aux ordres", on trouve deux

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1 graphiques qui ressemblent d'assez près aux graphiques produits par le

2 docteur Ball. Je vous demanderai très rapidement de nous dire si cela est

3 simplement dû au fait que le travail effectué par vous était de la même

4 nature que celui du docteur Ball ou pas.

5 Réponse: Cette similitude résulte, à mon avis, des données recueillies sur

6 le terrain. Nos courbes résultent des conclusions tirées à l'issue de 600

7 interviews, donc uniquement sur la série de données recueillies par Human

8 Rights Watch, alors que le docteur Ball disposait de données beaucoup,

9 beaucoup plus importantes. Nous pensons que la similitude est très

10 frappante et donc très puissante, s'agissant de ce qu'elle prouve.

11 Question: Sans explications préliminaires, je vous demanderai de décrire

12 la méthodologie utilisée par vous dans l'élaboration de cet ouvrage

13 intitulé "Aux ordres" ainsi que du moment où ce travail a été accompli.

14 Réponse: La méthodologie est assez complexe, donc ne me prenez pas au mot

15 s'il y avait un manque de pertinence à tel ou tel moment.

16 D'abord, certains passages des rapports ont été réunis; cela a formé la

17 base de notre travail de recherche entre 1990 et février 1998.

18 Question: Ceci inclut-il les rapports publiés ainsi que l'ensemble des

19 documents que vous avez utilisés pour l'élaboration de ces rapports?

20 Réponse: C'est exact. Nous n'avons pas effectué de nouvelles recherches,

21 s'agissant de ces rapports.

22 Question: Merci. Veuillez poursuivre.

23 Réponse: Le gros du rapport intitulé "Aux ordres" repose sur les

24 interviews que nous avons réalisées durant le bombardement de l'OTAN et

25 après le bombardement de l'OTAN. Comme je l'ai déjà dit, 600 Albanais du

Page 6083

1 Kosovo ont été interrogés; leurs réponses constituent le cœur du rapport.

2 Cependant, il y a deux passages importants -enfin, je le considère

3 importants-, s'agissant des recherches menées après les bombardements de

4 l'OTAN; un chapitre, notamment, intitulé "Violations commises après le 12

5 juin 1999". On trouve là des documents relatifs aux violations commises

6 contre les personnes qui ne sont pas des Albanais du Kosovo et, en premier

7 lieu, des Serbes et des Roms.

8 Question: Violations commises par qui, avant tout?

9 Réponse: Violations commises par des Albanais du Kosovo.

10 Question: Merci.

11 Réponse: L'autre chapitre important est …

12 Question: Que l'on trouve en page 453, je crois?

13 Réponse: Oui, en page 453. L'autre chapitre important traite de la

14 campagne de bombardements de l'OTAN. En août 1999, Human Rights Watch a

15 mené une enquête sur le territoire yougoslave pour définir quelle avait pu

16 être l'incidence, sur les civils, des bombardements de l'OTAN. Nous avons

17 publié un rapport à ce sujet et pendant les bombardements de l'OTAN, Human

18 Rights Watch a critiqué l'OTAN pour son recours à des bombes à

19 fragmentation; nous avons estimé qu'il s'agissait, en raison de

20 l'utilisation de cette arme, d'une campagne aveugle de bombardements. Et

21 les constatations figurant dans ces deux rapports sont synthétisées dans

22 l'ouvrage intitulé "Aux ordres" où l'on trouve donc les critiques faites

23 par nous de l'OTAN.

24 Question: Lorsque vous parlez des interviews que vous avez eues avec ces

25 600 personnes, pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont ces

Page 6084

1 interviews ont eu lieu, de leur durée, etc.?

2 Réponse: De façon générale, les interviews étaient assez longues. Mais

3 bien sûr, les réfugiés, lorsqu'ils arrivaient à la frontière à bord de

4 leurs tracteurs pour franchir la frontière, en raison des circonstances,

5 nous ne pouvions guère leur poser que quelques questions du genre: "D'où

6 venez-vous?", "Quand est-ce que vous êtes parti?" et "Pourquoi êtes-vous

7 parti?". Mais en dehors de cela, les interviews étaient des interviews

8 approfondies de longue durée qui se menaient en tête-à-tête. C'est-à-dire,

9 chaque personne interrogée était entendue séparément.

10 Question: Vous avez émis des critiques à l'égard de l'UCK ou des Albanais

11 du Kosovo. Mais lorsque vous avez élaboré votre rapport sur ce sujet,

12 votre rapport était-il sans précédent, c'est-à-dire étiez-vous le premier

13 à traiter de ce genre de faits ou pas?

14 Réponse: Vous parlez du Kosovo?

15 Question: Oui.

16 Réponse: Non, je ne crois pas que nous étions les premiers. Je ne me

17 rappelle pas qui exactement a écrit le premier document au sujet de

18 violations de cette nature, mais il est certain que d'autres organisations

19 des Droits de l'homme ont également agi dans la même direction.

20 Question: Je vous interrogerai maintenant au sujet d'un autre rapport

21 intitulé "Violations contre les Serbes et les Roms dans le nouveau

22 Kosovo".

23 Quand ce rapport a-t-il été publié et s'agissait-il d'un rapport

24 innovateur?

25 Réponse: Immédiatement après la fin des bombardements de l'OTAN, lorsque

Page 6085

1 les forces de l'OTAN ont pénétré au Kosovo le 12 juin, Human Rights Watch

2 a commencé à vérifier les violations commises par des Albanais contre des

3 personnes qui n'étaient pas Albanais du Kosovo.

4 Nous avons publié notre première déclaration, si je ne m'abuse, le 16

5 juin. Nous avons publié un certain nombre d'autres déclarations par la

6 suite, faisant état des critiques que nous avions eu égard à ces attaques

7 menées à des fins de vengeance. Et nous avons publié un rapport important

8 en août 1999 qui, si je ne m'abuse, était le premier rapport émanant d'une

9 organisation des Droits de l'homme importante, et qui critiquait et

10 dénonçait des violations très précises revêtant la forme de harcèlements,

11 de passages de tabac, d'expulsions, d'incendies et de meurtres.

12 M. Nice (interprétation): Très bien. J'aimerais que l'on place sur le

13 rétroprojecteur la première page de ce document, comme on l'a déjà fait

14 par le passé.

15 Mme Ameerali (interprétation): Il s'agira de la pièce à conviction de

16 l'accusation 201.

17 M. Nice (interprétation): Vous voyez que le lecteur voit tout de suite de

18 quoi traite l'ouvrage. On lit et c'est tout à fait clair -je cite-: "Une

19 vague d'incendies et de pillages des maisons serbes et roms sur tout le

20 territoire du Kosovo a fait suite à l'entrée de la KFOR dans la province.

21 Les Serbes et les Roms qui étaient restés ont été soumis à des mesures de

22 harcèlement et d'intimidation, et également à des passages à tabac

23 violents. Ce qui est encore plus grave, c'est qu'une série d'enlèvements

24 et de meurtres de Serbes a débuté à la mi-juin, 14 fermiers serbes étant

25 assassinés notamment le 23 juillet".

Page 6086

1 Ceci a été envoyé aux mêmes destinataires, aux mêmes boîtes postales, ou

2 bien avez-vous… Non, je ne veux pas poser deux questions en une seule,

3 donc je m'arrêterai là. Y a-t-il eu des problèmes du point de vue de

4 l'envoi par la poste?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Avez-vous pu envoyer ce document à un quelconque représentant

7 des Albanais du Kosovo?

8 Réponse: Oui.

9 Question: A savoir à qui?

10 Réponse: D'abord, à tous les médias au Kosovo; il a été envoyé à toutes

11 les organisations nationales, à tous les partis politiques des Albanais du

12 Kosovo, et communiqué également à ce que l'on appelait à l'époque le

13 gouvernement provisoire du Kosovo; c'était un gouvernement établi pour une

14 période temps brève et déterminée. Et c'est moi, personnellement, qui ai

15 remis l'ensemble de ces documents à un bureau officiel.

16 Question: Il y a encore un autre rapport dont j'aimerais discuter avec

17 vous. Si vous voulez bien le commenter, il s'agit d'un rapport -je cite :

18 "Le viol en tant qu'arme de nettoyage ethnique". Est-ce que vous pouvez

19 nous dire quelque chose à ce propos?

20 Réponse: Oui. Après le bombardement de l'OTAN, il y a toute une série

21 d'enquêteurs du Kosovo qui se trouvaient sur place. Pendant tout ce temps-

22 là, un des enquêteurs était Benjamin Ward, qui était au Kosovo de manière

23 permanente, et il y en avait une autre qui s'appelait Martina Vandenberg,

24 qui est expert de viols et de violences sexuelles; c'est elle qui s'est

25 rendue là-bas pour les enquêtes. Elle avait donc marqué 96 viols ou

Page 6087

1 violences sexuelles à l'égard des Albanaises ethniques qui ont été commis

2 par des forces serbes ou yougoslaves au cours de la période du

3 bombardement par les forces de l'OTAN.

4 Ceci dit, j'aimerais attirer votre attention sur le fait –et d'ailleurs

5 c'est dans le rapport également, nous l'avons marqué- que, dans les 96

6 cas, on ne peut pas parler de l'ensemble du problème en se fondant sur les

7 96 cas, ce n'est pas le tableau complet. Il y avait probablement beaucoup

8 plus de tels cas et notamment à cause d'un tabou culturel, social qui ne

9 permet pas de parler de ces crimes.

10 Question: Pouvez-vous nous expliquer? Vous étiez au Kosovo, vous parlez un

11 petit peu l'albanais: est-ce que vous pouvez décrire à la Chambre quelles

12 sont les raisons? Par exemple, pourquoi les femmes ne pouvaient pas en

13 parler? Qu'est-ce que ce tabou dont vous venez de parler, que vous

14 évoquez? Quelles sont les conséquences par exemple si jamais on avait

15 appris qu'elles étaient des victimes de tel type de viol ou de tel type de

16 crime?

17 Réponse: Il va sans dire que ce type de crime porte un cachet: une femme

18 albanaise ne pourrait pas trouver par exemple un mari par la suite, si

19 jamais on avait appris qu'elle était victime d'un viol ou d'un acte de tel

20 type. Du point de vue social, éthique et culturel, on aurait donc une

21 approche critique. C'est malheureux, mais c'est une société

22 traditionnelle. C'est la raison pour laquelle de nombreuses femmes ne

23 voulaient pas en parler de manière publique; elles ne voulaient pas dire

24 que ceci leur était arrivé. Celles qui ont écrit, qui nous ont raconté ce

25 qui leur était arrivé, voulaient rester anonymes.

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1 Question: Est-ce que vous voulez nous dire quelque chose au sujet de ces

2 violences sexuelles et quelle était la pratique? Est-ce que de tels délits

3 ont été quelque chose d'habituel? Sur la première page, on peut lire un

4 certain nombre de choses.

5 Réponse: Certes, notre conclusion a été la suivante: à savoir que des

6 délits sexuels n'étaient pas des incidents isolés; ceci se produisait dans

7 des secteurs différents. Et au cours de périodes très précises, nous avons

8 considéré que c'était une pratique, malheureusement, qui était d'usage.

9 Ceci se passait en général sous trois formes. Ou bien il s'agissait de

10 viol dans des maisons privées, par exemple, où les forces de sécurité se

11 rendaient dans les maisons, pénétraient dans les maisons et

12 automatiquement attaquaient les femmes. Deuxièmement, il y avait une autre

13 forme, la forme de viol au moment où les Albanais quittaient leur maison.

14 Par exemple, ils quittaient leur maison et se déplaçaient; on arrêtait le

15 convoi, on faisait sortir les femmes et puis on les violait. Et puis, il y

16 avait une troisième forme également de viol, à savoir en détention, où les

17 femmes étaient détenues à un endroit très précis, et puis ils les

18 violaient.

19 Nous avons par conséquent pris note de trois types de ce crime.

20 M. Nice (interprétation): Est-ce que vous voulez attribuer la cote à ce

21 document?

22 Mme Ameerali (interprétation): Il s'agit de la pièce à conviction de

23 l'accusation 202.

24 M. Nice (interprétation): Eh bien, il s'agit d'un rapport qui est très

25 large et dont nous avons parlé. Nous avons dit… A quel moment il a été

Page 6089

1 publié?

2 Réponse: En octobre 2001.

3 Question: Il y avait d'autres petits rapports également que vous avez

4 publiés, n'est-ce pas?

5 Réponse: Beaucoup de ces rapports ont été résumés et nous les avons

6 rajoutés à ce rapport sous le titre "Aux ordres".

7 Question: Les conclusions de ce grand rapport en parlent elles-mêmes et

8 tout le monde peut comprendre de quoi il s'agit. Mais au paragraphe 47, on

9 parle des assassinats et on dit comment on y a procédé. Qu'est-ce que vous

10 pouvez nous en dire?

11 Réponse: Nous avons marqué 3.453 meurtres pour parler de manière très

12 concrète, et ceci se fonde sur les 600 interviews que nous avons

13 enregistrées. Il va sans dire que les 3.400 meurtres ne sont pas tous les

14 meurtres qui avaient été commis. A notre avis, tous ces meurtres peuvent

15 être sélectionnés en trois catégories de caractère général.

16 La première catégorie, c'étaient les meurtres qui ont été commis pour

17 accélérer le processus du nettoyage ethnique. En d'autres termes, un

18 certain nombre a été tué pour que la terreur prenne sur la population qui

19 se déplace par la suite, qui part.

20 Une deuxième catégorie, c'étaient ceux qui ont été ciblés. Il s'agissait

21 des hommes politiques, des activistes pour les droits de l'homme, des

22 individus de renommée. Là, ici, je voudrais tout simplement signaler que

23 le 24 mars, c'est Bajram Kelmendi qui a été tué, un avocat qui luttait

24 pour les Droits de l'homme, avec ses trois fils.

25 M. le Président (interprétation): Nous avons déjà entendu de la déposition

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1 au sujet de cet incident.

2 M. Abrahams (interprétation): Oui, sans problème.

3 M. Nice (interprétation): Il y avait la troisième catégorie dont vous avez

4 parlé?

5 M. Abrahams (interprétation): C'étaient les représailles en vengeance. Il

6 y avait des cas également où les membres de l'UCK tuaient les membres des

7 forces serbes et, quelques jours plus tard, il y avait des représailles

8 qui s'ensuivaient. C'était la réponse à l'incident qui avait eu lieu

9 auparavant.

10 M. Nice (interprétation): Monsieur le Président, je ne vais pas faire de

11 commentaire au sujet des points 50, 51 et 52, nous en avons déjà entendu

12 parlé, mais nous allons nous référer au point 53.

13 La question que j'aimerais poser au témoin: est-ce que vous avez vu

14 également un certain nombre de points géographiques qui ont attiré votre

15 attention et où se sont passés la plupart de ces viols de ces droits?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Lesquels?

18 Réponse: En général, c'est là où l'UCK était la plus active. Il y avait

19 les cinq municipalités, à savoir Srbica, Orahovac, Suva Reka, Glogovac

20 également, je ne peux plus me souvenir de la cinquième. Il y avait donc

21 Djakovica également, excusez-moi. Par conséquent, 65% de violations que

22 nous avons enregistrées ont eu lieu dans ces cinq municipalités.

23 Ceci dit, il va sans dire que des crimes très graves avaient été commis

24 également dans des secteurs où l'UCK n'était pas active. Par exemple, à

25 Lipljan: c'est une municipalité qui est caractéristique, ou bien dans le

Page 6091

1 village tel Cuska, dans la municipalité de Pec, dans la région par exemple

2 de la municipalité de Istok où l'UCK avait une activité minimale, il y

3 avait des persécutions et des meurtres qui avaient été commis dans cette

4 municipalité.

5 Question: Nous nous sommes référés déjà à un certain nombre de données

6 statistiques. Je vais peut-être vous poser d'autres questions, si cela est

7 nécessaire.

8 Mais maintenant, nous allons nous référer au point 57 où l'on parle de la

9 chaîne hiérarchique de commandement. Je sais que vous n'êtes pas un expert

10 militaire, mais peut-être pourriez-vous nous dire quelque chose?

11 Réponse: Nous avons aussi procédé à un certain nombre d'enquêtes et de

12 recherches, en utilisant des sources qui étaient à notre accès, tel que

13 "Le Journal policier". C'est le journal officiel du ministère de

14 l'Intérieur de la République de Serbie. Par la suite, nous nous sommes

15 référés également à la revue intitulée "Armée". C'est un magazine de

16 l'armée de Yougoslavie. Et puis, nous nous sommes référés également à la

17 page web du ministère de l'Intérieur. Tout ceci nous a permis d'obtenir un

18 très grand nombre d'informations grâce auxquelles nous avons pu nous faire

19 un tableau également de la chaîne de commandement, telle que cette chaîne

20 a été mise en place.

21 Question: Et quelles étaient vos conclusions?

22 Réponse: Pour ce qui concerne les conclusions, elles figurent au rapport.

23 Je pense que, dans ce rapport, on donne le tableau de la chaîne de

24 commandement de manière tout à fait exacte. Cette chaîne de commandement

25 de l'armée de Yougoslavie a été beaucoup plus claire, beaucoup plus nette.

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1 Je pense tout d'abord qu'au ministère de l'Intérieur, nous avons compris

2 qu'il y avait une dérogation par rapport à la structure de facto et de

3 jure. En d'autres termes, la structure, l'organigramme du ministre de

4 l'Intérieur ne reflète pas la situation sur le terrain. Tout au moins,

5 c'est l'impression que nous avons eue.

6 M. Kwon (interprétation): Monsieur Abrahams, mais sur la base de quoi vous

7 tirez de telles conclusions quand vous parlez de "de jure" et "de facto"

8 dans la chaîne de commandement? Est-ce que ceci se fonde sur les

9 entretiens que vous avez eux?

10 M. Abrahams (interprétation): Non. Ceci se fonde sur les sources publiques

11 et sur les sources dont j'ai parlé tout à l'heure, telles les revues que

12 j'ai citées où l'on pouvait lire séparément un certain nombre d'éléments

13 de cet organigramme.

14 M. Kwon (interprétation): Excusez-moi, mais cette chaîne de facto de

15 commandement, est-ce que cette source publique comprenait également les

16 documents qui se rapportaient au commandement de facto?

17 M. Abrahams (interprétation): Oui, tout à fait. Je peux par exemple vous

18 donner l'exemple de l'adjoint du ministre Nikola Sainovic ou… je m'excuse,

19 le Premier ministre, vice-Premier ministre Nikola Sainovic, dont le nom

20 n'existait pas dans la structure légale mais, selon les médias, on a pu

21 conclure qu'il avait un rôle très important aussi, politique et dans la

22 création de la politique au Kosovo.

23 M. Kwon (interprétation): Mais n'est-ce pas qu'il a été président de

24 commission de l'OSCE?

25 M. Abrahams (interprétation): Je ne suis pas sûr, mais je suis sûr qu'il

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1 avait participé aux négociations. Je ne peux pas vous dire exactement son

2 titre et sa fonction, mais s'il s'agit de la chaîne de commandement de

3 Serbie; il n'avait pas un poste officiel.

4 M. Kwon (interprétation): Merci.

5 M. Nice (interprétation): Les Juges ont à leur disposition les

6 organigrammes des structures des commandement, pages 68 et 77. Ceci se

7 rapporte au MUP. Vous pouvez lire également ce dont je parle sur les pages

8 68 et 77.

9 M. Abrahams (interprétation): Je ne sais pas quoi en penser exactement.

10 M. Nice (interprétation): Je pense à l'organisation du pouvoir au MUP et à

11 l'armée.

12 Réponse: Oui, tout à fait.

13 Question: Il s'agit d'une autre source peut-être dans la question que je

14 vais vous poser, mais j'aimerais savoir ce que vous avez appris au cours

15 de vos recherches que vous avez effectuées sur le terrain et sur les

16 contacts qui existaient entre le MUP et l'armée?

17 Réponse: Eh bien, les entretiens nous ont fait découvrir quelque chose que

18 nous avons considéré comme un très haut degré de coordination. En d'autres

19 termes, la police et l'armée, tout comme les unités paramilitaires locales

20 opéraient comme si elles agissaient ensemble, de manière conjointe. Il

21 aurait été logique…

22 Il arrivait que la police ou l'armée par exemple encercle le village,

23 pilonne le village. Ensuite, c'est la police qui entre le village, les

24 unités paramilitaires également. Et c'est à ce moment-là qu'en général, on

25 séparait les hommes de l'autre population. On pillait, on commettait des

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1 meurtres également dans un certain nombre de cas. Il nous semblait tout à

2 fait clair qu'il y avait une coordination. Certes, il y avait deux cas où

3 cette coordination n'était pas aussi efficace mais, en général, c'était

4 l'impression que nous nous sommes faite.

5 Question: Pourriez-vous, très brièvement, dire quelque chose au sujet des

6 membres des formations paramilitaires. Qu'est-ce que vous avez entendu sur

7 ces unités au cours de 600 entretiens que vous avez eus?

8 Réponse: D'après nous, les membres des unités paramilitaires au Kosovo

9 n'étaient pas les mêmes que lors des conflits en Bosnie et en Croatie. Au

10 lieu d'agir indépendamment, telles que les "unités d'Arkan" par exemple,

11 dans le cas concret, c'étaient des unités qui étaient beaucoup plus

12 incorporées dans les structures officielles. En d'autres termes, il

13 s'agissait d'unités qui étaient incorporées dans la police locale,

14 spéciale; elles n'agissaient, n'opéraient pas comme des unités à part,

15 spéciales.

16 M. Nice (interprétation): Et maintenant, il y a deux jeux de documents de

17 correspondance, et puis trois autres pièces à conviction. Nous allons

18 d'abord parler de la correspondance.

19 Je vous ai dit que je ne vais pas verser au dossier des photographies. Il

20 ne me semble pas que ceci est pratique, mais je vais peut-être quand même

21 maintenant essayer de montrer quelques photographies. Quelle est la pièce

22 à conviction?

23 Mme Ameerali (interprétation): Il s'agit de la pièce à conviction qui

24 portera le n°203.

25 M. Nice (interprétation): Merci. Je pense que vous avez fait vous-même ces

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1 photos. Je pense qu'elles reflètent de manière tout à fait réelle ce qui

2 s'était passé, n'est-ce pas?

3 M. Abrahams (interprétation): Ces photographies?

4 Question: Oui, je vais demander de mettre sur le rétroprojecteur les

5 photographies, comme cela on va pouvoir les voir dans l'audience.

6 Réponse: Il s'agit de la photographie qui a été prise, je pense, le 27

7 septembre 1998 à Plocica.

8 Il s'agit de l'entrepôt de nourriture où nous avons vu que des melons et

9 de la farine avaient été en feu.

10 Question: Est-ce que tout le bâtiment a été détruit?

11 Réponse: On voit qu'il est en feu, mais je ne sais pas si on le voit sur

12 la photo qu'il y a encore le feu qui part du bâtiment.

13 Question: Oui, mais je pense que, sur l'autre photo, vous pouvez voir une

14 meule de foin, n'est-ce pas?

15 M. Abrahams (interprétation): Oui. C'est à Plocica que la photographie a

16 été prise. On voit une meule de foin.

17 M. Nice (interprétation): Merci. D'un autre côté, je vous ai dit également

18 que nous n'avons pas le rapport qui s'appelle "La détention et les

19 violations au Kosovo", publié en décembre 1998, mais en effet, nous

20 l'avons; c'est la raison pour laquelle nous pourrions peut-être vous le

21 montrer et le verser au dossier par la suite.

22 Mme Ameerali (interprétation): Il s'agit de la pièce à conviction 204.

23 M. Nice (interprétation): Merci. Si nous voyons le document, vous allez

24 tout de suite constater qu'il s'agit d'un rapport, si vous parcourez la

25 deuxième page, Monsieur Abrahams.

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1 Je vais demander qu'on la place sur le rétroprojecteur.

2 Nous allons donc essayer de voir comment les mass media pouvaient se

3 rendre compte de ce qu'il se passait dans le rapport. Il est marqué que le

4 conflit s'est déclenché en février 1998; il y avait au moins 1.200

5 Albanais ethniques qui ont été poursuivis selon la législation serbe. Ils

6 ont été également détenus, incarcérés.

7 Ensuite, dans le paragraphe suivant, c'est marqué qu'il y avait des

8 meurtres, qu'ils ont fait subir des conséquences corporelles.

9 Réponse: Oui, tout à fait.

10 M. Nice (interprétation): Merci. L'avant-dernier rapport qui porte le

11 thème général que nous n'avons pas vu est un rapport de 1993?

12 M. Abrahams (interprétation): Oui, mars 1993.

13 Mme Ameerali (interprétation): Pièce à conviction 205.

14 M. Nice (interprétation): Merci. Nous pourrions peut-être voir maintenant

15 ce que l'on peut lire à l'arrière de ce rapport et ce que quelqu'un qui

16 reçoit le rapport pourrait en tirer comme conclusion -et je cite-: "Kosovo

17 est un état de policier, il y a des raids policiers. Les autorités serbes

18 se trouvent un petit peu partout sur le marché. Ils ont renforcé toutes

19 les mesures afin d'expulser les Albanais des régions qui sont habitées par

20 les Serbes. Des armes lourdes, des unités paramilitaires, également,

21 propagent la terreur." (Fin de citation.)

22 Par conséquent, il s'agit d'un rapport, n'est-ce pas? Il est rare que

23 celui qui a été accusé puisse également bénéficier d'une justice?

24 Est-ce que vous avez reçu de tels rapports? Est-ce que vous savez si le

25 rapport a été publié ou non?

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1 M. Abrahams (interprétation): Je pense que ceci a été publié par toutes

2 les autorités compétentes mais à cette époque-là, je n'ai pas travaillé au

3 sein de mon organisation. Par conséquent, je ne peux pas déposer à cet

4 effet.

5 M. Nice (interprétation): Monsieur le Président, je pense que nous avons

6 déjà la cote pour cette pièce à conviction?

7 Mme Ameerali (interprétation): Oui.

8 M. Nice (interprétation): Il y a le dernier rapport que pourrait commenter

9 M. Abrahams. Ce sont les meurtres et les victimes civiles qui ont eu lieu

10 à cause du bombardement de l'OTAN, mais je ne pense pas que ceci rentre

11 dans l'Acte d'accusation et que la Chambre serait éventuellement

12 intéressée d'écouter le témoin parler de cela?

13 M. le Président (interprétation): Oui.

14 Mme Ameerali (interprétation): Nous allons voir la pièce à conviction 206.

15 M. Nice (interprétation): Monsieur Abrahams, vous nous avez dit que votre

16 organisation a critiqué l'OTAN. Il s'agit du rapport que Human Rights

17 Watch a élaboré. Si nous voyons la deuxième page, en passant de la

18 dernière page, nous allons voir un résumé.

19 Il s'agit d'un résumé des conclusions, des conclusions principales

20 auxquelles vous êtes parvenu. C'est marqué -je cite-: "La campagne de

21 bombardements de l'OTAN minimisait. Le nombre de victimes était quelque

22 chose de courant. Il est marqué également que l'OTAN allait tout faire

23 pour limiter le nombre de victimes."

24 Mais Human Rights a pu constater qu'il y avait 90 cas où les civils

25 avaient été des victimes à cause du bombardement qui a duré pendant 28

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1 jours et que 500 civils yougoslaves avaient été des victimes de ces

2 bombardements, n'est-ce pas?

3 M. Abrahams (interprétation): Oui, tout à fait.

4 Question: Est-ce que vous pouvez nous parler de ce rapport?

5 Eventuellement, nous allons laisser l'accusé en parler également lors de

6 son contre-interrogatoire.

7 Réponse: Mais je ne sais pas de quel impact vous parlez?

8 Question: Je demande quel est le point de vue de Human Rights Watch en ce

9 qui concerne ces victimes?

10 Réponse: Ce que je peux vous dire, c'est que ce chiffre que vous citez,

11 500, est quelque peu plus bas par rapport à ce que nous avons pu également

12 entendre par le gouvernement yougoslave, mais beaucoup plus important que

13 ce que l'OTAN avait publié.

14 Je considère que c'est un bon signe également du caractère objectif du

15 rapport que nous avons rédigé. J'ai considéré également qu'il est de prime

16 importance que de rédiger un tel rapport, qu'il est indispensable

17 également d'enquêter sur toutes ces allégations à l'égard de l'OTAN, et

18 qu'aucune des parties dans le conflit ne devait pas être ménagée des

19 critiques et des enquêtes.

20 M. Nice (interprétation): Entendu. Maintenant, nous avons deux autres

21 pièces à conviction sur lesquelles j'aimerais attirer votre attention: il

22 s'agit d'abord de ce jeu de correspondance. C'est la pièce à conviction

23 189.

24 M. Abrahams (interprétation): Oui, ce sont des originaux et des copies.

25 Mme Ameerali (interprétation): Il s'agit de la pièce à conviction 207.

Page 6099

1 M. Kwon (interprétation): Je pense que cela a déjà été versé au dossier.

2 Nous avons déjà également la cote.

3 M. Nice (interprétation): 189, dans le cas concret.

4 Vous pensez, Monsieur Abrahams, qu'une de ces lettres contient une erreur.

5 Il serait peut-être utile qu'on puisse voir de quoi il s'agit, quelle est

6 l'erreur qui s'est glissée.

7 Si nous voyons la date, nous pouvons voir qu'il s'agit de l'année 1996.

8 Vous avez envoyé d'abord la lettre à M. Mirovic, vous avez demandé une

9 réunion avec les représentants du gouvernement la prochaine fois quand

10 vous vous rendrez à Belgrade et pour parler des violences terroristes à

11 votre… Ensuite vous avez envoyé une autre lettre au ministre Jokanovic et

12 c'est toujours le même sujet. Ensuite vous avez envoyé une autre lettre à

13 une certaine Mme Gordana, au ministère des Droits de l'Homme en

14 Yougoslavie. Avez-vous reçu la réponse?

15 Réponse: Non, je n'ai pas reçu de réponse, pas une seule réponse.

16 Question: Il y a une seule personne qui a accusé réception de la lettre -a

17 été mentionnée, je pense, dans cette télécopie- et ce rapport sur un

18 certain nombre de faits.

19 Pouvez-vous nous donner des explications, s'il vous plaît, à ce sujet-là?

20 Par exemple, là où c'est marqué…

21 Réponse: Après la réunion que j'ai eue avec Rade Drobac au ministère de

22 l'Information, on m'avait promis de m'envoyer les informations concernant

23 les 16 Albanais qui sont portés disparus. Moi, j'ai poursuivi mon enquête

24 à New York, j'ai envoyé une télécopie à Dragan Milosevic -je crois qu'il

25 n'a rien à voir avec l'accusé-, il travaillait au ministère de

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1 l'Information. Je lui ai envoyé une télécopie avec les questions que je

2 lui ai posées. Maintenant cela peut paraître ridicule et comique, mais

3 comme un geste amical avec la lettre que j'ai envoyée, j'ai marqué que

4 notre représentation venait de vaincre l'équipe yougoslave en basket-ball

5 lors des Jeux olympiques. C'est tout.

6 Question: Bon. Si nous revenons à vos lettres, nous pouvons constater que,

7 dans une lettre du 31 juillet, au premier paragraphe, vous avez défendu la

8 terminologie utilisée par Human Rights Watch?

9 Réponse: Il s'agit d'une copie de la lettre que j'ai envoyée au ministre

10 de l'Information. En effet, il y a eu une erreur et je pense qu'elle est

11 contenue au point 1. Nous avons demandé l'information sur les attaques

12 terroristes et les enquêtes qui avaient été effectuées à ce sujet-là. Et

13 nous avons essayé de ne pas utiliser cette terminologie dans les rapports

14 par la suite.

15 Question: Comment Human Rights Watch ajustait-il sa terminologie? Comment

16 avez-vous utilisé le vocabulaire pour être objectif vis-à-vis de tous les

17 parties?

18 M. Abrahams (interprétation): L'organisation fait très attention, tente

19 d'éviter des termes qui ont une connotation politique, des termes imprécis

20 qui se prêtent à différentes interprétations. L'un de ces termes est

21 justement celui de "terroriste", un autre serait le terme "régime" ou des

22 termes qui suscitent beaucoup d'émotion tels que "massacre".

23 A l'avenir, pour parler de l'UCK, nous avons parlé d'insurrection armée,

24 d'armée guérilla, d'armée rebelle, des termes plus neutres, plus

25 descriptifs.

Page 6101

1 M. Nice (interprétation): Autre jeu de correspondances qui date de 1998.

2 Mme Ameerali (interprétation): Qui porte déjà la cote 192.

3 M. Nice (interprétation): Merci. On y trouve les lettres que vous avez

4 envoyées au ministre de la Justice, Markicevic, le 20 juillet 1998. Vous

5 lui demandiez son appui… Il est intéressant de voir les questions que vous

6 lui avez posées. Vous lui avez demandé combien d'Albanais de souche sont

7 en détention policière à l'heure actuelle? A combien d'Albanais de souche

8 reproche-t-on des infractions criminelles? Quelles sont les accusations

9 précises à l'encontre d'une personne en particulier? Où se trouve une

10 autre personne, un autre individu? Et dernière question: "Pourriez-vous

11 nous donner des informations concernant les abus, les violations des

12 Droits de l'homme, des Serbes civils, policiers ou soldats de la VJ"?

13 Pourriez-vous nous expliquer ce format de questions, enfin la stratégie

14 qui sous-tendait ces questions?

15 M. Abrahams (interprétation): C'était afin de préparer le rapport

16 "Violation du droit humanitaire au Kosovo"; c'était le titre du rapport.

17 Nous cherchions à pouvoir décrire la situation de la façon la plus

18 réaliste possible. Nous avons tenté d'obtenir des informations de la part

19 du gouvernement sur ces questions afin de préciser les choses.

20 Question: Les quatre premières questions concernent des souffrances subies

21 par les Albanais de souche, mais la dernière question a trait au

22 contraire, c'est-à-dire aux souffrances infligées par les Albanais.

23 Réponse: Comme on voit dans la deuxième phrase, le rapport fera état de

24 violations commises par toutes les parties.

25 Question: Vous avez reçu une réponse à cette lettre?

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1 Réponse: Non.

2 Question: Et quant à la lettre que vous avez adressée au ministère de la

3 Justice yougoslave, une réponse?

4 Réponse: Non.

5 Question: Et le ministère de la Justice yougoslave?

6 Réponse: Non.

7 Question: Et la lettre adressée au ministère de l'Intérieur serbe?

8 Réponse: Nous n'avons reçu aucune réponse.

9 Question: C'étaient en fait des questions formulées un peu différemment,

10 mais nous ne pouvons pas entrer dans les détails, faute de temps.

11 Ensuite, lettres adressées au secrétaire de l'Information, Goran Matic?

12 Réponse: Aucune réponse.

13 Question: Il y a donc là une page de fac-similé, une page de couverture.

14 Vous avez écrit à la revue dont vous nous avez dit que c'était une de vos

15 sources d'informations, source ouverte.

16 Réponse: C'est une lettre adressée à l'armée yougoslave.

17 Question: Oui, pardon. Et l'adresse que vous avez choisie, pouvez-vous

18 nous en parler?

19 M. Abrahams (interprétation): Je ne me souviens pas exactement comment

20 j'ai obtenu cette adresse, mais j'avais un annuaire téléphonique lorsque

21 j'étais à Belgrade et j'ai dû trouver cette adresse dans le bottin.

22 M. Nice (interprétation): Et enfin une lettre adressée au secrétaire de

23 l'Information serbe et le ministère de l'Intérieur yougoslave.

24 Merci, voilà les seules questions que j'ai à poser à ce témoin.

25 M. le Président (interprétation): Eh bien, les commis aux affaires avaient

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1 raison de dire qu'un classeur nous aurait bien aidés.

2 M. Nice (interprétation): Oui, c'est mon omission. J'en suis entièrement

3 responsable.

4 M. le Président (interprétation): Je suppose que vous n'en avez pas

5 préparé du tout?

6 M. Nice (interprétation): Non, je ne crois pas.

7 M. le Président (interprétation): Très bien.

8 M. Nice (interprétation): Je vous demanderai cinq minutes, à un moment

9 donné, pour aborder la question du témoin précédent, peut-être

10 conviendrait-il de faire cela après la pause.

11 M. le Président (interprétation): Oui, ce serait peut-être mieux en fin de

12 matinée.

13 Nous allons maintenant suspendre la séance, donc prendre notre pause de 20

14 minutes.

15 Ce qui nous aiderait, à un moment ou à un autre, en tout cas pour ma part,

16 ce serait de nous indiquer Drenica sur la carte parce qu'on y fait souvent

17 allusion, mais cette localité ne figure pas de façon claire sur les cartes

18 que j'ai pu voir.

19 M. Nice (interprétation): Oui.

20 M. le Président (interprétation): Pas forcément tout de suite, mais à un

21 moment donné, cela nous aiderait.

22 M. Nice (interprétation): Je pense que ce serait très facile ou il n'y

23 aura pas de problème en ce qui concerne ce témoin sur ce sujet.

24 M. le Président (interprétation): Il serait plus logique d'en parler à

25 quelqu'un qui a une vision globale.

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1 En tout cas, nous allons lever la séance pendant 20 minutes.

2 (L'audience, suspendue à 12 heures 10, est reprise à 12 heures 28.)

3 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous avez la parole.

4 (Contre-interrogatoire de M. Fred Abrahams par l'accusé M. Milosevic.)

5 M. Milosevic (interprétation): Vous avez écrit dans votre déclaration -je

6 parle de la deuxième déclaration faite par vous- qu'entre le mois d'avril

7 et le mois de juin 2000, vous avez travaillé pour le Bureau du Procureur

8 et que vous avez retravaillé pour ce même Bureau du Procureur en août

9 2001. Donc trois mois la première fois, un mois la deuxième. Et vous dites

10 que votre travail consistait à mener des enquêtes et à procéder à des

11 analyses dans le cadre de l'établissement de l'Acte d'accusation dressé à

12 mon encontre au sujet du Kosovo.

13 Qu'avez-vous fait exactement?

14 M. Abrahams (interprétation): Vous me demandez ce que je faisais quand je

15 travaillais pour le Bureau du Procureur?

16 Question: Il est écrit ici que vous avez fait des analyses en rapport avec

17 l'Acte d'accusation à mon encontre. Qu'est-ce que ce mot signifie plus

18 précisément?

19 Réponse: Quand je travaillais pour le Procureur, j'étais chargé de deux

20 tâches, dont la première consistait à entrer en contact et à interroger ce

21 que j'appellerai "les personnalités politiques du Kosovo". C'est-à-dire

22 des personnes qui avaient une action politique ou qui participaient plus

23 précisément à des négociations de formes diverses.

24 J'avais pour deuxième tâche de rassembler des documents, plus précisément

25 des documents émanant de la police serbe ou de l'armée yougoslave, ainsi

Page 6105

1 que d'autres documents pertinents pouvant servir à expliquer l'action

2 menée par le gouvernement au Kosovo.

3 Question: Vous venez de me parler de recueil de données, mais quel est le

4 sens exact du mot "analyses", puisque vous avez utilisé le mot "analyse"

5 pour décrire votre travail?

6 Réponse: Mon travail consistait à identifier les personnalités politiques

7 parmi les Albanais du Kosovo, qui pouvaient apporter leur contribution à

8 la présente affaire, potentiellement. A cet égard, il fallait une certaine

9 analyse afin de déterminer si telle ou telle personne avait effectivement

10 joué un rôle, et, si oui, quel était ce rôle et, enfin, si cette personne

11 pouvait apporter une contribution. La même remarque s'applique aux

12 documents: en effet, si l'on veut comprendre si un document est pertinent,

13 il faut une certaine analyse.

14 J'ai bien sûr rassemblé tout ce sur quoi je pouvais mettre la main, en

15 matière de documents; et s'agissant des documents, j'ai fait moins

16 d'analyses. Ce travail a principalement été fait par les membres du Bureau

17 du Procureur.

18 Question: Eh bien, s'agissant de cette activité qui était la vôtre, vous

19 considérez-vous comme l'un des coauteurs de l'Acte d'accusation?

20 Réponse: Non. Absolument pas.

21 M. Milosevic (interprétation): Donc le fait que vous ayez collaboré à

22 l'analyse et au recueil de données en vue de l'établissement de l'Acte

23 d'accusation ne fait pas de vous un coauteur de l'Acte d'accusation?

24 M. le Président (interprétation): Il vient de répondre à cette question.

25 M. Milosevic (interprétation): Bien.

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1 Donc ces deux périodes, avril à juin 2000 et le mois d'août 2001, sont

2 mentionnées comme étant les deux seules périodes pendant lesquelles vous

3 avez travaillé pour le Bureau du Procureur. Or, il ressort de ce texte que

4 j'ai ici qu'en tant qu'enquêteur, vous avez travaillé pour le Bureau du

5 Procureur à la date du 1er et du 3 novembre 2001.

6 Ces deux jours-là, vous avez eu des entretiens avec Ibrahim Rugova. Bien

7 sûr, c'est une période qui se situe en dehors des périodes mentionnées par

8 vous comme étant les périodes pendant lesquelles vous avez travaillé pour

9 le Bureau du Procureur. Et je vous demande pourquoi.

10 Réponse: D'abord, je n'ai jamais été enquêteur du Tribunal. J'étais

11 analyste-chercheur.

12 Et, deuxièmement, pour répondre à votre question, ma réponse sera très

13 simple. Lorsque j'ai travaillé pour le Tribunal, en août 2001, j'ai

14 finalement quitté mon travail qui était La Haye deux jours plus tôt que

15 prévu; je devais rentrer à New York. Et en octobre 2001, j'étais dans la

16 région, j'étais au Kosovo; après quoi, je suis allé en Albanie pour des

17 recherches destinées au livre que je suis en train d'écrire, mais il me

18 restait deux jours à accomplir d'après mon contrat avec le Tribunal. Et

19 les responsables administratifs du Tribunal s'inquiétaient de ces deux

20 jours. Et également parce que je souhaitais poursuivre le travail que

21 j'avais commencé.

22 J'ai donc proposé, pendant que j'étais au Kosovo, d'apporter mon aide au

23 Tribunal en procédant à cette interview de Rugova. J'ai été avec

24 l'enquêteur Jonathan Sutch, la personne qui a établi le contact avec le Dr

25 Rugova au mois d'août; donc je suis celui qui lui a parlé de la

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1 possibilité de faire une déclaration; et aux alentours de la fin du mois

2 d'octobre, début du mois de novembre, le Dr Rugova était prêt. Moi,

3 j'étais sur le territoire du Kosovo, il me restait deux jours de mon

4 contrat de travail à effectuer, donc j'ai accepté avec Jonathan Sutch de

5 procéder à cette interview. En d'autres termes, c'est dans ces conditions

6 que j'ai recueilli la déclaration dont vous avez parlé.

7 Question: Aviez-vous deux contrats de travail avec le Tribunal? Donc un

8 contrat de travail couvrant la première période, c'est-à-dire les trois

9 mois, du mois d'avril au mois de juin 2000, et un deuxième contrat, pour

10 le mois d'août 2001?

11 Réponse: Oui, c'est exact.

12 Question: Vous étiez payé combien pour faire ce travail?

13 Réponse: Il m'est difficile de m'en souvenir précisément. J'avais un

14 contrat qui est ce que l'on appelle un contrat JTA. Je sais que mon grade

15 était P3. Si je me souviens bien, mon salaire mensuel était situé entre

16 1.500 et 2.000 dollars. Mais il faudrait que je vérifie plus précisément

17 pour en être absolument certain. Quant au niveau des salaires de P3, je

18 crois qu'ils font partie des documents consultables par le public.

19 Question: Tout ce dont vous avez parlé ici, ainsi que les documents que

20 vous avez soumis aux Juges, ces petits livres, etc., vous avez fait tout

21 cela, si j'ai bien compris, dans le cadre de votre activité

22 professionnelle, au sein de l'organisation Human Rights Watch, c'est bien

23 cela?

24 Réponse: C'est exact.

25 Question: Considérez-vous cette organisation comme une organisation

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1 objective, impartiale?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Puisque vous en faites état dans l'une de vos déclarations, vous

4 avez parlé des bombardements de l'OTAN, considérez-vous que, pour l'OTAN,

5 bombarder des cibles civiles est un crime?

6 Réponse: Human Rights Watch, suite à la recherche effectuée par cette

7 organisation, a décidé que l'OTAN avait violé le droit humanitaire

8 international, et je peux vous dire quand et où si cela vous intéresse.

9 Cependant, l'organisation en question n'a pas conclu au fait que l'OTAN

10 avait commis des crimes de guerre. Et la distinction, en quelques mots,

11 s'établit au niveau de l'intention criminelle, car l'organisation a bel et

12 bien critiqué l'OTAN pour le choix de certaines de ces cibles. Mais nous

13 ne disposions pas de preuve concluante permettant de déterminer que l'OTAN

14 avait pris des civils pour cible de façon précise et dans le but de viser

15 des civils.

16 Question: Donc, lorsque vous disposez de données qui montrent que des

17 hôpitaux, des trains, des autobus ont été pris pour cibles -en première

18 page dans votre document, on voit le nom d'Aleksinac, un petit village de

19 mineurs au centre de la Serbie-, lorsque vous voyez tout cela, vous ne

20 considérez pas qu'il s'agit de cibles civiles?

21 Réponse: La question qui se pose, c'est le choix des cibles par l'OTAN. Ce

22 qu'il faut déterminer c'est si ces cibles comportaient la moindre

23 légitimité sur le plan militaire. Je répète que la conclusion à laquelle

24 nous sommes parvenus, c'est que nous devions exprimer une préoccupation

25 très profonde quant au fait que l'OTAN –et nous l'avons critiquée- n'avait

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1 pas pris le minimum de mesures susceptibles de réduire les victimes

2 civiles et n'avait pas pris de mesures pour établir une distinction en

3 bonne et due forme entre les militaires et les civils.

4 Nous avons également critiqué l'OTAN pour son recours aux bombes à

5 fragmentation que nous considérons comme une arme de combat aveugle.

6 J'ajouterai qu'au mois de mai, la Maison blanche a publié une directive

7 demandant l'arrêt de l'utilisation des bombes à fragmentation, mais elles

8 ont été utilisées jusqu'à ce moment-là.

9 Mais compte tenu du fait que nous ne disposions pas de preuves suffisantes

10 pour prouver de façon convaincante que des cibles civiles avaient été

11 choisies dans l'intention précise de blesser ou de tuer des civils -or la

12 charge de la preuve qui repose sur nous est importante et elle est égale

13 pour tous nos chercheurs-, c'est pourquoi en l'absence de preuve

14 concluante, nous n'avons pas été prêts à formuler des allégations selon

15 lesquelles des crimes de guerre auraient été commis.

16 Question: Bien. Mais si, par exemple, on tient compte du fait que des

17 bombes à fragmentation ont été utilisées pour frapper le centre-ville de

18 Nis, est-on en train de sous-entendre qu'il s'agit de cibles civiles et

19 qu'il est impossible de recueillir un nombre de preuves suffisant pour

20 prouver que des bombes à fragmentation ont été lancées sur le centre de la

21 ville de Nis, c'est-à-dire sur des écoles, sur des marchés, sur des

22 cliniques, sur l'université et autres? Est-ce qu'il reste un doute dans

23 votre esprit dans de telles conditions?

24 Réponse: Le rapport publié par Human Rights Watch -et j'ai contribué au

25 peaufinage de ce rapport mais pas au recueil des informations à la base de

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1 ce rapport-, donc ce rapport faisait appel au gouvernement des pays

2 membres de l'OTAN ou à l'OTAN en tant qu'organisation, pour que celle-ci

3 procède à une enquête. C'est-à-dire qu'il lui était demandé d'établir une

4 commission chargée d'enquêter sur ce que nous considérions comme des

5 allégations graves. L'OTAN n'a pas fait ce qui lui était demandé; en tout

6 cas, pas publiquement. L'incident de la bombe à fragmentation sur Nis,

7 dont vous venez de faire état, est l'un des incidents qui sans le moindre

8 doute mérite une enquête plus approfondie.

9 Question: Est-ce que l'utilisation d'uranium appauvri constitue un crime?

10 Réponse: Je ne suis pas expert en droit, je ne suis pas juriste. Donc,

11 j'hésite quelque peu à répondre de façon très ferme à cette question. Il

12 est certain que l'un des principes fondamentaux des Conventions de Genève

13 consiste en la nécessité de réduire au minimum l'effet des guerres sur les

14 civils.

15 Donc l'utilisation d'uranium appauvri peut être considéré dans ce

16 contexte… Mais je ne suis pas en droit d'utiliser des arguments juridiques

17 ici.

18 Question: Très bien, Monsieur Abrahams, donc si je vous comprends bien,

19 s'agissant des conclusions tirées sur la base de ce que vous nous avez

20 décrit, en répondant aux questions posées au sujet de la prise de civils

21 pour cibles comme étant ou non un crime de guerre, et à la question de

22 savoir si le recours aux bombes à fragmentation est un crime ou pas, ainsi

23 que si l'utilisation d'uranium appauvri est un crime ou pas, toutes ces

24 questions sont des questions auxquelles vous êtes incapable de fournir une

25 réponse précise par oui ou par non. C'est bien cela?

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1 Réponse: Non, ce n'est pas tout à fait exact. Manifestement, nombre des

2 questions que vous évoquez constituent des crimes précis. Si ces actes

3 sont commis en toute connaissance du fait qu'il s'agit de crimes et dans

4 le but de viser des civils, il s'agit de crimes. Voilà les conclusions

5 cependant que nous n'avons pas pu tirer.

6 M. Milosevic (interprétation): Dites-moi alors, en réponse à ces trois

7 questions que j'ai posées à titre d'exemple, est-ce que l'agression de

8 l'OTAN respectait les dispositions de la Charte de l'ONU ou pas?

9 M. le Président (interprétation): Est-ce que cela fait partie de votre

10 domaine de compétence, spécialisée ou pas?

11 M. Abrahams (interprétation): Non, Monsieur le Président.

12 M. le Président (interprétation): Non, Monsieur Milosevic, le témoin n'a

13 pas à répondre à cette question.

14 M. Milosevic (interprétation): Très bien, Monsieur May. C'est une réaction

15 tout à fait logique.

16 Mais dites-moi, Monsieur Abrahams, nous venons de mentionner un certain

17 nombre d'exemples qui sont très caractéristiques de la façon dont

18 l'agression a été faite par l'OTAN.

19 Vous parlez dans vos déclarations de crimes de guerre nombreux commis par

20 l'organisation dite UCK. Les chiffres utilisés par vous sont inférieurs à

21 la réalité, mais ils sont tout de même impressionnants, même venant de

22 vous: 250.000 Serbes expulsés de chez eux, d'après vous, des milliers de

23 tués, 1.000 personnes enlevées. C'est un chiffre très inférieur à la

24 réalité, mais vous le citez.

25 Vous ne parlez pas néanmoins des dizaines de milliers de maisons serbes

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1 incendiées et de bien d'autres choses encore. Mais considérez-vous tout

2 cela comme des crimes?

3 M. Abrahams (interprétation): D'abord, il y a une correction que

4 j'aimerais apporter. Vous avez dit "1.000 personnes tuées et 1.000

5 personnes portées disparues"; en fait, le chiffre est le même. Il y avait

6 un millier de Serbes et de Roms portés disparus après les interventions de

7 l'OTAN, donc après la date du 12 juin, et nombre d'entre eux sont peut-

8 être morts. En tout cas, c'est qu'on craint. Mais je ne voudrais pas que

9 1.000 se transforme en 2.000.

10 Maintenant, pour répondre à votre question: oui, je considère qu'il s'agit

11 de crimes de guerre.

12 Question: Très bien. S'agissant des crimes commis par l'OTAN, vous manquez

13 de précision, mais vous parlez ensuite des crimes commis par l'UCK pour

14 lesquels vous dites très clairement qu'ils sont l'œuvre de l'UCK. Je vous

15 demande, dans ces conditions, comment il se fait que l'organisation Human

16 Rights Watch n'a pas pris des mesures individuelles pour mettre en

17 accusation les auteurs de ces crimes devant l'institution où nous

18 comparaissons aujourd'hui. Même si cette institution est illégale. Comment

19 se fait-il que ces personnes n'aient pas été accusées, comme je le suis

20 moi par exemple, ou comme le sont les représentants de l'armée et de la

21 police serbes, etc.? Pourquoi et comment avez-vous omis cela?

22 Réponse: En de nombreuses occasions, nous avons demandé que tous les

23 responsables rendent compte de leurs actes. Nous avons fait appel au

24 Tribunal pour enquêter sur les crimes commis par toutes les parties. De la

25 manière la plus impartiale qui soit, nous avons fourni des documents

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1 relatifs aux crimes commis par toutes les parties; c'est-à-dire aussi bien

2 par les Albanais du Kosovo que par les Serbes. Et nous demandons que, des

3 deux côtés, les auteurs de crime aient à répondre de ces crimes.

4 Question: Puisque nous revenons sur les termes "impartialité" et

5 "objectivité", pensez-vous vraiment qu'ici, dans ce travail dont vous êtes

6 l'auteur et qui traite de l'agression de l'OTAN, où l'on voit en première

7 page sous la photographie un titre, une légende qui se lit comme suit -je

8 cite-: "Trois civils ont été tués au cours du deuxième incident

9 d'Aleksinac". (Fin de citation.)

10 Et puis en page 5, on voit le chiffre de 500 pour les tués; et vous savez

11 qu'il n'y en a pas eu 500, vous savez que les chiffres sont beaucoup plus

12 importants que cela.

13 Tout cela a été enregistré dans des documents officiels. Ne vous semble-t-

14 il pas que c'est tout à fait intentionnel si l'on minimise l'effet d'un

15 crime commis contre mon pays précisément et que cette minimisation vient

16 de votre organisation, Human Rights Watch?

17 Réponse: Je crois que les chiffres cités dans ce rapport sont exacts. Ils

18 sont bien inférieurs à ce qu'a dit le Gouvernement yougoslave et ils sont

19 bien supérieurs à ce que l'OTAN a admis. Mais la meilleure preuve de leur

20 exactitude vient sans doute du Tribunal de district de Belgrade, car en

21 août 2001, un procès se déroulait à Belgrade où les accusés étaient des

22 dirigeants de l'OTAN. Donc les personnes mises en accusation étaient

23 Clinton, Blair, Wesley, Clarck, etc. Et dans l'Acte d'accusation établi

24 par le Procureur de Belgrade, le nombre de civils tués par l'OTAN cités

25 par le Procureur était d'environ 500. Nous avons comparé que cet Acte

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1 d'accusation avec notre rapport et nous voyons que sur certains noms il y

2 a des différences, mais pour l'essentiel les chiffres sont comparables.

3 Question: J'ai le sentiment que vous n'avez pas lu ces chiffres et la

4 description de ces faits comme il se doit mais laissons cela de côté.

5 Par conséquent, vous prétendez que l'organisation Human Rights Watch et

6 les efforts accomplis par elle ont été objectifs, impartiaux, bien

7 intentionnés, c'est bien cela? C'est votre démarche, votre attitude à cet

8 égard, n'est-ce pas?

9 Réponse: Oui, je le crois. Je crois que tous les efforts accomplis l'ont

10 été dans la plus grande objectivité possible.

11 Question: Ce sont donc des gens qui sont objectifs et impartiaux qui sont

12 employés par cette organisation?

13 Réponse: Je crois que leur niveau de professionnalisme est très élevé.

14 M. Milosevic (interprétation): Très bien. Mais si vous gardez à l'esprit

15 tout ce qu'on a laissé de côté et notamment la composition de

16 l'organisation Human Rights Watch, on constate que Warren Zimmermann, par

17 exemple, ancien ambassadeur américain, a été appelé par cette

18 organisation, et il est particulièrement connu pour avoir dit à Alija

19 Izetbegovic de s'opposer à l'accord de Lisbonne?

20 (Interruption du micro de M. Milosevic.)

21 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, on vous a déjà

22 demandé d'abréger vos questions. Quelle est la question?

23 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, puisque le témoin affirme que

24 Human Rights Watch est une organisation objective, ma question est la

25 suivante: comment le témoin peut-il considérer que cette organisation est

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1 objective puisqu'on y trouve son employeur Georges Soros, on y trouve

2 Zimmermann qui a conseillé Izetbegovic de s'opposer à l'accord de

3 Lisbonne, on y trouve toutes sortes de personnes, par conséquent,

4 représentant les Etats-Unis, qui se sont engagées très clairement sur le

5 plan politique en faveur des bombardements sur la Yougoslavie. En faveur

6 donc de l'agression contre la Yougoslavie entre autres.

7 Est-ce que vous prétendez que ceci est vrai ou pas?

8 M. Abrahams (interprétation): J'ai besoin d'apporter un éclaircissement.

9 Il n'est pas exact de dire que ces personnes, telles Warren Zimmermann et

10 d'autres que vous avez citées, font partie de Human Rights Watch. Ce qui

11 est exact, c'est que ces deux hommes sont membres du comité consultatif

12 pour l'Europe et l'Asie centrale, c'est-à-dire de la division pour

13 laquelle je travaillais.

14 Le comité consultatif a une fonction tout à fait précise qui consiste,

15 comme son nom l'indique, à fournir des conseils. Donc ces hommes sont

16 présents en qualité d'experts de la région et ils nous apportent des

17 éléments qui nous permettent d'orienter notre travail dans tel ou tel sens

18 prioritaire, mais ces hommes n'ont pas de fonction exécutive; ils ne font

19 aucune recherche et ils ne révisent pas nos constatations. Et

20 personnellement, je peux dire que tout au long du travail accompli par

21 moi, je n'ai jamais eu une seule conversation avec les hommes dont vous

22 venez de donner les noms -vous pourriez d'ailleurs ajouter à la liste

23 celui de Herbert Holbrooke, autre diplomate américain-, je n'ai donc

24 jamais eu une seule conversation avec ces hommes quant aux conclusions

25 tirées par moi ou à la façon de les présenter.

Page 6116

1 Je tiens à souligner également que, s'agissant des priorités à donner dans

2 notre travail, nous n'avons jamais eu besoin qu'un expert vienne nous dire

3 que nous devrions nous concentrer sur le Kosovo; ça, c'est tout à fait

4 évident au vu des faits.

5 Et puis, encore deux points pour finir. L'un des hommes dont vous venez de

6 parler n'a plus de poste officiel aujourd'hui. En fait, les membres du

7 comité consultatif ne sont pas autorisés à avoir un poste officiel en même

8 temps.

9 Enfin, s'agissant de l'objectivité de Human Rights Watch, la meilleure

10 preuve, ou en tout cas l'argument le plus fort que je puisse avancer à cet

11 égard, c'est le travail accompli par l'organisation. S'agissant du Kosovo,

12 j'ai parlé ici aujourd'hui du travail accompli par l'organisation Kosovo;

13 s'agissant des Balkans de façon générale, nous avons établi des documents

14 au sujet des violations commises par toutes les parties. Personnellement,

15 j'ai commencé ma carrière en travaillant sur l'Albanie et j'ai publié

16 trois rapports très critiques du gouvernement albanais. Et l'organisation

17 dans son ensemble agit dans plus de 80 pays dans le monde, y compris aux

18 Etats-Unis. Donc, je crois que le catalogue des rapports émanant de cette

19 organisation suffit à prouver son objectivité.

20 Question: Mais si l'on tient compte de tout ce dont nous parlons depuis

21 très peu de temps, ne vous semble-t-il pas que Human Rights Watch a pour

22 rôle de s'immiscer dans les affaires intérieures de pays tiers et de

23 produire des alibis en cas d'immixtion de ce genre? Répondez par oui ou

24 par non.

25 Réponse: Non.

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1 Question: Vous avez dit que vous aviez commencé votre carrière en

2 travaillant sur l'Albanie, c'est-à-dire en étudiant les violations subies

3 par la minorité grecque. Dans le cadre de ce travail, avez-vous trouvé des

4 éléments suffisants pour constater depuis combien de temps, je dirais même

5 depuis combien de décennies, et avec quelle violence, avec quelle violence

6 extrême les droits de la minorité grecque étaient violés, pour ne pas dire

7 totalement réprimés, et ce, de façon systématique? N'avez-vous pas tiré ce

8 genre de conclusions?

9 Réponse: Mes conclusions étaient, en fait, tout à fait différentes. Je

10 suis parvenu à la conclusion, et documents à l'appui, donc faisant état

11 d'un nombre suffisant de violations pour en faire un rapport -d'ailleurs,

12 le premier rapport que j'ai rédigé pour Human Rights Watch concernait des

13 violations des droits de l'homme de la minorité grecque en Albanie, et je

14 suis tout à fait prêt à élaborer si la Chambre estime que cela serait

15 pertinent-, mais je ne suis pas parvenu à la conclusion que ces violations

16 étaient aussi extrêmes, loin s'en faut, que les violations commises au

17 Kosovo.

18 Il y avait des problèmes concernant l'éducation, il y a eu une affaire

19 judiciaire bien connue, mais il n'y a pas eu de violences systématiques et

20 continuelles, similaires à celles que nous avons observées au Kosovo ou

21 bien dont nous avons fait état au Kosovo. Je ne peux absolument pas

22 comparer les deux.

23 Question: Et pourriez-vous nous dire s'il y avait éventuellement des

24 violences qui avaient été commises sur la population albanaise du Kosovo,

25 de quelque nature que ce soit, avant que les terroristes aient commencé à

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1 commettre des meurtres après 1996?

2 Réponse: Pardon. Vous avez parlé avant 1960? Non, 1996? Très bien.

3 Question: Oui, bien sûr. Je vous ai demandé s'il y avait des meurtres, non

4 pas systématiques mais est-ce qu'il y avait des violences qui avaient été

5 commises avant que les terroristes commencent à organiser les attaques sur

6 les civils, sur les policiers, sur les forestiers, sur les Serbes, sur les

7 facteurs, sur n'importe qui au Kosovo? Est-ce qu'il y avait de tels

8 meurtres?

9 Réponse: Oui, en effet. Ce rapport aux ordres illustre bien la violence

10 qui a eu lieu, rapport publié en 1993.

11 Question: Nous allons revenir plus tard sur cette question-là, si vous me

12 le permettez. Mais là, maintenant, j'aimerais vous poser la question

13 suivante: est-ce que vous savez à quel moment on avait dressé l'Acte

14 d'accusation pour lequel vous témoignez, pour lequel vous êtes en train de

15 déposer?

16 Réponse: Entendez-vous l'Acte d'accusation initial?

17 Question: Oui. Je vous demande à quel moment cet Acte d'accusation a été

18 dressé.

19 Réponse: Je crois bien que c'était au mois de mai 1999.

20 Question: Et la première déclaration, vous l'avez donnée, si je peux bien

21 me fonder sur les données dont je dispose, le 8 mars 1999, par conséquent

22 deux mois avant que l'Acte d'accusation soit dressé?

23 Réponse: Je ne suis pas certain de ce que vous entendez par ma première

24 déclaration?

25 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, moi j'ai la déclaration sous les

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1 yeux; c'est la déclaration qui m'a été communiquée. C'est marqué le 8…

2 M. le Président (interprétation): Nous avons deux déclarations de votre

3 part que vous avez faites pour l'accusation: d'une part entre le 8 et le

4 11 mars, celle à laquelle se réfère l'accusé; la deuxième déclaration est

5 datée de janvier 2002. Est-ce que vous avez ces déclarations sous les

6 yeux?

7 M. Abrahams (interprétation): Non.

8 M. le Président (interprétation): Peut-être conviendrait-il de donner ces

9 déclarations au témoin?

10 (Intervention de l'huissier.)

11 M. Milosevic (interprétation): La question que j'ai posée, Monsieur May,

12 ne correspond pas à la teneur, mais à la date de la déclaration. Pour moi,

13 je vois la date "lundi 8, jeudi 11 mars 1999". Par conséquent, il y a les

14 deux, l'agression de l'OTAN deux mois et demi avant que l'Acte

15 d'accusation ait été dressé. La question que je pose, c'est de savoir si,

16 à ce moment-là, vous avez donné deux déclarations?

17 M. Abrahams (interprétation): Oui, je l'ai fait, en effet.

18 Question: L'avez-vous fait selon la suggestion de quelqu'un?

19 Réponse: Les enquêteurs sont venus à New York et m'ont demandé de faire

20 une déclaration, et j'étais d'accord pour ce faire.

21 Question: En d'autres termes, les enquêteurs de cette institution se sont

22 rendus chez vous, déjà, début mars 1999, pour vous demander de faire la

23 déclaration pour l'Acte d'accusation contre moi, n'est-ce pas?

24 Réponse: Ils m'ont demandé de faire une déclaration. Il n'était pas clair,

25 à l'époque, quel était l'objectif ou le but de cette déclaration, donc une

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1 déclaration concernant les faits dont j'avais été témoin au Kosovo.

2 Question: En d'autres termes, vous l'avez donnée à New York, cette

3 déclaration, n'est-ce pas?

4 Réponse: C'est exact.

5 Question: A qui avez-vous donné ces deux déclarations? Excusez-moi, si

6 vous voulez répéter, s'il vous plaît?

7 Réponse: Tim Kelly.

8 Question: Il était seul au moment où vous avez donné la déclaration?

9 Réponse: Oui, c'est exact; il y avait deux enquêteurs qui sont venus à New

10 York, Tim Kelly a consigné ma déclaration et Dennis Milner a consigné la

11 déclaration de mon collègue Peter Bouckaert.

12 Question: Pourriez-vous dire là, maintenant, à la Chambre, ce n'est pas

13 une question tout à fait directe, mais elle a du poids et de l'importance:

14 pourquoi avez-vous considéré qu'il était indispensable de donner votre

15 déclaration en vertu d'un règlement qui passe sous silence les noms de

16 toutes les sources qui servaient de fondement à vous pour donner la

17 déclaration?

18 Réponse: Si je vous comprends bien, vous parlez de ce qui a été expurgé

19 dans cette déclaration initiale? Ces expurgations aujourd'hui ont été

20 supprimées?

21 Question: Oui, c'est ce que je vous demande.

22 Réponse: L'explication est toute simple, en fait. Lorsque j'ai mené ces

23 entretiens en 1998, certains individus avaient demandé de pouvoir rester

24 anonyme. Ils nous ont demandé de ne pas publier leur nom dans nos

25 rapports, de ne pas rendre public leur nom. Pourquoi? Parce qu'ils avaient

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1 peur des représailles. Une peur qui, à mon avis, n'était pas injustifiée.

2 Donc cette peur était fondée.

3 Certaines personnes interviewées ont donc demandé à pouvoir rester

4 anonyme. Lorsque j'ai fait cette déclaration pour M. Kelly, j'ai énoncé

5 les noms de certaines personnes qui avaient demandé cet anonymat. Avec du

6 recul, je me rends compte que je n'aurais jamais dû donner ces noms. Mais

7 quand je me suis rendu compte que ces noms figuraient dans la déclaration,

8 nous avons demandé que ces noms -je crois qu'il s'agissait de quatre noms-

9 soient expurgés afin que nous assurions le respect de l'accord passé avec

10 ces témoins.

11 La confiance qui règne entre la personne qui conduit l'entretien et la

12 personne à laquelle on pose des questions, cette relation de confiance est

13 primordiale. Et même si je pense que ces quatre personnes seraient

14 aujourd'hui disposées à révéler leur nom, parce que leur peur n'est plus

15 la même, j'ai quand même dû respecter l'accord que nous avions, l'accord

16 auquel nous étions parvenus en 1998.

17 Mais en fin de compte, nous sommes entrés en contact avec ces quatre

18 personnes et nous leur avons demandé si cela les dérangeait que leur nom

19 figure dans la déclaration. Les quatre ont donné leur accord.

20 Question: Non, ce n'est pas indispensable d'argumenter davantage.

21 Est-ce que vous pouvez nous dire à quel moment vous avez posé cette

22 question à ces quatre personnes?

23 Réponse: Cela s'est passé mercredi de la semaine passée.

24 Question: Par conséquent, au cours des trois ans qui viennent de passer,

25 ce n'était pas contestable; ce n'est que la semaine dernière que vous avez

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1 mis au clair cette question?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Vous étiez boursier de la Fondation Soros, n'est-ce pas?

4 Réponse: Oui. J'ai reçu une bourse pour un projet individuel, donc pour

5 une période de 18 mois afin de pouvoir écrire mon livre.

6 Question: Comment avez-vous pu obtenir cette bourse, il s'agissait de la

7 Fondation Soros?

8 Réponse: Il y a une procédure de requêtes, de demandes.

9 Question: Avez-vous signé un accord ou je ne sais pas, un contrat?

10 Réponse: Oui, j'ai signé un contrat une fois que l'on m'avait accordé

11 cette bourse.

12 Question: Est-ce que le statut du boursier, vu le contrat que vous avez

13 signé, sous-entendait également quelques obligations de votre part et ceci

14 en ce qui concerne vos activités à l'avenir?

15 Réponse: L'obligation consiste à utiliser les fonds donnés par cette

16 organisation pour mener à bien le projet pour lequel ces fonds ont été

17 accordés.

18 Question: Et vous avez obtenu des fonds pour quel projet, s'il vous plaît?

19 Réponse: Il s'agissait d'écrire un livre, un historique du point de vu

20 d'un journaliste sur la transition de l'Albanie, du communisme vers un

21 autre système.

22 Question: Si je comprends bien, vous avez dit lors de l'interrogatoire

23 principal que vous êtes en train de travailler sur ce livre. Il s'agit par

24 conséquent d'un livre intitulé: "La transition de l'Albanie du communisme

25 vers l'autre régime."?

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1 Réponse: C'est tout à fait exact, je continue de travailler sur ce livre.

2 Question: Est-il vrai de dire que la fondation Soros est un des financiers

3 de cette institution?

4 Réponse: Vous parlez du Tribunal?

5 Question: Oui.

6 Réponse: D'après ce que je sais, cette organisation n'a pas financé le

7 Tribunal, mais je pourrais me tromper.

8 Question: Et Soros, d'après vous, ne finance pas ce Tribunal?

9 Réponse: D'après ce que je sais, je dirai non.

10 Question: Entendu, merci. Dites-moi pourquoi le gouvernement à Tirana a

11 supprimé votre journal indépendant, journal étudiant, dès le premier

12 numéro?

13 Réponse: Notre projet en Albanie consistait à aider les étudiants en

14 journalisme à rédiger, publier un journal des étudiants. Ce journal a été

15 publié. Il s'appelait "Reporteri" et, quatre jours après sa publication

16 initiale, le gouvernement de Sari Berisha a décidé d'ordonner la fermeture

17 de ce journal pour un certain nombre de raisons que je pourrais expliquer,

18 si c'est nécessaire.

19 Question: Est-ce que vous savez, quel est le budget de Human Rights Watch

20 en 1998/1999, et je parle uniquement du Kosovo, de Macédoine et de

21 l'Albanie?

22 Réponse: C'est difficile à dire, le budget intégral de Human Rights Watch

23 est publié dans le rapport annuel, chaque année. Je crois qu'il y a une

24 ventilation selon différents secteurs ou différentes régions; par exemple,

25 Europe et Asie centrale, département pour lequel je travaillais.

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1 Quant au financement exact pour le Kosovo et la Macédoine, je devrais

2 vérifier cela auprès de mes collègues parce que l'équipe de recherche dont

3 je faisais partie était distincte de la structure administrative ou, en

4 tout cas, des personnes chargées de récolter des fonds. Il y avait donc

5 des personnes qui récoltaient des fonds et nous dépensions ces fonds.

6 Question: Vous n'avez aucune idée, même pas très générale, en ce qui

7 concerne le budget et le volume de ce budget qui a été mis à la

8 disposition de Human Rights Watch?

9 Réponse: Très sincèrement, je ne suis pas disposé à faire une telle

10 estimation parce que je n'en sais rien. Je veux bien vérifier. C'est un

11 chiffre que l'on peut certainement obtenir; mais moi-même je n'ai pas ce

12 chiffre en tête.

13 Question: Savez-vous qui finance Human Rights Watch?

14 Réponse: De façon générale, oui.

15 Pour l'essentiel, il y a trois sources de financement. D'une part, les

16 dons, les donations de personnes qui sont aisées et qui se préoccupe de

17 ces choses. Il y a, d'autre part, comme source de financement des

18 fondations qui sont énumérées dans le rapport annuel telles que les

19 fondations Ford et McArthur, la fondation Soros aussi. Et puis, notre

20 troisième source de financement, c'est justement les activités destinées à

21 récolter des fonds tels qu'un festival de films, un grand dîner annuel,

22 d'autres événements ou manifestations de ce type. Tout financement qui

23 dépasse 5.000 dollars est énoncé dans le rapport annuel; il s'agit donc de

24 documents publics.

25 Et puis, j'aimerais vous préciser deux choses brièvement en ce qui

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1 concerne le financement. D'une part, nous n'acceptons aucun fonds

2 provenant du gouvernement. Par ailleurs, nous n'acceptons pas non plus

3 d'argent venant d'organisation quasi gouvernementale. Par cela, j'entends

4 une organisation telle que la National Indictment pour la Démocratie, qui

5 est en fait financé par le Congrès des Etats-Unis, en quelque sorte

6 Fondation Nationale pour la Démocratie. Ou alors des fondations en

7 Allemagne: par exemple, Konrad Adenauer, Friedrich Ebert; des fondations

8 qui ont des liens avec les partis politiques.

9 En dernier lieu, je tiens à préciser que le financement n'a aucun impact

10 sur nos conclusions, sur les résultats de nos recherches.

11 Il y a une très grande différence, un très grand écart entre ces deux

12 choses. Les donateurs nous donnent de l'argent, mais n'ont pas la moindre

13 influence, ils n'ont pas un mot à dire en ce qui concerne nos conclusions

14 ou la manière dont nous présentons nos recherches/. Donc il y a une

15 distinction importante entre les deux.

16 Question: Vous voulez dire qu'il y a des gens ou des institutions qui

17 financent quelque chose et qu'ils n'ont aucun mot à dire?

18 Réponse: Il est important de distinguer entre l'intérêt que l'on porte à

19 quelque chose et l'influence que l'on exerce. Il est évident que ceux qui

20 nous appuient, qu'il s'agisse de fondations ou de particuliers, sont

21 préoccupés par les questions concernant les Droits de l'homme et estiment

22 qu'il est primordial ou important que Human Rights Watch puisse mener à

23 bien ces recherches et ces enquêtes. Mais ces donateurs n'ont aucune

24 influence, aucun impact sur nos conclusions ou la manière dont nous les

25 présentons.

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1 Question: Par conséquent, votre premier contact que vous avez réalisé avec

2 le représentant du Bureau du Procureur, vous l'avez eu à New York, le 8

3 mars 1999, et, beaucoup plus tard, vous avez signé un contrat et vous avez

4 commencé à travailler pour le Bureau du Procureur. Qui vous a proposé de

5 travailler pour le Procureur?

6 Réponse: Je ne m'en souviens pas précisément, mais j'ai certainement eu

7 des contacts avec Dennis Milner après sa visite à New York. Ah! Voilà,

8 cela me revient. Je me souviens, j'avais aussi été en contact avec

9 d'autres personnes travaillant pour le Bureau du Procureur, qui m'avaient

10 demandé si cela m'intéresserait de travailler pour leur Bureau. L'idée

11 était que je pourrais aider ce Bureau du Procureur sur la base de mes

12 connaissances du Kosovo et de ces questions.

13 Question: Je comprends cela, mais je n'ai pas compris qui, en personne,

14 vous a convoqué pour cette coopération de l'autre côté, en face de moi?

15 Réponse: Officiellement, j'étais en contact, en relation avec les

16 personnes de l'administration qui m'ont envoyé un formulaire à remplir. Je

17 crois que c'était le P11 si je ne m'abuse. J'ai donc dû remplir une

18 demande formelle; j'ai suivi la procédure ordinaire.

19 Mais, de façon spécifique, qui m'a demandé si cela m'intéresserait, je ne

20 m'en souviens pas avec précision. Je sais que j'étais en relation avec

21 Clint Williamson, qui travaillait au Bureau du Procureur avec Ivana Nisic

22 qui, elle aussi, y travaillait. Et si je me souviens bien, c'est surtout

23 avec ces deux personnes que j'ai eu les discussions concernant le travail

24 que je pourrais effectuer, pendant quelle période et ainsi de suite.

25 M. Milosevic (interprétation): Est-il vrai de dire que, dans votre article

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1 qui a été au "Herald Tribune" le 5 août 1998, c'était déjà à cette époque-

2 là, par conséquent deux mois avant que Holbrooke se soit rendu sur place

3 et avant qu'on ait mis en place également la Mission de vérification, vous

4 avez dit -je cite-: "La première priorité de la politique américaine

5 devrait être l'Acte d'accusation contre Milosevic. Et si on se demande

6 s'il y a un lien direct entre les crimes commis en Bosnie en Croatie et

7 Milosevic, en revanche la chaîne de commandement yougoslave démontre sa

8 responsabilité très clairement pour le Kosovo. Et ceci en ressort

9 clairement selon le mandat du Tribunal". (Fin de citation.)

10 Est-ce que c'est une des phrases que vous avez prononcées et qui

11 préjugent, en quelque sorte de manière visionnaire, si je peux m'exprimer

12 ainsi, les démarches qui ont été entreprises par la suite par les hommes

13 politiques des Etats-Unis à l'égard de la Yougoslavie? C'était le mois

14 d'août 1998, et c'est de cette période que je parle, j'insiste.

15 M. Abrahams (interprétation): Tout d'abord, il faudrait tout de même que

16 je voie le texte pour vérifier que cette citation est bien exacte. Mais je

17 crois bien, oui, je sais que j'ai exprimé, de façon générale, ce

18 sentiment.

19 Quant à savoir si cela s'est passé ou non, eh bien, nous savons tous que

20 oui, cela est advenu.

21 M. Nice (interprétation): J'ai ici l'original. La première priorité…

22 M. Milosevic (interprétation): Donc pour ceux qui se demandent s'il peut

23 être directement lié aux crimes en Bosnie et en Croatie, il suffit de voir

24 la chaîne de commandement en Yougoslavie qui ne laisse aucun doute quant à

25 sa responsabilité pour les crimes commis contre la communauté au Kosovo;

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1 cela tombe manifestement dans le mandat du Tribunal international.

2 M. Milosevic (interprétation): Il s'agit du 5 août 1998.

3 M. le Président (interprétation): Veuillez soumettre cet article au

4 témoin.

5 (Intervention de l'huissier.)

6 M. Milosevic (interprétation): C'est donc au bas de la deuxième page.

7 M. Abrahams (interprétation): Oui, cela paraît tout à fait correspondre à

8 la réalité, cela paraît fidèle.

9 M. le Président (interprétation): Monsieur Abrahams, est-ce que vous

10 auriez d'autres remarques à ce propos? Est-ce que cela a le moindre impact

11 concernant votre témoignage devant cette Chambre?

12 M. Abrahams (interprétation): Je ne crois pas, Monsieur le Président. Nous

13 avons appelé de nos vœux la responsabilité, le fait que l'on rende des

14 comptes et le soutien que nous apportons à ce Tribunal en tant

15 qu'institution entre tout à fait dans le cadre de notre mandat qui est de

16 favoriser la justice.

17 M. Robinson (interprétation): Monsieur Milosevic, quelle est la question

18 que vous souhaitez exactement poser au témoin sur la base des opinions

19 qu'il a exprimées en 1998?

20 M. Milosevic (interprétation): Mais pour moi, je ne sais pas comment

21 m'exprimer, il me semble que c'est un peu trop visionnaire de la part du

22 témoin par rapport aux événements qui se sont déroulés beaucoup plus tard;

23 c'est le mois d'août 1998, en août 1998, c'est très difficile que

24 quelqu'un aurait pu me mettre en contact avec des Actes d'accusation. Vous

25 savez que c'est en octobre 1998, d'abord, qu'on a mis en place la

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1 commission de vérification, qu'il y avait ensuite Rambouillet également;

2 ensuite, il y a eu l'OTAN qui a commis une agression. Donc, par

3 conséquent, il s'agit d'un appareil qui développait ses activités en

4 préparant les crimes contre mon pays. Pour moi, c'est clair, si ce n'est

5 pas clair pour vous.

6 M. le Président (interprétation): Permettez au témoin d'évoquer cela.

7 Monsieur Abrahams, vous avez bien entendu ce qui a été ici suggéré?

8 M. Abrahams (interprétation): Je rejette vigoureusement l'allégation selon

9 laquelle personne n'évoquait des inculpations ou des actes d'accusation.

10 En août 1998, Human Rights Watch, sans aucun doute, évoquait de telles

11 inculpations, ainsi que d'autres organisations se consacrant aux Droits de

12 l'homme.

13 Quant au caractère visionnaire dont vous parlez, le fait que l'Acte

14 d'accusation, que l'arrestation, que le procès ait lieu, cela ne peut pas

15 être attribué à ce que nous avons écrit. Les raisons qui sous-tendent ce

16 procès tiennent aux actes qui ont été commis sur le terrain.

17 M. Milosevic (interprétation): Entendu. Mais cet article, pour le moins

18 qu'on puisse dire, si vous refusez tout le reste, n'est-ce pas que cet

19 article prouve que vous-même ainsi que votre organisation, Soros,

20 Zimmermann, Abramowitz et les autres, vous avez commencé, comme les

21 premiers, à rédiger l'Acte d'accusation contre moi et pour des raisons

22 d'ailleurs qui sont évidentes. Est-ce que c'est exact ou non?

23 M. Abrahams (interprétation): Je pense que cela n'est pas exact, c'est

24 faux. Notre mission est de réunir des preuves, des documents concernant

25 des atteintes, des violations. Nous ne partons pas d'un résultat, de

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1 conclusions prédéterminées, ou nous ne nous fondons pas sur un objectif

2 particulier. Donc nous ne partons pas de la conclusion pour chercher des

3 faits qui permettraient de justifier ces conclusions; nous commençons par

4 faire de la recherche et c'est cela qui nous amène à une conclusion.

5 Donc le fait que nous ayons préconisé une enquête et que nous ayons appelé

6 de nos vœux que justice soit faite, cela s'inscrit tout à fait dans le

7 cadre de notre raison d'être; c'est donc de réunir des preuves, d'assurer

8 le suivi et de faire des rapports sur des violations.

9 M. Milosevic (interprétation): Mais cet article, cette démarche ne dit-

10 elle pas juste le contraire? Vous avez commencé par la fin et ce n'est que

11 par la suite que vous avez commencé à monter toute l'affaire, à rechercher

12 les éléments qui ont abouti au résultat, le résultat que vos chefs avaient

13 en vue?

14 M. le Président (interprétation): Le témoin a déjà répondu à la question.

15 M. Milosevic (interprétation): Laissez-le répondre; c'est un écrivain,

16 c'est un chercheur.

17 M. le Président (interprétation): Il vous a donné une réponse, il a

18 expliqué ce qui s'est passé et il nie cela.

19 M. Milosevic (interprétation): D'accord, d'accord, Monsieur May, c'est

20 entendu.

21 Monsieur Abrahams, ne trouvez-vous pas que ces activités qui furent les

22 vôtres, ces activités très concrètes, et concernant cette poursuite pénale

23 qui est en cours en ce moment, de manière pas légale, illégale, je dirais

24 -mais vous y participez-, ne trouvez-vous pas que cette activité ne vous

25 permet pas de venir témoigner, vu donc le caractère de votre activité?

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1 Vous n'êtes pas témoin oculaire et puis vous n'êtes pas expert.

2 M. le Président (interprétation): L'accusé prétend que vous avez des

3 préconceptions.

4 M. Abrahams (interprétation): Eh bien, je ne sais pas très bien comment

5 répondre à cela, si ce n'est pour dire que je crois que le travail que

6 j'ai effectué pour Human Rights Watch était… J'ai essayé de faire état des

7 violations commises de façon objective, de façon sincère. Quant au fait de

8 savoir si je suis expert ou non, je m'en remets à vous, mais il est

9 certain que j'estime que je suis témoin. Comme je l'ai évoqué au cours de

10 l'interrogatoire principal, j'ai eu l'occasion d'observer de mes propres

11 yeux, de première main donc, certaines des infractions.

12 M. Milosevic (interprétation): Qu'avez-vous vu de vos propres yeux? Est-ce

13 que vous avez vu que quelqu'un a commis un meurtre, de vos propres yeux?

14 M. Abrahams (interprétation): J'ai assisté, en tant que témoin, à la

15 destruction de biens civils, à l'incendie de Plocica; il s'agit d'un

16 exemple. J'ai observé comme témoin du pillage le 29 septembre, près du

17 village de Mleqani. J'ai vu des personnes, des policiers qui emmenaient

18 des cartons, des effets personnels, qui les avaient donc enlevés, ôtés

19 d'une maison privée. J'ai donc vu Gornje Obrinje; je n'ai pas vu moi-même

20 les meurtres, mais j'en ai vu les suites, c'est-à-dire, comme je l'ai

21 évoqué, sept corps dans le ravin.

22 Et je me souviens aussi que la radio télévision serbe avait montré, dans

23 une séquence d'actualités concernant Gornje Obrinje, les massacres de

24 Gornje Obrinje; ils prétendaient que les corps étaient en fait des

25 poupées. Eh bien, je peux vous dire sans le moindre doute que j'étais

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1 présent dans cette forêt et jamais je ne pourrai jamais oublier l'odeur de

2 ces cadavres que j'ai vus.

3 Question: Vous êtes en train de dire que vous êtes objectif et impartial,

4 alors que nous avez apporté la photographie d'une meule de foin qui était

5 en feu dans une cour d'une maison albanaise, alors que vous n'avez pas

6 ramené avec vous de photographies de nombreuses victimes qui ont été

7 bombardées par l'OTAN ou de massacres qui ont été commis par l'UCK comme à

8 Klecka ou dans d'autres villages, d'autres endroits que vous connaissez,

9 j'en suis sûr. Est-ce que vous pensez que d'un côté, vous avez donc cette

10 meule de foin et la photographie que vous amenez, alors que, de l'autre

11 côté, vous n'apportez aucune photographie qui puisse véritablement être

12 interprétée comme votre impartialité?

13 M. Abrahams (interprétation): Il n'est pas vrai que nous n'ayons aucune

14 photo des crimes commis par l'UCK ou des violations commises par l'OTAN.

15 Les rapports qui ont été présentés aujourd'hui, en fait, comportent tous

16 des photos de ce type. Il est peut-être vrai que ces photos n'ont pas été

17 montrées sur le rétroprojecteur; cela relève des décisions prises par

18 l'accusation.

19 J'ai fourni ce qui semblait être pertinent pour cette affaire, mais je

20 peux très bien parcourir les rapports et vous montrer des photos qui

21 illustrent les violations commises par l'OTAN et l'UCK.

22 Question: Vous dites que vous n'oublierez jamais les impressions de Gornje

23 Obrinje; je comprends parfaitement que toutes ces scènes auxquelles vous

24 avez assisté, ce doit être terrible, horrible. Mais la question que je

25 vous pose: est-ce que vous faites la distinction entre celui qui se défend

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1 du terrorisme contre l'agression d'un pays étranger, d'une force étrangère

2 sur son propre sol, et quelqu'un qui fait une agression sur un Etat

3 indépendant et qui résout ses propres problèmes, alors que c'est un pays

4 qui n'a jamais donné la raison pour de tels actes?

5 Réponse: J'aimerais être très clair sur un point. Human Rights Watch n'a

6 jamais remis en cause le droit de votre gouvernement, ou de tout autre

7 gouvernement, d'affronter une insurrection armée dans le cadre de ses

8 frontières, même en ayant recours à la force armée et aux moyens

9 militaires.

10 La question n'est pas de savoir si vous pouvez, si vous avez le droit

11 d'affronter une telle insurrection, mais bien plutôt comment vous vous y

12 prenez. Et nos moyens de preuve, nos éléments de preuve démontrent, sans

13 le moindre doute, que la police serbe et l'armée yougoslave n'ont pas

14 tenté de réduire au minimum les meurtres des civils, les dommages, les

15 dégâts causés et, dans nombre de cas, les ont pris pour cibles.

16 M. Milosevic (interprétation): Au moment où vous avez fait des recherches

17 en 1998, est-ce qu'à cette époque-là, étant donné que vous avez pu

18 circuler librement, communiquer avec tout le monde, est-ce qu'à ce moment-

19 là vous avez su…

20 Y aurait-il un bruit? Il y a une panne d'installation.

21 M. Abrahams (interprétation): Auriez-vous l'obligeance de répéter la

22 question?

23 M. Milosevic (interprétation): Compte tenu du fait que vous étiez là-bas

24 en 1998 et en 1999… Excusez-moi, la parenthèse…

25 Quelqu'un est en train de se servir d'une machine bruyante.

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1 (Problème technique.)

2 M. le Président (interprétation): Oui, nous allons leur dire d'arrêter

3 cela, mais en attendant…

4 (Problème technique.)

5 M. Milosevic (interprétation): En 1998, je répète, vous étiez sur place.

6 Est-ce qu'à cette époque-là, vous étiez au courant des ordres très précis

7 qui avaient été délivrés? Est-ce que vous saviez qu'il y avait des ordres

8 selon lesquels il ne fallait sûrement pas ouvrir le feu, même pas sur

9 l'UCK, si l'on pouvait mettre en cause les civils? Est-ce que vous l'avez

10 appris, même par la bouche de vos compatriotes qui étaient présents sur

11 les lieux et qui ont participé à de nombreuses activités? Est-ce que vous

12 l'avez appris?

13 M. Abrahams (interprétation): Non, je n'ai pas connaissance d'un tel ordre

14 et je n'ai jamais vu de preuve à cet effet.

15 Question: Etant donné que vous parlez de Gornje Obrinje, est-ce que je

16 vous ai bien entendu -je pense que oui, parce que de toutes façons c'est

17 sur la transcription- que, pour ce qui concerne cet incident très concret

18 que vous avez relaté, que de manière explicite vous avez constaté qu'à cet

19 endroit-là, il y avait des opérations de combat entre la police et l'UCK

20 et que c'était manifeste?

21 Réponse: C'est exact, dans le cadre des combats.

22 Question: Par conséquent, si, à Gornje Obrinje, il y avait des combats

23 entre l'UCK et la police, sur la base de quoi pouvez-vous affirmer qui a

24 tué ces civils? Ils ont été tués peut-être par le feu qui a été ouvert par

25 l'UCK, éventuellement par la police ou d'une façon qui n'est pas

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1 déterminée, mais comment pouvez-vous considérer que c'était de la manière

2 dont ça se passait comme vous le décrivez, étant donné que vous dites

3 qu'il y avait une intention des forces de la police de tuer les civils?

4 Comment, sur quoi basez-vous cette information?

5 Réponse: Pour répondre à cette question, je vous renvoie à ce livre. Bien

6 sûr, je peux bien résumer. Il ne fait aucun doute qu'il y avait des

7 combats. Nous pensons que 14 policiers serbes ont trouvé la mort dans les

8 combats qui ont eu lieu à Gornje Obrinje ou dans les alentours.

9 Nous savons que l'UCK avait une base régionale dans la ville de Likovac et

10 nous savons également que certains habitants du village de Gornje Obrinje

11 faisaient partie de l'UCK. Nous savons aussi que 14 membres de la famille

12 Delijaj, des femmes et des enfants et un homme âgé, je crois qu'il

13 s'appelait Pajazit, nous savons donc que ces 14 membres de la famille se

14 cachaient dans la forêt. Nous le savons parce que nous avons inspecté les

15 lieux. Il y avait une petite tente de fortune avec du matériel de cuisine,

16 où ils avaient trouvé refuge, où ils ont été tués.

17 Et cela nous amène à la question de notre méthodologie. Nous avions

18 interviewé des dizaines de personnes dans les alentours, et c'est en fait

19 notre tâche de déterminer comment ces personnes ont été tuées, en partant

20 du principe qu'il ait été possible qu'ils aient été des combattants,

21 qu'ils aient trouvé la mort dans les combats. Nous devons présumer que

22 cela pourrait être le cas. Nous devons donc rassembler des arguments afin

23 de démontrer que ce n'était pas le cas.

24 Et dans le cadre de nos recherches effectuées en septembre et encore plus

25 tard, en décembre, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il s'agissait de

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1 civils qui s'étaient cachés dans la forêt, qui ont été attaqués,

2 assassinés, je ne sais pas précisément par qui. Une police spéciale? Le

3 PJP? La SAJ des réservistes du MUP? Je n'en sais rien.

4 M. le Président (interprétation): Monsieur Abrahams, nous devons en rester

5 là pour aujourd'hui parce que nous devons libérer le prétoire, la salle

6 d'audience. Cela conclut donc votre réponse à ce sujet.

7 Nous allons reprendre demain matin à 9 heures.

8 Nous avons décidé, Monsieur Milosevic, que vous auriez une heure encore

9 pour en finir avec votre contre-interrogatoire.

10 M. Milosevic (interprétation): Pourquoi une heure? Alors que déjà toute la

11 journée a été pratiquement accordée à l'interrogatoire principal?

12 M. le Président (interprétation): Il a en effet été interrogé par M. Nice.

13 Nous avons pris une décision concernant cet interrogatoire. Si vous

14 disposez d'une heure demain, cela voudra dire que vous auriez en fait 20

15 minutes de plus que le temps dont l'accusation a bénéficié.

16 Mais maintenant, il y a une autre question, Monsieur Nice, que vous

17 aimeriez soulever. Est-ce en séance à huis clos partiel?

18 M. Nice (interprétation): Oui, tout à fait.

19 M. le Président (interprétation): Si cela ne vous dérange pas d'attendre

20 un instant, Monsieur Abrahams.

21 (Huis clos partiel à 13 heures 42.)

22 (expurgée)

23 (expurgée)

24 (expurgée)

25 (expurgée)

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12 Pages 6137 à 6139 – expurgées – audience à huis clos partiel.

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25 (L'audience est levée à 13 heures 49.)