Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 19 octobre 2004

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 02.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, vous avez la parole.

6 M. KAY : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

7 Juges. Notre premier témoin sera Liana Kanelli. Elle est prête à entrer

8 dans le prétoire.

9 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais demander au témoin de

11 prononcer la déclaration solennelle.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

13 vérité, toute la vérité et rien que la vérité avec la grâce de Dieu.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame, veuillez vous asseoir.

15 LE TÉMOIN: LIANA KANELLI [Assermentée]

16 [Le témoin répond par l'interprète]

17 Interrogatoire principal par M. Kay :

18 Q. [interprétation] Madame Kanelli, on vient de vous remettre des écouteurs

19 mais votre anglais est parfait, vous n'en aurez pas besoin.

20 R. Oui, avec l'autorisation des présidents, si c'était possible d'éviter

21 les écouteurs, j'aimerais le faire car j'ai travaillé pour la presse et la

22 télévision pendant de nombreuses années. Je peux les enlever ?

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

24 M. KAY : [interprétation]

25 Q. Vous êtes bien Madame Liana Kanelli ?

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1 R. Oui, mon nom de baptême c'était Garyfalia. Cela veut dire fleur

2 d'œillet ou canelle. Dans mon pays, je suis connue dans toutes les contrés

3 comme étant Liana Kanelli.

4 Q. Votre bagage, vous êtes journaliste ?

5 R. Oui, j'ai 50 ans. J'ai été journaliste toute ma vie. J'ai été choisie

6 comme collaborateur indépendant du Parti communiste en 2000, j'ai été

7 réélue cette année, au mois de mars 2004. Je suis rédacteur-en-chef et je

8 publie un magazine qui s'appelle Nemesis et ceci depuis non pas 1997 mais

9 1998.

10 Q. Vous êtes députée ?

11 R. Oui, au Parlement hellénique.

12 Q. Pour un parti particulier ou êtes-vous indépendante ?

13 R. Je suis indépendante, mais je collabore avec le Parti communiste. C'est

14 une décision politique que j'ai prise après la guerre de Serbie.

15 Q. Quand a été votre première élection au parlement ?

16 R. Le 7 avril 2000.

17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Maître Kay, on vous demande de faire des

18 pauses entre les questions et les réponses.

19 Madame, veuillez parler un peu plus lentement.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. J'ai été élue en avril 2000 en tant que

21 députée indépendant. J'avais pour circonscription celle d'Athènes, et j'ai

22 été élue députée pour le Parti communiste pour la circonscription d'Athènes

23 au Parlement grec qui compte 300 sièges. Cette année, j'ai été réélue après

24 un mandat de quatre ans. Ce n'était pas des élections anticipées, les

25 élections se sont déroulées normalement en avril 2004 et j'ai conservé mon

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1 siège pour ce parti.

2 M. KAY : [interprétation]

3 Q. On est en train d'interpréter vos propres réponses.

4 R. Oui, je vais essayer d'aider les interprètes et je vais ralentir. J'ai

5 été moi-même interprète. Je connais les difficultés.

6 Q. J'attends que les interprétations soient terminées dans plusieurs

7 langues avant de vous poser la question.

8 R. D'accord.

9 Q. Vous êtes membre du comité spécial permanent concernant les

10 institutions et la transparence, et vous êtes vice-présidente de ce comité,

11 n'est-ce pas ?

12 R. Oui.

13 Q. Vous êtes membre du Comité permanent de la Défense des Affaires

14 étrangères.

15 R. Oui.

16 Q. Vous êtes responsable de la publication de votre magazine Nemesis ?

17 R. Oui.

18 Q. En vertu des règles qui s'appliquent dans votre parlement, les

19 journalistes ne sont pas des parlementaires, ne sont pas députés.

20 R. Non. Ils peuvent être des députés, mais ils ne peuvent pas travailler

21 ou être rémunérés en tant que journalistes. Libres à eux d'écrire des

22 articles ou d'exprimer leurs avis, libres à eux d'être propriétaires

23 d'actions dans différentes entreprises, mais ils ne sont pas autorisés à

24 être des journalistes de métiers professionnels. Je ne peux pas travailler

25 à la télévision ni à la radio, ni pour quelques médias que ce soit, presse

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1 écrite ou autre.

2 Q. De par le passé, vous avez effectué plusieurs visites en ex-

3 Yougoslavie. Inutile d'en donner les détails, mais est-ce que c'est exact

4 si on veut ici brosser le tableau de vos activités ?

5 R. Oui. Je suis allée en Yougoslavie, c'était encore la Yougoslavie à

6 l'époque, et j'ai effectué des visites dans ce qu'on appelle aujourd'hui

7 l'ex-Yougoslavie, en Serbie, au Monténégro, c'est comme cela qu'on appelle

8 ces régions aujourd'hui.

9 Avec votre permission, j'ajouterais ceci. La première fois que j'ai été en

10 ex-Yougoslavie, c'était il y a à peu près 25 ans. En tant que journaliste,

11 j'ai pu aller pratiquement partout dans le pays, du nord au sud, de l'est à

12 l'ouest.

13 Q. Nous parlons toujours de votre parcours professionnel. Au moment de la

14 dissolution de l'ex-Yougoslavie, vous qui étiez journaliste, vous étiez

15 préoccupée de la question et vous avez écrit à ce propos, vous avez parlé

16 des rapports existants entre cette région et le gouvernement grec.

17 R. Aucun citoyen du monde ne pouvait rester indifférent devant de ce qui

18 se passait dans les Balkans. Dans mon pays, il y a une blague sarcastique

19 mais très fière lorsqu'on parle de la Grèce. On dit : "Ce n'est pas ici que

20 la Grèce, ce sont aussi les Balkans." Pour un journaliste grec, un homme

21 politique grec, un monsieur tout le monde grec, ce qui se passe chez nos

22 voisins, dans notre voisinage, à nos frontières, en Albanie où vivent 500

23 000 grecs, en Bulgarie, en Roumanie, dans ce qui était la République de

24 Macédoine, tout ce qui s'y passait nous intéressait, nous préoccupait

25 vivement. Je peux vous dire que nous étions dans un état d'agonie après la

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1 démolition d'un pays ami. Chaque camion grec devait passer par la

2 Yougoslavie pour aller au cœur de l'Europe pour assurer la circulation des

3 marchandises. Tout avion civil, à l'époque, la compagnie aérienne grecque

4 était une compagnie qui était propriété de l'état, ces avions, chacun

5 d'entre eux, devait payer des droits pour traverser cet espace aérien.

6 L'intérêt économique et historique, politique et humain était très grand.

7 J'ajouterais à cela qu'il y avait des milliers de familles grecques

8 qui avaient leurs filles, leurs fils dans des universités yougoslaves. On

9 les comptait par milliers. Certains d'entre eux ont été victimes de la

10 guerre et des bombes à l'uranium appauvri qu'ils ont reçues. Nous avons

11 compté beaucoup de morts pour cause de leucémie; trois.

12 Comment voulez-vous qu'un journaliste honnête ne s'intéresse pas à ce

13 qui se passait dans un pays comme la Yougoslavie.

14 Q. Vous avez publié de nombreux articles concernant la destruction de la

15 Yougoslavie. Ils sont antérieurs à la période au cours de laquelle il y a

16 eu les bombardements de l'OTAN avant le mois de mars 1999, n'est-ce pas ?

17 R. Tout à fait exact. J'ai pratiquement prédit ce qui allait se passer. A

18 l'évidence, pour l'opinion publique grecque, contre mon gré quelque part,

19 je me suis avérée experte en la matière. En effet, six mois avant le début

20 des bombardements, ce fut un jeu de hasard parce qu'ils ont commencé un

21 jour avant la fête nationale grecque. Tout le monde se repose, lit les

22 journaux, regarde la télé, se retrouve facilement dans la rue à manifester.

23 En novembre 1998, j'ai publié un article important qui contenait

24 énormément de renseignements que j'avais réunis et qui avait pour titre "Ne

25 touchez pas à la Serbie". Dans cet article, je prédisais ceci : la

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1 collaboration politique des Etats-Unis, des forces de l'OTAN ainsi que

2 l'accord des 15 pays membres de l'Union européenne allaient quelque part.

3 Si Milosevic persistait à refuser le traité de Rambouillet, ces forces

4 allaient démolir le pays, allaient s'efforcer d'intimider la population, de

5 détruire les infrastructures du pays pour ensuite, et c'est quelque chose

6 qui s'est véritablement passé, parce que j'ai oublié de vous le dire, les

7 membres de l'assemblée parlementaire du conseil de l'Europe, j'en suis

8 membre, et je vais aller aux comités différents, notamment de

9 l'environnement. Là, je vais devoir aller devoir quémander de l'argent pour

10 faire renaître un pays européen qui a été dépecé pendant une dizaine

11 d'années. C'était vraiment la phase ultime. Sauf tout le respect que je

12 vous dois, Messieurs les Juges, dans ma pauvre vie, j'ai été témoin de

13 trois guerres, d'un génocide, d'une révolution. J'ai vu la mort de mes

14 propres yeux. C'est par milliers, par milliers que j'ai vu des enfants tués

15 au Rwanda. J'ai 350 photos d'enfants morts, photos que j'ai prises moi-

16 même. Je me suis trouvé en Iraq, en Iran.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Madame.

18 Maître Kay, ici, il ne s'agit pas d'une enquête générale qu'on mène sur la

19 situation en Yougoslavie. Nous devons répondre ici de chefs d'accusation

20 précis. J'aimerais que vous guidiez le témoin pour qu'elle vous parle de

21 questions relatives à ces chefs d'accusation.

22 M. KAY : Oui, j'avais posé -- jeté les bases. Maintenant, je voudrais

23 parler d'une visite.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Puis-je m'adresser à vous, Messieurs les

25 Juges ?

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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Attendez que Maître Kay vous pose

2 les questions.

3 M. KAY : [interprétation]

4 Q. Parlons de la visite que vous avez effectuée en Serbie en 1999. Vous

5 avez posé les bases expliquant l'intérêt que vous avez manifesté à la

6 région. Soyons maintenant plus précis. Parlons de la visite effectuée en

7 Serbie en 1999. Est-il exact de dire que vous avez emprunté une voie

8 sécurisée pour aller en Serbie en 1999 ?

9 R. C'est exact. Il y avait un groupe de journalistes et un

10 europarlementaire qui est aujourd'hui ministre de la Santé dans le pays. Il

11 s'agit de Nikita Kaklamanis. Il était avec un groupe de journalistes pour

12 voir ce qui se passait. Nous voulions voir de nos propres yeux ce qui était

13 en train de se passer. Car au début des bombardements, les renseignements,

14 les informations venaient de ce groupe de reporteurs de l'OTAN. Beaucoup de

15 journalistes voulaient aller sur place, être présents pour récolter eux-

16 mêmes les renseignements qu'ils allaient transmettre en Grèce.

17 J'ai franchi la frontière séparant la Bulgarie de la Serbie. C'est ainsi

18 que je suis entrée dans le pays.

19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez-vous me donner la date de votre

20 visite ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Fin avril 1999, je pense. J'en suis

22 pratiquement sûre. Vous trouverez la date exacte dans mon passeport. Mais

23 je sais que c'était après la Pâques grecque orthodoxe. Cela devait être un

24 mois après le début des bombardements du côté du 24 avril 1999.

25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

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1 M. KAY : [interprétation]

2 Q. Nous savons que les bombardements ont commencé le

3 23 mars 1999. La campagne avait déjà commencé. Quelques semaines, presqu'un

4 mois s'était écoulé. C'est à ce moment-là que vous avez décidé

5 d'accompagner ce groupe ?

6 R. Oui. Cela a provoqué beaucoup d'émoi, de remous dans mon pays. Les gens

7 sortaient dans la rue. Chaque jour, il y avait des manifestations pour dire

8 non à la guerre. Moi, il me fallait, dès lors, être là pour voir cette

9 guerre.

10 Q. J'allais vous poser une question à ce propos. Les gens s'inquiétaient

11 en Grèce de la situation politique qui émergeait en Serbie; est-ce bien

12 vrai ?

13 R. Oui, oui. C'était comme le dernier acte d'une pièce, d'un drame qui a

14 duré dix ans, qui a commencé au début des années 1990. Cela a été la fin

15 d'une décennie sanglante pour ce pays, et pas seulement pour ce pays.

16 Q. L'itinéraire que vous avez emprunté à partir de la Bulgarie jusqu'en

17 Serbie, vous avez passé par un certain village; c'est vrai ?

18 R. Oui. Aleksinac, c'est le nom de ce village. Je peux vous dire tout ce

19 qui j'y ai vu. J'espère que c'est la raison de ma présence ici.

20 Q. Nous avons essayé de voir où se trouve ce village sur les cartes que

21 nous avons déjà versées au dossier. Pourriez-vous indiquer cet endroit à

22 l'intention des Juges, si vous avez sous les yeux une carte générale de la

23 Serbie ?

24 R. Mon cher, mon cher conseil, vous avez mon magazine. Vous pouvez le

25 présenter aux Juges. Vous y trouverez tous les visages, toutes les

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1 photographies. Je ne le peux pas vous dire de façon exacte où se trouve ce

2 village sur la carte, mais j'espère qu'il n'aura pas disparu. Il y avait

3 encore les bâtiments qui étaient debout lorsque je m'y suis trouvée. Il y

4 avait même encore une école. Il n'y a plus que les enfants et les élèves

5 morts qui ne sont plus là. J'essaie de vous aider. C'est dans le sud du

6 pays.

7 Q. Si je vous présente une carte --

8 R. Il se peut qu'ils aient changé le nom du village.

9 Q. Pourriez-vous nous dire de façon générale où est la région ?

10 M. KAY : [interprétation] Il s'agit de la pièce P326, intercalaire 27,

11 carte qui est déjà versée au dossier.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pourrais prendre un des magazines pour vous

13 le montrer.

14 M. KAY : [interprétation] Ceci provient de l'atlas de Times.

15 Inutile de le poser sous le rétroprojecteur, Monsieur l'Huissier.

16 Q. Madame, où se trouve à peu près ce village ? On pourra, à ce moment-là,

17 le placer sous le rétroprojecteur.

18 R. Certains de ces villages, mais cela m'étonne. Enfin, M. Milosevic est

19 ici. Il connaît son pays, il pourrait nous dire où se trouve ce village.

20 J'espère qu'il n'est pas privé de ce droit, qui consisterait à montrer un

21 village sur une carte. Ce village s'appelle Aleksinac. Je ne le vois pas

22 maintenant, sur cette carte. Je ne sais pas. Vous savez, je ne suis pas

23 militaire. Je ne sais pas comment lire une carte.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Poursuivez, Maître Kay. Je ne pense

25 pas que ce soit très utile.

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] J'espère que personne ne doute de ma parole,

2 par le simple fait que je ne trouve pas ce village sur la carte.

3 M. KAY : [interprétation]

4 Q. Qu'avez-vous vu à votre arrivée à Aleksinac ?

5 R. J'y suis arrivée. Le silence régnait. Il n'y avait qu'un cri humain

6 terrible vers le milieu du village. Là, on voyait des maisons démolies. Il

7 y avait un trou énorme manifestement provoqué par un obus, une bombe. Il y

8 avait un homme qui devait avoir 40 à

9 45 ans. Il creusait. On a dû grimper. Le sol était noir. L'odeur était

10 répugnante. C'est une odeur de kérosène. Cet homme, il creusait en silence.

11 M. KAY : [interprétation] Monsieur Nice.

12 M. NICE : [interprétation] Je répugnais à intervenir et à m'opposer à la

13 déposition. Je ne veux pas ici écarter quoi que ce soit susceptible d'aider

14 la Chambre. Je pense que ce témoin va parler de quelque chose consécutif au

15 bombardement de l'OTAN en Serbie. Si vous pensez que c'est utile, je ne

16 m'opposerai pas. Mais cette déposition nécessite un certain temps, occupe

17 le dossier. Il faudrait peut-être se demander auparavant, avant de le

18 terminer, quelle est sa pertinence.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay.

20 M. KAY : [interprétation] L'accusé a très souvent affirmé et évoqué comme

21 moyen de défense face à cet acte d'accusation, que c'était un acte de

22 légitime défense de la part de son état face à l'agression de puissances

23 étrangères, dont l'OTAN. Il a affirmé que la destruction de la Yougoslavie

24 avait été organisée par des puissances étrangères à leurs propres fins, et

25 que ces mêmes ambitions, ils les avaient à l'égard de la Yougoslavie, ces

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1 ambitions qu'ils avaient envers la Serbie lorsqu'il s'est agit du Kosovo.

2 Il a dit dans sa déclaration liminaire, il l'a souvent dit lors des contre-

3 interrogatoires, si la présente déposition montre ceci, montre que des

4 institutions, des bâtiments civils ont été bombardés par l'OTAN, par des

5 puissances étrangères composant l'OTAN, et si ceci va dans le sens à ce que

6 M. Milosevic disait devant vous, à savoir que l'agression, elle est venue

7 de l'extérieur de son pays, et que lui en tant que chef d'état, il a dû se

8 trouver face à un dilemme. Il devait assurer la sécurité de son pays.

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. C'est donc pertinent. Vous

10 pouvez procéder.

11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, oui.

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Sur cette partie de la carte, on ne trouve pas

14 Aleksinac, qui est un tout petit village minier au sud de la Serbie alors

15 que cette portion de la carte montre le territoire qui se termine à peu

16 près à Kragujevac.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, à la fin de

18 l'interrogatoire principal, je vous donnerai l'occasion d'expliquer ceci

19 par le truchement du témoin.

20 M. KAY : [interprétation]

21 Q. Oui, Madame Kanelli. Aleksinac, ce village que vous avez visité, vous

22 avez pu constater de vos propres yeux que ce village avait subi un

23 bombardement dû à un avion de l'OTAN, n'est-ce pas ?

24 R. Oui, c'est ce que l'OTAN qualifie la plupart de temps de dommages

25 collatéraux.

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1 Q. Je me permets de vous arrêter.

2 R. Cet homme qui était en train de creuser le sol, a soudain mis un

3 morceau de viande devant mes pieds. Lorsque je lui ai demandé ce que

4 c'était, il m'a répondu, en tout cas, un interprète a essayé de traduire ce

5 qu'il me disait. Ce qu'il m'a dit, c'est : "Ceci est sans doute un morceau

6 d'épaule humaine."

7 Q. Cet homme, était-il un civil ?

8 R. Absolument.

9 Q. Avez-vous vu des bâtiments détruits à Aleksinac ?

10 R. Oui. Je suis entrée dans la chambre à coucher d'une petite fille de 13

11 ans qui a été tuée alors qu'elle étudiait ses leçons de physique. J'ai

12 demandé aux gens qui se trouvaient là s'ils m'autorisaient à prendre un des

13 livres de cette petite fille. Un morceau de ce qu'il restait de cette

14 petite chambre à coucher, pas pour que cela serve de preuve, mais pour que

15 cela soit un souvenir humain de ce que peuvent être des dommages

16 collatéraux, parce que ces gens-là n'ont même pas vu l'ennemi; ils étaient

17 en train de dormir. La bombe a simplement glissé entre les doigts de la

18 paix pour s'abattre sur eux.

19 Q. Pouvez-vous décrire le genre de bâtiments que vous vus, qui ont subi

20 les dommages dus à cette bombe ? Pouvez-vous décrire ces bâtiments ?

21 R. A Aleksinac, il n'y avait que des maisons, rien d'autre. C'est un tout

22 petit bourg qui n'a absolument aucune importance. C'est un petit bourg

23 oublié au cœur de nulle part, quelque part en Europe, quelque part au sud

24 de la Serbie. C'est un accident que personne ne pourra jamais expliqué.

25 Autour d'Aleksinac, la seule chose que l'on pouvait voir, c'était des

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1 tracteurs, des champs, des maisons, des maisons de briques apparentes qui

2 n'étaient même pas peintes. Rien d'autre.

3 Ce que j'ai vécu ensuite, c'est la visite d'une usine non loin de Belgrade.

4 Q. J'aimerais m'en tenir à ce dont nous sommes en train de parler en ce

5 moment; c'est important.

6 R. Oui, oui.

7 Q. Tout ce que vous avez à dire et qui est pertinent dans la présente

8 affaire est soumis aux Juges.

9 Avez-vous vu des installations militaires à Aleksinac ?

10 R. Pas la moindre. Tous les journalistes présents, d'ailleurs nous en

11 avons discuté, étaient plongés dans l'étonnement le plus complet. En effet,

12 on était en train de bombarder la Yougoslavie et la Serbie. J'avais franchi

13 la frontière en provenance de la Grèce pour entrer en Bulgarie, ensuite, de

14 Bulgarie pour entrer en Yougoslavie. J'ai fini par arriver à Belgrade, et

15 la seule force militaire, si je puis m'exprimer ainsi, et je mets ces

16 termes entre guillemets, la seule force militaire que j'ai vue de mes yeux,

17 c'étaient deux ou trois très anciennes voitures de police dans laquelle se

18 trouvaient des policiers assez âgés qui, sans doute, avaient dépassé l'âge

19 de la retraite, et qui avaient sans doute avaient été recrutés parce qu'ils

20 avaient proposé leurs services. Ils se sont arrêtés deux fois parce que

21 nous étions à quelques kilomètres, et il y avait des bombardements qui

22 étaient en train de se produire. Ils nous ont dit : "Vous devez vous

23 arrêter ici, ensuite, vous pourrez continuer." Nous nous demandions tous où

24 étaient les soldats. Pourquoi est-ce que les soldats ne faisaient rien. Je

25 veux dire, il paraît tout à fait normal de s'attendre à ce que des

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1 installations militaires soient protégées par des soldats qui entrent et

2 sortent de ces installations.

3 Q. Puis-je vous interrompre ?

4 R. Oui.

5 Q. J'aimerais que vous décriviez, si vous le pouvez, le nombre de

6 bâtiments d'Aleksinac qui avaient subi des dommages en raison de ce

7 bombardement.

8 R. Il y avait un grand bâtiment de trois étages, ce que l'on appelait un

9 foyer d'ouvriers, un foyer de travailleurs, qui contenait des appartements.

10 De mémoire, je cherche à me remémorer la situation, trois quarts de ces

11 bâtiments, sept ou huit maisons de trois étages, autrement dit, au total à

12 peu près neuf appartements se trouvaient là dont sept avaient été détruits,

13 et deux seulement étaient encore debout. En tout cas, quelques murs étaient

14 debout.

15 Les bombes sont tombées au milieu de cette espèce de cité. Deux

16 bombes ont touché Aleksinac. C'est ce que la population a constaté. On

17 voyait d'ailleurs les trous, les cratères dus à ces bombes. Il était

18 impossible de nier le fait que deux bombes avaient touché le village. L'une

19 avait atteint la place centrale, la grande place du village. Puis, il y

20 avait ces bâtiments qui se trouvaient à 500 ou 600 mètres et qui ont été

21 détruits par cette bombe.

22 Q. Vous avez, dans votre magazine Nemesis publié un article où l'on voit

23 des photographies prises pendant votre visite, n'est-ce

24 pas ?

25 R. Oui.

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1 Q. Ce magazine, vous me l'avez remis hier soir, n'est-ce pas ?

2 R. Oui.

3 M. KAY : [interprétation] Monsieur le Président, je pense qu'il serait bon

4 de placer cet article sur le rétroprojecteur de façon à ce que l'on voit

5 les photographies qui sont en couleur, mais que nous n'avons pas pu

6 reproduire.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Maître Kay.

8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Maître Kay, est-ce que vous avez la

9 carte ?

10 M. KAY : [interprétation] Non.

11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous aimerions voir les cartes.

12 Aleksinac se trouve-il près du Kosovo ou au Kosovo ?

13 M. KAY : [interprétation] Non, c'est en Serbie.

14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] En Serbie. Pendant la pause, j'aimerais

15 que nous puissions voir la carte d'un peu plus près.

16 M. KAY : [interprétation] Nous avons cherché sur l'ordinateur grâce à

17 Google --

18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ou bien l'Accusation peut-être pourrait

19 nous donner la carte.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, pourrait nous

21 aider sur ce point.

22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Ceci n'est qu'une portion de la carte. Il n'y a

23 pas Aleksinac sur cette portion de la carte. Si vous me remettez la carte,

24 je peux vous indiquer où se trouve Aleksinac, mais sur cette portion de la

25 carte, on ne voit pas le village d'Aleksinac. Sur cette portion de la

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1 carte, on voit Belgrade, le nord de Belgrade, mais Aleksinac est beaucoup

2 plus loin au sud.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous essaierons de nous procurer la

4 carte qui convient.

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

6 M. KAY : [interprétation] Cette carte a été remise en toute bonne foi pour

7 aider le témoin, et manifestement, ce n'est pas la carte qui convient.

8 Q. Madame, si vous regardez la photographie qui se trouve sur le

9 rétroprojecteur, pourriez-vous nous dire si sur la gauche de la

10 photographie, vous voyez un insert, n'est-ce pas ?

11 R. Oui. Il y a plusieurs photographies. Il faut bien prouver qu'on est

12 allé sur place.

13 Q. Mais Madame Kanelli, il n'est pas contesté que vous vous êtes rendue

14 sur place, n'est-ce pas ?

15 R. Non. J'ai été sarcastique, Monsieur, comme le sont très souvent les

16 journalistes qui fréquentent les champs de bataille.

17 Q. Le bâtiment qui est le sujet principal de cette photographie, pouvez-

18 vous nous dire ce qu'il est exactement ?

19 R. C'est l'un des bâtiments qui abrite des gens qui vivent à l'intérieur.

20 Voyez-vous, je ne sais rien de plus. Ce n'était pas un bâtiment officiel.

21 Nous ne sommes pas ici dans un quartier résidentiel, et vous voyez en bas

22 de la photographie les mots "La guerre commence maintenant." "La guerre

23 commence maintenant," c'est ce qui est écrit en toutes lettres.

24 Q. J'aimerais maintenant que vous passiez aux pages suivantes du magazine

25 où l'on voit d'autres photographies d'Aleksinac. M. l'Huissier, pourriez-

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1 vous déplacer le magazine pour que l'on voit la première page.

2 R. Vous voyez la photographie du haut. En grec, on lit le nom "Aleksinac"

3 et puis un autre mot grec qui signifie mission. Cela signifie que les gens

4 qui sont là ont été envoyés sur place pour voir quelque chose de précis.

5 Vous voyez ce que je veux dire ? Ce que l'on voit, ce sont des maisons. Des

6 maisons où vivent des gens comme vous et moi, des habitants d'Aleksinac. Il

7 n'y a pas de casernes, il n'y a rien de ce genre. Dans le secteur, il n'y a

8 rien qui peut être considéré comme cible militaire, rien qui peut être

9 considéré comme autre chose qu'une cible civile.

10 Q. J'aimerais que nous regardions les autres photographies de la page, et

11 vous ferez les observations que vous souhaitez faire. Est-ce nous sommes

12 bien toujours dans la même série d'immeubles --

13 R. Oui.

14 Q. Les immeubles que l'on voyait à l'arrière-plan de la photographie

15 précédente ?

16 R. Oui.

17 Q. Est-ce que ce sont les bâtiments qui se trouvent autour de la place

18 dont vous avez parlé tout à l'heure ?

19 R. Je vous demanderais de me permettre d'expliquer cette horrible

20 expérience que l'on fait lorsqu'on se trouve en plein milieu d'une guerre.

21 Si vous regardez ces bâtiments, la façon dont ils ont été détruits, vous ne

22 pouvez pas imaginer ce que sont les conséquences d'une explosion à la bombe

23 sur le terrain ou à l'intérieur des bâtiments. On ne peut faire d'autres

24 contestations que le fait que c'est un missile ou quelque chose, une arme

25 destinée à partir du sol pour frapper le sol, qui a frappé ces bâtiments.

Page 33109

1 Manifestement, lorsqu'on est à l'intérieur de ces bâtiments, lorsqu'on se

2 trouvait à l'intérieur de ces ruines, on se sentait en danger parce que la

3 chose s'était produite la nuit d'avant. Il y avait encore des débris qui

4 tombaient un peu partout, et croyez-moi, il faisait chaud, très chaud. On

5 respirait la chaleur. Il est tout à fait manifeste que ceci est dû à

6 quelque chose qui est tombé du ciel.

7 Q. Pouvons-nous maintenant regarder l'autre photographie --

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Kay, ceci n'était pas une

9 réponse à votre question. J'aimerais beaucoup entendre la réponse à la

10 question que vous avez posée qui consistait à demander au témoin

11 d'identifier les bâtiments à notre intention, car, réellement, ceci est le

12 point le plus important que nous essayons d'avérer, je pense.

13 M. KAY : [interprétation] Oui.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Pourriez-vous répéter la question ou la

15 reformuler ? Je suis désolée, je ne l'avais pas comprise.

16 M. KAY : [interprétation]

17 Q. Les photographies qui se trouvent sur cette partie de la page, nous

18 voyons ici des immeubles résidentiels --

19 R. Oui.

20 Q. -- que vous avez déjà décrits et qui se trouvaient sur la photo

21 générale en arrière-plan. Est-ce que ce sont bien les bâtiments qui

22 entouraient la place dont vous avez parlé tout à l'heure, ces bâtiments

23 d'habitation ?

24 R. Ce sont les mêmes bâtiments pris sous un angle différent.

25 Q. Oui ?

Page 33110

1 R. Sous un angle différent. D'en bas, de droite à gauche, un peu plus près

2 à une distance différente.

3 Q. Pourrions-nous demander à M. l'Huissier de relever un peu la page sur

4 l'écran ?

5 R. Ecoutez, je ne suis pas professionnelle --

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non, mais il y a deux bâtiments sur

7 cette photographie juste en dessous de votre doigt.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il y a un grand immeuble. C'est celui

10 qui est sur la gauche, n'est-ce pas ?

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Ici. Je suis en train de vous le montrer sur

12 cette photographie.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non. Mais --

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cette photographie ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est le quartier où se trouvaient les

17 bâtiments.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est un quartier résidentiel ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, résidentiel. Il y a des maisons à toute

20 petite distance. On ne voit pas tout dans cette photographie. Ici, ce qu'on

21 voit c'est ce qu'il est convenu d'appeler la place du village.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

23 M. KAY : [interprétation]

24 Q. Est-ce qu'on peut parler de square, de place ?

25 R. Oui.

Page 33111

1 Q. Je sais que vous connaissez bien ce genre de place.

2 R. J'ai essayé de trouver le nom en français mais je n'ai pas essayé de le

3 trouver en anglais.

4 Q. L'autre groupe de photographies, pouvons-nous maintenant les voir ?

5 M. KAY : [interprétation] Monsieur l'Huissier, déplacez le document sur

6 l'écran. Pourriez-vous relever un peu la page, Monsieur l'Huissier ? Oui.

7 Merci.

8 Q. Ces photographies sont-elles celles des bâtiments d'habitation qui se

9 trouvent autour de la place ?

10 R. Vous savez sur cette photographie.

11 Q. Oui.

12 R. C'est un gros plan des petits bâtiments que l'on voyait à l'avant, au

13 premier plan, à l'avant des bâtiments d'habitation des immeubles qu'on a

14 vus tout à l'heure. Dans ces petites cabanes, on gardait ce qu'on garde

15 d'habitude dans ce genre d'endroit, des outils d'agriculture, des

16 tracteurs, des choses comme cela, tous les instruments nécessaire pour

17 atteler les chevaux. Je ne sais pas très bien comment est-ce qu'on appelle

18 cela. Les selles, ce genre de choses.

19 Q. Des selles.

20 R. Oui. Oui, des selles. Il y avait toute sorte de selles dans ces petites

21 cabanes.

22 Q. Oui.

23 R. Ce genre de choses. C'étaient des espèces de cabanons pour conserver

24 les outils destinés à l'agriculture.

25 Q. Est-ce qu'il y avait des bâtiments intéressants sur le plan militaire

Page 33112

1 dans les environs ?

2 R. J'aimerais bien en avoir vu un seul. Il y avait là le maire

3 d'Aleksinac, trois femmes, et les autres habitants du village étaient dans

4 le cimetière pour des funérailles.

5 Q. Sur la gauche des photographies que l'on voit sur

6 l'écran --

7 R. Oui.

8 Q. Est-ce que c'est également un immeuble d'habitation ?

9 R. Oui.

10 Q. C'est également un immeuble résidentiel ?

11 R. Oui. Je suis entré dans ce bâtiment. J'ai vu des chambres à coucher,

12 des cuisines, des lits, tout cela complètement démoli, des livres, des

13 assiettes cassées, des fourchettes, des vêtements, des poupées, des jouets

14 d'enfants.

15 Q. Aucune installation industrielle à cet endroit, et aucune installation

16 militaire ?

17 R. Aucune.

18 Q. Les autres photographies --

19 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais aider les

20 Juges, car je pense que nous pourrions résoudre le problème qui gêne le

21 témoin et qui gêne également Me Kay. Si vous prenez la pièce à conviction

22 83 à la première page, premier feuillet. C'est une carte où l'on n'a pas

23 des détails très petits, mais la première carte en bonne et due forme,

24 c'est la deuxième page de cette pièce à conviction qui n'a pas de numéro.

25 Je pense que l'accusé pourra, sur cette deuxième page, confirmer l'endroit

Page 33113

1 exact où je place actuellement mon doigt, et qui est en fait le bourg

2 d'Aleksinac. Peut-être que l'accusé pourrait-il jeter un coup d'œil à cette

3 carte et confirmer que c'est bien là que se trouve Aleksinac ?

4 M. KAY : [interprétation] Le témoin pourrait également peut-être voir cette

5 page de l'atlas qui est annoté par un "post-it."

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur Nice.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ensuite, ce document pourrait être

8 remis à l'accusé.

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Oui, je vois. Si je tiens compte de

10 l'itinéraire que nous avons suivi depuis la frontière, nous nous dirigions

11 vers le nord.

12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Peut-être pourrait-on placer ce document

13 sur le rétroprojecteur ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] M. Nice a eu l'amabilité --

15 M. KAY : [interprétation] Est-ce qu'on pourrait agrandir un peu l'image sur

16 l'écran, un gros plan, s'il vous plaît ?

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, je crois que l'on voit.

18 M. KAY : [interprétation] [aucune interprétation]

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maintenant le nom du bourg est

20 visible.

21 M. KAY : [interprétation] Merci.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Que l'on remette ce document à

23 l'accusé.

24 M. KAY : [interprétation] Je vous remercie pour cette pièce à conviction.

25 Q. Madame le Témoin, les autres photographies que l'on voit sur la page de

Page 33114

1 droite sont-elles pertinentes par rapport à ce que vous dites d'Aleksinac ?

2 R. Non. C'est une petite centrale thermique qui se trouve aux abords

3 immédiats en périphérie de Belgrade.

4 Q. Quelle est la pertinence de cette photographie qui a été prise à

5 l'époque ?

6 R. C'est une bombe de grande taille qui a frappé cet endroit, et nous

7 sommes arrivés à Belgrade, je souhaitais me rendre à cet endroit tout comme

8 d'ailleurs les autres journalistes. Certains d'entre nous y sommes allés.

9 J'estime que j'aie eu beaucoup de chance d'avoir été escortée par un député

10 européen qui était médecin de profession. Je me souviens que M. Kaklamanis

11 nous a dit que nous ne devions pas rester plus que quelques minutes dans

12 cet endroit, car d'après l'odeur qui se dégageait, il estimait que c'était

13 un endroit très dangereux et qu'il ne fallait pas inhaler trop longtemps

14 l'air que l'on respirait à cet endroit. Nous n'y avons passé beaucoup de

15 temps. J'ai simplement pris quelques photographies, recueilli quelques

16 renseignements, et ensuite j'ai dû me protéger et quitter le secteur.

17 Q. Merci. Après Aleksinac, êtes-vous allée à Belgrade ?

18 R. Oui.

19 Q. Etes-vous arrivée à Belgrade ce même jour, c'est-à-dire le jour où vous

20 aviez franchi la frontière ?

21 R. Oui.

22 Q. Combien de temps êtes-vous restée à Belgrade ?

23 R. Quelques jours, cinq ou six, je crois.

24 Q. Pendant ce séjour, avez-vous personnellement vécu un bombardement de

25 Belgrade ?

Page 33115

1 R. Toutes les nuits on entendait le silence d'abord et ensuite le bruit

2 des bombes qui tombaient à des endroits qui n'étaient pas tout près de

3 celui où je me trouvais. Les bombes tombaient en périphérie, en banlieue de

4 Belgrade. Je les ai vues tomber. J'ai vu tomber les bombes. J'ai vu la

5 lumière, le sillage lumineux des bombes qui tombaient. On ne peut pas se

6 tromper quand on voit tomber une bombe du ciel.

7 Q. Est-ce que vous êtes allée voir un centre de réfugiés non loin de

8 Belgrade ?

9 R. Oui. Il y avait de très nombreux journalistes et des gens qui entraient

10 et sortaient, et c'était un quartier très pauvre. Je ne me souviens pas

11 comment s'appelait ce quartier. Si j'avais eu suffisamment de temps pour

12 préparer ma déposition, j'aurais pu lire certains ouvrages et mieux me

13 souvenir. Mais je n'ai eu que deux jours pour me préparer et c'est une

14 expérience qui a fait couler beaucoup d'encre, des millions de mots, pas

15 simplement des milliers ont été écrits pour rendre compte de tout cela.

16 J'ai rencontré des gens tous les jours et toutes les nuits à Belgrade. J'ai

17 rencontré des réfugiés des guerres précédentes, des Serbes, qui étaient

18 sûrs que la fin était arrivée. Ils savaient très bien ce qu'il en était.

19 Ils savaient que ceci était la fin très amère de la guerre. J'ai rencontré

20 des tziganes qui entraient et sortaient de Belgrade pour aller en

21 Vojvodina, revenir de Vojvodina, aller dans le sud du pays. Ils essayaient

22 de gagner leur vie comme ils pouvaient. J'ai rencontré des ennemis de M.

23 Milosevic, des opposants politiques. Personne ne souhaitait quitter

24 Belgrade. Personne ne voulait s'enfuir. Tout le monde, on nous appelait à

25 venir tous les soirs sur les ponts, au milieu de la population, pour

Page 33116

1 partager cette expérience de résistance silencieuse en opposant le mépris

2 humain aux bombes qui semblaient être une insulte de Dieu.

3 Q. Pendant votre visite à Belgrade, est-ce que vous avez interviewé M.

4 Milosevic ?

5 R. J'aurais beaucoup aimé avoir l'honneur et le privilège d'interviewer un

6 dirigeant dont le pays subissait la guerre. La seule chose qui nous a été

7 donné, et lorsque je dis nous, je parle également des autres journalistes

8 d'autres nationalités qui se trouvaient en même temps que moi à Belgrade,

9 il y en avait des centaines. Un groupe de journalistes a été constitué.

10 Nous avons attendu dix minutes pour pouvoir le rencontrer. Je n'avais même

11 pas mon appareil photo sur moi, car nous avions été prévenus à la dernière

12 minute que nous pourrions le rencontrer à 8 heures,

13 8 heures 30 ce soir-là. C'était très dangereux.

14 Il y avait une voiture officielle avec à bord deux policiers qui nous ont

15 escortés jusqu'à un bâtiment, un bâtiment plutôt désert. Je ne saurais dire

16 si c'est un bâtiment officiel. Il faisait très sombre dans ce bâtiment.

17 Q. Je vais me permettre de vous interrompre en vous disant que nous

18 n'avons peut-être pas besoin de tant de détails. J'aimerais vous demander

19 précisément sur quel sujet vous l'avez interrogé. L'avez-vous interrogé

20 précisément au sujet de Rambouillet ?

21 R. Oui. Nous disposions au total de 20 à 25 minutes. Nous étions quatre ou

22 cinq journalistes à l'interviewer. Il subissait à l'époque la pression due

23 au fait qu'il avait à diriger son pays en temps de guerre. En même temps,

24 il fallait qu'il rencontre des gens. Je n'ai eu que le temps de lui dire

25 quelques mots, et je l'ai interrogé au sujet de Rambouillet. Je lui ai

Page 33117

1 demandé si l'heure était arrivée de la fin de ce qu'il était convenu

2 d'appeler l'état de Yougoslavie. C'est la question que je lui ai posée.

3 Q. Vous a-t-il dit quelque chose au sujet de Rambouillet ?

4 R. J'aimerais beaucoup qu'il puisse lui-même répondre à cette question,

5 dire ce qu'il m'a dit. J'aimerais beaucoup que ce soit lui qui puisse

6 répondre en situation d'avocat de lui-même. Je ne pense même pas qu'il ait

7 besoin de répondre à cette question. Oui, il a répondu. J'ai entendu sa

8 réponse personnellement.

9 Q. Vous a-t-il dit quelque chose ?

10 R. Qu'est-ce que Rambouillet ? Est-ce Dayton ? Non, ce n'est pas Dayton.

11 Ils se sont mis d'accord à l'avance. Je ne le cite pas littéralement. Je

12 n'aurais pas l'impudence de le faire. Voyez-vous, Monsieur le conseil, il

13 faut tenir compte des conséquences des bombardements dans lesquels nous

14 travaillons. Trois ou quatre journalistes sont là avec des bombes qui les

15 menacent au-dessus de leurs têtes. Il fait nuit. Nous sommes à Belgrade.

16 L'agression de l'OTAN est à son point culminant dans le pays. Il faut qu'il

17 fournisse des réponses sérieuses à des questions importantes posées par des

18 journalistes au sujet de ce qui se passe dans son pays. Si j'avais été à sa

19 place, je peux vous dire, car nous savions tous qui était l'ennemi, qui

20 était le chasseur et qui était le chassé.

21 Ne me citez pas mot pour mot. Je n'aimerais pas assumer cette

22 responsabilité. Celui dont nous parlons se trouve ici aujourd'hui. Dieu

23 merci, il est vivant. Il peut lui-même reproduire ses réponses pour

24 l'histoire. Vous n'avez pas besoin de m'interroger moi, car s'il avait

25 répondu oui à toutes les questions qui lui étaient posées, il ne serait

Page 33118

1 sans doute pas ici aujourd'hui dans ce prétoire; il serait du côté des

2 vainqueurs et non du côté des vaincus. Personne n'aurait eu besoin d'un

3 tribunal politique comme celui-ci.

4 Q. Pourriez-vous --

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ceci est un commentaire qui n'est

6 absolument pas opportun. Veuillez vous concentrer sur votre déposition.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

8 M. KAY : [interprétation]

9 Q. Pourriez-vous décrire les dommages précis causés par les bombes --

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Kay, avant de poursuivre, est-

11 ce que vous avez obtenu une réponse à la dernière question que vous avez

12 posée ? Parce que je ne m'y retrouve pas très bien. Si vous voulez une

13 réponse claire, je pense qu'il faudrait reposer la question.

14 M. KAY : [interprétation] Je ne crois pas que je pouvais guider davantage

15 le témoin --

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Veuillez reformuler la question, si vous le

17 pouvez.

18 M. KAY : [interprétation] Avez-vous demandé --

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La question ne pouvait pas être plus

20 simple. Elle consistait à vous demander si lors de l'interview de M.

21 Milosevic, il a dit quelque chose au sujet de Rambouillet. J'aimerais

22 beaucoup savoir ce qu'il a dit.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non. La question n'est pas celle qui

24 était posée, parce que vous venez de dire que c'était à la fin d'une

25 interview. Il n'y a pas eu d'interview; c'était une conversation à bâtons

Page 33119

1 rompus.Si j'avais eu la chance de l'interviewer, j'aurais imprimé cette

2 interview. Ceci n'a été qu'une conversation de 20 minutes avec quatre

3 journalistes. Je pense que l'un d'entre eux, un Américain, a pris une

4 photo. Ce n'était pas une interview, Monsieur le Juge. Je ne peux pas vous

5 diffuser le moindre enregistrement de ce qui a été dit au cours de ces dix

6 minutes. Il ne faut oublier que c'était la première fois de ma vie que je

7 rencontrais M. Milosevic.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La question qui vous a été posée

9 consistait à vous demander si dans le cadre de votre rencontre avec M.

10 Milosevic, ou pendant le temps où vous avez été en sa présence, il a dit

11 quelque chose au sujet de Rambouillet.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je l'ai interrogé au sujet de Rambouillet. Je

13 lui ai demandé quelle était la cause de tout cela, quelque chose de ce

14 genre. Vous voyez ce que je veux dire. Il a répondu, "oui, bien sûr, quoi

15 d'autre ?"

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

17 M. KAY : [interprétation]

18 Q. A-t-il dit quelque chose au sujet des tractations diplomatiques et des

19 pourparlers qui avaient eu lieu ?

20 R. Oui, il a utilisé le mot le piège, un piège pour son pays; pas pour lui

21 personnellement.

22 Q. S'agissant de votre séjour à Belgrade, pouvez-vous décrire les dommages

23 dus aux bombes que vous avez vus de vos yeux durant votre séjour ? Y a-t-il

24 un bâtiment particulier dont vous vous souvenez plus précisément ?

25 R. J'ai vu de nombreux bâtiments officiels soigneusement pris pour cibles.

Page 33120

1 Voyez-vous, j'avais déjà voyagé à Belgrade avant ce séjour-là, avant les

2 bombardements. Si vous allez au centre de Londres ou au centre de Paris ou

3 au centre d'Athènes, que vous connaissez le quartier, et qu'il y a là un

4 bâtiment à trois pâtés de maisons de là, un bâtiment important qui a été

5 complètement détruit, on voit bien de quelle façon ils ont été détruits. Il

6 y avait des bâtiments d'où s'échappait de la fumée, des dégâts sur les

7 façades des bâtiments. Il y en avait d'autres qui, manifestement, étaient

8 totalement détruits à l'intérieur. C'est comme de regarder une façade. On

9 sait que si on pénètre dans le bâtiment par la porte complètement détruite,

10 on ne trouvera à l'intérieur que des débris. La bombe vient d'en haut, elle

11 traverse le bâtiment et elle détruit le cœur même de ce bâtiment alors que

12 la façade quelquefois est toujours debout.

13 Je n'ai pas pu pénétrer dans la plupart de ces bâtiments, car on nous a dit

14 que c'était très dangereux, ne serait-ce que de s'approcher de ces

15 bâtiments qui risquaient de s'effondrer à tout moment.

16 Q. Je me permets de vous interrompre. Ce qui m'intéresse, c'est la nature

17 de ces bâtiments, si vous pouvez nous la dire. Vous avez parlé de bâtiments

18 officiels, mais il y avait peut-être d'autres bâtiments dont vous vous

19 souvenez ?

20 R. J'ai dit "bâtiments officiels," je pensais au ministère de la Justice

21 que j'ai vu démoli. Puis, il y avait un bâtiment qui abritait des services

22 financiers et économiques. Je ne sais pas exactement de quoi il s'agissait.

23 C'était un peu comme un bâtiment des impôts ou quelque chose comme cela.

24 Puis, il y avait un autre bâtiment, comment dit-on en anglais ? Donnez-moi

25 quelques secondes, un bâtiment destiné aux travailleurs sociaux. C'était le

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1 bâtiment des services de santé et des services sociaux. Oui, des

2 travailleurs sociaux. En grec, je connais le mot, mais je ne sais pas très

3 bien comment le traduire en anglais. Excusez-moi. Il y avait des bâtiments

4 destinés au service pour les civils ou services publics.

5 Pour aider la Chambre, je dirais que nous avons commencé à entendre des

6 rumeurs, je parle des journalistes qui se trouvaient là, des rumeurs selon

7 lesquelles, dans un avenir très proche, le bâtiment de la télévision allait

8 être frappé. Je dois vous expliquer que les Grecs et surtout les

9 journalistes grecs, nous nous intéressions très personnellement à ce

10 bâtiment pour des raisons politiques, d'ailleurs. Car l'entreprise

11 nationale du téléphone en Grèce, OTE en grec, avait investi à hauteur de 20

12 % dans les services de la téléphonie publique yougoslave. En Grèce, lorsque

13 les Grecs apprenaient que les bâtiments du téléphone, des

14 télécommunications et de la télévision serbe étaient frappés, les Grecs

15 regardaient ces avions de l'OTAN qui, Dieu, merci, n'étaient pas pilotés

16 par des pilotes grecs mais qui, en tout cas, bombardaient nos

17 investissements. Cela constituait la base de discussions politiques très

18 intenses en Grèce, car nous nous trouvions dans une situation assez

19 infernale puisque nous étions en train, en tant qu'Européens, de participer

20 aux bombardements de nos propres investissements au cœur de l'Europe.

21 Puis, je suis rentrée à Athènes. J'ai découvert que ce bâtiment lorsqu'il a

22 été touché, avait été déserté. Tous les journalistes étrangers étaient

23 partis, mais il y a des Serbes qui ont été tués par ce bombardement

24 préavis.

25 Q. Y a-t-il d'autres bâtiments que vous aimeriez décrire à l'intention des

Page 33122

1 Juges de la Chambre et que vous avez vus ce jour-là ?

2 R. J'ai vu des ponts. Je les ai vus de loin. Je ne me suis pas approchée.

3 Je déteste les ponts démolis.

4 Q. C'est tout ce que je voulais vous demander au sujet de cette visite.

5 S'agissant des événements du Kosovo à présent, avez-vous étudié ou enquêté

6 au sujet de l'Uceka ?

7 R. Monsieur le conseil, vous savez qui je suis. J'espère que tout le monde

8 ici sait bien qui je suis. J'ai vu les gens de l'Uceka dans mon propre

9 pays. J'ai débattu avec eux. Je les ai affrontés lors de débats à la

10 télévision. Je les ai vus en Grèce même. Je les connais. Le président de la

11 République grecque, hier encore, dans la capitale albanaise, a dit qu'il

12 fallait cesser de revendiquer des régions du nord de la Grèce, hier encore,

13 hier à peine. C'est quelque chose que nous connaissons bien, une expérience

14 que nous avons. Nous connaissons bien ceux qu'on appelait les libérateurs

15 au début.

16 Moi-même, j'ai publié un rapport officiel. Cela se trouve dans le magazine

17 que j'ai présenté à la Chambre. Un rapport officiel qui n'a jamais été

18 démenti par quiconque, par aucune source qu'elle soit officieuse ou

19 officielle, un rapport du ministère de la Défense allemand au sujet de

20 l'Uceka, un rapport datant d'un an et demi avant l'éruption du Kosovo. Dans

21 ce rapport, on parle d'une mafia. On parle de trafiquants de drogue. On

22 parle de trafiquants de toutes sortes. On parle le Dom animé d'ambitions

23 politiques, l'ambition de voir créer une Grande Albanie. Une Grande Albanie

24 qui devait être créée avec le Kosovo, la Tsamouria, c'est-à-dire, Epeiros

25 en Grèce et des villes comme Yaneuna et Preveza, de grandes villes

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1 grecques, qui devaient y être incluses. J'ai vu des cartes, des cartes sur

2 lesquelles était présenté le territoire de cette Grande Albanie. Depuis

3 plus de 15 ans, en Grèce, nous avons un véritable tourbillon politique face

4 à ce désir de voir se créer une Grande Albanie. Nous, nous sommes un pays

5 pacifique.

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame Kanelli, cette idée d'une

7 Grande Albanie, d'où venait-elle ? C'était l'idée de qui ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Une Grande Albanie.

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je n'entends pas bien ce que vous me

10 dites. Je ne comprends pas très bien. Est-ce que vous dites que c'est

11 l'Uceka qui était à l'origine de cette idée ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] L'Uceka, c'est un instrument dans la création

13 d'une Grande Albanie. La Grande Albanie, c'est quelque chose de très

14 ancien. J'ai également publié un plan officiel qui avait été publié au

15 moment des Nazis. On a trouvé cela dans les archives nazies officielles. Au

16 terme de ce plan, on allait découper les Balkans en petits états

17 indépendants. On y voit décrit exactement ce qui s'est passé.

18 Tout ce qui restait encore à mettre en œuvre, cela concernant la Vojvodine.

19 Aucun besoin de trouver des preuves. L'assemblée parlementaire, dans toutes

20 les institutions européennes, il y a un mois encore, on a parlé des

21 troubles civils qui commencent à secouer la Vojvodine. Grâce à la Hongrie

22 et à d'autres pays, on a dit : "Cela suffit, maintenant. Nous n'allons pas

23 créer de comités. Nous n'allons pas nous rendre sur place. Nous n'allons

24 pas verser de l'huile sur le feu."

25 C'est ce plan que nous avons vu. J'ai 50 ans.

Page 33124

1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Cela suffit.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, laissez-moi finir ma phrase.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous en avons assez entendu.

4 Poursuivez, Maître Kay.

5 M. KAY : [interprétation]

6 Q. Oui, je crois, Madame Kanelli, que vous nous avez brossé le tableau de

7 la situation concernant l'Albanie. Il faut que vous sachiez que nous avons

8 déjà entendu d'autres témoins à ce sujet, ici.

9 J'en suis arrivé à la fin de mes questions. Maintenant, on va vous poser

10 d'autres questions.

11 R. Merci. Avec votre permission, je souhaiterais ajouter un mot, un mot.

12 Il n'y a pas de ce que vous appelez d'Uceka. Ils luttent pour ce qu'ils

13 appellent la Tsamouriana. J'espère que quand j'aurai 70 ans, je ne

14 déposerai pas devant un autre tribunal au sujet d'une autre guerre.

15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous avez parlé du ministère de la

16 Défense allemand, d'un rapport ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce vous l'avez remis au conseil de

19 la Défense ?

20 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est publié. Je peux vous le présenter en

21 allemand. Je dispose du rapport dans son intégralité. Ne me demandez pas où

22 je l'ai trouvé. En tant que journaliste, je ne peux pas répondre à cette

23 question.

24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est un rapport officiel.

Page 33125

1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, si vous

3 souhaitez poser des questions au témoin, c'est maintenant.

4 Interrogatoire principal par M. Milosevic :

5 Q. [interprétation] Est-ce qu'on vous a posé les questions convenues ?

6 R. Comment ?

7 Q. Est-ce qu'on vous a posé les questions convenues ?

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous avez compris ?

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Il m'a demandé si on m'a posé les questions

10 convenues. En effet, mais il s'agit seulement que d'une petite partie de

11 ces questions. J'aurais pu répondre à beaucoup d'autres questions en

12 particulier au sujet des documents, parce que je dépose des documents qui

13 présentent les plans nazis, la destruction préparée, planifiée d'un pays.

14 On voit beaucoup plus que les photos d'Aleksinac. J'ai prouvé qu'il y a eu

15 effectivement bombardement de l'OTAN. Je n'ai pas besoin de le prouver

16 maintenant ici.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Madame Kanelli.

18 Monsieur Milosevic, est-ce que vous avez d'autres questions à l'intention

19 du témoin ? Si vous avez l'impression qu'il y a des lacunes dans

20 l'interrogatoire principal, c'est le moment de le combler.

21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je viens précisément de demander au témoin si

22 l'on lui a posé des questions qu'il avait été prévu de lui poser durant la

23 préparation de la déposition, et le témoin vient de répondre non. Je n'ai

24 pas d'autre question à lui poser, Monsieur Robinson, car je n'entrerai pas

25 sur le fond du débat. Je ne souhaite pas poser des questions au témoin tant

Page 33126

1 que ne me sera pas rendu le droit de me représenter moi-même. Ceci un fait

2 pur et simple.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Monsieur Milosevic.

4 Monsieur Nice.

5 Contre-interrogatoire par M. Nice :

6 Q. [interprétation] Comment souhaitez-vous que je m'adresse à vous ? Est-ce

7 que c'est Madame Kanelli ou Mademoiselle ?

8 R. Mademoiselle. Est-ce que vous pourriez parler un peu plus près du

9 micro, s'il vous plaît ?

10 Q. Est-ce que vous m'entendez mieux ?

11 R. Oui.

12 Q. Vous pouvez toujours utiliser les écouteurs pour mieux entendre.

13 La date de votre visite à Aleksinac autant que vous vous en

14 souveniez, c'était quand ?

15 R. La date précise ?

16 Q. Au mieux, à votre avis le plus précisément possible.

17 R. Fin avril. Je ne peux pas vous donner de date précise. J'ai d'ailleurs

18 une bonne excuse pour cela. J'avais un passeport civil quand je suis allée

19 en Serbie. Or, depuis l'an 2000, j'ai un passeport diplomatique qui est

20 conforme à la législation grecque et qui fait que j'ai dû rendre mon

21 précédent passeport, et dans ce nouveau passeport ne figurent plus mes

22 dates d'entrée et de sortie de différents pays. Si je me replongeais dans

23 mes notes d'il y a cinq ans, je pourrais vous le dire. Je pourrais même

24 trouver cela dans le magazine.

25 Q. Peut-être pourrions-nous nous pencher sur le magazine pendant la pause

Page 33127

1 qui va bientôt arriver à la demie ?

2 R. Oui. Mais il n'y aura pas de date précise. Vous ne lirez pas la date

3 24, 25, 26.

4 Q. En tout cas, on y jettera un coup d'œil quoi qu'il en soit.

5 R. Il faudrait demander à l'OTAN. Ils savent pertinemment quand ces

6 bombardements ont eu lieu sur Aleksinac.

7 Q. Je pense que nous irons plus vite si vous me permettez de poser des

8 questions.

9 R. Oui, mais laissez-moi aussi répondre aux questions comme je l'entends.

10 Q. Vous avez pensé que ces incidents s'étaient produits juste avant votre

11 visite ?

12 R. La nuit précédente, 36 heures avant. Enfin, j'ai suffisamment

13 d'expérience. J'ai senti l'odeur qui régnait. Ce n'était pas possible que

14 cela ce soit produit trois ou quatre jours avant, parce qu'à ce moment-là,

15 on n'aurait pas senti la chaleur comme on l'a sentie. On sentait, si on

16 mettait la main sur les pierres, on sentait la chaleur qui s'en dégageait.

17 C'était quelque chose de récent.

18 Q. Est-ce qu'il est possible que cette visite ait eu lieu au début avril,

19 mettons le 6, 7, 8 avril ?

20 R. Je ne m'en souviens pas. Parce que j'ai une façon très particulière de

21 compter les numéros de mon magazine. C'est un magazine qui est publié à la

22 fin du mois, et qui a trait à tout ce qui s'est passé le mois précédent. Il

23 faudrait me montrer la date. Le magazine d'avril est publié au début avril,

24 le magazine de mai est publié à la fin avril. Parce qu'en Grèce, si on veut

25 faire imprimer un magazine, si on veut sortir un magazine il faut s'y

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1 prendre 15 jours à l'avance.

2 Je parle de la procédure d'impression, et cetera. Voilà. Là, nous

3 avons le numéro d'avril. Cela veut dire que c'était dans les kiosques à la

4 fin avril au début mai. Cela veut dire que ceci, ces événements ont eu lieu

5 en avril, sans doute avant ou après Pâques. Est-ce que c'était au moment

6 Pâques, mais je ne me souviens pas. Je ne sais plus exactement si j'y suis

7 allée avant ou après Pâques.

8 Q. Quand vous étiez à Aleksinac, est-ce que vous-même vous avez vu les

9 cibles visées par l'OTAN ?

10 R. J'ai vu les résultats sur les cibles.

11 Q. Vous avez les résultats, mais est-ce que vous avez vu les cibles

12 militaires qui étaient les cibles visées ?

13 R. Non. Je n'ai vu aucune cible militaire.

14 Q. Est-ce que vous vous êtes renseignée ? Est-ce que vous avez essayé de

15 trouver quelles étaient les cibles qui avaient été visées ou qui avaient pu

16 être visées ?

17 R. Si vous êtes en train de me dire qu'avec mon téléphone mobile j'aurais

18 pu appeler Aviano en Italie, le centre de l'OTAN à Aviano, et leur demander

19 s'il y avait une base militaire autour d'Alesksinac, non, non, ce genre

20 d'enquête je ne l'ai pas fait. Ce que j'ai fait, c'est qu'avec mes

21 collègues, je me suis déplacée autour d'Aleksinac dans un périmètre d'un

22 rayon de 10 kilomètres autour pour voir de mes propres yeux, s'il y avait

23 des casernes, des tours, des grands axes qui auraient pu être empruntés par

24 des blindés, un aérodrome; s'il y avait eu quoi que soit que moi, en tant

25 que civil, j'aurais pu imaginer comme constituant une "cible militaire."

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1 Moi, tout ce que j'ai vu c'est quelques vaches.

2 Q. Dans votre travail d'investigation, dans vos déplacements, est-ce que

3 vous avez vu une caserne militaire ?

4 R. Non.

5 Q. Etant donné la nature de la déposition que vous alliez nous présenter,

6 est-ce que vous avez essayé de rechercher des rapports au sujet d'Aleksinac

7 qui auraient pu vous permettre de comprendre et permettre également de

8 faire comprendre aux Juges de la Chambre comment cet incident atroce a pu

9 se dérouler ? Est-ce que vous avez fait une enquête à ce sujet ?

10 R. Monsieur Nice, vous vous êtes un procureur. Vous parlez d'enquêtes. Je

11 suis une journaliste. Je ne fais pas d'investigation de ce type. Je vais

12 sur place pour faire des reportages. Je pose des questions, je vois ce qui

13 se passe. Je ne poursuis nulle part personne en justice. Du point de vue

14 politique, je pourrais m'en prendre à l'OTAN. Je ne suis pas un procureur.

15 Mais quand je suis au milieu d'une scène atroce, suite à une véritable

16 catastrophe avec des petits garçons et des petites filles morts, des mères

17 qui sont en larmes, à ce moment-là je retourne à mon hôtel et j'entends le

18 rapport officiel de l'OTAN qui nous dit : "Désolé au sujet de ces dégâts

19 collatéraux." J'en ai souvent entendu parler de ces dégâts collatéraux, et

20 j'ai suffisamment d'expérience, Monsieur Nice, pour savoir que si on veut

21 humilier une population, si on veut la faire plier, à ce moment-là on vise

22 les civils. On crée un climat de panique, on crée une situation qui fait

23 que plus personne ne soutiendra le gouvernement parce que chacun essaie de

24 sauver sa peau.

25 M. NICE : [interprétation] Je ne veux pas couper la parole au témoin pour

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1 qu'elle ne sente pas privée de la possibilité d'aider les Juges de la

2 Chambre. Je le fais maintenant parce que j'ai l'impression qu'elle ne

3 répond plus à la question.

4 Q. J'aimerais s'il vous plaît que vous examiniez des éléments de preuve

5 qui ont été fournis à la Chambre au sujet d'Aleksinac pour voir ce que vous

6 avez à dire à ce sujet.

7 Pièce 206 ?

8 R. Vous voulez que je fasse des observations au sujet d'Aleksinac ?

9 Q. Pièce 206. Les pages qui nous intéressent figureront sur le

10 rétroprojecteur. Rapport de "Human Rights Watch," au sujet de l'OTAN, page

11 31.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous nous avez prévenu à

13 l'avance ?

14 M. NICE : [interprétation] J'ignorais que j'allais me servir de ce rapport.

15 Q. J'aimerais que vous consultiez la page 31 d'un rapport qui a déjà été

16 présenté aux Juges de la Chambre. J'aimerais que nous ayons une idée

17 complète de la situation. En fait, il y a eu deux incidents à Aleksinac, et

18 vous dites que le premier aurait eu lieu le 5 avril, et c'est celui auquel

19 vous faites référence.

20 R. Oui.

21 Q. Il est dit qu'au cours d'une attaque, ayant eu lieu de 9 heures 35 à 9

22 heures 40 à Aleksinac --

23 R. Oui.

24 Q. -- 10 civils ont été tués, 30 ont été blessés au moment de l'attaque

25 contre une caserne. Je ne --

Page 33131

1 R. Je n'ai pas de texte là sous les yeux. J'ai qu'une photo.

2 Q. On n'est pas à la bonne page.

3 R. Je ne vois pas de texte. Je vois des photos, des photos qui sont encore

4 pires que les miennes.

5 Q. Page 31, donc.

6 R. Oui.

7 Q. Un peu plus haut.

8 R. Je vois.

9 Q. Non, ce n'est pas la bonne page. Je m'excuse. C'est moi qui ne me suis

10 pas expliqué suffisamment clairement. Je n'ai pas bien expliqué à

11 l'huissier ce que je voulais qu'on montre.

12 Cela y est. Le 5 avril, une attaque entre 9 heures 35 et 9 heures 40 sur la

13 caserne de Deligrad à Aleksinac, dans le sud-est de la Serbie. Dix civils

14 ont été tués, 30 ont été blessés. On voit ensuite leurs noms. A 600 mètres

15 de la caserne, présence d'armements, et cetera ?

16 R. Oui, mais que ce que vous voulez que je fasse ? Qu'est-ce que vous

17 voulez que je fasse, une observation ? Cela vient de qui, ce document, de

18 l'OTAN, du "Human Rights Watch" ?

19 Q. Je vous l'ai dit.

20 R. Non.

21 Q. C'est un rapport du "Human Rights Watch." Veuillez s'il vous plaît me

22 suivre. Une arme ou des armes tombent à 600 mètres de la caserne. On

23 signale des dégâts dans la rue Dusan Trivunca, aux numéros 56 à 62, entre

24 l'entreprise Angrokolonijal et une autre entreprise, EMPA, et rue Vuka

25 Karadzica, où quatre bâtiments étaient détruits --

Page 33132

1 R. Mais je n'ai rien à dire là-dessus. C'est leur rapport.

2 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président --

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela c'est vos informations. Je n'ai pas eu

4 ces informations. Je n'ai pas pu les examiner. Vous me présentez un extrait

5 d'un immense rapport.

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame, Madame Kanelli, écoutez la

7 question.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Il n'y a pas de question.

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais il n'a pas fini de poser la

10 question.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Il me lit un texte.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais laissez-le finir.

13 C'est la procédure qu'on suit ici. Le conseil va vous lire un texte, et à

14 la fin de cette lecture va vous demander de répondre à une question.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, mais je croyais que le temps était

16 compté.

17 M. NICE : [interprétation]

18 Q. Madame Kanelli, en fait ce que nous faisons, c'est d'essayer de voir

19 dans les informations dont dispose la Chambre et ensuite, je vous poserai

20 une question.

21 "Dégâts rue Kneza Milosa et Vojska Jugoslavije, des fenêtres détruites au

22 centre d'Aleksinac, dégâts au niveau des toitures. Les autorités

23 yougoslaves signalent deux explosions à l'intérieur de la caserne Deligrad,

24 et une troisième explosion à 25 mètres de la clôture de la caserne."

25 "Le 6 avril, Tanjug signale que 16 maisons individuelles, et plus de 400

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1 appartements, dont trois bâtiments comptant 80 appartements ont été

2 endommagés et détruits. Le QG de la défense civile au sud, Babovic a

3 signalé que ces bombes étaient tombées au centre-ville. Une bombe a

4 également tombée à côté de la voie rapide Belgrade-Nis. On signale

5 également 20 civils blessés, dont 13 dans les hôpitaux de Nis et

6 Aleksinac."

7 Je vous ai montré ce document. Est-ce que cela vous semble décrire les

8 évènements que vous avez vus le même jour ou un jour plus tard ?

9 R. Vous me mettez dans une situation très difficile quand vous me demandez

10 de comparer ce que j'ai vu avec ce que d'autres personnes ont vu. Je vais

11 vous donner une réponse tout à fait claire. Je n'ai pas vu 400 appartements

12 détruits comme Tanjug le signale. Je n'ai pas vu non plus de casernes dans

13 la région.

14 Si le bâtiment que j'ai photographié et qui a été détruit servait de

15 caserne, cela me dépasse complètement. Cela dépasse tout ce que je pourrais

16 imaginer. J'ai vu des bâtiments d'habitation. Je vous explique ce que j'ai

17 vu quand je suis arrivée. Si eux, ils savaient qu'il existait une caserne,

18 ils ont plus d'information que moi, parce que moi, je dis ce que j'ai vu.

19 J'ai fait confiance à mes yeux.

20 Q. Puis d'abord --

21 R. "Human Rights Watch" ? J'ai lu leurs rapports sur d'autres zones

22 dans le monde. Je vais vous dire une chose. Le fait que cela s'appelle

23 "Human Rights Watch," c'est-à-dire l'observatoire des droits de l'homme,

24 cela ne veut pas dire que cela concerne les droits de l'homme partout dans

25 le monde. Moi, cela me gène énormément de voir une ONG travailler sur

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1 quelque chose d'humanitaire, parce que je les ai vus, ces gens-là, aller

2 travailler sur les situations humanitaires. Mais quand on creuse un peu, on

3 voit toujours qu'il y a des intérêts financiers qui se dessinent, en

4 coulisse, pétrole, et cetera.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, on pourrait faire la

6 pause --

7 M. NICE : [interprétation] J'ai très peu de choses encore à dire à ce

8 témoin. Je voulais m'assurer simplement que vous disposiez de toutes les

9 informations relatives à Aleksinac.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La question est simple. Peut-être

11 pourrions-nous y revenir ensuite après la pause.

12 M. NICE : [interprétation] Je ferai de mon mieux.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame Kanelli, une pause de 20

14 minutes.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

16 --- L'audience est suspendue à 10 heures 31.

17 --- L'audience est reprise à 10 heures 54.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, vous avez la parole.

19 M. NICE : [interprétation]

20 Q. Madame Kanelli, je vous ai posé une dernière question avant la pause.

21 Je vous demandais si la description faite dans le rapport de l'observatoire

22 des droits de l'homme, de ces événements, semble porter sur ces mêmes

23 événements que vous avez vus un jour plus tard ?

24 R. Oui. Je pense qu'il s'agit précisément du même événement avec une autre

25 estimation par rapport à ce Tanjug a dit au "Human Rights Watch." J'ai

Page 33135

1 appelé à Athènes, et j'ai demandé à ma secrétaire de trouver la date

2 exacte. C'était une semaine avant la Pâques grecque, au début d'avril. Cela

3 doit dont être le 15 ou peu de temps après. J'ai des documents dans mon

4 bureau. Je peux vous donner des informations à propos de la date.

5 Q. Saviez-vous que l'OTAN avait présenté un communiqué de presse dans les

6 jours qui ont suivi, à savoir que c'était la

7 203e Brigade d'artillerie mixte qui s'y trouvait à Aleksinac, qu'il était

8 possible que ce soit une de ces armes qui a raté sa cible ?

9 R. Non, je n'étais pas du tout au courant.

10 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.

12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il est de notoriété publique en Serbie et

13 surtout à Aleksinac, que c'était le centre de la ville qui avait été pris

14 pour cible. Des habitations qui avaient été prises pour cibles, des civils

15 ont été blessés. Vous avez ceci dans le livre où l'on parle des victimes

16 civiles. Ce n'est pas la première fois que M. Nice essaie de défendre

17 l'OTAN. Tous les citoyens des services savent que c'est le centre

18 d'Aleksinac qui a été touché, que c'étaient les bâtiments civils qui

19 avaient été pris pour cibles.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous aurez

21 l'occasion au moment des questions supplémentaires de poser des questions à

22 ce témoin.

23 M. NICE : [interprétation] En général, je ne réponds pas à des allégations

24 sans fondement proférées par l'accusé, mais il faut parfois le faire,

25 notamment maintenant.

Page 33136

1 On laisse entendre que j'ai ici des intérêts à représenter l'OTAN, à parler

2 pour l'OTAN. C'est tout à fait dénué de fondements. Mes fonctions ici sont

3 tout à fait différentes. Ce qui veut dire que les allégations de l'accusé

4 sont dépourvues de tout fondement.

5 Q. Madame Kanelli, --

6 R. Je regarde la page que j'ai sous les yeux.

7 Q. Oui.

8 R. Je suis abasourdie, parce que je pense que ceci pourrait vous être

9 utile si vous me donnez l'autorisation de répondre.

10 Les trois dernières lignes de la page, c'est Henry Shelton qui décrit cet

11 incident comme étant l'occasion des premières pertes civiles. Je ne le

12 savais pas parce que je n'étais pas là. Je suis rentrée, je n'ai pas suivi

13 toutes les annonces faites par l'OTAN parce que je me déplaçais. Je faisais

14 des allées et venues. Lorsqu'on fait ce genre de chose, qu'on veut écrire,

15 on ne suit pas tous les événements.

16 Ici, en ce prétoire, je découvre que j'ai eu le malencontreux privilège

17 d'être le témoin des premières victimes civiles en Yougoslavie pour ce qui

18 est de l'OTAN.

19 Q. Agissons avec ordre. Prenez l'ensemble de ce paragraphe.

20 R. Oui.

21 Q. Voici ce qu'il dit : "L'OTAN a exprimé ses regrets devant la perte de

22 vies, et a dit que cet incident était un incident de guerre. Le responsable

23 aérien, David Wilby, a dit à propos de cet incident ceci : 'Il est possible

24 qu'une de nos armes ait raté sa cible. En dépit de notre planification

25 préalable à l'attaque tout à fait méticuleuse, la loi des statistiques,

Page 33137

1 ici, s'oppose à nous, et nous sommes exposés à des défaillances

2 techniques.' L'OTAN a ajouté que la cible visée était une caserne

3 militaire, une unité d'artillerie située à proximité. Lorsqu'il a témoigné

4 devant le congrès, le 14 avril 1999, le général Henry Shelton a décrit cet

5 incident que les Etats-Unis ont qualifié de premier incident où il y a eu

6 des pertes civiles. Vous nous avez rappelé la citation, je la répète :

7 "Lorsque je me suis trouvé à Aviano la semaine dernière, nous venions de

8 voir ce qui est à ce moment-là le premier incident, à mon avis, d'une bombe

9 qui avait raté sa cible. En fait, il y a eu trois bombes qui sont tombées.

10 Deux ont frappé le centre même, donc ont touché leurs cibles, et l'autre

11 est tombée un peu à côté."

12 Passons à la page suivante, M. l'Huissier.

13 "Human Rights Watch s'est rendu sur place le 11 août, a fait l'inspection

14 des dégâts occasionnés et a recueilli des témoignages de témoins oculaires.

15 Le gouvernement yougoslave a fourni des détails médico-légaux de l'incident

16 dans son Livre blanc. Human Rights Watch a reçu aussi des photos montrant

17 ces morts. Il les a obtenues du ministère de la Santé."

18 Madame Dicklich me dit que je n'ai pas bien cité la première ligne parce

19 que j'ai parlé "d'accident" alors qu'il s'agissait "d'incident." Je m'en

20 excuse.

21 Nous avons lu ce passage, Madame Kanelli. Vous l'avez déjà dit clairement,

22 vous ne saviez pas, à ce moment-là, qu'on disait qu'il s'agissait du

23 premier cas où il y avait des pertes civiles.

24 R. J'ai vu certaines choses. Je ne sais pas si c'est une réponse. Si vous

25 me demandez ici de juger les informations de l'OTAN ou des renseignements

Page 33138

1 soi-disant militaires, je ne suis pas à même d'y répondre. L'OTAN a ses

2 propres sources, et j'ai mes propres yeux.

3 Je suis désolée, Monsieur Nice, impossible de répondre à votre

4 question. Je ne peux pas vous dire si l'OTAN a raison ou tort. Moi, ce que

5 je peux vous dire, c'est qu'aussi bien l'OTAN que moi-même, nous avons vu

6 des cibles civiles qui ont été touchées, et tout le monde convient du fait

7 qu'il y a eu des morts. C'étaient des gens tout à fait ordinaires, qui

8 n'étaient pas des soldats d'aucune façon. Désolée, je n'ai vu aucune

9 caserne. Pas parce que je ne voulais pas en voir, c'est simplement que je

10 n'ai pas vu de casernes. Je suis une femme politique. Vous devez respecter

11 mon avis. Je ne fais pas confiance aux renseignements de l'OTAN. Je pense

12 que ce sont des renseignements frappés du coin du préjugé qui défendent les

13 intérêts de l'OTAN.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne vous ai pas compris comme

15 disant qu'il y avait eu deux cratères causés par des bombes. Peut-être

16 pourriez-vous être plus précise ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'en ai vu deux. D'abord, dans une

18 maison, et puis l'autre, c'était dans cette petite place devant des petits

19 bâtiments.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Parlez-nous de ces détails-là parce

21 que c'est peut-être plus utile. Cela nous aidera peut-être mieux à

22 comprendre la situation, ceci dans l'intérêt de l'accusé.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge. Si la question m'est

24 posée, j'essaierai de fournir davantage de détails. Si on me demande ici de

25 juger l'OTAN, je ne le ferai pas.

Page 33139

1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce n'est pas ce qu'on vous a demandé;

2 on vous a demandé si c'était la situation que vous aviez vue ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'ai répondu sans ambages, oui. C'est

4 précisément le même moment et c'est précisément le même incident.

5 M. NICE : [interprétation]

6 Q. Je tiens à ce que les Juges disposent de tout le tableau complet

7 concernant Aleksinac. A la lumière de la dernière intervention de l'accusé,

8 je vous demande d'abord ceci : savez-vous s'il y a eu plus tard un deuxième

9 incident concernant aussi Aleksinac ? Répondez par oui ou par non.

10 R. J'ai ma mémoire de journaliste. Je peux vous dire qu'il y a eu

11 tellement de bombardements, tellement d'incidents, que je ne me souviens

12 plus si j'ai entendu des rapports de l'OTAN selon lesquels l'OTAN serait

13 repartie sur Aleksinac. Plus tard, peut-être en mai, d'après les documents

14 que vous m'avez montrés ici. Je peux vous assurer d'une chose; fin mai

15 1999, tout le monde en Grèce intervenait à la télévision. Il y avait des

16 manifestations, des meetings. Revenons à Aleksinac. Revenir à Aleksinac,

17 cela n'ajouterait rien à une énorme tragédie.

18 M. NICE : [interprétation] Je veux être complet. Je ne pense que le témoin

19 pourra nous aider par ses réponses. Voyons ce qu'il dit à la page 57, en ce

20 qui concerne le 2 mai. Voyons le rapport de "Human Rights Watch" relatif à

21 une deuxième attaque, un second incident. Il y a eu une cible non

22 identifiée à Aleksinac. Il y a eu trois morts parmi les civils et dix

23 blessés. Le gouvernement dit que plus de 10 missiles ont touché Aleksinac

24 détruisant 10 maisons. Tanjug fait état de deux civils tués et de 10

25 blessés avec sept missiles qui auraient été tirés. L'OTAN ne parle d'aucune

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1 attaque dirigée sur des cibles à Aleksinac le 27 mai ou 28. "Human Rights

2 Watch " a visité le site, le 11 août a inspecté les dégâts et a recueilli

3 des témoignages. La zone se trouvait à une certaine distance de la caserne

4 Deligrad qui était la cible de l'attaque au cours d'un incident précédent.

5 Puis, on voit que dans le Livre blanc du gouvernement yougoslave il y a des

6 détails précis en ce qui concerne les enquêtes.

7 Monsieur l'Huissier, revenons à la première photographie qui était hors

8 séquence. On voit une photographie d'Aleksinac prise par "Human Rights,"

9 qui est repris dans ce rapport. Ceci concerne le deuxième incident; pas le

10 premier. Il est qualifié ici "d'incident," mais on parle plus loin

11 "d'attaque".

12 Pouvez-vous nous donner des détails à ce propos ?

13 R. Non, pas du tout. Je n'étais pas sur les lieux.

14 Q. Je n'ai pas d'autres questions en ce qui concerne Aleksinac.

15 S'agissant de Rambouillet, vous avez rencontré l'accusé. Est-ce qu'il vous

16 a fourni la moindre explication expliquant la démarche différente retenue

17 par les Serbes vers la fin du mois de février où ils étaient en faveur

18 d'une solution politique, et la différence au moment du retour de la

19 délégation à Belgrade où ils s'y opposaient ?

20 R. Non, nous n'avons pas eu suffisamment de temps pour en parler. Je

21 connais la question, car j'ai étudié le traité de Rambouillet. Il n'était

22 pas nécessaire de poser des questions supplémentaires. A ma connaissance,

23 il était tout à fait justifié de refuser de signer un traité qui livrait la

24 totalité du pays qui cédait son pouvoir de gouvernement à des forces armées

25 qui auraient toute latitude de traverser le pays pour transformer le pays

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1 en protectorat international. Il n'était pas nécessaire de poser d'autres

2 questions; il me suffisait d'avoir une réponse.

3 Q. Est-ce qu'au cours de ces guerres, vous êtes allée au Kosovo ?

4 R. Non, j'ai été au Kosovo il y a 25 ans.

5 Q. Au cours de ces guerres, est-ce que vous êtes allée en Croatie ou en

6 Bosnie ?

7 R. Non, pas du tout. Je suis allée une fois à Belgrade vers le milieu des

8 années 1980, car j'étais l'agent chargé des relations publiques pour un

9 match de football. C'était une bonne occasion que de voir un match. Les

10 Grecs ont perdu 4 à 1.

11 Q. En Grèce même, on a beaucoup parlé de la presse locale des souffrances

12 endurées par les Serbes, n'est-ce pas ?

13 R. Oui. Ce furent des récits tout à fait éloquents, très émotionnants qui

14 relataient ce qui s'était passé. Pendant la première année, à la suite des

15 bombardements, les Grecs ont été accusés en tant que journalistes dans

16 toute l'Europe, d'être favorables aux Serbes. Deux ans plus tard, dans

17 toute l'Europe, les journalistes grecs ont été portés aux nues pour avoir

18 révélé la vérité, pour avoir révélé les mensonges proférés à propos de

19 cette guerre.

20 Permettez-moi de dire une chose. Nous sommes fiers de voir que tout ce qui

21 a été écrit, que tout ce qui a été dit dans les médias grecs, s'est avéré

22 être précisément ce qui se passe aujourd'hui en Iraq. On commence par des

23 mensonges et on finit par la vérité. Non pas que nous soyons de meilleurs

24 journalistes que les autres journalistes occidentaux. C'est tout simplement

25 parce que nous étions tout près et que nous connaissons les Balkans. Il est

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1 dans notre sang. Il est dans notre histoire, -- les Balkans sont dans notre

2 sang, dans notre histoire. Nous connaissons la Slovénie. Nous connaissons

3 les Albanais. Nous sommes tous des amis. Les ennemis des Balkans ne sont

4 pas dans les Balkans.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Répondez simplement la question.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai fait de mon mieux pour répondre à la

7 question parce qu'il parle des médias. Les médias, c'est ma vie, c'est mon

8 métier. Je dois protéger mes collègues grecs, Monsieur Nice.

9 M. NICE : [interprétation]

10 Q. Je suppose que vous avez soulevé cette question, à savoir, les

11 critiques à l'encontre de la presse grecque. Est-ce qu'on n'a pas critiqué

12 celle-ci pour le fait qu'elle n'ait pas suffisamment parlé des souffrances

13 subies par les Musulmans de Bosnie, par les Albanais du Kosovo ? Etes-vous

14 d'accord pour dire qu'on a révélé ainsi un parti pris ?

15 R. Pas le moins du monde. Suivez les médias. Voyez ce que les médias

16 disent en Grèce. A ce moment-là, jamais vous ne penseriez à poser une telle

17 question. Nous sommes une nation de réfugiés. Nous, nous avons derrière

18 nous trois ou quatre guerres. La moitié de la population grecque a été

19 déplacée de la côte orientale de la Turquie. Nous, nous sommes une nation

20 de réfugiés. Nous savons ce que cela veut dire qu'être un réfugié.

21 Je vais vous dire ce qu'ont demandé les médias grecs pour que les Juges le

22 sachent aussi : nous connaissons les Albanais du Kosovo. Nous connaissons

23 les Albanais. Nous connaissons leur visage. Il y a un million d'Albanais

24 qui travaillent dans mon pays. Nous nous demandions pourquoi les médias

25 occidentaux, pourquoi M. Blair ou

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1 M. 007, Roger Moore, n'était pas là, ou était là plus exactement, à faire

2 la propagande des petits Albanais du Kosovo, et pourquoi il ne montrait que

3 des blonds, des petits enfants blonds aux yeux bleus. Est-ce qu'ils les

4 triaient sur le volet ? Les médias grecs ont même posé une autre question.

5 Cette question-là, elle a été posée. Tous les partis politiques, tous les

6 médias, mis à part, bien sûr, ceux qui ont des affiliations politiques

7 particulières, ont parlé de l'extorsion. Nous ne sommes pas une nation.

8 Nous ne sommes pas des médias qui ne reconnaissent pas les crimes de

9 guerre. Mais de là à parler de génocide, pourquoi est-ce qu'on accepterait

10 les erreurs commises par l'OTAN, le génocide commis par l'OTAN, et pourquoi

11 pas les erreurs d'autres pays, d'autres nations ?

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous procédez au

13 contre-interrogatoire du témoin. Arrêtez si vous estimez avoir reçu une

14 réponse.

15 M. NICE : Oui, je suis peu enthousiaste à l'interrompre.

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, vous êtes très poli. Vous pouvez

17 m'interrompre si vous le souhaitez.

18 M. NICE : [interprétation]

19 Q. Merci de l'invitation. Je retiens ce que vous me dites.

20 Vous êtes vice-présidente de la campagne engagée pour les libérer cet

21 accusé.

22 R. Oui.

23 Q. Depuis que vous êtes vice-présidente de cette campagne, de cette

24 organisation, des documents ont été publiés, qui donnent leur avis sur ce

25 Tribunal.

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1 R. Oui, vous les trouvez sur Internet.

2 Q. Je suppose que vous soutenez tous ces documents publiés par votre

3 organisation ?

4 R. Je suis membre de cette organisation. Je suis venue à La Haye il y a

5 quatre ans de cela. J'ai voulu offrir mes services en tant que défenseur de

6 M. Milosevic. J'ai un avis politique personnel. J'estime que ce procès --

7 Q. Je relève votre invitation; je vous interromps. Vous soutenez les

8 documents publiés par votre organisation.

9 R. Ceux que je connais.

10 Q. Il y a eu notamment le 21 octobre 2001, un document.

11 R. Oui.

12 Q. C'est la déclaration de la conférence internationale. Vous y étiez ?

13 R. Vous me demandez si j'ai participé à cette conférence internationale ?

14 Q. Celle qui voulait libérer Slobodan Milosevic, les impératifs moraux et

15 politiques. Elle s'est tenue à Belgrade le

16 21 octobre 2001. Est-ce que vous y étiez ?

17 R. Je ne me souviens pas. En 2001, j'étais à Belgrade invitée par le parti

18 communiste. Mais je suis tout à fait d'accord.

19 Q. La façon dont on décrit ce tribunal comme étant un instrument politique

20 de génocide et de démonétisation, vous êtes d'accord avec cette

21 qualification ?

22 R. Ce Tribunal ne peut pas faire de génocide mais démonétisation, oui.

23 Cela me rappelle le Moyen Âge, et les prêtres de l'Inquisition qui

24 chassaient les magiciens.

25 Q. Pour vous, c'est un tribunal purement politique ?

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1 R. A mon avis, oui, parce que j'ai été au Rwanda et j'ai vu un autre

2 tribunal du même type, et cela a fini par dire que c'étaient deux sœurs

3 catholiques qui étaient responsables du génocide. Je l'ai vu.

4 Q. Vous savez qu'on fait l'équation entre l'Amérique et l'Allemagne

5 nazie ?

6 R. Je pense que la politique américaine d'aujourd'hui et la politique de

7 Sharon, ce sont des politiques néo-nazies, et qu'en fait, ils s'opposent à

8 l'humanité. Ce sont des crimes contre l'humanité commis partout dans le

9 monde. Je connais parfaitement la constitution américaine. J'y ai fait mon

10 école aux Etats-Unis. J'ai un diplôme américain. J'ai des parents aux

11 Etats-Unis, et je pense qu'il faut lutter contre cette politique et que, ce

12 faisant, je lutte pour les droits civils et politiques des Américains de

13 par le monde.

14 M. NICE : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à poser. Je vous

15 remercie.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Questions supplémentaires, Maître

17 Kay ?

18 M. KAY : [interprétation] Pas de questions supplémentaires. Je ne sais pas

19 si vous, Messieurs les Juges, vous avez des questions supplémentaires.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, voulez-vous

21 poser des questions en guise de questions supplémentaires ?

22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, quand mes droits me seront

23 rendus, je poserai des questions.

24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous ne vous avons pas entendu.

25 Pourriez-vous répéter ce que vous avez dit ?

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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, quand mes droits me seront

2 rendus, j'interrogerai le témoin.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame Kanelli, ceci met fin à votre

4 déposition. Merci d'être venue déposer devant nous. Vous pouvez vous

5 retirer.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

7 [Le témoin se retire]

8 M. KAY : [interprétation] Il y a cet article avec photographies qui a été

9 produit au cours de la déposition du témoin. Je pense que ceci devrait

10 devenir une pièce. Ce sera la pièce D249.

11 [La Chambre de première instance se concerte]

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Cette pièce sera versée au

13 dossier. Ce sera la pièce D249.

14 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Pièce D249.

15 M. KAY : [interprétation] Le témoin a fait état d'un autre rapport. Vous

16 avez posé des questions à ce propos. Permettez-moi de suggérer la même

17 procédure que celle adoptée pour M. Hutsch. Nous lui avons demandé de nous

18 le remettre. Nous pourrons éventuellement veiller à sa traduction pour le

19 soumettre, et si ceci enclenche d'autres étapes, nous pourrons en discuter

20 à ce moment-là.

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, cette même procédure sera

22 retenue.

23 Maître Kay, où en sommes-nous s'agissant de la liste des témoins ?

24 M. KAY : [interprétation] Fin de la semaine dernière, début de cette

25 semaine-ci, nous avons discuté des témoins. Il était prévu d'avoir un autre

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1 témoin aujourd'hui, un ressortissant allemand, M. Hensch. Je vous ai dit

2 qu'il n'était pas très loin du Tribunal. Il attendait l'autorisation de son

3 gouvernement pour pouvoir déposer. Son gouvernement a dit ne pas être

4 préoccupé de la question en laissant entendre que c'était l'OSCE qui devait

5 décider. Nous avions utilisé cette voie pour le contacter.

6 Cependant, hier, j'ai appris que ce témoin n'était pas nécessaire en

7 tant que témoin à décharge et qu'il serait rayé de la liste. C'est ce que

8 j'ai appris hier par la bouche de l'officier de liaison. Je considère que

9 c'est une instruction qui m'est donnée. Vu les circonstances, j'invite la

10 Chambre à retirer M. Hensch de la liste déposée officiellement, liste des

11 témoins à décharge en l'espèce.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pour moi, cela veut dire qu'il y a

13 eu une communication entre l'accusé, ses associés, l'officier de liaison et

14 vous-même ?

15 M. KAY : [interprétation] Ceci m'a été transmis par l'officier de liaison,

16 par la personne chargée de la liaison en tant que filière de transmission.

17 Les circonstances étant ce qu'elles sont, cela revient à être une

18 instruction qui m'est donnée.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est à vous de décider de la façon

20 dont les moyens à décharge doivent être présentés en collaboration avec

21 l'accusé. La Chambre estime que c'est là une forme de communication, un

22 signe de coopération entre l'accusé et vous-même. Mais pour que tout soit

23 transparent, le dossier actera du fait qu'il y a retrait de ce témoin dans

24 les modalités que vous venez de nous présenter.

25 M. KAY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Conformément au

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1 devoir qui est le mien, j'applique les instructions reçues. Je sais que ce

2 témoin avait été reçu par M. Milosevic qui l'avait interrogé. Ce n'était

3 pas un témoin que nous, nous avions interrogé ou eu le temps d'interroger.

4 Là, une décision a été prise en la matière s'agissant de savoir s'il allait

5 comparaître ou pas.

6 Ceci étant, nous n'avons pas d'autres témoins pour aujourd'hui.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Dites-nous officiellement ce qu'il

8 en est de l'autre témoin allemand.

9 M. KAY : [interprétation] C'était M. Hartwig. Il avait offert de témoigner.

10 Il avait fait cette offre à la Défense. Nous avions eu un contact avec lui,

11 et nous avions entamé le processus qu'il demandait, à savoir qu'il devait

12 obtenir l'autorisation du ministère allemand compétent afin qu'il puisse

13 comparaître en tant que témoin à décharge. Lorsque nous l'avons appris,

14 nous nous en sommes occupés. A cela s'ajoutait la question d'obtenir

15 l'autorisation de l'OSCE, car il avait travaillé pour l'OSCE en tant

16 qu'observateur. Il avait été chef de mission pour la Mission de

17 vérification du Kosovo.

18 Récemment, je ne sais plus exactement quand, à brûle-pourpoint, mais cela a

19 été consigné quelque part. Je ne sais pas si ceci se retrouve dans le

20 document que j'ai reçu avant d'entrer dans ce prétoire. Il a fait état de

21 son refus de témoigner. D'après les informations reçues, de toute façon,

22 c'est qu'il se trouve pour le moment en Afghanistan, mais ce n'est pas là

23 la raison qui l'a poussé à refuser de témoigner.

24 Nous avons ici une annexe de 165 témoins que nous avons essayé de contacter

25 en vue de ce procès pour essayer d'obtenir des renseignements plus précis

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1 que je serai à même de vous fournir. Excusez-moi, pendant que je parle, je

2 cherche dans ce document. Oui, j'ai trouvé l'endroit. Cette communication

3 était le 18 octobre, c'est ce que ce document me dit. Nous avons reçu une

4 note disant que ce témoin ne souhaitait plus déposer.

5 En outre, il n'avait pas encore reçu l'autorisation à ce stade du

6 gouvernement allemand lui permettant de témoigner. Là, on se passe les

7 responsabilités. Manifestement, on veut faire la censure et déterminer si

8 les gens peuvent déposer ou pas.

9 J'ai eu des renseignements en ce qui concerne M. Hensch, qu'on vient

10 de retirer. C'est une lettre du 18 octobre. Il y est dit que la décision

11 devait être prise par le OSCE, mais le conseil juridique de l'ambassade

12 allemande avait dit : "Que l'autorisation permettant à M. Hartwig de

13 déposer n'était pas encore prise, et il promet de réagir dans les meilleurs

14 délais."

15 Nous avons reçu une lettre, je vous le disais. Elle porte la date du

16 18 octobre, mais elle est arrivée ici, semble-t-il, le 16 octobre. Le motif

17 qu'il avance, c'est ceci : "Je ne suis prêt à témoigner que si l'accusé a

18 de nouveau, le droit de se défendre. Je ne peux donc fournir maintenant

19 aucune date, aucun moment d'arriver. C'est la Chambre qui décidera si les

20 choses changent. De plus, je peux avoir la permission préalable du

21 ministère des Affaires étrangères allemand, et aussi de la Communauté

22 européenne."

23 C'est un courrier électronique envoyé par M. Hartwig qui nous est

24 parvenu.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, si vous estimez que les

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1 autorisations nécessaires ont été obtenues, si le témoin refuse de venir,

2 je suppose que vous allez envisager une mesure que vous voudrez prendre.

3 M. KAY : [interprétation] Oui. Il faudra étudier la question. Je vous l'ai

4 dit hier, Messieurs les Juges. Nous avons parcouru la liste des témoins. Il

5 nous faut maintenant voir si nous voulons utiliser tel ou tel moyen suggéré

6 par les Juges de la Chambre à ce stade de la procédure, s'agissant de la

7 production forcée des témoins.

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] La semaine prochaine, quel témoin

9 allons-nous avoir plutôt, demain.

10 M. KAY : [interprétation] Demain, personne. Pendant la pause, je n'ai pas

11 pu parler très longtemps avec M. Spasic, et je ne sais pas ce que M. Spasic

12 a dit précisément, lorsqu'il a eu un entretien hier. Il faut tirer ceci au

13 clair. Je veux m'assurer que j'ai bien tous les éléments de cette

14 conversation.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il devait déposer demain ?

16 M. KAY : [interprétation] Oui. D'après les renseignements recueillis, il

17 est certain qu'il ne sera pas présent ici demain. Est-ce qu'il pourra être

18 disponible à un stade ultérieur, cela, je ne le sais pas. Je n'ai pas eu

19 l'occasion de parler de façon approfondie avec la personne qui s'est

20 entretenue avec lui hier après-midi.

21 Vu les circonstances, nous n'avons pas d'autres témoins cette semaine.

22 S'agissant de la semaine prochaine, nous allons avoir une réunion cet

23 après-midi, pour faire le point.

24 Je le répète, la Chambre a parlé des mesures qu'il serait possible de

25 prendre avant la production forcée du témoin. Nous aimerions en discuter

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1 avec vous, Messieurs les Juges, pour déterminer de façon précise quels

2 seraient ces moyens. La chose est loin d'être simple, c'est manifeste, car

3 d'un côté vous avez des gens qui disent qu'il n'y a pas d'objection, mais

4 vous avez des états, qui se demandent s'il faut donner l'autorisation à tel

5 ou tel témoin. C'est une procédure qui risque d'être très compliquée selon

6 les circonstances.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] S'agissant du témoin Hartwig, le

8 greffe nous a envoyé un courrier électronique hier. Il indique que l'Union

9 européenne avait donné son aval, et d'autres promesses dans le même sens

10 avaient été données par les Allemands et par l'OSCE. Là, je lis le courrier

11 électronique, et les deux devraient être ici aujourd'hui. Cela, c'était

12 hier.

13 M. KAY : [interprétation] Je n'ai pas reçu d'informations plus récentes que

14 celles qui m'ont été données hier. Je sais bien que les responsables du

15 Greffe qui me transmettent les renseignements reçus par eux, me les

16 transmettent très rapidement, dès leur arrivée. J'apprécierait -- ah,

17 excusez-moi.

18 [La Chambre de première instance se concerte]

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, avez-vous des

20 observations ?

21 M. NICE : [interprétation] Je ne crois pas, car pour le moment, nous

22 attendons simplement de voir si des témoins vont se présenter

23 volontairement. Mais plus tard, il est possible que j'aie des observations

24 à faire au sujet des moyens possibles pour contraindre les témoins à

25 comparaître. Je pense qu'il est préférable de parler de cela plus tard.

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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, vous venez d'indiquer

2 que vous n'aviez pas de témoins pour l'audience de demain. Dans ces

3 conditions, il ne semble pas particulièrement utile de se réunir demain.

4 M. KAY : [interprétation] Fort bien.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous demanderais de nous faire

6 savoir par les voies habituelles d'ici à jeudi quelle est la liste de vos

7 témoins pour la suite des débats.

8 M. KAY : [interprétation] Oui.

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ou plutôt, vendredi. Veuillez nous

10 communiquer la liste des témoins pour la semaine prochaine durant la

11 journée de vendredi.

12 M. KAY : [interprétation] J'informerai la Chambre et toutes les parties

13 dans les conditions habituelles, et je donnerai autant de renseignements

14 que possible sur la situation actuelle, de façon à ce que chacun sache où

15 nous en sommes. Je dirais notamment ce qui c'est passé cette semaine, ainsi

16 que les intentions qui se dégagent pour l'avenir, si cela peut être utile à

17 la Chambre.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Dans ces conditions, l'audience est

19 levée jusqu'à mardi prochain. Suspension.

20 --- L'audience est levée à 11 heures 34 et reprendra le mardi 26

21 octobre 2004, à 9 heures 00.

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