Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 1er décembre 2004

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 06.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, oui.

6 M. NICE : [interprétation] Je serai très bref, Monsieur le Président. Une

7 petite question administrative à traiter. Il viendra témoigner 2 témoins

8 experts, un dénommé Terzic et un dénommé Popov. Je crois qu'il y a une

9 requête et des ordonnances qui devraient être faites à ce sujet. Je ne sais

10 pas du tout quelle est la position de la Chambre.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous avons livré une ordonnance. Je

12 crois que vous deviez l'obtenir, je l'ai signée hier.

13 M. NICE : [interprétation] Merci beaucoup.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qu'en est-il de l'autre ?

15 M. NICE : [interprétation] Popov.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il sera fait une ordonnance au sujet

17 de ce deuxième témoin d'ici vendredi.

18 M. NICE : [interprétation] Cela nous permettra de traiter de toutes ces

19 questions en temps utile. Je crois que je n'ai pas encore trouvé une

20 ordonnance. Il s'agit de quelque 50 témoins et du calendrier de leur

21 comparution. Je crois que nous avons une pose pour Noël, et il fallait que

22 l'on nous communique une liste de témoins qui viendront après la pause de

23 Noël.

24 Jusqu'à présent, nous n'avons pas obtenu de l'information au sujet de

25 ces témoins pour pouvoir nous préparer, autrement, nous ne pourrons pas

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1 nous préparer. Lorsque l'on se penche sur les résumés présentés en vertu du

2 65 ter au sujet des sujets dont viendront témoigner les témoins, et lorsque

3 cela n'est fait que sur quatre ou cinq lignes, il est difficile de se

4 préparer sans disposer des détails qui, d'ailleurs, ont été fournis par

5 l'Accusation à la Défense.

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Combien de témoins avez-vous sur la

7 liste de l'accusé pour le mois de décembre ?

8 M. NICE : [interprétation] Ils sont encore six, me semble-t-il. Le dénommé

9 Terzic, puis Popov --

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] En tout état de cause, l'accusé

11 devra vous présenter une autre liste d'ici la fin de cette audience.

12 M. NICE : [interprétation] Certes.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il devra s'agir des témoins qui

14 comparaîtront en janvier, février et mars.

15 M. NICE : [interprétation] Merci beaucoup.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons livrer une ordonnance à

17 ce sujet.

18 Monsieur Milosevic, veuillez citer votre témoin suivant.

19 L'ACCUSÉ : [interprétation] Avant que de citer le témoin suivant, je

20 voudrais présenter une requête. Voilà de quoi il s'agit. M. Primakov a

21 mentionné hier son livre intitulé "Huit mois de plus". Une partie de

22 l'interrogatoire, et notamment du contre-interrogatoire, s'est rapportée

23 sur sa conversation avec Chirac au sujet de son déplacement vers Belgrade.

24 Il y a également les entretiens qu'il a eus avec Gore, avec Kofi Annan. Je

25 ne vais pas entrer davantage dans la teneur de ces conversations. J'estime

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1 toutefois qu'il est utile de disposer de tout ceci. Je voulais vous

2 demander à ce que ce livre de M. Primakov soit versé au dossier.

3 Je vais vous le préparer et vous le faire parvenir si tant est que vous

4 seriez d'accord pour que nous le fassions.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Fournissez-le nous, et nous allons

6 nous pencher sur la question.

7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Je cite à la barre le témoin Vukasin

8 Jokanovic.

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, on me rappelle

10 qu'il s'agit seulement de parties de ce livre qui seraient pertinentes, et

11 on attire mon attention sur le fait de prendre en considération le

12 versement au dossier de ces parties-là. J'aimerais que vous nous

13 identifiiez ces parties.

14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.

15 M. NICE : [interprétation] Bien entendu, je n'ai pas été prévenu à

16 l'avance, parce que j'aurais préparé plusieurs questions à l'avance si

17 j'avais eu l'opportunité de voir ce livre auparavant. Peut-être pourrais-je

18 le voir une fois versé au dossier.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, tout à fait.

20 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je demanderais au témoin de nous

22 donner lecture de la déclaration solennelle.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

24 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez vous asseoir.

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1 LE TÉMOIN : VUKASIN JOKANOVIC [Assermenté]

2 [Le témoin répond par l'interprète]

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous pouvez

4 commencer.

5 Interrogatoire principal par M. Milosevic :

6 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Jokanovic.

7 R. Bonjour.

8 Q. Je vous prie de décliner votre identité complète.

9 R. Vukasin Jokanovic.

10 Q. Vous êtes né et vous avez longtemps résidé au Kosovo et Metohija. Vous

11 avez fait vos études là-bas jusqu'au niveau universitaire. Dites-nous

12 brièvement quelque chose au sujet de votre biographie.

13 R. Oui, j'ai passé la majeure partie de ma vie au Kosovo. J'y ai longtemps

14 vécu et travaillé. Mes études primaires et secondaires ont été faites au

15 Kosovo, et j'ai fait mes études universitaires à Skopje en Macédoine. J'ai

16 travaillé pendant 14 ans à Gnjilane. Là-dessus, sur ce temps, j'ai été

17 pendant huit ans maire de la municipalité de Gnjilane, deux mandats de

18 quatre ans. Puis, j'ai été membre du conseil exécutif de Kosovo, et j'ai

19 été secrétaire provincial chargé de la législation et de l'administration.

20 Q. Monsieur Jokanovic, je demanderais de parler un peu plus lentement pour

21 les interprètes. Je voulais préciser que la municipalité de Gnjilane se

22 trouve au Kosovo et Metohija, n'est-ce pas ?

23 R. Oui, tout à fait.

24 Q. Continuez, je vous prie.

25 R. Après ce mandat de quatre ans, en ma qualité de membre exécutif du

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1 Kosovo, j'ai été membre de la présidence de cette province autonome

2 socialiste du Kosovo. En 1998, j'ai été élu président du parlement. Nous

3 appelions cela l'assemblée du Kosovo. Je suis resté à ces fonctions pendant

4 deux mandats d'un an, parce qu'en vertu de notre système, les mandats

5 s'étiraient sur un an avec possibilité de renouvellement d'un an.

6 En fin 1989, je suis passé travaillé à Belgrade. J'ai été vice-président du

7 parlement de Serbie et député au parlement de Serbie. Puis, j'ai été député

8 fédéral et président du conseil chargé de la législation de

9 l'administration générale. J'ai été ministre au gouvernement fédéral. Ma

10 dernière fonction a été celle de procureur fédéral de la République

11 fédérale de Yougoslavie. Voilà quelques années déjà que je suis à la

12 retraite; deux années pour être précis.

13 Q. Merci, Monsieur Jokanovic. A l'époque où le parlement du Kosovo a

14 étudié les amendements à la constitution auprès de l'assemblée de la Serbie

15 en 1989, vous vous trouviez être président du parlement du Kosovo et de la

16 Metohija, n'est-ce pas ?

17 R. Oui, j'étais président du parlement là-bas pendant la période

18 concernée.

19 Q. C'est là un élément tout à fait important sur lequel nous allons nous

20 pencher. Je voulais que nous l'étudiions dès le début, mais il faut que je

21 procède à une vérification d'un enregistrement comme on me l'a dit au

22 niveau du greffe. Je crois que la question sera étudiée un peu plus tard.

23 Je me propose d'aborder de prime abord d'autres questions, parce que je

24 précise à l'intention de l'auditoire, qu'il y a un enregistrement à

25 visionner au sujet du témoignage de M. Jokanovic. Ce sera très bref.

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1 Monsieur Jokanovic, le Kosovo et la Metohija constituent un milieu

2 ethniquement mixte. Cela a toujours été le cas. Quelle avait été la

3 structure ethnique dans les instances où vous avez été appelé à intervenir

4 au plan professionnel ? Il en va de même pour ce qui est des entreprises

5 aussi.

6 R. Au sein des instances et entreprises, les choses dépendaient de la

7 structure ethnique de la population. Cela avait constitué l'une des

8 positions cruciales de la politique qui avait été conduite au Kosovo, ce

9 qui fait que s'agissant de toutes les fonctions, à commencer par la

10 municipalité jusqu'au niveau de la province ainsi qu'avec la représentation

11 aux instances de la république et de la fédération, tout était en fonction

12 de la composition ethnique. Il en allait de même pour ce qui est des

13 activités publiques et pour ce qui est du secteur économique.

14 Q. En 1989, alors que vous étiez vous-même président du parlement, vous

15 souvenez-vous qui est-ce qui étaient les personnalités politiques les plus

16 en vue au Kosovo et Metohija, et quelles étaient les personnalités

17 politiques représentées en Serbie et au niveau de la fédération et qui

18 étaient originaires du Kosovo et de Metohija ?

19 R. Il est certain que je m'en souviens. J'étais président du parlement.

20 Mon vice-président était un Albanais. Le secrétaire général était Albanais.

21 Le parlement avait trois chambres. Chaque chambre avait un président. Il y

22 avait là-dessus deux Albanais et un Monténégrin. Le président de la

23 présidence du Kosovo qui est l'organe collégial au sommet avait pour

24 président un Albanais. Le président de la présidence du comité provincial

25 de la Ligue des Communistes était un Albanais. Le président de l'Alliance

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1 socialiste qui est l'organisation sociopolitique la plus massive, était

2 également un Albanais. Le président de la jeunesse était un Albanais, et le

3 président de l'Union des syndicats était un Serbe. S'agissant des fonctions

4 de la plus haute responsabilité au niveau fédéral, il y avait également des

5 représentants albanais.

6 Q. Merci. Dites-moi, Monsieur Jokanovic, quand est-ce que vous avez eu à

7 faire face pour la première fois à des manifestations de ce séparatisme

8 albanais au Kosovo ? Ou je vais être plus précis. Quand est-ce que vous

9 avez eu à faire face à des manifestations de séparatisme albanais de façon

10 organisée ?

11 R. La première fois où j'ai eu à faire face à des manifestations

12 organisées de ce séparatisme et de ce nationalisme albanais, cela a eu lieu

13 en 1968. Cette année-là, dans plusieurs villes du Kosovo, il s'est tenu des

14 manifestations. Il y en a eu également à Gnjilane où je résidais et où je

15 travaillais moi-même. Ces manifestations se sont déroulées le 27 novembre

16 juste à la veille de la fête nationale albanaise qui est fêtée le 28

17 novembre. C'était la première fois où j'ai eu à faire face à des activités

18 organisées, à des manifestants organisés avec des slogans que nous ne

19 connaissons que trop bien.

20 Q. Dites-nous quelque chose de plus précis ? De quoi avaient l'air ces

21 manifestations, et quel était leur objectif ? Comment dirais-je encore,

22 quelle était leur ampleur ?

23 R. L'objectif fondamental de ces manifestations pouvait être vu au niveau

24 des slogans qui étaient criés. On disait, on s'écriait "Kosovo République"

25 et "Réunification." C'étaient les slogans prédominants. Il y avait d'autres

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1 bien sûr.

2 A Gnjilane, là où j'ai vu des choses de mes yeux, il y avait

3 essentiellement des gens jeunes, jeunes qui défilaient dans les rues. Les

4 organisateurs que nous avons identifiés par la suite au travers de nos

5 activités politiques et que nous avons critiqués et qui ont été jugés comme

6 étant -- que l'on a constaté ultérieurement avoir été des organisateurs,

7 étaient à proximité.

8 Les choses sont parties du centre scolaire de Gnjilane, et cela --

9 les manifestants défilaient jusqu'à la gare routière de Gnjilane.

10 Q. Monsieur Jokanovic, vous n'avez pas à aller dans tant de détails. Quels

11 étaient les slogans principaux ?

12 R. "Kosovo République" et "Réunification."

13 Q. Est-il exact de dire que ces manifestations ont été assez violentes à

14 Pristina, Urosevac, Gnjilane et autres villes du Kosovo et Metohija. Mais

15 en même temps, il y a eu des manifestations en Macédoine occidentale,

16 notamment à Tetovo ?

17 R. Oui, c'est exact. Les manifestations les plus grandes ont été à

18 Pristina, Urosevac, à Gnjilane. C'était un peu moins marqué. Puis, en

19 Macédoine occidentale, à Tetovo, et en Macédoine occidentale où les organes

20 -- les autorités de la République de Macédoine ont réagi de façon très

21 énergique.

22 Q. Dites-nous, comment en 1968 lorsque ces manifestations ont eu lieu,

23 comment ces manifestations ont été qualifiées par les instances

24 officielles ?

25 R. Les instances officielles de la municipalité où je travaillais et au

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1 niveau de la province, ont été qualifiées comme étant dirigées contre le

2 système constitutionnel. On a estimé que cela a été orienté contre

3 l'égalité en droit des nations et minorité nationale en présence contre la

4 fraternité et l'unité, comme nous l'avions l'habitude de le dire. Nous

5 avons dit que ces manifestations visaient à démanteler notre système

6 constitutionnel, le système autogestionnaire et les valeurs qui étaient

7 celles de notre système. Nous avions coutume de dire que c'était là la

8 politique du camarade Tito.

9 Q. Dites-moi, maintenant. Ces événements de 1968, en a-t-on parlé dans la

10 presse ?

11 R. Très peu. On a essayé de laisser les choses se tasser. C'était des

12 temps qui étaient ainsi. On avait pensé qu'il était impossible de voir des

13 choses pareilles se dérouler dans une Yougoslavie socialiste où Tito était

14 en pleine forme et exerçait son autorité à part entière. On a un peu

15 dissimulé les choses et cela n'a pas été publié par la presse. Il y a eu

16 des réunions au niveau de la province toute entière et avec des Albanais,

17 nous allions sur le terrain, nous expliquons les visées de ces

18 manifestations en les critiquant.

19 Q. Merci. Donc, la presse a visé à couvrir ces événements, à les

20 dissimuler. Est-ce que l'armée est intervenue ?

21 R. Non, l'armée n'a pas été utilisée à Gnjilane mais elle a été utilisée à

22 Pristina et à Urosevac, pour autant que je le sache. Les jours d'après, je

23 le sais, parce que j'ai voyagé vers Pristina et Urosevac dans les quelques

24 jours qui ont suivi.

25 Q. Nous n'avons pas à aller dans le détail, votre réponse est oui, l'armée

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1 est intervenue ?

2 R. Oui, dans une mesure moindre.

3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Jokanovic, pouvez-vous nous

4 dire quelle était votre profession en 1968 ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] En 1968, j'étais adjoint du directeur du

6 centre médical de Gnjilane. J'étais chargé des questions juridiques et

7 économiques au centre hospitalier, où il y avait un hôpital, une

8 bibliothèque médicale et plusieurs infirmeries. J'ai été politiquement

9 actif. Je me trouvais être membre de la Ligue des Communistes.

10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

11 M. MILOSEVIC : [interprétation]

12 Q. Vous avez mentionné les relations qui prévalaient et la position du

13 président Tito à l'époque. Quelle était l'attitude des Albanais vis-à-vis

14 de Tito ?

15 R. Le camarade Tito, comme nous l'appelions a, plusieurs fois, séjourné au

16 Kosovo. Il a toujours été accueilli par des masses de gens. Les élèves

17 sortaient dans les rues. Les entreprises ne travaillaient pas ce jour là ou

18 les écoles ne travaillaient pas, et de toute les manières possibles on

19 manifestation l'affection qu'on portait au président Tito. C'est la raison

20 pour laquelle il y avait un grand nombre de personnes qui l'accueillaient

21 dans les rues.

22 En même temps, il y avait des individus qui visaient à offenser la

23 personnalité du camarade Tito, qui inscrivaient des slogans, qui faisaient

24 montre d'une attitude négative à son égard. Cela traduisait une attitude en

25 provenance de l'Albanie, parce que Enver Hodza avait qualifié Tito de

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1 révisionniste par rapport à ce système stalinien qui prévalait en Albanie.

2 Ces manifestations-là et les manifestations, qui se sont produites par la

3 suite, avaient un préfixe marxiste staliniste.

4 Q. Merci.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, je voudrais vous

6 demander ou plutôt de poser à M. Jokanovic une question.

7 Comment l'armée a-t-elle traité les manifestants en 1968 ?

8 Y a-t-il eu des victimes ou des blessés ?

9 LE TÉMOIN : [interprétation] L'Armée de Yougoslavie n'a pas directement

10 pris part à la répression. Elle n'a pas eu recours aux armes et à la force.

11 Elle a surtout cherché à manifester sa présence, et on a surtout visé

12 l'effet psychologique en faisant défiler des véhicules militaires, et en

13 leur faisant occuper des installations cruciales.

14 Mais à l'époque, il n'y avait pas, au niveau des manifestants, la

15 volonté d'entrer en conflit avec l'armée. Ils ne voulaient pas provoquer

16 l'armée. Ils se retenaient de faire ce genre de choses. Pour ce qui est de

17 la police, les choses se sont passées autrement. Je ne sais pas si j'ai

18 répondu, à part entière, à la question que vous m'avez posée.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, vous l'avez fait.

20 Donc, les manifestations n'ont pas duré très longtemps.

21 LE TÉMOIN : [interprétation] En 1968, cela n'a pas duré longtemps, en

22 effet. Avec l'apparition des soldats, notamment dans les villes où les

23 manifestations étaient plus importantes et plus agressives, on a brisé

24 cette masse de manifestants. Tito était encore vivant et on connaît bien

25 ses discours. Il a dit : "Il ne faut pas que les ennemis de nos systèmes

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1 s'imaginent que nous avons donné des coups d'épée dans l'eau." Je me

2 souviens qu'il a déclaré que, Enver Hoxha d'Albanie devrait cesser de

3 brandir son épée rouillée à Kosovo Poljek [phon].

4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce que je peux continuer, Monsieur

5 Robinson ?

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, allez-y.

7 M. MILOSEVIC : [interprétation]

8 Q. Quelle a été l'évolution de la province pour ce qui est de la promotion

9 de l'autonomie après la Deuxième guerre mondiale ?

10 R. En application de la constitution de 1946, le Kosovo et Metohija

11 étaient une région autonome, alors que la Vojvodine était une province

12 autonome. C'est la constitution de 1963 qui a transformé la région autonome

13 de Kosovo et Metohija en province autonome de Kosovo et Metohija. Les

14 amendements constitutionnels de 1968 et 1971 ont fini par promouvoir la

15 position de la province, du point de vue de la croissance de ses

16 compétences et de ses fonctions. La question a été cernée par l'adoption de

17 la constitution de 1974.

18 Cette constitution de 1974 a fait que la province a plus ou moins

19 obtenu toutes les fonctions qui étaient celles d'une république au sein de

20 la Yougoslavie de l'époque.

21 Q. Merci, Monsieur Jokanovic. Est-ce que ces manifestations de 1968 ont

22 produit des effets pour ce qui est de la position occupée par la province ?

23 R. Oui, cela a produit des effets. Dans l'objectif de la stabilisation

24 durable de la situation au Kosovo, comme on pouvait l'entendre dire à un

25 bon nombre de réunions, l'on a cherché à aller de l'avant, pour ce qui est

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1 de ces revendications des manifestants. On visait à satisfaire à certaines

2 de ces revendications, ce qui fait que ces amendements de 1968, 1969 et

3 1971 n'ont pas complètement satisfait aux revendications présentées, mais

4 ont satisfait en partie à ces revendications, pour ce qui est des

5 élargissements des droits de la province, et pour la placer sur un pied

6 d'égalité avec la république.

7 En 1969, une décision de l'alliance socialiste du peuple travailleur

8 de Yougoslavie a fait qu'il était tout à fait permis aux Albanais

9 d'utiliser leur drapeau national. Or, ce drapeau national était identique à

10 celui de la République d'Albanie. Auparavant, hisser ce drapeau était

11 interdit. Eux, ils le faisaient notamment en date du 28 novembre, fête

12 nationale albanaise et les gens qui le faisaient étaient punis. Par la

13 suite, l'utilisation de ce drapeau a été massive. En outre, ce droit-là de

14 manifestation de leur appartenance ethnique, il y a eu pas mal d'abus pour

15 ce qui est de l'utilisation de ce drapeau, qui a souvent été utilisé pour

16 provoquer le reste de la population, en premier lieu les Serbes, les

17 Monténégrins et autres groupes ethniques.

18 Q. Est-ce que je me souviens bien, Monsieur Jokanovic, de la situation ?

19 Il ne s'agissait pas du drapeau national albanais, mais du drapeau de

20 l'état albanais voisin. Mais vous savez ceci mieux que moi.

21 Pour autant que je m'en souvienne, la différence était celle-ci. Le drapeau

22 traditionnel comporte l'aigle à deux têtes, noir sur un fond rouge. Le

23 drapeau du pays voisin était identique, mais avait également une étoile à

24 cinq pointes. Par conséquent, ils n'ont pas adopté leur drapeau, mais celui

25 de l'état voisin.

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1 R. C'est exact. C'était effectivement le drapeau de l'état voisin, avec

2 l'aigle à deux têtes et l'étoile comportant cinq branches. Si vous le

3 souhaitez, je peux vous fournir plus de détails là-dessus.

4 Quelques tentatives ont été faites aux fins de modifier ce drapeau, pour

5 pouvoir inscrire les trois couleurs de la Yougoslavie sur ce même drapeau

6 pour signifier l'appartenance à la Yougoslavie, mais ceci n'a pas été

7 accepté.

8 Q. Malheureusement, nous n'avons pas le temps de nous consacrer à la

9 question du drapeau. Vous connaissez tellement de choses sur la Yougoslavie

10 et sur la situation au Kosovo que nous pourrions consacrer beaucoup de

11 temps. Nous devons passer à autre chose.

12 Quels étaient les pouvoirs des Serbes dans la province ?

13 R. La constitution de 1974 a quasiment interdit à la Serbie, l'a privée de

14 ses droits au Kosovo. La province correspondait à une république, la

15 province du Kosovo et la province de la Vojvodine. La seule différence

16 tenait à ceci. La constitution en Serbie avait l'Article 300, qui prévoyait

17 que des solutions puissent être trouvées pour l'ensemble de la république.

18 La seconde différence était que le conseil des états et des républiques

19 comportait 12 délégués, alors que le nombre des députés pour les provinces

20 était huit. Il s'agissait d'un chiffre symbolique mais tout à fait

21 important. Les droits de ces délégations étaient tout à fait le même. Au

22 sein de la Chambre, il y avait 30 et 20 députés respectivement.

23 Q. Merci, Monsieur Jokanovic. A ce moment-là, et nous parlons maintenant

24 de l'époque allant de 1968 à 1974, date à laquelle tous ces droits ont été

25 modifiés, des pressions ont-elles été exercées sur les Serbes, les

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1 Monténégrins, les Turcs, les Roms, et quelle était l'attitude eu égard à la

2 population albanaise ?

3 R. Après ces manifestations, les Serbes, les Monténégrins et les autres

4 non-Albanais, et les [înaudible] avaient un sentiment d'insécurité car des

5 pressions étaient exercées sur les Serbes et les Monténégrins pour qu'ils

6 quittent le pays. C'était des pressions qui étaient à la fois directes et

7 indirectes. Ces manifestations qui ont eu lieu en 1968 ont quelque peu

8 modifiées les relations interethniques et ont signifié que certaines

9 personnes sont parties. Ceci a été une conséquence négative directe.

10 Egalement, il y avait différentes formes de pressions exercées à leur

11 encontre.

12 Q. A l'égard de ces pressions, de la violence qu'il y a eu contre les

13 Serbes, les Monténégrins, les Turcs, les Roms, la Serbie avait-elle

14 l'obligation de protéger les droits de tous ces citoyens sur l'ensemble du

15 territoire ? Est-ce qu'il s'agissait là d'une de ses obligations inscrites

16 dans la constitution ? La constitution permet-t-elle à la Serbie

17 d'appliquer cette obligation ?

18 R. D'après sa constitution, la Serbie avait l'obligation de protéger les

19 droits de son peuple et de ses citoyens sur l'ensemble du territoire de la

20 république. Il existait une telle disposition dans la constitution de la

21 Serbie. Néanmoins, la République de Serbie n'avait ni les instruments

22 nécessaires, ni l'autorité nécessaire pour faire respecter ces droits.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cette question a commencé comme suit :

24 "Etant donné la pression et la violence contre les Serbes …" Je ne me

25 souviens pas vous avoir entendu parler de violence contre les Serbes. Avez-

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1 vous évoqué ceci jusqu'à présent ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous entendez ici, au cours de ma déposition ?

3 Vous pensez à la violence contre les Serbes et les Croates et la pression

4 exercée sur eux pour qu'ils quittent la région ?

5 Ceci a commencé à partir des années 60 et s'est intensifié après 1968, et

6 s'est intensifié encore davantage après 1971. En premier lieu, cette

7 pression était exercée sur les Serbes et les Monténégrins, mais sur

8 d'autres peuples également. Les Turcs du Kosovo sont partis également. Je

9 peux vous donner quelques exemples très précis, si vous le souhaitez. Un

10 village près de Gnjilane, près de Kosovo, Dobrocane, qui était peuplé

11 quasiment à 100 % par des Turcs, avait sa propre école élémentaire. Plus

12 tard, il n'y avait plus de Turcs du tout dans cette école, car ils étaient

13 tous repartis en Turquie.

14 M. MILOSEVIC : [interprétation]

15 Q. A quel moment sont-ils partis ?

16 R. Il s'agissait d'un processus long. Il n'y a pas eu un exode en masse de

17 la population, mais c'est une famille après l'autre qui a quitté la région.

18 Une famille a commencé à partir et ensuite une autre. Ceci s'est étalé sur

19 plusieurs années, entre 1968 et jusqu'aux années 1980. Je dois dire que

20 jusqu'il y a dix ans environ, peut-être qu'il y avait deux ou trois

21 familles turques qui étaient restées dans ce village, qui entre-temps, ces

22 familles s'étaient intégrées, avaient suivi les écoles albanaises,

23 s'étaient mariées avec des gens sur place et s'étaient intégrées et avaient

24 un style de vie différent. Leur manière de vivre avait changé par rapport

25 aux premières années lorsque le village était entièrement habité par des

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1 Turcs.

2 L'INTERPRÈTE : Microphone, s'il vous plaît, Monsieur Milosevic.

3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Vous n'avez pas besoin d'éteindre votre micro.

4 M. MILOSEVIC : [interprétation]

5 Q. Monsieur Jokanovic, pourriez-vous nous dire quelle était la situation

6 sur le plan judiciaire ?

7 R. Le pouvoir judiciaire en Yougoslavie était organisé dans les

8 différentes républiques à la même manière, à savoir le pouvoir judiciaire

9 était exercé par la province. La province avait des tribunaux municipaux,

10 des tribunaux de district et des cours suprêmes. La Cour suprême du Kosovo

11 était la plus haute instance juridique, qui permettait de résoudre les

12 différents entre les citoyens, que ce soit des questions de droits civils

13 ou autres. Si les citoyens estimaient qu'on avait violé leurs droits, ils

14 se tournaient vers ces tribunaux. La constitution ne permettait d'avoir

15 recours aux tribunaux de Serbie. Il fallait se tourner vers les tribunaux

16 de la région, le tribunal de la province.

17 Q. Monsieur Jokanovic, je suis malheureusement obligé de vous couper, car

18 nous devons poursuivre. Pourriez-vous nous dire quelle était la situation

19 eu égard aux pouvoirs exécutifs et administratifs.

20 R. En vertu de la constitution --

21 Q. Je crois que nous comprenons tous comment fonctionnait la constitution,

22 mais quel était le pouvoir exécutif ?

23 R. Le pouvoir exécutif était entre les mains des organes de la province.

24 La province avait pour obligation et fonction de faire appliquer la loi.

25 Cette loi était une loi de la province, et il y avait également la loi de

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1 la république, qui devait être appliquée sur l'ensemble du territoire. Il y

2 avait également le droit fédéral.

3 Q. Merci. A la lumière de ce que vous venez de dire, les instances

4 provinciales avaient-elles le pouvoir, ou alors comment considérez-vous

5 cette affirmation : "En raison des troubles politiques, le 3 mars 1989, la

6 présidence de la RSFY a déclaré que la situation dans la province s'était

7 détéroriée et constituait une menace à la constitution, l'intégrité et la

8 souveraineté du pays. Le gouvernement a alors imposé des mesures spéciales

9 qui m'ont accordé des pouvoirs particuliers pour assurer l'autorité de

10 cette province."

11 Faites particulièrement attention à ce que je viens de citer. Il s'agit là

12 d'un extrait de ce document. "La responsabilité de la sécurité publique est

13 entre les mains du gouvernement fédéral au lieu d'être entre les mains du

14 gouvernement de Serbie."

15 Pourriez-vous nous faire un commentaire sur ce que je viens de lire, s'il

16 vous plaît ?

17 R. La première partie me semble être tout à fait correcte. Ces mesures

18 spéciales ont été introduites à cause d'une détérioration de la situation

19 au plan politique et au plan de la sécurité. Mais la dernière partie n'est

20 absolument pas correcte car le gouvernement fédéral n'a pas assigné comme

21 il est indiqué ici.

22 Q. Non. On peut lire la phrase en entier : "Le gouvernement a alors imposé

23 des mesures spéciales aux fins de faire porter la responsabilité pour la

24 sécurité publique au gouvernement fédéral au lieu du gouvernement de

25 Serbie."

Page 33999

1 Donc, le gouvernement fédéral a transféré la question de la sécurité

2 publique entre les mains de la Serbie à celui du gouvernement fédéral.

3 R. La Serbie n'avait pas les moyens et ne pouvait pas transféré cette

4 autorité au gouvernement fédéral qui aurait dû être celui de la Serbie. Il

5 s'agissait de transférer les autorités et le pouvoir de la Serbie vers les

6 autorités fédérales alors cela n'avait pas été possible vu que la Serbie

7 n'exerçait pas ses attributions et ses compétences sur le territoire de la

8 province puisque c'était la province qui les exerçait elle-même.

9 Si vous me le permettez, j'aimerais parler un peu plus à propos de cela.

10 Q. Si vous pensez que c'est important, allez-y, mais soyez bref.

11 R. Je souhaite simplement mentionner un fait. Il y avait des

12 manifestations en 1981. La police serbe a proposé son aide à la police du

13 Kosovo, mais les instances provinciales n'ont pas autorisé la police serbe

14 a aidé leurs collègues. La police de Serbie, pendant quelques jours, se

15 trouvait proche de la frontière administrative du Kosovo, un endroit qui

16 s'appelait Rudare, et attendait que la situation trouve une solution. Un

17 peu plus tard, il a permis à ces différentes forces d'entrer, mais il ne

18 s'agissait pas alors de faire entrer des forces serbes. Mais cela faisait

19 partie des forces conjointes de la Yougoslavie, qui comprenaient des

20 Slovènes, des Croates et différentes personnes de la police de Vojvodine,

21 de la Macédoine, et cetera.

22 Q. Ce que vous avez dit à propos du gouvernement imposant des mesures

23 spéciales donnant la responsabilité du gouvernement de Serbie et remettant

24 les pouvoirs du gouvernement de Serbie au gouvernement fédéral pour ce qui

25 est des mesures de sécurité.

Page 34000

1 R. Oui, c'est incorrect parce que c'est quelque chose qui n'a pas existé.

2 On n'aurait pas pu transférer l'autorité de cette manière-là à quelqu'un

3 d'autre.

4 Q. Très bien.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, je souhaite que

6 ceci soit tout à fait clair.

7 Qui avait l'autorité au plan de constitution pour assurer le maintien de

8 l'ordre public ?

9 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était en regard de la constitution. La

10 sécurité au Kosovo et dans la Metohija était -- les questions de sécurité

11 étaient entre les mains des instances du Kosovo et de Metohija conformément

12 à la constitution du Kosovo et conformément à la constitution yougoslave.

13 Car il s'agissait de faire appliquer la loi et de protéger l'ordre public.

14 Ceci relevait de la compétence des instances de la province, du secrétariat

15 de la province chargé des affaires intérieures et des services de Sécurité

16 de la province, qui était distinct des services serbes comportant le même

17 nom. C'était un organe indépendant qui agissait de façon indépendante des

18 services de Sécurité serbe et des affaires internes.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Autrement dit, ce que vous dites,

20 c'est qu'au plan juridique, le gouvernement fédéral n'aurait, en aucune

21 manière, pu transférer ses pouvoirs à la Serbie.

22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Non, non, Monsieur Robinson. J'ai cité. Très

23 bien. Bien. Nous allons clarifier ce point. Je souhaite que ceci soit très

24 clair.

25 J'ai cité ici un document qu'ils appellent un acte d'accusation, qui

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1 comporte également quelques autres non-vérités. Il est précisé que : "Le

2 gouvernement a imposé des mesures spéciales, à savoir, faire en sorte que

3 la question de la responsabilité de sécurité publique, soit remise entre

4 les mains du gouvernement fédéral au lieu du gouvernement de Serbie." Mais

5 ceci n'est pas exact, car le gouvernement de Serbie ne pourrait pas remplir

6 ces fonctions. Il ne peut pas remplacer le gouvernement fédéral. Par

7 conséquent, n'est pas en mesure d'assurer ceci.

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Cela, je le comprends très bien.

9 L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est bien clair. Il n'était pas en mesure

10 d'assurer ces fonctions. Donc, ce n'était pas possible de faire appliquer

11 ceci.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il s'agissait de la position

13 constitutionnelle de jure si vous voulez. Mais ceci s'est-il réellement

14 passé ?

15 L'ACCUSÉ : [interprétation] De facto, il n'avait aucun pouvoir.

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Cette situation de jure était également la

17 situation de facto à une différence près, à savoir, après les

18 manifestations de 1981, les autorités fédérales ont mis en place des forces

19 de police communes, et rassemblant les forces de police de toutes les

20 républiques de la province de Vojvodine aux fins de renforcer les organes

21 au Kosovo. Au sein de ces forces communes, il existait également des forces

22 de Serbie sous le commandement du chef de l'état-major, qui avait été nommé

23 par leur différent ministère respectif. Cela ne relevait pas de la

24 compétence de la Serbie.

25 Je ne sais pas si c'est très clair. Je peux réessayer si vous voulez.

Page 34002

1 M. MILOSEVIC : [interprétation]

2 Q. Monsieur Jokanovic, vous, en tant que secrétaire de la province en

3 charge des questions juridiques et de l'administration générale, car tel

4 était le poste que vous occupiez à l'époque, est-ce que vous avez pris part

5 aux travaux sur l'harmonisation de ces articles de lois et de l'Article 300

6 de la constitution serbe ? En d'autres termes, pour être bref, il

7 s'agissait du seul article de la constitution qui permettait à la

8 République de Serbie d'exercer certains pouvoirs sur l'ensemble de son

9 territoire, à condition qu'il y ait un accord avec la province. Cette

10 disposition-là ne permettait pas à la Serbie d'agir ainsi. Mais

11 conformément à l'Article 300, nous étions, en tout cas, en mesure de

12 parvenir à un accord avec la province.

13 R. Entre 1978 à 1982, j'étais secrétaire de la province, chargé des

14 affaires juridiques et de l'administration de la province. Conformément à

15 l'Article 300, certains points ont été intégrés, certains points qui ont

16 été réglementés de façon à harmoniser sur l'ensemble du territoire de la

17 Serbie. Néanmoins, cet Article 300 était assez vague et formulé de façon

18 assez générale. Par conséquent, ces questions-là qui ont été réglementées

19 de façon générale, ne s'appliquaient qu'aux principes de base, autrement

20 dit, les fondamentaux. Il était très difficile de savoir précisément

21 jusqu'où ces fondamentaux pouvaient être appliqués. Par conséquent, les

22 négociations avec les représentants de la Vojvodine et du Kosovo étaient

23 difficiles. Ces négociations étaient difficiles, souvent longues et souvent

24 n'aboutissaient à rien. Il était très difficile de parvenir à un accord.

25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Jokanovic, avant d'aller plus

Page 34003

1 loin, pourriez-vous me rappeler quel est le contenu de l'Article 300 de la

2 constitution serbe, je vous prie ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas l'Article 300 de la constitution

4 serbe sous les yeux, mais il énumère différents points, qui peuvent être

5 appliqués de façon uniforme sur l'ensemble du territoire de la Serbie.

6 Néanmoins, cet Article 300 était vague et formulé de façon très générale.

7 Par conséquent, toute tentative d'interprétation n'aboutissait en général

8 qu'à des vues diamétralement opposées, autrement dit, très souvent, menait

9 à des contradictions.

10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez-vous faire la clarté sur ce

11 terme ? Vous avez parlé de réglementer de façon uniforme au sein de la

12 République de Serbie. Pourriez-vous nous en parler davantage ?

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je crois que je pourrais demander, -- poser une

14 série question à ce témoin. Ce serait peut-être une façon plus efficace de

15 traiter cette question.

16 M. MILOSEVIC : [interprétation]

17 Q. Cet Article 300, était-ce le seul article de la constitution serbe qui

18 permettait à quelqu'un d'être réglementé de façon uniforme sur l'ensemble

19 du territoire de la République ?

20 R. Oui, il y avait également l'Article 305. Mais cet

21 Article 305 ne prévoyait qu'une réglementation semblable, sur la république

22 et de la province.

23 Q. Très bien. En vertu de cet Article 300, le parlement serbe pouvait

24 légiférer certains points de manière générale et cela s'appliquait à

25 l'ensemble du territoire. Néanmoins, ceci était quelque chose sur lequel il

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1 fallait tomber d'accord avec les représentants des provinces avant que ceci

2 ne soit adopté ?

3 R. C'est exact.

4 Q. Je souhaite maintenant reprendre la question qui a été posée par le

5 Juge Kwon. Par exemple, la citoyenneté au sein de la République de Serbie,

6 il n'y avait pas de citoyenneté à propos de la province; c'est exact ?

7 R. C'est exact.

8 Q. La citoyenneté dans la République de Serbie, ils ont insisté pour

9 qu'ils décident eux-mêmes au Kosovo et Metohija sur la question de la

10 citoyenneté à l'égard de la République de Serbie.

11 R. J'ai longtemps pris par à ces pourparlers, à ces débats sur le vote de

12 cette loi.

13 Q. Dites-moi si c'est exact ou non, et parlez-nous du reste ensuite.

14 R. C'est exact. Les autorités au sein de la province ont exigé qu'ils

15 puissent décider eux-mêmes sur la citoyenneté à l'égard de la République de

16 Serbie. Ceci découle de ce que j'ai dit précédemment, autrement dit, que

17 les autorités de la province qui ont la responsabilité du vote de tous

18 leurs textes de lois.

19 Q. Dites-moi, quel était l'intérêt de, bon, il s'agit de quelque chose, --

20 d'une question très générale. Quel était l'intérêt alors pour les autorités

21 de la province d'insister tellement là-dessus ? La province voulait décider

22 de la question de la citoyenneté par rapport à la République Serbe et sur

23 les citoyens, sur leur propre territoire ?

24 R. Il y avait deux raisons à cela. Tout d'abord, ils voulaient clairement

25 indiquer que la province était quasiment une république. Ils voulaient

Page 34005

1 également indiquer que les provinces et les républiques étaient sur un pied

2 d'égalité.

3 Deuxièmement, si la province avait pu faire cela, la province, à ce moment-

4 là, aurait pu résoudre un certain nombre de points épineux, y compris

5 celui-ci. La province aurait pu donner la citoyenneté à certains immigrants

6 venus au Kosovo pendant la guerre contre les fascistes. Des gens qui

7 étaient venus d'Albanie, et que ces personnes pouvaient y rester. Il y

8 avait d'autres -- la question de la citoyenneté s'appliquait également à

9 d'autres immigrés.

10 Q. Le deuxième point était tout à fait pragmatique, autrement dit, la

11 province souhaitait exercer ou avoir un droit de regard sur la question de

12 la citoyenneté vis-à-vis de la Serbie et donner la citoyenneté à différents

13 immigrants venus d'Albanie.

14 R. Oui, c'est exactement-là où nos points de vue divergeaient.

15 Q. Est-ce exact ?

16 R. Oui, c'est exact. C'est une des raisons à cela. La première raison,

17 comme je l'ai dit, c'est qu'ils voulaient clairement indiquer qu'ils

18 agissaient en tant qu'état, et deuxièmement, ils voulaient pouvoir décider

19 eux-mêmes au sein de leur province à qui on allait accorder la citoyenneté,

20 à qui on n'allait pas accorder la citoyenneté.

21 Q. Dites-moi, s'il vous plaît, à quel moment les Albanais ont-ils commencé

22 à immigrer en direction du Kosovo ? Je dois vous dire que je n'ai pas

23 d'éléments historiques ici à vous fournir. Quand cette immigration a-t-elle

24 commencé au Kosovo ?

25 Je ne vous demande pas d'explication historique, je vous demande simplement

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1 de nous dire quand ces personnes ont été installées au Kosovo. Ne parlons

2 pas du grand nombre d'Albanais qui ont été installés au Kosovo par

3 Mussolini, et qui y sont restés après la Seconde guerre mondiale.

4 R. Après la résolution du comité interne de 1946 et le fameux "Non" de

5 Tito à Staline, Tito a été proclamé révisionniste, et un grand nombre

6 d'Albanais ont emménagé au Kosovo pour fuir le système stalinien. Ils sont

7 arrivés un à un, mais également avec des familles entières, et avec leur

8 bétail et tout leur matériel. Ils ont été accueillis très cordialement

9 parce que c'était dans l'intérêt politique --

10 Q. Excusez-moi de vous interrompre, Monsieur Jokanovic, mais vous dites

11 qu'ils sont arrivés en masse dans cette période. Sont-ils arrivés en masse

12 oui ou non ?

13 R. Au début oui, après non.

14 Q. Merci. Compte tenu de la rigueur du régime d'Enver Hoxha, du point de

15 vue du contrôle policier exercé sur certains citoyens, était-il possible

16 sans problème de franchir la frontière d'état séparant l'Albanie avec des

17 têtes de bétail, avec des meubles, et ce, en groupe important ? Etait-ce

18 possible, oui ou non ?

19 R. Pour autant que je le sache, ce n'était pas possible.

20 Q. Cela signifie-t-il qu'ils ont été installés au Kosovo à cette époque-

21 là, au Kosovo et Metohija par le régime d'Enver Hoxha en application d'un

22 plan ?

23 R. La chose a été tolérée. Est-ce qu'il existait un plan ou pas, je ne

24 sais pas. En tout cas, la chose a été tolérée. Ils sont arrivés et ont bien

25 été accueillis. Je ne sais pas s'il existait un plan. On peut le supposer

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1 puisque compte tenu de la nature de la frontière, la chose a été tolérée.

2 C'est tout ce que je peux dire.

3 Q. Ces immigrants ont bien été accueillis au Kosovo et Metohija, n'est-ce

4 pas ?

5 R. Ils ont bien été accueillis. Ils ont reçu des compensations

6 financières. Le devoir politique consistait à les intégrer à la société du

7 Kosovo le plus rapidement possible de façon à ce qu'ils puissent trouver un

8 emploi. Donc, il y avait des consignes.

9 Q. Je vous en prie, je vous en prie. Un point à éclaircir. Est-il exact

10 que le gouvernement du Kosovo de l'époque, le ministère de l'Intérieur, ou

11 bien s'il s'agit d'un autre ministère, dites-moi lequel. Est-il exact que

12 ces autorités ont racheté les propriétés de Serbes et Monténégrins qui

13 quittaient le Kosovo, pour les donner gratuitement aux Albanais qui

14 s'installaient; est-ce exact ou pas ?

15 R. Oui c'est exact. Mais je me permettrai une phrase supplémentaire --

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Nice ?

17 M. NICE : [interprétation] La question est soit directrice, soit

18 tendancieuse. Peut-être cela n'a-t-il pas d'importance, car si nous avions

19 eu sous les yeux à l'avance la déclaration du témoin, peut-être que

20 certaines des questions abordées dans cette déclaration ne feraient pas

21 l'objet d'un différend. Il y a un équilibre à établir entre les questions

22 directrices acceptables et celles qui, vraiment, concernent le cœur du

23 problème. La dernière question, par exemple, où il a été suggéré que

24 certains objets avaient été rachetés et donnés gratuitement aux Albanais,

25 ne me semble pas connu de nous, par conséquent, ne devrait pas être posée

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1 sous cette forme.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous avons discuté de cela déjà,

3 Monsieur Milosevic. Vous ne devez pas poser de questions directrices.

4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, il y a beaucoup de choses

5 sur cette planète qui ne viennent même pas à l'esprit, à votre esprit, tout

6 sage qu'il soit. Cher Horatio, je viens de citer Shakespeare. Par ailleurs,

7 je n'ai pas l'intention de recueillir des déclarations préalables du témoin

8 pour les remettre à M. Nice. Je n'en ai pas la possibilité, comme vous le

9 savez. M. Nice ne faudrait pas perdre de temps --

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous interromps car vous vous

11 êtes lancé dans un discours.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je peux répondre ?

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Evitez les questions directrices.

14 Monsieur Milosevic, il y a un point que j'aimerais soumettre à votre

15 attention. Vous êtes en train d'interroger ce témoin, et l'objet de cet

16 interrogatoire consiste à aider la Chambre. Il ne s'agit pas pour vous

17 d'établir un dialogue privé avec le témoin.

18 Les questions constitutionnelles sont des questions importantes. Le

19 problème de la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et

20 les provinces sont des questions importantes. Vous devriez disposer ici du

21 texte de la constitution, traduit, pour nous le soumettre. Par exemple, ce

22 qui m'intéresse, c'est de savoir quels sont les pouvoirs décrits dans

23 l'Article 300.

24 L'objet de votre interrogatoire consiste à nous convaincre, voyez-vous.

25 Vous devriez -- est-ce une pièce à conviction ?

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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

2 M. NICE : [interprétation] Malheureusement, malheureusement. J'ai ici une

3 pièce à conviction, c'est une pièce à conviction.

4 L'ACCUSÉ : Monsieur Robinson.

5 M. LE JUGE ROBINSON : Monsieur Nice est en train de parler.

6 M. NICE : [interprétation] La pièce 526, Article 1. Je crois qu'il s'agit

7 de cette pièce. Mais les articles dont il est question ne figurent pas dans

8 cette pièce à conviction pour le moment, ou en tout cas n'ont pas été

9 traduits en anglais. Il est possible qu'ils existent ailleurs en B/C/S.

10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous aimerions également vérifier la

11 pièce à conviction 132, qui s'intitule "Constitution de Serbie." C'est

12 peut-être une version plus tardive.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Le problème, Monsieur Milosevic,

14 lorsque vous présentez vos éléments de preuve et interrogez les témoins,

15 c'est que vous devez disposer de documents à notre attention, s'il s'agit

16 de l'Article 300, que nous puissions le lire, en anglais. De cette façon,

17 vous avez une possibilité de renforcer votre thèse. La présentation de vos

18 éléments de preuve vous apporterait beaucoup si elle se faisait de la

19 meilleure façon qui soit.

20 Mes collègues et moi-même étions justement en train de nous dire que nous

21 étions un peu perdu s'agissant de comprendre des points assez complexes de

22 la constitution qui ont été évoqués, parce que nous n'avons pas de

23 documents sous les yeux.

24 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, croyez-moi, il ne peut y

25 avoir de problème au sujet du contenu du texte. Le texte de la constitution

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1 en vigueur à l'époque ne doit pas poser problème. Quant à moi, puisque vous

2 en avez besoin, je demanderai le versement au dossier de ce document en

3 tant que pièce à conviction, un peu plus tard. Le Pr Ratko Markovic sera

4 entendu, et par son biais, je pourrai verser ce document au dossier. Cela

5 ne pose aucun problème.

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous devriez soumettre cette pièce

7 aux Juges par le biais de ce témoin, qui a été cité à la barre pour parler

8 de la constitution. N'attendez pas le Pr Markovic pour ce faire.

9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je peux poursuivre ?

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

11 M. MILOSEVIC : [interprétation] Bien.

12 Q. Pour que ma question, Monsieur Jokanovic, ne soit pas directrice, je

13 vous demande comment les immigrants albanais ont été perçus et accueillis à

14 l'époque ?

15 R. Lorsque ces immigrants albanais étaient des agriculteurs qui ne

16 pouvaient pas trouver un emploi dans les entreprises, il était tout à fait

17 important qu'ils disposent de terres pour pouvoir exercer leur métier. Ils

18 ont été bien accueillis. Les propriétés des Serbes qui quittaient le Kosovo

19 ont été rachetées et ces terres ont été données, avec les équipements

20 nécessaires, aux Albanais venus d'Albanie.

21 Je vais vous donner un exemple. A côté de mon village, le village de Grmovo

22 à Kosovo, un village qui s'appelle Drobes, les propriétés de la famille

23 Radonjic [phon], de la famille Nikoletic ont été rachetées, et ces gens-là

24 habitent à Kraljevo actuellement, alors que dans le village de Drobes, dans

25 les maisons qu'ils occupaient précédemment, habitent des immigrants

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1 albanais avec leurs familles. Eux sont partis en Serbie et les moyens

2 matériels ont été payés par le biais du ministère de l'Intérieur.

3 Q. Vous ai-je bien compris ? Venez-vous de dire que la police du Kosovo

4 rachetait les propriétés des Serbes et les donnaient gratuitement aux

5 immigrants albanais qui arrivaient d'Albanie ?

6 R. Des accords ont été conclus entre le secrétariat à l'Intérieur et les

7 propriétaires de ces propriétés. C'est le secrétariat du ministère de

8 l'Intérieur qui finançait ces biens, sans doute sur la base du budget.

9 Q. Très bien. Merci, Monsieur Jokanovic. Je vais vous citer un paragraphe

10 de ce qu'il est convenu d'appeler ici l'acte d'accusation. Le paragraphe

11 75. Je cite : "Durant les années 80, les Serbes ont exprimé leur inquiétude

12 en raison de la discrimination exercée à leur encontre par la direction de

13 la province, à la tête de laquelle se trouvaient les Albanais du Kosovo,

14 alors que les Albanais du Kosovo exprimaient leurs inquiétudes en raison de

15 leur dépendance économique, et exigeaient une plus grande libéralisation

16 économique et un statut de république pour le Kosovo. A partir de 1981, les

17 Albanais du Kosovo ont commencé à manifester, et l'armée de la RSFY ainsi

18 que les forces de police serbes ont brisé ces manifestations."

19 Voilà, je viens de vous citer ce passage mot pour mot. Je vous demande de

20 nous dire ce que vous savez à ce sujet.

21 R. Au sujet de la première constatation, la discrimination, le mot est

22 faible. Il y avait des pressions, des attaques sur des biens personnels. Il

23 y a eu aussi des cas d'assassinats, de passages à tabac, de viols.

24 Maintenant, s'agissant de la deuxième constatation, concernant les Albanais

25 qui exigeaient une libéralisation politique, je pense que cette expression

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1 n'est pas la bonne, car ils exigeaient de se séparer de la Serbie et de

2 créer une république du Kosovo.

3 Le fait qu'à partir de 1981, les manifestations ont été brisées par l'armée

4 et la police, ceci n'est pas exact. L'armée a effectivement manifesté sa

5 force, mais durant ces années-là, elle n'a jamais provoqué d'affrontements

6 avec les manifestants, car comme je l'ai dit, les manifestants ont essayé à

7 l'époque de ne pas provoquer l'armée. Quant à la police, elle l'a fait

8 encore moins, la police de Serbie, parce que comme je l'ai déjà dit, la

9 police serbe n'avait pas compétence au Kosovo.

10 Plus tard, lorsque des forces conjointes de toutes les républiques ont été

11 créées, oui, ces forces ont été présentes au Kosovo jusqu'en 1990.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'aimerais savoir si j'ai bien compris

13 l'intégralité de cette réponse. Si tout ce qu'ils souhaitaient était de

14 devenir une république et si en tant que province, ils avaient tous les

15 pouvoirs d'une république, quel était l'objet des manifestations ? Quel

16 était le but poursuivi par les manifestants ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Une séparation complète de la Serbie, pour que

18 le Kosovo devienne un état indépendant. D'ailleurs, cet objectif existe

19 encore aujourd'hui. C'est l'objectif principal aujourd'hui des forces

20 politiques et des partis politiques présents au Kosovo. Ils ne souhaitaient

21 pas demeurer au sein de la Serbie ou au sein de la Yougoslavie. Tel était

22 leur objectif.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci. J'avais mal compris votre

24 réponse précédente, car par le mot "république" je pensais que vous parliez

25 d'une république yougoslave. Merci.

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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] J'aimerais que vous nous disiez quelques

2 mots d'explication complémentaires au sujet des forces conjointes que vous

3 avez évoquées, concernant l'ensemble des autres républiques. Pourriez-vous

4 nous donner des détails complémentaires à ce sujet ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Lorsque la police de Serbie n'a pas eu le

6 droit de venir en aide à ses collègues au Kosovo en 1980, ce que j'ai déjà

7 évoqué, un règlement a été recherché pour briser les manifestations, parce

8 que la police du Kosovo n'était pas capable de le faire. Un compromis a été

9 trouvé par le biais de l'engagement des membres des forces policières de

10 toutes les républiques et provinces, donc des forces policières de

11 Slovénie, de Croatie, de Bosnie-Herzégovine, de Macédoine et de Vojvodine.

12 Je pourrais vous donner des exemples. Par exemple, à Vjetrenica [phon], les

13 forces en question étaient Croates. A Lipljan, elles étaient de Vojvodina.

14 Dans la municipalité d'Uresevac ces forces policières venaient de Bosnie et

15 de Macédoine. A Pristina, elles venaient de diverses républiques, et ces

16 forces conjointes ont apporté leur aide à la police du Kosovo pour

17 stabiliser la situation et faire en sorte que la destruction de biens

18 privés soit empêchée et que toutes les conséquences négatives des

19 manifestations soient empêchées.

20 Q. Monsieur Jokanovic, à partir de la citation que j'ai faite tout à

21 l'heure où il est dit que les forces policières de Serbie ont brisé ces

22 manifestations, ceci est inexact, n'est-ce pas ?

23 R. Je ne voudrais pas qu'il y ait de problèmes au sujet de questions

24 suggestives, mais je réponds oui. J'ai répondu que les forces policières de

25 Serbie n'ont même pas eu l'autorisation d'arriver jusqu'au Kosovo. Elles ne

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1 pouvaient être présentes qu'avec les effectifs prévus dans le cadre des

2 forces conjointes impliquant également les autres républiques. Il ne s'agit

3 pas des forces policières de Serbie mais d'un certain pourcentage de forces

4 policières de Serbie prévues dans les forces conjointes proportionnellement

5 aux forces policières des autres républiques.

6 Q. Merci, Monsieur Jokanovic.

7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Quand les forces de police ont-elles été

8 créées ?

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Ces forces de police conjointes ont été créées

10 après 1981, car les manifestations de 1981 n'ont pas pu être réprimées par

11 la police du Kosovo. Pour autant que je ne me trompe pas sur la date, c'est

12 le 1er mars que l'instance compétente du Kosovo a pris la décision de faire

13 venir l'armée. L'armée est arrivée avec ces chars dans les rues. L'armée a

14 accompli le travail que les forces policières de la province du Kosovo

15 n'étaient pas aptes à accomplir.

16 Le soir même, il y a eu aussi des avions qui ont survolé Pristina à

17 basse altitude, et il y a eu interdiction de circuler. J'étais membre du

18 conseil exécutif, je peux vous montrer parce que je l'ai apporté. Si vous

19 m'y autorisiez, je peux vous montrer le document officiel que j'avais en ma

20 possession et qui me permettait dans cette période-là de circuler. Puis-je

21 vous le montrer ?

22 M. MILOSEVIC : [interprétation]

23 Q. Oui, je vous en prie. Il s'agit de votre papier d'identité officiel de

24 cette époque-là.

25 R. Je ne sais pas où je dois mettre ce document.

Page 34015

1 Q. Sur le rétroprojecteur. M. l'Huissier va vous aider.

2 R. C'est sur l'écran que je dois regarder. On voit ici, "Leje zyrtare"

3 ceci est écrit en albanais.

4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il serait préférable que vous placiez le

5 pointeur sur le document.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] "Leje zyrtare" cela signifie, laissez-passer

7 officiel en albanais parce que le texte est d'abord en albanais et ensuite

8 en serbe. Ensuite, il y a mon nom, Vukasin Jokanovic, et il est dit ici que

9 : "Ceci est délivré pour permettre l'accomplissement d'un certain nombre de

10 tâches officielles et pour cela, il faut autoriser l'accès," et un peu plus

11 loin "autoriser la libre circulation," et puis on a un sceau officiel et

12 l'emblème de la province. La municipalité, à l'époque, était responsable de

13 la sécurité d'un certain nombre d'institutions officielles, comme par

14 exemple, les banques.

15 Il existait un danger, en effet, que les manifestants veuillent

16 envahir les institutions officielles. Sans ce document, sans ce laissez-

17 passer, je ne pouvais pas entrer dans la ville.

18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-il nécessaire que les Juges regardent de

19 plus près ce document pour qu'il soit versé au dossier ou bien ce qui vient

20 d'être fait est-il suffisant ?

21 M. MILOSEVIC : [interprétation]

22 Q. Dites-moi, Monsieur Jokanovic, quelle était la nature des

23 manifestations de la part des séparatistes albanais en 1981 ? Quelles

24 étaient leurs exigences ?

25 R. Il s'agissait de manifestations de masse particulièrement agressives en

Page 34016

1 1981, et ces manifestations ont été beaucoup plus massives que les

2 manifestations de 1968. Il est possible de les qualifier tout de même d'une

3 activité de continuité par rapport à 1968, car les slogans étaient les

4 mêmes : "Le statut de république pour le Kosovo," et "Unification," mais

5 les manifestations étaient beaucoup plus massives. En 1981, il y a eu des

6 victimes du côté des manifestants ainsi que du côté des responsables du

7 maintien de l'ordre public. Je peux d'ailleurs vous dire combien il y a eu

8 de victimes si cela intéresse la Chambre.

9 Au cours de ces manifestations, neuf manifestants ont trouvé la mort ainsi

10 que deux membres des services du ministère de l'Intérieur et il y a eu des

11 dizaines de blessés parmi les fonctionnaires du ministère de l'Intérieur,

12 mais aussi parmi les manifestants. De nombreuses voitures ont été

13 incendiées, des vitrines ont été brisées, donc il y a eu des dégâts

14 matériels.

15 Ces manifestations ont été le plus agressives dans la journée du 2

16 avril 1981, ce jour-là, l'armée a été appelée pour assurer la protection

17 des bâtiments les plus importants et des institutions officielles de la

18 province.

19 Q. Où se sont déroulées les manifestations les plus importantes ?

20 R. A Pristina, le 2 avril, car en dehors des manifestations organisées

21 dans d'autres villes, ce jour-là, des manifestants sont arrivés de

22 Podujevo, par exemple, ainsi que d'autres villes non loin de Pristina. Il y

23 a eu afflux de manifestants à Pristina et il a été très difficile d'arrêter

24 les manifestants. S'il n'y avait pas eu d'autres forces que les forces

25 policières du Kosovo qui n'étaient pas en nombre suffisant pour mener à

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1 bien cette tâche et s'il n'y avait pas eu l'aide de l'armée, s'il n'y avait

2 pas eu ces survols d'avions pour assurer la sécurité des principales

3 installations, il aurait été impossible de rétablir le calme qui n'a pu

4 être rétabli d'ailleurs que dans la soirée.

5 Q. Bien. Monsieur Jokanovic cela suffira. Quelle a été l'attitude des

6 instances politiques par rapport à ces manifestations ? Lorsque j'emploie

7 le mot "politique," je parle des instances de la province, de la république

8 et des instances fédérales.

9 R. Au début, leur attitude consistait à se comporter comme en 1968 pour

10 essayer de couvrir la chose et de présenter ces manifestations comme

11 révolte d'étudiants insatisfaits de leurs conditions de logement, et

12 cetera. Lorsque les manifestations ont acquis une intensité plus

13 importante, lorsque la direction a vu que certains postes, certains

14 privilèges étaient en danger, les instances officielles de la province ont

15 condamné ces manifestations en termes très fermes. L'un des qualificatifs

16 le plus virulent utilisé à l'époque a consisté à parler de contre

17 révolution. L'un des collaborateurs le plus proche de Tito avait des

18 condamnations très fermes, en disant que les manifestants étaient les pires

19 ennemis du peuple albanais et que c'étaient des escrocs.

20 Q. Y a-t-il des documents qui le prouvent ?

21 R. Oui, il en existe. Il y a des instances qui se sont jointes à cette

22 condamnation des manifestations, d'autres instances, comme par exemple, le

23 comité de province, le comité central de la Ligue des Communistes qui

24 souhaitaient que la direction politique de la province soit rendue

25 responsable.

Page 34018

1 Q. Enver Hoxha a-t-il été mentionné au cours de ces manifestations, ou

2 d'autres personnalités albanaises l'ont-elles été ?

3 R. Certaines personnalités historiques ont été mentionnées. L'unification

4 du Kosovo a été mentionnée. On entendait également le slogan "Statut de

5 République pour le Kosovo." Donc, au cours des manifestations de 1981, les

6 exigences, les revendications ont été exactement les mêmes qu'au cours des

7 manifestation de 1968.

8 Q. A l'époque, la Serbie n'avait pas de compétence, elle ne pouvait rien

9 faire pour empêcher ces manifestations.

10 R. En effet, la Serbie n'avait pas compétences et ne pouvait rien faire

11 pour réprimer ces manifestations. D'ailleurs, la question s'est posée de

12 savoir ce qu'était exactement la Serbie. Etait-ce une république, était-

13 elle en droit de défendre son intégrité, avait-elle le droit d'utiliser sa

14 police pour rétablir l'ordre sur son territoire ? A l'époque, les premières

15 critiques ont été entendues par rapport à la constitution. Il a commencé à

16 être dit qu'il fallait modifier la constitution, puisqu'elle ne donnait pas

17 à une république sur son territoire le droit de protéger les biens et de

18 défendre l'intégrité territoriale de cette république.

19 Q. Très bien, Monsieur Jokanovic. Cette phrase du

20 paragraphe 75 de l'acte de l'accusation qui dit que les forces policières

21 de Serbie ont brisé les manifestations est inexacte ?

22 R. Il est certain que les forces policières de Serbie ne l'ont pas fait.

23 En effet.

24 Q. Très bien. Vous avez expliqué comment s'est faite la répression de ces

25 manifestations. Avez-vous été assez précis quant au fait de savoir qui a

Page 34019

1 dirigé ces forces de police conjointes qui sont arrivées pour aider les

2 forces de police du Kosovo. Qui les dirigeaient ?

3 R. Elles étaient dirigées, je ne me souviens pas exactement de son nom

4 aujourd'hui, mais c'était un membre de la police de Croatie. L'unité

5 spéciale était dirigée par un Slovène qui s'appelait Franc. Je me souviens

6 aujourd'hui qu'il a agi de façon très vigoureuse dans le village de Prekaze

7 où une famille s'est enfermée dans sa maison, des policiers ont été tués,

8 et on ne cessait de tirer à partir de cette maison. A ce moment-là, cette

9 unité spéciale dirigée par Franc qui est venu de Slovénie, a réagi de façon

10 très violente. Elle a eu recours aux hélicoptères, elle a demandé à ceux

11 qui étaient à l'intérieur de la maison de sortir. Mais ceux qui étaient à

12 l'intérieur ont opposé une résistance, et ils ont été liquidés. A partir de

13 l'hélicoptère, ont a agi de façon particulièrement violente contre cette

14 maison.

15 Q. Cela s'est passé à Prekaze ?

16 R. Oui, à Prekaze, en 1981.

17 Q. En 1998, à Prekaze, ont a également tiré sur la police, et il a eu des

18 affrontements assez similaires, sauf que ces affrontements ont été traités

19 de façon différente. Vous souvenez-vous de cela également ?

20 R. Le premier problème de Prekaze, je le connais parce que j'étais au

21 Kosovo à l'époque. En tant que membre du comité exécutif, accompagné de 2

22 autres représentants de la province, je suis personnellement allé dans le

23 village, et j'ai vu la maison dont j'ai parlé. Mais dans le deuxième cas

24 dont vous parlez, je n'étais pas au Kosovo, et je n'ai appris la chose qu'à

25 la lecture des journaux.

Page 34020

1 Q. Je ne vais pas vous interroger à ce sujet, mais le premier incident de

2 Prekaze --

3 R. J'étais présent à ce moment-là personnellement.

4 Q. Est assez semblable au deuxième. On peut établir la comparaison. Dites-

5 moi, je vous prie, cet homme qui est intervenu à Prekaze à l'époque --

6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Milosevic, pour le compte-rendu

7 d'audience, pourriez-vous répéter l'année car au compte rendu d'audience,

8 je lis 1998. L'année concernant les problèmes de Prekaze.

9 L'ACCUSÉ : [interprétation] L'événement dont parle M. Jokanovic s'est

10 déroulé en 1981, à Prekaze. Moi, j'ai également parlé d'un événement

11 survenu à Prekaze en 1998. En 1998, le même événement est survenu à

12 Prekaze. C'est à ce moment-là que le groupe d'Adem Jashari a été liquidé.

13 Groupe qui avait également tiré sur la police et qui avait assassiné de

14 nombreux Albanais et de nombreux Serbes avant d'être liquidé. C'était en

15 1998.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

17 M. MILOSEVIC : [interprétation]

18 Q. En 1981, c'est une unité spéciale de la police fédérale dirigée par un

19 Slovène qui est intervenu; c'est bien cela ?

20 R. Oui, c'était une unité que l'on pourrait appeler aujourd'hui unité

21 antiterroriste. A l'époque, elle s'appelait unité spéciale.

22 Q. Bien. Dites-moi à présent, Monsieur Jokanovic, quelles ont été les

23 conséquences des manifestations de 1981 ?

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Toujours sur le sujet dont vous étiez

25 en train de parler, Monsieur Jokanovic, vous venez de parler de quelqu'un

Page 34021

1 qui a ouvert le feu en 1981. Lorsque vous parliez de cela, pensiez-vous à

2 une attaque dirigée contre la police ou de la police qui aurait ouvert le

3 feu ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] En 1981, il y a eu recours aux armes à feu, y

5 compris par les manifestants. Les manifestants ont été les premiers à

6 utiliser les armes selon la déclaration de Stane Dolenc, qui était la

7 personnalité la plus importante charge de la sécurité.

8 M. MILOSEVIC : [interprétation]

9 Q. Monsieur Jokanovic, je vous en prie, vous êtes un homme politique et

10 vous parlez parfois en termes généraux. Vous venez de dire "la personnalité

11 la plus importante en charge de la sécurité." Pourquoi est-ce que vous ne

12 dites pas "le responsable de la police." Pour eux, ce serait beaucoup plus

13 clair. Vous dites "la personnalité la plus importante en charge de la

14 sécurité." Dites "le chef de la police," et c'était un Slovène responsable

15 du ministère de l'Intérieur au niveau fédéral.

16 R. C'est exact. C'était un policier dépendant du ministère de l'Intérieur

17 au niveau fédéral. Il était Slovène, et il a occupé encore longtemps des

18 positions très importantes.

19 Q. Bien.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je souhaiterais dire que le témoin

21 devrait avoir la possibilité, s'il le souhaite, de compléter ses réponses

22 en répondant à ma question. Je n'aime pas beaucoup être interrompu par

23 l'accusé lorsqu'un témoin est en train de répondre à une question posée par

24 moi.

25 Y a-t-il autre chose, Monsieur, que vous souhaiterez dire pour répondre à

Page 34022

1 ma question ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Au cours des manifestations de 1981, des armes

3 à feu ont été utilisées par les manifestants, mais également par la police.

4 C'est ce que je vous réponds. Neuf manifestants ont été tués et deux

5 policiers. Dans le village de Prekaze, des armes à feu ont été utilisées

6 par un Albanais qui s'était barricadé dans sa maison et tiré sur la police.

7 La police, afin d'éviter de subir des pertes humaines, a cerné la maison et

8 créé des fortifications pour protéger les policiers. Elle ne souhaitait pas

9 entrer dans un combat au corps à corps à l'intérieur de la maison. A ce

10 moment-là, l'unité spéciale de la police a été appelée en renfort. Elle

11 était dirigée par cet officer de police slovène. La maison ainsi que les

12 gens qui étaient à l'intérieur de cette maison et qui opposait une

13 résistance, ont été liquidés sous les tirs de la police.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous avez obtenu

16 des éléments au sujet des manifestations de 1968, des manifestations de

17 1981. Je crois maintenant nous allons parler de 1998. D'abord, une pause de

18 20 minutes.

19 --- L'audience est suspendue à 10 heures 33.

20 --- L'audience est reprise à 10 heures 57.

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, veuillez

22 continuer.

23 M. MILOSEVIC : [interprétation]

24 Q. Monsieur Jokanovic, ces événements de 1981, j'entends les

25 manifestations dont vous avez suffisamment parlé, du moins je l'espère,

Page 34023

1 comment cela s'est-il traduit sur la vie et la position des Serbes et des

2 Monténégrins ainsi que du reste de la population non albanaise au sein de

3 la province ?

4 R. De façon très négative, parce que les relations interethniques se sont

5 vues détériorées davantage encore. Il y a eu mise en place d'une

6 incertitude, il y a eu absence de perspective. Cela s'est manifesté de

7 façon très négative sur la situation globale au Kosovo. Parce que les

8 Serbes, après cela, ont également été exposés à différentes formes de

9 pression à l'égard de leurs personnes, à l'égard de leurs biens. On a

10 détruit leur tombe -- les monuments, les pierres tombales. On a mis le feu

11 à des champs, et même, a-t-on mis le feu au monastère de Pec. Il y a eu des

12 provocations, des insultes, des attaques.

13 Une attaque sur un prêtre orthodoxe qui est de nos jours, -- qui était

14 évêque à l'époque et qui est toujours le patriarche serbe.

15 Q. Vous souvenez-vous de meurtres ?

16 R. Je sais qu'il y a eu des meurtres, des cas qui étaient assez

17 caractéristiques, notamment un meurtre dans le village de Mec près de

18 Djakovica. Il n'y avait qu'une seule maison serbe dans ce village. Suite à

19 des instructions du président de la présidence du Kosovo de l'époque, je

20 suis allé rendre visite à cette famille, parce que c'est un homme qui avait

21 écrit aux instances suprêmes de la fédération, aux autorités les plus

22 éminentes de la Serbie et du Kosovo, en disant qu'il allait être abattu,

23 qu'il allait être assassiné.

24 Avec un Albanais qui était président de la commission chargée des

25 plaintes de la part des différents groupes ethniques, nous sommes allés là-

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1 bas. Il a demandé la protection de ce secrétariat municipal de l'Intérieur

2 de la municipalité de Djakovica. Malheureusement, le dénommé, Miodrag

3 Saric, peu de temps après, a été abattu dans la cour de sa maison, parce

4 qu'il avait préparé de quoi reconstruire sa vieille maison. Du matériel de

5 construction avait déjà été amené.

6 Un autre cas, Danilo Milancic, à Samodreza, non loin de Vucitrn. Là,

7 on a tué un jeune homme. Avant cela, on avait assassiné son père.

8 Ce sont des cas qui ont été publiés par la presse. Cela a fait coulé

9 beaucoup d'encre, le cas de Martinovic à Gnjilane également.

10 Q. Merci, Monsieur Jokanovic. Quand est-ce que vous avez parlé de ce terme

11 de "Kosovo ethniquement pur" ?

12 R. J'ai entendu parler de ce terme dans des documents émanant d'instances

13 politiques, donc des documents officiels de la Yougoslavie. Cette

14 terminologie a été utilisée après 1981. Il a été précisé que ces

15 nationalistes et séparatistes albanais avaient pour visée la création d'un

16 Kosovo ethniquement pur.

17 Q. Merci. Dites-moi, comment les autorités de province, de la république

18 et de la RSFY se sont comportées à l'égard de ces problèmes de départ des

19 Serbes et des Monténégrins, qui s'étaient aggravés en tant que phénomène ?

20 R. Jusqu'en 1981, le terme était un terme tabou. Personne n'a osé

21 l'entamer, et on a fermé l'œil devant ce problème.

22 Et à compter de 1981, le problème a été rendu public. Il en a été question

23 au niveau des instances, des autorités de la province au niveau des organes

24 et des autorités de la république et de la fédération. Le problème en tant

25 que tel a été étudié, et il a été adopté des mesures et des conclusions

Page 34025

1 visant à mettre un terme à ces expulsions et à ces départs.

2 Q. Qui est-ce qui a adopté ces mesures ?

3 R. Ces mesures ont été adoptées par le parlement du Kosovo. Cela a été

4 également adopté par le parlement fédéral. Des mesures analogues ont été

5 adoptées par le conseil exécutif et le parlement de Serbie. Cela était le

6 cas des instances politiques, donc la Ligue des Communistes, l'Alliance

7 socialiste. Ce qui fait que la question a été mise sur le tapis, et elle

8 est devenue d'actualité dans bon nombre de documents.

9 Q. Bien, Monsieur Jokanovic. Toutes ces mesures ont-elles mis un terme

10 assez vague d'expulsions et de départs des Serbes et des Monténégrins ?

11 R. Hélas, non. Ces mesures n'ont pas porté des fruits que l'on s'attendait

12 à récolter. Lorsqu'il a été mis en œuvre ces mesures-là, on a notamment dit

13 que "les activités étaient insuffisantes, qu'elles avaient inefficaces," et

14 qu'il y a eu bon nombre de comportements opportunistes dans l'application

15 de ces mesures. Ce qui fait que les déménagements, les départs se sont

16 poursuivis en dépit des mesures déployées par les instances de justice de

17 l'Intérieur et autres.

18 Q. Les Serbes et les Monténégrins se sont-ils sentis protéger par les

19 mesures mises en place ?

20 R. Ils ne sont pas sentis protéger, au contraire. Après 1981, le trouble

21 n'a fait que croître, l'angoisse n'a fait que croître. Et après, en 1982,

22 il y a des rassemblements de Serbes et de Monténégrins qui se réunissent

23 dans leurs localités respectives en des occasions variées, pour parler des

24 problèmes auxquels ils doivent faire face.

25 Q. S'agissant de ces opportunités, qu'entendez-vous par opportunités ?

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1 Quels types d'opportunités parce que les gens se réunissent à l'occasion de

2 mariage.

3 R. En cas de rixe, en cas de viol, en cas d'arrestation, en cas de visite

4 de la part de commission chargée d'étudier les plaintes des citoyens. Il y

5 avait cette commission créée par les instances fédérales, qui rendait

6 visite à différentes municipalités pour se pencher sur les plaintes

7 adressées par les citoyens. Lorsque cette commission venait dans ma

8 municipalité de Vitina, par exemple, et on a une documentation appropriée,

9 toute suite il se réunissait un grand nombre de citoyens qui présentaient

10 leurs propres problèmes, et les gens qui sont venus prendre connaissance de

11 la situation, entendaient toutes sortes de problèmes.

12 Ces rassemblements avaient lieu dans bon nombre de localités au

13 Kosovo. Lorsque cela ne donnait pas de résultats, les Serbes décidaient

14 d'aller eux-mêmes à Belgrade pour se plaindre et demander de l'aide,

15 demander justice. Ils contournaient les instances républicaines parce

16 qu'ils étaient déçus par le comportement des autorités de la république.

17 Ils estimaient que la république était censée les protéger. Alors au lieu

18 de ce faire, ils allaient au parlement fédéral et ils allaient s'adresser

19 aux dirigeants siégeant dans des instances fédérales. Ce type de

20 déplacement vers Belgrade était assez fréquent.

21 Q. Quelle était la situation au niveau de l'université de Pristina ?

22 R. L'université de Pristina a été créée par l'université de Belgrade.

23 D'abord, il a été créé les facultés, puis ensuite une université. Cette

24 université s'est, petit à petit, muée en université albanaise, alors que

25 les cours en langue serbe ont été supprimés. Les professeurs se

Page 34027

1 plaignaient. Il y a eu mise en minorité systématique du fait du recours à

2 un système d'élection par appartenance ethnique. Cette politique a conduit

3 à la mise en place d'un système d'inégalité en droit sur le plan ethnique.

4 Il y a eu une discrimination positive parce que l'enseignement en serbe

5 n'était pas sur un pied d'égalité.

6 Il y avait de plus en plus de classes qui se déplaçaient en langue serbe

7 vers l'extérieur et cela était de moins en moins présent au Kosovo.

8 Entre 1981 et 1988, 60 professeurs du groupe ethnique serbe et

9 monténégrin ont quitté l'université pour déménager à l'extérieur du Kosovo.

10 Q. Comment le développement économique du Kosovo s'est-il réalisé pendant

11 cette période ?

12 R. Le développement économique du Kosovo, pour ce qui concerne la période

13 allant de la fin des années 60 et au-delà, parce que c'est à peu près vers

14 ce temps-là, où j'ai directement pris part à ce type d'activités, notamment

15 à compter de 1970, où je suis devenu maire dans une municipalité, je dirais

16 que le développement a été assez dynamique, le plus dynamique vu que la

17 région de la province du Kosovo était la moins développée de la

18 Yougoslavie. Il y a eu un renouveau du Kosovo, une renaissance du Kosovo au

19 fil de ces 20 années. Le progrès réalisé en si peu de temps a été

20 considérable, parce que la région a été une région à majorité

21 d'analphabètes. Il n'y avait aucune installation industrielle. Il n'y avait

22 pas d'écoles. Grâce à ce fond destiné à l'aide des régions sous-

23 développées, il a été construit un grand nombre de bâtiments et

24 d'installations au niveau de l'économie, au niveau des infrastructures et

25 au niveau de ce qui constitue les activités sociales ou les activités

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1 publiques.

2 Je dirais que dans ma municipalité, pendant mon mandat, il a été

3 construit plusieurs usines. Le nombre des personnes employées dans ces

4 usines a doublé. Je m'en souviens très bien. Il y avait

5 3 800 qui avaient un emploi et quand j'ai quitté mes fonctions, ils étaient

6 plus de 9 000.

7 Q. Ces premières initiatives ont eu lieu quand ?

8 R. Les premières initiatives sont survenues après les manifestations

9 de 1981 parce que, outre les différentes raisons dont j'ai déjà parlé, on a

10 de plus en plus entendu des propos critiques au sujet de la constitution.

11 Il y a eu de plus en plus de propositions exigeant la modification de cette

12 constitution, étant donné que les gens affirmaient que cela avait été à

13 l'origine de la situation au Kosovo.

14 A compter de 1980, 1981, il y a tout de suite nécessité de procéder à

15 des modifications de cette constitution. Il en est question aux instances

16 fédérales, aux instances de la république et de la province. En 1981, 1982,

17 et 1983, les conclusions du comité central de la Ligue des Communistes

18 abondent dans ce sens. En 1984, il a été réalisé une analyse, portant

19 réalisation de l'unité des différents secteurs sur le territoire de la

20 République de Serbie, parce que l'on a indiqué de quelle façon l'unité et

21 l'esprit de communauté se réalisaient, et on a parlé des problèmes

22 survenus. On disait ce qu'il convenait de modifier et d'améliorer.

23 Q. Quand est-ce qu'on a commencé à travailler sur le texte du projet des

24 amendements à la constitution de Serbie ? Quand est-ce que ces travaux ont

25 commencé et combien de temps ont-t-ils duré ?

Page 34029

1 R. Je peux parler de ce à quoi j'ai participé directement. J'ai d'abord

2 fait partie d'un groupe de travail au sein de la présidence de Serbie aux

3 côtés de certains collègues albanais.

4 Q. Attendez, attendez. En quelle qualité avez-vous pris part aux travaux

5 de ce groupe de travail, créé par la présidence de Serbie ? Avez-vous été

6 représentant du Kosovo ou avez-vous été convié par la présidence de la

7 Serbie ?

8 R. J'ai certainement été représentant du Kosovo. J'étais membre de la

9 présidence du Kosovo, chargé de toutes ces questions constitutionnelles et

10 du système politique.

11 Q. Combien étiez-vous du Kosovo à prendre part à ces travaux de ce

12 groupe ?

13 R. Nous étions au début deux. Il y avait un collègue chargé des questions

14 constitutionnelles et par la suite, il y a eu un professeur de la faculté

15 de Pristina, l'un et l'autre étant des Albanais.

16 Q. Cela se passe quand ?

17 R. En 1986. Nous nous sommes réunis dans la rue de Boticeva, au siège du

18 gouvernement de la Serbie.

19 Q. Attendez. Dites-moi, qui est-ce qui a présidé aux travaux de cette

20 réunion ?

21 R. Cette réunion a été convoquée par le président de la présidence de

22 Serbie, Ivan Stambolic. Il y avait également un collègue, membre de la

23 présidence de Vojvodine, Vujadinovic.

24 Q. La composition de la Vojvodine était ethniquement mixte également ?

25 R. Oui. De Vojvodine, il y avait ce Vujadinovic. Je ne sais pas s'il était

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1 Serbe ou Monténégrin. Il était secrétaire chargé de la législation dont

2 l'appartenance ethnique m'échappe à présent.

3 Q. Bien. Ces travaux sur les amendements de la constitution de Serbie ont

4 commencé en 1986, n'est-ce pas ? C'est là où vous avez pris part ?

5 R. En 1986, j'y ai pris part en ma qualité de membre de la présidence, en

6 effet.

7 Q. Dites-moi à présent, est-ce que ce groupe de travail, qui a été créé

8 ainsi que cette commission constitutionnelle créée par la suite, ont-ils dû

9 consulter l'opinion publique, ou, comme on le disait à l'époque, étaient-

10 ils censés consulter leurs bases électorales respectives ?

11 R. Cela était indispensable. Nous n'étions pas des francs- tireurs là bas,

12 à même de donner purement et simplement nos propres opinions. Avant les

13 réunions et après les réunions, qui se tenaient au niveau de ce groupe de

14 travail, nous étions tenus d'informer la présidence, à savoir, la

15 présidence du Kosovo, la commission constitutionnelle du Kosovo, la

16 présidence du comité provincial de la Ligue des Communistes. Ils étudiaient

17 ces informations, prenaient positions, nous transmettions les positions

18 qu'ils formulaient en essayant d'harmoniser la totalité. Il y a eu un grand

19 nombre de réunions sur toutes ces questions tant au niveau de la province

20 pour qu'il y ait harmonisation des questions, et concertation avec la base

21 comme nous avions coutume de le dire. Il y a eu également des réunions

22 conjointes avec les représentants de la Serbie et de Vojvodine.

23 Q. Le travail sur l'énoncé de ce texte que vous aviez sur vos tables

24 respectives avec la coordination de la part du président de la présidence

25 de Serbie, M. Ivan Stambolic, cela a commencé en 1986 ?

Page 34031

1 R. En 1986, nous avons rédigé un projet concernant la direction et la

2 forme des modifications à adopter. Ce projet faisait état de ce qu'il

3 convenait éventuellement de changer et sous quelle forme cela devait se

4 faire. Lorsqu'un projet a été adopté, cela a été transféré vers la

5 commission constitutionnelle de la République de Serbie ainsi que vers la

6 commission constitutionnelle du Kosovo et de la Vojvodine respectivement.

7 Q. Quand est-ce que ce travail s'est fait-il fait ?

8 R. En 1987.

9 Q. En 1987, cela a été transféré vers les commissions constitutionnelles.

10 Ici, au paragraphe 79 que je vous cite ici, il est dit et je cite : "Début

11 1989," on dit ici : "Début de 1989, le parlement de Serbie a proposé

12 l'adoption d'amendements sur la constitution de la Serbie privant le Kosovo

13 de la plupart de ses ingérences d'autonomie, y compris le contrôle exercé à

14 l'égard de la police et le contrôle à l'égard de la politique éducative, et

15 économique, et le droit de veto pour ce qui des modifications à promouvoir

16 au niveau de la constitution de la République de Serbie."

17 Un commentaire.

18 R. Je vais essayer d'être bref. Ces activités relatives à la modification

19 de la constitution ont duré assez longtemps. Les activités d'harmonisation

20 ont duré trois ans. En 1989, il a été formulé un projet par le parlement

21 qui était censé être discuté en débat public. Après un travail assez

22 fastidieux, et après une harmonisation de toutes ces positions au niveau du

23 Kosovo et de la Vojvodine, le projet d'amendements n'a pas privé le Kosovo

24 de la plupart de ses attributions. Les attributions ou la plupart de

25 celles-ci sont restées au niveau de la province. Ces amendements n'ont fait

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1 que restituer à la Serbie certaines de ses fonctions pour ce qui est de la

2 défense nationale, pour ce qui est du ministère de l'Intérieur, pas du

3 ministère de l'Intérieur dans son ensemble mais seulement lorsqu'il s'agit

4 de la sécurité de la République en tant qu'entité.

5 Il a été prévu une procédure pour ce qui est d'une intervention concertée

6 avec les instances de la province, et le reste des compétences est resté au

7 niveau de la province. En rien la position de la province ne s'est vue

8 modifiée au niveau de la fédération.

9 Q. Fort bien. Fort bien. Ce que je vous ai dit : privation de la plupart

10 de ces ingérences relatives à l'autonomie qui devaient priver le Kosovo

11 d'une grande partie de son autonomie, et notamment, du contrôle de la

12 police de l'éducation et la politique économique, du choix de la langue

13 officielle, ou de son droit de veto; ce n'est pas exact ?

14 R. Oui. Ce n'est pas exact, notamment, pour ce qui est du droit de veto.

15 Lorsqu'il y a eu adoption de ces modifications, ce droit de veto a été

16 remplacé par une procédure plus complexe portant sur les modalités de

17 modification de la constitution. Ce droit de veto, qui avait entravé les

18 fonctions fondamentales de la république, qui sont des fonctions

19 constitutionnelles, il a été mis en place une procédure plus complexe. En

20 cas d'absence d'un consensus, le parlement ne pouvait procéder à des

21 modifications. Les modifications sont reportées pour six mois et s'il n'y a

22 pas consensus, alors il devrait y avoir référendum.

23 Q. Oui, mais la solution ?

24 R. Oui, il y a une solution pour sortir de ce blocus, ce blocage par veto,

25 par recours, et ceci moyennant à un recours à une procédure plus complexe.

Page 34033

1 Q. Tout ce qui a été fait, a été fait avec une participation active des

2 directions politiques de la Yougoslavie ?

3 R. Ce travail ne pouvait, en aucun cas, être accompli et il n'y aurait pas

4 pu y avoir de modifications sans participation directe et active des

5 instances de la fédération, notamment, de la part de la Ligue des

6 communistes de la Yougoslavie, qui était l'instance à disposer de la plus

7 haute des autorités et qui avait la fonction intégrative au sein de cette

8 Yougoslavie.

9 A l'occasion de sa 9e, 16e, et en particulier, 17e session du comité central

10 de la Ligue des communistes de Yougoslavie, où il est déterminé à titre

11 définitif qu'il fallait pour la Serbie avoir la possibilité d'exercer la

12 totalité de ses prérogatives de république sans priver les provinces de

13 leur statut de partie intégrante de la fédération.

14 Q. Bien, Monsieur Jokanovic. Vous avez fourni certains documents, je

15 précise qu'il s'agit de la pièce 964 et qui vous a été confiée en langue

16 anglaise également. On dit ici, pièce à conviction à l'intention de Vukasin

17 Jokanovic, et je me réfère au point 6, un document qui porte le titre

18 "Politique de la Ligue des Communistes de Yougoslavie, au Kosovo," imprimé

19 à Pristina. Y sont présentées toutes les positions des différentes

20 instances de la république et de la fédération, donc de la Serbie et de la

21 Yougoslavie, en corrélation avec --

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, le document que

23 vous venez de mentionner, c'est quoi ?

24 L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est un document de la Ligue des Communistes

25 du Kosovo faisant état de la politique de la Ligue des Communistes de la

Page 34034

1 Yougoslavie au Kosovo, et où il est donné les procès-verbaux originaux des

2 réunions politiques traitant des amendements constitutionnels et la

3 situation au Kosovo en général.

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous voulez vous référer

5 à des parties tout à fait précises, parce qu'on n'a pas la traduction ?

6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Ceci a été donné suffisamment de temps à

7 l'avance. Je vais citer pour ma part, je n'ai pas le temps de m'attarder

8 outre mesure là-dessus, je vais pourtant vous citer ce qui est dit à une

9 réunion --

10 M. NICE : [interprétation] Je m'excuse, je dois interrompre pour un

11 instant. Il semble y avoir une confusion au niveau de la traduction. Nous

12 n'avons jamais reçu la traduction ou la version anglaise de ce document.

13 Nous avons reçu des versions anglaises de bon nombre d'autres documents,

14 mais pas de celui-ci.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous dites que

16 cela a été remis bien de temps à l'avance pour que l'on puisse traduire ?

17 Combien de temps à l'avance ?

18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je ne sais pas, combien de temps à l'avance.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous êtes censé le savoir. Une

20 attitude de ce genre n'est pas acceptable. Si vous avez l'intention de vous

21 référer à un document, vous connaissez le règlement : le document doit être

22 traduit dans l'une des langues de travail.

23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Pour ne pas perdre de temps, Monsieur Robinson,

24 est-ce que je peux citer quelque chose à partir de ce document ? Si vous me

25 dites que non, je vais aller de l'avant avec mes autres questions à

Page 34035

1 l'intention de ce témoin, et sinon --

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons nous pencher sur la

3 question.

4 [La Chambre de première instance se concerte]

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, à la lumière du

6 fait que vous avez fourni le document pour traduction il y a un certain

7 temps, et je crois avoir compris que l'on vous a demandé d'identifier des

8 passages pour cette traduction. Or, il vous semblait ne pas être en mesure

9 de le faire. Compte tenu de tout ceci, nous allons vous autoriser à vous

10 référer à un passage s'il est court, parce qu'il faudra demander aux

11 interprètes de nous le traduire.

12 A quel passage vous référez-vous ?

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vais sauter, Monsieur Robinson, tout ce que

14 j'ai indiqué moi-même. Je vais vous citer à la page 42 ce qu'a dit, à

15 l'époque, le président de la présidence de la Ligue des Communistes de

16 Yougoslavie, qui était Croate à l'époque, et qui se trouvait présent à

17 cette réunion. Cela portait sur des amendements à la constitution, et ainsi

18 de suite. Je vais vous donner lecture de quelques citations seulement.

19 Cet individu n'était pas très porté en faveur des positions prises

20 par la direction serbe. Il s'agit de Stipe Suvar. Il n'était pas du tout

21 favorable, je dirais même. Il dit -- je tiendrai compte des interprètes. Il

22 dit : "Notre problème principal, au fil de toutes ces années depuis cette

23 percée de nationalisme albanais avec les exigences contre-révolutionnaires

24 présentées depuis 1981 à ici, il n'a pas été procédé à ce revirement. Nous

25 n'avons pas procédé à des améliorations. Nous n'avons pas abouti à une

Page 34036

1 stabilisation de la situation."

2 Il dit : "De concert avec les Albanais qui constituent la grande

3 majorité de la population de cette province, il vit des Serbes et des

4 Monténégrins qui se sentent mis en péril, et ils le sont. Puis les

5 Musulmans qui ne sont pas en nombres négligeables, les Roms, les Croates et

6 tous les autres groupes ethniques."

7 Il dit ensuite, et il précise : "Il est ridicule de débattre du

8 nationalisme qui serait plus dangereux que les autres. Au Kosovo, le

9 nationalisme albanais se trouve être 100 fois plus dangereux que les

10 autres."

11 M. NICE : [interprétation] Je m'excuse d'opposer des difficultés

12 techniques, mais si nous allons citer ou extraire des passages d'un

13 document de Serbie en langue serbe, ce qui a été fait auparavant devrait

14 être fait à présent. J'entends par là que le document devrait être placé

15 sur le rétroprojecteur --

16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, en effet.

17 M. NICE : [interprétation] Je m'excuse. Je vais me rasseoir, mais je

18 crois que c'est à l'accusé que la chose devrait être lue.

19 L'INTERPRÈTE : Les interprètes apprécieraient aussi l'information

20 portant sur le numéro de la page pour les citations.

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez nous indiquer la page

22 que vous lisiez, s'il vous plaît, afin d'aider les interprètes.

23 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai donné un numéro de page. J'ai commencé à

24 la page 42. Une petite citation à la page 44, et j'ai lu très lentement.

25 Il ne s'agit pas d'une réunion qui s'est tenue en Serbie, mais d'une

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1 réunion au sommet des différents dirigeants de Yougoslavie, qui s'est tenue

2 à Pristina. Je citais les propos du dirigeant de ce sommet yougoslave, à ce

3 moment-là, le président de la présidence yougoslave qui était d'origine

4 ethnique croate, Stipe Suvar.

5 A la page 46, maintenant, il dit --

6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] S'il vous plaît, pensez au fait que les

7 interprètes peuvent suivre le document lorsqu'il est placé sur le

8 rétroprojecteur, et assurez-vous que l'on voie bien le texte que vous citez

9 sur le rétroprojecteur, je vous prie.

10 M. MILOSEVIC : [interprétation]

11 Q. Sur le rétroprojecteur -- Monsieur Jokanovic, je vous demande de bien

12 vouloir passer à la page 46. C'est l'endroit où je me trouve actuellement.

13 Ceci est le paragraphe en question.

14 A la fin de la première colonne, à la page 46, le président en exercice dit

15 alors: "Pour conclure, je pense que c'est une bonne chose que ce qui s'est

16 passé hier au niveau du parlement de la Serbie quant aux amendements

17 constitutionnels. Tout d'abord, je ne comprends pas pourquoi les masses

18 albanaises au Kosovo, pensent qu'il y a des changements cruciaux. Les

19 modifications, les amendements, se rapportent à cinq ou six éléments qu'il

20 est normal de voir la Serbie obtenir dans ses prérogatives en sa qualité

21 d'état. Si nous ne voulons pas avoir un fait, à savoir que la Serbie soit

22 constituée de trois états, ou voir ces deux provinces devenir des états."

23 Ainsi de suite, ainsi de suite, je ne vais pas m'attarder davantage.

24 Ce qui s'est passé au niveau du sommet politique de la Yougoslavie,

25 coïncide complètement avec ce que le témoin ici présent, M. Jokanovic, nous

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1 a dit ici. Je lui ai demandé, en effet, dans quel mesure la direction

2 politique de la Yougoslavie a pris part à tout ce que --

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous arrête un instant. Posez une

4 question au témoin, je vous prie.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Avant de faire cela, je vous demande

6 de bien vouloir faire la clarté sur ce point. De quel document s'agit-il

7 ici ?

8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il s'agit du procès-verbal d'une réunion qui

9 s'est tenue au sommet, rassemblant les différents dirigeants de la

10 Yougoslavie. Ceci s'est tenu à Pristina, et le président de la présidence

11 de la Ligue des Communistes de Yougoslavie, Stipe Suvar de Croatie. C'était

12 une présidence tournante. C'était le tour de la Croatie. Il a exprimé son

13 point de vue sur les dirigeants de la Yougoslavie et non pas sur les

14 dirigeants de la Serbie.

15 Ensuite, à la page 47, afin de gagner du temps, j'ai mis mes propres propos

16 que j'ai tenus lors de cette réunion. Vous les retrouverez dans leur

17 intégralité dans ce document.

18 Conclusion de la présidence du comité provincial de la Ligue des

19 Communistes du Kosovo.

20 M. MILOSEVIC : [interprétation]

21 Q. Monsieur Jokanovic, il s'agissait surtout d'Albanais, je crois, qui

22 constituaient cette présidence, n'est-ce pas ?

23 R. Exact.

24 Q. Il s'agit-là des conclusions de la présidence du comité provincial de

25 la Ligue des Communistes de Kosovo, le 27 février 1999.

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1 Page 47, au paragraphe 2 : "Ils ont évoqué les positions adoptées par la

2 République Fédérale de Yougoslavie."

3 Au paragraphe 5 : "A la présidence du comité provincial de la Ligue des

4 Communistes du Kosovo", à la page 48, pour les interprètes, la fin de la

5 première colonne. "La présidence du comité provincial de la Ligue des

6 Communistes de Kosovo, souligne une fois de plus qu'il apporte son soutien

7 aux amendements de la constitution de la République Socialiste de Serbie,

8 et demande à ce que celle-ci soit adoptée au plus vite afin que la

9 République socialiste de Serbie puisse exercer ses fonctions et ses

10 attributions sur la totalité de son territoire, vu que ses amendements ne

11 remettent pas en question l'autonomie des provinces et l'égalité des --

12 d'égalité en droit des peuples et des minorités nationales. Je ne vais pas

13 en citer davantage."

14 Je souhaite maintenant vous poser ceci : quelle était la position des plus

15 hautes instances yougoslaves d'alors ? Je vous ai cité quelle était la

16 position du comité provincial du Kosovo qui était surtout composé

17 d'Albanais, et dont le président était un Albanais.

18 Monsieur Jokanovic, pour que l'assemblée de Serbie puisse voter ses

19 amendements, il était nécessaire de recevoir l'autorisation des deux

20 provinces, n'est-ce pas ?

21 R. Oui.

22 Q. Etait-il nécessaire d'obtenir l'autorisation de la République de Serbie

23 pour que les assemblées des différentes provinces puissent adopter des

24 amendements ?

25 R. Non, l'autorisation de la Serbie n'était pas nécessaire, et les

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1 provinces pouvaient modifier leurs constitutions sans autorisation.

2 Q. Monsieur Jokanovic, nous allons maintenant parler de choses bien

3 précises, car comme vous venez de nous le confirmer, vous étiez alors

4 président de l'assemblée du Kosovo.

5 R. C'est exact.

6 Q. Quand l'assemblée du Kosovo, si vous le savez, l'assemblée de la

7 Vojvodine se sont-elles réunies afin d'accorder cette approbation sous

8 consentement ?

9 R. Pour la Vojvodine, cela a eu lieu le 10 mars, et pour le Kosovo, le 23

10 mars.

11 Q. Je pensais que l'assemblée de la Vojvodine s'était réunie le 21 mars.

12 D'après ce que vous dites, c'est vrai, l'assemblée du Kosovo dont vous

13 étiez le président, s'est réunie le 23 mars.

14 Dites-moi, s'il vous plaît, s'agissait-il d'une session publique ?

15 R. Les séances du parlement étaient des séances publiques au Kosovo. Un

16 certain nombre de journalistes étaient présent. Jamais, et pourtant j'ai

17 occupé diverses fonctions, jamais je ne m'étais auparavant entretenu, ou ne

18 m'étais-je exprimé devant un nombre aussi important de journalistes. Il y

19 avait 108 journalistes de Yougoslavie et du monde entier. On suivait ceci

20 de très près, car cette séance de l'assemblée était très importante et

21 suivie de très près.

22 Q. Cette séance parlementaire, s'est-elle tenue de façon régulière ?

23 R. Cette séance parlementaire s'est tenue de façon tout à fait régulière

24 en application avec la constitution du Kosovo et les règles de procédure de

25 ce même parlement.

Page 34041

1 Q. Vous étiez orateur. Vous étiez le porte-parole de ce parlement. Quelle

2 était l'origine ethnique des autres membres de ce parlement ?

3 R. Moi, j'étais président. Le vice-président était Albanais. Le secrétaire

4 général était Albanais. Il y avait deux chambres qui s'étaient composées

5 comme-ci : il y avait deux chambres où il y avait des Albanais et une autre

6 chambre dirigée par un Monténégrin. Lors des positions que j'ai occupées

7 par le passé, la représentation des Albanais était importante.

8 Q. Pourriez-vous nous dire, s'il vous plaît, si une quelconque pression a

9 été exercée sur les délégués, de savoir s'il fallait voter ou ne pas

10 voter ? A-t-on exercé une pression sur eux pour qu'ils acceptent les

11 propositions, pour qu'ils acceptent ou qu'ils approuvent ces amendements

12 constitutionnels ?

13 R. Les délégués votaient en fonction de leurs électeurs qui étaient les

14 assemblées municipales et les délégués des différentes chambres et

15 différentes organisations politiques. Par conséquent, de telles pressions,

16 de telles menaces n'existaient pas. Il incombait aux délégués de voter

17 conformément aux positions des organes ou des instances qu'ils

18 représentaient.

19 Q. S'il faut voter conformément aux positions des différents organes

20 qu'ils représentaient ?

21 R. C'est exact.

22 Q. Le 3 mai 2002, Ibrahim Rugova a cité ici, et je cite ses propos,

23 quelque chose que j'ai extrait du comte rendu de l'audience : "L'assemblée

24 du Kosovo devait décider si oui ou non il fallait suspendre le statut du

25 Kosovo, et qu'il soit partie distincte de la fédération. Les délégués de

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1 l'assemblée ont été soumis à une certaine pression aux fins de voter sur ce

2 point. L'opinion publique était contre et ils ont utilisé la violence pour

3 exercer une pression sur eux. Il y avait des chars dans les rues, et il y

4 avait des agents secrets dans le bâtiment de l'assemblée lui-même de façon

5 à ce que les membres votent. Je me souviens que dix membres ont voté contre

6 et ces membres ont été punis. Ils ont été condamnés. Ils ont été envoyés en

7 prison et ensuite remerciés."

8 Très bien. Vous étiez le président de l'assemblée. Je souhaite faire la

9 clarté sur un certain point. Y avait-il des chars autour du bâtiment de

10 l'assemblée ?

11 R. Non, il n'y avait pas de chars autour du bâtiment de l'assemblée.

12 Q. Avez-vous vu des chars, comment êtes-vous arrivé au bâtiment de

13 l'assemblée depuis chez-vous ? Est-ce que vous êtes venu à pied, ou étiez-

14 vous escorté par quelqu'un ?

15 R. J'habitais dans la Beogradska, la rue. Je n'habitais pas très loin. Je

16 n'ai vu aucun char autour du bâtiment de l'assemblée.

17 Q. Monsieur Jokanovic, je vous demande de bien vouloir vous rappelez qu'il

18 y a des interprètes. Nous parlons la même langue. Par conséquent, il faut

19 faire une pause entre les questions et les réponses.

20 Donc, il n'y a eu aucune pression, et il n'y a pas eu de chars non plus. Le

21 fait que dix membres de l'assemblée ont voté contre, est quelque chose

22 d'exact, n'est-ce pas ? Ceci peut être confirmé par le procès-verbal de la

23 réunion ?

24 R. C'est exact.

25 Q. Combien de membres de l'assemblée du Kosovo ont participé à cette

Page 34043

1 séance lorsque les amendements ont été votés ?

2 R. 187.

3 Q. Quel était le nombre total ?

4 R. 190.

5 Q. Il y a trois membres qui n'ont pas assisté à cette séance

6 parlementaire ?

7 R. C'est exact.

8 Q. Sur ces 187, Rugova lui-même a précisé que dix avaient voté contre.

9 Combien se sont abstenus ?

10 R. Dix ont voté contre, et deux délégués se sont abstenus.

11 Q. Est-ce que tous les autres ont voté en faveur de cette proposition ?

12 R. C'est exact. Tout le monde a voté en faveur de cette proposition.

13 C'était une très grande majorité. La décision a été suivie par des

14 applaudissements. Tout le monde s'est levé, car en outre, il s'agissait

15 d'une assemblée solennelle. Une séance spéciale de l'assemblée.

16 Q. Pourriez-vous me dire, s'il vous plaît, si quelqu'un de Serbie exerçait

17 une quelconque influence sur l'élection des représentants à l'assemblée du

18 Kosovo ?

19 R. La République de Serbie n'exerçait aucune influence sur la nomination

20 des membres des assemblées. C'était uniquement les organes du Kosovo qui

21 géraient la nomination à ces différents postes.

22 Q. Certains documents peuvent corroborer vos dires. Il y avait 187

23 délégués sur 190, un certain nombre qui s'est abstenu, dix qui ont voté

24 contre, deux qui se sont abstenus.

25 Comment pourriez-vous qualifier cette affirmation contenue au paragraphe 86

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1 du soi-disant acte d'accusation --

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous arrête. L'acte d'accusation

3 est tout à fait approprié au niveau de la forme et du fond. Les récusations

4 qui sont faites à ce stade préliminaire ne vont pas être traitées. L'acte

5 d'accusation est une réalité et tout à fait approprié. Il s'agit d'y faire

6 référence à ce titre.

7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, l'acte d'accusation est un

8 acte d'insolence, car tout est renversé dans cet acte d'accusation. Il n'y

9 a pas un seul chef d'accusation --

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais vous couper la parole. Si

11 vous insistez là-dessus, si vous insistez sur des questions qui ont déjà

12 été traitées, je ne vous permettrai pas de le faire. Je ne veux plus

13 entendre un seul mot à propos de l'acte d'accusation. Ceci a été traité, et

14 ceci a été traité il y a deux ans déjà. Vous pouvez poursuivre avec vos

15 questions, maintenant.

16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien. Bien, voici un exemple de la manière

17 dont ceci a été traité, Monsieur Robinson. Vous n'avez pas besoin d'un

18 meilleur exemple que le témoignage de ce témoin. Au paragraphe 86, on peut

19 lire ce qui suit : "L'assemblée du Kosovo s'est réunie au mois de mars au

20 Kosovo, et ils ont voté sur la proposition d'amendements," qui encore une

21 fois est un élément exact. Je vais citer ceci : "La plupart des délégués

22 albanais du Kosovar se sont abstenus," ce qui est un mensonge flagrant, car

23 il n'y a que deux personnes qui se sont abstenues. Je poursuis : "Bien,

24 qu'ils n'aient pas obtenu les deux tiers de la majorité au sein de cette

25 assemblée," qui encore une fois est un mensonge flagrant, car il n'y avait

Page 34045

1 que dix personnes qui ont voté contre --

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous serez autorisé à un moment

3 donné ou à un autre de faire un discours. Tel n'est pas le cas aujourd'hui.

4 On vous demande de présenter les éléments de preuve par l'intermédiaire de

5 votre témoin.

6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien. Très bien, Monsieur Robinson.

7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Le numéro du paragraphe, je vous prie.

8 Je n'arrive pas à suivre. Vous avez dit 86.

9 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai 86. Oui, 86.

10 Ensuite, le texte se poursuit en disant : "Bien que la majorité des

11 délégués du Kosovo se sont abstenus, tout en ne dépossédant pas la majorité

12 à deux tiers requise, le président de l'assemblée a néanmoins déclaré que

13 les amendements --"

14 L'INTERPRÈTE : Il s'agit en fait du paragraphe 81.

15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Mademoiselle Anoya.

16 J'avais peut-être une ancienne version, mais le texte est le même, et la

17 nouvelle numérotation, il s'agit du paragraphe 81 dont il s'agit

18 maintenant. Je l'ai en anglais et ce que j'ai cité, hier, ce que j'ai cité

19 est exact, même si le paragraphe ne correspondait pas. Il est indiqué ici :

20 "Le 23 mars 1989, l'assemblée du Kosovo s'est réunie à Pristina et a

21 approuvé les amendements constitutionnels proposés alors que la majorité

22 des délégués albanais du Kosovo se sont abstenus, a néanmoins déclaré que

23 les amendements étaient adoptés. Bien que ne possédant pas la majorité des

24 deux tiers requise à l'assemblée, le président de l'assemblée a néanmoins

25 déclaré que les amendements avaient été adoptés."

Page 34046

1 Ensuite, une autre phrase qui n'est pas importante eu égard à ce témoin :

2 "Le 28 mars 1989, l'assemblée de la Serbie a adopté à son tour les

3 amendements constitutionnels, mettant ainsi un terme au statut

4 d'autonomie."

5 C'est exactement ce que j'ai lu mot pour mot.

6 M. MILOSEVIC : [interprétation]

7 Q. Par conséquent, sur les 187 délégués, deux ont voté contre, deux se

8 sont abstenus, dix ont voté contre et 174 ont voté en faveur de ces

9 amendements; est-ce exact ?

10 R. C'est exact.

11 Q. Tous ces délégués, qui avaient émis des réserves et qui avaient voté

12 contre, ont-ils eu la possibilité de s'exprimer en public devant

13 l'assemblée ?

14 R. La séance s'est tenue de façon démocratique. Toutes les personnes qui

15 souhaitaient prendre la parole pouvaient prendre la parole, et ceci, on

16 peut le constater d'après l'enregistrement. Toutes les personnes qui

17 souhaitaient en parler en public pouvaient le faire. Je crois qu'un certain

18 nombre qui avait voté en faveur de cette proposition s'est également

19 exprimé en public. Je pense qu'il doit y avoir au total 34 personnes qui

20 ont pris la parole.

21 Q. Combien ?

22 R. Je crois que c'est 34. J'ai ici une coupure de presse qui cite le

23 chiffre. En fait, c'est un journal qui a été publié le lendemain de cette

24 séance parlementaire, et qui a parlé de tout ceci, et a couvert le débat, a

25 parlé des personnes présentes. Il y a également une cassette vidéo qui

Page 34047

1 n'est pas une transcription intégrale car nous n'avions pas de moyens

2 techniques très modernes à ce moment-là.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelle était la composition ethnique

4 de tous ces membres à l'assemblée ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] La composition ethnique était conforme à la

6 composition de la population. Il y avait plus de 70 % des délégués qui

7 étaient Albanais à l'époque. Il y avait 77 % des Albanais qui vivaient au

8 Kosovo et Metohija et au sein de l'assemblée plus de 70 % des délégués

9 étaient Albanais. Si je me souviens bien, il y avait 140 quelque chose --

10 140 ou 142 ou 143, je ne sais plus très bien de délégués albanais au sein

11 de l'assemblée.

12 Nous avions des Serbes, des Monténégrins, de Turcs et des Musulmans, et

13 cetera. Encore une fois, les chiffres correspondaient à la composition

14 ethnique de la population sur le territoire, car nous devions répondre aux

15 obligations de représentation que ce soit au niveau de la représentation au

16 plan ethnique et de la représentation au plan social. Ceci était très

17 important dans notre système à l'époque.

18 M. MILOSEVIC : [interprétation]

19 Q. Très bien, Monsieur Jokanovic. J'ai ici sous les yeux la traduction

20 anglaise et j'ai le texte en serbe également, donc il n'y a pas de

21 difficultés en matière de traduction. J'ai également l'enregistrement de la

22 séance à l'assemblée qui s'est tenue le 23 mars 1999. J'ai surligné

23 certains passages. Vous avez reçu ce texte en anglais. Il s'agit là d'une

24 pièce qui porte le numéro 963. Je

25 demande à ce que ceci soit versé au dossier.

Page 34048

1 Vous serez surpris d'entendre que ceux qui ont voté contre cette

2 proposition n'avaient pas des positions très tranchées par rapport à ces

3 amendements constitutionnels. Néanmoins, ils avaient le droit de s'y

4 opposer dans un système démocratique.

5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne comprends pas très bien. D'où sort

6 ce chiffre, 963 ?

7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il s'agit du numéro qui figure sur la liste des

8 pièces. "DPK 963, enregistrement," et cetera.

9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. C'est un numéro 65 ter. Très bien.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur

11 Milosevic.

12 M. MILOSEVIC : [interprétation]

13 Q. Par conséquent, la question que je vous ai posée, Monsieur Jokanovic,

14 étant donné l'importance de cette question, je dois la répéter. A la

15 lumière de ces faits à propos desquels vous témoignez, et compte tenu de

16 ces deux documents, comment vous pouvez justifier l'allégation au

17 paragraphe 81 ? Je crois que M. le Juge Kwon m'a aidé en ceci, cette

18 affirmation en vertu de quoi le 23 mars 1989, l'assemblée du Kosovo s'est

19 réunie à Pristina et a approuvé des amendements constitutionnels, alors

20 qu'une majorité des délégués albanais s'abstenaient. Bien que la majorité

21 de deux tiers requise n'était pas réunie, le président de l'assemblée,

22 autrement dit vous-même, avez néanmoins déclaré que les amendements étaient

23 adoptés.

24 Le 28 mars 1989, l'assemblée de la Serbie adoptait à son tour les

25 amendements constitutionnels mettant ainsi un terme au statut d'autonomie

Page 34049

1 accordé à la province par la constitution de 1974. Paragraphe 81 de la

2 version anglaise. A la lumière de ces faits dont vous nous avez parlé ici,

3 comment comprenez-vous ce paragraphe ?

4 R. Ceci n'est pas exact. Ceci est fabriqué de toute pièce. Il s'agit là

5 d'une tentative qui vise à justifier ce qui s'est déroulé au Kosovo.

6 Je pense que le bureau du Procureur a reçu cette information, qu'ils

7 ont jugé fiable. Ils ont reçu ces éléments d'information de personnes qui

8 ont utilisé ce type d'éléments, fabriqués toute pièce à dessein, pour

9 renforcer leurs idées séparatistes et la séparation du Kosovo de la Serbie,

10 et de façon à transformer le Kosovo en un état indépendant.

11 Je ne pense pas qu'une allégation de la sorte soit plausible, car en

12 tant que président du parlement, je ne suis pas magicien, et en présence de

13 187 délégués et de 180 journalistes, dans une situation comme celle-là, les

14 dirigeants les plus hauts placés du Kosovo étaient présents lors de cette

15 séance de l'assemblée. Comment puis-je dire que les amendements ont été

16 adoptés alors qu'ils ne l'ont pas été ? La presse a couvert cela en serbe

17 et en albanais, et ceci montrera clairement quelle était la situation,

18 comme nous permettra de comprendre la cassette vidéo.

19 Q. Monsieur Jokanovic --

20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Pouvons-nous entendre la cassette vidéo,

21 Monsieur Robinson ? Ce qui vous permettra de comprendre comment les choses

22 se sont passées. Nous avons une cassette vidéo très courte.

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

24 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je demande la diffusion de la cassette.

25 [Diffusion de cassette vidéo]

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1 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

2 "L'assemblée du Kosovo siège demain à Pristina avec, comme sujet

3 central, les amendements à la constitution. Cet événements majeur créé un

4 très grand intérêt, ce qui est montré par le très grand nombre de

5 journalistes accrédités. A-t-il été proposé aux représentants de la

6 province d'accepter les projets d'amendements proposés par l'assemblée de

7 la République de Serbie ? Toutes les instances ont pris ces décisions ces

8 derniers jours. Ces derniers jours, les amendements constitutionnels de la

9 Serbie ont reçu l'appui de toutes les instances sociales politiques de la

10 province, y compris les opposants --"

11 [Fin de diffusion de cassette vidéo]

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, aviez-vous

13 l'intention de demander la diffusion de cette séquence vidéo sans aucune

14 interprétation ? Nous ne recevons aucune interprétation.

15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je n'avais pas l'intention de demander la

16 diffusion sans interprétation. Je pensais que cela pouvait être interprété,

17 car c'est très court. Je considérais que ce qui est dit, à savoir que

18 toutes les instances ont donné leur appui avant le début de cette séance de

19 l'assemblée, enfin, je pensais que ce genre de choses très importantes

20 pouvait être interprétées. Voyons un peu plus loin pour que vous voyez

21 quelle était l'atmosphère, quel était le climat durant cette assemblée.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Avant de continuer, je demanderais

23 aux interprètes s'ils sont en mesure d'interpréter.

24 L'INTERPRÈTE : Messieurs les Juges, le débit est très vite.

25 L'ACCUSÉ : [interprétation] L'interprétation n'est pas capitale, Monsieur

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1 le Président.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous venez d'entendre ce qu'ont dit

3 les interprètes, Monsieur Milosevic ? Ils ont dit que le propos était dit à

4 très grande vitesse.

5 L'INTERPRÈTE : Sans le texte, Monsieur le Président.

6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Ce qui suit n'est pas rapide, et illustre assez

7 bien parce que je crois que les images qui suivent montrent la salle où

8 s'est tenue la réunion et où les amendements ont été adoptés, n'est-ce pas

9 ?

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je demande la diffusion des images suivantes.

12 Laissons tomber cette déclaration liminaire dite à toute vitesse. Passons

13 aux images suivantes.

14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] J'aimerais que vous indiquiez

15 éventuellement quels sont les pages pertinentes dans la transcription

16 écrite.

17 L'ACCUSÉ : [interprétation] Vous allez voir les images qui suivent, et

18 ensuite nous essayerons de voir ce qui correspond à quoi.

19 [Diffusion de cassette vidéo]

20 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

21 "-- le 28 mars, la constitution de la République socialiste de Serbie

22 sera proclamée. L'assemblée du Kosovo a donné son accord à ces

23 amendements."

24 [Fin de diffusion de cassette vidéo]

25 M. MILOSEVIC : [interprétation]

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1 Q. Monsieur Jokanovic --

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, avant de

3 poursuivre, j'aimerais demander un éclaircissement au témoin. S'agissant du

4 paragraphe 81 de l'acte d'accusation auquel

5 M. Milosevic s'est référé. Vous dites que le contenu de ce paragraphe ne

6 rend pas fidèlement compte de la réalité de la situation, en raison de

7 cette référence faite à la majorité des deux tiers requise qui n'était pas

8 réunie. Ceci d'après vous est faux, car cette majorité, d'après vous, était

9 belle et bien réunie. Pouvez-vous répondre, je vous prie ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] La majorité des deux tiers a été acquise, et

11 l'adoption s'est faite avec une majorité énorme, bien supérieure au deux

12 tiers. Or, la constitution exigeait une majorité des deux tiers.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] En déclarant que les amendements

14 avaient été adoptés, vous avez agi de la façon la plus convenable qui soit.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai agi de la façon la plus convenable qui

16 soit, à savoir que conformément à l'ordre du jour, et conformément à

17 l'ordre de prise de parole, j'ai demandé qui était pour et qui était

18 contre, combien s'abstenait. J'ai déclaré que les amendements avaient été

19 adoptés, à savoir, les amendements de la constitution de Serbie. Comme vous

20 le savez, des applaudissements ont suivi. Tous les députés présents se sont

21 mis debout.

22 Ceci s'est passé sous les yeux de 180 journalistes de la presse écrite et

23 de la télévision, qui avaient demandé leur accréditation pour suivre cette

24 manifestation. Je possède l'original des journaux de l'époque; deux

25 journaux en serbe. J'ai également sur moi un journal en langue albanaise.

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1 C'est un journal bien connu --

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Fort bien, Monsieur Jokanovic. Vous

3 avez répondu à la question.

4 M. MILOSEVIC : [interprétation]

5 Q. Monsieur Jokanovic, des instants tels que ceux que vous venez

6 d'évoquer, c'est-à-dire, le moment où vous proclamez l'adoption des

7 amendements, le moment où l'assistance se lève et applaudit sur ces images

8 diffusées par la télévision, nous venons de voir un grand nombre de

9 personnalités qui étaient présentes dans la salle. Pourriez-vous rappeler

10 qui on voit sur ces images ? Qui étaient présents dans la salle, en

11 particulier, au premier rang ? Où se trouvait, ce que je me permettrais

12 d'appeler, les hôtes de marque invités à cette cérémonie et qui soutenaient

13 les amendements en question ?

14 R. A cette séance assistait des dirigeants et responsables officiels de la

15 fédération qui représentaient le Kosovo au sein de la fédération. Le membre

16 de la présidence de la Yougoslavie était présent. Le membre de la

17 présidence du comité central de Yougoslavie était présent.

18 Q. Excusez-moi, Monsieur Jokanovic, il serait bon, si vous vous en

19 souvenez, que vous disiez également leurs noms et pas seulement leurs

20 fonctions.

21 R. Le membre de la présidence yougoslave qui, avant, avait été vice-

22 président et président de la présidence, je parle de Sinan Hasani.

23 Q. Quelle était son appartenance ethnique ?

24 R. Il était Albanais et venait de la municipalité de Vitina, qui est

25 également ma municipalité. Par ailleurs, c'est un écrivain qui a fait

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1 paraître le premier roman publié en langue albanaise. Un homme très connu.

2 Son roman est intitulé "Rrushi ka filluar me u pjek" en albanais. En serbe,

3 cela signifie "Le raisin commence à mûrir".

4 A ses côtés se trouvait Ali Shukrija, membre de la présidence du comité

5 central de Yougoslavie. Remzi Koleci, --

6 Q. Attendez, le deuxième était également Albanais ?

7 R. Oui, Albanais de Kosovska Mitrovica, un fonctionnaire du Kosovo depuis

8 de très nombreuses années ainsi qu'au sein de la fédération.

9 Q. Remzi Koleci, qu'est-ce qu'il était ?

10 R. Remzi Koleci était membre de la présidence de la province autonome du

11 Kosovo. C'est l'instance suprême au Kosovo.

12 Rrahman Morina, président du comité provincial du Kosovo.

13 Q. Tous Albanais ?

14 R. Oui. Daut Josanica, président de la présidence du Conseil socialiste

15 des Albanais. Le président du comité exécutif également un Albanais, Admir.

16 Q. C'est encore Bulato à l'époque, ou c'était quelqu'un d'autre ?

17 R. Jusuf. A l'époque, c'était Jusuf Zelnullahu, ou bien certain Mustafa.

18 Je ne sais plus. Cela fait de nombreuses années. Ils se sont succédés à ce

19 poste. Peut-être que c'était Jusuf Zelnullahu.

20 Q. Moi, je n'en suis pas sûr non plus. J'essaie de m'en souvenir.

21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur Milosevic.

22 Monsieur Jokanovic, à la dernière page de la transcription du procès-verbal

23 de la réunion, je remarque que vous appelez l'assistance à s'exprimer. Vous

24 dites : "Ceux qui sont pour, veuillez lever la main. Ensuite, vous demandez

25 : "Qui est contre ?" Ma remarque vient de ce mode de scrutin, à mains

Page 34055

1 levées. Est-il un mode de scrutin habituel à l'assemblée ? N'y a-t-il pas

2 de vote à bulletin secret ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était le mode de scrutin habituel. Pas

4 seulement au Kosovo d'ailleurs, mais également dans toutes les républiques.

5 Le vote se faisait publiquement; par acclamation et à mains levées. Il

6 était possible de procéder à un votre à bulletin secret si l'un ou l'autre

7 des délégués le proposait, et si l'assemblée acceptait de procéder à un

8 vote à un bulletin secret.

9 En l'espèce, il n'y a pas eu de propositions de ce genre. Il est fort

10 possible d'ailleurs que personne n'est proposé cela, car toutes les

11 instances de la province, toutes les assemblées des différents niveaux de

12 la province avaient déjà donné mandat à leurs représentants pour voter

13 d'une façon déterminée.

14 Le reporteur que l'on entend au début et qui n'a pas été interprété, il dit

15 -- il énumère toutes les instances, tous les organismes qui, au préalable,

16 avaient accepté les amendements et donné mandat à leurs représentants pour

17 qu'ils votent pour les amendements. C'était la pratique en vigueur à

18 l'époque. Nous n'avions pas de vote électronique. Nous ne disposions pas

19 des moyens techniques nécessaires.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Jokanovic, j'aurais une brève

21 question à vous poser. C'est bien vous qu'on voit sur les images vidéo ?

22 Qui est la personne qui fait une annonce sur les images vidéo juste avant

23 que l'assistance se lève en applaudissant ?

24 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était moi. J'étais président de l'assemblée

25 du Kosovo. C'est mon visage, évidemment plus jeune que l'on voit sur les

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1 images.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je comprends. Je comprends. Nous avons

3 une transcription qui se termine par une référence au fait que : "Les trois

4 chambres de l'assemblée du Kosovo ont convenu d'organiser une séance

5 conjointe. Il importe, désormais, que nous fassions une pause de 20

6 minutes."

7 Alors, les images que l'on voyaient sont-elles celles de ce qui s'est passé

8 après la pause de 20 minutes ?

9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Bonomy, je vais vous expliquer. Les

10 images que l'on voit concerne la partie de la séance réservée à la

11 discussion de la constitution, alors que par la suite, d'autres questions,

12 sans aucun rapport, ont été abordées. Ce que vous avez ici sur la

13 transcription, c'est ce qui concerne la constitution. Les représentants

14 ensuite ont continué leur travail sur d'autres sujets.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Puis-je répondre également ? C'est de mon

16 ressort, je pense.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Au début de la réunion de l'assemblée, on

19 adopte le procès-verbal et les délégués siègent dans leurs chambres

20 distinctes, dans leurs chambres respectives. Après quoi, une fois que

21 l'ordre du jour est adopté, les autres sujets sont abordés.

22 Une fois que la partie de la séance consacrée à la discussion des

23 amendements s'est achevée, cette séance s'est poursuivie avec discussion

24 des autres points sur l'ordre du jour. Je n'ai pas présidé toute la séance.

25 Les présidents des autres chambres ont présidé.

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1 L'assemblée a poursuivi ses travaux. Avec écoute du discours d'ouverture

2 par le vice-président du conseil exécutif, qui traite d'autres questions,

3 des questions économiques et d'autres sujets qui étaient à l'ordre du jour.

4 L'assemblée a poursuivi son travail régulier par la suite.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Peut-être, Monsieur Milosevic pouvez-

6 vous répondre à cette question : où dans la transcription trouvons-nous la

7 partie de la discussion qui correspond aux images de la vidéo ?

8 L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est en dernière page de la version serbe, là

9 où il est dit que dix personnes ont voté contre et que deux personnes se

10 sont abstenues. Ensuite, le texte se lit comme suit, je cite : "Je déclare

11 que l'assemblée de la Province autonome socialiste du Kosovo a adopté le

12 texte des amendements, suite à une discussion démocratique. A ce résultat

13 du travail de notre assemblée, permettez-moi de dire un certain nombre de

14 choses."

15 Puis, M. Jokanovic prononce un bref discours. Vous voyez l'image où il

16 déclare que l'assemblée a approuvé le texte des amendements.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Peut-être est-ce mon erreur, mais je

18 n'ai pas vu tout cela dans la transcription pour le moment. Je l'examinerai

19 de plus près plus tard, et essaierai de mieux comprendre.

20 M. NICE : [interprétation] Avant de passer à autre chose alors que nous

21 parlons de la transcription, puisque les Juges pourront regarder le texte

22 de plus près pendant la prochaine pause, j'aimerais évoquer un problème. On

23 le voit mieux dans la version serbe, mais il existe également dans la

24 transcription en anglais. Je tiens ici, entre les mains, l'original en

25 serbe, où la numérotation des pages se trouve en haut, à droite. Vous

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1 constaterez que jusqu'à la page 87, les pages se succèdent peu ou prou dans

2 l'ordre normal, même si l'ordre n'est pas totalement respecté. Puis, on

3 trouve ensuite un certain nombre de pages qui commencent à la page 24.

4 Donc, il est tout à fait clair que nous ne disposons pas de l'ensemble de

5 la transcription.

6 Si vous regardez la version anglaise, vous constatez le même problème en

7 divers endroits. Par exemple, les numéros de page sont en bas, à droite.

8 Donc, version anglaise, en bas, à droite, le numéro 36. Si vous regardez en

9 haut de la page, vous voyez qu'il fait référence au fait que les trois

10 dernières lignes terminent la

11 page 71, et que le procès-verbal reprend à la page 74, ce qui semble

12 indiquer que les pages 72 et 73 manquent. Je pense que vous ferez la même

13 constatation, si vous regardez le texte de plus près, vous constaterez que

14 les pages 72 et 73 manquent.

15 Nous avons ici un procès-verbal assez désordonné, et en tout cas,

16 incomplet. J'aimerais que l'attention de l'accusé soit appelée sur ce

17 point. Il pourra peut-être vérifier pendant la prochaine pause.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous pourrez

19 vérifier durant la prochaine pause ? Vous avez entendu ce qui a été dit ?

20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, j'ai entendu. Mais il arrive que la

21 sténographie reprenne à plusieurs reprises à partir de un, en fonction de

22 la personne qui manipule la machine de sténotypie. Parce que vous verrez

23 ici, vous avez, par exemple, la page 7, et ensuite page 10, puis page 35,

24 37, et cetera.

25 M. Nice a tout à fait raison de remarquer cela. Vous voyez également le

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1 numéro 80 qui est suivi du numéro 87 dans les dernières pages de la version

2 serbe. Avant cela, vous avez un certain nombre de numéros dans le désordre,

3 84, 85, 83, puis on retourne à 84, 82, 81. Regardez, par exemple, la

4 dernière page; page 80. On voit le mot Kurtesh Salihu, et un peu plus loin

5 de nouveau Kurtesh Salihu, et un blanc. Avant cela, on voit à plusieurs

6 reprises Kurtesh Salihu, puis la mention de la page 81, ensuite, les mots

7 "Camarades, camarades…" et la suite du discours. M. Jokanovic a déjà fait

8 remarquer que les moyens techniques disponibles n'étaient pas de la

9 meilleure qualité. Mais voilà. C'est la sténotypie dont on dispose. C'est

10 une sténotypie. Mais il existe également l'intervention des journalistes,

11 qui ne fait aucun doute, et d'autres sources d'information.

12 Avant la pause, bien sûr, nous disposerons d'un certain temps pendant la

13 pause. Mais même si cela n'est pas traduit, car il est tout de même

14 difficile de faire traduire des articles de presse, je pense, que pendant

15 la pause, vous pourrez vous pencher non pas sur des photocopies venant de

16 moi, mais sur les originaux que

17 M. Jokanovic a apportés avec lui. Vous voyez, ce sont des journaux de

18 l'époque, le journal Rilindja; un journal albanais. On peut le mettre sur

19 le rétroprojecteur où on voit l'image de toute l'assistance debout. Au

20 premier rang, je reconnais Sinan Hasani, président de la Yougoslavie. Je

21 reconnais Ali Shukrija, Rrahman Morina, et tous les représentants dont les

22 noms ont été cités par M. Jokanovic.

23 Donc, dans les procès-verbaux et dans les journaux également, on

24 trouve la mention ou la photo des mêmes hommes. Il n'y a aucun doute quant

25 à la composition de l'assistance au fait que tout cela était tout à fait

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1 public. Nulle part d'ailleurs, pas même dans un journal albanais, vous ne

2 trouverez la moindre mention de forces policières ou des autres

3 imbécillités dont nous avons pu lire au sujet de la façon dont ces

4 amendements ont été adoptés.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien, Monsieur Milosevic.

6 M. Jokanovic, vous aurez le plaisir d'apprendre que nous allons suivre

7 votre pratique en faisant une pause de 20 minutes.

8 --- L'audience est suspendue à 12 heures 23.

9 --- L'audience est reprise à 12 heures 47.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, pendant la pause

11 nous avons réfléchi à la façon de traiter de ces articles de presse dont

12 vous souhaitez que le témoin y fasse référence, et qui sont en possession

13 du témoin et pas en votre possession. Nous avons toujours le même problème

14 de traduction, mais si les passages sont courts, les extraits pourront être

15 placés sur le rétroprojecteur et les interprètes pourront interpréter.

16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, je ne vois aucune nécessité

17 particulière de citer des extraits d'articles de presse. Ce que je

18 souhaitais simplement, c'est que sur le rétroprojecteur on vous montre des

19 exemplaires de ces journaux pour que vous voyez qu'il y a des journaux en

20 serbe, des journaux en albanais, et à quel point la presse a couvert cet

21 événement en mentionnant chaque fois l'existence d'un accord très large et

22 d'un consensus total qui est tout à fait caractéristique du climat dans

23 lequel ces amendements ont été adoptés.

24 Je possède des exemplaires du journal que M. Jokanovic a sous les yeux,

25 bien sûr, ces journaux ne sont pas traduits. Nous pensions que ce serait

Page 34061

1 gaspiller les moyens financiers à notre disposition de faire traduire ces

2 journaux. Les mêmes sujets sont repris dans la presse en serbe et dans la

3 presse en albanais.

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si les journaux sont placés sous le

5 rétroprojecteur, ils doivent être traduits, et c'est précisément pour cette

6 raison que nous souhaitions que soient placés sur le rétroprojecteur des

7 extraits bien déterminés, qui ensuite devront être traduits. Dans le cas

8 contraire, la chose n'a aucun intérêt pour nous.

9 Ou alors, vous pourriez déterminer les parties de ces journaux que vous

10 souhaitez voir traduites et nous pourrions demander que la traduction soit

11 effectuée. Dans ce deuxième cas, ces journaux ne seraient enregistrés qu'à

12 des fins d'identification.

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bien. Cela peut se faire de façon générale.

14 J'aurais quelques exemples à placer sur le rétroprojecteur.

15 M. MILOSEVIC : [interprétation]

16 Q. Par exemple, Monsieur Jokanovic, je vous demanderais de bien vouloir

17 placer sur le rétroprojecteur la première page du journal Politika du

18 lendemain, à savoir, le 24 mars où on voit à la une votre photo et une

19 photo de l'assistance. Je vous demanderais de placer à l'écran le début du

20 texte où nous lisons : "Ont participé à la discussion, 24 délégués, les

21 amendements ont été adoptés à une énorme majorité des voix." Ensuite il est

22 dit que : "sur un total de

23 187 délégués, dix se sont exprimés contre, et deux se sont abstenus."

24 C'est ce qu'on peut lire dans cette partie du texte qui est surlignée

25 en jaune sur l'original de la page 1 de Politika.

Page 34062

1 M. Jokanovic a expliqué quel était le nombre de journalistes présent.

2 Et dans cette partie de l'article, il est dit combien de délégués ont

3 participé à la discussion. D'ailleurs, cela figure également dans le

4 procès-verbal de sténotypie. Un peu plus loin dans l'article, on dit de

5 quelle façon les délégués ont voté.

6 Cela, c'était la une.

7 Maintenant, pour équilibrer les choses, Monsieur Jokanovic, je vous

8 demanderais de placer Rilindja --

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, non. Que le témoin confirme

10 tout de même.

11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il faut que le témoin confirme.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai gardé ce journal dans ma documentation

13 personnelle.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, non. Confirmez simplement.

15 Monsieur le Témoin. Monsieur le Témoin. Je voudrais simplement que vous

16 confirmiez si les passages du texte dont

17 M. Milosevic a donné lecture se trouvent bien dans l'article.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est tout à fait le cas.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien sûr, nous comptons sur les

20 interprètes qui, normalement, ont interprété ces extraits.

21 Quel est le journal suivant, M. Milosevic ?

22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je ne vais pas parler de tous les journaux qui

23 ont paru en serbe, mais je demande que l'on place sur le rétroprojecteur le

24 journal en langue albanaise Rilindja, que l'on trouve également dans tous

25 ces journaux.

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1 M. MILOSEVIC : [interprétation]

2 Q. Monsieur Jokanovic, puisque vous parlez très bien l'albanais, vous

3 pourriez peut-être confirmer la légende que l'on trouve sous chacune des

4 deux photos que l'on trouve à la une de Rilindja. Est-ce qu'on voit l'image

5 sur le rétroprojecteur ? Je ne la vois pas à ce moment.

6 Est-ce que ce qu'on voit sur le rétroprojecteur correspond à ce que j'avais

7 en tête ? Laissez-moi vérifier. C'est cela, c'est cela.

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce la partie surlignée du texte

9 qui va être lue ?

10 L'ACCUSÉ : [interprétation] Le témoin peut donner lecture de ce qu'il

11 souhaite dans le chapeau de l'article, mais au préalable, je lui

12 demanderais de bien vouloir identifier les hommes que l'on voit au premier

13 rang sur ces photographies publiées par le journal albanais.

14 M. MILOSEVIC : [interprétation]

15 Q. On voit ici l'assistance debout au moment où les participants

16 applaudissent. Il y a également une légende sous chacune des deux photos.

17 Je vous demanderais de bien vouloir nous dire qui est au premier rang ?

18 R. Il est écrit en albanais, et je parle albanais, que les délégués de

19 l'assemblée du Kosovo applaudissent l'adoption des amendements apportés à

20 la constitution de la République de Serbie.

21 Je reconnais Ali Shukrija, Rrahman Morina, Sinan Hasani également,

22 membre de la présidence de la RSFY, un Albanais; et le président de la

23 présidence du Kosovo, qui est également un Albanais.

24 Par ailleurs, nous lisons que : "L'accord à la modification de la

25 constitution de la Serbie a été donné." Et dans le corps de l'article, il

Page 34064

1 est dit que : "sont présents 180 journalistes et photographes de presse."

2 La deuxième photo a pour légende les mots suivants : "Le moment où

3 sont votés les amendements."

4 Q. Merci, Monsieur Jokanovic. Je ne vais pas entrer dans le détail de tous

5 ces articles de presse. Ils sont nombreux dans la presse, en serbe et en

6 albanais. Il y a de nombreuses interviews d'Albanais, publiés ainsi que des

7 photographies, et cetera.

8 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aimerais maintenant que l'on diffuse la

9 troisième séquence vidéo très brève où l'on voit d'autres images qui

10 concernent le parlement de la République de Serbie.

11 [Diffusion de cassette vidéo]

12 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

13 "Le 28 mars sera proclamé la constitution de la République socialiste

14 de Serbie. L'adoption des amendements a été faite --"

15 [Fin de diffusion de cassette vidéo]

16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Cela, nous l'avons vu. La suite de la séquence,

17 je vous prie. Cette séquence-là, nous l'avons déjà vue. Moi, je voulais

18 qu'on diffuse la séquence suivante.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pendant la diffusion de la séquence,

20 les interprètes devraient interpréter si possible.

21 L'INTERPRÈTE : Les interprètes n'ont pas la transcription.

22 M. LE JUGE ROBINSON : J'apprécierais beaucoup.

23 [Diffusion de cassette vidéo]

24 [problème technique - aucune interprétation]

25 M. MILOSEVIC : [interprétation]

Page 34065

1 Q. Soyons efficaces. Est-ce qu'ils ont formulé des observations ou posé

2 des questions au sujet de la procédure, de la façon dont la session s'est

3 déroulée, ou d'un quelconque problème en corrélation avec l'adoption de ces

4 amendements ?

5 R. Ils ne m'ont pas formulé d'observations, ils n'ont pas posé de

6 questions concernant la façon dont la session s'est déroulée. Il n'y a pas

7 eu de contestation.

8 Parce que, après, j'ai eu une conférence de presse avec tous les

9 journalistes du pays et de l'étranger, et il a été question de toute une

10 série de choses. Personne, parmi ces journalistes accrédités, n'a posé de

11 questions pour formuler quelque suspicion que ce soit au niveau de la façon

12 dont la session s'est déroulée. Pas plus que cela n'a été le cas à

13 l'occasion des autres rencontres avec les parlementaires étrangers, et

14 cetera.

15 Q. Après l'adoption et promulgation de ces amendements, il s'est tenu une

16 session normale où, après une pause de 20 minutes, dans les semaines et les

17 mois qui ont suivi, est-ce que l'assemblée du Kosovo a fonctionné de façon

18 normale ?

19 R. Le parlement du Kosovo a fonctionné de façon tout à fait normale dès le

20 mois de mai. J'ai été réélu aux fonctions de président de ce parlement du

21 Kosovo, pour un nouveau mandat d'un an.

22 Q. Est-ce que cela s'est passé après écoulement du premier délai d'un an ?

23 R. Oui. Au bout de l'écoulement de ce délai, j'ai été réélu à l'occasion

24 d'un vote au parlement, un scrutin secret. Ensuite, Riza Sapundzija, un

25 membre de la présidence de la Yougoslavie, a précisé qu'il y avait deux

Page 34066

1 candidats de présentés. L'un des candidats présents n'a pas obtenu le

2 nombre de votes nécessaires, donc il n'a pas été élu. Le parlement a

3 continué ensuite ses activités de façon normale, et il a été procédé à

4 l'adoption des amendements apportés à la constitution du Kosovo. Il a été

5 procédé à une adaptation de la constitution du Kosovo avec la constitution

6 de la République de Serbie. Il y a eu adaptation des amendements aux

7 amendements qui ont été adoptés par le parlement fédéral.

8 Q. Cette session du mois de juin, du parlement du Kosovo, a-t-elle eu des

9 problèmes ? Comment se sont déroulés ces travaux ?

10 R. De façon tout à fait normale. J'ai présenté un rapport. J'ai ici des

11 comptes rendus, et il a été procédé à l'adoption unanime des amendements de

12 la part de ces mêmes délégués et de cette même assemblée, comme cela a été

13 le cas précédemment, en date du 23, où l'on a prononcé un consentement

14 général.

15 Q. Bien. Merci. Dites-nous maintenant ce qui s'est passé, si tant est que

16 vous avez des connaissances à ce sujet. Une fois que votre mandat a pris

17 fin, au bout d'une autre année, il a été procédé à l'élection d'un autre

18 président du parlement. Comment s'est déroulé le fonctionnement de cette

19 assemblée dans le courant de 1990 ? Parce que, si j'ai bien compris,

20 jusqu'à la fin de votre mandat, il n'y a pas eu de problèmes du tout.

21 R. Jusqu'à la fin de mon mandat, il n'y a pas eu de problème. J'ai

22 remercié les délégués, et j'ai le texte de mon discours. Ensuite, il s'est

23 tenu de nouvelles élections pour la constitution d'un nouveau parlement au

24 Kosovo. Il y a eu élection d'un nouveau corps de députés. Soixante-quatre %

25 des citoyens se sont présentés aux urnes et cette assemblée a commencé à

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1 fonctionner de façon tout à fait normale. Elle a élu à la présidence,

2 Djordje Bozovic. A compter du mois de décembre, jusqu'au mois de juin, les

3 choses se sont passées de façon normale. En juin, il y a des gros problèmes

4 qui surviennent dans le fonctionnement de ce parlement.

5 Q. Pourquoi ?

6 R. Je le sais parce que j'étais vice-président du parlement de Serbie, et

7 Djordje Bozovic, le président du parlement du Kosovo, s'est adressé au

8 président du parlement de la Serbie, qui, lui, m'a informé puisque, moi,

9 j'étais originaire du Kosovo. Il m'a donc informé des problèmes survenus

10 dans ce parlement parce qu'un groupe de députés souhaitaient, nonobstant

11 l'ordre du jour et nonobstant le règlement, adopter une proclamation aux

12 termes de laquelle le Kosovo était devenu indépendant et était devenu une

13 république. Cela ne faisait pas partie de l'ordre du jour. D'autres députés

14 étaient contre. Il y a eu une bousculade. Il y a eu interruption puis

15 recontinuation, puis réinterruption de l'audience, donc les conditions de

16 fonctionnement n'étaient plus normales, et le président du parlement,

17 Djordje Bozovic, a dû interrompre, à plusieurs reprises, les travaux du

18 parlement. Il y avait même danger de voir les députés se confronter entre

19 eux. Certains voulaient faire respecter l'ordre du jour et le règlement, et

20 certains voulaient, en dépit de cette volonté, donner lecture de cette

21 proclamation portant sur l'indépendance du Kosovo.

22 Q. Dites-moi, qui faisait partie de ce groupe voulant proclamer cette

23 indépendance du Kosovo ?

24 R. Je ne sais pas. On a toujours fait état d'un groupe. Il a été fait

25 lecture de cette déclaration, et cela s'est fait devant l'entrée du

Page 34068

1 parlement.

2 Q. Bien. Vous ne savez pas combien ils étaient ?

3 R. Je n'étais pas au Kosovo. Je peux vous donner une information de

4 deuxième main, qui provenait de la bouche du président de ce parlement de

5 l'époque. Il a dit, lui, qu'ils étaient une quarantaine. Je ne sais pas,

6 pour ma part, combien au juste ils étaient.

7 Q. Le nombre de députés était identique à ce que vous aviez du temps de

8 votre présidence.

9 R. Oui, 190, je le sais. Je ne sais pas combien ils étaient. Je n'étais

10 pas présent.

11 Q. Qu'est-ce qui a occasionné ce type de réaction de la part de ce groupe

12 de députés ?

13 R. Cela avait été occasionné par la situation en Yougoslavie. La maison

14 entière, la maison yougoslave était en train de se démanteler. Il avait

15 déjà été proclamé l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, et les

16 titulaires de cette idée d'indépendance pour le Kosovo, ont jugé que le

17 moment était justement opportun, se prêtait bien pour emprunter le même

18 chemin et proclamer une république et indépendance de la province. Ils ont

19 choisi ce moment pour intervenir.

20 Q. Cette tentative et cette lecture de cette déclaration à la porte

21 d'entrée du parlement, tout cela s'est produit après les événements que

22 vous avez mentionnés, à savoir les déclarations de la Slovénie et de la

23 Croatie et de leur indépendance ?

24 R. Oui.

25 Q. [aucune interprétation] Après qu'ils avaient annoncé leur intention de

Page 34069

1 se séparer.

2 R. Il était déjà devenu tout à fait clair que la Slovénie et la Croatie

3 avaient l'intention de quitter la Yougoslavie. La situation était déjà

4 telle que les instances fédérales ne fonctionnaient plus, la Ligue des

5 Communistes ne fonctionnait plus non plus. Il y avait un climat de tension

6 qui se prêtait bien à ce que les titulaires de l'idée d'une république du

7 Kosovo voulaient faire, et ils se sont présentés avec cette proclamation.

8 Q. Djordje Bozovic, qui a hérité les fonctions de président du parlement,

9 qu'a-t-il entrepris ? Vous avez dit qu'il s'était adressé au président du

10 parlement de la Serbie, et quoi d'autre ?

11 R. Il s'adressait par téléphone, et de façon variée. Un jour, le président

12 du parlement, avec un groupe assez important de députés, est venu à

13 Belgrade pour demander une rencontre. Il voulait informer Belgrade. Il

14 cherchait une issue. Il estimait que ce n'était pas seulement de sa

15 responsabilité à lui, mais que la responsabilité revenait également aux

16 instances de la république à Belgrade. Il a été organisé une rencontre

17 élargie avec les dirigeants de la Serbie et un grand nombre de députés du

18 Kosovo.

19 A l'occasion de quoi Djordje Bozovic a présenté les problèmes et a tout

20 simplement indiqué que les conditions n'étaient plus normales, qu'il ne

21 pouvait plus présider aux travaux du parlement, et qu'en sa qualité de

22 président du parlement, il ne pouvait pas permettre que, pendant son

23 mandat, l'on vienne proclamer une république du Kosovo, et il a souligné

24 qu'il ne voulait pas assumer de responsabilité à cet effet. Il demandait

25 comment se comporter.

Page 34070

1 Q. Oui, mais est-ce que l'on sait quelle était mon attitude ?

2 R. J'étais présent à cette réunion avec le président du parlement qui m'a

3 demandé de venir avec lui, étant donné que j'étais originaire du Kosovo,

4 comme lui. Il y avait d'autres dirigeants originaires de Serbie, non

5 seulement au niveau du parlement, mais des dirigeants d'instance

6 différente. Je peux vous donner les noms si vous voulez. Il y avait

7 Milosevic Nirminic [phon], Zoran Andjelkovic et d'autres.

8 Mais les députés du Kosovo étaient tenaces. Ils voulaient que l'on

9 procède à une dissolution de l'assemblée et c'était une question de taille,

10 un problème de taille. Djordje Bozovic voulait présenter cela au président

11 de la présidence - je pense que c'était vous à l'époque. Oui, c'était bien

12 vous - et vous êtes venus à cette réunion. Vous avez pris connaissance des

13 informations et votre position a été celle de dire qu'il fallait retourner

14 à Pristina et se référer au règlement pour prendre la parole à tour de rôle

15 et que ceux qui étaient contre la déclaration, cette proclamation, se

16 déclarent contre, conformément à la réglementation et au règlement

17 régissant le fonctionnement de ce parlement, vous avez eu une attitude

18 assez autoritaire. Djordje a été tendu, il s'est levé énervé et les autres,

19 qui étaient originaires de Serbie et qui étaient présents après votre

20 arrivée, ont dit : "Mais essayons, Djordje, il se peut que vous puissiez

21 continuer cette session," alors que Djordje a dit : "Allez-y vous,

22 présidez, vous, je ne veux plus présider là-bas," et je me souviens bien

23 que vous aviez dit que le parlement devait continuer ses travaux.

24 Q. Très bien. Mais le fonctionnement du tribunal n'a pas repris ?

25 R. Non. Il n'a pas pu reprendre dans des conditions normales.

Page 34071

1 Djordje Bozovic est retourné présider aux travaux de ce parlement, les

2 députés qui venaient ont demandé officiellement à ce que soit dissolu de

3 façon provisoire le parlement du Kosovo.

4 Q. Donc, elle s'est tenue cette session du parlement ?

5 R. Oui. La session a été convoquée et elle a commencée à se dérouler et

6 Djordje Bozovic, au nom des délégués qui étaient contre, a pris la parole

7 pour condamner le comportement d'un autre groupe de députés et pour demande

8 la dissolution du parlement, parce qu'il estimait qu'il n'y avait pas

9 d'autre solution. Il est survenu des problèmes. Un remue-ménage, la

10 situation s'est envenimée et, à une fois plus, s'est levée l'audience.

11 Q. Mais est-ce que l'on a adopté une décision quelconque à l'occasion de

12 cette session.

13 R. Il n'a rien été adopté du tout. L'audience a été interrompue et au

14 parlement du Kosovo, il a été procédé à la présentation d'une requête de la

15 part de ce parlement à l'intention du parlement de la Serbie pour dissoudre

16 cette assemblée.

17 Q. Oui, mais, est-ce que cette requête a été acceptée, adoptée ?

18 R. Je ne sais pas trop vous dire comment cela s'est passé. Je n'étais pas

19 là-bas. Je ne sais pas comment s'est passé le vote. Je sais qu'il a été

20 donné lecture de cela. Il y a eu un remue-ménage. Certains députés

21 demandaient à ce que ce soit transmis au parlement de la Serbie et cela a

22 été fait.

23 Q. Quelle a été la réaction du parlement de la Serbie ?

24 R. Le parlement de la Serbie à l'occasion d'une session à laquelle je n'ai

25 pas pu assister pour des raisons privées, cela s'est tenu dans une après-

Page 34072

1 midi et le parlement a proclamé une loi portant sur la dissolution

2 provisoire de ce parlement du Kosovo ainsi que du conseil exécutif du

3 Kosovo.

4 Q. Bien. Ce que vous nous avez dit au sujet des positions prises par ces

5 députés au parlement du Kosovo, cette proposition faite au parlement de la

6 Serbie et le parlement de la Serbie qui a décidé, suite à cela, de

7 procéder.

8 R. -- de décider de dissoudre provisoirement le parlement du Kosovo.

9 Q. -- de dissoudre provisoirement le parlement du Kosovo. Que savez-vous

10 nous dire au sujet de la constitution de Kacanik ? Etes-vous au courant de

11 cette expression ?

12 R. Oui. L'expression a été très souvent reprise par la presse et les

13 médias, et étant donné que je suis allé là-bas, j'ai eu vent. On dit

14 constitution de Kacanik, parce que Kacanik est une petite localité au

15 Kosovo où s'est tenue une session illégale avec la participation d'un

16 certains nombre de députés. Je ne sais pas au juste qui y a pris part, mais

17 des informations de deuxième ou troisième main nous sommes parvenues pour

18 nous faire savoir que le vice-président du parlement de Serbie y a présidé.

19 Je ne sais pas trop qui a été présent là-bas, ce qui a été fait, personne

20 ne le savait. Peut-être certains organes l'ont-ils su, mais la presse a dit

21 que c'était une session illégale contraire aux dispositions de la loi de la

22 Serbie et de la Yougoslavie, parce qu'il s'est constitué une assemblée unie

23 nationale.

24 Dans notre système, à l'époque, on estimait que les décisions prises

25 de façon mononationale ou unité nationale sans la présence des autres

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1 groupes ethniques et sans le respect des dispositions de la constitution de

2 la Yougoslavie ou de la Serbie ainsi que la constitution du Kosovo ont été

3 considérées nulles et non avenues.

4 Q. Donc, en non-conformité des constitutions yougoslaves serbes et

5 celles du Kosovo. Fort bien.

6 Quelques réponses encore. Quelles étaient vos relations personnelles

7 avec les Albanais avec qui vous résidiez, avec qui vous travailliez au

8 Kosovo vous-même ?

9 R. Je suis né là-bas, j'ai grandi là-bas. J'ai fréquenté des

10 Albanais. J'ai été dans nom nombre de jeux. On a joué ensemble dans des

11 maisons albanaises, des maisons serbes. J'avais un grand nombre d'amis

12 albanais de ma toute première jeunesse et par la suite, et de nos jours

13 encore, j'entretiens un bon nombre de contacts avec certains Albanais par

14 téléphone et, personnellement on se rencontre, mais pas sur le territoire

15 du Kosovo, sur le territoire de la Serbie centrale.

16 Q. Mais qu'est-il advenu de votre village, de votre région natale

17 maintenant ? Quelle est la situation qui y prévaut ?

18 La situation y est tragique. Mon village, le village où après

19 l'arrivée de la KFOR il y avait 35 maisons serbes et une dizaine de

20 maisonnées de Rome, toutes ces maisons là ont d'abord été pillées et

21 détruites, ce qui fait qu'il n'y a plus une seule maison serbe ou de Rome

22 entière dans mon village. Ma maison et certaines autres maisons des

23 Albanais et des voisins voulaient les préserver, mais ils m'ont dit qu'ils

24 ne voulaient pas trop s'exposer au danger, parce qu'on les avait menacés

25 eux-mêmes de liquidation physique.

Page 34074

1 Un Albanais m'envoyait des photos de ma maison et si vous le désirez,

2 je peux vous les montrer.

3 Q. Justement, placez les sur le rétroprojecteur pour qu'on voit. Si

4 j'ai bien compris, ils ont voulu d'abord protéger vos biens puis ensuite

5 ils ont été impuissants pour ce qui était de ce faire ?

6 R. Ils ne voulaient pas défendre et protéger que ma maison. Ils

7 voulaient préserver la maison d'un cousin à moi, Bane Petrovic, qui a aidé

8 bon nombre de personnes et Bane Petrovic s'est vu garantir la possibilité

9 de rester au village. Il y restait, mais la garantie a été en vigueur

10 pendant 15 jours. Ses voisins lui ont dit : "Nous ne sommes plus en mesure

11 de te protéger, tu es en danger également" et il a déménagé. Il est parti.

12 Et entre-temps, un ami à moi s'est fait tuer, un certain Radenovic,

13 ingénieur en agronomie.

14 Q. Bien. Mais placez donc ces photos sur le rétroprojecteur et on

15 finira avec cela.

16 C'est votre maison dans le village de Grmovo au Kosovo. Voilà, c'est

17 l'apparence de cette maison avant et après l'arrivée de la KFOR.

18 R. Cela est ma maison et c'est ce qui en reste, mais je dirais qu'en ce

19 moment-ci, il ne reste même pas ce que vous voyez sur ces photos. Dans le

20 village on a également saccagé l'église et on a détruit aussi bien un grand

21 nombre de monuments.

22 Cela ne s'est pas fait tout de suite. Au tout début, ils n'ont

23 incendié que trois maisons de Serbes, de Serbes qui ont porté des armes,

24 qui ont fait partie de la police ou de l'armée. Ce n'est qu'au bout de 15

25 jours qu'un autre groupe, sur ordre, comme l'ont dit des voisins albanais,

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1 qu'ils ne pouvaient plus protéger les biens, cet autre groupe a d'abord

2 enlevé les matériaux de construction, les tuiles, la toiture, enfin tout ce

3 qu'on pouvait enlever. La maison a été démolie et ensuite on a fait sauter

4 le tout à l'explosif, de façon professionnelle.

5 Q. Merci, Monsieur Jokanovic, je n'ai plus de questions.

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] M. Jokanovic, où habitez-vous

7 actuellement ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai le statut de personne déplacée de façon

9 provisoire, c'est le jargon que nous utilisons. Par conséquent, je suis en

10 réalité un réfugié et j'habite à Belgrade. Mes deux fils étaient à Pristina

11 mais ils vivent actuellement à Belgrade aussi, ainsi que les autres membres

12 de ma famille qui sont dispersés en Serbie et qui vivent dans différents

13 abris collectifs et différentes dépendances. Toutes ces personnes étaient

14 autrefois des personnes assez aisées.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] M. Nice, nous allons maintenant

16 parler des pièces concernant votre interrogatoire.

17 M. NICE : [interprétation] Absolument. La question du compte rendu

18 d'audience. Je crois que l'accusé avait l'intention de poser un certain

19 nombre de questions au témoin concernant ces extraits. Nous n'avons pas

20 abordé cela du tout.

21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous devons d'abord regarder les procès-

22 verbaux des différentes réunions politiques de la Ligue des Communistes de

23 Yougoslavie et du Kosovo. Le numéro, s'il vous plaît ?

24 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] D253.

25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Marqué aux fins d'identification

Page 34076

1 jusqu'à ce qu'une traduction soit faite.

2 La page suivante, enregistrement de la session conjointe du compte

3 rendu.

4 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] D254

5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ensuite, deux coupures de journaux

6 extraits de Politika et de Rilindja.

7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] D255.

8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ensuite, deux séquences vidéo.

9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] D256

10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pour finir, les photographies.

11 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Les photographies porteront le numéro

12 D257.

13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Y a-t-il autre chose que vous souhaitez

14 verser au dossier ?

15 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Souhaitez-vous également présenter la

16 carte d'identité ?

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Souhaitez-vous également verser au

18 dossier cette carte d'identité ?

19 L'ACCUSÉ : [interprétation] Si vous pensez que cela peut être utile. Si

20 vous jugez qu'il s'agit là d'un élément de preuve utile.

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est à vous d'en décider, ce n'est

22 pas à nous d'en décider.

23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Versez-le au dossier.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

25 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] La carte d'identité comportera le

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1 numéro D258.

2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] M. Jokanovic, êtes-vous disposé à

3 remettre les différentes photographies ainsi que la carte d'identité ? Ou

4 alors, vous pouvez remettre une photocopie de cette carte d'identité.

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Si cela est possible, je souhaite vous

6 remettre une photocopie et si vous jugez que cela est important, je suis

7 même disposé à vous remettre l'original. C'est que ces photographies me

8 sont importantes, c'est un souvenir pour moi car lorsque vous perdez votre

9 maison, vous perdez beaucoup.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous pouvons en faire des

11 photocopies.

12 L'ACCUSÉ : [interprétation] M. Robinson, étant donné que le témoin

13 disposait d'autres documents très importants sur un nombre très important

14 de réunions qui débattaient de la question des amendements

15 constitutionnels, de façon à ce que vous pouviez constater dans quelle

16 mesure tous ces débats étaient très ouverts, il s'agit là de toute une

17 série de documents. Si vous estimez que cela peut vous être utile, je pense

18 que ceci pourrait également être présenté comme pièces à conviction. Je

19 n'ai pas eu le temps de les aborder dans le détail car mon temps est passé

20 beaucoup plus rapidement que prévu.

21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Milosevic, il ne s'agit pas là

22 d'une procédure communément adoptée. Ce n'est pas ainsi que vous pouvez

23 verser vos documents, il faut les présenter par l'intermédiaire du témoin.

24 M. NICE : [interprétation] Ce qui m'intéressait particulièrement, c'était

25 les différents passages que vous alliez citer. Cela m'intéresse, il aurait

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1 été utile que les citiez mais à mon avis, c'est à la Chambre de décider

2 combien de temps elle peut entendre un témoin et les documents s'y

3 rapportant.

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous n'allons pas accepter le

5 versement au dossier de ces documents.

6 Monsieur Nice, vous pouvez commencer votre contre-interrogatoire.

7 M. NICE : [interprétation] Ecoutez, je pensais, s'il est préférable,

8 j'avais l'intention de présenter un certain nombre de documents et peut-

9 être qu'il serait préférable de commencer demain. Il s'agissait, en fait,

10 de rassembler et de mettre en ordre ces différents documents compte tenu

11 des questions que je souhaitais poser au témoin. Si vous souhaitez que je

12 commence aujourd'hui, bien entendu, il y a un ou deux documents que je

13 pourrais placer sur le rétroprojecteur.

14 [La Chambre de première instance se concerte]

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous pouvez commencer,

16 Monsieur Nice.

17 M. NICE : [interprétation] Comme vous voulez.

18 Contre-interrogatoire par M. Nice :

19 Q. [interprétation] Mous avons beaucoup vu dans la presse locale

20 qu'une certaine impartialité a été présentée par la presse occidentale. Je

21 n'ai pas pu photocopier ceci.

22 M. NICE : [interprétation] Nous allons mettre ce document sur le

23 rétroprojecteur. La première page, s'il vous plaît.

24 Monsieur le Président, ce que je propose, si vous me le permettez,

25 nous allons simplement regarder ce document aujourd'hui et je vous le

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1 fournirai demain dans un format qui est plus approprié.

2 Q. Monsieur Jokanovic, ce que nous avons ici et je vais lire à

3 partir de la version que j'ai sous les yeux. C'est un extrait du Washington

4 Post, daté du 29 novembre 1986. Ceci comporte --

5 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.

7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce que Monsieur Nice doit, s'il souhaite

8 présenter un document, me fournir un exemplaire également et non pas

9 fournir un exemplaire simplement pour le témoin ?

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, je crois que vous

11 nous avez déjà fourni une explication.

12 M. NICE : [interprétation] Oui, absolument.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur a précisé qu'il allait

14 fournir ce document demain. Etant donné les circonstances, nous pouvons

15 poursuivre et vous pouvez suivre et lire ce document à l'écran, Monsieur

16 Milosevic.

17 M. NICE : [interprétation]

18 Q. M. Jokanovic, il s'agit là d'un rapport, comme nous allons le

19 découvrir, qui cite un entretien avec vous, mais je souhaite que vous nous

20 aidiez ici avec ce qui est décrit comme correspondant à la date du mois de

21 novembre 1986.

22 M. NICE : [interprétation] Pardonnez-moi un instant, s'il vous plaît,

23 Messieurs les Juges. Si vous pourriez m'accorder quelques instants, je vous

24 prie, de façon à ce que nous puissions procéder dans l'ordre. Je souhaite

25 plutôt commencer avec le document qui est daté de l'année 1982. Il s'agit,

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1 en fait, du même thème. C'est la manière dont les événements au Kosovo, les

2 problèmes du Kosovo ont été dépeints à l'extérieur. Je vais lire

3 directement à l'écran.

4 Je vais lire suffisamment lentement, je l'espère. Cela a été publié à

5 Pristina.

6 Pourriez-vous nous montrer le haut de la page, s'il vous plaît. Merci.

7 Q. Le New York Times, le 12 juillet 1982 : "Exode des Serbes provoque un

8 émoi dans la province en Yougoslavie," auteur Marvine Howe.

9 "Danilo Krstic et sa famille sont des agriculteurs qui travaillent dur le

10 blé et le tabac, et qui s'entendent bien avec leurs voisins albanais.

11 "'Il faut aimer cet endroit pour avoir envie d'y resté,' note Marko Krstic,

12 aux personnes qui sont venues rendre visite à cette ferme à Bec, à quelques

13 kilomètres de la frontière albanaise. Il n'y a eu aucun désaccord entre les

14 Serbes et les Albanais de Bec, mais les Serbes dans les villages ont,

15 semble-t-il, été harcelés par des Albanais, ont fait leur valises et ont

16 quitté la région.

17 "L'exode des Serbes est, il est vrai, un des principaux problèmes que

18 doivent gérer les autorités du Kosovo, une province autonome de Yougoslavie

19 habitée en grande partie par les Albanais. "Ces troubles ont provoqué une

20 prise de conscience.

21 "Ces troubles de l'année précédente, autrement dit, celles de l'année 1981,

22 au cours desquelles neuf personnes ont été tuées ont choqué non seulement

23 la province troublée du Kosovo, mais l'ensemble du pays, et leur a fait

24 prendre conscience de ces problèmes, de cette région la plus reculée de la

25 Yougoslavie, composée de nombreux groupes ethniques.

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1 "Au mois de juin, un Serbe âgé de 43 ans, Miodrag Saric, a été tué par un

2 voisin albanais, Ded Krasniqi, dans un village près de Djakovica, à quelque

3 40 miles au sud-est de Pristina. D'après l'agence de presse officielle de

4 Yougoslavie, TANJUG, il s'agit du deuxième assassinat d'un Serbe par un

5 Albanais au Kosovo cette année. Ce différend a commencé, semble-t-il, à

6 propos d'un désaccord sur un champ qui avait été endommagé et qui

7 appartenait à la famille Saric.

8 "Les instances politiques ont fortement condamné cette assassinat comme le

9 qualifiant 'd'acte criminel grave' qui pourrait avoir de sérieuses

10 répercussions d'après l'agence de presse. Six membres de la famille de

11 Krasniqi ont été arrêtés et des enquêtes ont été menées.

12 "Les autorités ont répondu à différents niveaux par rapport à la violence

13 au Kosovo, essayant clairement d'éviter que la majorité albanaise ne

14 réagisse fortement. Ensuite, des mesures de sécurité très fermes ont été

15 prises, action qui a été menée pour accélérer les changements au plan de

16 l'éducation, changements économiques et politiques."

17 Ensuite, nous avons un titre : "Les erreurs commises par le passé qui sont

18 reconnues."

19 "En privé, certains représentants officiels reconnaissent que la montée du

20 nationalisme serbe dans une société fondée sur un principe d'égalité des

21 nationalités est le résultat des erreurs passées - tout d'abord négligées,

22 et la discrimination et les erreurs commises récemment d'agir contre ceux-

23 ci aux fins de les reconnaître et de faire quelque chose."

24 Je fais une pause ici. Nous allons regarder le reste de cet article qui

25 comprend votre propre contribution. Il est suggéré, n'est-ce pas, qu'il

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1 faut reconnaître que les erreurs ont été commises par le passé, qu'il y a

2 eu négligence et discrimination contre les Albanais.

3 Est-ce que vous acceptez qu'il s'agisse là d'une description exacte de la

4 position adoptée à l'époque ?

5 L'ACCUSÉ : [interprétation] La question n'est pas bien posée, Monsieur

6 Robinson.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pourquoi ?

8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Parce que la négligence et la discrimination ne

9 sont pas évoquées ici à propos des Albanais, mais vis-à-vis des Serbes.

10 C'est quelque chose qui n'est pas pris en compte ici.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, la question est

12 tout à fait légitime et tout à fait appropriée. Le témoin doit répondre.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur Nice, si vous pouviez simplement

14 répéter cette question de façon à ce que je puisse bien la comprendre.

15 M. NICE : [interprétation]

16 Q. Eu égard au dernier paragraphe que je viens de lire où les

17 représentants officiels reconnaissent que la montée du nationalisme

18 albanais était liée en partie aux erreurs commises par le passé, à savoir,

19 négligence et discrimination - je vais revenir à la dernière partie un peu

20 plus tard - est-ce que vous reconnaissez que la négligence et la

21 discrimination, je vais rester neutre ici, discrimination contre un groupe

22 ou un autre, a été une des raisons qui explique cette montée du

23 nationalisme ?

24 R. Cet article, ce que à quoi vous me demandez de répondre, fait allusion

25 aux erreurs commises par le passé par des Albanais contre des Serbes. Tel

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1 est l'esprit de cet article. Des erreurs commises par le passé sont

2 évoquées ici, car par le passé, le nationalisme albanais n'était pas

3 traité, ce qui signifie que ceci a pu se répandre. En 1981, il s'agissait

4 de l'évaluation de la situation faite par les instances de la province et

5 de la Fédération, et ils en ont conclu que les personnes qui étaient au

6 pouvoir ont été punies dans la province à cause d'actes de discrimination

7 et de l'exode des Serbes. Je crois que c'est là des erreurs dont il est

8 question ici.

9 Q. Le texte se poursuit, si vous regardez ce paragraphe : "Plus récemment,

10 une impossibilité à réagir contre des forces de division ou voire même de

11 les reconnaître."

12 Donc, les "forces" ici sont au pluriel, et la description qui en est faite,

13 c'étaient "forces de division." Que dites-vous à cet égard ? S'agissait-il

14 d'une force ou de plusieurs ?

15 R. Les manifestations elles-mêmes, en 1981, comme je vous l'ai déjà dit,

16 ont véritablement eu un effet négatif sur les relations entre les

17 différents groupes ethniques. Les relations étaient moins bonnes par la

18 suite.

19 Les nationalistes albanais, qui recherchaient un Kosovo ethniquement pur,

20 estimaient que ceci favorisait leur cause, et qu'il était important, par

21 conséquent, de malmener ces relations pour provoquer des conflits.

22 Q. Encore une fois, la faute en incombe uniquement aux Albanais ? D'après

23 vous, la position adoptée ici par ce journal ou ce journaliste est tout à

24 fait exacte ?

25 R. A la manière dont je comprends les choses ici, cet article adopte un

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1 point de vue tout à fait réaliste par rapport aux Serbes. Les assassinats

2 des Serbes et les erreurs commises par les dirigeants du Kosovo ainsi que

3 les raisons qui expliquent ces manifestations en masse.

4 Q. Les Serbes, en 1982, à l'époque de cet article, vous dites que ceci

5 était déjà bien entamé.

6 R. J'ai dit au cours de ma déposition qu'il y avait déjà eu des meurtres.

7 Il y avait déjà eu d'autres formes de pression exercées. J'ai cité dans mon

8 témoignage les mêmes exemples que ceux qui sont cités dans cet article.

9 Q. "Les nationalistes ont un programme d'après Bercir Hoti, qui était un

10 secrétaire du parti communiste du Kosovo, il s'agissait de mettre en place

11 une république ethniquement pure, une république albanaise et, ensuite, de

12 mettre en place la grande Albanie.

13 "M. Hoti, un Albanais a exprimé son inquiétude eu égard à la pression

14 politique qui obligeait les Serbes à quitter le Kosovo. Programme politique

15 en deux temps. Ce qui est important, maintenant, c'est de mettre en place

16 un climat de sécurité et de créer un climat de confiance."

17 Si nous pouvons passer en haut de la page, s'il vous plaît. Merci.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, je crois qu'il doit

19 s'agir de la dernière question maintenant.

20 M. NICE : [interprétation] Merci beaucoup.

21 Q. "La migration des Serbes ne constituent pas un problème ordinaire, car

22 le Kosovo constitue le cœur de la culture de la religion de l'histoire de

23 la Serbie. Les Serbes ont habité ce territoire avant le 17e siècle, avant

24 d'avoir eux-mêmes eu leur propre indépendance et dynastie."

25 "Cinquante-sept mille ont quitté la région. Cinquante-trois milles Serbes

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1 ont quitté la région au cours de la dernière décennie, et ce nombre a

2 encore augmenté après les émeutes du mois de mars et du mois d'avril

3 l'année dernière, d'après vous, Vukasin Jokanovic, un autre secrétaire du

4 conseil exécutif du parti Kosovo."

5 C'est vous, n'est-ce pas, Monsieur Jokanovic ?

6 R. Oui.

7 Q. Votre témoignage -- non pas votre témoignage, mais vous avez contribué

8 à ce journal, et à cette époque-ci, vous avez expliqué que les émeutes des

9 années précédentes qui, comme vous dites étaient des émeutes provoquées par

10 les séparatistes albanais, ont conduit quelques 57 000 -- un certain nombre

11 de Serbes ont conduit à l'exode ou au départ de quelques 57 000 Serbes,

12 n'est-ce pas, c'est exact ?

13 R. Oui, c'est sans doute ce que j'ai dit. Le nombre de ceux qui sont

14 partis est sans doute plus grand sur un temps plus long, mais c'est sans

15 doute le chiffre que j'ai dû citer à l'époque. Je ne me souviens pas de cet

16 entretien en particulier. Becir Hoti, cela est -- je dois dire que c'est

17 quelqu'un que je connais, et ce qu'il décrit ici est en fait la situation

18 telle qu'elle prévalait à l'époque, et c'est ce que je disais. Il était

19 Albanais, j'étais Serbe, nous mettions en place la même politique.

20 M. NICE : [interprétation] Merci beaucoup.

21 Monsieur le Président, je vais revenir sur ce document demain. Nous avons

22 ici des documents de source ouverte, que nous allons présenter demain.

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Jokanovic, nous allons

24 suspendre l'audience maintenant, et nous reprendrons l'audience demain

25 matin à 9 heures.

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1 --- L'audience est levée à 13 heures 49 et reprendra le jeudi 2 décembre

2 2004, à 9 heures 00.

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