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1 Le mercredi 17 août 2005
2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 01.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, j'ai reçu un
6 mémo provenant de votre associé juridique, M. Rakic, qui explique que M.
7 Delic ne va pas déposer aujourd'hui. On motive ceci par des circonstances
8 qui sont acceptées et que vous devez veiller à ce que M. Delic soit ici
9 bientôt pour qu'il poursuive le plus vite possible sa déposition.
10 Veuillez citer votre témoin suivant.
11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Le témoin suivant s'appelle Saban Fazliu.
12 Monsieur Robinson.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il y a eu un petit changement d'intervenu. Ce
15 sera Muharem Ibraj, ce témoin-ci, et après nous allons entendre Saban
16 Fazliu. L'ordre de comparution est quelque peu modifié, mais peu importe.
17 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais demander au témoin de
19 déposer la déclaration solennelle.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare -- mais tout d'abord je vais vous
21 saluer.
22 Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien
23 que la vérité.
24 LE TÉMOIN: MUHAREM IBRAJ [Assermenté]
25 [Le témoin répond par l'interprète]
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez vous
2 asseoir, Monsieur.
3 Vous pouvez commencer, Monsieur Milosevic.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Robinson.
5 Interrogatoire principal par M. Milosevic :
6 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Ibraj. Est-ce que vous pourriez vous
7 présenter en quelques mots.
8 R. Bonjour, Monsieur le Président. Je vous salue. Par ces paroles, je
9 souhaiterais dire la vérité et ce que je sais. Vous pouvez commencer à me
10 poser des questions.
11 Q. Dites-nous votre lieu de naissance, où vous avez été à l'école, où vous
12 avez travaillé et où vous avez habité.
13 R. Je suis né le 25 septembre 1953, dans le village d'Osek Hilja,
14 municipalité de Gjakove. J'ai terminé l'école primaire dans le village de
15 Skivljane et quant à l'école secondaire, j'ai étudié l'économie à Mitrovica
16 e Titos. De 1972 à 1980, j'avais mon entreprise, c'était un restaurant. En
17 1981, j'ai travaillé comme garde champêtre à Erenik. En mai 1998, j'ai
18 travaillé à assurer la sécurité du village et j'ai fait ce travail jusqu'au
19 14 juin, 1999.
20 Q. Votre village, le village d'Osek Hilja que vous avez mentionné il y a
21 un instant, se trouve tout près de Djakovica et il fait partie de la
22 municipalité de Djakovica, n'est-ce pas ?
23 R. Oui. Il est rattaché à Gjakove.
24 Q. Monsieur Ibraj, est-ce qu'il n'y a que des Albanais qui habitent dans
25 votre village ?
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1 R. Il y a 186 foyers dans mon village, et une seule de ces familles était
2 serbe.
3 Q. Dites-moi, Monsieur Ibraj, vous avez toujours vécu dans ce village,
4 est-ce qu'il y a eu des problèmes entre les Serbes et les Albanais dans ce
5 contexte ?
6 R. Auparavant, il y avait beaucoup de Serbes dans notre village. A partir
7 de 1980, les Serbes ont commencé à partir du village, mais pendant tout le
8 temps où ils ont vécu dans notre village nous avons eu de bons rapports.
9 Les rapports ont été bons entre les Serbes et les Albanais.
10 Q. Quand est-ce que les problèmes ont commencé à se poser ou plus
11 exactement, quand a-t-on perçu des tensions sinon des conflits pour des
12 raisons ethniques ?
13 R. Les problèmes ont commencé en 1998 au moment où les terroristes se sont
14 formés, où l'UCK a été constituée.
15 Q. Comment est-ce que se sont manifestés ces problèmes ?
16 R. Il y a eu un soulèvement contre les Serbes, contre l'Etat, contre les
17 Albanais qui ne travaillaient pas avec eux ou pour eux.
18 Q. Est-ce que c'est à ce moment-là qu'on a commencé à organiser la
19 sécurité locale, je veux dire dans votre région, plus précisément dans
20 votre municipalité ou disons la municipalité de Djakovica ou dans votre
21 village ?
22 R. La défense locale dans la municipalité de Gjakove a débuté en mai 1998.
23 Chacun des villages de la municipalité de Gjakove avait désigné deux
24 personnes qui étaient chargées d'assurer la sécurité au plan local. Ces
25 deux personnes, qui étaient à même de défendre leur village, ont fait que
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1 ces villages sont restés intacts jusqu'à ce jour. Mais parfois, ces
2 personnes n'ont pas réussi à défendre leurs villages; ces personnes ont été
3 enlevées voire tuées. Il y a eu des assassinats, des incendies volontaires,
4 toutes sortes de choses.
5 Q. De qui deviez-vous protéger votre village ? Je parle ici de sécurité
6 locale, de qui devait-elle le protéger ?
7 R. J'avais un camarade, un de mes associés. Nous nous sommes mis d'accord
8 avec l'armée et la police et avec les habitants du village pour que les
9 villageois ne soient pas dérangés ni par la police ni par l'armée mais pas
10 non plus par l'UCK.
11 Q. Vous avez déclaré que dans tous les villages de la municipalité de
12 Djakovica on avait établi une sécurité locale et que chaque village avait
13 désigné deux personnes chargées de la sécurité locale. Est-ce que vous avez
14 occupé une fonction particulière dans le cadre de la sécurité locale ?
15 R. Oui, oui, nous avons travaillé en passant par la municipalité. Je n'en
16 suis pas tout à fait sûr, mais je pense qu'il y a 76 villages dans la
17 municipalité de Gjakove et dans chaque village il y avait cette sécurité
18 locale.
19 Q. Est-ce que vous pourriez nous donner un peu plus de détails, parce que
20 c'est la première fois qu'on a ici un témoignage authentique à ce propos,
21 un élément de preuve qui est authentique. Comment est-ce que cela
22 fonctionnait ce système de sécurité locale ? Qui désignait les personnes
23 chargées de l'assurer et quelle était la fonction de cette personne ? Je
24 vais vous posez plusieurs questions pour ne pas vous donner trop de
25 questions en une fois.
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1 R. Ce système de sécurité locale a été établi par le président de la
2 municipalité. Je ne vous parle que de la municipalité de Gjakove. Cette
3 sécurité locale a été établie par Momcilo Stanojevic qui était le président
4 de la municipalité, le maire. Il a désigné ou convoqué plus exactement une
5 personne par village, et ces personnes devaient assister à des réunions. Il
6 a organisé des réunions au niveau des villages. Cela lui a pris deux jours
7 plus exactement et il a désigné ceux ou celles qui étaient à même de
8 garantir la sécurité de ce village. Par exemple, pour le village d'Osek,
9 j'ai été désigné, choisi par le village, moi, ainsi que Mihil Abazi car
10 nous avons pu garantir que personne n'allait toucher au village d'Osek.
11 C'est comme cela que cela s'est passé jusqu'au bout.
12 Q. Qu'en est-il des autres villages ? Est-ce que c'est ce même genre de
13 sélection qui s'est fait ? Est-ce que ce sont les villageois eux-mêmes qui
14 ont choisi les personnes chargées de la sécurité locale ?
15 R. Dans chaque village, ce sont les habitants qui ont élu deux personnes
16 chargées d'assurer la sécurité locale.
17 Q. Est-ce que cela veut dire que les membres de la sécurité locale
18 portaient l'uniforme ?
19 R. Oui, nous avions un uniforme.
20 Q. Quel genre de matériel aviez-vous ?
21 R. Cela variait. C'était un uniforme différent de celui que portait la
22 police. Nous avions l'insigne sur la poitrine et sur la casquette, et on
23 avait écrit en albanais et en serbe sur cet insigne "Défense locale." Nous
24 avions des permis spéciaux. Nous avions des fusils, nous avions des
25 matraques et nous avions un véhicule qui avait été désigné par village,
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1 véhicule de fonction. Il y avait six transmetteurs radios pour la totalité
2 de la police locale.
3 Q. Fort bien. Je vous remercie, Monsieur Ibraj. Parlez-moi de la collecte
4 des armes. Pourriez-vous nous dire exactement ce que vous avez organisé,
5 vous personnellement, dans votre village ?
6 R. J'aimerais tout d'abord m'excuser. J'ai rencontré beaucoup de
7 problèmes, et je n'ai pas réussi à me souvenir de toutes les dates. Je ne
8 connais pas les dates exactes, mais cela a dû se passer au début, en mai
9 1998. Mihil Abazi et moi-même ainsi que deux personnes âgées du village,
10 nous nous sommes rendus dans chacune des maisons du village pour dire aux
11 personnes qui y vivaient qu'elles devaient rendre leurs armes. Nous leur
12 avons promis que personne n'allait les toucher, car le maire de la
13 municipalité nous avait promis, c'est comme cela que cela allait se passer
14 et c'est d'ailleurs ce qui s'est passé jusqu'à la fin. En l'espace de 24
15 heures, toutes les armes qui avaient été prises par l'UCK m'ont été
16 remises. Ces armes m'ont été données. C'est avec deux personnes du village
17 que je les ai rassemblées, ces armes, que j'ai emmenées en tracteur au SUP,
18 au secrétariat de l'Intérieur.
19 Q. Vous dites que vous êtes allé chercher des armes, armes que les
20 villageois avaient reçu de l'UCK, mais il est de notoriété publique que les
21 Albanais du Kosovo, un peu comme les Serbes --
22 M. SAXON : [interprétation] On parle ici de "quelque chose qui est de
23 notoriété publique." Peut-être qu'on pourrait reformuler la question.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Essayez d'éviter de poser des
25 questions qui soufflent la réponse au témoin ou le guide dans sa réponse.
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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Ce n'est pas une question de ce genre
2 puisqu'ici, on parle de faits. C'est en rapport avec une situation de fait,
3 si on peut le dire ainsi. Je dis qu'on savait très bien que les Albanais,
4 comme les Serbes qui vivent dans cette contrée, dans cette partie du monde,
5 aiment les armes. Je voulais demander à ce témoin si la remise de ces armes
6 avait été organisée, armes qui avaient été données par l'UCK ou si on avait
7 organisé les choses de façon à ce que toutes les armes que les habitants
8 avaient, de toute façon, dans leurs maisons soient remises.
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je peux répondre à votre question. Quand j'ai
10 demandé aux villageois de nous livrer les armes qu'ils avaient, je leur ai
11 dit de nous donner les armes que les terroristes leur avaient données. En
12 effet, 80 % des Albanais ont toujours eu une arme. Personnellement, j'ai
13 été emprisonné une vingtaine de fois parce que j'avais gardé quelque part
14 dans une cachette des armes et j'ai dit à toutes les personnes que
15 quiconque avait une arme, que ce soit un revolver, un pistolet, un fusil,
16 que ces personnes gardaient chez elles pour se protéger, pas pour lutter,
17 combattre contre l'Etat à des fins terroristes, j'ai dit que ces armes qui
18 venaient de l'UCK devaient être livrées.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous pourriez nous
20 apporter un éclaircissement ? Je vois ce qui est écrit au compte rendu.
21 Vous dites que vous avez été emprisonné une vingtaine de fois parce que
22 vous aviez gardé quelque part des armes, dans une cachette. Est-ce que
23 c'est bien le cas ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous dites autant de fois que cela,
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1 vous avez été emprisonné une vingtaine de fois ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Peut-être pas une vingtaine de fois; disons
3 une dizaine de fois.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Poursuivez, Monsieur Milosevic.
5 M. MILOSEVIC : [interprétation]
6 Q. Monsieur Ibraj, est-ce que vous pourriez nous donner une explication ?
7 Parce que si je vous ai bien compris, vous leur avez demandé de remettre
8 les armes que leur avait données l'UCK. Vous n'avez pas demandé à ces
9 habitants qu'ils livrent les armes dont ils étaient propriétaires. Est-ce
10 que je vous ai bien compris ou est-ce que je me trompe ?
11 R. Non, non, vous avez raison.
12 Q. Est-ce que cela veut dire que si ces gens avaient depuis de nombreuses
13 années une arme qu'ils avaient achetée, est-ce qu'elles pouvaient garder
14 ces armes-là ?
15 R. L'Etat ne nous a jamais autorisé à garder des armes avec un permis.
16 Nous avons toujours eu des problèmes entre nous pour des petits délits, que
17 ce soit aussi pour des terres, pour du bétail, ce genre de choses. Nous
18 avons quelquefois acheté une arme pour autant d'argent que 4 000 marks. Je
19 leur ai dit qu'ils ne devaient pas me donner les armes dont ils avaient
20 besoin pour se protéger. Ils n'ont d'ailleurs pas livré ces armes-là. Mais
21 l'Etat n'a jamais arrêté des gens parce qu'ils détenaient ce genre d'armes.
22 L'Etat savait, en effet, que même si ces gens avaient un fusil, cette arme
23 ne serait utilisée que pour se protéger, pas pour lutter contre l'Etat.
24 Nous avons demandé à ces gens de donner les armes qui venaient de
25 l'étranger et qui servaient à des fins terroristes et les gens l'ont fait,
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1 les gens ont donné ces armes.
2 Q. Il y a un instant, vous avez dit que vous vous êtes trouvé en prison
3 une vingtaine de fois pour détention d'armes et je suppose que vous, vous
4 n'aviez pas de permis de port d'armes. Est-ce que vous pourriez nous en
5 dire davantage ? Quand avez-vous été emprisonné et combien de temps avez-
6 vous été en prison pour ce genre de délit ?
7 R. A partir de 1975, c'est la première fois que j'ai été emprisonné; la
8 police a trouvé un revolver chez moi et j'ai été condamné à un mois ou deux
9 de prison. Après cela, j'ai acheté un autre revolver et cela a continué.
10 J'ai demandé à l'Etat de m'octroyer un permis de port d'armes, mais je n'ai
11 pas réussi à l'obtenir.
12 Q. Je sais que ce n'est pas facile pour vous de nous donner un chiffre
13 exact, mais en tout, combien de temps avez-vous passé en prison pour ces
14 différentes infractions ?
15 R. Je ne pense pas avoir passé en prison plus d'un an et demi. La peine
16 maximale que j'ai reçue a été un an et demi. Excusez-moi, pendant un
17 instant, j'ai parlé serbe.
18 Q. La première fois lorsque vous avez été sanctionné pour détention
19 d'armes, vous dites que la police avait trouvé un revolver chez vous et que
20 vous aviez été puni pour ce genre de choses, mais qui étaient les policiers
21 concernés ? Est-ce que c'étaient des Serbes ou des Kosovars ?
22 R. Des Albanais.
23 Q. Parlez-nous d'autres fois où c'est arrivé - vous avez dit qu'à quelque
24 dix reprises vous avez été emprisonné pour détention illégale d'armes -
25 est-ce que les agents de la police qui ont découvert ces armes en votre
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1 possession étaient des Albanais ou des Serbes ?
2 R. Des Albanais.
3 Q. Revenons à l'événement de 1998. Combien d'armes avez-vous recueilli
4 dans ce village d'Osek Hilja lorsque vous aviez organisé cette collecte
5 d'armes auprès des villageois, s'agissant d'armes que ces villageois ont
6 obtenues de la main des membres de l'UCK ?
7 R. Dans notre village à Osek, nous n'avons pas compté chacune des armes
8 recueillies, mais elles ont pris place dans deux tracteurs, remorques de
9 tracteurs pleins d'armes. Il y avait des pistolets. Il y avait -- je sais
10 également qu'il y avait un canon, mais il y avait toutes sortes d'armes.
11 Q. Alors, comme vous parlez de pistolets, dites-nous s'il y avait des
12 fusils.
13 R. Comme je vous l'ai déjà dit, il y avait de tout, des pistolets et
14 autres armes. Il y avait également un canon. Il y avait des fusils
15 automatiques, des mortiers, toutes sortes d'armes.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je suis quelque peu confus, est-ce que
17 nous sommes en train de parler de 1992 ou 1998 ?
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] 1998.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] 1998.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez continuer, Monsieur Milosevic.
21 M. MILOSEVIC : [interprétation]
22 Q. Monsieur Ibraj, vous avez collecté ces armes. Qu'en avez-vous fait ?
23 R. J'ai pris avec moi deux autres personnes et nous avons transféré ces
24 armes vers le SUP de Djakovica.
25 Q. Bien.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que ces armes différaient des
2 armes que les Albanais avaient gardées chez eux pour leur protection,
3 celles dont vous avez parlé tout à l'heure ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Comme je vous l'ai déjà dit, il y a eu deux
5 tracteurs pleins à ras bord d'armes. Ces armes étaient toutes neuves. Ce
6 n'était pas des armes anciennes.
7 M. MILOSEVIC : [interprétation]
8 Q. Monsieur Ibraj, veuillez nous expliquer si la police ou l'armée, voire
9 quelques autres instances du pouvoir, quiconque d'autre, en somme, aurait
10 eu un conflit quelconque avec les villageois après cette opération. Est-ce
11 que quelqu'un aurait été puni ou malmené pour avoir possédé des armes ?
12 Est-il arrivé quoi que ce soit à ces gens-là ?
13 R. A Osek, il me semble qu'il y a eu trois personnes qui n'ont pas
14 restitué leurs armes. Ils ont fui le village avec les armes en question;
15 puis, ils ont été capturés par la police et ils ont été condamnés. Il
16 s'agissait de trois personnes en tout. Les autres, ceux qui ont restitué
17 leurs armes, n'ont pas été touchés. Ils ont eu la possibilité de garder
18 leur liberté et de vaquer à leurs occupations.
19 Q. Est-ce que la police est arrivée par la suite dans votre village pour
20 procéder à des perquisitions ou quoi que ce soit d'autre ?
21 R. La police n'est pas venue dans notre village, étant donné que Mihil
22 Abazi et moi-même avons assumé nos responsabilités à cet égard. Lorsque la
23 police avait quoi que ce soit à faire au sujet de notre village, ils
24 venaient nous voir, nous. Ils n'avaient rien à voir avec le village.
25 Q. Est-ce que cela signifie que personne n'a touché aux villageois de tout
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1 ce temps-là ?
2 R. Depuis la guerre jusqu'au 14 juin 1999, nous n'avons eu aucun problème.
3 Il y a eu des difficultés mineures avec les forces militaires lorsque
4 celles-ci sont passées par notre village, mais nous avons résolu la
5 question le jour même.
6 Q. Monsieur Ibraj, veuillez nous indiquer à quelle distance se trouve
7 votre village de la ville même de Djakovica.
8 R. La distance de notre village par rapport au centre de Djakovica se
9 chiffre à quelque cinq kilomètres.
10 Q. Résumons ceci. Vers la mi-1998, vous avez collecté des armes, vous les
11 avez données au SUP et la police n'est plus du tout venue dans votre
12 village, elle n'a eu rien à faire avec les villageois. Vous, en votre
13 qualité de membre de la sécurité du village, vous avez veillé à la sécurité
14 de celui-ci et il n'y a eu aucun conflit. C'est à peu près ce que vous nous
15 avez expliqué jusqu'à présent, n'est-ce pas ?
16 R. Oui, c'est exact. La police est venue dans notre village une fois. On
17 nous a dit de procéder à des perquisitions dans des familles qui n'ont pas
18 restitué leurs armes et je leur ai dit que nous ne pouvions pas le faire.
19 Ils ne pouvaient pas venir dans notre village sans notre autorisation. Je
20 les ai autorisés à venir. Ils sont venus prendre cette personne, ils l'ont
21 emmené en prison et lui ont saisi ses armes. Par la suite, il n'y a plus eu
22 de problème du tout, dans notre village.
23 Q. Est-ce que pendant toute la durée de la guerre, l'un quelconque des
24 villageois résidant dans ce village aurait été malmené par la police ou
25 l'armée ou par quelque autorité que ce soit, qui serait venue dans le
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1 village ou ses alentours ?
2 R. Une famille seulement a eu des problèmes, des problèmes liés à la
3 présence de deux soldats.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Ibraj, je voudrais que vous
5 nous expliquiez ce que vous venez de dire tout à l'heure, à savoir que la
6 police ne pouvait pas venir dans votre village sans votre autorisation à
7 vous. Est-ce que cela a trait à un incident concret ou est-ce que vous
8 parlez en termes généraux ?
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je parle en termes généraux.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous nous dites que la police devait
11 obtenir votre autorisation avant d'accéder au village ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Continuez, Monsieur Milosevic.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je tiens à vous rappeler que j'ai expliqué
15 auparavant le fait que les Albanais dans un grand nombre de villages
16 s'étaient chargés de la sécurité. Ils avaient convenu avec la police de
17 veiller à la sécurité, à l'ordre publique sans que la police n'ait à
18 intervenir à l'intérieur des villages. La police n'entrait pas parce que
19 l'accord conclu le prévoyait; ce sont eux-mêmes qui veillaient à leur
20 sécurité et il en allait de même pour ce qui est des villages de la
21 municipalité de Djakovica.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Entendons M. Ibraj; c'est ce que je
23 crois comprendre.
24 Il s'agissait d'un accord. Est-ce qu'il s'agissait d'un accord par
25 écrit ou d'un accord informel ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout ceci se passait par le biais du président
2 de la municipalité. Le président de la municipalité nous garantissait qu'il
3 n'y aurait aucun problème que ce soit avec l'armée ou avec la police. Nous
4 avons garanti, pour notre part, à la police et à l'armée que je serais tenu
5 responsable pour toute chose qui se produirait dans mon village. J'ai moi-
6 même fourni des garanties aux villageois pour ce qui est des
7 responsabilités que j'assumerais au cas où il y aurait des problèmes qui
8 surviendraient avec la police ou l'armée. C'est ainsi que les choses se
9 sont passées jusqu'à la fin.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic, vous pouvez
11 continuer.
12 M. MILOSEVIC : [interprétation]
13 Q. Vous avez mentionné un incident, Monsieur Ibraj, un incident entre l'un
14 des villageois et deux soldats, vous l'avez mentionné tout à l'heure.
15 Veuillez nous expliquer de quoi il s'est agi là.
16 R. Oui, je peux vous l'expliquer. Mais je ne peux pas mentionner de nom
17 parce que ce n'est pas très judicieux de mentionner des noms ici. Voilà de
18 quoi il s'agissait. Un matin, un villageois est venu à moi pour me dire que
19 deux soldats étaient venus le voir pour lui demander de l'eau. Ces membres
20 de l'armée étaient déployés dans les montagnes non loin du village, et la
21 maison de ce villageois, elle, se trouvait non loin de l'endroit où il y
22 avait les soldats. Alors qu'ils lui ont demandé de l'eau, il leur a donné
23 de l'eau, et par la suite, ils lui ont demandé de leur faire du café. Il
24 leur a offert du café aussi mais ils sont entrés dans sa maison sans
25 demander l'autorisation du propriétaire de cette maison de ce faire.
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1 Je n'y étais pas pour voir de mes yeux ce qui s'est produit mais il m'a dit
2 qu'ils avaient pris sa femme, puis, qu'ils sont ensuite entrés dans une
3 autre pièce. Ils ont dit aux autres membres de la famille de rester dans
4 l'autre pièce.
5 Au bout de trois ou quatre heures, ils ont quitté cette maison, et le
6 villageois est venu me voir et m'a raconté ce qui s'était produit en
7 pleurant. Je l'ai pris avec moi et nous sommes allés voir le président de
8 l'assemblée municipale. Nous l'avons réveillé, et je crois l'avoir indiqué,
9 c'était très tôt le matin. Celui-ci dormait encore. Je lui ai raconté ce
10 que le villageois m'avait relaté et nous sommes ensemble allés au SUP, à
11 savoir au bureau du chef du secrétariat à l'Intérieur, et nous lui avons
12 raconté ce qui s'était produit. Je lui ai dit "qu'ils nous avaient garanti
13 qu'il ne se produirait rien de mal au village." Il m'a dit : "Retourne au
14 village et nous allons venir dans à peu près deux heures."
15 En fait, ils sont arrivés au bout d'une heure. Ce sont des policiers qui
16 sont venus. Ils m'ont pris moi-même et nous sommes allés ensemble jusqu'à
17 la personne qui m'a rapporté tous ces faits. Avec cette personne, nous
18 sommes allés voir les représentants de l'armée. Il a reconnu et il a
19 identifié les deux soldats qui étaient venus dans sa maison. Ces soldats
20 ont tout de suite été emmenés. Je ne sais pas où. Je ne sais pas ce qu'il
21 leur est arrivé parce que je suis resté au village.
22 Deux ou trois jours après, le villageois, qui était victime de ces
23 événements, a reçu un message et on lui a fait savoir que les deux soldats
24 ont fait l'objet de condamnation à Prizren. L'un des deux s'étant vu faire
25 l'objet d'une peine d'emprisonnement de six ans et l'autre de sept ans.
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1 Après il n'y avait plus eu de problème.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais quel est le délit qu'on leur a
3 reprochés, le délit qui a été à l'origine de la peine prononcée ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois que ce villageois avait déclaré que
5 sa femme a été violée.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Cela s'est passé seulement deux ou trois
7 jours après l'événement. Ai-je raison de le comprendre ainsi ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Vous avez raison.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
10 M. MILOSEVIC : [interprétation]
11 Q. Passons à un autre sujet mais avant de ce faire, mis à part cet
12 incident que vous nous avez décrit en raison duquel vous êtes intervenu en
13 personne et en raison duquel la police a emmené les deux soldats de cette
14 région, du secteur dont fait partie votre village, mis à part donc cela, y
15 a-t-il eu d'autres incidents de survenu pendant toute la durée de la
16 guerre ?
17 R. Non. Il n'y a pas eu d'autres incidents s'agissant de l'armée ou de la
18 police. En fait, il y a eu un petit incident me concernant.
19 Q. Ayez l'amabilité de nous relater brièvement de quoi il s'agissait ?
20 R. Un véhicule de la police roulait vers Decan et ce véhicule s'est arrêté
21 au niveau de ma maison et quelqu'un m'a dit "qu'ils avaient vu un groupe
22 appartenant à l'UCK dans notre village." J'ai emmené certains de ces
23 policiers locaux avec moi et nous nous sommes dirigés ensemble dans la
24 direction où les policiers avaient dit avoir vu des membres de ce groupe de
25 l'UCK. Je suis allé jusqu'à une maison. Le propriétaire de la maison est
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1 sorti et je lui ai demandé s'il y avait quelqu'un dans sa maison mis à part
2 les membres de sa famille à lui. Il m'a dit que non. Je lui ai précisé que
3 des policiers m'avaient informé de la présence là de membres de l'UCK. Je
4 lui ai dit "qu'il valait mieux ne pas créer de problèmes dans le village
5 parce que j'avais fourni moi-même des garanties à la police pour affirmer
6 qu'il n'y aurait pas de problèmes." Lui, a répondu "qu'il n'y avait
7 personne dans sa maison mais qu'un groupe d'hommes se trouvaient dans une
8 autre maison."
9 Je suis alors allé vers cette autre maison. J'ai convié le propriétaire à
10 sortir. Celui-ci est en effet sorti et je lui ai posé la question de savoir
11 si chez lui il y avait quelqu'un d'autre vu que j'avais des informations de
12 cette nature. Il a répondu que non, qu'il n'y avait personne dans sa
13 maison. Il a commencé à m'insulter, et devant la porte de sa maison, j'ai
14 vu des paires de chaussures, et partant de là, j'ai supposé qu'il y avait
15 quand même quelqu'un à l'intérieur. Je lui ai dit que je voulais entrer
16 chez lui pour procéder à une perquisition, mais à ce moment-là, je n'avais
17 pas d'armes sur moi. Même maintenant, je n'arrive plus à me souvenir à qui
18 j'ai emprunté une arme pour entrer à l'intérieur.
19 Une fois, entré dans la pièce, j'y ai vu une dizaine de personnes. Je leur
20 ai dit de se mettre debout et de s'aligner le long du mur. Ils l'ont fait.
21 Ensuite, je leur ai demandé de me montrer leurs pièces d'identité. Le
22 propriétaire de la maison m'a dit que lui il avait leurs pièces d'identité
23 dans une autre pièce, et il est allé vers cette autre pièce aux fins de les
24 rapporter.
25 Une fois revenu, il m'a attaqué. Pendant cette bagarre, deux des personnes
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1 qui se trouvaient là se sont attaqués à moi de dos. J'ai abattu le
2 propriétaire de la maison qui se trouvait devant moi. Une fois que celui-ci
3 est tombé à terre, les autres se trouvaient encore derrière moi, et lorsque
4 j'ai fait volte-face, ils se sont rendus. J'ai reçu des renforts entre-
5 temps et nous avons procédé à l'arrestation des huit autres personnes qui
6 étaient vivantes et nous les avons confiées au SUP.
7 Avant que de sortir de cette maison, plutôt de cette pièce, j'ai
8 informé les personnes arrivées entre-temps de ce qui s'était passé. Je ne
9 m'en souviens pas très bien mais il me semble qu'avec ces personnes-là, il
10 y avait un Italien et il me semble aussi qu'un juge d'instruction était
11 également venu sur les lieux. Ils sont donc venus. Ils ont procédé à un
12 constat sur les lieux. Le juge d'instruction m'a interrogé mais à présent
13 encore, je ne saurais vous dire de quel Juge, il s'agissait. Je sais
14 seulement que c'était un Juge venant du tribunal de première instance de
15 Peja. C'est lui qui a rendu une décision en disant qu'il s'agissait de
16 légitime défense.
17 Les autres personnes ont été confiées au SUP. C'étaient des hommes
18 originaires de Klina, de Burasac [phon]. Ils étaient originaires d'une
19 autre localité mais je ne me souviens plus du nom de celle-ci. Deux ou
20 trois de ces hommes-là étaient de cette autre localité.
21 Mis à part ceci, jusqu'à la fin de la guerre, il n'y a plus eu de
22 problèmes dans le village.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Ibraj, ces hommes-là
24 étaient-ils armés ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Au moment où je les ai vus, ils n'avaient pas
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1 d'armes et ils ne portaient pas d'uniformes. Ils portaient des vêtements
2 civils. Je me trouvais être très embarrassé parce que certains d'entre eux
3 étaient originaires de mon village à moi et ils voulaient que la police
4 vienne pour perquisitionner mais c'est moi qui n'ai pas autorisé la police
5 à accéder aux fins de procéder à une perquisition.
6 J'ai personnellement assisté aux funérailles de la personne que j'ai
7 tuée et nous nous sommes conformés aux dix jours de deuil. J'ai pris soin
8 de sa famille comme s'il s'agissait de ma propre famille jusqu'à la fin de
9 la guerre. Son père avait possédé un pistolet et je n'ai pas laissé la
10 police lui confisquer ce pistolet.
11 M. MILOSEVIC : [interprétation]
12 Q. Monsieur Ibraj, continuons. Lorsque vous êtes arrivé à cette maison où
13 est survenu cet incident, y avait-il en votre compagnie l'un quelconque des
14 autres membres de la sécurité locale ?
15 R. Non.
16 Q. Vous étiez donc seul ?
17 R. Non, je n'étais pas seul. Il y avait dix policiers locaux, là-bas
18 aussi. Dès qu'on m'a informé de l'entrée d'un groupe de l'UCK au village,
19 bien sûr que je ne pouvais pas y aller tout seul. Donc, j'ai convié
20 d'autres personnes à venir avec moi.
21 Q. Ceux qui sont venus avec vous, étaient-ils du SUP, de la police de
22 l'Etat ou étaient-ce des policiers locaux, des Albanais, membres de la
23 sécurité locale. Je me suis mal exprimé en disant policier ?
24 R. Non. Il s'agissait d'Albanais qui faisaient partie des forces de
25 sécurité locale.
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1 Q. Très bien.
2 R. Les policiers du SUP, du ministère de l'Intérieur sont venus
3 ultérieurement lorsque je les ai conviés, une heure après que tout était
4 terminé. J'ai convié les observateurs et les membres du SUP à venir et eux
5 sont venus ultérieurement.
6 Q. Bien. Vous nous avez expliqué que la paix régnait dans le village
7 pendant toute la durée de la guerre. Il n'y a pas eu de membres de l'UCK.
8 Ceux que vous nous avez décrit tout à l'heure, vous avez dit à leur sujet
9 que c'étaient des gens originaires de Klina et d'une autre localité mais
10 qui n'étaient pas de votre village à vous. Vous ai-je bien compris ?
11 R. Il y avait des personnes de Klina, Kosare, Punacec [phon]. Je ne me
12 souviens pas de tous les noms dont ils étaient originaires mais je crois
13 qu'il n'y avait personne de mon village, hormis le propriétaire de la
14 maison.
15 Q. Bien. Dites-moi maintenant, s'il vous plaît, étant donné que je vous ai
16 bien compris lorsque vous avez dit qu'il n'y avait pas d'unités de l'UCK
17 dans votre village. Je vais maintenant vous poser cette question-ci. Y
18 avait-il des membres de l'UCK ailleurs qui étaient originaires de votre
19 village ?
20 R. Vingt-huit personnes de mon village étaient des membres de l'UCK. Il
21 s'agissait de personnes qui habitaient dans mon village. C'étaient des
22 membres de l'UCK qui n'étaient pas membres dans mon village mais qui
23 étaient membres de l'UCK dans d'autres villages. J'ai appelé leurs familles
24 et j'ai expliqué à leurs parents "que j'allais les protéger dans leur
25 village, soit ils devaient demander à leur fils de rentrer ou alors il
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1 fallait qu'ils viennent dans le village mais sans porter l'uniforme." Leurs
2 parents m'ont assuré cela et ceux qui étaient membres de l'UCK et qui
3 venaient de mon village, ceux-là ne sont pas rentrés dans le village avant
4 la fin de la guerre. Leurs familles vivaient bien dans notre village. Nous
5 les avons aidées en toute chose.
6 Q. Dites-moi maintenant, s'il vous plaît, hormis cela et hormis cette
7 collaboration qui, semble-t-il, fonctionnait extrêmement bien avec les
8 autorités, y a-t-il eu une quelconque coopération autre avec les autorités,
9 comme par exemple, de l'aide pour les affaires quotidiennes ? Comment cette
10 coopération fonctionnait-elle ?
11 R. Lorsque la guerre a éclaté, les gens avaient peur et craignaient de se
12 rendre dans le village pour vaquer à leurs occupations. J'ai rendu visite
13 au président de la municipalité et je lui ai demandé ce que je devais
14 faire. Je lui ai dit que les habitants du village n'avaient pas de farine,
15 n'avaient pas d'essence. Nous avons ouvert un centre de la Croix Rouge en
16 l'espace d'une semaine et nous y avons placé deux personnes. Ils ont établi
17 une liste pour chaque maison, autrement dit, ce dont avait besoin chaque
18 foyer et en l'espace de trois jours, le président de la municipalité a
19 apporté tous les éléments dont nous avions besoin, me les a apportés à moi,
20 personnellement et nous avons ensuite distribué tout cela aux habitants du
21 village. Il s'agissait là d'une aide qui nous venait de la Croix Rouge.
22 Q. Monsieur Ibraj, hormis cette occasion-ci, lorsque vous avez fait venir
23 les observateurs suite à cet incident, les observateurs de l'OSCE ne sont-
24 ils venus à aucun moment ? Est-ce que des membres de l'OSCE sont venus pour
25 rendre visite ?
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1 R. Comme je vous l'ai dit un peu plus tôt, les observateurs étaient les
2 premiers à venir sur les lieux. Après leur venue, j'en ai informé la police
3 et la police est venue également.
4 Q. Je ne vous pose pas des questions à propos de cet incident-là. Vous
5 avez déjà décrit cet incident. La question que je vous pose maintenant est
6 celle-ci : est-ce que, oui ou non, les observateurs de l'OSCE sont venus
7 dans votre village ? Est-ce que des membres de l'OSCE sont venus à d'autres
8 occasions ?
9 R. Avant cet incident et après cet incident, des observateurs sont venus
10 dans notre village, mais parmi ceux qui sont venus, je me souviens d'un
11 seul. C'était un Italien. Je ne me souviens pas de son nom et à plusieurs
12 reprises, le chef de la Mission d'observation - c'est, en tout cas, comme
13 cela qu'il s'est présenté - est venu, les a accompagnés; il s'agissait de
14 M. Walker. Je me suis souvenu de son nom car il est venu vers moi et il m'a
15 dit que son père était né en 1920; il a donné la carte d'identité, il
16 voulait savoir qui était cette personne. Il lui a remis la carte d'identité
17 et il lui a dit : "Vous avez violé deux jeunes filles qui étaient
18 mineures."
19 Q. Qui a dit cela à votre père ?
20 R. Walker, William Walker. J'étais là, lorsqu'il a prononcé ces mots
21 devant mon père. Je lui ai dit : "Comment pouvez-vous dire ceci à une
22 personne qui a 80 ans ?" Il m'a dit que deux femmes avaient fait une
23 déclaration à ce propos et il est allé chercher ces deux femmes car il a
24 constaté que la personne qu'on accusait de cela avait 80 ans. Lorsque ces
25 deux femmes sont venues, elles sont descendues de la voiture et ensuite, il
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1 leur a posé cette question : "S'agit-il de la personne en question ?"
2 Elles ont répondu que non. Il s'est, ensuite, excusé et je lui ai dit :
3 "Mais comment pouvez dire à un homme âgé de 80 ans -- comment pouvez-vous
4 accuser un homme de 80 ans de viol, de violer deux jeunes filles
5 mineures ?" Je l'ai insulté et je lui ai que je ne voulais plus jamais le
6 revoir dans mon village. Il est parti et je ne l'ai jamais revu.
7 Q. Vous avez dit, Monsieur Ibraj, que vous vous souvenez d'un Italien
8 ainsi que de William Walker parmi ces observateurs qui sont venus. Est-ce
9 que je vous ai bien compris ?
10 R. Oui.
11 Q. Dites-moi, étant donné que Walker a accusé votre père à ce moment-là et
12 qu'il est parti, combien de fois l'aviez-vous vu avant cette occasion-là ?
13 R. Je l'avais vu avant cet incident ainsi qu'après cet incident, mais je
14 ne me suis jamais entretenu avec lui; je ne lui ai jamais parlé par la
15 suite. Je le voyais tous les soirs se rendre à Glodjane.
16 Q. Pourquoi se rendait-il à Glodjane tous les soirs ?
17 R. Parce que c'est là que se trouvaient les membres de l'UCK et tous les
18 soirs, entre 11 heures et minuit, il se rendait à cet endroit-là.
19 Q. Avant cet incident, lui avez-vous parlé ?
20 R. Il est venu à plusieurs reprises chez moi et m'a posé des questions sur
21 les uniformes que nous portions, à qui appartenaient ces uniformes. Je lui
22 expliquais qu'il s'agissait de l'uniforme qui était celui de la défense
23 locale. Ensuite, il nous a demandé qui vous a donné ces uniformes et je lui
24 ai répondu que c'était la Serbie qui nous avait remis ces uniformes et il
25 m'a dit : "Il n'y a plus de Serbie ici." Il avait un brassard sur le bras
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1 gauche et il arborait également le drapeau américain et il m'a dit :
2 "Maintenant, vous pouvez placer ce drapeau sur votre uniforme parce que la
3 Serbie n'est plus présente ici." Je lui ai répondu : "Repartez dans votre
4 pays, repartez au Etats-Unis, je ne veux plus jamais vous revoir." Il n'est
5 plus jamais revenu chez moi.
6 Q. A quel moment ceci s'est-il produit, Monsieur Ibraj ? Vous en souvenez-
7 vous ? A quel moment Walker est-il venu chez vous, dans votre maison et à
8 quel moment vous a-t-il demandé d'arborer le drapeau américain, puisque
9 cela n'était plus la Serbie ? A quel moment ceci s'est-il passé ?
10 R. Je ne me souviens pas de la date exacte, mais ceci s'est passé dans le
11 courant du mois de mai 1998.
12 Q. Essayez de vous souvenir, néanmoins, de la date. Il ne pouvait pas se
13 trouver là, au mois de mai 1998.
14 M. SAXON : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Le témoin a
15 répondu et l'accusé ne peut pas mettre ou faire dire au témoin ce qu'il
16 souhaite lui faire dire. Ceci n'est pas acceptable, Monsieur.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Monsieur Milosevic, ceci n'est
18 pas acceptable.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne connais pas la date exacte. Mais comme
20 je vous l'ai dit plus tôt, j'avais beaucoup de problèmes et j'ai encore
21 beaucoup de problèmes au jour d'aujourd'hui. Je ne connais pas la date
22 exacte de cela, à savoir si c'était en 1998 ou 1999, je ne sais pas, mais
23 je sais que ceci s'est passé avant le bombardement.
24 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, j'essayais d'aider le témoin
25 ou en tout cas, faciliter ou encourager la mémoire du témoin car le témoin
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1 s'est déjà excusé en disant qu'il ne se souvenait pas de la date exacte car
2 il a eu beaucoup de problèmes, comme nous pourrons le constater par la
3 suite, il a eu des problèmes très conséquents. Il a déjà dit qu'il
4 s'excusait parce qu'il ne se souvenait pas de la date, j'essayais
5 simplement de l'aider et je lui ai posé la question en lui demandant à quel
6 moment ceci s'est-il passé. Cela n'a pas pu se produire en mai 1998, bien
7 évidemment. Mais cela n'a pas d'importance finalement. Il vient de nous
8 dire que ceci s'est passé avant le bombardement.
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas dit mai 1998. Je n'ai pas parlé du
10 mois de mai 1998. J'ai dit que cela a pu se produire au mois de mai 1998 ou
11 au début de l'année 1999.
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais avant le bombardement.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, avant le bombardement, tout à fait.
14 M. MILOSEVIC : [interprétation]
15 Q. Etant donné que vous avez évoqué le bombardement, votre village a-t-il
16 souffert de son bombardement de l'OTAN ?
17 R. Non. Le village n'a pas été touché, hormis la cour de récréation de
18 l'école où ils ont jeté --
19 Q. Qu'y avait-il dans cette cour de récréation, dans cette cour d'école?
20 R. L'école n'a pas été détruite du tout et personne n'a été touché.
21 Simplement, une bombe est tombée dans la cour de récréation de l'école.
22 L'armée était postée dans les montagnes, près de l'école, et ils
23 bombardaient depuis cet endroit-là; ceux-ci étaient dans le voisinage de
24 l'école, mais le bâtiment de l'école n'était pas dans le village même; il
25 était en dehors du village. Ils ont jeté des bombes à fragmentation.
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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quelle armée se trouvait dans les
2 montagnes près de l'école, dites-vous ?
3 LE TÉMOIN : [interprétation] L'armée serbe, une partie de l'armée serbe.
4 M. MILOSEVIC : [interprétation]
5 Q. Maintenant, je vais vous poser quelques questions et je vais citer ce
6 qui est dit dans les paragraphes 63, 66, 86 et 87. Je souhaite m'excuser
7 par avance. Ces citations sont assez longues. L'interprétation doit se
8 faire vers l'albanais et vers le serbe, cela prend un certain temps.
9 Dites-moi une chose, s'il vous plaît : l'armée yougoslave et la police
10 serbe n'ont-ils jamais chassé des citoyens de votre village ou de
11 Djakovica ? Ne les ont-ils jamais obligé à quitter leurs villages de
12 Kosovo-Metohija ?
13 M. SAXON : [interprétation] Objection, Monsieur le Président.
14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Sur quelle base ?
15 M. SAXON : [interprétation] Sur la base de ce qui suit : cette question a
16 été posée et doit englober tous les villages du Kosovo-Metohija, et pas
17 seulement ce village -- le village dans lequel le témoin a vécu et
18 travaillé et je ne vois pas comment le témoin peut vraisemblablement
19 répondre à cette question.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Entendons la réponse, quoi qu'il en
21 soit.
22 Parlons en premier lieu de votre village, Monsieur Ibraj.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Notre village n'a pas fait l'objet de violence
24 aux mains de l'UCK, de l'armée ou de la police.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Parlons plus précisément de la
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1 question qui porte sur le fait que des habitants ont pu être chassés de
2 votre village.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Personne n'est parti de mon village. Personne
4 n'a fui. Chaque habitant du village est resté dans le village, jusqu'à mon
5 départ, à la date du 14 juin 1999. Ils ont pu mener à bien leurs activités
6 quotidiennes. Personne n'est parti en direction de l'Albanie. Aucune maison
7 n'a été incendiée. Ils vivaient une vie tout à fait normale, comme s'il n'y
8 avait pas de guerre.
9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Etes-vous en mesure de dire ce qui
10 s'est passé dans d'autres villages ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Pour ce qui est des autres villages, les seuls
12 éléments dont je dispose relèvent de ce que j'ai pu entendre par ouï-dire
13 ou de ce que j'ai pu recueillir à la télévision. Chaque village disposait
14 d'une police locale et chaque police locale était responsable de son propre
15 village.
16 M. MILOSEVIC : [interprétation]
17 Q. Monsieur Ibraj, savez-vous qu'un grand nombre d'Albanais se sont rendus
18 en Macédoine et en Albanie pendant la guerre ?
19 R. C'est quelque chose que tout le monde sait.
20 Q. Savez-vous quelque chose à propos des autorités de la police ou de
21 l'armée qui auraient forcé des Albanais à quitter le territoire pour se
22 rendre en Albanie ou en Macédoine ? Savez-vous quelque chose à ce propos ?
23 R. A mon sens, la police et l'armée les ont en réalité fait rentrer chez
24 eux. Ils ne souhaitaient pas les voir partir. Il y a eu l'exemple d'un
25 camion à bord duquel il y avait un bon nombre de personnes; ils se sont
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1 arrêtés près de moi et m'ont demandé de l'eau. Je leur ai demandé vers où
2 ils se dirigeaient. Ils m'ont répondu qu'ils se rendaient en Albanie. Je
3 leur ai demandé pourquoi et ils m'ont répondu en disant : "Nous devons
4 partir, nous devons quitter le Kosova car Kosova est bombardé par l'OTAN et
5 nous devons partir." En tout cas, à mon sens, c'est ce que je sais.
6 Q. Monsieur Ibraj, vous étiez dans votre village. Etant donné que, comme
7 vous dites, ce village se trouve à cinq kilomètres du centre de Djakovica,
8 dites-moi, s'il vous plaît, pendant la guerre ou plutôt, à la veille de la
9 guerre, vous rendiez-vous à Djakovica souvent ou est-ce que vous étiez
10 simplement dans votre village ?
11 R. Je me rendais également à Gjakove puisque mon bureau se trouvait à
12 Gjakove.
13 Q. Est-ce que cela signifie que vous vous rendiez à Djakovica tous les
14 jours ?
15 R. Oui, jusqu'au bombardement je me trouvais à Gjakove.
16 Q. Lorsque les bombardements ont commencé, combien de fois vous rendiez-
17 vous à Djakovica ?
18 R. Ce n'est que lorsque je devais aller rencontrer le président de la
19 municipalité pour de courtes réunions car il y avait des bombardements
20 intenses et nous avions peur de sortir de chez nous.
21 Q. D'une certaine façon, étant donné que vous étiez à cinq kilomètres du
22 centre, étant donné que vous veniez voir le président de la municipalité
23 pour assister à ces réunions, étiez-vous au courant de la situation à
24 Djakovica, hormis le fait qu'il y a un bombardement intense, connaissiez-
25 vous la situation à Djakovica ?
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1 R. A mon sens, Gjakove a été le plus bombardé. L'usine se trouvait à un
2 kilomètre de ma maison et lorsqu'ils ont bombardé cette usine, deux ou
3 trois personnes sont décédées suite au choc que cela a provoqué.
4 Q. Bien. Maintenant je vais lire ce que j'ai promis de vous lire et
5 ensuite je vais vous demander de me dire, étant donné que vous étiez à
6 Djakovica, à l'époque, si ceci est exact ou non.
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous voulez dire l'acte
8 d'accusation ?
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Paragraphe 63(h) et ainsi que les alinéas du
10 paragraphe h, portant sur Djakovica, plus particulièrement où M. Ibraj
11 était la tête de la sécurité.
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je pense que vous pouvez poser des
13 questions de fait sur la base de ce paragraphe. Est-ce que nous devons
14 entendre une lecture complète de ces deux pages de l'acte d'accusation ?
15 Veuillez lui poser des questions sur l'essentiel.
16 M. MILOSEVIC : [interprétation]
17 Q. Bien, s'il s'agit ici des éléments en substance, il est dit ici qu'à
18 partir du 24 mars 1999 ou autour de cette date et jusqu'au 11 mai 1999, à
19 savoir depuis le début du bombardement, le 24 mars 1999 jusqu'au 11 mai,
20 c'est-à-dire cela correspond à six ou sept semaines environ. Les forces de
21 la RFY et la Serbie obligeaient des citoyens du village de Djakovica à
22 quitter leurs maisons, qu'ils allaient de maison en maison et qu'ils
23 demandaient aux Albanais de partir et qu'ils chassaient quasiment les
24 Albanais de Djakovica pour les obliger à se rendre en Macédoine ou en en
25 Albanie, quelle que soit la région. En somme, ils les chassaient du Kosovo.
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1 Est-ce exact, Monsieur Ibraj ?
2 R. Pour ce qui est de Gjakove, d'après moi, il n'y avait que ceux que la
3 police et que l'armée ne pouvait pas empêcher de partir qui sont partis.
4 Sinon, personne ne les a obligés à quitter Gjakove, ni la police, ni
5 l'armée.
6 Q. Monsieur Ibraj, ce qui est dit ici va au-delà de cela. Il est précisé
7 que dans bon nombre de cas, la police et l'armée ont obligé les Albanais à
8 quitter leurs maisons. Ils les ont chassés, les ont obligés à partir et
9 dans certains cas, certaines personnes ont été tuées et bon nombre de
10 personnes ont été menacées de mort. Bon nombre de commerces et de maisons,
11 qui appartenaient à des Albanais du Kosovo ont été incendiés alors que les
12 bâtiments serbes ont été protégés. Dites-moi, s'il vous plaît, ceci est-il
13 vrai ou non ?
14 R. Combien de fois dois-je répéter ceci. Comme je vous l'ai dit, je n'ai
15 jamais entendu dire que la police ou l'armée aie dit à quelqu'un de quitter
16 le Kosovo.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Ibraj, je souhaite préciser un
18 point, s'il vous plaît. Au cours de la guerre, vous êtes resté la plupart
19 du temps dans votre village, Osek Hilja. Est-ce exact ? Est-ce que je vous
20 ai bien compris ?
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
23 M. MILOSEVIC : [interprétation]
24 Q. Précisons un point, s'il vous plaît, à propos de la question qui vous a
25 été posée par M. Kwon. Vous étiez à la tête de la sécurité locale; est-ce
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1 exact ?
2 R. Oui. J'étais chef de la sécurité à Gjakove.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Donc, Monsieur Kwon, M. Ibraj s'est occupé de
4 son village mais il a été à la tête des services de sécurité de tout
5 Djakovica et comme il vous l'a dit, il se rendait souvent à Djakovica et il
6 avait connaissance de ce qui se passait à Djakovica pendant toute la durée
7 de la guerre.
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Laissez le témoin donner sa propre
9 version, Monsieur Milosevic.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] D'après ce que j'ai compris, il était à
11 la tête de la police locale de son village.
12 Monsieur Ibraj, est-ce qu'il s'agit de la police locale ou de la défense du
13 village de Gjakove ou Osek Hilja, très précisément, s'il vous plaît ?
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je faisais partie de la défense locale du
15 village d'Osek mais j'étais le chef de la défense locale au niveau de la
16 municipalité de Gjakove. En d'autres termes, j'avais sous moi un groupe de
17 17 personnes qui étaient des membres de la défense locale et j'étais le
18 chef et j'étais à la tête de ces 17 personnes.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ces personnes venaient d'où, ces 17
20 personnes ?
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Ces 17 personnes travaillaient ou faisaient
22 partie de la défense locale.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La défense locale de quel village, Osek
24 Hilja ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Moi-même et Mihil Abazi, nous étions les deux
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1 personnes qui faisions partie de la défense locale du village d'Osek Hilja.
2 Il y avait trois personnes qui assuraient la défense du village d'Osek
3 Pasa, deux qui assuraient la défense du village de Qerim. Deux qui
4 assuraient la défense du village de Trakanic. Lower Novoselle, il y avait
5 deux personnes, deux qui assuraient la sécurité du village de Piskote et
6 deux pour le village de Qerim. En d'autres termes, j'étais le chef de ce
7 groupe de personnes.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Donc ces villages font partie des
9 villages qui se trouvent dans le nord de Djakovica, sur les hauteurs ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je souhaite comprendre quelque chose au
12 plan géographique. Vous avez dit à un moment donné que vous travailliez
13 dans le village d'Erenik. A quelle distance se trouve ce village de
14 Gjakove, car je n'ai pas pu le repérer sur la carte ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela se trouve entre Gjakove et Osek.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Osek Hilja ou Osek Pasa ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Entre Osek Hilja et Osek Pasa.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic --
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Autre chose : il y a un fleuve qui s'appelle
21 Erenik à Gjakove, mais lorsque j'en ai parlé je faisais référence à
22 l'entreprise agricole d'Erenik.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Donc cela doit être tout près de Qerim ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons faire une pause de 20
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1 minutes maintenant.
2 --- L'audience est suspendue à 10 heures 33.
3 --- L'audience est reprise à 11 heures 00.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur
5 Milosevic.
6 M. MILOSEVIC : [interprétation]
7 Q. Monsieur Ibraj, essayons de faire la lumière sur une question. Puisque
8 vous étiez à la tête de la sécurité locale de Djakovica, est-ce que vous
9 étiez au courant de la situation qui régnait, dans son ensemble, à
10 Djakovica ou est-ce que vous étiez seulement au courant de la situation
11 qu'il y avait dans votre village ?
12 R. J'avais la responsabilité du village d'Osek et je peux vous dire ce que
13 je sais également à propos de Gjakove.
14 Q. C'est bien pour cela que je vous pose la question, je veux savoir ce
15 que vous savez à propos de Djakovica. Vous allez me dire si vous êtes au
16 courant de certaines choses ou pas. Par exemple, dans ce paragraphe que
17 j'ai résumé, on dit aussi que le 24 mars, la vieille mosquée de Rogovo et
18 le centre historique de Djakovica avec un bazar, une mosquée et une
19 bibliothèque islamique, on dit que plusieurs installations culturelles ou
20 sites culturels ont été détruits en tout ou en partie et on dit que ceci
21 s'est fait le 24 mars et que cela a été le fait de la police et de l'armée
22 serbe. Etes-vous au courant de cela ?
23 R. La mosquée d'Odun [phon] a été bombardée par l'OTAN. Le poste de police
24 a, lui aussi, été pris pour cible par les bombes de l'OTAN. L'usine qui
25 fabriquait des jus de fruits a été, elle aussi, bombardée par l'OTAN. C'est
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1 vrai aussi pour le bazar ainsi que les feux de circulation et ceci aussi
2 pour l'église catholique qui ont été bombardés par l'OTAN. C'est tout ce
3 que je sais à propos de Gjakove.
4 Q. Est-ce que quelqu'un de notre armée ou de notre police aurait pu
5 incendier, détruire des bâtiments, des maisons à Djakovica sans que vous le
6 sachiez ?
7 R. Non, non, je ne suis pas au courant que ce genre de choses se soient
8 passées. Si la police avait fait cela à Gjakove, je l'aurais appris.
9 Q. Fort bien. Je vous remercie.
10 Regardons quelques points qui se trouvent au paragraphe 66. Ce sera
11 très bref, je vais citer un extrait. Il s'agit du 66(e) ou plutôt, (i) : "A
12 l'aube du 27 avril 1999 ou vers cette date, les forces de la RFY et de la
13 Serbie sont allées à Grezda. On a donné l'ordre aux femmes d'aller à
14 l'étage."
15 On parle du 66(e) : "Dans la soirée du 26 mars 1999 ou vers cette
16 date, les forces de la RFY et de la Serbie ont fait irruption dans une
17 maison sise 134A rue Ymer Grezda. Les femmes et les enfants ont été séparés
18 des hommes et ont dû monter à l'étage. Les forces de la RFY et de la Serbie
19 ont alors tiré tuant les six hommes albanais du Kosovo qui se trouvaient
20 dans la maison. Les noms des victimes figurent à l'annexe D."
21 Est-ce que vous êtes au courant du fait que six Albanais du Kosovo
22 auraient été tués dans cette maison ?
23 R. C'est la première fois que j'en entends parler. Je ne le savais pas,
24 auparavant.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous n'êtes pas en mesure, ni de
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1 confirmer, ni d'infirmer ce qui vient d'être dit ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas entendu parler de cet incident.
3 M. MILOSEVIC : [interprétation]
4 Q. Fort bien. Mais puisque d'après ce paragraphe de l'acte d'accusation,
5 ceci se serait passé dans la soirée du 26 mars 1999, est-ce que vous
6 auriez dû en avoir entendu parler ?
7 R. Je n'ai pas entendu parler de cet incident. Je ne sais pas comment
8 répondre à cette question parce que je ne suis pas du tout au courant. Je
9 n'en ai pas entendu parler de ces meurtres.
10 Q. Est-ce que -- j'ai lu certains noms : Sylejman Begolli, Arif Bytyqi,
11 Urim Bytyqi, Emin Dervishdana, Fahri Dervishdana, Zenel Dervishdana, ces
12 personnes qui auraient trouvé la mort au cours de cet incident ?
13 R. Je connaissais le premier, Dervishdana qui est de Dusina. Il n'est pas
14 de Gjakove. Pour ce qui est des autres noms, je ne connais pas ces
15 personnes. Je n'ai pas entendu dire que cet homme aurait été tué.
16 Q. Fort bien. Je vais, maintenant, vous lire ce que le paragraphe (h) dit,
17 il s'agit du 66 (h). Il est question, ici, du district de Qerim. On dit :
18 "Le 1er avril 1999, tard dans la soirée et jusqu'à l'aube du 2 avril 1999,
19 les forces de la RFY et de la Serbie ont lancé une opération contre le
20 quartier Qerim de Djakovica. Pendant plusieurs heures, elles sont entrées
21 de force dans les maisons appartenant aux Albanais du Kosovo du quartier
22 Qerim, ont tué leurs occupants et ont mis le feu aux bâtiments. Des
23 douzaines de logements ont été détruits et plus de 50 personnes ont été
24 tués. Par exemple, à la maison, sise 157 rue Milos Gilic, les forces de la
25 RFY et de la Serbie ont tué les occupants, puis, ont mis le feu à la
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1 maison. Du fait de ce qui s'est passé là, 20 Albanais du Kosovo dont 19
2 femmes et enfants ont ainsi trouvé la mort. Les noms des personnes tuées en
3 ce lieu figure à l'annexe G du présent acte d'accusation."
4 Maintenant, je vais vous donner lecture de ces noms qui figurent à
5 l'annexe G. Dalina Caka, Delvina Caka, Diona Caka, Velbona Caka, Hysen
6 Gashi, Doruntina Haxhiavdija, Egzon Haxhiavdija, Rina Haxhiavdija, Valbona
7 Haxhiavdija, Flaka Hoxha, Shahindere Hoxha, Manushe Nuci, Shirine Nuci,
8 Arlind Vejsa, Dorina Vejsa, Fetije Vejsa, Marigona Vejsa, Rita Fejsa,
9 Sihana Vejsa, Tringa Vejsa. Ce sont les noms qui figurent dans cette liste
10 en rapport avec cet incident qui se serait produit à Qerim; plus de 50
11 personnes auraient été tuées et ceci se serait passé dans la soirée du 1er
12 avril et à l'aube du
13 2 avril.
14 Etes-vous au courant de ceci ? Avez-vous la moindre information à ce
15 propos ?
16 R. Le village de Qerim est très éloigné de mon village. Vous m'avez posé
17 une question et je peux vous dire que ce n'est pas du tout vrai. Dans le
18 village de Qerim, aucune des maisons n'a été détruite pendant la guerre.
19 Elles n'ont pas été détruites par le feu ou rasées. D'après ce que j'ai
20 entendu, ces noms que vous donnez sont des noms musulmans. Dans le village
21 de Qerim, tous les habitants sont catholiques. Aucun n'est musulman. Dans
22 le village de Qerim, il n'y a qu'une maison qui appartient à un Serbe et
23 avant les bombardements, cette maison avait déjà été détruite. Dans le
24 village de Qerim, aucune autre maison n'a été détruite et aucun Musulman ne
25 vivait là non plus. Tous les habitants étaient de confession catholique.
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1 Pour ce qui est de la question que vous avez posée, je peux vous répondre
2 en vous disant que ce n'est pas la vérité.
3 Q. Monsieur Ibraj, vous avez également mentionné certains membres de la
4 sécurité locale qui étaient sous vos ordres mais qui avaient la
5 responsabilité de Qerim. Est-ce qu'il s'agit de la même localité ou est-ce
6 que c'est une localité différente ?
7 R. Non. On parle effectivement de ce lieu de Qerim.
8 Q. Fort bien. Ici, nous avons eu un témoin Bec Beqaj. Il est originaire de
9 Djakovica. Il a déclaré qu'au mois d'août 1998, à Racaj et dans d'autres
10 villages, les habitants ont quitté une première fois ces villages lorsque
11 l'armée est arrivée dans cette région. Le 14 avril 1999, la police et
12 l'armée sont revenues à Racaj et ont donné l'ordre à ces villageois de
13 quitter leurs maisons.
14 Est-ce que vous avez des informations à propos de la région dans laquelle
15 se trouve le village de Racaj, et diriez-vous que ce témoin Bec Beqaj a eu
16 raison de dire que la police et l'armée avaient donné l'ordre aux habitants
17 de Racaj de quitter le village ?
18 R. Je sais où se trouve le village de Racaj. Ma femme vient de ce village.
19 Bec Beqaj c'est mon beau-frère, mais il n'a pas dit la vérité. La police et
20 l'armée n'ont pas chassé les gens de ce village, mais ce sont les
21 terroristes qui ont donné l'ordre de quitter ces villages, car on a dit à
22 ces villageois que l'OTAN allait les bombarder. A ce moment-là, nous avons
23 dû partir.
24 Q. Vous dites que Bec Beqaj est votre beau-frère. Vous le connaissez, mais
25 vous dites que ses déclarations sont erronées. Savez-vous pourquoi il
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1 mentirait ?
2 R. Sans doute qu'il n'a pas osé dire que c'était l'UCK qui nous avait
3 donné l'ordre de quitter le village, et qu'il nous a été dit qu'il nous
4 fallait dire que c'était la police qui nous avait donné l'ordre de quitter
5 ce village.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Sur quoi vous appuyez-vous pour dire
7 qu'il avait reçu l'ordre des terroristes, l'ordre consistant à quitter le
8 village, puisque qu'apparemment l'OTAN allait les bombarder ?
9 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est parce qu'ils ne sont pas partis du
10 village pour aller en Albanie ou ailleurs.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce que j'essaie de déterminer c'est
12 la question de savoir comment vous saviez cela, sur quoi vous vous basez ?
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je le sais parce que le chef de la
14 municipalité m'a dit que ni la police ni l'armée n'allaient nous faire quoi
15 que ce soit. Il m'a été assuré que nous étions en sécurité par rapport à
16 l'armée, à la police, et qu'on allait aller nulle part. Je leur ai promis
17 de les protéger de l'armée et de la police, car l'UCK n'osait pas pénétrer
18 dans notre village. C'est la raison pour laquelle les gens ne sont pas
19 partis.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne sais pas si vous avez répondu
21 à ma question. Comment est-ce que vous avez appris que les terroristes
22 avaient dit à ces gens de partir de ces villages parce que l'OTAN allait
23 les bombarder ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est parce qu'ils sont allés voir quelqu'un
25 et parce qu'ils ne pouvaient pas aller de maison en maison. Ils ont
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1 simplement dit à une personne qui était chargée de dire aux autres
2 habitants du village qu'ils devaient partir. Cette personne a colporté ce
3 qu'il lui avait été dit. Parfois des gens ont dit : "Mais pourquoi est-ce
4 que vous partez ? Pourquoi est-ce que vous quittez le village ?" On n'ose
5 pas le faire parce que -- donc on leur a demandé pourquoi ils voulaient
6 partir ? Ces gens ont répondu qu'ils avaient reçu l'ordre de l'UCK de
7 quitter le village.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous avez personnellement
9 entendu dire cela, Monsieur Ibraj ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Qui vous l'a dit ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est Zuja Hamza qui me l'a dit. Il est du
13 village de Repaj [phon].
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce qu'on ne parlait pas du village
15 de Racaj ? Vous avez déclaré que les habitants de Racaj s'étaient entendus
16 dire par l'UCK qu'ils devaient partir.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Sans tenir compte du village de Racaj, c'était
18 vrai pour tous les villages.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] C'est à peu près tout ce que je pourrai
20 obtenir comme information. Je vous remercie. Poursuivez, Monsieur
21 Milosevic.
22 M. MILOSEVIC : [interprétation]
23 Q. Monsieur Ibraj, il y a un instant vous avez dit que quelqu'un de l'UCK
24 transmettait un message à une personne du village et que c'est de cette
25 façon-là qu'étaient donnés les ordres de l'UCK, que l'UCK n'allait pas de
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1 maison en maison. Comment est-ce que cela fonctionnait d'ordinaire ? A qui
2 donnait-on ce genre d'ordres, et comment est-ce que ces ordres étaient
3 appliqués, si une seule personne du village recevait l'ordre pour le
4 transmettre ?
5 R. Mais c'était organisé par étape. Cela partait de la personne ayant le
6 moins d'autorité jusqu'au commandement. C'était par degré, par palier. Il y
7 avait chez moi dans mon village Afrim Ljulji. J'ai protégé sa famille dans
8 le village et lui c'était une personne-clé pour l'UCK. C'était lui dans
9 cette zone qui devait transmettre les informations qui devaient accompagner
10 l'UCK qui devait transmettre les messages dans le village.
11 J'ai pris l'exemple d'Afrim Ljulji mais il n'était pas le seul, loin de là.
12 Q. Est-ce que vous pourriez répondre à cette autre partie de ma question ?
13 Si quelque chose est transmis à une seule personne du village, cette
14 personne, qui doit-elle être pour que le village tout entier l'écoute et
15 fasse ce qu'elle dit ?
16 R. Dans mon village, il s'est passé une chose notamment un villageois âgé
17 est venu et m'a dit qu'Afrim Ljulji leur avait dit qu'il fallait partir du
18 village. J'ai dit : Pourquoi ? Je leur ai dit qu'il fallait rester, qu'il
19 ne fallait pas partir, qu'il ne fallait pas s'en faire mais ils ont refusé
20 de le faire parce qu'ils avaient peur et quelqu'un a exécuté cet ordre.
21 Tout le village m'a aidé, était de mon côté, parce que tout seul, je ne
22 m'en serais pas sorti. Tous les villageois m'ont soutenu, m'ont aidé.
23 Q. Fort bien. Nous avons entendu ici un autre témoin, Nike Peraj. Il dit
24 qu'en avril 1999, l'UCK a tué Milutin Prascevic, qui était le chef du MUP à
25 Djakovica ainsi que quatre autres policiers. Après quoi, le 27 et le 28
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1 avril, des forces serbes ont entamé une opération de grande envergure dans
2 une vallée qui se trouve au nord de Djakovica. Est-ce que vous savez ce qui
3 se passait à Djakovica à cette époque, est-ce que vous avez entendu parler
4 de cet incident ?
5 R. Nike Peraj le connaissait bien. C'était un officier de l'armée serbe,
6 un capitaine de première classe. Je connaissais aussi Milutin Prascevic. Ce
7 n'était pas un policier. Ce n'était pas un officier de police. C'était un
8 simple agent de police. J'en ai entendu parler quand il a été tué. Un autre
9 Albanais a été tué en même temps qu'eux. Il était aussi un simple agent de
10 police. Il s'appelait Naser Arifaj.
11 Nike Peraj est originaire du village de Ramoc. Son fils appartenait à
12 l'UCK. Son frère était commandant de l'UCK pour la zone de Ramoc. Un jour,
13 il est venu me voir et il m'a dit que son père était malade, parce que son
14 père était âgé et il m'a demandé si je pouvais, d'une certaine façon,
15 assurer sa protection locale, si je pouvais l'escorter pour qu'il aille
16 voir son père malade à Ramoc. Je lui ai dit : "Mais tu es officier de
17 l'armée. Pourquoi as-tu besoin de ma protection ? Pourquoi est-ce que je
18 dois te protéger. Tu peux emmener 20 soldats pour y aller." Il m'a répondu
19 : "Non, qu'il n'avait pas peur de l'armée ou de la police. Il avait peur de
20 l'UCK." Je lui ai donné trois membres de la défense locale qui l'ont
21 escorté en voiture. Il est allé voir son père. Il a passé une heure chez
22 lui, puis, il est revenu. C'est tout ce que je sais à propos de cela.
23 Q. Je vais vous lire un seul paragraphe de sa déclaration. Là où il parle
24 de votre village d'Osek Hilja. Il parle aussi d'Osek Pasa, de la
25 municipalité de Djakovica. Voici ce qu'il dit : "Belgrade a décidé que
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1 toutes les municipalités devraient avoir une unité de police, composée
2 d'Albanais fidèles à la Serbie. Ils les ont envoyés afin de maintenir la
3 sécurité dans les villages où le climat était trop hostile que pour
4 permettre d'autres policiers. Dans ces villages, ils ont recueilli des
5 renseignements à l'intention de la police serbe concernant la population
6 civile Cela a commencé en 1998. Il y avait un de ces groupes à Osek Hilja,
7 ainsi qu'à Osek Pasa, dans la municipalité de Djakovica. Il y avait
8 notamment un père et deux fils, et il y avait un groupe fort de 20 hommes
9 qui avaient à sa tête Hila Abazi. Ce père s'appelait Muharem Musa Jakupi.
10 Il avait deux femmes et il était âgé d'environ 70 ans. Le fils cadet ne
11 voulait pas rejoindre la police et a été battu. Un des fils s'appelait
12 Sahid, alors que son frère était le chef de ce groupe familial mais aussi
13 un garde du corps de Moncilo Stanojevic. Le fils aîné était le seul à
14 porter une tenue de camouflage, les autres portaient un uniforme bleu avec
15 des képis en pointe ou ce qui était le couvre-chef habituel de la police.
16 Il dit aussi à propos de la municipalité de Djakovica qu'il n'y avait que
17 deux policiers du MUP local et leur commandant était Milutin Prascevic, qui
18 a été plus tard tué à Meja." C'est un paragraphe que je vous ai lu de cette
19 déclaration.
20 Je vous ai également parlé de la déposition de Nike Peraj. Dites-moi une
21 chose, dans ce village, est-ce qu'il y avait présence d'une sécurité
22 locale, parce que les habitants étaient trop hostiles envers les Serbes ou
23 est-ce qu'il y avait une autre raison à cela ? Parce qu'ici, il est dit
24 ceci : "Ils ont été envoyé là afin de maintenir l'ordre public dans ces
25 villages parce que le climat était trop hostile à l'égard de la Serbie,
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1 trop hostile que pourrait permettre le travail d'autres policiers." Est-ce
2 que c'est là la raison véritable ?
3 R. Les forces de sécurité locale ont été organisées à Gjakove par
4 les soins de Momcilo Stanojevic, vu qu'il était à la tête de la
5 municipalité à l'époque. Ce que Belgrade a décidé, cela je ne le sais pas.
6 Le reste, cela ne m'intéressait pas du tout. Là où une police locale ou à
7 savoir les forces de sécurité locale étaient censées intervenir, ni les
8 Serbes, ni les Albanais n'ont subi de dommages ou de dégâts. Maintenant
9 pour ce qui est de la déclaration de ce témoin, de Nike Peraj, je dirais
10 qu'il a fait cette déposition à cause de son fils parce que s'il n'avait
11 pas fait la fausse déclaration, son fils l'aurait tué vu que jusqu'à la fin
12 de la guerre, il avait continué à travailler au sein de l'armée serbe.
13 A chaque fois que la police locale était censée intervenir, les
14 régions concernées étaient protégées.
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Puis-je vous poser moi-même une
16 question ? Qu'y a-t-il dans la déclaration de Nike Peraj qui se trouvait
17 être erroné, comme vous le dites ?
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Rien de tout ce qu'il a déclaré n'est
19 vrai.
20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais par exemple lorsqu'il dit
21 que l'UCK a tué Milutin Prascevic et quatre policiers, cela n'est pas
22 vrai ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Milan Prascevic a été tué, en effet,
24 mais il ne se trouvait pas à la tête du MUP. Ce n'était qu'un policier des
25 plus ordinaires. Les quatre autres n'étaient également pas des officiers de
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1 la police. C'étaient de simples policiers. L'un des trois était Albanais et
2 il est exact de dire qu'ils ont été tués.
3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ont-ils été tués par l'UCK ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] On ne sait pas qui est-ce qui les a tués
5 mais le plus probable c'est que c'était l'UCK, puisque l'UCK se trouvait
6 non loin de là, dans les montagnes. Ils ont ouvert le feu au mortier depuis
7 les collines. C'est ainsi que ces personnes-là ont été tuées.
8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.
9 M. MILOSEVIC : [interprétation]
10 Q. Le témoin Xhevahire Syla a déclaré que le 4 avril, des forces mixtes
11 serbes sont entrées à Nivokaz, municipalité de Djakovica. Ils seraient
12 entrés dans les maisons de Djakovica en donnant cinq minutes aux habitants
13 pour que ceux-ci les quittent. C'est ainsi qu'un convoi a été créé au
14 niveau de Djakovica. La police se serait attaquée à des personnes qui
15 faisaient partie du convoi en leur disant qu'il fallait partir vers
16 l'Albanie et qu'il ne fallait pas quitter l'itinéraire passant par Prizren
17 qui constituait une voie détournée pour aller jusqu'à la frontière et la
18 police les a arrêtés non loin du pont de Bistrica. Les forces serbes se
19 seraient dissociées du reste et cette localité aurait été touchée par des
20 bombes de l'OTAN; trois avions ont survolé très bas pour bombarder le
21 convoi sept fois pour finir par tuer 70 à 80 personnes. Ce faisant, savez-
22 vous nous dire quoi que ce soit à ce sujet ?
23 R. Ou je n'ai pas bien compris la question ou c'est vous qui n'avez pas
24 bien expliqué la chose. Je ne sais pas où se trouve ce pont à Bistrica.
25 Q. J'ai parlé du pont de Bistrazin. Je m'excuse si cela a été trop long,
Page 42725
1 mais j'ai donné une citation de ce qu'une femme témoin, Xhevahire Syla, a
2 dit ici. Je suis en train de vous citer ce qu'elle a déclaré, elle-même.
3 Elle a témoigné le 17 juillet 2002.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Vous trouverez cela à la
5 page 8 186, Messieurs les Juges.
6 M. MILOSEVIC : [interprétation]
7 Q. Mais suivons les choses par leur ordre.
8 Elle dit que les forces serbes sont entrées à Nivokaz. Avez-vous
9 connaissance de l'existence de ce village de Nivokaz dans la municipalité
10 de Djakovica ?
11 R. Oui. Je connais le village, oui.
12 Q. On dit que les forces serbes sont entrées là et ont donné aux gens cinq
13 minutes pour que ces personnes quittent les maisons. C'est ainsi que se
14 serait formé un convoi qui s'était dirigé vers Djakovica et la police se
15 serait attaquée aux gens qui se trouvaient dans le convoi en leur disant
16 qu'il fallait aller en Albanie et ce convoi se serait dirigé, d'abord, vers
17 Prizren. Alors, arrêtons-nous là. Savez-vous nous dire quoi que ce soit à
18 sujet ?
19 R. Je sais également où se trouve le village de Nivokaz. Il s'agit d'un
20 village situé à trois kilomètres de la frontière albanaise. Le village de
21 Bistrazin se trouve à sept ou huit kilomètres de Gjakove. Je suis surpris
22 d'entendre cette déclaration de la bouche de la personne que vous avez
23 nommée. Comment la police ou l'armée ont-ils pu poursuivre quelqu'un ?
24 Parce que cela ne se trouve qu'à six kilomètres entre Nivokaz et Gjakove.
25 Et entre Gjakove et Bistrazin, il y a encore sept kilomètres. Je ne vois
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1 pas pourquoi ils iraient à Bistrazin, puis, vers Prizren pour arriver à
2 l'Albanie parce que c'est une route qui rallonge le chemin de quelque 100
3 kilomètres.
4 Q. Quelle est la distance entre Nivokaz et la frontière albanaise ?
5 R. Nivokaz se trouve à trois ou quatre kilomètres de la frontière.
6 Q. Bien. Je vois que cela suffira. Je ne vais pas vous poser de questions
7 au sujet du bombardement des réfugiés. Avez-vous connaissance -- je dirais,
8 avant cela, que c'est Mefredita Selmani qui a témoigné pour déclarer que le
9 14 avril 1999, des soldats serbes seraient entrés dans le village de
10 Dobroz, raison pour laquelle la population aurait fui. Une fois passée par
11 Djakovica et arrivée à proximité du pont de Bristrazin, elle a entendu des
12 explosions et elle a vu de la fumée arrivant des parties du convoi qui se
13 trouvait devant elle.
14 Que serait-il arrivé ? Des soldats serbes seraient entrés dans le village
15 de Dobroz, auraient chassé de là la population et une fois passés par
16 Djakovica, il y a eu l'événement de Bistrazin. Savez-vous nous dire quoi
17 que ce soit à ce sujet ?
18 R. Non, je ne sais rien vous dire à ce sujet. Je ne comprends pas, ce
19 n'est pas clair pour moi et je ne sais pas vous répondre à cette question.
20 Dobroz se trouve à cinq kilomètres à peine de Djakovica, non loin de la
21 frontière albanaise et ni la police, ni l'armée ne pouvait aller dans cette
22 région-là; c'est une région accidentée et elle ne pouvait pas chasser la
23 population dans ces directions-là.
24 Q. Encore une question. On dit que les habitants de Nivokaz, Dobroz
25 étaient censés passer par Djakovica pour se diriger, ensuite, vers Prizren.
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1 Ces convois-là, auraient-ils été remarqués à Djakovica s'ils passaient par
2 Djakovica ? Djakovica est une assez grande ville, une ville relativement
3 grande. Est-ce qu'il y a eu un événement quelconque qui aurait fait que la
4 police et l'armée auraient chassé le convoi pour le faire passer par
5 Djakovica ?
6 R. Je ne pense pas que la police et l'armée les aient forcés à s'en aller.
7 Quand bien même cela aurait été le cas, la frontière avec l'Albanie se
8 trouve très près de Nivokaz. De Bistrazin à Nivokaz, il n'y a que cinq
9 kilomètres. Si ces gens-là sont passés par Djakovica, quelqu'un aurait
10 certainement vu passer un convoi aussi important et aussi long.
11 Q. Je me propose de vous poser quelques questions encore. Une question
12 d'ordre générale : en effet, au paragraphe 87, on peut lire ce qui suit,
13 vous avez dit, vous-même, que vous avez tout le temps vécu au Kosovo, tout
14 le temps à Djakovica et que même pendant un certain temps, vous avez été de
15 service et ce paragraphe se lit comme suit : "Après l'adoption de la
16 nouvelle constitution --" non, pardon. Le paragraphe 87 : "Après qu'en
17 1989, au Kosovo, il y ait eu pratiquement suppression de l'autonomie, il y
18 a une situation de plus en plus conflictuelle --" je vous demande de
19 veiller aux dates, vers la fin de l'année 1990 -- "et au cours de toute
20 l'année 1991, des milliers d'Albanais du Kosovo, médecins, enseignants,
21 ouvriers, policiers et agents de la fonction publique ont été révoqués."
22 Je vous prie de nous dire si cela est vrai.
23 R. Autant que je le sache, ils n'ont pas été chassés de leur travail.
24 Seuls ceux qui voulaient quitter leurs postes de travail ont effectivement
25 quitté leurs emplois. Les Albanais étaient employés dans les rangs de la
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1 police ainsi que dans les différentes entreprises, là où ils ont voulu
2 travailler jusqu'à la fin de la guerre, mais les Albanais qui refusaient de
3 quitter leurs emplois
4 étaient avertis, prévenus par l'UCK. On leur disait de quitter leurs
5 emplois ou -- tenez, je vais vous donner un exemple.
6 Mon père a été suivi. Toutes ses activités ont été suivies. L'UCK lui
7 a fait savoir : "Soit tu rejoindras nos rangs, soit nous te tueront." C'est
8 ainsi que les Albanais qui n'ont pas quitté leurs postes de travail en 1990
9 et plus tard, ont fait l'objet d'enlèvements de membres de leur famille,
10 d'assassinats, on détruisait leurs maisons, on les obligeait à partir.
11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais l'UCK, en tant que formation
12 structurée, existait-elle en 1990 ?
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce n'était pas une chose publiquement faite.
14 Ils opéraient dans le secret, dans la clandestinité.
15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, veuillez
16 continuer.
17 M. MILOSEVIC : [interprétation]
18 Q. Maintenant, je me propose de vous poser des questions qui portent sur
19 votre famille, Monsieur Ibraj.
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Mais avant de les poser, j'aimerais attirer
21 l'attention de Messieurs les Juges sur le fait que j'ai reçu. Aujourd'hui -
22 - tenez, la date est celle du 17 août 2005 -- c'est le professeur Rakic qui
23 vient de me le faire passer. Il s'agit d'une communication en application
24 de l'Article 68 qui se rapporte au Kosovo et au témoin de la Défense,
25 Muharem Ibraj. Il s'agit d'une déposition recueillie auprès de ce témoin-
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1 ci, le 13 mai 2002. On me la communique aujourd'hui, pendant le témoignage
2 même de ce témoin. Je l'ai dit pour les besoins du compte rendu d'audience.
3 M. MILOSEVIC : [interprétation]
4 Q. Mais là, je me propose de poser des questions au sujet de votre
5 famille. Certains éléments de ces questions sont repris par la déposition
6 que vous avez faite. Vous avez subi des pertes au sein de votre famille.
7 Veuillez nous en dire quelque chose, Monsieur Ibraj, s'il vous plaît.
8 R. Jusqu'au mois de juin 1999, j'ai été chargé de la défense de mon
9 village et de la défense des villages environnants autant que je pouvais le
10 faire. J'ai aidé ces gens en leur fournissant une aide humanitaire; j'ai
11 été assisté par d'autres personnes, il va de soi. En juin 1999, j'ai dû
12 quitter le Kosovo. Après l'arrivée de la KFOR au Kosovo, six membres de ma
13 famille ont été enlevés; trois frères, un fils et deux fils de l'un de mes
14 frères.
15 Lorsque j'ai appris la chose, j'en ai informé la Croix Rouge
16 internationale ainsi que la KFOR; j'en ai, du reste, informé tous ceux que
17 je pouvais. Il n'en demeure pas moins que je n'ai jamais appris où est-ce
18 qu'ils se trouvaient. Je sais quelles sont les personnes qui les ont
19 emmenés. Ces personnes qui ont enlevé mes frères sont toujours en liberté.
20 L'un d'entre eux se trouve ici, aux Pays-Bas, depuis cinq ans déjà.
21 Je me suis renseigné au sujet des raisons qui ont motivé ce qui s'est
22 passé et on m'a répondu que c'était "parce que j'ai manqué à coopérer. Je
23 n'ai pas coopéré avec eux."
24 Q. Est-ce que ce qui figure dans cette déposition que vous avez faite en
25 2002 et -- ici, je n'ai pas de numérotation de page, malheureusement. Cela
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1 devrait quand même être la quatrième page de ce qui m'a été donné
2 aujourd'hui : "Après son retour dans son village Osek Hilja, à peu près une
3 semaine après son premier enlèvement, deux personnes sont venus pour
4 emmener Ibr Ibraj et l'un de ces gens était Djavit Ibraj, un cousin
5 originaire d'Osek Hilja et l'autre était Isni Bunjoki, originaire du
6 village de Racaj. Je sais que le dénommé Ibr qui a également travaillé
7 comme membre de la sécurité villageoise avait, auparavant, au mois de
8 janvier, arrêté un cousin à lui, Xhavit, lorsqu'il l'a vu porter un fusil.
9 Il lui a tiré les oreilles et l'a forcé à quitter le village. Cette fois-
10 là, Ibr a été emmené vers le QG de l'UCK, à Junik et on ne l'a plus jamais
11 revu."
12 R. Oui, c'est bien ainsi que cela s'est passé.
13 Q. Ensuite, on dit : "Lorsque l'UCK a emmené mon fils Kujtim Ibraj, il se
14 trouvait en compagnie d'Isa Ibraj et d'un dénommé Ram Ademaj. Ademaj a été
15 relâché un jour après, mais mon fils Kujtim et Isa Ibraj sont toujours
16 considérés comme étant des personnes disparues.
17 R. C'est une erreur parce que mon frère et mon fils ont été emmenés par
18 Ram Ademaj. Ram Ademaj n'a pas été arrêté avec mon frère et mon fils; c'est
19 lui la personne qui a emmené mon frère et mon fils. Lui se trouve
20 actuellement dans sa maison. S'agissant de mon frère et de mon fils, on ne
21 sait toujours pas ce qu'il est advenu d'eux.
22 Q. Combien de temps s'est-il écoulé depuis l'enlèvement de ces membres de
23 votre famille ?
24 R. Ils ont été kidnappés, enlevés le 18 juin 1999. Entre le
25 18 et le 26 juin 1999.
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1 Q. Il s'est passé six ans depuis ?
2 R. Oui, cela fait déjà plus de six ans.
3 Q. Vous dites qu'ils ont été enlevés entre le 18 et quelle date ?
4 R. Et le 25 juin.
5 Q. C'est une période où la KFOR avait assumé des responsabilités sur le
6 plan de la sécurité.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. J'aimerais qu'on nous fournisse des
8 copies de cette déposition.
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Après leur enlèvement, ils ont mis le feu à
10 leurs maisons, ils ont chassé leurs femmes et enfants de leurs logis et
11 depuis ce jour-là, nous sommes disséminés un peu partout.
12 M. MILOSEVIC : [interprétation]
13 Q. Monsieur Ibraj, je vous remercie grandement de votre témoignage. Je
14 vous demanderais encore de nous commenter un document que nous avons fourni
15 ici en guise d'élément de preuve et il s'agit notamment d'une lettre qui
16 vous a été envoyée à vous par l'UCK.
17 J'aimerais qu'on remette ce texte au témoin afin qu'il nous dise
18 brièvement de quoi il en retourne ?
19 R. Cette lettre, je l'ai retrouvée au début 1998 dans la rue, devant chez
20 moi avec cinq leks albanais.
21 Q. On a dit cinq legs, en anglais "jambe." Je n'ai pas tout de suite
22 compris. C'est des leks, monnaie albanaise.
23 R. Oui. La monnaie de l'Albanie s'appelle "le lek," L-E-K, dans la lettre.
24 Q. Je comprends l'erreur de traduction.
25 R. La signification de ces cinq leks qui se trouvaient dans une enveloppe,
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1 c'était le délai que j'avais pour m'en aller. Donc, je pouvais vivre là
2 jusqu'à avoir dépensé ces cinq leks. Je ne savais pas trop à qui je devais
3 rédiger ma réponse mais s'agissant de moi-même et de ma famille, j'ai
4 fourni une réponse. J'ai estimé que je ne pouvais pas m'opposer à un Etat
5 et dans ce cas, dans le cas présent, ce n'est pas l'UCK qui constituait cet
6 Etat. Je ne voulais donc pas combattre un Etat et regagner les rangs de
7 l'UCK. En fin de compte, la teneur de cette lettre est devenue réalité.
8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je demande à ce que ceci soit versé au dossier
9 comme élément de preuve.
10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous pouvez nous apporter
11 un éclaircissement, Monsieur Ibraj ? Comment saviez-vous que cette lettre
12 était adressée à vous ? Ici, on se sert de votre surnom et non pas de votre
13 prénom. Est-ce la raison pour laquelle vous avez su que c'était pour vous ?
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y a sur la lettre le nom de mon père
15 d'inscrit.
16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.
17 M. MILOSEVIC : [interprétation]
18 Q. Encore une toute petite question : avez-vous eu l'occasion de lire
19 cette déclaration qui m'a été communiquée aujourd'hui ? Tout à l'heure, je
20 vous ai donné lecture d'une citation de quelques phrases relative aux
21 membres de votre famille mais vous avez déjà précisé que Ram Ademaj n'a pas
22 été arrêté mais que c'était lui, l'homme qui les avait enlevés, qui les
23 avait emmenés. Avez-vous eu l'occasion de lire cette déclaration pour
24 constater s'il y a dedans ou pas d'autres constatations erronées. Je n'ai
25 pas eu pour ma part le loisir de vous en donner lecture intégralement.
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1 R. En date du 14 juin 1999, j'ai quitté le Kosovo mais ma famille entière
2 est restée à la maison. Ram Ademaj qui est un voisin à moi, est arrivé avec
3 20 autres membres de l'UCK dans ma maison pour prendre mon fils et mon
4 frère. Toute ma famille se trouvait à domicile. Cette famille a demandé à
5 Ram "Pourquoi fais-tu cela ? Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?" Il a répondu :
6 "Nous allons les interroger, nous les relâcherons demain." Mais ils ne sont
7 jamais rentrés chez eux. Nous ne savons rien de ce qui leur est arrivé.
8 M. MILOSEVIC : [interprétation]
9 Q. Je vous remercie Monsieur Ibraj. Je vous remercie d'être venu
10 témoigner. Je n'ai plus de questions pour vous.
11 R. C'est moi qui vous remercie.
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Nous avons cette déposition.
13 Est-ce que vous voulez que la déposition soit versée au dossier ?
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je crois que cela pourrait être fait mais une
15 fois que le témoin l'aura lue dans sa langue et une fois qu'il aura vérifié
16 si cela est exact, parce que comme vous le voyez, la partie que je lui ai
17 lue ne comporte pas une erreur mais c'est une contre-vérité. On dit que Ram
18 Ademaj a été arrêté alors que c'est la personne qui a enlevé des membres de
19 familles pour les emmener sans trace aucune. Je ne sais pas s'il y a
20 d'autres mauvaises interprétations. Je ne peux pas vérifier moi-même, étant
21 donné qu'on me l'a donnée qu'aujourd'hui. S'il y a une façon de procéder
22 qui permettrait au témoin, d'abord d'en prendre lecture et de vérifier, on
23 pourrait ensuite verser cela au dossier et j'estime que cela serait fort
24 utile.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Saxon.
Page 42734
1 M. SAXON : [interprétation] Monsieur le Président, l'Accusation ne voit pas
2 qu'il y ait des raisons permettant de justifier le versement au dossier de
3 cette déclaration. La déclaration a été fournie par M. Milosevic et
4 conformément à l'Article 68 et en guise de précaution parce que cette
5 déclaration contient des éléments qui pourraient être considérés comme
6 éléments à décharge pour l'accusé. Donc, le témoignage de ce témoin est un
7 témoignage que l'on entend aujourd'hui. Il ne s'agit pas de tenir compte de
8 cette déclaration préalable.
9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Si le témoin confirme la véracité de
11 cette déclaration, il n'y a aucune raison pour la rejeter.
12 M. SAXON : [interprétation] Je crois que la raison, la raison, Monsieur le
13 Président, Monsieur le Juge Kwon, c'est que cela va à l'encontre des
14 pratiques adoptées par ce Tribunal. La déclaration préalable des témoins,
15 par exemple, lorsqu'on en confirme la précision, règle générale, cette
16 déclaration n'est pas versée au dossier.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Quelle différence y a-t-il avec cette
18 pratique que l'on appelle le 89(F) ?
19 M. SAXON : [interprétation] Une différence, Monsieur le Président, c'est
20 que lorsqu'il y a une relecture, il n'y a pas de déclarations faites
21 conformément à l'Article -- qu'est-ce que vous avez dit, 89 ou 92 bis --
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] 89(F). Si le témoin a l'occasion de
23 relire cette déclaration, cela permet de vérifier le contenu de cette même
24 déclaration et si c'est pertinent, et je parle en mon propre nom. Je crois
25 que si tel est le cas, il n'y a aucune raison par la rejeter.
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1 M. SAXON : [interprétation] Je comprends fort bien ce que vous dites,
2 Monsieur le Juge Kwon, et que ceci correspond à l'Article 89(F), mais dans
3 le cas présent, le témoin a fait une déposition sur ces événements-là au
4 cours de son témoignage. Si nous voyons une raison pour laquelle --
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] C'est un point différent.
6 M. SAXON : [interprétation] Le but du 89(F) c'est de faire gagner du temps
7 et non pas d'accumuler des éléments de preuve.
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Ibraj, je souhaite vous
9 poser cette question. Pourquoi en tant qu'Albanais kosovar, vous n'avez pas
10 soutenu l'UCK qui était censée se battre pour votre libération.
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas soutenu l'UCK, car l'UCK n'était
12 pas un Etat, l'UCK était contre l'Etat.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est la seule raison ?
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est la seule et unique raison. Je ne
15 voulais pas m'opposer à l'Etat.
16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Ibraj, vous avez indiqué un
17 peu plus tôt dans votre déposition que, de façon générale, les Albanais qui
18 possédaient des armes ou qui disposaient d'armes en règle générale pour
19 assurer leur protection avait tout simplement le droit de garder ces armes
20 et rien n'a été entrepris contre eux. Comment se fait-il que des actions
21 aient été menées contre vous parce que vous possédiez des armes ?
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Il s'agissait là d'occasions qui ne se
23 produisaient pas souvent. Par exemple, une personne qui possédait une arme
24 avant et maintenant et qui ne s'opposait pas à l'Etat et qui ne volait pas
25 et qui ne se livrait pas à des activités illégales, personne ne
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1 l'inquiéterait parce qu'il possédait une arme.
2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est bien ce que j'ai compris. Donc,
3 comment se fait-il que l'on vous ait si souvent inquiété parce que vous
4 possédiez une arme ?
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Parce que je ne cachais pas mon arme dans ma
6 maison, mais je la portais sur moi, à tous les endroits où je me rendais, à
7 la cafétéria et chez moi et ils m'ont vu avec et ils me l'on enlevée.
8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourquoi le portiez-vous sans cesse
9 sur vous ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est ce que je souhaitais faire.
11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien. Une différente question
12 maintenant. Est-ce que vous pouvez me dire pourquoi vous-même, puisque vous
13 avez souvent été jeté en prison pour port d'arme, pourquoi vous a-t-on
14 choisi pour être le chef de la sécurité locale ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Il n'y avait pas de force de sécurité dans la
16 région et il s'agissait de la défense locale du village qui devait être
17 assurée. Le village n'avait aucun problème à mon égard et n'a jamais eu de
18 problème à cause de moi. Vous n'auriez pas pu trouver un meilleur défenseur
19 du village que moi.
20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que cela signifie que c'était à
21 la population albanaise du village d'élire la personne qui serait
22 responsable de la défense locale ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Pas seulement dans mon village mais dans
24 tous les villages. Les habitants des villages choisissaient leur chef.
25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Qui décidait alors que vous deviez
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1 être responsable de ces 17 personnes ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était le président de la municipalité.
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un dernier point qui est différent.
4 L'incident au cours duquel vous avez tué quelqu'un a également abouti au
5 fait que huit suspects de l'UCK ont été appréhendés et que ces suspects ont
6 été remis entre les mains du SUP. Pourriez-vous me dire ce qui est advenu
7 de ces gens-là ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Je sais qu'ils ont été condamnés.
9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Ibraj, si je puis reprendre la
11 question de mon collègue sur votre nomination. D'après ce que j'ai compris
12 vous avez été nommé par le président de la municipalité. Ai-je raison de
13 dire cela ?
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il s'appelle Momcilo Stanojevic.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Stanojevic.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je suppose qu'il est Serbe, d'après son
18 nom en tout cas.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois qu'il est Monténégrin.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Le président de la municipalité est-il
21 élu par la population ou nommé par quelqu'un ?
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Par la population.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Saxon, vous avez la parole.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Une question, s'il vous plaît, Monsieur
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1 Robinson.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.
3 M. MILOSEVIC : [interprétation]
4 Q. Monsieur Ibraj, il y a quelques instants M. Robinson vous a demandé
5 quelles étaient les raisons pour lesquelles vous étiez contre l'UCK lorsque
6 l'UCK se battait pour la liberté des Albanais. Au cours de toutes ces
7 années, les Albanais kosovars n'étaient-ils pas libres ou est-ce que leur
8 liberté n'était pas entière et qu'elle devait être défendue ?
9 R. D'après ce que je sais, et je parle en mon nom uniquement, je n'ai
10 jamais eu aucun problème quel qu'il soit. L'Etat existait et si on se
11 mêlait de politique, si on se livrait à des pillages ou à des cambriolages,
12 l'Etat vous arrêtait. Si on avait un emploi, l'Etat gardait l'emploi pour
13 cette personne, et donc pour les bons, l'Etat existait et pour les mauvais
14 -- j'ai fait quelques erreurs et j'ai été arrêté, mais je ne fais pas
15 porter la responsabilité à l'Etat pour mes erreurs.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Monsieur Saxon, vous avez la
17 parole.
18 Contre-interrogatoire par M. Saxon :
19 Q. [interprétation] Vous avez dit il y a quelques instants que si on se
20 mêlait de politique, on se livrait à des pillages, à des cambriolages,
21 l'Etat vous arrêtait. Pourquoi l'Etat vous arrêterait-il si vous vous
22 mêliez de politique ?
23 R. Parce que l'Etat à mon sens se mêle de politique.
24 Q. Lorsque vous viviez encore au Kosovo, au cours des années 1990, est-ce
25 qu'on considérait que c'était une mauvaise chose que de se livrer à des
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1 activités politiques ?
2 R. J'étais un membre de la Ligue démocratique du Kosovo et je vais vous
3 dire quelque chose. Je vais vous parler de quelque chose qui m'est arrivé
4 au moment des élections qui se sont tenues dans l'école de notre village.
5 Je m'y suis rendu, je suis allé voter, j'ai recueilli toutes les cartes
6 d'identité des membres de ma famille. Je me suis rendu dans cette école et
7 lorsque je suis rentré, j'ai constaté que la patrouille de la police se
8 trouvait chez moi. Ils m'ont demandé : "Où étais-tu ?" J'ai répondu en
9 disant que je suis allé voter. Ils m'ont demandé si j'avais voté et j'ai
10 dit, oui. Ils m'ont dit : "Pour qui as-tu voté ?" J'ai répondu : "Pour
11 Rugova." Ils ont souri tout simplement et ils sont, ensuite, partis. Je
12 n'ai pas eu d'ennuis.
13 Personne ne nous empêchait de voter. Néanmoins, il n'y avait que des
14 personnes autorisées pour le faire qui se livraient à des activités
15 politiques. Je ne connais rien en matière de politique. Pourquoi n'ont-ils
16 pas jeté en prison Ibrahim Rugova ? Parce qu'il était le président de la
17 Ligue démocratique du Kosovo --
18 Q. Reprenons. Vous avez dit qu'il n'y avait que les personnes autorisées
19 qui pouvaient se mêler de politique. Quelle personne pouvait être autorisée
20 à prendre part aux activités politiques, au Kosovo, au cours des années
21 1990 ?
22 R. Ibrahim Rugova, par exemple, qui était notre président. Nous avons voté
23 pour lui.
24 Q. Qui avait le pouvoir de décider ? Qui pouvait être habilité à se mêler
25 de politique au Kosovo et qui ne le pouvait pas ?
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1 R. Je ne sais pas qui en avait le droit et qui n'en avait pas le droit. Je
2 sais simplement qu'Ibrahim Rugova était le président de la Ligue
3 démocratique du Kosovo et nous avons voté pour lui.
4 Q. A ce moment-là, au cours des années 1990, le Kosovo était régi par le
5 gouvernement dirigé par l'accusé, n'est-ce pas ?
6 R. Je ne comprends pas votre question.
7 Q. Le gouvernement du Kosovo faisait partie de la République de Serbie et
8 pendant longtemps, l'accusé était président de la République de Serbie,
9 n'est-ce pas ?
10 R. Oui.
11 Q. Connaissiez-vous des personnes, hormis vous-même, qui ont fait l'objet
12 de harcèlement de la part de la police parce qu'ils se mêlaient à la vie
13 politique, d'autres Albanais ?
14 R. J'en connais un grand nombre.
15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic.
16 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai une objection à soulever ici. M. Saxon
17 demande au témoin : Etant donné que vous avez été maltraité, est-ce que
18 d'autres Albanais ont été maltraités aussi parce qu'ils ont pris part à la
19 vie politique ? Le témoin a dit qu'il n'a pas été affecté par le fait qu'il
20 avait pris part à la vie politique. Il n'a pas souffert d'abus du tout. Il
21 a simplement dit, il y a quelques instants, qu'il avait été arrêté pour
22 port d'armes illégal et non pas à cause de ses activités politiques.
23 M. SAXON : [interprétation] Bien, maintenant que --
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Peut-être qu'il a fait l'objet
25 "d'harcèlement."
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1 M. SAXON : [interprétation] Le témoin vient d'expliquer qu'un bidon
2 d'essence avait été laissé devant chez lui par un policier, après qu'il se
3 soit lancé dans la vie politique. Je crois que le terme de harcèlement me
4 semble tout à fait approprié. Je ne souhaite pas faire dire quelque chose
5 au témoin, mais --
6 Est-ce que le moment est venu pour faire la pause ?
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, tout à fait. Nous allons,
8 maintenant, faire une pause de 20 minutes.
9 --- L'audience est suspendue à 12 heures 16.
10 --- L'audience est reprise à 12 heures 41.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Saxon et Monsieur
12 Milosevic, la Chambre a décidé d'accepter le versement au dossier de la
13 lettre envoyée au témoin.
14 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce D361.
15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai l'impression qu'il y a un problème avec
19 l'interprétation et que c'est traduit vers le serbe à partir de l'anglais.
20 Je crois que M. Saxon a évoqué un bidon d'essence. Je ne me souviens pas
21 avoir entendu le témoin évoquer ce bidon d'essence. Il n'a pas parlé
22 d'essence, il a parlé d'une patrouille de la police. Ceci figure au compte
23 rendu d'audience, ce bidon d'essence. Peut-être qu'il serait important de
24 voir exactement ce qu'il a dit et pour vérifier. Je dois dire que j'ai des
25 doutes également à propos d'autres passages traduits.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, nous allons
2 étudier la question, bien sûr et il y a une très grande différence, bien
3 évidemment, entre un bidon d'essence et une patrouille de police, à cause
4 de l'anglais entre "petrol" et "patrol."
5 Monsieur Milosevic, je crois qu'il serait bon que vous étudiiez le
6 compte rendu d'audience, vous-même, car évidemment, vous connaissez la
7 langue et si vous pouviez nous indiquer quelles sont les erreurs qui s'y
8 trouvent et les porter à notre attention.
9 M. KAY : [interprétation] A la page 51, ligne 14 de LiveNote, on trouve le
10 terme de "patrouille de police."
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] "Patrouille de police."
12 M. KAY : [interprétation] Oui. C'est ainsi que nous avons compris la
13 déposition.
14 M. SAXON : [interprétation] Effectivement, j'ai fait une erreur, Monsieur
15 le Président.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Si Me Kay peut m'aider avec le numéro de
17 la pièce. Le Greffier d'audience a dit qu'il s'agissait du D361, mais je
18 n'arrivais pas à suivre. Je crois que c'était 302 ou quelque chose,
19 auparavant.
20 M. KAY : [interprétation] Ecoutez, nous n'avons pas étudié cela.
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Cela peut être vérifié.
22 M. KAY : [interprétation] Nous allons regarder le --
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez vérifier.
24 M. KAY : [interprétation] Oui, oui, je vais le vérifier.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien, Monsieur Saxon.
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1 M. SAXON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
2 Q. Donc, hormis votre expérience personnelle, après que vous soyez
3 devenu membre du parti de M. Rugova, pourriez-vous me dire ce que vous
4 savez ? Qu'est-il advenu des personnes qui se sont lancées dans la vie
5 politique au cours des années 1990 ?
6 R. Je ne comprends pas votre question.
7 Q. Avant la pause, en réponse à une question qui vous a été posée par M.
8 Milosevic, vous avez dit que si on se mêlait de politique, l'Etat vous
9 arrêtait. Je souhaite simplement me pencher un petit peu plus en détail là-
10 dessus. Pourriez-vous nous dire, s'il vous plaît, si vous vous souvenez
11 d'exemples précis de personnes qui ont été arrêtées parce qu'elles ont pris
12 part à la vie politique ?
13 R. J'ai dit, avant déjà, que les élections s'étaient tenues de façon tout
14 à fait libre. Nous avons pu voter de façon tout à fait libre pour la
15 personne de notre choix. Pour ce qui est de l'Etat, l'Etat ne nous
16 empêchait pas de voter pour Rugova.
17 Q. Pourquoi avez-vous dit que si on se mêlait de politique, l'Etat vous
18 arrêtait ?
19 R. Je ne me souviens pas de l'intitulé exact de mes propos. Si vous vous
20 mêlez de politique, l'Etat vous arrête ou vous arrêterait. Je vous ai déjà
21 dit que les élections ont été organisées de façon tout à fait libre. J'ai
22 voté de façon tout à fait libre, moi-même, j'ai rencontré la patrouille de
23 la police et j'ai expliqué ce que j'ai fait -- personne ne m'a rien dit,
24 personne ne m'a posé de question et personne ne m'a rien dit.
25 Q. La patrouille de police qui est passée devant votre maison, s'agissait-
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1 il de la patrouille de police serbe ou albanaise de la défense locale ?
2 R. Non. La défense locale n'existait pas à l'époque.
3 Q. Savez-vous qui a envoyé une patrouille de police pour qu'elle passe
4 devant chez vous, à l'époque ?
5 R. La patrouille de police n'est pas venue directement chez moi, mais la
6 police patrouillait les rues, patrouillait les villages, les villes et
7 c'est à ce moment-là que je les ai rencontrés.
8 Q. Bien.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Saxon, je pense qu'il doit y
10 avoir une erreur de traduction ici, par rapport au terme de politique, si
11 je puis apporter un éclaircissement.
12 Monsieur Ibraj, à la question qui vous a été posée par l'accusé, à
13 savoir s'il y avait des quelconques difficultés ou si votre liberté était
14 entravée, vous avez répondu ceci : "A ma connaissance et je parle seulement
15 en mon nom, je n'ai eu aucun problème. L'Etat existait." Ensuite, vous avez
16 dit : "Si on prenait part à la vie politique, si on se livrait à des
17 pillages, des cambriolages, l'Etat vous arrêtait." Est-ce une
18 interprétation correcte de vos propres termes ?
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien avant, j'ai déjà dit que je suis allé en
20 prison à plusieurs reprises. L'Etat, en ce qui me concerne, m'avait prévenu
21 car je possédais des armes et ceci était illégal et 80 % des Albanais se
22 trouvaient en prison à cause du port illégal d'armes. Ils étaient
23 emprisonnés pour des actes de pillage, de passages à tabac et l'Etat les
24 avait jetés en prison à cause de cela -- il y avait également des meurtres.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous avez évoqué les activités
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1 politiques et la raison pour laquelle l'Etat pouvait vous arrêter, n'est-ce
2 pas ?
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas si l'Etat arrêtait des gens
4 parce qu'ils se livraient à des activités politiques.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
6 M. SAXON : [interprétation]
7 Q. Je vais passer à un autre sujet, maintenant. Pendant votre déposition,
8 vous avez décrit un incident au cours duquel vous avez tué un homme dans
9 votre village. Vous avez expliqué ceci en disant qu'après cet incident,
10 vous avez appelé les observateurs de la mission de l'OSCE et les membres du
11 SUP. Vous souvenez-vous de cela ?
12 R. Oui.
13 Q. Vous avez expliqué que les observateurs de l'OSCE sont venus dans votre
14 village, non seulement au moment de cet incident-là, mais également avant
15 et après. Vous souvenez-vous de cela ?
16 R. Oui. Oui.
17 Q. La Mission des observateurs de l'OSCE se trouvait au Kosovo depuis le
18 début novembre 1998, environ et ce, jusqu'au 20 mars 1999. Vous souvenez-
19 vous, environ ou à peu près, à quel moment cet incident s'est produit ?
20 R. Cet incident s'est produit dans le courant du mois de février, vers la
21 mi-février 1999.
22 Q. Vous souvenez-vous --
23 R. Je ne suis pas tout à fait sûr, mais je crois que c'était ainsi.
24 Q. Vous souvenez-vous du nom de la personne que vous avez tuée ce jour-
25 là ?
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1 R. Oui, oui.
2 Q. Pourriez-vous nous donner le nom de cette personne ?
3 R. Sulejman Bajrami.
4 Q. Monsieur, votre surnom est Mush ou Musa; c'est exact ?
5 R. Non.
6 Q. Quel est votre surnom ?
7 R. Le nom de mon père est Mush, mais tout le monde l'appelait Musk.
8 Q. On vous connaît dans cette région et dans votre village on vous connaît
9 dans la région autour de Gjakove, on vous connaît sous le nom de Mush ou
10 Musk, n'est-ce pas ?
11 R. Oui. Cela c'est mon père, pas moi.
12 Q. Je souhaite vous montrer une copie de la déclaration que vous avez
13 faite au TPIY. Si on pouvait placer sur le rétroprojecteur, la première
14 page, s'il vous plaît.
15 Monsieur Ibraj, est-ce que vous voyez votre signature, en bas de la
16 première page ?
17 R. Oui, oui.
18 Q. Et vos initiales qui figurent sur cette page également ?
19 R. Oui.
20 Q. Et vos initiales en bas des pages suivantes. Est-ce que vous voyez
21 cela ?
22 R. Oui.
23 Q. Sur la toute dernière page, si vous vous reportez à toute la dernière
24 page, on peut lire en anglais, "Signé," et on peut lire le nom de "Muharem
25 Ibraj." Est-ce votre signature à cet endroit-là ?
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La page précédente.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
3 M. SAXON : [interprétation]
4 Q. Ici, on peut lire que le témoin reconnaît que cette déclaration a
5 été lue en langue serbe pour autant que je m'en souvienne. Vous souvenez-
6 vous qu'on vous ait donné lecture de votre déclaration en serbe ?
7 R. Oui.
8 Q. Si vous vous reportez à nouveau à la toute première page, s'il vous
9 plaît ?
10 M. SAXON : [interprétation] La page de couverture. Merci, Monsieur le Juge
11 Kwon.
12 Q. La page de garde, vous voyez ici, en haut, on peut lire le nom de
13 famille Ibraj, prénom, Muharem, et à droite, le prénom du père Musta ou
14 Musa. Ensuite, on peut lire, surnom Musk. Cela, c'est votre surnom, n'est-
15 ce pas ?
16 R. Non. Cela c'est le surnom de mon père.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'ai deux observations à faire,
18 Monsieur Saxon. Peut-être que le surnom de Musk se rapporte au prénom du
19 père en réalité et deuxièmement, est-ce que cette partie lui a été relue ?
20 M. SAXON : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est cela la pratique adoptée ?
22 M. SAXON : [interprétation] Oui, absolument. La pratique du bureau du
23 Procureur veut que toute lecture soit donnée, que tous les éléments qui y
24 sont contenus y compris les noms, date de naissance, et cetera, soient
25 relus au témoin. Absolument.
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1 Q. Autour de Gjakove, Monsieur le Témoin -- je vais reprendre. Le surnom
2 de votre père est donc, Musk. Votre père est-il toujours en vie ?
3 R. Oui.
4 Q. Il est également connu sous le nom de Mush ou Musa Jakupi; c'est
5 exact ?
6 R. Oui.
7 Q. En réalité, autour de Gjakove, on vous connaît sous le nom de Muharem
8 Ibraj mais les gens, en parlant de vous, parlaient également de Muharem
9 Jakupi ou encore même de Mush Jakupi, n'est-ce pas ?
10 R. Non, non.
11 Q. En parlant de vous, on parle de Jakupi, c'était le nom de votre père,
12 n'est-ce pas ?
13 R. Non. Muharem Jakupi est une autre personne. Ceux qui ne connaissent pas
14 mon nom de famille Ibraj, m'appelaient Muharem Muski. Personne ne
15 m'appelait par ce nom-là, Muharem Jakupi.
16 Q. Plusieurs membres de la famille Jakupi étaient membres des forces de
17 sécurité locale de votre village, n'est-ce pas ? C'est une famille assez
18 importante, n'est-ce pas ?
19 R. Il n'y avait que six membres de cette famille qui en faisaient partie.
20 Q. Un certain nombre était recruté par les forces de défense locale de
21 votre village, n'est-ce pas ?
22 R. La défense locale, oui.
23 Q. Plusieurs membres de la famille Jakupi dans votre village faisaient
24 partie de l'unité de défense locale, n'est-ce pas ?
25 R. Oui.
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1 Q. Et du fait que votre père était bien connu dans la région, certains des
2 habitants de Gjakove et des environs disaient que cette unité de défense
3 locale à Gjakove, c'était l'unité de Mush Jakupi.
4 R. Oui.
5 Q. N'est-il pas vrai de dire que de façon générale au Kosovo et surtout
6 dans les alentours de Gjakove, vous et les autres membres de cette unité de
7 défense locale, l'unité de Mush Jakupi, avaient et ont toujours une
8 réputation de s'être livrés à des violences criminelles ?
9 R. Je ne comprends pas votre question.
10 Q. N'était-il pas vrai de dire que vous ainsi que les membres de l'unité
11 de défense locale dans votre village, à Gjakove, avaient pour réputation
12 d'être une unité de criminels violents ? Répondez par oui ou par non.
13 R. Non.
14 M. SAXON : [interprétation] Est-ce que je peux demander l'aide de
15 l'Huissier pour placer un document sur le rétroprojecteur ?
16 Q. Monsieur, j'aimerais vous montrer quelque chose. Je voudrais vous
17 montrer un chapitre que j'ai tiré du rapport de l'OSCE, intitulé : "As seen
18 as told," en anglais, "Dit comme vu."
19 M. SAXON : [interprétation] C'est la pièce 106. Ce chapitre parle de
20 Djakovica, aux pages 170 à 187.
21 Je vous remercie, Monsieur l'Huissier, pourriez-vous d'abord placer
22 la première page de ce chapitre ?
23 Vous y voyez qu'il y a une partie qui est consacrée à la famille
24 Jakupi et aux dispositifs en matière de "sécurité locale." Je prends le
25 haut du deuxième paragraphe. On dit que la municipalité de Djakovica avait
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1 ses dispositifs particuliers en matière de sécurité locale. Suit un
2 paragraphe qui donne une description de ces dispositifs.
3 Maintenant prenons la page suivante si vous le voulez bien. Montrez-
4 nous une partie plus importante de cette deuxième page parce que je dois
5 commencer ma lecture au début.
6 Q. Dans ce paragraphe, il indique : "En pratique, le groupe était dirigé
7 par un clan traditionnellement 'fidèle' du Kosovo, de 'Jakupi.'"
8 On dit ceci au paragraphe suivant : "L'OSCE, la KVM ont reçu beaucoup de
9 rapports de Kosovars locaux qui ont affirmé avoir été maltraités ou
10 harcelés par des membres de ce qu'on appelle 'La police de sécurité de
11 Jakupi.' Ces personnes ont dit avoir fait l'objet de menaces et subi des
12 passages à tabac si on les voyait parler à des patrouilles de l'OSCE-KVM.
13 L'OSCE-KVM a également reçu des rapports selon lesquels des 'policiers' de
14 ce groupe se seraient livrés à des violences sexuelles sur des femmes
15 qu'ils arrêtaient ou qu'ils invitaient à venir pour subir un interrogatoire
16 au poste de police."
17 N'est-il donc pas vrai de dire, Monsieur, que dans la région de Gjakove,
18 vous et ceux qu'on appelle ici "les forces de défense locales" avaient la
19 réputation de se livrer à des mauvais traitements à l'égard de la
20 population civile et se livrer à des excès envers celle-ci ?
21 R. Une première chose : la famille Jakupi n'existe pas. Ici, il s'agit de
22 la famille Ibraj, de ma famille à moi.
23 Deuxième chose : mis à part à la défense locale, il n'y avait pas d'autres
24 forces. Ceux qui disent que j'appartiens à la famille Jakupi ne savent pas
25 qui je suis ou qui est un policier local. Puis ils se sont faits des idées.
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1 Ils ont dit ceci dans ces déclarations.
2 Q. Vous avez reconnu, il y a quelques instants que ces deux forces de
3 défense locale étaient quelquefois appelées "force unité de Jakupi." Puis,
4 je vais vous montrer que beaucoup de personnes savaient exactement qui vous
5 étiez et qui constituaient ces forces de défense locale.
6 M. SAXON : [interprétation] Je vais demander une nouvelle fois l'aide de
7 l'Huissier pour que soit montré au témoin le document numéro 3. Pourriez-
8 vous, Monsieur l'Huissier, distribuer des exemplaires aux autres personnes
9 se trouvant dans ce prétoire ? Monsieur l'Huissier, veuillez placer un de
10 ces exemplaires sur le rétroprojecteur. Plus exactement la première page.
11 Ceci vient d'Internet, d'un site Web qui s'appelle "Kosova Crisis Centre."
12 Ce sont des nouvelles qui concernent le lundi 1er mars 1999.
13 Prenons la deuxième page maintenant si vous voulez bien. Je veux voir le
14 bas de cette page, Monsieur l'Huissier. Merci.
15 Q. Vous voyez qu'il s'y trouve un paragraphe qui dit la chose suivante :
16 "Un Albanais, qui est connu pour collaborer avec la police serbe, Muharem
17 Ibraj, c'est donc vous, a tué un Albanais du Kosovo dans le village d'Osek
18 Hilja, d'après les sources de la LDK. L'Albanais, Sulejman Bajrami, âgé de
19 45 ans, a été tué après que sa maison eut été encerclée par des forces
20 serbes."
21 Vous dites avoir fait partie de ce parti, du parti de Rugova et c'est ce
22 parti-là qui relate cet incident. Comment expliquez-vous qu'un parti dont
23 vous étiez membre vous décrive comme étant "un collaborateur albanais
24 notoire, un collaborateur avec la police serbe" ?
25 R. Oui, je peux vous expliquer. Pourquoi est-ce qu'on n'a pas fait ce
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1 rapport au début de la déclaration lorsqu'il y a eu ce meurtre ? Puis,
2 autre chose, il y avait la loi. L'Etat existait. Il y a des documents que
3 je n'ai pas personnellement, mais ils existent ces documents. Le tribunal
4 de Peja dispose du document et tout a été tiré au clair.
5 En fait, il y a eu dix personnes dont une a été tuée, neuf se sont
6 échappées parce que si c'étaient les forces serbes qui avaient décidé, tout
7 le monde aurait été tué pas simplement une personne.
8 Q. Pourquoi est-ce que vous dites cela : si c'étaient les forces serbes
9 qui avaient décidé tout le monde aurait été tué pas seulement une
10 personne ? Pourquoi ?
11 R. Parce que cela veut dire que les forces serbes n'étaient pas là. Il
12 s'agissait uniquement d'un groupe de dix Albanais qui appartenaient à la
13 défense locale.
14 Q. Ce groupe de la défense locale que vous aviez sous vos ordres se
15 trouvait là. Vous, vous étiez là aussi avec ce groupe, n'est-ce pas, que
16 vous dirigiez ?
17 R. Oui.
18 Q. Pourquoi est-ce que votre parti politique pour vous décrire a recours à
19 de tels termes aussi dérogatoires en parlant de vous comme "d'un
20 collaborateur notoire avec la police serbe ?" C'était la question que je
21 vous posais au départ. Vous n'avez pas répondu.
22 R. Le parti politique a fait cette déclaration parce qu'à l'époque je ne
23 le soutenais pas. Je n'ai pas été contre ce parti démocratique pas non plus
24 contre l'Etat.
25 Q. J'aimerais maintenant vous montrer un autre document. Puis-je abuser de
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1 votre patience une dernière fois, Monsieur l'Huissier ?
2 C'est aussi quelque chose que nous avons obtenu sur l'Internet. Nous avons
3 imprimé ce que dit le groupe oeuvrant à la défense des droits de l'homme et
4 des libertés à Pristina. C'est un rapport qui porte le numéro 461 qui
5 s'intitule "Violation des droits de l'homme et des libertés au Kosovo" à
6 partir du 1er jusqu'au 7 mars 1999." Prenons la deuxième page, le haut de
7 cette deuxième page. Ce paragraphe commence par les mots suivants : "28
8 février." Voici ce que dit ce paragraphe : "Ce qu'on appelait la police
9 locale, qui avait à sa tête Muharem Ibraj d'Osek Hilja et la police serbe
10 sont t descendus dans une maison et ont exécuté Sulejman Myftar Bajrami,
11 âgé de 45 ans, en présence des membres de sa famille. Ils ont arrêté Xhavit
12 Osmani et Bajram Luli, deux invités."
13 Une fois de plus, je vous demande pourquoi cette organisation a aussi dit
14 que vous avez exécuté cet homme, si vous vous contentiez d'assurer votre
15 propre défense, si vous étiez en état de légitime défense. Pourriez-vous
16 nous expliquer ce qu'il en est ?
17 R. J'ai fourni une déclaration en ce qui concerne cet événement. Mais
18 cette organisation-ci - et cela me concerne, mais aussi tous les Albanais
19 qui n'ont pas coopéré avec cette organisation - cette organisation a
20 toujours écrit les mêmes choses.
21 Q. Vous dites qu'il y a des déclarations attestant du fait que vous étiez
22 en état de légitime défense, vous n'avez aucune de ces déclarations en
23 votre possession ici, aujourd'hui; est-ce bien le cas ?
24 R. Non.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] N'a-t-il pas dit que le juge
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1 d'instruction, lui, avait jugé qu'il y avait état de légitime défense ?
2 M. SAXON : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président.
3 Q. Est-ce que vous avez des documents qui viendraient à l'appui de cette
4 décision, de ce verdict rendu par le juge d'instruction ?
5 R. Non. Je n'ai pas ce genre de documents sur moi car quand je suis parti
6 du Kosovo, je n'ai rien emporté. J'ai fui le Kosovo, ce qui m'a empêché
7 d'emporter quoi que ce soit.
8 Q. Mais vous avez réussi à emporter le document que vous avez présenté à
9 la Chambre de première instance, il y a, à peu près, une heure de cela.
10 Vous avez réussi à emporter ce document qui porte, maintenant, la cote
11 D361, qui serait, d'après vous, une menace formulée contre vous par l'UCK.
12 Pourquoi était-il impossible que vous emportiez des documents concernant
13 cette situation devant les tribunaux ?
14 R. J'ai gardé tout le temps sur moi cette lettre que m'avait envoyée
15 l'UCK, j'ai même recherché la personne qui avait écrit cette lettre, je
16 voulais lui demander pourquoi j'avais reçu cette lettre, alors que cette
17 décision de légitime défense ne m'intéressait pas, je ne voulais pas la
18 conserver sur moi tout le temps puisque ces documents doivent exister dans
19 les tribunaux.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelle était l'origine ou
21 l'appartenance ethnique du juge d'instruction ?
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que c'était un Monténégrin.
23 M. SAXON : [interprétation]
24 Q. J'aimerais vous montrer un autre document. Nous avons une version en
25 albanais, je vais demander à ce qu'elle soit remise au témoin. Il pourra
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1 ainsi suivre la lecture que je vais faire. Monsieur l'Huissier, veuillez
2 placer un exemplaire sur le rétroprojecteur.
3 Ce document émane d'un autre site Internet consacré au Kosovo; il porte le
4 nom de Llapi. En Albanais, je pense que cela s'appelle aussi Forumi
5 Shqiptar. On y trouve une rubrique en date du mois d'avril 2004; c'est un
6 certain Faton Mehmetaj qui a posté cette rubrique.
7 Monsieur l'Huissier, prenez la deuxième page et Monsieur le Témoin, je vais
8 vous demander de suivre ce que je lis en albanais. Il s'agit de la deuxième
9 page, milieu de cette deuxième page en anglais; c'est le haut de la
10 deuxième page en version albanaise. L'auteur pose la question suivante :
11 "Pourquoi certains criminels qui parlent albanais comme Muharem Ibraj ou
12 d'autres de son acabit qui ont participé à beaucoup de crimes
13 inconcevables, inimaginables, à des viols, à des actes de torture, pourquoi
14 sont-ils libres ? Car il y a des dossiers judiciaires qui montrent qu'ils
15 ont participé à des massacres à Beleg, Meja, Gjakove, Lubeniq, et cetera."
16 Maintenez-vous ce que vous disiez, à savoir que vous et ces soi-disant
17 forces locales que vous dirigiez n'avaient pas la réputation d'être
18 violents ?
19 R. Si ces déclarations étaient vraies, il n'y aurait pas eu de police
20 locale en temps de guerre et quelqu'un nous aurait tué tout comme ils ont
21 tué des policiers, des soldats, des généraux de l'armée; on aurait été
22 plastiqué. Ces déclarations ont été fournies après l'arrivée de la KFOR et
23 ces gens avaient tous l'attitude de dire ce qu'ils voulaient parce que
24 pendant que l'état existait et si on commettait ne fût-ce qu'un délit
25 mineur, on finissait en prison et on était condamné.
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1 Q. Après la fin de la guerre en 1999, les gens qui avaient été chassés ont
2 pu revenir et comme vous l'avez dit, pouvaient dire ce que bon leur
3 semblait, ce qu'ils voulaient; c'est vrai ?
4 R. Oui.
5 Q. Parce qu'avant cela, les Albanais du Kosovo qui n'étaient pas fidèles
6 au régime serbe ne pouvaient pas faire ce genre de choses, n'est-ce pas ?
7 R. Je ne comprends pas votre question, Monsieur.
8 Q. Pourtant ma question est très simple. Si vous n'êtes pas en mesure d'y
9 répondre, je vais passer à autre chose.
10 Est-ce que vous vous souvenez de ce que vous faisiez le matin --
11 R. Mais je ne comprends pas votre question, Monsieur.
12 Q. Je vais la répéter. Après la fin de la guerre en 1999, les gens qui
13 avaient été chassés sont rentrés et comme vous l'avez dit, vous-même, ils
14 pouvaient dire ce qu'ils voulaient, ce que bon leur semblait, n'est-ce pas
15 ? Ce qu'ils ne pouvaient pas faire lorsqu'il y avait le régime serbe ?
16 R. Après la fin de la guerre, j'ai fui le Kosovo et je ne sais pas ce
17 qu'il s'est passé au Kosovo après.
18 Q. Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez le 27 avril 1999, au matin ?
19 R. Je ne me souviens pas.
20 Q. Est-ce que vous vous souvenez de l'endroit où opérait votre dite unité
21 de défense locale ce jour-là, ce matin-là ?
22 R. Je ne sais pas ce qu'elle a fait ce matin-là, où elle se trouvait. Je
23 savais qu'elle existait.
24 Q. Quelques jours avant la date du 27 avril, Milutin Prascevic, policier
25 et d'autres personnes avaient été tuées à proximité de Gjakove, n'est-ce
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1 pas ?
2 R. J'ai entendu dire que ces gens ont été tués dans le village de Meja.
3 M. SAXON : [interprétation] Monsieur l'Huissier, veuillez nous aider.
4 Q. Je vais vous demander d'examiner cette photo. Non, ce n'est pas la
5 bonne -- excusez-moi.
6 Cette jeune femme s'appelle Merfidete Selmani. Elle est originaire du
7 village de Dobroz, municipalité de Gjakove. Est-ce que vous savez quelque
8 chose à son propos ?
9 R. Non.
10 Q. Savez-vous quoi que ce soit qui porterait atteinte à la capacité
11 qu'elle a de dire la vérité, à sa personnalité ?
12 R. Je ne la connais pas, cette femme; je ne me souviens pas l'avoir jamais
13 vue.
14 Q. Je vais vous présenter la déclaration faite par cette jeune femme ainsi
15 que sur le rétroprojecteur pour que les gens puissent suivre.
16 M. SAXON : [interprétation] Lorsqu'elle a déposé, le
17 16 juillet 2002, sa déclaration a été versée au dossier en application du
18 92 bis sous la cote 265.
19 Q. En effet, cette jeune femme a traversé Meja ce jour-là, le 26 avril
20 [comme interprété], peu de jours après l'assassinat d'un policier à cet
21 endroit.
22 M. SAXON : [interprétation] Prenez la page 5 de cette déclaration, Monsieur
23 l'Huissier, si vous voulez bien. Une première chose, il faut que je donne
24 lecture d'un passage en bas de page 5.
25 Q. Dernier paragraphe qui commence comme suit : "Juste avant d'arriver à
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1 Meja, vers 12 heures, j'ai vu des policiers serbes qui étaient à
2 l'extérieur d'une maison se trouvant au sommet d'une colline et aussi au
3 bas de cette colline, près d'un pré. Ce convoi se déplaçait lentement. Nous
4 sommes passés devant un atelier de réparation de pneus."
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'essaie de voir s'il s'agit ici
6 d'un témoin protégé.
7 M. SAXON : [interprétation] Je ne pense pas qu'elle était un témoin
8 protégé. Je suis pratiquement certain qu'elle n'avait pas été un témoin
9 protégé.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous vous servez d'une
11 version expurgée ou de la déclaration ?
12 M. SAXON : [interprétation] Pour le moment, parce que je crois comprendre
13 que ce témoin n'était pas protégé.
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] On vient de nous dire que la pièce a été
15 déposée sous pli scellé.
16 M. SAXON : [interprétation] Je ne comprends pas pourquoi cela a été déposé
17 sous pli scellé. C'est quelque chose de tout à fait nouveau pour moi. Est-
18 ce que nous pourrions passer à huis clos partiel pour faciliter les
19 choses ?
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Attendez -- je crois que nous
21 recevons les informations.
22 Je pense que vous pouvez poursuivre, Monsieur Saxon.
23 M. SAXON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
24 Q. Prenons, maintenant, le début de la page 6. Voici ce que ce témoin a
25 dit : "L'oncle de mon père, Bajram Selmani, qui avait, environ, 78 ans nous
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1 a dit que Mush Jakupi se trouvait à cet endroit, avec ses fils. Bajram a
2 dit que Muharem Jakupi avait donné l'ordre au fils de Bajram, Jonuz
3 Selmani, qui avait, à peu près, 41 ans, de sortir de la colonne, de se
4 mettre à courir pour aller à l'endroit où les autres hommes étaient
5 détenus. C'est ce que Bajram Selmani m'a dit à ce moment-là. Je savais que
6 Mush Jakupi et ses fils étaient des policiers albanais locaux originaires
7 d'Osek Hilja, municipalité de Djakovica/Gjakove, qui étaient loyaux envers
8 le régime serbe. Je savais que les Jakupi étaient des gens très dangereux;
9 ils étaient de triste réputation, parmi les Albanais du Kosovo. Les
10 villageois disaient souvent que quand quelqu'un était sévèrement battu, les
11 gens battus disaient que c'est comme si cette personne avait été frappée
12 par la bande de Mush Jakupi. Muharem Jakupi est un des fils de Mush."
13 Le témoin poursuit en disant comment Bajaram Selmani a été frappé par le
14 fils de Jakupi.
15 Persistez-vous à dire que vous et la force de défense locale que vous
16 dirigiez en 1999, n'avaient pas pour réputation d'être des criminels
17 violents ?
18 R. Mush Jakupi a 83 ans. Il n'est même pas capable de battre sa propre
19 femme et encore moins quelqu'un d'autre. Personne n'a osé s'opposer à la
20 défense locale, exception faite de ceux qui en faisaient partie. Chaque
21 fois que quelqu'un faisait une entorse à la loi, le SUP les prenait en
22 charge; ces personnes répondaient de ce qu'ils faisaient devant le SUP.
23 Personne d'entre nous n'osait aller là-bas parce que c'était une région
24 accidentée où il y avait des membres de l'UCK.
25 Je vais vous donner un exemple : Le frère de quelqu'un est mort à Ramoc et
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1 celui-ci est allé aux funérailles --
2 Q. Mais je vous demande de répondre à ma question.
3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Saxon, lorsque nous parlons
4 de la défense locale, est-ce qu'il s'agit de la même chose que de parler
5 des forces de sécurité locale dont le témoin a parlé, lui ?
6 M. SAXON : [interprétation] Oui.
7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est la base sur laquelle vous êtes
8 en train de procéder.
9 M. SAXON : [interprétation] Ce sont des synonymes.
10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.
11 M. SAXON : [interprétation] Ce sont des termes qui sont utilisés, "police
12 locale," "force de sécurité locale" ou "instance de sécurité locale;" c'est
13 ce que vous allez retrouver dans les dépositions.
14 Q. Personne n'osait s'opposer aux membres de la défense locale parce
15 qu'ils savaient bien que les membres de celle-ci, vous compris, allaient
16 répondre de façon tout à fait brutale. C'est bien exact, n'est-ce pas,
17 Monsieur ?
18 R. Je ne sais pas comment Mush Jakupi a bien pu dire une chose pareille et
19 faire cette déclaration. C'est un invalide et il a
20 83 ans.
21 Q. Je vais vous montrer la déposition d'un autre témoin, Monsieur. Je
22 dirais que cette personne, également, affirme que des membres de votre
23 unité se sont trouvés à Meja, le jour où des centaines d'Albanais du Kosovo
24 ont disparu ou ont été tués.
25 Je demanderais à Monsieur l'Huissier de distribuer ce document à
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1 toutes les personnes présentes dans le prétoire, puisque ce n'est pas
2 encore versé au dossier et cela n'a pas, non plus, été fourni à la Défense.
3 J'aimerais que nous nous penchions sur la page 5 de cette déposition. Il
4 s'agit de la déposition d'une femme qui s'appelle Fatime Hoxha; elle est
5 originaire de Djakovica. En réalité, jusqu'au début de la guerre, elle a
6 résidé à Junik. Au fond de cette page 5, vers le tout dernier des
7 paragraphes, elle décrit ce qu'elle a vu lorsqu'elle est arrivée au point
8 de contrôle de Meja, à la date du
9 27 avril 1999. Elle dit ce qui suit, je cite : "Parmi les auteurs de crimes
10 au point de contrôle de Meja, j'ai reconnu des membres de la famille
11 albanaise de Jakupi qui faisaient partie de la police serbe régulière. Les
12 Jakupi sont originaires du village d'Osek, municipalité de Djakovica. Ce
13 sont des gens que je connais depuis dix ans. A Meja, j'ai vu Mush Jakupi
14 qui a, à peu près, 50, 55 ans et ces deux fils dont j'ignore les noms. J'y
15 ai vu également Muharem Jakupi qui doit avoir vers 40 ans. Ils portaient
16 sur eux les uniformes de police usuelle, de couleur bleue avec les insignes
17 de la police. Je leur ai demandé de relâcher mes cousins et ils m'ont
18 injurié en albanais en me disant de partir en Albanie." C'est ce qui se
19 trouve en page 6.
20 Monsieur, comment se peut-il que vous nous ayez indiqué que les
21 membres de votre police locale ne pourraient pas se déplacer vers cette
22 région ? Or, nous avons deux témoins qui indiquent qu'ils ont été à Meja et
23 qu'ils ont pris part à des crimes perpétrés contre des civils en date du 27
24 avril. Comment pouvez-vous nous expliquer cela ?
25 R. Je crois que vous devez pertinemment bien savoir qu'il s'agit de faux
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1 témoignages, puisque je vous l'ai dit, Mush Jakupi a 83 ans et non pas 55
2 ans. J'ai 51 ans et nous n'avons pas eu l'idée de mettre des uniformes de
3 police, étant donné que nous avions des uniformes à nous. Nous n'avions
4 rien à voir pourtant avec les effectifs de la police. Meja se trouve à un
5 autre endroit. Osek est ailleurs et il y a une distance à parcourir entre
6 Meja et Osek. Ce que je puis vous dire, c'est qu'à Meja, je n'y suis pas
7 allé, peut-être pas avant-- enfin, deux ou trois ans avant la guerre, y ai-
8 je été, mais je me trouvais ailleurs et je ne suis plus allé là-bas.
9 Q. Le village de Meja se trouve à l'ouest de la ville de Djakovica, n'est-
10 ce pas ?
11 R. Oui, c'est exact.
12 Q. Cela se trouve à cinq à dix kilomètres de la ville où vous résidiez,
13 vous-même, d'Osek Hilja, n'est-ce pas ?
14 R. Oui.
15 Q. Très bien. Monsieur, avez-vous connaissance du fait que plus de 200
16 cadavres de personnes disparues de Meja, à la date du
17 27 avril 1999, ont été exhumés à la ville de Batajnica, non loin de
18 Belgrade ?
19 R. J'en ai entendu parler après mon arrivée à Nis et j'ai vu cela aussi
20 dans un livre portant sur les personnes enlevées.
21 Q. Comment expliquez-vous l'arrivée de ces cadavres là-bas, Monsieur ?
22 R. Je vous ai dit qu'en l'an 2000, j'ai pu lire quelque chose au sujet de
23 cet événement et dans ce livre, on peut retrouver les noms de six membres
24 de ma famille à moi, mais avant cela, je n'avais aucune connaissance de
25 l'événement en tant que tel.
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1 Q. Je vois. J'aimerais que nous nous penchions, maintenant, sur un autre
2 document. Il s'agit d'une déposition faite par Durim Domi et j'aimerais que
3 des copies soient distribuées à toutes les parties en présence.
4 Il s'agit d'une déposition faite auprès du Tribunal pénal
5 international et qui n'est toujours pas versée au dossier. J'aimerais
6 également qu'un exemplaire de celle-ci soit placé sur le rétroprojecteur.
7 Il s'agit de la déposition de Durim Domi, originaire de Djakovica.
8 J'aimerais que nous consultions la première page du texte et c'est la
9 deuxième page du document et nous voyons que cette personne décrit ce
10 qu'elle a vu le 25 mars 1999 et c'est ce que cette personne a pu voir à
11 partir de sa maison, à Djakovica. Au troisième paragraphe, il y a une
12 troisième phrase qui dit ce qui suit, je
13 cite : "Le 27 mars, je me trouvais dans ma cour avec ma famille. La police
14 est arrivée avec Mush Jakupi et ils sont entrés dans la cour en passant par
15 le portail. Nous avons tous fui vers la colline de Qabrat. Nous avons pu
16 voir de là-bas la police, les membres de l'unité de Mush Jakupi en train
17 d'incendier les maisons de Fatmir Domi et Afrim Domi."
18 On dit dans le paragraphe suivant que les membres de cette unité
19 pouvaient être reconnus du fait de porter des vêtements ordinaires et de
20 parler l'albanais. Ils coopéraient avec la police et les membres de cette
21 unité de Mush Jakupi informaient la police du fait des maisons qu'ils
22 convenaient de mettre à feu.
23 Avez-vous une idée du fait que le témoin ait pu voir des membres de
24 votre sécurité locale en train de mettre le feu à des maisons à Djakovica,
25 le 27 mars 1999 ?
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1 R. Ceci n'est tout simplement pas vrai. Ni moi-même, ni l'un quelconque
2 des membres de cette défense locale n'avons mis le feu à une maison, pas
3 même une maison, ne serait-ce que la moindre des petites constructions ?
4 Q. J'aimerais qu'on montre au témoin, pour finir, une autre déclaration.
5 Il s'agit de la déposition de M. Dervishdana.
6 L'INTERPRÈTE : Micro, s'il vous plaît.
7 M. SAXON : [interprétation]
8 Q. Il s'agit, ici, d'une déclaration recueillie par le TPIY et cette
9 déclaration provient d'un dénommé Myrvet Dervishdana qui a résidé à
10 Djakovica, dans la rue Ymer Grezda.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il me semble que c'est une femme,
12 cette personne.
13 M. SAXON : [interprétation] Oui, je m'excuse, vous avez raison.
14 Q. A l'occasion de votre interrogatoire principal, vous avez indiqué que
15 vous avez connu M. Emin Dervishdana. Vous souvenez-vous d'avoir dit cela ?
16 R. Oui.
17 Q. J'aimerais que nous nous penchions, maintenant, sur la
18 page 8 de cette déclaration. On y décrit des événements qui se sont
19 produits le 25 mars, à Djakovica. Il s'agit d'événements qui se sont
20 produits dans la rue Ymer Grezda et je vous convie à vous référer au haut
21 de la page.
22 Au deuxième paragraphe, le témoin décrit son frère Emin, que vous
23 connaissez, "…qui aurait vu un Albanais, un certain Mush Jakupi et son
24 groupe dans la rue Ymer Grezda. On dit que Mush Jakupi était un membre du
25 MUP et avant le massacre, mon frère m'a dit que l'unité de Mush Jakupi a
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1 patrouillé dans la rue Ymer Grezda. Ce même jour, trois civils albanais ont
2 été tués à l'intérieur d'une maison dans le secteur de Tyrbe…"
3 Maintenez-vous vos dires, Monsieur, à savoir que vous-même et les membres
4 de votre unité de sécurité locale n'avaient pas eu une réputation de
5 personnes violentes ? C'est toujours ce que vous dites ?
6 R. Pour ce qui est de Tyrbe, Dervishdana était un dervish, un dervish
7 musulman, un prêtre musulman et même s'il avait pointé un pistolet vers moi
8 pour me tuer, je n'aurais jamais tiré dans sa direction parce que c'est une
9 personne de religion, c'est un homme religieux. Pour ce qui est de Mush
10 Jakupi, si on dit qu'il était un officier du MUP, je suis content
11 d'apprendre qu'au SUP de Serbie, ils emploient des gens qui sont invalides
12 et qui ont 83 ans.
13 Q. Vous n'avez pas encore répondu à ma question.
14 M. SAXON : [interprétation] Monsieur le Juge, je vois l'heure, je peux
15 m'arrêter ici ou peut-être pourrions-nous continuer quelques minutes
16 encore.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons lever l'audience et nous
18 allons continuer demain matin, à 9 heures.
19 Je préciserais que la bonne cote, s'agissant de la pièce déposée
20 aujourd'hui, c'est la pièce D302, non pas la pièce D361. Je pense que le
21 Greffier devra faire un effort pour être à la hauteur du Juge Kwon.
22 --- L'audience est levée à 13 heures 45 et reprendra le jeudi 18 août 2005,
23 à 9 heures 00.
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