Affaire n° : IT-97-24-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président
M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge Mehmet Güney
Mme le Juge Inés Mónica Weinberg de Roca

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
20 juillet 2004

LE PROCUREUR

c/

MILOMIR STAKIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS D’OBTENIR LE REJET D’UN MOYEN D’APPEL ET L’AUTORISATION DE DÉPOSER UN MÉMOIRE EN DUPLIQUE

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Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Les Conseils de l’Accusé :

M. Branko D. Lukic
M. John R. Ostojic

 

1. Le 8 juin 2004, l’Accusation a déposé une requête aux fins d’obtenir le rejet d’un moyen d’appel nouveau soulevé dans le mémoire en réplique de Milomir Stakic et l’autorisation de déposer un mémoire en duplique (Prosecution’s Motion to Disallow a New Ground of Appeal in Milomir Stakic’s Brief in Reply and to File a Further Response to the Brief in Reply, la « Requête de l’Accusation »). Le 6 juillet 2004, l’appelant Milomir Stakic (l’« Appelant ») a déposé sa réponse concernant la requête par laquelle l’Accusation demandait le rejet d’un moyen d’appel nouveau (Milomir Stakic’s Appellant’s Response in Opposition to the Prosecution’s Motion to Disallow a New Ground of Appeal, la « Réponse de la Défense »), accompagnée d’une requête aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer la réponse en question sur-le-champ (Milomir Stakic’s Appellant’s Motion for Leave to File His Response in Opposition to the Prosecution’s Motion to Disallow a New Ground of Appeal, instanter, la « Requête aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer une réponse »).

2. La Réponse de la Défense devait être déposée dans les dix jours suivant le dépôt de la Requête de l’Accusation, soit au plus tard le 18 juin 20041. Cette réponse ayant été déposée le 6 juillet, le délai était donc dépassé de dix-huit jours. Dans sa Requête aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer une réponse, l’Appelant affirme qu’il n’était pas à même de déposer sa réponse dans les délais impartis, au motif que l’un des conseils, qui ne se trouvait pas à La Haye, n’avait reçu la Requête de l’Accusation que le 17 juin et que des « problèmes techniques empêchaient une bonne communication entre les bureaux des deux conseils de la Défense2». De tels problèmes ne sauraient justifier une prorogation de délai. Même en admettant que le conseil n’ait reçu la Requête de l’Accusation que le 17 juin, la Requête aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer une réponse n’indique pas la raison pour laquelle la Réponse de la Défense n’a pas été déposée dans les dix jours prescrits, à savoir le 28 juin 2004 ou avant cette date. La Requête aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer une réponse est donc rejetée.

3. Dans sa Requête, l’Accusation affirme en premier lieu que le mémoire en réplique de l’Appelant (le « Mémoire en réplique ») expose de façon erronée l’un des moyens d’appel en l’espèce. L’Accusation demande à la Chambre de rejeter ce moyen d’appel, ou bien, subsidiairement, de l’autoriser à y répondre.

4. S’agissant du moyen d’appel II. B de l’acte d’appel de l’Appelant (l’« Acte d’appel »), ce dernier avance que la Chambre de première instance a rejeté à tort la requête de la Défense demandant que la procédure soit annulée, motif pris du non respect par l’Accusation de ses obligations en matière de communication3. Le mémoire de l’Appelant au fond (le « Mémoire de l’Appelant ») exposait les arguments de fait à l’appui de à ce moyen d’appel.

161. En somme, à l’issue de la présentation des moyens à charge, l’Accusation a communiqué plus de trente extraits de déclarations de témoins essentiels relevant de l’article 68 du Règlement, y compris des documents importants à décharge que l’Accusation avait en sa possession avant l’ouverture du procès, documents dont cette dernière n’avait pas fait état et qu’elle n’avait pas communiqués auparavant, malgré les requêtes présentées à cet effet par la Défense. Il s’agissait de déclarations à décharge qui contredisaient les éléments de preuve et les arguments avancés par l’Accusation.

[…]

166. Ce non-respect par l’Accusation des obligations qui lui incombent a empêché la Défense de se préparer convenablement en vue du procès. Alors que l’Accusation a disposé de plus de deux ans pour analyser les déclarations et les éléments de preuve constituant la toile de fond de sa thèse, la Défense n’a pas été à même de prendre connaissance immédiatement et sans entrave de ces documents et, partant, s’est vu privée de la possibilité de confronter certains témoins et de procéder à leur contre-interrogatoire en se fondant sur les documents non communiqués. Ces violations par l’Accusation des dispositions du Statut et du Règlement justifient que Milomir Stakic bénéficie d’un nouveau procès, en toute équité.4

5. Le Mémoire de l’Appelant a donc porté sur la question de la communication des documents mentionnés dans la requête demandant que la procédure soit annulée, à savoir les déclarations communiquées à l’issue de la présentation des moyens à charge.

6. Toutefois, dans son Mémoire en réplique, l’Appelant a soulevé une objection nouvelle, à savoir que l’Accusation avait manqué à ses obligations en ne communiquant aucun document concernant les coauteurs des crimes reprochés. L’Appelant n’affirme pas que l’Accusation a communiqué les documents en question en retard mais qu’aucun document de ce type n’a été communiqué :

63. Nous avançons que, bien que la Chambre de première instance ait déclaré Milomir Stakic coupable en tant que « coauteur indirect », l’Accusation, à ce jour, n’a communiqué aucun document relevant de l’article 68 du Règlement, concernant des coauteurs présumés tels que Simo Drljača, Milan Kovačevic, le colonel Vladimir Arsic et le commandant Radmilo Zeljaja.

64. L’interprétation étroite des obligations découlant de l’article 68 du Règlement que donne l’Accusation, s’agissant de la coaction, et en vertu de laquelle elle a communiqué uniquement les documents concernant Milomir Stakic, révèle et démontre que ce dernier a été privé de son droit à un procès équitable et que les pratiques sélectives de l’Accusation en matière d’auto-discipline sont douteuses. La Chambre d’appel saisie de l’affaire Krstic a récemment déclaré qu’elle « ne [tolèrerait] pas que les obligations en matière de communication ne soient pas scrupuleusement respectées ».

65. Nous soutenons que les manœuvres dilatoires de l’Accusation et son refus de communiquer le moindre document relevant de l’article 68 du Règlement, s’agissant des coauteurs présumés des crimes reprochés, ont privé l’Appelant de son droit à un procès équitable et constituent un déni de justice, invalidant ainsi le jugement rendu le 31 juillet 20035.

L’Appelant fait aussi état de la non communication des documents concernant les coauteurs des crimes reprochés aux paragraphes 127 et 148 de son Mémoire en réplique.

7. Dans sa Requête, l’Accusation affirme que les paragraphes précités du Mémoire en réplique introduisent de manière erronée un argument nouveau, à savoir que le procès n’était pas équitable, l’Accusation n’ayant jamais communiqué d’informations à décharge concernant les coauteurs présumés des crimes reprochés.

8. L’Accusation a raison, semble-t-il, lorsqu’elle affirme que l’Appelant n’a avancé aucun argument relatif à la non communication d’informations concernant les coauteurs des crimes reprochés, ni dans son Acte d’appel ni dans son Mémoire. La Chambre d’appel n’a trouvé aucune mention à ce sujet dans les écritures précédant le Mémoire en réplique.

9. Au vu des circonstances, la Chambre d’appel conclut que la requête de l’Accusation aux fins d’obtenir le rejet de ce moyen d’appel est fondée. Les arguments avancés par l’Appelant au sujet de la non communication de documents relatifs aux coauteurs des crimes reprochés sont donc rejetés et ne seront pas examinés en appel.

10. Dans sa Requête, l’Accusation soulève une deuxième question. L’Appelant a fait valoir, dans son Mémoire, que la Chambre de première instance s’était fondée à tort sur certains faits qui ne figuraient pas dans l’acte d’accusation, notamment ceux relatifs à la « session de l’Assemblée des Serbes du 7 juin 1992 »6. L’Accusation a rétorqué que « la session du 7 juin 1992 » était décrite de manière suffisamment détaillée au paragraphe 7 de l’acte d’accusation. »7 Dans son Mémoire en réplique, l’Appelant affirme que la référence qu’il a faite à la session du 7 juin 1992 était une erreur typographique et que la date exacte était celle du 7 janvier 1992. Selon l’Appelant, le fait que l’Accusation ait choisi d’évoquer la session du 7 juin, plutôt que celle du 7 janvier, « prouve incontestablement que [l’Accusation] n’avait aucune réponse raisonnable à fournir. »8 L’Accusation conteste ce point et demande l’autorisation de répondre à l’argument avancé par l’Appelant au sujet de la session du 7 janvier.

11. La Chambre prend note des éclaircissements apportés par l’Appelant à propos de l’erreur typographique qui se serait glissée dans le Mémoire que celui-ci a présenté. Cependant, rien ne justifie que l’Accusation soit pénalisée pour avoir répondu au Mémoire de l’Appelant ainsi formulé ou qu’elle soit privée de son droit d’y répondre maintenant que l’erreur a été corrigée. L’Accusation aura donc la possibilité de déposer un addendum à son Mémoire en réponse dans lequel elle traitera de l’argument de l’Appelant concernant la session du 7 juin, après quoi l’Appelant aura, à son tour, la possibilité de déposer un addendum à son Mémoire en réplique.

12. Pour les raisons susmentionnées, la Requête de l’Accusation est ACCUEILLIE et la requête aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer une duplique REJETÉE. La Chambre d’appel ORDONNE ce qui suit :

a) Les arguments de l’Appelant concernant la non communication de documents relatifs aux coauteurs des crimes reprochés, notamment les commentaires faits à cet égard aux paragraphes 63 à 65, 127 et 148 du Mémoire en réplique, sont rejetés et ne seront pas examinés en appel.

b) L’Accusation peut déposer, dans les dix jours suivant la présente décision, un addendum à son Mémoire en réponse, lequel ne dépassera pas cinq pages et traitera de « la session de l’Assemblée des Serbes du 7 janvier 1992 ».

c) l’Appelant peut déposer, dans les dix jours suivant le dépôt de l’addendum au Mémoire en réponse de l’Accusation, un addendum à son Mémoire en réplique, lequel ne dépassera pas deux pages et traitera exclusivement des points soulevés dans l’addendum de l’Accusation.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 20 juillet 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
___________
Theodor Meron

[Sceau du Tribunal International]


1. « La partie adverse dépose une réponse dans les dix jours suivant le dépôt de la requête […]. » Directive pratique relative à la procédure de dépôt des écritures en appel devant le Tribunal international, 7 mars 2002, par. 11.
2. Request for Leave to File Response.
3. Appellant Milomir Stakic’s Notice of Appeal, 1er septembre 2003, p. 5.
4. Milomir Stakic’s Re-Filed Appellant’s Brief in Support of His Notice of Appeal, 9 mars 2003, par. 161 et 166 (note de bas de page omise).
5. Milomir Stakic’s Brief in Reply, 20 mai 2004, par. 63 à 65 (note de bas de page omise).
6. Appelant’s Brief, par. 37 c).
7. Prosecution’s Response Brief, 8 avril 2004, par. 2.4.
8. Reply Brief, par. 14.