Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le jeudi 31 juillet 2003

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 15 heures 02.

5 [Jugement]

6 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je tiens d'abord saluer toutes les

7 personnes présentes dans le prétoire, et je demanderais aux parties de se

8 présenter, en commençant par l'Accusation, je vous prie.

9 M. KOUMJIAN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Joanne

10 Korner est à ma droite, Ann Sutherland, Michael McVicker, Nicholas

11 Koumjian, et Ruth Karper pour l'Accusation.

12 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.

13 M. LUKIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. John Ostojic,

14 Danilo Cirkovic, et Branko Lukic pour la Défense.

15 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.

16 Dr Stakic, je vous demanderais à présent si vous êtes en mesure de suivre

17 les débats dans une langue que vous comprenez ?

18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

19 Monsieur les Juges. Je suis effectivement dans une langue que je comprends.

20 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous asseoir.

21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

22 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Avant de commencer la présentation

23 orale de ce jugement, je tiens aux noms des Juges composant cette Chambre,

24 et aux noms de toutes les personnes qui nous ont apporté leur aide depuis

25 le début de la présente affaire. Je tiens donc à dire notre gratitude à

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1 l'égard de ces personnes. En l'absence de l'aide fournie par les

2 traducteurs, les interprètes, les secrétaires, et en un mot tous les

3 acteurs qui interviennent en coulisse, et qui sont toujours prêts à nous

4 apporter leur aide très utile, nous n'en saurions pas parvenus au stade où

5 nous en sommes aujourd'hui. Notamment, compte tenu du volume

6 particulièrement important de documents, de compte rendu d'audience, de

7 cassette audio et vidéo, qui nous ont permis de faire notre travail dans la

8 gestion de la présente affaire. Je tiens notamment à remercier les

9 assistants d'audience, Ruth Karper pour l'Accusation, Danilo Cirkovic pour

10 la Défense, ainsi que tous ceux qui ont servi de coordinateur avec le

11 Greffe, et notamment Charlotte Dahuron qui était à l'époque chargée de

12 cette tâche au Tribunal. Nous remercions chaleureusement, l'équipe de

13 juristes hors classe également, qui au cours du dernier mois en particulier

14 ont eu un travail très dur pour préparer le jugement dans les délais. Je

15 veux parler de M. Courtney, de Philip Dygeus et de Coralie Colson, ainsi

16 que de toutes les personnes qui ont travaillé avec eux.

17 Et j'en arrive maintenant au résumé du jugement de la Chambre de première

18 instance, dans l'affaire le Procureur contre Milomir Stakic. Je souligne

19 que ce résumé ne fait pas partie intégrante du jugement final qui sera

20 présenté immédiatement après la présente audience. Les conclusions qui font

21 foi de la part de la Chambre de première instance dans la présente affaire

22 sont à rechercher dans la version écrite du jugement définitif.

23 La Chambre de première instance tient à souligner que ce procès n'est pas

24 celui des Serbes en tant que peuple ni celui d'un individu jugé en raison

25 de son origine ethnique; mais qu'il s'agit bien d'une affaire dans laquelle

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1 les Juges ont dû, à partir des accusations retenues dans le quatrième acte

2 d'accusation modifié, déterminer si Milomir Stakic était individuellement

3 pénalement responsable des crimes qui lui étaient reprochés. Ce jugement,

4 d'autant qu'il est rendu en vertu du chapitre 7 de la Charte des Nations

5 Unies, ne devrait en aucun cas être pris pour ce qu'il n'est pas, à savoir

6 une décision sanctionnant l'un des belligérants ou des groupes ethniques en

7 cause à l'époque des faits. La Chambre de première instance n'ignore pas

8 que des crimes d'une gravité similaire ont été commis dans la municipalité

9 de Prijedor et ailleurs par des membres des trois principaux groupes

10 ethniques, et que des membres des trois groupes en ont été les victimes.

11 Soucieux de faire respecter le principe d'égalité devant la loi, ce

12 Tribunal et les juridictions nationales continueront donc à poursuivre et à

13 juger également les auteurs de ces crimes. Un jugement ne saurait fournir

14 un prétexte pour rouvrir d'anciennes blessures. Il a pour but de présenter

15 des faits établis avec certitude et de contribuer par conséquent, à la

16 réconciliation et au rétablissement de la paix entre les peuples. Le procès

17 de l'accusé jugé sur la base des allégations exposées dans l'acte

18 d'accusation, s'est ouvert le 16 avril 2002 et a pris fin le 15 avril 2003,

19 au terme de 150 jours d'audience.

20 Milomir Stakic avait à répondre de génocide ou subsidiairement de

21 complicité dans le génocide, demeure qu'en tant que violation des lois ou

22 coutumes de la guerre ainsi que des crimes contre l'humanité suivant :

23 Assassinats, exterminations, persécutions, expulsions et autres actes

24 inhumains, tels le transfert forcé et ce dans le cadre des événements qui

25 se sont déroulés dans la municipalité de Prijedor du 30 avril au 30

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1 septembre 1992.

2 Je commencerais par vous dire ce qui suit : Bien qu'il ait été établi au-

3 delà de tous doutes raisonnables que les Musulmans de la municipalité de

4 Prijedor ont été les victimes en 1992 d'atrocités systématiques et sans

5 rien enlever à la gravité de ces crimes, la Chambre de première instance

6 n'a pas été convaincue qu'il s'agissait en l'espèce d'un génocide, mais

7 plutôt de crimes graves constitutifs, de persécutions, d'exterminations et

8 d'expulsions. La Chambre de première instance a entendu 37 témoins à charge

9 et a admis 19 déclarations de témoins en application de l'Article 92 bis du

10 Règlement. L'Accusation a cité à comparaître trois témoins experts en

11 application de l'Article 98 du Règlement. La Chambre a cité six témoins à

12 comparaître et a ordonné à l'Accusation de désigner un expert graphologue

13 et un expert en écrit, il faut [sic]. La Chambre de première instance a

14 entendu 38 témoins à décharge et a admis sept déclarations de témoins en

15 application de l'Article 92 bis, ainsi qu'un rapport d'experts en

16 application de l'Article 94 bis. La Défense a pour sa part cité à

17 comparaître deux témoins experts et a versé au dossier en application de

18 l'Article 94 bis, un rapport d'experts portant sur des questions touchant

19 au système politique.

20 Au total, 1 448 pièces à conviction ont été admises au dossier, 796 pour le

21 compte de l'Accusation, enregistrées sous la cote S, 594 pour la Défense

22 portant la cote D, et 58 en tant que pièces à conviction de la Chambre

23 portant la cote J. Les audiences qui se sont déroulées sur une période de

24 150 jours ont été consignées au compte rendu d'audience totalisant 15 337

25 pages.

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1 Quelles ont été les constatations faites par la Chambre de première

2 instance ? Celle-ci exposera ces constatations de manière relativement

3 brève, d'autant que la situation générale régnant à Prijedor et plus

4 particulièrement dans les camps d'Omarska, de Keraterm, et de Trnopolje a

5 déjà été amplement décrite dans des jugements précédents rendus par ce

6 Tribunal. La Chambre va maintenant présenter un aperçu de l'étendue de

7 l'ensemble des crimes commis pendant la période en cause, c'est-à-dire du

8 30 avril 1992 au 30 septembre 1992. Le 7 janvier 1992, les membres serbes

9 de l'Assemblée municipale de Prijedor et les présidents des sections

10 locales du SDS de la municipalité ont proclamé la création d'une assemblée

11 parallèle des Serbes de la municipalité de Prijedor. Le Dr Milomir Stakic,

12 docteur en médecine, en a été élu président. Dix jours plus tard, dans une

13 décision signée par le Dr Stakic, l'assemblée a approuvé, je cite :

14 "L'intégration des territoires serbes de la municipalité de Prijedor dans

15 la région autonome de Bosnien Krajina." A la fin du mois d'avril 1992,

16 plusieurs postes de police, secrètement administrés par les Serbes, avaient

17 été établis dans la municipalité et plus de 1 500 hommes armés étaient

18 prêts à prendre le contrôle de la municipalité. Dans la nuit, du 29 au 30

19 avril 1992, le SDS a pris de force le pouvoir dans la municipalité. Les

20 autorités centrales légitimes ont été remplacées par des membres ou des

21 fidèles du SDS. La première initiative du Dr Stakic a consisté à évincer

22 Muhamed Cehajic, le président régulièrement élu de l'assemblée municipale.

23 La prise de pouvoir dans la municipalité de Prijedor procédait d'un coup de

24 force, planifiée et coordonnée depuis des mois, et dont l'objectif ultime

25 était la création d'une municipalité entièrement serbe. Ces projets n'ont

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1 jamais été tenus secrets et ils ont été exécutés grâce aux actions

2 coordonnées de la police, des militaires et des dirigeants politiques.

3 Milomir Stakic, qui jouait à cette époque un rôle de premier plan dans la

4 vie politique de la municipalité en fut l'un des acteurs principaux. Peu

5 après la prise du pouvoir, le conseil municipale pour la défense du peuple,

6 ou conseil municipal pour la Défense nationale a commencé à se réunir dans

7 sa nouvelle composition sous la présidence de Milomir Stakic qui siégeait

8 en sa qualité de président de l'Assemblée municipale formée après le coup

9 de force.

10 Le 20 mai 1992, l'Assemblée municipale a été remplacée par la cellule de

11 Crise de la municipalité de Prijedor, devenu plus tard la "présidence de

12 Guerre", dont la composition était quasiment identique à celle du conseil

13 pour la Défense nationale et dont Milomir Stakic était également président.

14 La cellule de Crise s'est réunie à plusieurs reprises dans les semaines qui

15 ont suivi la prise du pouvoir et a adopté plusieurs décisions, ordres et

16 arrêtés.

17 La vie des habitants de Prijedor a connu de nombreux bouleversements après

18 la prise de contrôle de la municipalité. La présence des militaires dans la

19 ville s'est renforcée et une campagne de propagande a été menée contre les

20 non-Serbes. Conformément à une décision de la cellule de Crise, des

21 attaques militaires ont été lancées contre la population civile non-serbe

22 dans toute la municipalité. La terreur ambiante ainsi créée à Prijedor a

23 atteint son paroxysme lorsque les membres de la cellule de Crise de

24 Prijedor ont décidé d'établir les camps d'Omarska, de Keraterm, et de

25 Trnopolje.

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1 La Chambre de première instance a constaté que des meurtres avaient été

2 fréquemment commis dans ces camps. Il ne subsiste aucun doute raisonnable

3 quant au fait que plusieurs massacres ont été perpétrés notamment dans la

4 pièce 3 du camp de Keraterm, le 24 juillet 1992 ou vers cette date. A la

5 fin du mois de juillet 1992, plus d'une centaine de personnes ont été tuées

6 au camp d'Omarska, et le 5 août 1992, quelques 120 personnes ont été

7 emmenées du camp d'Omarska en autocars et ont été tuées. Le 21 août 1992,

8 quelques 200 personnes expulsées ayant pris place dans un convoie escorté

9 par le groupe d'interventions de Prijedor, ont été tuées sur le Mont Vlasic

10 par des membres de cette unité. [Je dis maintenant, que j'interromps

11 quelques instants ma lecture de ce résumé du jugement pour la raison

12 suivante. Je dois rappeler -- nous devons rappeler que ce massacre perpétré

13 sur le Mont Vlasic est précisément celui au sujet duquel Darko Mrdja, un

14 autre accusé de ce Tribunal a plaidé coupable le 24 juillet 2003, en

15 admettant être l'auteur direct d'un assassinat qualifié de violations ou

16 coutumes de la guerre et d'actes inhumains perpétrés en violation des lois

17 ou coutumes de la guerre.] Et je reprends donc ma lecture du résumé du

18 jugement qui sera prononcé à l'encontre du Dr Stakic, il convient de

19 souligner que de très nombreuses personnes ont été tuées au cours des

20 attaques menées par l'armée serbe de Bosnie, contre des villages dont la

21 population était majoritairement musulmane. Et des villes majoritairement

22 musulmanes également sur tout le territoire de la municipalité de Prijedor,

23 notamment à Kozarac, Hambarine, Biscani, Ljubija, pour n'en nommer que

24 quelques uns. Et que plusieurs massacres de Musulmans ont eu lieu par

25 ailleurs.

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1 La Chambre de première instance, a constaté que plus de 1 500 meurtres ont

2 eu lieu, et a pu désigner nommément 486 victimes. Des viols et des

3 violences sexuelles ont été commis dans les camps. Et des milliers de

4 détenus se sont vus infliger des traitements inhumains et dégradants,

5 incluant régulièrement des sévisses et des tortures. Les détenus vivaient

6 dans des conditions sanitaires déplorables et recevaient juste assez de

7 nourriture pour survivre. Des Musulmans de Bosnie, qui avaient vécu toute

8 leur vie dans la municipalité de Prijedor, ont été chassés de leur maison

9 et expulsés en grand nombre souvent dans des convois organisés et encadrés

10 par les autorités serbes de Prijedor. La Chambre de première instance, a

11 entendu de nombreux témoins qui contraints de quitter la municipalité de

12 Prijedor en 1992, se sont pour la plupart rendus à Travnik ou en Croatie,

13 afin de fuir les territoires sous contrôle serbe. L'exode de la population

14 essentiellement non-serbe de Prijedor, a commencé dès 1991, mais s'est

15 accru considérablement au moment de la préparation de la prise de pouvoir,

16 pour atteindre son point culminant dans les mois qui ont suivi le coup de

17 force. Plus de 20 000 personnes, et c'est un chiffre calculé ad minima.

18 Donc, plus de 20 000 personnes ont été victimes de cette campagne

19 d'expulsion. La plupart ont embarqué à bord de l'un des convois d'autocars

20 ou des camions qui quittaient quotidiennement le territoire. Les maisons

21 appartenant aux non-Serbes, ont été marquées en prévision d'une

22 destruction. Et nombre d'entre elles ont été effectivement détruites, tout

23 comme des mosquées et des églises catholiques. La Chambre de première

24 instance ne tient pas à traiter des victimes comme de simples statistiques.

25 Il s'agit d'êtres humains, d'hommes et de femmes, venus d'horizons

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1 différents, avec un passé et une personnalité propre. Etant donné qu'il est

2 impossible de retracer l'histoire de chacun, la Chambre a choisi de

3 s'intéresser en particulier à trois de ces personnes, pour mettre en

4 évidence les questions essentielles dans la présente affaire. Elle va donc

5 revenir sur le sort de Muhamed Cehajic, du témoin X et de Nermin Karagic.

6 A la question centrale posée dans la présente affaire,

7 à savoir, déterminer s'il convient de tenir Milomir Stakic comme

8 responsable des crimes qui ont été constatés, La Chambre répond par

9 l'affirmative. La Chambre de première instance, estime que la forme de

10 responsabilité pénale, qualifiée de responsabilité du co-auteur, est

11 sanctionnée par l'Article 7(1) du statut comme une forme de commission de

12 l'acte et celle qui qualifie le mieux la participation de Milomir Stakic

13 aux crimes commis dans la municipalité de Prijedor en 1992. La Chambre de

14 première instance n'a pas jugé nécessaire de recourir à la notion juridique

15 d'entreprise criminelle commune, pour établir la participation en tant que

16 co-auteur pour laquelle il est essentiel de prouver l'existence d'un accord

17 ou celle d'un consentement tacite, en vue de réaliser un but commun, pour

18 une action conjointe et coordonnée ainsi que par un contrôle exercé

19 conjointement sur le comportement criminel. Le co-auteur, doit avoir agi en

20 ayant conscience du fait que des actes criminels résulteraient très

21 vraisemblablement de sa conduite. Et il doit avoir su que son rôle était

22 essentiel par la réalisation du but commun. Dans la présente affaire, la

23 Chambre de première instance, s'est convaincue du fait que, de janvier 1991

24 à septembre 1992, le Dr Milomir Stakic a occupé les fonctions dirigeantes

25 énumérées ci-après et qu'il était un dirigeant politique de premier plan

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1 dans la municipalité de Prijedor en 1992.

2 A partir du 4 janvier 1991, après son élection à ce poste, il a occupé les

3 fonctions de vice-président de l'assemblée municipale de la ville, sous

4 l'autorité de Muhamed Cehajic, qui en était alors le président

5 régulièrement élu. Le 11 septembre 1991, le SDS a créé une section

6 municipale à Prijedor, dont le Dr Stakic a tenu la

7 vice-présidence. A partir du 7 janvier 1992, il a été élu président de

8 l'assemblée autoproclamée des Serbes de la municipalité de Prijedor. Après

9 la prise de pouvoir du 30 avril 1992, le Dr Stakic est devenu le plus haut

10 dirigeant de la municipalité en sa qualité de président de l'assemblée

11 municipale, après l'éviction de Muhamed Cehajic. Il a simultanément occupé

12 les fonctions de président du Conseil municipal pour la Défense nationale à

13 Prijedor. A partir du mois de mai 1992, il a présidé la cellule de Crise de

14 la municipalité de Prijedor, rebaptisée par la suite présidence de guerre.

15

16 Du 24 juillet 1992 à la fin de période couverte par l'acte d'accusation

17 dans la présente affaire, il a repris ses fonctions de président de

18 l'assemblée municipale de Prijedor. Le Dr Stakic, a été aidé entre autres,

19 par les autorités de l'assemblée autoproclamée des Serbes de la

20 municipalité de Prijedor, le SDS, cellule de Crise de Prijedor, la Défense

21 territoriale, la police et l'armée. Il a agi plus particulièrement de

22 concert avec le chef de la police Simo Drljaca, de hauts responsables

23 militaires, tels que le colonel Vladimir Arsic et le commandant Zeljaja, le

24 président du comité exécutif de l'assemblée municipale de Prijedor, le Dr

25 Milan Kovacevic et le chef de l'état major de la Défense territoriale

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1 également commandant du camp de Trnopolje, Slobodan Kuruzovic.

2 Avec la création, le 7 janvier 1992, de l'assemblée serbe

3 Autoproclamée, la poursuite de l'objectif commun consistant à établir une

4 municipalité serbe a pris un tour concret. L'objectif commun ainsi

5 poursuivi au niveau de Prijedor, fait parfaitement écho au premier des six

6 objectifs stratégiques des dirigeants serbes de Bosnie en Bosnie-

7 Herzégovine, défini par Radovan Karadzic, à savoir, la séparation des

8 Serbes, je cite : "des deux autres communautés nationales."

9 Au moment où Karadzic a défini ses objectifs, il est intéressant de

10 constater que les préparatifs étaient déjà en cours dans la municipalité de

11 Prijedor pour atteindre le premier d'entre eux.

12 Le 29 avril 1992, lors d'une réunion convoquée par

13 Milomir Stakic, ceux qui souhaitaient prendre part à ce projet,

14 et notamment, la police et les Serbes qui détenaient des armes

15 se sont finalement entendus pour prendre le pouvoir dans la municipalité

16 de Prijedor cette nuit-là.

17 Cette initiative, a ensuite donné le lieu à une série d'arrangements

18 nécessaires entre ces hommes pour réaliser le but

19 commun.

20 Il n'était nul besoin d'un accord officiel, et tous les

21 participants étaient conscients des conséquences qui résulteraient de

22 leur décision de s'emparer du pouvoir.

23 La prise de pouvoir, le 30 avril 1992, a été l'aboutissement qui,

24 à cette de plusieurs mois de planification par le SDS, époque collaborait

25 déjà

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1 avec la police pour gonfler les effectifs dans la municipalité, en

2 prévision du coup de force.

3 Après la prise du pouvoir, le Dr Stakic et d'autres dirigeants

4 du SDS se sont emparés des postes clé dans la municipalité et ont

5 évincé les responsables politiques musulmans et croates, régulièrement élus.

6 D'autres membres influents du SDS ont été placés à des postes stratégiques

7 dans la municipalité.

8 C'est ainsi que Simo Drljaca est devenu chef de la police.

9 Après la prise du pouvoir, les dirigeants serbes ont cherché à proclamer

10 l'état de préparation à la guerre dans la municipalité de Prijedor. La

11 cellule de Crise de la ville a commencé par apposer des restrictions à tous

12 les habitants non-serbes de la municipalité. L'instauration de conditions

13 de vie très contraignantes pour les habitants non-serbes de la municipalité

14 de Prijedor, allait de pair avec l'objectif des co-auteurs visant à asseoir

15 le pouvoir serbe dans la municipalité, en obligeant les non-Serbes à

16 s'enfuir ou en les expulsant, contribuant par là même à modifier

17 profondément l'équilibre ethnique de la municipalité.

18 La campagne de propagande a contribué à radicaliser les différents groupes

19 ethniques de la population de Prijedor, et à faire régner la peur. Durant

20 l'été de 1992, le Dr Stakic a fait plusieurs apparitions dans les médias

21 distillant la méfiance entre les divers groupes ethniques. Les médias sont

22 devenus un outil de propagande pour les autorités serbes. Dans un discours

23 publié dans "Kozarski Vjesnik," l'organe de presse par la voix duquel

24 s'exprimaient les autorités serbes à l'époque, le Dr Stakic a déclaré, je

25 cite : "Nous sommes désormais parvenus à une étape où les Serbes décident

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1 seuls des frontières de leur nouvel état." Le fait que l'édition du journal

2 officiel de la municipalité de Prijedor, daté du 20 mai 1992, s'intitulait

3 "Année numéro 1", en est un autre exemple.

4 Apparemment, pour les nouvelles autorités autoproclamées, une nouvelle ère

5 serbe s'était levée sur la municipalité de Prijedor. L'ordre d'établir le

6 camp d'Omarska, le 31 mai 1992, signé par Simo Drljaca, a été donné, je

7 cite : "Conformément à la décision de la cellule de Crise," présidée par le

8 Dr Milomir Stakic. Comme il l'a déclaré à l'occasion d'une interview

9 télévisée, les camps d'Omarska, de Keraterm et de Trnopolje étaient, je

10 cite : "Une nécessité à ce moment-là." Il a confirmé que ces camps, je cite

11 : "Ont été créés conformément à une décision des autorités civiles de

12 Prijedor."

13 Pendant toute la période qui a immédiatement suivi la prise du pouvoir, le

14 Dr Milomir Stakic, en collaboration avec le chef de la police Simo Drljaca

15 et le plus haut responsable militaire de Prijedor, Vladimir Arsic a œuvré à

16 la consolidation et l'unification des forces armées sous l'autorité serbe.

17 La décision disproportionnée de répondre par les armes, aux événements

18 mineurs, qui ont eu lieu à Hambarine et à Kozarac à la fin du mois de mai

19 1992, était dirigée contre la population civile non-serbe. Cette action a

20 été la première d'une longue série de mesures prises par la cellule de

21 Crise en collaboration avec l'armée et la police destinée à débarrasser la

22 pop -- municipalité de ses habitants non-serbes. Simo Drljaca représentait

23 les forces de police au sein de la cellule de Crise. Le Dr Stakic a proposé

24 qu'il y ait également un représentant des forces armées au sein de cette

25 cellule de Crise, mais sa proposition a été rejetée. Toutefois, tant Arsic

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1 que Zeljaja ont assisté aux réunions de la cellule de Crise de Prijedor et

2 du conseil municipal pour la Défense nationale, en qualité de représentants

3 de l'armée.

4 Peu après la prise du pouvoir, les autorités civiles ont commandé des

5 tenues militaires pour le compte des dirigeants civils, y compris pour le

6 Dr Stakic qui revêtait l'uniforme et portait une arme. L'influence exercée

7 par Milomir Stakic sur l'armée et sur la police, a été vigoureusement

8 contestée par la Défense. La Chambre de première instance, a toutefois

9 conclu, que Milomir Stakic avait étroitement coopéré tant avec la police

10 qu'avec l'armée.

11 En sa qualité de Président, à la fois de la cellule de Crise et du conseil

12 pour la Défense nationale, Milomir Stakic a facilité la coordination entre

13 la police et l'armée, et entre ses organes et les autorités civiles. Les

14 différents organes présidés par Milomir Stakic fournissaient également une

15 aide logistique et financière à l'armée. Le conseil pour la Défense

16 nationale exigeait des organes municipaux compétents, qu'ils veillent à

17 l'acheminement des communications prioritaires et des approvisionnements

18 indispensables; notamment, en nourriture et en carburant, qu'il soit référé

19 au comités exécutifs. Des preuves documentaires établissent que la cellule

20 de Crise a mis sur pied, à Cirkin Polje, une base logistique chargée de

21 fournir de la nourriture aux membres de la police présents au poste de

22 contrôle et aux gardes du camp, du carburant pour le transport des détenus

23 vers les camps d'un corps à l'autre, et du matériel à la police et à

24 l'armée.

25 En outre, la cellule de Crise a donné l'ordre au poste de sécurité publique

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1 de Prijedor et au commandement régional de Prijedor, c'est-à-dire à la

2 police et à l'armée, "de constituer une section ou un groupe d'intervention

3 mixte." Dans un document daté du 4 août 1992, Simo Drljaca, chef du poste

4 de Sécurité publique de Prijedor, rend hommage aux "opérations

5 synchronisées menées par l'armée et par la police serbe", qui ont, dans une

6 large mesure permis d'éliminer toutes les formations paramilitaires. Simo

7 Drljaca, chef du poste de Sécurité publique de Prijedor, aurait déclarer

8 lors d'une séance de l'Assemblée municipale tenue à huis clos, que grâce

9 aux actions efficaces menées par l'armée et la police, les formations

10 paramilitaires musulmanes avaient été anéanties et que, la situation à cet

11 égard, était sous contrôle.

12 Il existait bien une coordination entre la cellule de Crise, devenue plus

13 tard la présidence de Guerre, et les membres de la police et de l'armée

14 pour ce qui est du fonctionnement des camps. La cellule de Crise y a pris

15 part en supervisant la surveillance dans les camps en décidant de prolonger

16 ou non la détention des citoyens de Prijedor, en fournissant les moyens de

17 transport et le carburant nécessaire au transfert des prisonniers entre les

18 différents camps et de ses camps vers des territoires sous contrôle non-

19 serbe, ainsi qu'en coordonnant la distribution aux détenus, en quantité

20 limitée.

21 Avec l'arrivée des premiers détenus à Omarska, des gardes permanents ont

22 été affectés au camp et des mines terrestres antipersonnelles ont été

23 placées autour du camp. Si l'armée encerclait le complexe d'Omarska, des

24 témoins rapportent que des membres de la police se trouvaient "à

25 l'intérieur avec les détenus." Un ordre émanant du SJB de Prijedor confirme

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1 que le complexe d'Omarska était entouré d'une enceinte, et où de là, d'un

2 champ de mines.

3 Le but commun ne pouvait être atteint sans l'exercice d'un contrôle

4 conjoint, seul résultat final. Et c'est cette interaction qui caractérise

5 le comportement criminel. Aucun participant n'aurait pu atteindre à lui

6 seul, le but commun. Toutefois, chacun des participants aurait pu

7 individuellement contrecarrer le plan en refusant d'y jouer son rôle ou en

8 dénonçant les crimes commis. Si par exemple, les autorités politiques,

9 Milomir Stakic à leur tête, n'avaient pas pris part au plan commun, celui-

10 ci n'aurait pu aboutir. Milomir Stakic le savait. Si tel n'avait pas été le

11 cas, il n'aurait pas été nécessaire d'évincer Mohamed Cehajic. L'impunité,

12 dont jouissaient tous ceux qui ont pris part au coup de force mené par

13 Milomir Stakic et l'état d'un endroit qui régnait à Prijedor, a permis de

14 poursuivre la réalisation du but commun. A en croire l'un des témoins, il

15 n'y avait à Prijedor, je cite : "Aucun individu ou une autorité de facto ou

16 de jure au-dessus du Dr Stakic." L'édition de "Kozarski Vjesnik" du 13

17 janvier 1993, décrit Milomir Stakic, comme étant le responsable le plus

18 haut placé de la municipalité. Dans les articles et les rapports, M.

19 Milomir Stakic est désigné comme le maire de Prijedor; un titre qui dénote

20 habituellement une grande autorité politique. Et l'accusé, lui-même, s'est

21 présenté ainsi. Toutefois, ces titres en eux-mêmes ne revêtent aucune

22 importance. Dès lors qu'il apparaît, que Milomir Stakic avait une part

23 considérable de responsabilité dans tous les événements qui ont eu lieu

24 dans la municipalité, et qu'il avait le pouvoir de changer leurs cours.

25 S'agissant de toutes les infractions, la Chambre de première instance est

Page 15354

1 convaincue que Milomir Stakic et les autres co-auteurs ont agi sans ignorer

2 que des crimes seraient commis en conséquence directe de la poursuite du

3 but commun. Les co-auteurs ont consenti à chasser par tous les moyens

4 nécessaires, les Musulmans de Prijedor. Et ont soit, accepté que des crimes

5 seraient une conséquence prévisible de leurs actes, soit participé

6 activement à la perpétration de ces crimes. Le fait que Milomir Stakic ait

7 jugé nécessaire d'évincer Mohamed Cehajic et d'autres encore, qui aurait

8 clairement refusé de participer à la mise en œuvre du but commun, démontre

9 qu'il savait que sans les actes accomplis par lui-même et par les autres

10 co-auteurs, le but ultime, celui de la création d'une municipalité serbe et

11 finalement d'un état serbe ne pouvait se réaliser.

12 Dans un entretien accordé le 24 mai 1992, en sa qualité de président de la

13 cellule de crise, Milomir Stakic déclarait que l'ensemble du territoire de

14 la municipalité de Prijedor était sous le contrôle serbe depuis je cite :

15 "La libération de Kozarac" et que le "nettoyage," "ciscenje, selon ses

16 termes se poursuivait à Kozarac. Je cite : "Car ceux qui restent, sont les

17 plus extrémistes d'entre tous et des professionnels." La Chambre de

18 première instance est fermement convaincue, que Milomir Stakic avait

19 pleinement conscience que ces prétendus extrémistes n'étaient autres que

20 des civils innocents, des Musulmans et des Croates dont certains étaient

21 armés, mais qu'ils ne pouvaient être considérés comme une force armée

22 professionnelle. De fait, les éléments de preuve établissent que, même si

23 le Dr Stakic parlait de combats entre uniquement les Musulmans extrémistes

24 qui menaient des opérations armées contre les forces serbes, il s'agissait

25 -- il agissait comme si toute la population musulmane se composait

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1 d'extrémistes.

2 La Chambre de première instance est convaincue que le Dr Stakic, ne faisait

3 aucune distinction entre la population civile musulmane et croate, qu'il se

4 disait résolu à protéger contre tous les dangers et les extrémistes qu'il

5 cherchait plus que tous, à défaire. La Chambre de première instance est

6 convaincue que le Dr Stakic, savait que le rôle qu'il jouait et l'autorité

7 dont il était investi en sa qualité de plus haut dirigeant à Prijedor,

8 était essentiel à la réalisation du but commun. Il savait, qu'il était à

9 même de déjouer la réalisation de l'objectif de créer une municipalité

10 serbe en usant de son pouvoir pour sanctionner les auteurs des crimes, en

11 protégeant ou en aidant les non-Serbes ou encore en renonçant à ses

12 fonctions.

13 Avant d'exposer les conclusions juridiques, la Chambre de première instance

14 tient à formuler des observations générales relatives au droit applicable

15 afin de favoriser la compréhension du présent jugement par les parties et

16 par les peuples des états de

17 l'ex-Yougoslavie. La Chambre de première instance doit s'en tenir à l'acte

18 d'accusation, et ne peut procéder à une appréciation juridique des faits

19 qui ne lui correspond pas. Comme c'est le cas dans d'autres systèmes

20 juridiques, où les juges peuvent eux-mêmes, évaluer l'ensemble de la

21 qualification juridique des actes. Ils ne sont pas liés par les accusations

22 portées dans un acte d'accusation. La Chambre de première instance n'entend

23 pas évoquer le détail de son appréciation juridique à l'exception des

24 points suivants : après un examen attentif des faits et de l'état d'esprit

25 dans lequel se trouvaient les participants, la Chambre de première instance

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1 n'a pas été en mesure de déduire le dol spécial requis pour le génocide. Ce

2 dol spécial, c'est-à-dire, l'intention spéciale de détruire en tout ou en

3 partie, un groupe comme tel constituant l'élément primordial pour établir

4 le crime du génocide. Aussi, la Chambre de première instance n'a-t-elle pas

5 pu conclure que Milomir Stakic ou d'autres participants étaient animés de

6 l'intention spéciale requise pour qualifier leurs actes de génocide ou de

7 complicité dans le génocide.

8 Leur but premier, était de déplacer la population non-serbe afin de

9 concrétiser l'idéal d'un état serbe ethniquement pur. Cette intention de

10 déplacer une population ne serait équivaloir à l'intention de détruire

11 cette population comme telle. Toutefois, la Chambre de première instance

12 tient à souligner, que c'est sur la seule base des éléments de preuve

13 présentés en l'espèce, qu'elle est parvenue à la conclusion qu'une

14 intention génocidaire au plus haut niveau n'a pas été prouvée au-delà de

15 tout doute raisonnable. Rien ne dit qu'une autre Chambre de première

16 instance, saisie d'une autre affaire, et se fondant sur des éléments de

17 preuve différents, ne puisse pas aboutir à une toute autre conclusion. Il

18 faut rappeler, en particulier dans ce contexte, et afin de favoriser une

19 meilleure compréhension de cette décision en ex-Yougoslavie, qu'en

20 principe, c'est aux parties qu'il incombe de présenter des preuves. Ce

21 n'est pas le rôle des Juges, au regard du Règlement de procédures et de

22 preuves de ce Tribunal, de prendre une part active aux enquêtes.

23 En règle générale, il n'est pas nécessaire, dans l'intérêt de la justice et

24 aux fins d'une description exhaustive de la responsabilité individuelle,

25 que la Chambre tire des conclusions sur la base de l'Article 7(3) du

Page 15357

1 Statut, si cette Chambre est déjà convaincue au-delà de tout doute

2 raisonnable que la responsabilité de l'accusé aux regards de l'Article 7(1)

3 et sa position de supérieurs hiérarchiques ont été établies. Et autres

4 fonctions occupées par l'accusé ne constituent qu'une circonstance

5 aggravante dans la fixation de la peine et dont le poids dépend de

6 l'autorité qu'exerçait concrètement l'accusé sur ses subordonnés.

7 La Chambre de première instance a appliqué une définition de l'expulsion

8 qui couvre différentes formes de transfert forcé. Elle a conclu, que la

9 plupart des formes de transfert forcé qui, de l'avis de l'Accusation,

10 devraient relever de l'Article 5(i) du Statut, sous l'intitulé, "autres

11 actes inhumains" entre dans le cadre de la définition de l'expulsion visée

12 à l'Article 5(d). Ces actes incluent les transferts forcés effectués non

13 seulement au-delà des frontières internationales non reconnues, mais aussi

14 au-delà des frontières de facto délimitant des zones contrôlées par

15 différents belligérants. La Chambre de première instance n'est pas

16 convaincue que les autres exemples cités par l'Accusation tels que le

17 transfert de personnes vers les centres de détention satisfont à la

18 condition requise; celle d'atteindre le même degré de gravité que les

19 autres crimes prohibés par l'Article 5 du Statut. En outre, ces exemples

20 n'exigent pas nécessairement, que l'accusé soit également déclaré coupable

21 sur la base de l'Article 5(i), car une telle déclaration de culpabilité

22 pourrait violer le principe nullum crimen sine lege certa (aucun crime sans

23 texte de lois précis). La Chambre de première instance a conclu que les

24 crimes de persécutions et d'extermination, constituent la part essentielle

25 du comportement criminel du Dr Stakic, tel qu'il est allégué dans l'acte

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1 d'accusation. Dans le présent jugement, la Chambre de première instance a

2 exposé les conditions juridiques préalables pour que soit établi le crime

3 de persécution et a développé une notion d'intention créée pour ce crime.

4 La Chambre de première instance est convaincue de l'existence d'une

5 campagne de persécution motivée par une intention discriminatoire, à

6 l'égard de tous les non-Serbes et de tous ceux qui n'avaient pas dessein

7 d'affermir le contrôle et la domination serbe dans la municipalité de

8 Prijedor. Le Dr Stakic était l'un des principaux acteurs de cette campagne

9 de persécution, et la Chambre de première instance, est convaincue qu'il

10 était animé de l'intention requise d'exercer une discrimination pour les

11 motifs politiques et religieux à l'égard des non-Serbes, et de ceux qui

12 leur auraient été associés, ou qui étaient acquis à leur cause.

13 Afin de fixer une peine juste, la Chambre de première instance a tenu

14 compte du Statut et du Règlement du Tribunal international, de la crise

15 générale des peines d'emprisonnement appliquées par les Tribunaux de l'ex-

16 Yougoslavie, des conditions propres à l'espèce, des circonstances

17 aggravantes ou atténuantes, et de la situation personnelle de l'accusé. La

18 peine à infliger doit refléter la gravité des actes criminels de l'accusé,

19 ce qui requiert un examen des crimes sous-jacents, ainsi que de la forme et

20 du degré de participation de l'accusé.

21 La Chambre de première instance tient à souligner que la culpabilité d'un

22 accusé détermine les limites de la fourchette, dans laquelle pourra

23 s'inscrire la durée de la peine. Les autres fonctions et finalités de la

24 peine infligée ne peuvent influer sur la durée que dans les limites ainsi

25 définies.

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1 La Chambre de première instance rappelle que le Tribunal international a

2 été créé dans le but de mettre fin à l'impunité. Elle garantit un procès

3 équitable aux auteurs présumés de crimes relevant de sa compétence. Le

4 Tribunal a été établi en vertu du chapitre 7 de la Charte des Nations

5 Unies, en application du principe selon lequel la recherche de la vérité

6 est une condition indispensable pour rétablir la paix. Le Tribunal est

7 habilité à fixer la peine appropriée qui doit être infligée bien souvent à

8 des personnes qui n'auraient jamais songé qu'un jour elles seraient

9 traduites en justice. Si l'un des objectifs de la peine est la mise en

10 œuvre du principe d'égalité devant la loi, un autre objectif consiste à

11 dissuader à l'avenir des personnes placées dans des situations identiques

12 de commettre des crimes.

13 A l'époque des faits, le Dr Stakic n'aurait certainement jamais imaginé

14 qu'un jour il serait jugé, déclaré coupable, puis condamné. Dans des

15 affaires comme celle-ci mettant en cause le chef d'une municipalité, la

16 dissuasion générale présente un intérêt considérable. Dans le contexte d'un

17 combat livré aux infractions graves au droit international, la dissuasion

18 constitue une tentative d'intégrer, ou de réintégrer dans la société des

19 personnes qui se croyaient hors de portée du droit international pénal. Ces

20 personnes doivent être avisées qu'à moins de se conformer aux règles

21 internationales fondamentales du droit pénal positif, elles s'exposent non

22 seulement à des poursuites, mais aussi aux sanctions infligées par les

23 Tribunaux internationaux. Par le droit pénal moderne, cette façon

24 d'envisager la dissuasion générale signifie plus précisément, que l'on

25 cherche à intégrer les auteurs de crimes en puissance au sein d'une

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1 communauté internationale pacifique, et à leur imposer le respect du droit.

2 Outre la gravité des crimes, les hautes fonctions de l'accusé constituent

3 un facteur aggravant, important, au même titre que sa responsabilité

4 établie pour avoir planifié et ordonné le crime d'expulsion. S'agissant de

5 circonstances atténuantes, la Chambre de première instance a tenu compte du

6 consentement donné le

7 1er octobre 2002, par le Dr Stakic à la nomination d'un nouveau juge,

8 permettant ainsi aux débats de se poursuivre, de son attitude

9 vis-à-vis du témoin et de sa situation personnelle.

10 L'Article 24 du Statut reflète la politique judicieuse et humaine des

11 Nations Unies, visant à abolir la peine de mort dans le monde, et dispose

12 que le Tribunal international ne peut prononcer au plus qu'une peine

13 d'emprisonnement à vie. A cet égard, la Chambre de première instance tient

14 à souligner que, tant au niveau international que national, la peine

15 maximale n'est par réservée aux actes criminels les plus graves.

16 La Chambre de première instance tient enfin à souligner que les Articles

17 123 à 125 du Règlement, ainsi que les dispositions de la directive pratique

18 relative à l'appréciation des demandes de grâce, de commutation de la peine

19 et de libération anticipée des personnes condamnées par le Tribunal

20 international demeurent inchangés, et priment sur le dispositif énoncé ci-

21 après.

22 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Nous, Juges du Tribunal

23 international chargés de poursuivre les personnes présumées responsables de

24 violations graves du droit international et militaire, commises sur le

25 territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991, créé par le conseil de Sécurité

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1 des Nations Unies, conformément à la Résolution 827 du 25 mai 1993, élus

2 par l'assemblée générale, et compétents pour juger le Dr Milomir Stakic et

3 prononcer la peine appropriée. Par ces motifs, décidons :

4 L'accusé, Milomir Stakic, est acquitté des chefs suivants : Chef 1,

5 génocide. Chef 2, complicité dans le génocide. Chef 8, autres actes

6 inhumains, c'est-à-dire les transferts forcés, un crime contre l'humanité.

7 L'accusé, le Dr Milomir Stakic, est déclaré coupable du chef 4,

8 extermination, un crime contre l'humanité; chef 5, meurtre, une violation

9 des lois ou coutumes de la guerre; chef 6, persécutions, un crime contre

10 l'humanité incluant le chef 3, assassinat, un crime contre l'humanité et le

11 chef 7, expulsion, un crime contre l'humanité.

12 Le Dr Milomir Stakic est condamné à l'emprisonnement à vie. La juridiction

13 alors compétente revoit la peine, et si elle le juge approprié, suspend

14 l'exécution de la peine d'emprisonnement à vie, et accorde la libération

15 anticipée assortie. Le cas échéant d'une période de mise à l'épreuve.

16 Lorsque les conditions suivantes sont réunies, le condamné a purgé une

17 période de vingt ans d'emprisonnement calculé en application de l'Article

18 101(C) du Règlement à compter de la date à laquelle il a été arrêté, pour

19 être jugé. Le réexamen de la peine intervient en terme de cette période.

20 Deuxièmement, une éventuelle décision de suspendre l'exécution de la peine

21 doit reposer entre autres, sur les éléments d'appréciation suivants :

22 L'importance de l'intérêt juridique mis en péril en cas de récidive, le

23 comportement du condamné durant son emprisonnement, la personnalité du

24 condamné, ses antécédents et les circonstances de ses actes, les conditions

25 de vie du condamné et les conséquences prévisibles résultant de la

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1 suspension de l'exécution de la peine.

2 Troisièmement, le consentement du Dr Stakic à la suspension de l'exécution

3 de sa peine est requis.

4 Quatrièmement, la juridiction compétente peut fixer le cas échéant, la

5 durée de la période de mise à l'épreuve. En cas de libération anticipée, et

6 en application de l'Article 101(C) du Règlement, le Dr Milomir Stakic a

7 droit, à compter de la date du présent jugement, à ce que la période de

8 deux ans, quatre mois et huit jours calculée à compter de la date à

9 laquelle il a été arrêté pour être jugé soit décomptée de la durée de la

10 peine. En vertu de l'Article 103(C) du Règlement, le Dr Milomir Stakic

11 reste sous la garde du Tribunal international jusqu'à ce que soient

12 arrêtées les dispositions nécessaires à son transfert vers l'état dans

13 lequel il purgera sa peine. Veuillez vous asseoir.

14 Je m'adresse à Mme la Greffière d'audience en lui demandant de remettre un

15 exemplaire du jugement en anglais aux deux parties ainsi qu'à l'accusé. Et

16 de remettre une traduction du résumé du jugement dont il vient d'être

17 donnée lecture à la Défense dans une langue comprise par l'accusé. Une

18 traduction du dispositif sera remise à l'accusé.

19 Je déclare la présente audience levée.

20 --- L'audience est levée à 15 heures 58.

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