Page 103
1 Le mardi 15 décembre 2015
2 [Jugement en appel]
3 [Audience publique]
4 [Les appelants sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 59.
6 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes
7 présentes dans le prétoire.
8 Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire, s'il vous plaît.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,
10 Messieurs les Juges. Il s'agit de l'affaire IT-03-69-A, le Procureur contre
11 Jovica Stanisic et Franko Simatovic.
12 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.
13 Puis, je vais demander la présentation des parties, s'il vous plaît, Nous
14 allons commencer par l'Accusation.
15 Mme JARVIS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
16 Juges. Michelle Jarvis, représentant de l'Accusation, accompagné de Mathias
17 Marcussen, Barbara Goy, Grace Harbour. Notre commis à l'affaire aujourd'hui
18 est Colin Nawrot. Je vous remercie.
19 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.
20 Du côté de la Défense, s'il vous plaît, le conseil de M. Stanisic.
21 M. JORDASH : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
22 Juges. Moi-même, Wayne Jordash, M. Scott Martin, Emmanuel Marchand,
23 représentants M. Stanisic.
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.
25 Et M. Simatovic.
26 M. BAKRAC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, à toutes les
27 personnes dans le prétoire. La Défense de M. Simatovic est représentée par
28 Mihajlo Bakrac, M. Vladimir Petrovic, ainsi que Mme Melani Vranjas.
Page 104
1 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Avant de poursuivre
2 l'audience, je souhaite confirmer que les parties sont en mesure de suivre
3 la procédure dans une langue qu'elles comprennent.
4 Monsieur Stanisic, est-ce que vous pouvez suivre la procédure ?
5 Je vais répéter : Monsieur Stanisic, êtes-vous en mesure de suivre la
6 procédure ?
7 Pouvez-vous confirmer que M. Stanisic est en mesure de suivre la
8 procédure ?
9 L'APPELANT STANISIC : [interprétation] Oui.
10 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Et Monsieur Simatovic ?
11 L'APPELANT SIMATOVIC : [interprétation] Oui.
12 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] La Chambre d'appel est réunie
13 aujourd'hui pour prononcer publiquement son arrêt dans l'affaire le
14 Procureur contre Jovica Stanisic et Franco Simatovic, rendu le 9 décembre
15 2015.
16 Conformément à l'usage au Tribunal, je ne donnerai pas lecture du texte de
17 l'arrêt à l'exception de son dispositif. Je résumerai les conclusions de la
18 Chambre d'appel, le résumé qui suit ne fait pas partie de l'arrêt rendu
19 officiellement par la Chambre d'appel qui fait foi, et dont le texte écrit
20 sera distribué aux parties à la fin de la présente audience.
21 Les faits à l'origine de la présente affaire ont eu lieu entre avril 1991
22 et le 31 décembre 1995, dans la Région autonome serbe de la Krajina, ou SAO
23 de Krajina, et la Région serbe autonome de Slavonie, de la Baranja et du
24 Srem occidental, ou SAO SBSO en Croatie, et dans les municipalités de
25 Bijeljina, Bosanski Samac, Doboj, Sanski Most, Trnovo et Zvornik en Bosnie-
26 Herzégovine.
27 Durant l'année 1991, M. Stanisic occupait les fonctions de directeur
28 adjoint du service de la Sûreté de l'Etat, également connu comme le SDB, au
Page 105
1 sein du ministère de l'Intérieur de la République de Serbie. Du 31 décembre
2 1991 jusqu'en octobre 1998, il était le chef du SDB de Serbie.
3 Franko Simatovic a commencé à travailler au deuxième bureau du SDB de
4 Serbie à Belgrade à partir de décembre 1990 au moins. Le 29 avril 1992,
5 Franko Simatovic a été nommé directeur adjoint du deuxième bureau du SDB de
6 Serbie, a effet au 1er mai 1992. Le 12 mai 1993, Franko Simatovic a été
7 nommé conseiller spécial au sein du SDB.
8 L'Accusation reproche à Jovica Stanisic et à Franko Simatovic d'avoir
9 commis des crimes dans les localités mentionnées précédemment en
10 participant à une entreprise criminelle commune qui aurait vu le jour au
11 plus tard en avril 1991 et se serait poursuivie jusqu'au 31 décembre 1995,
12 au moins. L'objectif criminel commun allégué de cette entreprise criminelle
13 commune était de chasser par la force et à jamais la majorité des non-
14 Serbes, essentiellement des Croates et des Musulmans, et Croates de Bosnie,
15 de vastes portions du territoire de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine.
16 Selon l'acte d'accusation, cela supposait la commission de crime de meurtre
17 et assassinat, en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre et
18 crime contre l'humanité, et des crimes d'expulsion, autres actes inhumains
19 (transfert forcé) et persécution au moyen d'assassinat, d'expulsion et
20 d'autres actes inhumains (transfert forcé) en tant que crimes contre
21 l'humanité.
22 A titre subsidiaire, il est allégué dans l'acte d'accusation que l'objectif
23 de l'entreprise criminelle commune supposait l'expulsion et le transfert
24 forcé, tandis que les crimes de meurtre et assassinat, et de persécution
25 étaient des conséquences de la réalisation de cet objectif que Jovica
26 Stanisic et Franko Simatovic auraient pu raisonnablement prévoir.
27 En outre, Jovica Stanisic et Franko Simatovic étaient accusés d'avoir
28 planifié, ordonné et/ou de toutes autres manières, aider et encourager, à
Page 106
1 planifier, préparer, et/ou à exécuter les crimes allégués dans l'acte
2 d'accusation.
3 La Chambre de première instance - composée des Juges Orie, Picard et
4 Gwaunza - a conclu que nombre des crimes allégués dans l'acte d'accusation
5 avaient effectivement été commis par diverses forces serbes dans les
6 localités susmentionnées en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Cela étant,
7 la Chambre de première instance, le Juge Picard étant en désaccord, a jugé
8 que ni Jovica Stanisic ni Franko Simatovic n'étaient responsables de ces
9 crimes pour avoir participé à l'entreprise criminelle commune dans la
10 mesure où il n'avait pas été établi au-delà de tout doute raisonnable
11 qu'ils étaient animés de l'intention requise pour participation à une
12 entreprise criminelle commune.
13 La Chambre de première instance a également conclu qu'il n'avait pas été
14 établi au-delà de tout doute raisonnable que Jovica Stanisic et Franko
15 Simatovic avaient planifié et/ou ordonné la commission de ces crimes. En
16 outre, la Chambre de première instance, le Juge Picard étant en désaccord,
17 a jugé que l'élément matériel de l'aide et l'encouragement n'avait pas été
18 établi au-delà de tout doute raisonnable, et que ni Jovica Stanisic ni
19 Franko Simatovic n'étaient donc responsables d'avoir aidé et encouragé la
20 commission de ces crimes.
21 Par conséquent, la Chambre de première instance, le Juge Picard étant en
22 désaccord, a déclaré Jovica Stanisic et Franko Simatovic non coupables de
23 tous les chefs d'accusation.
24 L'Accusation a interjeté appel du jugement et a présenté trois moyens
25 d'appel. La Chambre d'appel a entendu les arguments des parties le 6
26 juillet 2015.
27 Je me pencherai en premier sur le premier moyen d'appel. Par ce moyen
28 d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de première instance a
Page 107
1 commis une erreur de droit et de fait en concluant que l'élément moral
2 requis n'était pas établi pour ce qui concerne la participation de Jovica
3 Stanisic et Franko Simatovic à une entreprise criminelle commune.
4 L'Accusation fait valoir trois branches du moyen d'appel. L'Accusation
5 décline ce moyen d'appel en trois branches.
6 Par la branche A du premier moyen d'appel, l'Accusation fait valoir
7 que la Chambre de première instance a commis une erreur de droit en ne se
8 prononçant pas et/ou ne fournissant pas une opinion motivée sur les
9 éléments essentiels de la responsabilité découlant de la participation à
10 une entreprise criminelle commune, en particulier, l'existence d'un
11 objectif criminel commun et la contribution de Jovica Stanisic et de Franko
12 Simatovic à cet objectif.
13 La Chambre d'appel fait observer qu'avant de formuler sa conclusion sur
14 l'état d'esprit de Jovica Stanisic et de Franko Simatovic, la Chambre de
15 première instance n'a pas déterminé si les composantes de l'élément
16 matériel de la participation à une entreprise criminelle commune étaient
17 réunies, à savoir l'existence d'un objectif criminel commun, l'existence
18 d'une pluralité de personnes, et la contribution de Jovica Stanisic et de
19 Franko Simatovic à cet objection criminel commun.
20 La Chambre d'appel considère, le Juge Afande étant en désaccord, que
21 dans les circonstances de l'espèce et pour les raisons exposées dans le
22 jugement, la Chambre de première instance ne pouvait se prononcer sur
23 l'état d'esprit de Jovica Stanisic et de Franko Simatovic dans le cadre de
24 la participation à une entreprise criminelle commune et fournir une opinion
25 motivée qu'après avoir établi l'existence et la portée d'un objection
26 criminel commun partagé par une pluralité de personnes et après avoir
27 examiné si, par leurs actes, Jovica Stanisic et Franko Simatovic avaient
28 contribué à la réalisation de cet objection criminel commun. La Chambre de
Page 108
1 première instance a donc commis une erreur de droit en ne se prononçant pas
2 et en ne donnait pas d'opinion motivée sur les éléments essentiels de la
3 participation à une entreprise criminelle commune. La Chambre d'appel, le
4 Juge Afande étant en désaccord, fait droit à la branche A du moyen d'appel
5 soulevé par l'Accusation.
6 Compte tenu de sa conclusion relative à la branche A du premier moyen
7 d'appel soulevé par l'Accusation, la Chambre d'appel, le Juge Afande étant
8 en désaccord, n'a pas à examiner les arguments présentés par l'Accusation à
9 l'appui des autres branches de ce moyen d'appel et les déclare sans objet.
10 Je me pencherai à présent sur le deuxième moyen d'appel.
11 Par ce moyen d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de
12 première instance a commis une erreur de droit et de fait en concluant que
13 l'élément matériel de l'aide et l'encouragement n'était pas établi
14 s'agissant de la conduite de Jovica Stanisic et de Franko Simatovic dans le
15 cadre des crimes commis dans les municipalités de Bosanski Samac et Doboj
16 en Bosnie-Herzégovine et dans la SAO de Krajina et qu'elle les a acquittés
17 à tort pour ce qui concerne l'aide et l'encouragement dans le cadre de ces
18 crimes.
19 L'Accusation décline ce moyen en deux branches. Par la branche A du
20 deuxième moyen d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de première
21 instance a commis une erreur de droit en exigeant que les actes du complice
22 par aide et encouragement visent précisément à faciliter la commission d'un
23 crime et que, si elle n'avait pas commis cette erreur, elle aurait conclu
24 que Jovica Stanisic de Franko Simatovic avaient aidé et encouragé la
25 commission des crimes dans ces localités.
26 La Chambre d'appel rappelle que dans l'arrêt Sainovic et consorts,
27 rendu après l'arrêt Perisic, elle a conclu que l'aide et l'encouragement
28 n'exigent pas que l'aide apportée pour le complice vise précisément à
Page 109
1 faciliter les crimes. Pour parvenir à cette conclusion, elle a
2 soigneusement examiné la jurisprudence du Tribunal et du Tribunal pénal
3 international pour le Rwanda, le TPIR, sur ce point et a examiné à nouveau
4 les éléments constitutifs de l'aide et l'encouragement au regard du droit
5 international coutumier.
6 La Chambre d'appel a ensuite observé que, dans la jurisprudence du
7 Tribunal et du TPIR, comme dans le droit international coutumier, l'aide et
8 l'encouragement n'exigent pas que l'aide apportée par le complice vise
9 précisément à faciliter les crimes. Par conséquent, la Chambre d'appel a
10 rejeté l'approche suivie dans l'arrêt Perisic, selon laquelle pour établir
11 l'élément matériel de l'aide et l'encouragement il faut que les actes
12 commis visent précisément à la commission du crime, et elle a conclu que
13 cette approche était "en contradiction totale et directe avec la
14 jurisprudence dominante pour ce qui concerne l'élément matériel de l'aide
15 et l'encouragement et avec le droit international coutumier."
16 La Chambre d'appel a également rappelé que "en droit international
17 coutumier, l'élément matériel de l'aide et l'encouragement consiste en une
18 aide matérielle, des encouragements, ou un soutien moral qui ont un effet
19 important sur la perpétration du crime," et que "l'élément moral nécessaire
20 est le fait de savoir que ces actes aident à la perpétration du crime."
21 Par la suite, dans l'arrêt Popovic et consorts, la Chambre d'appel a
22 confirmé que "en droit international coutumier, le fait que l'aide apportée
23 vise précisément à faciliter les crimes n'est pas un élément constitutif de
24 la responsabilité pour aider et encouragement."
25 Par conséquent, la Chambre d'appel, les Juges Agius et Afande étant
26 en désaccord, conclut que la Chambre de première instance a commis une
27 erreur de droit en exigeant que les actes du complice par aide et
28 encouragement visent précisément à faciliter la commission du crime. La
Page 110
1 Chambre d'appel, les Juges Agius et Afande étant en désaccord, font donc
2 droit à la branche A du deuxième moyen d'appel.
3 Compte tenu de sa conclusion relative à la branche A du deuxième
4 moyen d'appel, la Chambre d'appel, les Juges Agius et Afande étant en
5 désaccord, n'a pas à examiner les arguments de l'Accusation à l'appui de
6 l'autre branche de ce moyen d'appel et les déclare sans objet.
7 Je me pencherai à présent sur les conséquences des conclusions de la
8 Chambre d'appel sur la branche A du premier moyen d'appel et la branche A
9 du deuxième moyen d'appel.
10 Compte tenu de l'erreur relative à la participation à une entreprise
11 criminelle commune, l'Accusation demande à la Chambre d'appel, dans le
12 cadre de la branche A de son premier moyen d'appel, d'affirmer les
13 acquittements prononcés, d'appliquer aux preuves le critère juridique qui
14 convient et de déclarer Jovica Stanisic et Franko Simatovic coupable au
15 titre de l'article 7(1) du Statut de tous les chefs d'accusation pour avoir
16 participé à l'entreprise criminelle commune alléguée.
17 Compte tenu de l'erreur relative à l'aide et l'encouragement, l'Accusation
18 demande à la Chambre d'appel dans le cadre de la branche A de son deuxième
19 moyen d'appel, d'affirmer les acquittements prononcés, d'appliquer aux
20 preuves le critère juridique qui convient, et de déclarer Jovica Stanisic
21 et Franko Simatovic coupables au titre de l'article 7(1) du Statut de tous
22 les chefs d'accusation pour voir aider et encourager la commission des
23 crimes.
24 A titre subsidiaire, s'agissant des deux erreurs, l'Accusation demande à la
25 Chambre d'appel de "renvoyer l'affaire devant une Chambre du Tribunal afin
26 qu'elle applique le critère juridique qui convient aux éléments de preuve
27 versés au dossier de première instance et détermine la responsabilité de
28 Jovica Stanisic et de Franko Simatovic eu égard aux allégations formulées
Page 111
1 dans l'acte d'accusation."
2 Au procès en appel, l'Accusation a précisé qu'il ne s'agirait pas d'un
3 nouveau procès mais "d'un renvoi visant à se prononcer à nouveau sur des
4 pièces déjà produites au procès en première instance."
5 Franko Simatovic fait également valoir que si la Chambre d'appel conclut
6 que l'appel interjeté par l'Accusation est fondé, elle devrait renvoyer
7 l'affaire devant "une Chambre du Tribunal spécialement désignée afin que
8 celle-ci réexamine l'affaire en appliquant le critère juridique qui
9 convient."
10 La Chambre d'appel rappelle que, conformément aux critères bien établis
11 d'examen en appel, lorsqu'elle conclut à une erreur de droit dans le
12 jugement en première instance découlant de l'application d'un critère
13 juridique erroné, elle définit le critère juridique qui convient et
14 réexamine les constatations correspondantes en conséquence.
15 Compte tenu de la nature et de la portée des erreurs de droit identifiées
16 par la Chambre d'appel dans le cadre des branches A du premier et du
17 deuxième moyen d'appel, le Juge Agius étant en désaccord pour ce qui est de
18 l'erreur relative à l'aide et l'encouragement, et le Juge Afande étant en
19 désaccord pour ce qui est de l'erreur relative à la participation à une
20 entreprise criminelle commune et de l'erreur relative à l'aide et
21 l'encouragement, si la Chambre d'appel décidait d'examiner elle-même les
22 constatations du jugement correspondantes en appliquant les critères
23 juridiques qui conviennent, elle devrait d'abord se pencher sur l'erreur
24 relative à la participation à une entreprise criminelle commune et tirer
25 des conclusions concernant l'existence et la portée d'un objectif criminel
26 commun partagé par une pluralité des personnes, puis apprécier la
27 contribution apportée par Jovica Stanisic et Franko Simatovic et
28 l'intention requise dans le cadre de la participation à une entreprise
Page 112
1 criminelle commune. En fonction du résultat, la Chambre d'appel devrait
2 alors peut-être se pencher sur l'erreur relative à l'aide et
3 l'encouragement.
4 Cependant, la Chambre d'appel, le Juge Afande étant en désaccord,
5 estime qu'il serait inapproprié de mener cette analyse car la Chambre
6 devrait alors pour déterminer si elle est elle-même convaincue quant aux
7 conditions de la mise en œuvre de la responsabilité pour participer à une
8 entreprise criminelle commune et, le cas échéant, de la responsabilité pour
9 aide et encouragement, analyser l'entièreté du dossier sans avoir pu
10 entendre directement les témoins.
11 En effet, les éléments de preuve sur lesquels l'Accusation s'appuie pour
12 établir l'objectif criminel commun et l'élément moral requis pour la
13 responsabilité pour participation à une entreprise criminelle commune ont
14 un caractère indirect et il ne serait pas suffisant que la Chambre d'appel
15 porte son attention sur un nombre limité d'éléments de preuve ou sur les
16 conclusions figurant dans le jugement, qui ne sont pas représentatifs de
17 l'intégralité des éléments de preuve ayant rapport avec l'objectif criminel
18 commun ou la pluralité des personnes.
19 A cet égard, la Chambre d'appel souligne également l'ampleur et la
20 complexité de l'affaire, dont le dossier contient 4 843 pièces à conviction
21 et les témoignages ou déclarations écrites de 133 témoins, qui couvrent de
22 larges portions de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine sur une période
23 de quatre ans et demie, d'avril 1991 au 31 décembre 1995, et se rapportent
24 à de nombreux crimes visés au statut, à de nombreux groupes armés, et à
25 diverses personnes haut placées qui auraient été membres de l'entreprise
26 criminelle commune. Apprécier ce dossier dans son entièreté sans avoir
27 entendu directement les témoins ne permettrait pas à la Chambre d'appel de
28 déterminer avec équité et exactitude la responsabilité pénale de Jovica
Page 113
1 Stanisic et de Franko Simatovic.
2 A la lumière de ce qui précède, lorsqu'elle détermine ce qu'il convient de
3 faire, la Chambre d'appel peut exercer le pouvoir d'appréciation dont elle
4 dispose. Ce faisant, elle observe que, parmi les trois Juges de la Chambre
5 de première instance initiale qui ont entendu directement les témoins au
6 procès, deux ne sont plus en fonction au Tribunal. Il est donc impossible
7 de renvoyer l'affaire devant la Chambre de première instance initiale dont
8 les trois Juges auraient été les mieux placés pour tirer les conclusions
9 qui s'imposent sur la base du dossier initial.
10 Si l'affaire devait être renvoyée devant une Chambre de première instance
11 nouvellement composée pour se prononcer sur la seule base du dossier
12 initial, cette Chambre rencontrerait les mêmes difficultés que la Chambre
13 d'appel du fait qu'elle n'aurait pas entendu directement les témoins.
14 En conséquence, et rappelant qu'un procès en appel n'est pas un
15 procès de nouveau, la Chambre d'appel, le Juge Afande étant en désaccord,
16 conclut que dans cette affaire les circonstances requerrant un nouveau
17 jugement en application de l'article 117(C) du Règlement existent. La
18 Chambre d'appel, le Juge Afande étant en désaccord, ordonne un nouveau
19 procès de Jovica Stanisic et Franko Simatovic pour tous les chefs
20 d'accusation.
21 Enfin, si la nouvelle Chambre de première instance devait examiner la
22 responsabilité de M. Stanisic et de M. Simatovic pour avoir aidé et
23 encouragé les crimes, la Chambre d'appel, le Juge Agius et le Juge Afande
24 étant en désaccord, lui donne instruction d'appliquer, s'agissant de la
25 responsabilité pour aide et encouragement, les critères juridiques qui
26 conviennent, exposés plus haut, lesquels n'exigent que les actes de celui
27 qui aide et encourage visent précisément à faciliter la commission d'un
28 crime.
Page 114
1 Ayant fait droit aux branches 1(A) et 2(A) des moyens d'appel de
2 l'Accusation, ayant ordonné un nouveau procès, la Chambre d'appel, le Juge
3 Agius et le Juge Afande étant en désaccord, n'a pas à examiner le troisième
4 moyen d'appel soulevé par l'Accusation et le déclare sans objet.
5 Je vais à présent donner lecture du dispositif de l'arrêt de la Chambre
6 d'appel.
7 Monsieur Stanisic et Monsieur Simatovic, veuillez vous lever.
8 Par ces motifs, la Chambre d'appel :
9 En application de l'article 25 du Statut et des articles 117 et 118
10 du Règlement;
11 Ayant examiné les écritures des parties et leurs exposés présentés
12 pendant le procès en appel qui s'est tenu le 6 juillet 2015;
13 Siégeant en audience publique;
14 Fait droit, le Juge Afande en désaccord, à la branche A du premier
15 moyen d'appel de l'Accusation; et annule, le Juge Afande étant en
16 désaccord, la décision par laquelle la Chambre de première instance a
17 conclu pour tous les chefs d'accusation que Jovica Stanisic et Franko
18 Simatovic n'étaient pas coupables d'avoir commis, en participant à une
19 entreprise criminelle commune, le crime de meurtre, une violation des lois
20 ou coutumes de la guerre, et les crimes qui sont l'assassinat, l'expulsion
21 et les autres actes inhumains (transfert forcé) et les persécutions des
22 crimes contre l'humanité.
23 Fait droit, le Juge Agius et le Juge Afande étant en désaccord, à la
24 branche A du deuxième moyen d'appel de l'Accusation; et annule, le Juge
25 Agius et le Juge Afande étant en désaccord, la décision par laquelle la
26 Chambre de première instance a conclu pour tous les chefs d'accusation
27 Jovica Stanisic et Franko Simatovic n'étaient pas coupables d'avoir aidé et
28 encouragé le crime de meurtre, une violation des lois ou coutumes de la
Page 115
1 guerre, et les crimes que sont l'assassinat, l'expulsion, les autres actes
2 inhumains (transfert forcé) et les persécutions, des crimes contre
3 l'humanité;
4 Ordonne, le Juge Afande étant en désaccord, en conformité avec
5 l'article 117(C) du Règlement, un nouveau procès de Jovica Stanisic et
6 Franko Simatovic, pour tous les chefs d'accusation;
7 Ordonne, le Juge Agius et le Juge Afande étant en désaccord, à la
8 Chambre de première instance qui sera composée pour le nouveau procès, si
9 elle devait examiner la responsabilité pour aide et encouragement,
10 d'appliquer sur ce point les critères juridiques qui conviennent, établis
11 dans le présent arrêt, et qui n'exigent pas que les actes de celui qui aide
12 et encourage visent précisément à faciliter la commission des crimes;
13 Rejette pour le surplus les moyens d'appel de l'Accusation;
14 En application des articles 64, 107 et 118 du Règlement;
15 Ordonne, le Juge Afande étant en désaccord, la mise en détention
16 préventive de Jovica Stanisic et de Franko Simatovic et enjoint, le Juge
17 Afande étant en désaccord, au commandant du quartier pénitentiaire des
18 Nations Unies à La Haye de les maintenir en détention jusqu'à nouvel ordre.
19 Le Juge Carmel Agius joint une opinion séparée et partiellement
20 dissidente;
21 Le Juge Koffi Kumelio A. Afande joint une opinion dissidente.
22 Monsieur Stanisic et Monsieur Simatovic, vous pouvez vous rasseoir.
23 Des exemplaires de l'arrêt seront distribués aux parties à l'issue de cette
24 audience.
25 Avant de conclure, je voudrais remercier tous ceux qui ont assisté la
26 Chambre d'appel tout au long de cette affaire.
27 L'audience de la Chambre d'appel du Tribunal pénal international pour l'ex-
28 Yougoslavie est levée.
Page 116
1 --- L'audience est levée à 15 heures 31.
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28