Affaire n° : IT-01-42/2-I

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I

Composée comme suit :
M. le Juge Alphonsus Orie, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Joaquín Martín Canivell

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
2 juin 2004

LE PROCUREUR

c/

VLADIMIR KOVACEVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE

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Le Bureau du Procureur :

Mme Susan Somers
M. Philip Weiner

Le Gouvernement de Serbie-et-Monténégro :

Ambassade de Serbie-et-Monténégro
La Haye (Pays-Bas)

Les Conseils de l’Accusé :

M. Howard Morrison
Mme Tanja Radosavljevic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

Vu la requête aux fins de mise en liberté provisoire (la « Requête ») de Vladimir Kovacevic (l’« Accusé ») (Request for Provisional Release of Mr. Vladimir Kovacevic), déposée à titre confidentiel par la Défense le 23 avril 2004, par laquelle celle-ci demande que l’Accusé soit mis en liberté provisoire conformément aux dispositions de l’article 65 C) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement »), à la condition qu’il reçoive un traitement médical approprié dans un établissement spécialisé en Serbie-et-Monténégro, et prie également la Chambre de fixer une date pour la tenue de l’audience consacrée à l’examen de la Requête,

ATTENDU que, lors des comparutions initiales de l’Accusé le 3 novembre 2003 et, de nouveau, le 28 novembre 2003, la Défense a soulevé la question de savoir si ce dernier était apte à plaider coupable ou non coupable et s’il était en état d’être jugé et que, à ces deux occasions, la Chambre n’étant pas parvenue à trancher, elle ne l’avait donc pas autorisé à plaider coupable ou non coupable,

ATTENDU que la Chambre a ensuite décidé de demander un examen médical de l’Accusé afin de pouvoir établir, sur la base d’une expertise de psychiatrie légale, si l’Accusé est réellement apte à plaider coupable ou non coupable et s’il est en état d’être jugé,

VU le rapport médical relatif à la santé mentale de l’Accusé, émanant des deux experts médicaux désignés par le Tribunal et déposé le 17 décembre 2003 ainsi que le rapport déposé le 18 février 2004 par le psychiatre désigné par la Défense, les conclusions présentées par le psychiatre-conseil du quartier pénitentiaire des Nations Unies le 23 octobre 2003 et le 27 février 2004, et le rapport déposé par le commandant du quartier pénitentiaire des Nations Unies le 27 février 2004 (les « Rapports »),

ATTENDU que les Rapports, tous établis en fonction de l’expérience particulière et du champ de spécialité de leurs auteurs, incitent fortement à conclure que l’Accusé souffre actuellement de troubles mentaux graves qui le rendent à présent inapte à plaider coupable ou non coupable et à être jugé,

ATTENDU que, dans lesdits Rapports, il est également recommandé que l’Accusé soit soigné d’urgence dans un établissement psychiatrique où l’on parle le BCS, ce qui pourrait améliorer son état de santé,

ATTENDU que, compte tenu de ce qui précède, ce traitement – outre qu’il soulagera le patient qui en a besoin et qui a droit à celui-ci – est également nécessaire à ce stade de la procédure, afin de déterminer si l’Accusé, après avoir reçu les soins voulus, sera en état d’être jugé,

VU la lettre déposée le 1er juin 2004 par le Conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro et les pourparlers qui ont eu lieu entre le Gouvernement de Serbie-et-Monténégro et le Tribunal avant l’envoi de ladite lettre, par laquelle le Conseil indique que les autorités sont disposées à recevoir l’Accusé pour traitement à l’hôpital militaire de Belgrade, selon les conditions fixées par la Chambre,

ATTENDU que la teneur de la lettre déposée le 1er juin 2004 par le Conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro, et les pourparlers qui l’ont précédée, répondent aux exigences posées à l’article 65 B) du Règlement dans le sens où, en l’espèce, on considérera que l’approbation écrite donnée par l’État sur le territoire duquel la Défense de l’Accusé demande sa mise en liberté provisoire tient lieu de comparution officielle devant donner à cet État la possibilité d’être entendu devant le Tribunal avant que la Chambre ne prenne sa décision,

ATTENDU que la Chambre est convaincue par les garanties apportées par le Conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro dans sa lettre déposée le 1er juin 2004, à savoir que l’Accusé comparaîtra à son procès s’il est finalement déclaré être en état d’être jugé et qu’il ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne,

ATTENDU, par conséquent, que la Chambre est rassurée quant au fait que les conditions relatives à une mise en liberté provisoire au sens de l’article 65 du Règlement sont en l’espèce bien remplies,

ATTENDU que, la Chambre le rappelle, la mise en liberté provisoire de l’Accusé en l’espèce a pour but de le faire bénéficier du traitement médical spécialisé dont il a besoin, jusqu’au moment où la Chambre pourra dire définitivement si l’Accusé est apte à être jugé,

ATTENDU que, dans ces conditions, la Chambre est résolue à mettre l’Accusé en liberté provisoire aux conditions énoncées ci-dessous, pour une période initiale de six mois, à l’issue de laquelle elle procédera à un état de la situation et, en fonction de la santé mentale de l’Accusé à ce moment-là, prendra toutes les décisions qu’elle jugera utiles,

ATTENDU que la Chambre entend être tenue informée de l’état de santé de l’Accusé durant la période de sa mise en liberté provisoire et la première phase du traitement, et exige en conséquence que lui soient fournis des rapports bimestriels établis par le personnel traitant de l’établissement psychiatrique et un bilan complet de l’état de santé mental de l’Accusé qui devra être pratiqué au bout de six mois par des experts médicaux extérieurs,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 54, 65 B) et C) du Règlement,

SUSPEND la procédure engagée devant elle à l’encontre de l’Accusé, pour une période de six mois à compter de la date de la mise en liberté provisoire de celui-ci, et

ORDONNE la mise en liberté provisoire de l’Accusé en République de Serbie-et-Monténégro pour une période initiale de six mois, dans les conditions suivantes :

    1. l’Accusé acceptera d’être soigné dans un établissement psychiatrique situé en République de Serbie-et-Monténégro et désigné par le Gouvernement de Serbie-et-Monténégro,
    2. l’Accusé ne devra pas quitter les locaux de l’établissement psychiatrique, sauf si son traitement l’exige et seulement après avoir reçu l’accord de la Chambre,
    3. l’Accusé ne doit en aucune façon entrer en rapport avec des victimes ou des témoins potentiels ou tenter des les influencer ni entraver d’une autre manière la procédure ou l’administration de la justice,
    4. l’Accusé ne doit discuter de son affaire avec personne d’autre que son psychiatre ou psychologue et son conseil,
    5. l’Accusé doit observer strictement toute ordonnance de la Chambre qui modifierait les conditions de sa mise en liberté provisoire ou y mettrait un terme,

DEMANDE au Gouvernement de Serbie-et-Monténégro conformément aux lois applicables en la matière :

a) d’assurer un traitement adapté à l’Accusé dans un établissement psychiatrique en Serbie-et-Monténégro, correspondant au diagnostic et aux conclusions émanant des Rapports susmentionnés ;

b) de permettre à des experts médicaux, désignés par le Tribunal, de rendre visite à l’Accusé et de l’examiner à tout moment au cours de son traitement à l’établissement psychiatrique ;

c) de présenter tous les deux mois à la Chambre un rapport sur l’état de santé de l’Accusé devant être établi par le personnel médical traitant de l’établissement psychiatrique ;

d) de s’assurer que l’Accusé comparaîtra devant le Tribunal ;

e) de s’assurer que l’Accusé ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne ;

f) de s’assurer que l’Accusé ne quittera pas les locaux de l’établissement psychiatrique sauf si son traitement l’exige et que la Chambre a donné son accord ;

g) de se conformer à toute ordonnance de la Chambre modifiant les conditions de la liberté provisoire de l’Accusé ou y mettant un terme ;

h) de faire immédiatement rapport à la Chambre de toute inobservation des conditions énoncées ci-dessus ;

i) de couvrir tous les frais concernant le traitement de l’Accusé et son transport depuis l’aéroport de Schiphol jusqu’à l’établissement psychiatrique et retour ;

j) de permettre et faciliter toutes formes de coopération et de communication avec la Chambre, le Greffe, les parties et les experts médicaux concernés par cette affaire, et de veiller à la confidentialité de telles communications ; et

PRIE le Greffier :

    1. de désigner, selon la procédure exposée dans l’ordonnance de la Chambre du 17 novembre 2003 relative à la désignation d’experts médicaux, deux experts médicaux, autres que les membres du personnel médical traitant en Serbie-et-Monténégro, pour faire le bilan de l’état de santé de l’Accusé six mois après sa mise en liberté provisoire ;
    2. de prendre les dispositions nécessaires en vue du transport de l’Accusé par les autorités néerlandaises depuis le quartier pénitentiaire des Nations Unies jusqu’à l’aéroport de Schiphol aux Pays-Bas et, en temps opportun, pour son retour ; et
    3. de s’assurer que l’Accusé, à l’aéroport de Schiphol, sera mis en liberté provisoire sous la garde d’un représentant désigné du Gouvernement de Serbie-et-Monténégro, qui l’accompagnera durant le reste de son voyage jusqu’à l’établissement psychiatrique situé en Serbie-et-Monténégro et lors de son voyage de retour à l’aéroport de Schiphol, avant son transfert au Tribunal.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 2 juin 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
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Alphonsus Orie

[Sceau du Tribunal]