Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 17 juillet 2008

  2   [Jugement en appel]

  3   [Audience publique]

  4   [L'appelant est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 33.

  6   Mme LE JUGE VAZ : Mesdames, Messieurs, bonjour.

  7   C'est M. ou Mme le Greffier ?

  8   Madame le Greffier, veuillez, je vous prie, appeler l'audience qui est

  9   inscrite au rôle de la présente audience.

 10   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges.

 11   Il s'agit de l'affaire IT-01-42-A, le Procureur contre Pavle Strugar.

 12   Mme LE JUGE VAZ : Nous remercions Mme le Greffier.

 13   J'aimerais savoir si M. Strugar peut entendre et suivre le déroulement des

 14   procédures dans une langue qu'il comprend ?

 15   L'APPELANT : [interprétation] Je n'entends pas l'interprétation.

 16   Mme LE JUGE VAZ : Si vous voulez bien reprendre, Monsieur Strugar ?

 17   L'APPELANT : [hors micro]

 18   L'INTERPRÈTE : Le microphone était éteint.

 19   Mme LE JUGE VAZ : Nous devons en déduire que M. Strugar est en mesure de

 20   suivre le déroulement des procédures dans une langue qu'il comprend, et à

 21   présent je demande aux parties de bien vouloir --

 22   L'APPELANT : [interprétation] Oui, je peux suivre, Madame le Juge. Oui,

 23   maintenant j'entends l'interprétation.

 24   Mme LE JUGE VAZ : Très bien. Nous vous remercions, Monsieur Strugar.

 25   Je demande donc, je disais maintenant aux parties de bien vouloir

 26   s'identifier en commençant par la Défense de M. Strugar, s'il vous plaît.

 27   M. RODIC : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. La

 28   Défense de Pavle Strugar est représentée par M. Goran Rodic de Petrovica et

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  1   M. Vladimir Petrovic de Belgrade.

  2   Mme LE JUGE VAZ : La Défense. A présent, je me tourne vers le banc du

  3   Procureur, si le bureau du Procureur veut bien également s'identifier.

  4   Mme BRADY : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Helen

  5   Brady, Michelle Jarvis, Laurel Baig et notre commis à l'affaire, Sebastian

  6   va Hooydonk.

  7   Mme LE JUGE VAZ : La présente audience est consacrée à l'affaire le

  8   Procureur contre Pavle Strugar. Comme indiqué dans l'ordonnance portant

  9   calendrier du 18 juin 2008, la Chambre d'appel est réunie aujourd'hui pour

 10   procéder au prononcé de l'arrêt dans cette affaire en application de

 11   l'article 15 bis du Statut et de l'article 117(D) du Règlement de procédure

 12   et de preuve du Tribunal.

 13   Conformément à l'usage du Tribunal, je ne donnerai pas lecture du texte de

 14   l'arrêt, à l'exception de son dispositif. Après avoir appelé les

 15   principales questions soulevées dans le cadre de cette procédure, je ferai

 16   état des conclusions de la Chambre d'appel. Je tiens à souligner que le

 17   résumé qui suit ne fait pas partie intégrante de l'arrêt. Seul fait

 18   autorité l'exposé des conclusions et des motifs de la Chambre d'appel que

 19   l'on trouve dans le texte écrit de l'arrêt dont des copies seront remises -

 20   - seront mises à la disposition des parties à l'issue de l'audience.

 21   Les faits donnant lieu au présent appel se sont produits pendant la

 22   campagne militaire menée par les troupes de l'ancienne armée populaire

 23   yougoslave, la JNA, dans la région de Dubrovnik, Croatie, en octobre,

 24   novembre et décembre 1991. Selon le jugement rendu le 31 janvier 2005 par

 25   la Chambre de première instance, dans le cadre d'une attaque ordonnée par

 26   Strugar contre Srd, le 3e Bataillon de la 472e Brigade motorisée avait

 27   bombardé la vieille ville de Dubrovnik. La Chambre de première instance a

 28   conclu que ces unités étaient subordonnées au 2e Groupe opérationnel, le 2e

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  1   GO, dont le général Strugar a pris le commandement le 12 octobre 1991. La

  2   Chambre a estimé que ce bombardement était délibéré, qu'il ne constituait

  3   pas une riposte aux positions croates ou d'autres positions militaires

  4   réelles ou supposées, et qu'il avait causé des dommages considérables à la

  5   vieille ville. Elle a, entre autres, constaté que le bombardement de la

  6   vielle ville avait fait deux morts et deux blessés, aucune des victimes ne

  7   participant activement aux hostilités. Sur cette base, la Chambre de

  8   première instance a condamné Strugar à une peine unique de huit ans

  9   d'emprisonnement pour les chefs d'accusation suivants : le chef 3, attaque

 10   contre des civils aux termes des articles 3 et 7(3) du Statut; le chef 6,

 11   destruction ou endommagement délibéré de biens culturels aux termes des

 12   articles 3(d) et 7(3) du Statut.

 13   Les deux parties ont interjeté appel contre le jugement de première

 14   instance. A la demande des parties, la Chambre de première instance a

 15   autorisé le retrait de ces appels le 20 septembre 2006, puis la réouverture

 16   du procès en appel le 7 juin 2007. M. Strugar demande à la Chambre d'appel

 17   de l'acquitter de tous les chefs d'accusation retenus contre lui ou,

 18   alternativement, d'ordonner un nouveau procès ou de réduire

 19   substantiellement la peine qui lui a été infligée. Il demande également à

 20   la Chambre de première instance de surseoir aux procédures judiciaires le

 21   concernant en raison du fait qu'il était et est toujours inapte à être

 22   jugé. Le Procureur demande le rejet de tous les motifs d'appel avancés par

 23   Strugar et soulève trois motifs d'appel dans lesquels il allègue des

 24   erreurs de droit et de faits concernant l'étendue de l'obligation de

 25   Strugar de prévenir le bombardement illégal de la vielle ville, des erreurs

 26   relatives au cumul des déclarations de culpabilité et à la peine.

 27   Avant de passer en revue ces motifs d'appel, il convient de rappeler

 28   brièvement les critères applicables à l'examen en appel.

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  1   Les appels formés contre le jugement sont des procédures de nature

  2   corrective qui ne donne pas lieu à un procédé nouveau. Ainsi, il ressort de

  3   l'article 25 du Statut, que le rôle de la Chambre d'appel se limite à

  4   corriger les erreurs de droit qui invalident une décision et les erreurs de

  5   faits qui ont entraîné un déni de justice.

  6   En ce qui concerne les erreurs de faits, il est de jurisprudence constante

  7   que la Chambre d'appel n'infirme pas à la légère les conclusions de faits

  8   dégagées par une Chambre de première instance. Par conséquent, la Chambre

  9   de première instance n'infirmera ses constatations que lorsqu'aucun juge

 10   des faits raisonnable n'aurait pu parvenir à la même conclusion ou lorsque

 11   celle-ci est totalement erronée. Quant à la détermination de la peine, la

 12   Chambre de première instance ne révise une peine que si la Chambre de

 13   première instance a commis une erreur manifeste dans l'exercice de ses

 14   larges pouvoirs discrétionnaires ou à déloger aux règles de droit

 15   applicables.

 16   La Chambre de première instance peut d'emblée rejeter sans avoir à les

 17   examiner sur le fond les arguments présentés par une partie qui n'ont

 18   aucune chance d'aboutir à l'annulation ou la réformation de la décision

 19   attaquée. Enfin, il convient de rappeler que la Chambre de première

 20   instance dispose d'un pouvoir discrétionnaire inhérent pour déterminer

 21   quels sont les arguments qui méritent d'une réponse motivée par écrit et

 22   rejettera donc sans examen approfondi les arguments qui sont manifestement

 23   mal fondés.

 24   Je vais maintenant passer à l'examen des moyens d'appel soulevés par les

 25   parties.

 26   La Chambre de première instance a tout d'abord décidé d'examiner le

 27   cinquième motif d'appel présenté par Strugar dans la mesure où il allègue

 28   une inaptitude à être jugé, puisque son acceptation pourrait rendre les

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  1   autres motifs d'appel sans objet.

  2   Dans sa décision du 26 mai 2004, la Chambre de première instance a conclu

  3   que l'aptitude à être jugé était une question, qui, tout en étant

  4   indubitablement liée à l'état physique et mental de l'accusé, ne se

  5   limitait pas seulement à établir si un trouble donné est présent, mais

  6   qu'il convenait plutôt de déterminer si l'accusé était capable d'exercer

  7   efficacement ses droits dans le cadre de la procédure engagée contre lui.

  8   Après avoir analysé les arguments des parties à ce sujet, ainsi que les

  9   nombreuses sources juridiques pertinentes en la matière, la Chambre de

 10   première instance conclut que la Chambre de première instance n'a pas

 11   commis d'erreur en définissant le standard applicable à la détermination de

 12   l'aptitude à être jugé. En effet, le critère d'une telle détermination doit

 13   être celui de la participation rationnelle permettant à l'accusé d'exercer

 14   son droit à un procès équitable au point qu'il soit capable de participer à

 15   son procès de manière effective et d'avoir une compréhension des éléments

 16   de procédure essentiels.

 17   La Chambre d'appel est également en accord avec l'application par la

 18   Chambre de première instance du standard juridique au fait de la présente

 19   affaire. Plus particulièrement, et au vu des conclusions ci-dessus, la

 20   Chambre d'appel convient avec la Chambre de première instance que le

 21   rapport préparé par l'expert de la Défense a fixé à tort un niveau de

 22   compréhension trop élevé pour apprécier l'aptitude à être jugé en soutenant

 23   notamment que l'accusé devait avoir la capacité de comprendre pleinement le

 24   déroulement des débats au procès et les éléments de preuve pour opposer une

 25   véritable défense.

 26   A cet égard, la Chambre d'appel souligne que l'aptitude à être jugé doit

 27   être distinguée de l'aptitude à assurer soi-même sa défense.

 28   S'agissant des griefs faits par Strugar à la Chambre de première instance

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  1   de ne pas avoir tenu compte de son état de santé général, la Chambre

  2   d'appel estime que la Chambre de première instance a souligné à juste titre

  3   qu'un diagnostic ne suffisait pas à lui seul pour déterminer si une

  4   personne était ou non apte à être jugée. Par conséquent, au lieu d'examiner

  5   chaque maladie présumée ou avérée dont souffrait l'accusé à l'époque, elle

  6   a correctement centré son analyse sur les conclusions et les appréciations

  7   concernant les facultés de ce dernier, relatives à l'exercice effectif de

  8   ses droits.

  9   Au vu de l'ensemble des éléments du dossier, la Chambre d'appel confirme

 10   les conclusions de la Chambre de première instance selon lesquelles Strugar

 11   comprenait la nature des accusations portées contre lui, le déroulement des

 12   débats et les éléments de preuve dans le détail et pouvait témoigner et

 13   donner des instructions à ses conseils.

 14   Par conséquent, la Chambre d'appel conclut que Strugar souffrant certes

 15   d'un certain nombre de troubles somatiques et mentaux, était apte à être

 16   jugé étant donné qu'il bénéficiait de l'assistance de conseils qualifiés.

 17   Le cinquième motif d'appel soulevé par Strugar est donc rejeté dans son

 18   intégralité.

 19   Examinons à présent les premier et troisième motifs d'appel dans le cadre

 20   desquels Strugar fait valoir que la Chambre de première instance a commis

 21   un certain nombre d'erreurs de faits.

 22   Premièrement, la Chambre d'appel rejette sans examen approfondi plusieurs

 23   des arguments de Strugar concernant les détails des opérations de combat

 24   menées par la JNA dans la région de Dubrovnik en octobre novembre 1991,

 25   parce qu'ils sont manifestement infondés. Pour ce qui est de l'argument

 26   selon lequel la Chambre de première instance a conclu à tort que l'élément

 27   moral nécessaire pour établir sa responsabilité de supérieur hiérarchique

 28   en application de l'article 7(3) du Statut était rempli, la Chambre d'appel

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  1   est d'avis qu'il était raisonnable pour la Chambre de première instance de

  2   conclure que l'amiral Jokic avait mené une enquête sur les événements de

  3   novembre 1991 et que Strugar avait connaissance du bombardement de la

  4   vieille ville de Dubrovnik en octobre et novembre 1991. Par conséquent, ce

  5   grief est rejeté.

  6   Deuxièmement, en ce qui concerne les erreurs alléguées en rapport avec des

  7   événements -- avec les événements des 3 et 5 décembre 1991, la Chambre

  8   d'appel rejette sans motivation détaillée les arguments de Strugar

  9   concernant la conduite des négociations avec les ministres croates, le rôle

 10   joué par l'amiral Jokic dans les événements du 5 décembre 1991, les

 11   réalités militaires de la JNA et le témoignage du lieutenant-colonel

 12   Jovanovic, parce qu'ils sont manifestement infondés.

 13   Quant à l'ordre d'attaquer Srd, la Chambre d'appel conclut que Strugar n'a

 14   pas démontré que les constatations de la Chambre de première instance était

 15   déraisonnables. Notamment, il n'a pas démontré comment le fait que la

 16   Chambre de première instance n'ait pas clarifié le contenu de l'ordre

 17   d'attaquer Srd affecte sa condamnation ou sentence. Le contenu exact de cet

 18   ordre n'affecte pas les conclusions de la Chambre de première instance

 19   selon lesquelles Strugar a ordonné une attaque, avait la capacité

 20   matérielle de prévenir et de mettre fin aux bombardements de la vieille

 21   ville, et avait les moyens de communiquer avec ses subordonnés au cours de

 22   l'attaque.

 23   La Chambre d'appel conclut également que Strugar n'a pas démontré que

 24   l'appréciation portée par la Chambre de première instance sur les

 25   témoignages de Colm Doyle et du colonel Svicevic était déraisonnable. Par

 26   conséquent, ce grief est rejeté.

 27   Troisièmement, eu égard aux erreurs alléguées relatives aux événements du 6

 28   décembre 1991, la Chambre d'appel rejette sans examen approfondi les

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  1   arguments de Strugar concernant le témoignage du capitaine de frégate

  2   Handzijev et les propriétaires des bâtiments endommagés dans la vieille

  3   ville, parce qu'ils sont manifestement infondés.

  4   La Chambre d'appel estime par ailleurs que Strugar n'a pas démontré que les

  5   conclusions de la Chambre de première instance concernant les rapports

  6   préparés par l'amiral Jokic et le capitaine Nesic, les positions de tir

  7   croates ou la présence d'armes lourdes croates dans la vieille ville le 6

  8   décembre 1991, et le rapport du témoin expert Janko Vilicic étaient

  9   déraisonnables.

 10   En ce qui concerne la conversation de Strugar avec le général Kadijevic, la

 11   Chambre d'appel conclut que Strugar n'a pas montré qu'aucun juge des faits

 12   raisonnable n'aurait pu arriver aux conclusions de la Chambre de première

 13   instance, notamment qu'il avait connaissance du risque réel et sérieux de

 14   voir l'artillerie répéter son comportement antérieur et commettre des

 15   infractions semblables. En ce qui concerne la conclusion de la Chambre de

 16   première instance selon laquelle il est très improbable qu'il n'ait pas

 17   reçu des rapports sur l'attaque contre la vieille ville, la Chambre d'appel

 18   est d'avis que la Chambre de première instance a établi de manière

 19   raisonnable que le 2e GO avait la structure organisationnelle fondamentale

 20   pour lui permettre de contrôler des opérations de combat et qu'il recevait

 21   des rapports de combat des unités qui lui étaient directement subordonnées.

 22   La Chambre de première instance a par ailleurs établi de manière

 23   raisonnable et étayée les nombreux moyens par lesquels Strugar aurait pu

 24   obtenir des informations sur l'attaque contre Srd. Enfin, en ce qui

 25   concerne le statut de Mato Valjalo et Ivo Vlasica, la Chambre d'appel

 26   estime qu'un juge des faits raisonnable aurait pu conclure au-delà de tout

 27   doute raisonnable qu'en sa qualité de chauffeur au service de la cellule de

 28   Crise de la municipalité de Dubrovnik, Mato Valjalo ne participait pas

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  1   activement aux hostilités lorsqu'il a été blessé. Par ailleurs, bien qu'il

  2   aurait été préférable pour la Chambre de première instance de le faire de

  3   manière plus explicite, la Chambre d'appel est d'avis que la Chambre de

  4   première instance a établi au-delà de tout doute raisonnable que Mato

  5   Valjalo et Ivo Vlasica étaient à l'époque des civils. Par conséquent, ce

  6   grief est rejeté.

  7   Quatrièmement, pour ce qui est des allégations d'erreurs concernant le

  8   manquement de Strugar à l'obligation qu'il avait de prévenir les crimes, la

  9   Chambre d'appel rejette sans examen approfondi les arguments relatifs à la

 10   structure de commandement du 2e GO, parce qu'ils sont manifestement

 11   infondés. En ce qui concerne la capacité matérielle de prévenir les crimes,

 12   contrairement à ce qu'affirme Strugar, la Chambre de première instance ne

 13   l'a pas confondu avec la position qu'il occupait au sein de la structure de

 14   commandement.

 15   Pour chacune des conclusions qu'elle a tirée concernant l'autorité de jure

 16   que Strugar exerçait sur les forces ayant participé au commandement de la

 17   vieille ville, la Chambre de première instance s'est fondée sur des

 18   exemples montrant que l'autorité de jure qu'il exerçait au sein de la

 19   structure de commandement du 2e GO se matérialisait aussi dans ses pouvoirs

 20   de faits.

 21   Par ailleurs, compte tenu de ses autres conclusions, notamment celles

 22   portant sur la structure du 2e GO et sur les moyens dont Strugar disposait

 23   pour obtenir des informations supplémentaires concernant l'attaque contre

 24   Srd, la Chambre d'appel considère que les conclusions tirées par la Chambre

 25   de première instance selon lesquelles Strugar n'a pas pris les mesures

 26   nécessaires et raisonnables pour mettre fin à tout le moins au bombardement

 27   illégal de la vieille ville, étaient raisonnables. Par conséquent, ce grief

 28   est rejeté.

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  1   Cinquièmement, concernant des erreurs alléguées relatives aux événements du

  2   6 décembre 1991, la Chambre d'appel rejette sans motivation détaillée les

  3   arguments de Strugar relatifs à sa capacité matérielle de punir les crimes

  4   et décider des promotions et décorations des personnes impliquées dans le

  5   bombardement de la vieille ville, parce qu'ils sont manifestement infondés.

  6   En ce qui concerne son manquement à l'obligation de prendre des mesures

  7   suite aux événements du 6 décembre 1991, la Chambre d'appel est d'avis

  8   qu'il était raisonnable pour la Chambre de première instance de conclure

  9   que le général Kadijevic a accepté la suggestion de l'amiral Jokic de mener

 10   une enquête sur les événements du 6 décembre 1991, et que l'enquête menée

 11   par ce dernier s'est avérée une imposture. Une majorité de la Chambre

 12   d'appel, les Juges Meron et Kwon étant en désaccord, est également d'avis

 13   que Strugar savait que cette enquête était une imposture et que ce dernier

 14   n'était pas en fait exclu du processus d'enquête menée par l'amiral Jokic.

 15   Cette majorité conclut qu'il était raisonnable pour la Chambre de première

 16   instance de conclure que Strugar était à tout le moins disposé à accepter

 17   une situation dans laquelle il ne serait pas directement impliqué, confiant

 18   de faits à son subordonné immédiat, l'amiral Jokic, le soin d'ouvrir une

 19   enquête et de prendre des mesures et des décisions d'ordre disciplinaire ou

 20   autre. Par conséquent, ce grief est rejeté.

 21   Au vu de ce qui précède, la Chambre d'appel rejette à la majorité les

 22   premier et troisième motifs d'appel de Strugar.

 23   Au titre de son deuxième motif d'appel, Strugar soutient tout d'abord

 24   que la Chambre de première instance a conclu à tort qu'il existait un lien

 25   de subordination. La Chambre d'appel rappelle que le pouvoir qu'a le

 26   supérieur hiérarchique de donner des ordres ne permet pas automatiquement

 27   d'établir que ce dernier exerçait un contrôle effectif sur ses subordonnés,

 28   mais il s'agit d'un élément pertinent pour établir le contrôle effectif.

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  1   Comme la Chambre d'appel l'a jugé dans l'arrêt Halilovic, les ordres en

  2   question devront être examinés soigneusement en tenant compte de l'ensemble

  3   des éléments de preuve afin de déterminer le degré de contrôle exercé sur

  4   les auteurs des crimes. La nature des ordres que le supérieur peut donner,

  5   la nature du pouvoir qu'il détient à la matière, et le fait que ses ordres

  6   soient ou non suivis des faits sont des éléments qui doivent être pris en

  7   considération pour déterminer s'il avait la capacité matérielle de prévenir

  8   les crimes et d'en punir les auteurs.

  9   A cet égard, compte tenu de la nature des ordres que Strugar avait le

 10   pouvoir de donner, de la nature des négociations pour lesquelles il était

 11   habilité à représenter la JNA, de celles de ses fonctions en tant que

 12   commandant du 2e GO, du fait que ses ordres étaient effectivement suivis et

 13   que le système de justice militaire fonctionnait encore à l'époque des

 14   faits, la Chambre d'appel conclut que la Chambre de première instance a

 15   raisonnablement retenu que Strugar avait la capacité matérielle de prévenir

 16   le bombardement illicite de la vieille ville et de punir ses subordonnés.

 17   Par conséquent, la Chambre de première instance a appliqué correctement la

 18   condition de l'existence d'un lien de subordination au fait de l'espèce. Ce

 19   grief est donc rejeté. Dans la deuxième branche de ce motif d'appel,

 20   Strugar avance que la Chambre de première instance a tiré des conclusions

 21   erronées s'agissant de l'élément moral du crime d'attaque contre des civils

 22   et de destruction ou endommagement délibéré de biens culturels, notamment

 23   en ce qui concerne les conclusions sur l'intention directe.

 24   La Chambre d'appel rappelle que pour en être tenu pénalement responsable,

 25   l'auteur d'une attaque contre des civils doit avoir agi intentionnellement.

 26   En d'autres termes, l'élément moral requis pour ce crime est établi lorsque

 27   les actes de violence qui constituent ce crime ont été intentionnellement

 28   perpétrés contre des civils, que ces derniers aient été visés délibérément,

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  1   et que l'auteur des actes aient été totalement indifférent à leur

  2   conséquence. Par conséquent, cette définition englobe les notions

  3   d'intention directe et d'intention indirecte évoquée par la Chambre de

  4   première instance et Strugar.

  5   En ce qui concerne l'élément moral du crime de destruction ou

  6   endommagement délibéré de biens culturels, il est établi, si la destruction

  7   ou l'endommagement visait des biens culturels intentionnellement, c'est-à-

  8   dire soit délibérément, soit avec le dol éventuel. En l'espèce, compte tenu

  9   de la totalité des éléments de preuve, la Chambre de première instance

 10   était convaincue que les auteurs de l'attaque du 6 décembre 1991 avaient

 11   agi sciemment, en ayant conscience des conséquences de leurs actes et en

 12   voulant qu'elles se produisent.

 13   Strugar n'a pas démontré en quoi ces conclusions sont déraisonnables.

 14   Le grief est par conséquent rejeté. Au vu de ce qui précède, la Chambre

 15   d'appel rejette le deuxième motif d'appel de Strugar dans son intégralité.

 16   Pour ce qui est du premier moyen d'appel du Procureur, la Chambre d'appel

 17   estime que la Chambre de première instance a commis une erreur de droit en

 18   n'appliquant pas le critère qu'il convenait s'agissant de l'élément moral

 19   requis à l'article 7(3) du Statut en concluant qu'avant l'attaque contre

 20   Srd lancée aux premières heures du 6 décembre 1991, Strugar ne savait pas

 21   et n'avait pas de raisons de savoir que ses subordonnés s'apprêtaient à

 22   commettre un crime.

 23   Plus particulièrement, la Chambre de première instance s'est trompée en

 24   estimant que le fait que Strugar ait su que ses forces risquaient de

 25   bombarder illégalement la vieille ville ne suffisait pas pour conclure

 26   qu'il possédait l'élément moral requis par l'article 7(3) du Statut, et que

 27   pour cela il devait savoir qu'il existait une réelle probabilité ou un

 28   risque réel et sérieux que ses forces bombardent la vieille ville.

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  1   La Chambre de première instance a estimé à tort que l'élément moral requis

  2   par l'article 7(3) exigeait de rapporter la preuve que le supérieur savait

  3   que ses subordonnés risquaient très probablement de commettre des crimes.

  4   A ce propos, la Chambre d'appel rappelle que pour tenir un supérieur

  5   responsable sur la base de l'article 7(3) du Statut, il suffit de prouver

  6   qu'il savait que ses subordonnés pourraient commettre des crimes.

  7   Ayant conclu que la Chambre de première instance a commis une erreur de

  8   droit en appliquant un critère juridique erroné, la Chambre d'appel doit

  9   appliquer le critère qui convient aux faits constatés par la Chambre de

 10   première instance et déterminer si elle est elle-même convaincue au-delà de

 11   tout doute raisonnable que Strugar disposait avant le début de l'attaque

 12   contre Srd d'information suffisamment alarmante au sens entendu par le

 13   critère "avait des raisons de savoir."

 14   Selon la Chambre d'appel, la seule conclusion que l'on pouvait

 15   raisonnablement tirer au vu des constatations faites par la Chambre de

 16   première instance et que, ayant été mis en garde contre le risque d'une

 17   attaque et alerté de la nécessité d'ouvrir une enquête, Strugar avait des

 18   raisons de savoir au sens de l'article 7(3) du Statut que ses subordonnés

 19   étaient sur le point de commettre des crimes, mais n'a rien fait pour les

 20   empêcher.

 21   Au vu de ce qui précède, la Chambre d'appel accueille le premier motif

 22   d'appel du Procureur.

 23   En son deuxième motif d'appel, le Procureur soutient que la Chambre de

 24   première instance a versé dans l'erreur en refusant de cumuler les

 25   déclarations de culpabilité prononcées pour les chefs d'accusation 4,

 26   dévastation non justifiée par les exigences militaires; 5, attaques

 27   illégales contre des biens de caractère civil; et 6, destruction ou

 28   endommagement délibéré de biens culturels.

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  1   La Chambre d'appel note qu'après avoir conclu que chacune des infractions

  2   comportait en théorie des éléments nettement distincts faisant défaut aux

  3   autres, la Chambre de première instance a jugé que les chefs 4 et 5

  4   portaient pas d'éléments nettement distincts compte tenu des circonstances

  5   dans lesquelles ces crimes avaient été commis.

  6   La Chambre d'appel considère qu'en appliquant le critère Celebici aux

  7   circonstances particulières de l'espèce, la Chambre de première instance a

  8   commis par là même une erreur de droit. La Chambre d'appel reforme le

  9   jugement en conséquence et prononce une déclaration de culpabilité pour les

 10   chefs 4 et 5.

 11   Au vu de ce qui précède, la Chambre d'appel accueille le deuxième moyen

 12   d'appel du Procureur.

 13   Examinons enfin les motifs d'appel relatifs à la peine formulés par les

 14   deux parties : le quatrième motif d'appel de Strugar et le troisième motif

 15   d'appel du Procureur.

 16   Strugar prétend que la Chambre de première instance a commis une erreur en

 17   comparant sa condamnation à celle de Miodrag Jokic en n'attachant pas aux

 18   excuses qu'il a présentées l'importance qu'elles méritent, et en

 19   n'accordant pas suffisamment de poids à certaines circonstances

 20   atténuantes. Le Procureur soutient que la Chambre de première instance

 21   s'est trompée en comparant la condamnation de Strugar à celle de Miodrag

 22   Jokic et en estimant que les excuses présentées par Strugar constituaient

 23   une circonstance atténuante.

 24   En ce qui concerne la comparaison de la peine de Strugar avec celle

 25   infligée à Jokic, la Chambre d'appel souligne que conformément à sa

 26   jurisprudence constante, la comparaison entre l'affaire Strugar et

 27   l'affaire Jokic n'est que l'un des éléments dont la Chambre de première

 28   instance a tenu compte pour fixer la peine. La Chambre d'appel estime que

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  1   la Chambre de première instance a eu raison d'accorder un poids limité à la

  2   peine infligée à Jokic. En effet, pour la Chambre d'appel il existe des

  3   différences importantes entre l'affaire Strugar et l'affaire Jokic.

  4   La Chambre d'appel conclut donc que les parties n'ont pas montré que la

  5   Chambre de première instance avait commis une erreur manifeste en faisant

  6   brièvement référence à l'affaire Jokic.

  7   En ce qui concerne la déclaration de Strugar à la fin de son procès,

  8   la Chambre d'appel comprend que la Chambre de première instance a estimé

  9   que Strugar avait exprimé dans sa déclaration la peine qu'il ressentait

 10   pour les victimes et non les remords qu'il éprouvait. En effet, la Chambre

 11   de première instance a simplement dit qu'elle était convaincue que l'accusé

 12   était sincère en soulignant expressément qu'elle n'était pas d'accord avec

 13   ce qu'il avait dit dans sa dernière phrase. La Chambre d'appel estime que

 14   la conclusion de la Chambre de première instance sur ce point était

 15   parfaitement raisonnable, sachant que Strugar n'avait à aucun moment

 16   reconnu le caractère moralement blâmable de ses actes.

 17   Enfin, la Chambre d'appel estime que Strugar n'a pas démontré que la

 18   Chambre de première instance n'avait pas pris en compte tous les éléments

 19   de preuve qui lui avaient été présentés pour apprécier ces circonstances

 20   atténuantes ni qu'elle avait commis une erreur d'appréciation concernant le

 21   poids à accorder aux circonstances atténuantes.

 22   Au vu de ce qui précède, la Chambre d'appel rejette le quatrième motif

 23   d'appel de Strugar et le troisième motif d'appel du Procureur.

 24   Cela conclut l'examen de la Chambre d'appel des motifs d'appel avancés par

 25   les parties.

 26   Je vais passer à l'analyse de l'impact des conclusions de la Chambre

 27   d'appel sur la sentence imposée par la Chambre de première instance.

 28   Premièrement, la Chambre d'appel a conclu à l'erreur de la Chambre de

Page 242

  1   première instance s'agissant de l'étendue de la responsabilité pénale de

  2   Strugar faute d'avoir prévenu le bombardement de la vieille ville de

  3   Dubrovnik. Bien que la Chambre d'appel ait effectivement étendu cette

  4   responsabilité de 7 heures du matin à minuit le 6 décembre 1991, elle

  5   considère pour des raisons exposées dans son arrêt, que la Chambre de

  6   première instance a tenu compte de l'endommagement causé pendant cette

  7   période additionnelle. La Chambre d'appel considère par conséquent que

  8   cette erreur est sans impact sur la sentence de Strugar.

  9   Deuxièmement, en ce qui concerne le prononcé de condamnation au titre des

 10   chefs 4 et 5, la Chambre d'appel convient, comme le soutient le Procureur,

 11   que ces déclarations de culpabilité sont fondées sur la même conduite

 12   criminelle et n'ajoutent rien à la gravité des crimes commis par Strugar.

 13   Enfin, la Chambre d'appel note que lors de l'audience en appel, la Défense

 14   a soutenu que l'état de santé de Strugar s'est considérablement détérioré

 15   depuis le rendu du jugement de première instance. La Chambre d'appel

 16   considère qu'elle a la compétence pour prendre en compte des éléments de

 17   preuve à cet égard, compte tenu du fait qu'elle a à se prononcer sur la

 18   peine suite aux erreurs constatées dans le jugement de première instance.

 19   Après avoir examiné les éléments de preuve pertinents, la Chambre d'appel

 20   considère que la détérioration de la santé de Strugar depuis le jugement de

 21   première instance doit être prise en compte en tant que circonstance

 22   atténuante. Par conséquent, la Chambre d'appelle estime qu'il y a lieu

 23   d'imposer à Strugar une nouvelle sentence.

 24   Je vais à présent donner lecture du dispositif de l'arrêt rendu par la

 25   Chambre d'appel.

 26   Monsieur Strugar.

 27   Monsieur Strugar, voici le dispositif de l'arrêt. Par ces motifs, la

 28   Chambre d'appel, en application de l'article 25 du Statut et des article

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  1   117 et 118 du Règlement de procédure et de preuve, vu les écritures

  2   respectives des parties et leurs exposés au procès en appel le 23 avril

  3   2008, siégeant en audience publique, rejette tous les moyens d'appel

  4   soulevés par Pavle Strugar, les Juges Meron et Kwon exprimant leur

  5   désaccord concernant le troisième moyen d'appel qui porte sur le manquement

  6   à l'obligation de prendre des mesures suite aux événements qui se sont

  7   produits le 6 décembre 1991; accueille le premier moyen d'appel soulevé par

  8   l'Accusation concernant l'étendue de l'obligation qu'avait Pavle Strugar de

  9   prévenir le bombardement de la vieille ville; accueille le deuxième moyen

 10   d'appel soulevé par l'Accusation, et déclare en application de l'article

 11   7(3) du Statut, Pavle Strugar coupable du chef 4, dévastation que ne

 12   justifient pas les exigences militaires, violation des lois ou coutumes de

 13   la guerre, punissable aux termes de l'Article 3 du Statut, et du chef 5,

 14   attaques illégales contre des biens de caractère civil, violation des lois

 15   ou coutumes de la guerre punissable aux termes de l'article 3 du Statut;

 16   rejette le troisième moyen d'appel soulevé par l'Accusation; remplace la

 17   peine de huit ans d'emprisonnement prononcée par la Chambre de première

 18   instance par une peine de sept ans et demi d'emprisonnement, la période

 19   passée en détention étant déduite de la durée totale de la peine en

 20   application de l'article 101 du Règlement; ordonne en application des

 21   articles 103(C) et 107 du Règlement que Pavle Strugar reste sous la garde

 22   du Tribunal international jusqu'à ce que soient arrêtées les dispositions

 23   nécessaires pour son transfert vers l'Etat dans lequel il purgera sa peine.

 24   Le Juge Shahabuddeen joint une opinion individuelle. Les Juges Meron et

 25   Kwon joignent une opinion dissidente conjointe.

 26   Monsieur Strugar, vous pouvez vous rasseoir.

 27   Monsieur le Greffier, veuillez je vous prie, distribuer les copies de

 28   l'arrêt aux parties.

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  1   Avant de conclure, je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué au bon

  2   déroulement de cette affaire pour leurs efforts constructifs. Merci.

  3   Merci. L'audience est levée.

  4   --- L'audience est levée à 10 heures 22.

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