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1 LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL Affaire IT-94-1-T
2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE
3 Mardi, le 16 juillet 1996
4 (10 h 00)
5 (Audience publique)
6 LE PRÉSIDENT : Bonjour à tous. Notre audience a été suspendue pendant
7 quelques semaines, l’autre Chambre de première instance utilisant
8 cette salle pour un autre procès. Bien sûr, vous nous avez tous
9 beaucoup manqué. Nous sommes prêts à reprendre nos travaux
10 aujourd’hui. Je pense que nous allons commencer par examiner la
11 requête de la Défense relative aux éléments de preuve indirects. La
12 Défense a demandé qu’une audience soit consacrée à cette requête.
13 Nous nous pencherons ensuite sur des questions d’intérêt général que
14 les Juges souhaitent porter à l’attention des Conseils. Je crois
15 comprendre qu’ensuite le Procureur souhaite déposer une requête,
16 peut-être à huis clos, et, en fonction de la décision qui sera prise
17 à son sujet, nous entendrons le prochain témoin à huis clos. Ah non
18 ? J’ai donc été mal informée.
19 MONSIEUR NIEMANN : Il ne s’agit pas du prochain témoin, Madame le
20 Président, mais d’un témoin qui sera appelé à la barre plus tard.
21 LE PRÉSIDENT : Donc, il ne s’agit pas du prochain témoin.
22 MONSIEUR NIEMANN : Le prochain témoin est prêt à être appelé à la barre.
23 LE PRÉSIDENT : Très bien. Je vous ai donc exposé le programme de la
24 matinée et peut-être même d’une partie de l’après-midi. Monsieur
25 Wladimiroff, êtes-vous prêt à nous présenter votre requête relative
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1 à la preuve par ouï-dire?
2 MONSIEUR WLADIMIROFF : Oui, Madame le Président, mais c’est Madame de
3 Bertodano qui exposera nos arguments.
4 LE PRÉSIDENT : Très bien.
5 MONSIEUR NIEMANN : Madame le Président, Madame Hollis répondra au nom de
6 l’Accusation.
7 LE PRÉSIDENT : Très bien.
8 MADAME DE BERTODANO : Merci, Madame le Président. Madame et Messieurs de
9 la Cour, vous n’êtes pas sans savoir que la question de la preuve
10 indirecte reste un sujet de préoccupation pour la Défense. Nous
11 avons déjà fait valoir à son encontre un certain nombre
12 d’objections. Il ne s’agit pas, je le précise de revenir sur ce qui
13 a été dit mais d’anticiper les problèmes à venir. Madame et
14 Messieurs de la Cour, nous avons demandé qu’il soit débattu de cette
15 question parce qu’elle est à nos yeux essentielle.
16 Pour résumer, je dirai que nous demandons premièrement que le
17 Tribunal refuse d’entendre les preuves à charge dont les témoins
18 n’ont qu’une connaissance indirecte et deuxièmement, qu’il ait le
19 pouvoir d’entendre de telles preuves si leur valeur probante
20 l’emporte substantiellement sur leur effet préjudiciable à l’accusé.
21 Madame et Messieurs de la Cour, je voudrais ici souligner (car
22 je crains bien qu’il n’y ait eu un malentendu à cet égard) que ces
23 deux points sont indissociables et non pas interchangeables. Je
24 donne cette précision car la réponse de l’Accusation laisse penser
25 qu’il s’agit de mesures alternatives alors que ce n’est pas le cas.
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1 Madame et Messieurs de la Cour, l’effet de telles mesures serait
2 qu’il y aurait un changement dans les présomptions relatives aux
3 éléments de preuve indirects ou, en d’autres termes, que les preuves
4 recueillies par ouï-dire seraient à exclure, à moins qu’il n’y ait
5 lieu de les retenir.
6 Madame et Messieurs de la Cour, c’est une caractéristique de tous
7 les systèmes accusatoires qui reconnassent que la preuve indirecte
8 est généralement considérée comme une preuve de moindre qualité et
9 préfèrent les preuves de première main lors des procès au pénal. Les
10 raisons de cette préférence sont simples. Premièrement, les
11 témoignages directs de première main sont présentés devant la cour
12 et sous serment et, deuxièmement, l’accusé peut contre-interroger
13 les témoins sur ce qu’ils ont directement vu ou entendu. L’accusé
14 perd cette possibilité dans le cas de preuves par ouï-dire car le
15 témoin qui a rapporté les faits n’est pas présent dans le prétoire.
16 Madame et Messieurs de la Cour, je voudrais citer ici l’article 21
17 4) e) du Statut du Tribunal, reproduit au paragraphe 5 de la requête
18 de la Défense, qui reconnaît à l’accusé le droit d’interroger ou de
19 faire interroger les témoins à charge. Madame et Messieurs de la
20 Cour, pour nous, cela laisse penser que les preuves doivent être de
21 première main.
22 Madame et Messieurs de la Cour, j’ajouterai que les spécificités de
23 ce procès expliquent les inquiétudes que la Défense nourrit quant
24 aux éléments de preuve indirects. Je vous renvoie aux paragraphes 10
25 et 11 de la Requête de la Défense qui évoquent brièvement la
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1 situation dans la région à l’époque, la peur et la confusion qui
2 régnaient parmi les témoins, le temps qui s’est écoulé depuis ces
3 déclarations reposant sur des preuves indirectes et les terribles
4 conflits inter-ethniques.
5 Madame et Messieurs de la Cour, l’Accusation s’est inquiétée de ce
6 que la Chambre de première instance n’aurait pas le pouvoir de faire
7 droit à la Requête de la Défense sans en référer à la Chambre au
8 complet (sic.). Tel n’est pas notre point de vue. La Chambre de
9 première instance a, en vertu des articles 89 C) et 89 D) du
10 Règlement de procédure et de preuve, de larges pouvoirs pour
11 admettre ou exclure tous les éléments de preuve qu’elle juge bon.
12 Aux termes de l’article 89 D) du Règlement, "La Chambre peut exclure
13 tout élément de preuve dont la valeur probante est largement
14 inférieure à l’exigence d’un procès équitable". Madame et Messieurs
15 de la Cour, nous soutenons qu’en règle générale, la valeur des
16 éléments de preuve par ouï-dire est loin de contrebalancer la
17 nécessité d’assurer un procès équitable.
18 Madame et Messieurs de la Cour, en tranchant dans ce sens, vous
19 n’engageriez en rien les Chambres de première instance à l’avenir,
20 mais votre jugement aurait pour elles valeur de précédent. C’est
21 pourquoi, Madame et Messieurs de la Cour, cette Requête part pour
22 l’essentiel de l’idée qu’en règle générale, la preuve indirecte
23 n’est pas digne de foi. Cependant, certains types d’éléments de
24 preuve indirects ont une valeur probante suffisante pour être jugés
25 admissibles et les personnes souhaitant les verser au dossier
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1 doivent en démontrer la valeur probante.
2 Madame et Messieurs de la Cour, la Défense a joint à sa Requête un
3 article extrait d’un ouvrage intitulé "War Crimes in International
4 Law". Cet article, qui traite de la preuve indirecte dans les procès
5 pour crimes de guerre, a été rédigé par Kenneth Mann. Je voudrais
6 attirer votre attention sur deux points de cet article. D’abord, le
7 dernier paragraphe de la page 371 démontre que dans les systèmes où
8 les juridictions ont pouvoir discrétionnaire pour admettre ou
9 rejeter les preuves (et il faut y inclure les systèmes ne prévoyant
10 pas de règle pour la preuve indirecte), les risques de condamnations
11 abusives sont plus grands que dans les systèmes appliquant une règle
12 stricte d’administration de la preuve, où l’Accusation est parfois
13 obligée de ne pas faire usage de certains éléments de preuve qu’elle
14 pense être à charge. Madame et Messieurs de la Cour, passons aux
15 pages 372 à 3 ----
16 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Pourriez-vous répéter, je vous prie ?
17 MADAME DE BERTODANO : Certainement, Monsieur le Juge. En page 371, je peux
18 aussi lire le paragraphe, si vous préférez ? Voilà : "Pour bien
19 démontrer la manière dont les règles relatives aux éléments de
20 preuve indirects influencent la distribution des erreurs, nous
21 pouvons comparer un procès pour meurtre où l’accusation ne peut
22 librement invoquer des éléments de preuve indirects à un autre où
23 elle ne subit pas pareille contrainte. Il est très clair que
24 l’accusation sera amenée dans le premier cas à exclure des éléments
25 de preuve qu’elle considère comme à charge. Par comparaison, le
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1 Procureur qui a pouvoir discrétionnaire ne sera pas ainsi limité ;
2 autrement dit il n’aura pas à exclure autant d’éléments de preuve
3 qu’il considère comme à charge".
4 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Mais, si je puis me permettre, c’est une
5 évidence ; l’un des deux systèmes admet plus d’éléments que l’autre.
6 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge, c’est effectivement un point
7 évident.
8 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Cela ne prouve donc pratiquement rien.
9 MADAME DE BERTODANO : Monsieur le Juge, je me permets d’exprimer
10 respectueusement mon désaccord. Ce que cela démontre c’est que si la
11 preuve indirecte n’est pas exclue, certains éléments de preuve
12 seront retenus contre la Défense, alors qu’ils ne l’auraient pas
13 étés si la preuve indirecte avait été exclue.
14 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Certainement.
15 MADAME DE BERTODANO : Il en découle qu’il doit être vrai que ...
16 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Vrai mais évident.
17 MADAME DE BERTODANO : Si vous le dites, Monsieur le Juge.
18 LE PRÉSIDENT : Il me semble que votre meilleur extrait de cet article se
19 situe à la page suivante ou deux pages plus loin, 373, le dernier
20 paragraphe.
21 MADAME DE BERTODANO : C’est précisément là où je voulais en venir : les
22 systèmes stricts d’administration de la preuve, c’est-à-dire ceux où
23 les règles d’administration de la preuve sont plus restrictives,
24 peuvent mieux contrôler la distribution des erreurs judiciaires que
25 les systèmes ouverts. C’est pourquoi toute restriction quant à
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1 l’administration de la preuve indirecte est plus susceptible de
2 nuire à l’Accusation qu’à la Défense. Madame le Président, l’article
3 conclut que les règles relatives à l’administration des éléments de
4 preuve indirects sont au nombre de ces règles dont on peut attendre
5 moins de condamnations abusives que d’acquittements immérités. C’est
6 ainsi qu’on aboutit à un contrôle des erreurs.
7 LE PRÉSIDENT : Vous n’êtes pas bien sûr sans savoir qu’aux États-Unis,
8 l’article 404 du Règlement de preuve autorise une juridiction à
9 rejeter des éléments de preuve qui pourraient avoir un effet
10 préjudiciable. Si l’effet préjudiciable des preuves l’emporte sur
11 leur pertinence, on peut les exclure. Ainsi, je crois comprendre ce
12 que cet auteur veut dire mais c’est une règle dont il ne tient pas
13 compte et, justement, les États-Unis ont choisi un système strict
14 d’administration de la preuve. De plus, nous avons, dans notre
15 Règlement de procédure et de preuve, une disposition précise,
16 l’article 89 D), qui nous autorise à exclure des éléments de preuve
17 si leur valeur probante est largement inférieure à l’exigence d’un
18 procès équitable -- "procès équitable" et non pas "effet
19 préjudiciable", je répète "procès équitable".
20 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, c’est la raison pour laquelle
21 nous souhaitons déposer cette requête. Nous souhaitons écarter les
22 preuves par ouï-dire avant que la Cour ne les entende. Il n’est pas
23 question de les entendre et d’en apprécier après coup l’effet
24 préjudiciable. Il s’agit de discuter préalablement la question de
25 savoir si la preuve indirecte doit être entendue par le Tribunal,
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1 avant qu’il ne soit décidé en fait qu’elle peut l’être. Ainsi, si
2 l’on décidait qu’il n’y a aucune raison d’admettre les éléments de
3 preuve indirects, ils ne seraient tout simplement pas versés au
4 dossier.
5 LE PRÉSIDENT : Vous n’êtes pas en train de nous dire que tous les éléments
6 de preuve indirects devraient être exclus ? En fait vous souhaitez
7 que tous les éléments de preuve indirects qui ne correspondent pas à
8 l’une des exceptions ---
9 MADAME DE BERTODANO : Oui Madame le Président.
10 LE PRÉSIDENT : --- reconnues par les systèmes issus de la common law ---
11 je ne peux vraiment parler que des États-Unis, où nous avons
12 tellement d’exceptions que les règles n’ont qu’une application des
13 plus limitées-- en tout cas, votre position ne consiste-t-elle pas à
14 dire que si les éléments de preuve indirects ne correspondent pas à
15 l’une de ces exceptions, il faudrait les rejeter car ils auraient un
16 effet préjudiciable ?
17 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président, mais on n’a pas à entendre
18 les preuves par ouï-dire, à prendre connaissance de leur contenu,
19 avant de décider si elles correspondent ou non à l’une des
20 exceptions.
21 LE PRÉSIDENT : Et comment donc ferions nous ça ? Si nous ne savons pas si
22 le témoin va déposer, par exemple, parce qu’il a tenu des propos
23 sous l’emprise d’un choc, d’un état d’excitation -- parce qu’il
24 s’agit de l’une des questions, l’une des deux objections à la preuve
25 par ouï-dire soulevées par la Défense et que nous avons à ce jour
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1 rejetées -- jusqu’à ce que nous l’entendions nous ignorons si nous
2 avons affaire à une exception ; à moins que l’Accusation ne soit
3 tenue de faire une "offre de preuve" (offer of proof) sur ce que
4 dira le témoin, nous ne savons pas si ce témoignage correspondra à
5 l’exception.
6 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, avec tous mes respects,
7 permettez-moi d’exprimer mon désaccord. L’Accusation sait en gros ce
8 que les témoins seront en mesure de révéler ; dans une large mesure,
9 nous savons également ce que les témoins de l’Accusation diront
10 parce que nous disposons de leurs déclarations préalables. Ce que je
11 suggère, c’est que lorsqu’une question mettant en jeu une preuve
12 indirecte est sur le point d’être soulevée, ce qui est évident pour
13 le Procureur qui interroge le témoin, il conviendra de dire :
14 "Madame et Messieurs de la Cour, il s’agit là d’un point touchant à
15 une preuve indirecte. Ce témoin va dire que A lui a dit quelque
16 chose concernant le défendeur dans ces conditions". En fait, vous
17 n’auriez pas à prendre connaissance de la teneur de ce témoignage
18 par ouï-dire pour décider, par exemple s’il s’agissait de propos
19 émis sous l’emprise d’un choc, d’un état d’excitation.
20 Bien sûr, Madame et Messieurs de la Cour, il y aurait des
21 glissements -- il y en a toujours, même dans les systèmes les mieux
22 réglés -- mais il me semble qu’en somme, c’est le meilleur moyen de
23 faire droit aux objections soulevées contre les preuves indirectes.
24 LE PRÉSIDENT : Cependant, même dans les systèmes stricts d’administration
25 de la preuve, les avocats ne dirigent pas les débats. Ce sont les
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1 Juges qui décident de l’admissibilité des éléments de preuve. Il me
2 semble seulement qu’il nous serait très difficile de prendre une
3 telle décision. Je suppose que le Procureur est celui qui sait le
4 mieux ce sur quoi le témoin déposera. La Défense a une bonne idée de
5 la teneur du témoignage grâce aux déclarations préalables qui vous
6 sont communiquées. Mais je comprends votre position.
7 MADAME DE BERTODANO : Oui. Madame le Président, j’ajouterai seulement que
8 si les trois Juges vont de toute façon entendre ces éléments de
9 preuve, notre requête perd tout son sens. Elle vise précisément à
10 exclure l’audition de tels témoignages et non pas simplement à en
11 limiter l’importance.
12 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : J’ai donc raison de penser que si les systèmes
13 stricts ont adopté une telle approche, c’est parce que les jurés
14 seront défavorablement influencés par l’audition de ces témoignages
15 et que cette première impression ne pourra être effacée par la
16 décision qui sera prise ultérieurement de rejeter ces éléments de
17 preuve ; donc, en conséquence, vous auriez une procédure de voir
18 dire ?
19 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge et le jury n’est pas présent
20 lors de l’audition.
21 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Tout cela n’a rien à voir avec la manière dont
22 nous procédons.
23 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge. C’est différent dans la
24 mesure où le procès se déroule devant trois Juges et non pas devant
25 des jurés. Nous avons donc ici un système mixte qui emprunte
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1 certains éléments au système accusatoire, lequel fait généralement
2 intervenir un jury, mais nous avons aussi un procès devant des
3 Juges.
4 LE PRÉSIDENT : Dans vos écritures, vous dites que cependant, même dans les
5 procès qui se déroulent devant des magistrats professionnels, dans
6 les systèmes stricts, sont également exclus les éléments de preuve
7 indirects qui, d’après ce que j’ai compris, ne correspondent pas à
8 l’une des exceptions.
9 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président, dans mon système, dans le
10 cas de procès devant des magistrats ou en appel, les Juges, même
11 s’ils entendent davantage d’éléments de preuve, ne peuvent quand
12 même pas entendre des témoignages indirects.
13 LE PRÉSIDENT : À cette réserve près que dans la pratique, et chacun de
14 nous a été Juge avant de siéger dans ce Tribunal, ou du moins dans
15 mon expérience personnelle, dans la pratique, donc, les règles
16 relatives à l’administration de la preuve indirecte sont, comme
17 d’autres, appliquées avec plus de souplesse car les Juges ont, à la
18 différence des jurés, théoriquement la faculté de parfois écarter ce
19 que le Cardinal pourrait dire, pour faire une allusion à une requête
20 précédemment défendue par Monsieur Kay, je pense. Donc, au moins, il
21 y a cette croyance -- fondée ou non -- que les règles relatives à
22 l’administration de la preuve s’appliquent d’une manière différente
23 quand le procès se tient devant des Juges -- au moins dans le
24 système d’où je suis issue.
25 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président, je suis entièrement
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1 d’accord et c’est pourquoi notre requête propose de reconnaître aux
2 Juges un très large pouvoir discrétionnaire : ils pourraient choisir
3 d’entendre tout élément de preuve indirect à condition d’être
4 assurés de sa fiabilité, comme c’est le cas pour la plupart des
5 exceptions prévues en la matière, soit parce que la personne a tenu
6 les propos sous l’emprise d’un choc ou d’un état d’excitation soit
7 qu’elle était à l’article de la mort. C’est ces points que je
8 suggérais que les Juges pourraient trancher sans avoir à prendre
9 connaissance du contenu de la déclaration elle-même.
10 Mais Madame le Président nous acceptons pleinement le fait que ce
11 n’est pas un procès devant un jury ; c’est la raison pour laquelle
12 nous avons limité notre requête aux éléments de preuve directement
13 en rapport avec la culpabilité de l’Accusé. J’ai encore une fois
14 l’impression, à entendre la réponse de l’Accusation, qu’il y a un
15 malentendu sur ce point. Madame le Président, notre propos était de
16 limiter cette requête aux éléments de preuve qui intéressent
17 directement les charges retenues contre l’accusé. Pour les questions
18 plus vastes du conflit etc..., nous ne cherchons à introduire aucune
19 règle relative à la preuve indirecte.
20 LE PRÉSIDENT : Que voulez-vous dire par là, parce que si vous parlez
21 d’éléments de preuve qui feraient précisément le lien entre l’Accusé
22 et une infraction figurant dans l’acte d’accusation --
23 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président.
24 LE PRÉSIDENT : -- c’est bien ce dont vous parlez ?
25 MADAME DE BERTODANO : Oui
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1 LE PRÉSIDENT : Parce que c’est un tribunal chargé de juger des crimes de
2 guerre, que nous examinerons des affaires impliquant de graves
3 violations du droit international humanitaire, c’est plus que ce
4 qu’offre un classique procès pour meurtre ou vol ou autre, vous
5 savez, il nous en faut plus qu’un simple "J’ai vu le défendeur".
6 Vous devez replacer cela dans le contexte d’un conflit armé --
7 international si vous parlez de l’article 2, infractions graves ;
8 conflit armé si vous parlez des autres articles.
9 Donc, pour que le Procureur puisse établir la culpabilité, il doit
10 faire plus que simplement placer l’accusé sur les lieux du crime ou
11 rapporter la preuve que quelqu’un l’aurait vu commettre
12 l’infraction. L’Accusation doit aller au delà et c’est ce type de
13 preuves que nous entendons. Dieu merci, nous en avons fini avec les
14 témoignages des experts du conflit en général --
15 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, c’est pourquoi nous soulevons -
16 -
17 LE PRÉSIDENT : -- mais nous en sommes encore au chef d’accusation n° 1,
18 persécutions, et il y un certain nombre de points que le Procureur
19 essaye d’établir, une multiplicité d’actes dirigés contre des
20 groupes religieux ou politiques particuliers. Cela concerne la
21 culpabilité de l’accusé ; cela ne le rend certainement pas coupable
22 s’il n’y a pas cet autre élément.
23 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, dans ce cas j’ai mal formulé ma
24 requête. Mon intention était d’en limiter la portée à la question de
25 savoir si l’Accusé avait lui-même participé aux crimes. Ainsi, nous
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1 n’avons rien trouvé à objecter à l’administration de la preuve par
2 ouï-dire pendant les semaines consacrées à la mise en perspective et
3 à la nature historique du conflit. Nous ne nous soucions pas du
4 préjudice qui pourrait résulter de la discussion des questions les
5 plus générales, mais du tort que des personnes pourraient faire à
6 l’accusé en évoquant sa participation. Parce que, Madame le
7 Président, lorsqu’il s’agit d’éléments de preuve indirects, nous ne
8 sommes pas en mesure d’interroger le témoin qui a dit que le
9 défendeur était présent, si ce témoignage nous est rapporté par une
10 tierce personne.
11 Nous ne connaissons pas les motifs qui ont poussé le témoin qui
12 déclare que le défendeur était présent mais dans ce genre de
13 situations, qui peut être exceptionnel vu l’intensité des haines
14 inter-ethniques, nous ne voudrions pas, à moins d’une très bonne
15 raison, que l’Accusé soit victime des préjugés d’autres personnes
16 qui ne sont pas là pour témoigner.
17 LE PRÉSIDENT : Pourriez-vous nous fournir une liste d’exceptions qui
18 seraient à vos yeux justifiées ?
19 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, non, nous ne voulions pas
20 précisément imposer à nos Juges des limitations lorsqu’ils
21 décideraient quelles exceptions ils considèrent comme appropriées eu
22 égard à certaines règles nationales. Il peut y avoir de nombreuses
23 raisons pour lesquelles les Juges peuvent considérer qu’il convient
24 d’entendre un élément de preuve indirect particulier et nous ne
25 souhaitons pas anticiper ces situations.
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1 LE PRÉSIDENT : Comment cela devrait-il fonctionner ? Reprenons, le
2 Procureur propose un témoin et, sur la base des déclarations
3 préalables que vous avez reçues concernant ce témoin, vous dites
4 "l’élément de preuve que le Procureur s’apprête à présenter relève
5 du ouï-dire " et, si je comprends bien vos écritures, cela ne
6 correspond à aucune des exceptions généralement reconnues qui
7 permettraient de retenir ce témoignage parce qu’il est digne de foi
8 et fiable et alors, nous pourrions-vous dire "Bien, à quelle
9 exception pensez-vous lorsque vous dites que cela ne correspond à
10 aucune des exceptions" Est-ce que vous comprenez ma question ?
11 MADAME DE BERTODANO : Je crois comprendre votre question et je pense
12 pouvoir y répondre de la manière suivante : nous ne formulerions pas
13 d’objections en nous appuyant sur un ensemble déterminé
14 d’exceptions. Il se pourrait que se présentent des exceptions bien
15 connues dans certains systèmes, telles que les propos tenus sous
16 l’emprise d’un choc ou d’un état d’excitation. Dans ce cas, la Cour
17 pourrait utiliser ce motif pour entendre ces éléments de preuve.
18 Mais s’il y avait une autre raison, qui n’apparaît dans aucun
19 système mais qui donne à penser à la Cour que l’élément de preuve
20 indirect en question est plus digne de foi que les habituels
21 témoignages par ouï-dire, nous ne souhaitons en aucun cas limiter la
22 marge de manoeuvre de la Cour et l’empêcher de l’admettre.
23 LE PRÉSIDENT : Très bien. Les États-Unis prévoient 24 exceptions et je ne
24 suis pas sûre de ce qu’il en est en Australie et en Malaisie mais
25 souvenez-vous que nous sommes une Chambre de première instance qui
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1 fonctionne conformément au Règlement adopté par le Tribunal,
2 Règlement qui régit le fonctionnement de l’autre Chambre de première
3 instance et de la Chambre d’appel. Vous suggérez donc que nous nous
4 réunissions à trois pour examiner nos systèmes et voir si l’un
5 d’entre eux est reconnu ?
6 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, je ne vois aucune raison de le
7 faire en prévision des questions qui pourraient se poser. À mon
8 avis, Madame le Président, cela se produira lorsque ces questions se
9 poseront et qu’il y aura une tentative de présenter à la Cour des
10 éléments de preuve indirects. Il me semble que cela serait le plus
11 simple pour régler la question.
12 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Puis-je revenir sur cette question ? Si nous
13 faisions droit à votre requête, comment, à votre avis, devrions-nous
14 interpréter l’article 89 D) ? Si nous excluions des preuves, comment
15 cela se passerait-il après ?
16 MADAME DE BERTODANO : Monsieur le Juge, nous ne cherchons pas à modifier
17 le Règlement.
18 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Exactement. Il me semble que la situation est
19 bien celle que vous souhaitez, si vous lisez et comprenez l’article
20 89 D), qui affirme qu’il faut exclure les éléments de preuve dont la
21 valeur probante est largement inférieure à l’exigence d’un procès
22 équitable. Je pense que vous avez commencé par dire que ce qui
23 change réellement , c’est à qui revient la charge de la preuve.
24 C’est ce que je voudrais que vous m’expliquiez.
25 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge. Ce que j’ai dit, c’est que
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1 nous pourrions l’interpréter comme signifiant que la valeur probante
2 des éléments de preuve indirects est en général largement inférieure
3 à l’exigence d’un procès équitable. Cependant, il peut y avoir des
4 cas où il est souhaitable d’admettre des éléments de preuve
5 indirects et ces cas constitueraient les exceptions. Mais, Monsieur
6 le Juge, je ne pense pas que cela entraîne une quelconque
7 modification du Règlement. En termes de procédure, le changement
8 consisterait en ce que dès qu’un témoignage par ouï-dire est sur le
9 point d’être présenté, la question serait automatiquement soulevée.
10 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Oui, donc le fait qu’à un moment vous vous
11 leviez et disiez "un témoignage par ouï-dire est sur le point d’être
12 présenté et nous le savons parce que nous disposons de la
13 déclaration préalable du témoin" signifierait qu’à ce stade vous
14 souhaitez, sans que les éléments de preuve aient été entendus, que
15 les trois Juges déterminent si l’exigence d’un procès équitable
16 l’emporte largement sur la valeur probante ?
17 MADAME DE BERTODANO : Oui Monsieur le Juge, parce qu’en général, la raison
18 pour laquelle la preuve par ouï-dire relève de l’une des exceptions
19 n’a rien avoir avec la teneur même de la déclaration, si bien que ce
20 qui changerait vraiment, c’est que nous n’aurions plus à attendre
21 que la déclaration soit faite avant de formuler notre objection.
22 Nous disposerions automatiquement d’une règle qui exclurait les
23 éléments de preuve indirects, sauf s’il y a une raison de les
24 admettre, plutôt que l’inverse.
25 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : À coup sûr, la difficulté est bien celle
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1 relevée par Madame le Président : comment arriver à une conclusion
2 dans cet exercice de comparaison sans même entendre l’élément de
3 preuve ? Vous sauriez ce dont il s’agit, comme, bien sûr,
4 l’Accusation ; mais nous resterions dans l’ignorance parce que nous
5 ne l’aurions pas entendu et qu’il n’y a pas de procédure de voir
6 dire.
7 MADAME DE BERTODANO : Monsieur le Juge, il serait certainement possible de
8 vous expliquer les circonstances ---
9 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Une description.
10 MADAME DE BERTODANO : -- dans lesquelles cet élément de preuve indirect a
11 été entendu, sans vous communiquer la teneur même de la déclaration.
12 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Il ne me semble pas que votre requête
13 changerait quoi que ce soit, parce que c’est la situation qui se
14 présenterait si vous formuliez une objection en cas de préjudice
15 particulièrement manifeste et en l’absence de valeur probante
16 véritable.
17 MADAME DE BERTODANO : Je pense, Monsieur le Juge, que le changement
18 consisterait en ce que l’objection serait automatique et il
19 s’ensuivrait automatiquement que l’élément de preuve indirect ne
20 serait pas entendu, le temps de décider s’il y a de bonnes raisons
21 de l’entendre. Mais, Monsieur le Juge, vous avez raison dans la
22 mesure où cela n’affecte en rien votre pouvoir discrétionnaire. Vous
23 pouvez décider d’entendre ou de ne pas entendre ce que vous voulez
24 et nous n’essayons en aucun cas de limiter ce pouvoir
25 discrétionnaire --
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1 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Vous m’en voyez touché.
2 MADAME DE BERTODANO : -- et à juste titre d’ailleurs.
3 LE PRÉSIDENT : Laissez moi vous faire part de quelque chose, si je puis me
4 permettre, qui a rapport à l’adoption du Règlement : les Juges ont
5 rédigé le Règlement et nous l’avons fait ensemble, nous juges de la
6 common law ou de tradition civiliste, tentant, comme nous l’avons
7 dit, de prendre le meilleur de chacun des deux systèmes tout en
8 adoptant le système le plus adapté à ce Tribunal si particulier.
9 C’est le premier de ce genre et nous souhaitions un Règlement
10 spécifique à ce genre de tribunal.
11 Lors de ces discussions, l’un des Juges a déclaré qu’en principe,
12 d’après cet article tout serait admissible. Je voudrais vous
13 rapporter ce que j’ai dit alors, parce que je ne pense pas que notre
14 position soit tellement éloignée de la vôtre. J’ai dit que toutes
15 les déclarations hors audience ne devraient pas être automatiquement
16 admissibles ; j’ai demandé ce que voulait dire le terme "probante"
17 et s’il recouvrait des notions comme celles de la crédibilité, du
18 caractère volontaire et de la fiabilité. Tous les Juges ont conclu
19 que c’était effectivement le cas.
20 Ainsi, lorsque nous avons inséré le terme "probante" à cet endroit
21 là, les Juges s’accordaient à penser que tout ce qu’il avait
22 d’implicite, les notions de crédibilité, de caractère volontaire et
23 de fiabilité, nous permettrait d’admettre tout élément de preuve
24 pertinent qui avait une valeur probante ; ainsi la valeur probante
25 d’un élément de preuve s’apprécie compte tenu de sa crédibilité, de
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1 son caractère volontaire et de sa fiabilité.
2 Il me semble que cela vous amène là où vous vouliez en venir, à
3 cette réserve près que cela ne permettrait pas d’exclure
4 automatiquement tous les éléments de preuve indirects qui ne
5 correspondraient pas à l’une des exceptions reconnue par cette
6 Chambre ou par les systèmes issus de la common law en général. Cela
7 ne va pas si loin mais cela vous laisse une certaine latitude, dans
8 la mesure où si nous considérons que l’élément de preuve n’est pas
9 crédible ou n’est pas fiable, il n’aura pas de valeur probante. Mais
10 pour en revenir à ce que disait Monsieur le Juge Stephen, je ne vois
11 pas comment nous pourrions nous prononcer sans avoir entendu le
12 témoignage en question.
13 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président. Pour nous, il s’agit d’un
14 point crucial et c’est pourquoi nous demandons un certain
15 automatisme et l’obligation, pour ceux qui souhaitent faire admettre
16 au dossier des éléments de preuve indirects, de donner de bonnes
17 raisons pour cela, parce que nous pensons qu’il est fondamental que
18 la Chambre de première instance n’entende pas des témoignages qui ne
19 sont pas dignes de foi.
20 Madame le Président, cela nous ramène à une question qui a souvent
21 été soulevée à savoir celle de la justice telle qu’elle apparaît par
22 opposition à la justice effectivement rendue. Madame le Président,
23 je rappellerai que nous sommes tout à ait conscients qu’il s’agit
24 d’un procès devant des Juges, mais les procès devant les Juges
25 soulèvent des problèmes que l’on ne rencontre pas dans les procès
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1 devant un jury. L’un de ces problèmes est que le tribunal du droit
2 est en même temps celui des faits. Ainsi, la personne qui décide si
3 un élément de preuve sera admis ou non est la même qui l’appréciera
4 ensuite.
5 LE PRÉSIDENT : Sauf que dans les systèmes de tradition civiliste - et il
6 faut savoir qu’il y existe des systèmes totalements différent de
7 celui de la common law - nous nous réclamons de la common law mais
8 il y a tout un autre monde, celui des systèmes civilistes et parmi
9 nous, il y a des juges qui en sont issus, comme Monsieur le Juge
10 Jorda qui préside l’autre Chambre de première instance. Je ne me
11 permettrai jamais de suggérer à Monsieur le Juge Jorda que justice
12 n’est pas rendue ou ne semble pas être rendue dans son système parce
13 que dans un tel système, nous n’aurions pas pareille discussion sur
14 l’admissibilité des éléments de preuve indirects, la question s’y
15 règlant de façon routinière. Ils ne comprennent même pas notre
16 approche en ce domaine. Ils croient sincèrement que leur système est
17 meilleur, qu’il y a là recherche de la vérité, de la vérité des
18 faits, par opposition à la vérité du procès, comme ils disent en
19 parlant des systèmes de la common law -- mais peut-être ne devrais-
20 je pas aller si loin car je ne suis pas une juriste issue de cette
21 tradition civiliste.
22 MADAME DE BERTODANO : Mais, Madame le Président, ces systèmes de tradition
23 civiliste sont des systèmes inquisitoriaux et non pas accusatoires
24 comme le nôtre. Dans un système où les témoins subissent un contre-
25 interrogatoire lors des audiences, il me semble qu’il est plus
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1 nécessaire d’avoir un Règlement qui exclut certains types d’éléments
2 de preuve non fiables que dans les systèmes où les éléments de
3 preuve sont de nature essentiellement documentaire.
4 LE PRÉSIDENT : Ils sont essentiellement documentaires mais basés sur le
5 travail préalable du magistrat instructeur, qui recueille les
6 déclarations, prépare le dossier, le remet aux deux conseils, mais
7 tous les trois nous avons vu un système de tradition civiliste et
8 nous y avons vu beaucoup de contre-interrogatoires conduits par le
9 Juge.
10 MADAME DE BERTODANO : Oui Madame le Président.
11 LE PRÉSIDENT : Il y a donc là tout un système très différent, mais soit.
12 Vous voulez que nous adoptions le système de la common law dans
13 cette Chambre et, si je vous comprends bien, dans tout le Tribunal,
14 dans un souci de justice et d’apparence de justice.
15 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, nous ne parlons que de ce
16 procès-ci. Que le système de la common law soit adopté ou non par
17 l’autre Chambre de première instance, peu nous importe.
18 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Pourrais-je vous poser une question ? Ne
19 demandez-vous pas simplement que lorsque l’Accusation propose un
20 élément de preuve dont vous pensez qu’il est indirect, vous puissiez
21 alors vous lever et dire "un élément de preuve indirect est sur le
22 point d’être révélé et sa nature est largement inférieure à
23 l’exigence d’un procès équitable, c’est pourquoi la Chambre ne
24 devrait pas l’entendre" ; après quoi vous décrivez cette preuve et
25 demandez à la Chambre de décider ? C’est bien tout ce que vous
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1 demandez, n’est-ce pas ?
2 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge, à cette nuance près que nous
3 inversons les rôles : ce n’est pas à nous de dire, de donner les
4 raisons pour lesquelles sa nature dépasse l’exigence d’un procès
5 équitable. C’est à ceux qui veulent faire admettre l’élément de
6 preuve de donner les raisons pour lesquelles il devrait l’être et
7 c’est là une différence essentielle.
8 Monsieur le Juge, je peux faire certaines remarques sur les pièces
9 présentées par l’Accusation, si cela peut être d’une quelconque
10 aide, avant que l’Accusation ne présente sa requête ou je peux
11 laisser çà pour plus tard.
12 LE PRÉSIDENT : Permettez-moi d’abord d’exposer clairement votre position.
13 Dans vos écritures, vous avez utilisé l’expression "procès
14 équitable", ou plutôt "effet préjudiciable" -- je vais essayer de la
15 retrouver. Second point de la requête : vous demandez que le
16 Tribunal ait le pouvoir d’entendre tout élément de preuve exclu en
17 vertu du point 1), s’il considère que sa valeur probante est
18 l’emporte sur son effet préjudiciable. Vous avez en quelque sorte
19 réécrit notre article 89 C) (sic), lequel dispose que "La Chambre
20 peut exclure tout élément de preuve dont la valeur probante est
21 largement inférieure à l’exigence d’un procès équitable". S’agit-il
22 d’une différence significative ou est-ce que je me trompe dans mon
23 interprétation ?
24 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, il y a reformulation car on
25 part de l’idée que la preuve indirecte a en soi un effet
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1 préjudiciable. S’il peut sembler préférable de remplacer le mot
2 "largement" -- cela ne peut pas être fait facilement ; cette
3 substitution de mots, l’"effet préjudiciable", me semblait faire
4 ressortir le problème que soulevait la preuve par ouï-dire, à savoir
5 qu’elle a effectivement un effet préjudiciable, qu’elle constitue
6 une preuve de qualité moindre. Le principal effet de notre point 2
7 de reformuler les règles relatives à l’administration de la preuve
8 indirecte.
9 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : L’article 89 C) ?
10 MADAME DE BERTODANO : Cela ne change rien à l’article lui-même mais
11 modifie la manière dont on considère la preuve indirecte.
12 LE PRÉSIDENT : Madame de Bertodano, avez-vous autre chose à nous soumettre
13 ?
14 MADAME DE BERTODANO : Non, Madame le Président. Mes autres remarques se
15 rapportaient à la réponse de l’Accusation et il se pourrait que vous
16 préfériez entendre d’abord l’Accusation.
17 LE PRÉSIDENT : C’est ce que nous allons faire. Nous écouterons
18 l’Accusation et vous pourrez alors répondre ou ajouter quelque
19 chose. Oui, l’Accusation, s’il vous plaît.
20 MADAME HOLLIS : Merci, Madame le Président. Madame et Messieurs de la
21 Cour, nous avons indiqué dans notre réponse à cette requête que nous
22 considérons que fondamentalement, ce dont il s’agit ici, c’est de
23 l’adoption d’un nouvel article et d’une modification importante d’un
24 article existant Nous soutenons que le Règlement actuellement en
25 vigueur est amplement de nature à assurer à cet Accusé un procès
Page 3684
1 équitable et qu’il a en fait été spécialement conçu pour ce Tribunal
2 où des Juges expérimentés entendent les éléments de preuve.
3 Les règlements de procédure et de preuve sont toujours dans une
4 large mesure une affaire de politique et d’équilibre. À moins d’être
5 à l’une des deux extrémités du spectre, l’une consistant à rejeter
6 tous les éléments de preuve et l’autre à refuser à l’accusé le droit
7 à un procès équitable, le point d’équilibre dépend en grande partie
8 du contexte dans lequel le procès se tient et des réponses à
9 certaines questions de politique.
10 Évidemment, chaque juridiction interne détermine comment arbitrer
11 entre ces intérêts divergents. Dans ce Tribunal -- et vous, les
12 Juges, le savez bien mieux que l’Accusation ou la Défense --
13 manifestement, ces Juges, tous les Juges ont décidé où devait se
14 situer le point d’équilibre. Les arbitrages opérés privilégient
15 l’admissibilité des preuves, compte tenu de la présomption qui est
16 toujours faite à propos des juges, à savoir qu’ils connaissent le
17 droit, qu’ils l’appliquent et qu’il sont capables, quand il le faut,
18 d’entendre des éléments de preuve pour ensuite les exclure ou
19 déterminer quelle importance il convient de leur accorder.
20 LE PRÉSIDENT : Avec tous le respect que je dois à cet argument et à mes
21 collègues Juges, je me demande si on ne prête peut-être pas aux
22 Juges un petit peu trop de -- comment dirai-je -- sagesse. C’est
23 certainement ce que l’on entend dire mais vous savez, les juges sont
24 des hommes et nous sommes des hommes également. Nous avons chacun
25 notre expérience personnelle et notre manière de voir les choses.
Page 3685
1 Mais j’entends cela très souvent et je suppose que c’est ce qui est
2 communément admis ; alors nous nous y tiendrons.
3 MADAME HOLLIS : Madame le Président, c’est effectivement communément
4 admis, même si chaque personne dans cette pièce a pu, parfois, avoir
5 l’occasion d’en douter. Je dis cela avec tout le respect que je vous
6 dois. Cependant, le fait est que oui, vous êtes des êtres humains
7 mais toute justice pénale est rendue par des êtres humains. Il a été
8 démontré que les Juges étaient particulièrement qualifiés pour être
9 capables de mettre de côté les passions et les préjugés et de réagir
10 aussi objectivement qu’humainement possible en matière de preuve. Je
11 crois que c’est pour cela que cet équilibre existe. Ici, le point
12 d’équilibre se situe clairement du côté de l’admissibilité.
13 Ce que la Défense vous propose serait à bien des égards bien plus
14 restrictif que certains systèmes nationaux (qui ont des règles très
15 strictes). Par exemple, dans les systèmes stricts d’administration
16 de la preuve, il existe une règle excluant la preuve indirecte, mais
17 elle comporte de très nombreuses exceptions. Si un élément de preuve
18 indirect relève de l’une des exceptions, il n’est pas besoin de
19 procéder à la comparaison que la Défense estime être indispensable
20 avant d’admettre une preuve indirecte. Si bien que cela est plus
21 restrictif.
22 La Défense dit que vous ne devriez même pas entendre la preuve que
23 vous êtes supposés exclure. Je n’ai connaissance d’aucun système
24 strict où les juges se voient refuser le droit d’entendre un élément
25 de preuve contesté, même lorsqu’il s’agit d’un procès devant un juge
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1 unique, système dans lequel ils ne doivent donc pas l’examiner s’ils
2 l’excluent. La Défense s’éloigne réellement beaucoup de ce que les
3 Juges ont considéré comme bon pour ce Tribunal et se montre à bien
4 des égards bien plus restrictive qu’un système strict ne le serait
5 en matière de recevabilité d’éléments de preuve.
6 Quant à la question de la spécificité de ce procès, nous soutenons
7 que les inquiétudes mises en avant dans les paragraphes 10 et 11
8 sont des inquiétudes auxquelles les Chambres de première instance
9 seront confrontées à l’occasion de toutes les affaires dont elles
10 connaîtront ici, si bien qu’il n’y a là rien d’exceptionnel. Ce qui
11 est quelque peu déroutant dans cet exercice auquel il faut se
12 livrer, c’est que si vous adoptez cette règle qui est en elle-même
13 une règle d’exclusion de la preuve indirecte, sans l’assortir
14 d’exceptions (ce qui n’est pas le cas dans la plupart des systèmes
15 qui préfèrent des exceptions précises), donc si vous adoptez cette
16 règle d’exclusion, alors la Défense dira "Bien, l’Accusation et la
17 Défense peuvent discuter ensemble et décider quel élément de preuve
18 indirect vous sera quand même soumis", ce qui constituera, bien sûr,
19 une violation de la règle proprement dite d’exclusion. Mais puisque
20 la Défense ne s’y opposerait pas, l’élément serait admis. La manière
21 dont cela fonctionnerait est donc un petit peu déroutante.
22 Il est à prévoir que si cette règle était adoptée, les deux Chambres
23 de première instance seraient alors tenues de s’accorder sur les
24 exceptions éventuelles aux règles d’administration de la preuve
25 indirecte. Nous soutenons que dans ce contexte, ce serait réellement
Page 3687
1 un gaspillage de temps et de ressources pour le Tribunal.
2 À cet égard, dans la mesure où la Défense a avancé que, même en tant
3 que Juges, vous ne devriez pas entendre ces éléments de preuve, dont
4 vous auriez eu connaissance dans des systèmes stricts, mais que vous
5 ne devriez pas entendre parce qu’ils auraient un effet préjudiciable
6 et pourraient conduire à plus de condamnations que d’acquittements,
7 il est intéressant de remarquer que dans l’espèce sur laquelle se
8 basait l’article cité par la Défense, à savoir l’affaire Demjanjuk,
9 cet argument a été finalement écarté et des éléments de preuve
10 indirects ont été admis en appel. Ainsi, la première condamnation a
11 été annulée grâce à des éléments de preuve indirects.
12 LE PRÉSIDENT : Si je comprends bien cet article, l’auteur propose qu’il y
13 ait un système strict mais qu’il ne fonctionne pas de la même
14 manière pour la Défense et l’Accusation ; mais vous avez raison : en
15 appel, ils ont certainement appliqué le système discrétionnaire
16 parce que l’espèce ne correspondait à aucune exception.
17 MADAME HOLLIS : C’est exact. En fait, ils ont entériné les preuves
18 indirectes admises au dossier lors du procès, mais ils ont dit : "À
19 cause de ces preuves indirectes supplémentaires qui nous ont été
20 communiquées, nous avons conclu à un doute raisonnable et nous
21 devons revenir sur la condamnation".
22 Donc, ils n’ont pas dit en l’espèce que la preuve par ouï-dire
23 n’était pas valable ; en fait, ils ont utilisé la preuve par ouï-
24 dire pour revenir sur la condamnation précédente, à juste titre
25 d’ailleurs, mais on en déduit que même dans des systèmes stricts ---
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1 -
2 LE PRÉSIDENT : Cependant, la raison en était qu’ils appliquaient un
3 système différent à l’accusé -- je me suis peut-être mal exprimée
4 lorsque j’ai dit "strict pour l’Accusation" -- strict pour l’accusé
5 mais appliqué différemment ; est-ce que la conclusion de l’auteur
6 n’était pas finalement que la décision était justifiée parce qu’il
7 devrait y avoir un système différent pour la Défense ?
8 MADAME HOLLIS : Je pense que cet auteur utilise cette affaire pour
9 démontrer les dangers des éléments de preuve indirects. S’agissant
10 de la question de savoir s’il devrait y avoir un système différent
11 pour la Défense et l’Accusation, je suggérerai que le règlement de
12 procédure et de preuve utilisé pour déterminer la fiabilité et la
13 valeur probante des éléments de preuve soit le même pour tous car,
14 en dernier ressort, la véritable question est : les éléments de
15 preuve qui vous sont présentés, qu’ils proviennent de l’Accusation
16 ou de la Défense, sont-ils suffisamment dignes de foi pour être pris
17 en compte pour trancher la question posée, quelle qu’elle soit ?
18 C’est pourquoi je soutiens qu’il ne devrait pas y avoir de
19 différence de traitement, selon qu’il s’agit de l’Accusation ou de
20 la Défense.
21 LE PRÉSIDENT : Voyez-vous, l’auteur affirme ;" Si les procès pour crimes
22 de guerre doivent créer une barrière solide et systématique contre
23 les condamnations abusives, alors le tribunal des crimes de guerre
24 devrait choisir un système de règles strictes, aussi bien pour
25 l’accusation que pour la défense, mais ces règles devraient être des
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1 règles asymétriques qui premettraient à la défense de présenter au
2 Tribunal des éléments de preuve indirects que l’accusation n’aurait
3 pas le droit de présenter. Une règle proposée en ce domaine
4 disposerait que la preuve indirecte n’est admissible venant de
5 l’accusation dans les procès pour crimes de guerre que si elle
6 correspond à l’une des exceptions applicables aux règles d’exclusion
7 des classiques procès pénaux d’une juridiction nationale dont relève
8 la Cour", en l’occurrence Israël et, bien sûr, nous savons qu’en
9 Israël, pour les crimes ordinaires, ils n’appliquaient pas ces
10 règles -- même s’ils appliquent des règles d’exclusion, ils ne l’ont
11 pas fait lors des procès devant le tribunal des crimes de guerre, ce
12 qui ne correspond pas à notre situation.
13 L’auteur poursuit ainsi : "Par contre, la défense peut présenter des
14 preuves indirectes qui peuvent faire naître un doute raisonnable
15 quant aux conclusions de l’enquêteur sur la culpabilité de l’accusé,
16 même si ces preuves ne correspondent à aucune des exceptions
17 communément admises en pareil cas". Je ne sais pas mais j’ai du mal
18 à comprendre ce passage.
19 MADAME HOLLIS : J’ai du mal aussi. Je suggérerai que le critère ultime, en
20 particulier aux États-Unis avec l’exception générale, ils disent :
21 "même s’il ne s’agit pas d’une exception bien établie à la règle
22 relative à la preuve indirecte, nous savons que le droit évolue,
23 donc si vous pouvez établir des indices suffisants de crédibilité,
24 nous l’admettrons". Je suggérerai que cette règle, si elle existe,
25 s’applique aussi bien à l’Accusation qu’à la Défense, parce que
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1 l’accusé n’a pas le droit de fournir des éléments de preuve non
2 fiables, non probants à la Cour. Il ne s’agit pas là d’un droit
3 fondamental de l’accusé.
4 Ainsi, lorsque l’on parle de ce qui est admissible, le principe de
5 base est que la règle doit s’appliquer de la même manière. Ce que la
6 Défense tente de faire en mettant en avant ses règles, c’est ---
7 LE PRÉSIDENT : La Défense soutient qu’elle ne devrait pas s’appliquer de
8 la même manière parce que vous avez la charge de la preuve.
9 MADAME HOLLIS : Bien sûr cette charge nous incombe.
10 LE PRÉSIDENT : Et nous devons vous en laisser la responsabilité.
11 MADAME HOLLIS : À juste titre. Mais lorsqu’il s’agit de savoir quelles
12 preuves sont admises, le principe général, c’est que, à notre avis,
13 la Cour devrait avoir connaissance des éléments de preuve probants
14 et, comme vous l’avez souligné, les preuves ayant valeur probante,
15 il en a un large éventail mais, en règle générale, elles doivent
16 être suffisamment dignes de foi, volontaires et crédibles. Peu
17 importe la partie qui présente à la Cour des preuves insuffisamment
18 dignes de foi, volontaires et crédibles : elles doivent être exclues
19 parce qu’elles n’aident personne.
20 Donc, les conditions d’admissibilité ne doivent pas varier selon
21 qu’il s’agit de l’accusé ou de l’Accusation. L’accusé n’a pas le
22 droit de vous présenter un faux témoignage. Il n’a pas le droit de
23 vous présenter un témoignage qui ne serait pas digne de foi
24 simplement parce que c’est la Défense. C’est une question qui n’a
25 rien à voir avec le fait que la charge de la preuve nous incombe. La
Page 3691
1 Défense dit que son deuxième point ne constitue pas une solution
2 alternative mais son premier point a tout simplement pour but
3 d’exclure toutes les preuves indirectes. Ils ne disent nulle part
4 dans cette première règle "à moins que les deux parties ne
5 conviennent que l’élément de preuve correspond à l’une des
6 exceptions". Il semble donc que si vous adoptez cette première
7 règle, vous n’en arriverez jamais à l’exercice de comparaison, parce
8 que dès qu’il y a présomption de ouï-dire, l’élément de preuve est
9 totalement rejeté.
10 Même à supposer que d’une certaine manière ils précisent que si les
11 éléments de preuve relèvent d’une exception reconnue, ils sont
12 admissibles, le second point qu’ils vous proposent, leur deuxième
13 requête, modifie substantiellement l’article 89 D), et ce d’une
14 double façon ainsi qu’il a été dit.
15 De manière très appropriée, l’article 89 D) fixe les règles
16 d’admissibilité, car ceux qui reçoivent les éléments de preuve, ce
17 sont vous, les Juges. Il privilégie donc l’admissibilité. C’est à
18 celui qui s’oppose à l’admission des éléments de preuve d’établir
19 pourquoi ils ne devraient pas être admis. La règle proposée par la
20 Défense impose au partisan de l’admission de justifier sa position.
21 C’est là un changement de taille.
22 La règle en est significativement modifiée. Nous espérons bien
23 évidemment que tous les éléments de preuve que nous présentons,
24 s’ils sont pertinents et ont une valeur probante, auront un effet
25 préjudiciable, c’est-à-dire qu’ils permettront de prouver au delà de
Page 3692
1 tout doute raisonnable que l’accusé est coupable. Ce n’est pas là le
2 critère retenu dans l’article 89 D). Aux termes de cet article, la
3 Défense doit, pour obtenir l’exclusion d’éléments de preuve,
4 démontrer qu’il y va de l’équité du procès-- un idéal bien plus
5 élevé -- la nécessité d’assurer un procès équitable l’emportant de
6 loin sur la valeur des éléments de preuve dont l’admissibilité est
7 en cause. La Défense ne fait pas que renverser la charge de la
8 preuve, elle change très substantiellement les critères.
9 Madame et Messieurs de la Cour, ce que nous soutenons, c’est que le
10 Règlement, dans sa forme actuelle, permet à ce Tribunal de recevoir
11 un grand nombre de preuves et s’en remet à la formation, à
12 l’expérience et au professionnalisme des Juges pour déterminer le
13 poids à accorder à ces éléments de preuve. Si la Défense faisait la
14 démonstration que la valeur d’un élément de preuve est largement
15 inférieure à l’exigence d’un procès équitable, l’article 89 D)
16 permettrait à ce Tribunal d’exclure l’élément de preuve en question,
17 le postulat étant qu’à partir du moment où il est exclu, la Cour
18 n’en tiendra pas compte.
19 Cette approche recoupe celle des systèmes stricts. En un sens, nous
20 avons ici un système quelque peu strict, parce qu’il existe des
21 limitations, notamment l’article 89 D), mais du fait du contexte
22 dans lequel ces procès se déroulent, il s’agit d’une limitation qui
23 joue en faveur de l’admissibilité. Les inquiétudes que la Défense
24 exprime même aux paragraphes 10 et 11 sont au nombre des problèmes
25 qu’elle peut soulever au stade du contre-interrogatoire. Elle peut
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1 poser des questions qui démontreront à la Chambre -- si la Chambre
2 autorise ces questions et les réponses montreront à la Chambre
3 qu’elle devrait accorder peu de poids aux éléments de preuve
4 présentés ou bien elle peut exciper de l’article 89 D) et demander à
5 la Chambre d’exclure les éléments de preuve. Mais la règle
6 privilégiant l’admissibilité convient tout à fait à ce contexte.
7 Elle convient à ces procès. Nous vous demandons donc de rejeter la
8 requête de la Défense.
9 LE PRÉSIDENT : Avez-vous quelque chose à répondre, Madame de Bertodano ?
10 MADAME DE BERTODANO : Très rapidement, Madame le Président. Je ne
11 comprends pas l’interprétation de la requête selon laquelle le point
12 1) impliquerait une exclusion totale. Je pensais que la réserve
13 introduite par le point 2) était explicite. Il me semblait avoir
14 traité ce point lors de mon exposé. Madame et Messieurs de la Cour,
15 ce procès n’est peut-être pas unique en son genre si l’on considère
16 les procès pour crimes de guerre. Il s’agit néanmoins d’une
17 situation extrêmement inhabituelle par rapport au déroulement normal
18 des procès au pénal. Les problèmes que cela soulève et que nous
19 avons indiqués dans notre exposé ne peuvent être résolus lors d’un
20 contre-interrogatoire, parce que nous traitons de preuves
21 indirectes. C’est là où le bât blesse. En matière de preuve
22 indirecte, nous n’avons pas la possibilité de soumettre à un contre-
23 interrogatoire la personne qui a fait la déclaration initiale.
24 Madame et Messieurs de la Cour, pour les raisons que je vous ai
25 exposées, je dirai que nous ne modifions pas les critères de façon
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1 significative. Je pense avoir déjà traité cette question
2 suffisamment en détail pour ne pas avoir à y revenir.
3 Madame le Président, je terminerai en disant que nous cherchons à
4 obtenir un procès qui repose sur les meilleurs éléments de preuve
5 possibles, afin qu’il ne soit pas possible d’insinuer que le procès
6 reposerait plus sur des rumeurs que sur des preuves. La plupart des
7 systèmes acceptent que des éléments de preuve puissent, tout en
8 étant pertinents et probants, être inadmissibles pour des raisons
9 évidentes. C’est pourquoi nous vous demandons de faire droit à notre
10 requête.
11 LE PRÉSIDENT : L’article que vous nous avez communiqué traite d’un
12 tribunal pour crimes de guerre où les éléments de preuve reçus
13 dataient d’une quarantaine d’années, il me semble ---
14 MADAME DE BERTODANO : Oui.
15 LE PRÉSIDENT : -- c’est la date approximative. Bien sûr, l’auteur s’y
16 inquiète des défaillances de la mémoire et autres considérations.
17 Vous affirmez dans votre requête que c’est un problème qui vous
18 préoccupe, encore qu’en l’espèce, il est clair que nous ne remontons
19 pas si loin en arrière ---
20 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président.
21 LE PRÉSIDENT : --- trois, peut-être quatre, voire cinq années se sont
22 écoulées depuis et c’est là pour vous un sujet de préoccuaption.
23 Mais je ne sais pas si cela correspond tout à fait à la situation
24 évoquée par l’auteur en ce qui concerne le procès pour crimes de
25 guerre en Israël.
Page 3695
1 MADAME DE BERTODANO : Non, Madame le Président. Je ne cherchais pas à
2 démontrer qu’il y avait une correspondance totale avec le procès
3 Demjanjuk. La situation est très différente. Madame le Président,
4 les défaillances de la mémoire sont toutes relatives. On peut
5 oublier beaucoup de choses en quatre ans ; on peut en oublier plus
6 en quarante ans. Il n’en reste pas moins que cela nous préoccupe,
7 d’autant que nombre de témoins ont souffert de traumatismes dont on
8 sait qu’ils affectent particulièrement la mémoire.
9 LE PRÉSIDENT : Je comprends et j’apprécie la manière dont vous l’avez
10 formulé dans votre requête. Mais dans la plupart des procès pénaux
11 où il y a des victimes, des personnes qui ont souffert d’abus et
12 peut-être des institutions qui ont souffert d’abus, je pense que les
13 Juges sont suffisamment sages et expérimentés pour savoir qu’il peut
14 y avoir des raisons pour que la mémoire des témoins vacille au
15 moment où ils sont à la barre. Les choses que nous entendons sont
16 extraordinaires mais malheureusement pas sans précédent et cela
17 arrive également dans les systèmes nationaux.
18 Je veux dire par là que les mêmes considérations s’appliquent, de
19 même qu’elles s’appliquent dans les systèmes de tradition civiliste,
20 alors qu’ils ne sont limités par aucune règle relative à la preuve
21 indirecte.
22 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président, mais je voudrais insister
23 sur le caractère exceptionnel d’une situation marquée par une
24 terrible guerre civile.
25 LE PRÉSIDENT : Certainement. Elle est unique en son genre, de même que
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1 chaque chose est unique, mais je suppose que cette situation est
2 particulièrement unique. Vous dites que vous ne pouvez pas procéder
3 au contre-interrogatoire de la personne proposant les preuves et
4 c’est pourquoi vous voulez que la preuve indirecte soit exclue. Dans
5 certains systèmes également, même si la preuve indirecte est admise
6 en vertu de l’une des exceptions, vous ne pouvez pas procéder au
7 contre-interrogatoire de la personne.
8 MADAME DE BERTODANO : Non, Madame le Président, mais la raison qui fonde
9 la plupart des exceptions à la règle d’exclusion de la preuve
10 indirecte est qu’il y a des éléments qui renforcent la crédibilité.
11 LE PRÉSIDENT : Donc, vous accepteriez la proposition retenue par ce
12 Tribunal, à savoir que lorsque nous utilisons le terme "probante",
13 nous parlons d’un témoignage qui est digne de foi, volontaire et
14 crédible ?
15 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président.
16 LE PRÉSIDENT : Cela peut être le cas même lorsqu’il s’agit d’éléments de
17 preuve indirects. C’est ce que je pense.
18 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président. C’est pourquoi nous
19 affirmons que nous n’apportons pas de changement réel au Règlement.
20 Nous ne cherchons qu’à modifier la manière dont la preuve indirecte
21 est traitée.
22 LE PRÉSIDENT : Cette décision sera prise avant que nous n’entendions le
23 témoignage et nous déciderons alors s’il correspond à l’une des
24 exceptions généralement acceptées --
25 MADAME DE BERTODANO : -- que vous choisiriez de reconnaître.
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1 LE PRÉSIDENT : -- que nous choisirions de reconnaître ?
2 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président.
3 LE PRÉSIDENT : En ce qui concerne l’article 89 D), la décision rendue par
4 la majorité de la Chambre en août de l’année dernière, le 10 ou le
5 15 août, je ne sais plus, sur les mesures de protection demandées
6 par le Procureur pour préserver l’anonymat de certains témoins, eh
7 bien je me souviens que cette décision conférait l’anonymat à l’un
8 des trois témoins d’un incident précis et conférait un certain
9 anonymat aux deux autres, mais précisait quand même leur localité
10 d’origine après que la Défense eut affirmé : "Nous n’avons vraiment
11 pas besoin de connaître leur nom mais nous avons absolument besoin
12 de savoir où ils vivent". L’Accusation a déclaré "Nous ne vous
13 donnerons pas l’adresse exacte, mais juste le nom de la localité".
14 Quant au témoin anonyme, c’était l’un des trois témoins, nous avons
15 pris soin dans cette décision de préciser que l’article 89 D) nous
16 permettrait d’entendre sa déposition, de la resituer dans son
17 contexte et de déterminer ensuite si sa valeur probante était
18 largement inférieure à l’exigence d’un procès équitable.
19 Donc ce que nous disons, c’est : "Ces preuves seront entendues mais
20 nous ne prendrons cette décision qu’après les avoir examinées". Vous
21 n’êtes manifestement pas d’accord, peut-être avec tout ou partie de
22 cette décision, mais c’est l’approche que nous cherchons à adopter
23 en l’espèce et pour tout ce qui concerne l’administration de la
24 preuve, c’est-à-dire que nous examinerons les éléments, la manière
25 dont ils sont présentés, le contexte, puis nous porterons une
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1 appréciation, parce que, en cours d’instance, un préjudice peut être
2 subi, des erreurs commises par les Juges, sans que pour autant le
3 procès soit inéquitable. Il y a des erreurs réversibles et d’autres
4 qui sont irréversibles dans certains systèmes, si bien que des Juges
5 peuvent commettre des erreurs mais elles ne sont pas irréversibles
6 parce qu’elles n’affectent pas l’équité du procès.
7 C’est ce qui me dérange lorsque vous utilisez le terme
8 "préjudiciable" par opposition à "procès équitable". Nous, au moins,
9 avons pris le parti, dans notre Règlement et au moins à la majorité
10 dans une décision relative à l’anonymat, d’examiner entièrement les
11 éléments et de prendre la décision ensuite. Je suppose que cela ne
12 vous satisfait pas, n’est-ce pas ?
13 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, nous nous soucions d’en faire
14 non seulement un procès équitable mais également un procès qui passe
15 pour équitable. C’est un procès public et nous craignons qu’il ne
16 soit pas considéré comme tel si des éléments de preuve non crédibles
17 sont entendus.
18 LE PRÉSIDENT : D’après ce que vous dites, dans les systèmes de tradition
19 civiliste, il n’y aurait pas de procès équitables -- Monsieur
20 Wladimiroff, vous venez d’un système de tradition civiliste. Je ne
21 veux pas que vous témoigniez nécessairement mais je suis persuadée
22 que vous êtes très fier de votre système. Il a ses propres défauts,
23 comme les nôtres. Mais souhaitez-vous répondre à mes propos sur les
24 systèmes de tradition civiliste car vous en savez certainement
25 beaucoup plus que moi sur ce sujet ?
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1 MONSIEUR WLADIMIROFF : En fait, Madame le Président, les Juges tendent à
2 interrompre un témoin qui est sur le point de leur révéler une
3 information qui lui a été transmise par d’autres personnes. Les
4 Juges préfèrent dans ce cas entendre l’autre témoin.
5 LE PRÉSIDENT : Vous nous dites donc que dans le système néerlandais, les
6 éléments de preuve indirects sont automatiquement exclus ?
7 MONSIEUR WLADIMIROFF : À moins que le Juge ne soit convaincu que
8 l’information qu’on lui transmet est digne de foi et le même critère
9 sera alors appliqué.
10 LE PRÉSIDENT : Comment le Juge aboutit-il à cette conclusion dans le
11 contexte réel du procès.
12 MONSIEUR WLADIMIROFF : À la demande des deux parties.
13 LE PRÉSIDENT : Sur intervention des conseils ? Le Juge n’entend pas le
14 témoignage en question ?
15 MONSIEUR WLADIMIROFF : Le témoignage peut être présenté mais les Juges
16 eux-mêmes déclencheront cela après que les parties l’aient déclenché
17 à un stade antérieur.
18 LE PRÉSIDENT : Donc si les parties déclenchent ce débat à un stade
19 antérieur, est-ce que la réaction typique du Juge est de dire "J’ai
20 donc entendu les conseils mais il est temps que j’entende le témoin
21 lui-même pour pouvoir trancher" ?
22 MONSIEUR WLADIMIROFF : D’après moi, c’est plus ou moins de la
23 jurisprudence mais cela peut dépendre de ce que le témoin a pu
24 déclarer jusqu’alors, de ce que le Juge lui demande ou non d’arrêter
25 de témoigner et préfère plutôt l’information d’origine.
Page 3700
1 LE PRÉSIDENT : Vous ai-je bien compris lorsque vous dites que les Juges,
2 afin de pouvoir prendre la décision d’entendre ou non un témoignage,
3 doivent parfois entendre la déposition d’un témoin auquel la Défense
4 s’oppose au motif qu’il rapporte des propos tenus par d’autres ?
5 MONSIEUR WLADIMIROFF : Parfois, ils autoriseront le témoin à déposer,
6 jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de trancher. Il ne s’agit pas
7 d’une règle générale à proprement parler ; tout dépend de ce qui a
8 été dit jusque là.
9 LE PRÉSIDENT : Mais seulement dans la mesure où il ressort de ce qui a
10 déjà été dit que l’élément en question ne devrait pas être
11 admissible ?
12 MONSIEUR WLADIMIROFF : À la fin, le Juge peut dire "Nous n’accepterons pas
13 cet élément de preuve, il n’est pas admissible".
14 LE PRÉSIDENT : Je suppose que mon argument ne s’adressait qu’à Madame de
15 Bertodano et je ne veux pas le marteler mais ce Tribunal, le premier
16 tribunal pénal international est international. Il n’est ni malais
17 ni américain ni australien. Ce n’est pas un tribunal qui se réclame
18 de la common law, du système de la common law, non plus qu’il ne
19 s’inscrit dans la tradition civiliste. C’est un amalgame des deux et
20 c’est un choix délibéré car nous pensons que les affaires viendront
21 du monde entier. Les Juges viennent du monde entier et nous essayons
22 de combiner les systèmes. Je suis persuadée qu’il y a des procès
23 équitables dans les systèmes de tradition civiliste, alors même
24 qu’on n’y entre pas dans de telles considérations.
25 MONSIEUR WLADIMIROFF : Nous comprenons cela, Madame le Président. La seule
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1 chose que nous souhaitons c’est la définition de grandes
2 orientations en matière d’exceptions là où le Règlement ne fait que
3 prévoir l’application des articles 89 C) et D) après que les
4 éléments de preuve ont été présentés. Ce que nous souhaitons, c’est
5 donc que l’on s’arrête une étape avant, si l’on peut s’exprimer
6 ainsi, pour identifier les exceptions à la règle d’exclusion de la
7 preuve indirecte applicable. Nous proposons que la politique
8 générale soit de n’accepter aucun élément de preuve indirect, à
9 moins qu’il ne tombe sous le coup de l’une des exceptions reconnues,
10 car nous n’avons ici ni exceptions ni règles de droit interne. Nous
11 ne sommes pas liés à cet égard. L’étape suivante consiste à
12 appliquer l’article 89 et nous voulons nous arrêter à l’étape
13 précédente. Avant que la Chambre n’apprécie les éléments de preuve,
14 nous voulons qu’elle élabore une politique en matière d’exceptions
15 car nous ne savons pas à quoi nous en tenir. Nous ne savons qu’une
16 chose, c’est que la Chambre accepte les éléments de preuve à moins
17 que nous y opposions.
18 LE PRÉSIDENT : Laissez-moi vous dire ceci. C’est une question difficile et
19 nous, Juges, devrons discuter de la requête et trancher. Mais
20 lorsque vous affirmez que vous voulez que nous que nous décidions
21 que les éléments de preuve ne seront pas présentés au Tribunal à
22 moins qu’ils ne correspondent à l’une des exceptions, nous
23 retournons vraiment à notre point de départ, parce que s’il n’existe
24 pas de règle relative à l’administration de la preuve indirecte, il
25 n’y a pas non plus d’exceptions. Nous tournons en rond. Mais
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1 l’article 89 C) vous donne la réponse. Il stipule en effet que "La
2 Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu’elle
3 estime avoir valeur probante". Ce n’est pas l’article 89 D). Le 89
4 D) est l’article dont Madame de Bertodano suggère que nous l’avons
5 en quelque sorte retourné en disant "Oh, eh bien nous prendrons
6 cette décision plus tard". Je comprends son point de vue sur la
7 question.
8 Mais c’est l’article 89 C) qui est celui qui nous guide en premier
9 ressort, lorsque les éléments de preuve sont présentés. Ce qui nous
10 guide, c’est la question de savoir si l’élément de preuve est
11 pertinent et s’il semble avoir valeur probante. Je suggère au
12 Conseil que valeur probante signifie fiabilité, caractère volontaire
13 et crédibilité.
14 Mais, du moins dans mon système, et dans d’autres aussi peut-être,
15 le principe qui sous-tend fondamentalement toutes les exceptions,
16 c’est cela et la crédibilité. Nous acceptons donc, je pense -- en
17 tout cas j’accepte certainement --que cela soit la norme. Donc nous
18 n’avons pas besoin d’inscrire explicitement dans notre Règlement, en
19 tant qu’exceptions à l’exclusion de la preuve indirecte, les "propos
20 tenus sous l’emprise d’un choc, d’un état d’excitation" ou le res
21 gestae existant dans le système malais ou même anglais, ou les
22 informations ou publications commerciales et autres exceptions -- ou
23 même l’exception générale.
24 N’allez pas penser que nous sommes en présence d’un vide juridique
25 et que nous élaborons au fur et à mesure les règles que nous
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1 suivons. Nous, en tant que Tribunal, tenons des sessions plénières -
2 - je crois que nous avons examiné le Règlement de procédure et de
3 preuve en huit occasions différentes mais, croyez-moi, nous avons
4 travaillé dur et longtemps en tenant compte des sensibilités des
5 différents systèmes et des différentes professions exercées par les
6 Juges, pour arriver à ce que nous pensons être équitable.
7 Je suggère que si nous admettons un élément de preuve qui est vrai,
8 volontairement communiqué et fiable, avec comme guide sous-jacent la
9 crédibilité, il soit réputé avoir valeur probante et correspondre à
10 l’article 89 C). Nous n’en arriverions à l’article 89 D) que si,
11 peut-être, nous commettions une erreur relevée par la Défense ou le
12 Procureur et nous dirions alors : "D’accord, nous avons dit que cet
13 élément de preuve avait valeur probante mais maintenant nous
14 concluons que sa valeur probante est largement inférieure à
15 l’exigence d’un procès équitable. Donc même si nous avons jugé qu’il
16 avait valeur probante, nous allons l’exclure". C’est alors que nous
17 en arrivons à cette espèce d’approche en catimini à laquelle le
18 Conseil de la défense s’oppose et je comprends sa position. Mais on
19 n’en arrive pas là si l’on applique correctement l’article 89 C).
20 MONSIEUR WLADIMIROFF : Nous comprenons parfaitement cela, Madame le
21 Président. Pourrai-je juste en revenir à l’idée de départ, à savoir
22 qu’il s’agit là de la première affaire. Il n’existe pas de
23 jurisprudence en la matière, réserve faite de deux décisions prises
24 dans la présente affaire sur les éléments de preuve indirects. Il
25 est essentiel que nous ayons en l’espèce une idée claire de la
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1 position de la Chambre sur la question, puisque qu’au vu des
2 déclarations préalables que l’Accusation nous a communiquées, nous
3 savons que beaucoup d’éléments de preuve indirects vont nous être
4 présentés. Nous souhaitons réellement savoir à quoi nous en tenir.
5 Le point fondamental sur lequel nous voulons être renseignés, c’est
6 qui va déclencher quoi : apprendrons-nous après coup quelle est
7 votre position concernant l’article 89 C) ou sauront-nous avant
8 quelle pourrait être votre position ? Ce que nous suggérons, c’est
9 que la question soit déclenchée immédiatement afin que nous sachions
10 à quoi nous en tenir, parce que nous ne voulons pas à avoir à
11 soulever encore et toujours la même objection. Nous voulons que le
12 problème soit clairement identifié la première fois qu’il se pose et
13 qu’on lui trouve une solution globale. C’est exactement ce que nous
14 voulons. Cela n’est pas permis à moins que vous décidiez que ça
15 l’est. Nous voulons connaître les exceptions que vous admettez dans
16 l’application de l’article 89 C) car nous n’en savons rien. Nous
17 sommes confrontés à un silence. Voilà, j’ai dit exactement ce que
18 nous souhaitons.
19 LE PRÉSIDENT : C’est ce que j’ai essayé de faire en lisant -- je ne sais
20 pas si c’était judicieux, mais les comptes rendus de nos discussions
21 sur le Règlement sont à la disposition du public. Nous, Juges,
22 délibérerons et rendrons une ordonnance ou une décision qui vous
23 éclairera je pense. Vous y avez droit. "Probante", que veut dire
24 "probante" ? Je pense que c’est là où vous en êtes. Qu’est-ce que
25 cela signifie ? Vous voulez savoir ce que cela veut dire afin de
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1 pouvoir formuler vos arguments et que vos objections soient
2 retenues.
3 MONSIEUR WLADIMIROFF : Parce que si nous devons soulever une objection,
4 sur quoi la baser ? Nos n’avons aucune indication.
5 LE PRÉSIDENT : Monsieur Le Juge Vohrah n’a pas vraiment d’autres
6 questions. Nous avons discuté et je pense que nous avons consacré
7 suffisamment de temps à cette question. En principe, nous avons une
8 suspension de séance à 11 heures 30. Mais je suis persuadée que tout
9 le monde est fatigué à l’heure qu’il est. Peut-être conviendrait-il
10 de suspendre la séance dès maintenant. Nous nous prononcerons sous
11 peu sur votre requête, Monsieur Wladimiroff.
12 Cependant, les autres questions que nous devons examiner sont des
13 questions d’ordre général dont nous avions discuté avant la
14 suspension de séance. Nous voulons savoir où en sont les parties et
15 ensuite nous nous occuperons de la demande du Procureur, n’est-ce
16 pas ? Vous voulez que nous examinions votre demande ce matin, si
17 possible -
18 MONSIEUR NIEMANN : Si possible, oui, Madame le Président.
19 LE PRÉSIDENT : -- à huis clos et ensuite, il ne s’agira pas du témoin
20 suivant, si bien qu’après nous reprendrons l’audience publique avec
21 un autre témoin.
22 MONSIEUR NIEMANN : C’est exact.
23 LE PRÉSIDENT : L’audience est donc suspendue pour 20 minutes.
24 (11 heures 25)
25 (Audience suspendue pour une courte pause)
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1 (11 heures 45)
2
3 (Audience à huis clos)
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1 (expurgée)
2 (13h 45 mn)
3 (Pause déjeuner)
4
5 (14 h 15 mn)
6 (Audience publique)
7 LE PRÉSIDENT : Monsieur Niemann, je ferai observer que nous avons reçu la
8 mise à jour de la liste des témoins de l’Accusation.
9 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président.
10 LE PRÉSIDENT : Je pense que c’est intéressant. La nouvelle liste que vous
11 nous avez donnée réduit notablement le temps dont vous aurez besoin
12 pour mener à bien vos interrogatoires principaux. Alors quand
13 pensez-vous en avoir terminé ?
14 MONSIEUR NIEMANN : À la mi-août environ, nous pensons, oui, Madame le
15 Président.
16 LE PRÉSIDENT : Très bien. Merci de vous être penché sur la question. Nous
17 comprenons que vous avez une lourde tâche et nous ne souhaitons en
18 aucun cas vous couper, mais nous voulons que ce procès soit aussi
19 rapide et équitable que possible.
20 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président.
21 LE PRÉSIDENT : L’autre question que je souhaitais aborder est celle que
22 j’avais soulevée avant la pause déjeuner : j’ai dit que les comptes
23 rendus des sessions plénières étaient rendus publics alors qu’ils ne
24 le sont pas. Je vois que Monsieur Wladimiroff hoche la tête et
25 semble dire "Je sais, j’ai probablement essayé de les obtenir et on
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1 me les a refusés".
2 MONSIEUR WLADIMIROFF : Je suis content de vous entendre dire çela parce
3 que j’ai pu constater qu’ils ne l’étaient pas.
4 LE PRÉSIDENT : Non, non. Nous tenons des réunions et parfois nous nous
5 réunissons seuls à huis clos, mais aucune de nos délibérations n’est
6 publique, et à juste titre. Il y a des délibérations à huis clos sur
7 le Règlement de procédure et de preuve et sur nombre d’autres
8 questions. Elles permettent aux différents Juges d’exposer leur
9 point de vue sur le Règlement et des questions confidentielles. Je
10 n’éprouve aucune gêne à faire part de mes opinions parce que je dis
11 en public tout ce que je dis en privé. Ainsi en est-il de mon avis
12 sur le Règlement. Mais il n’est pas bon d’imputer à aucun des autres
13 Juges tel ou tel propos. Je ne l’ai pas fait mais j’avais par
14 ailleurs tort, les comptes rendus des plénières ne sont pas
15 accessibles au public.
16 Bien, nous sommes maintenant en audience publique, Monsieur Niemann,
17 voulez-vous appeler votre prochain témoin à la barre ?
18 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président. Mais avant, je voudrais
19 apporter une rectification. J’ai dit à tort ce matin que nous avions
20 envoyé une lettre à l’IFOR. Ce qui s’est passé, c’est que nous avons
21 effectivement rédigé une lettre mais nous ne l’avons pas expédiée
22 car nous connaissions déjà la réponse. Nous avons posé la question
23 et on nous a informé que cela ne faisait pas partie de leur mandat.
24 Je voulais juste apporter un rectificatif au compte rendu.
25 LE PRÉSIDENT : Vous faites comme vous voulez. Si vous persistez à poser la
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1 question, pensez-vous que vous obtiendrez une réponse différente ?
2 Non, je crois que non.
3 MONSIEUR NIEMANN : Cela vaut la peine d’essayer, Madame le Président.
4 J'appelle Sead Halvadzic à la barre.
5 MONSIEUR SEAD HALVADZIC est appelé à la barre.
6 LE PRÉSIDENT : Voulez-vous, s’il vous plaît, vous lever et prêter serment,
7 monsieur ?
8 LE TÉMOIN ?En interprétation? : Je déclare solennellement que je dirai la
9 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
10 (Le témoin prête serment)
11 LE PRÉSIDENT : Vous pouvez vous asseoir, merci.
12 Interrogatoire conduit par MONSIEUR NIEMANN
13 QUESTION : Vous appelez-vous Sead Halvadzic ?
14 RÉPONSE : Oui.
15 QUESTION : Êtes-vous né le 1er novembre 1972 ?
16 RÉPONSE : Oui.
17 QUESTION : Êtes-vous né à Prijedor ?
18 RÉPONSE : Oui.
19 QUESTION : À l’exception de la période pendant laquelle vous étiez dans
20 l’armée, avez-vous toujours vécu, jusqu’en 1992, à Prijedor ?
21 RÉPONSE : Oui.
22 QUESTION : Avez-vous fréquenté l’école primaire de Prijedor ?
23 RÉPONSE : Oui.
24 QUESTION : Quand avez-vous rejoint l’armée, la JNA ?
25 RÉPONSE : En mars 1991.
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1 QUESTION : Jusqu’à quand êtes vous resté dans l’armée ?
2 RÉPONSE : Jusqu’au 15 mai 1992.
3 QUESTION : Lorsque vous étiez dans la JNA, étiez-vous basé dans une ville
4 de Serbie appelée Nis ?
5 RÉPONSE : Oui.
6 QUESTION : Avez-vous, dans l’armée, suivi l’entraînement des parachutistes
7 ?
8 RÉPONSE : Est-ce que j’étais parachutiste ?
9 QUESTION : Oui. Étiez-vous un parachutiste ?
10 RÉPONSE : Oui.
11 QUESTION : Quand avez-vous quitté la JNA ?
12 RÉPONSE : Le 15 mai 1992.
13 QUESTION : Qu’est-ce qui s’est passé ensuite, où êtes-vous allé ?
14 RÉPONSE : À Banja Luka.
15 QUESTION : Pourquoi êtes-vous allé à Banja Luka ?
16 RÉPONSE : Nous avons reçus des ordres comme quoi tous les Bosniaques
17 devaient être réaffectés en Bosnie.
18 QUESTION : Une fois revenu à Banja Luka, qu’avez-vous fait ?
19 RÉPONSE : Nous sommes restés à l’aéroport de Banja Luka pendant environ
20 une heure et demie et alors, le Colonel qui commandait l’aéroport
21 nous a dit que nous avions une semaine de permission, parce qu’il y
22 avait des Musulmans et des Croates dans cette unité.
23 QUESTION : Êtes-vous alors retourné à Prijedor ?
24 RÉPONSE : Oui.
25 QUESTION : Rentré à Prijedor, qu’avez-vous fait ?
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1 RÉPONSE : Lorsque je suis arrivé à Prijedor, j’ai vu que la ville était
2 déjà sous contrôle serbe. Il y avait des drapeaux serbes partout.
3 Les chars avaient été peints en bleu et les véhicules blindés de la
4 Milice aussi ; tout ce matériel appartenait avant à la JNA.
5 QUESTION : Qu’avez-vous fait quand vous avez vu ça ?
6 RÉPONSE : J’ai passé environ trois jours à la maison. Je suis resté à la
7 maison puis je suis allé à Carakovo.
8 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Je ne comprends pas ce que le témoin veut dire
9 lorsqu’il affirme "tout ce matériel devait appartenir à la JNA".
10 MONSIEUR NIEMANN : Que vouliez-vous dire lorsque vous avez affirmé, il y a
11 quelques instants, que tout ce matériel devait appartenir à la JNA ?
12 RÉPONSE : Parce que la police de Prijedor et la police en général n’ont
13 jamais disposé de chars ou de véhicules blindés ; ce genre de
14 véhicules blindés n’a jamais existé dans la Police, ce qui signifie
15 qu’ils avaient été pris à l’armée, que l’armée les avait donnés à la
16 police qui les a peints en bleu comme si c’était l’équipement de
17 l’armée de -- de la police de Bosnie-Herzégovine.
18 QUESTION : Vous avez dit qu’après avoir passé quelques jours à Prijedor,
19 vous avez quitté la ville. Pourquoi ?
20 RÉPONSE : Je voulais combattre pour l’indépendance de la Bosnie-
21 Herzégovine.
22 QUESTION : Avez-vous rejoint un groupe d’hommes qui menaient un tel
23 combat, un combat pour la Bosnie-Herzégovine ?
24 RÉPONSE : Oui.
25 QUESTION : Où était basé ce groupe d’hommes ?
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1 RÉPONSE : Nous étions basés dans un village du nom de Carakovo.
2 QUESTION : À quelle distance de Prijedor était-il ?
3 RÉPONSE : Environ quatre ou cinq kilomètres.
4 QUESTION : Comment s’appelait le groupe d’hommes que vous avez rejoint ?
5 Avait-il un nom particulier ?
6 RÉPONSE : Non.
7 QUESTION : De quelle nationalité ou coloration ethnique la plupart des
8 membres de ce groupe étaient-ils ?
9 RÉPONSE : Il devait y avoir quelques Croates et le reste étaient des
10 Musulmans.
11 QUESTION : De quelles armes disposiez-vous ?
12 RÉPONSE : Nous avions quelques mitraillettes, deux ou trois fusils de
13 précision et quelques bombes, quelques grenades -- rien d’autre.
14 QUESTION : Vous avait-on donné des uniformes ou portiez-vous des uniformes
15 lorsque vous étiez avec ce groupe d’hommes ?
16 RÉPONSE : Eh bien, je crois que quelques-uns d’entre nous avaient des
17 uniformes. Les autres étaient en civil ou arboraient peut-être les
18 chemises que portent habituellement les réservistes.
19 QUESTION : Combien de temps êtes-vous resté avec ce groupe d’hommes ?
20 RÉPONSE : Jusqu’à l’attaque de Prijedor, c’est-à-dire jusqu’au 31 mai et
21 alors, on a essayé d’opérer une percée vers Bihac.
22 QUESTION : Avez-vous réussi ?
23 RÉPONSE : Non.
24 QUESTION : Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
25 RÉPONSE : Ils nous ont capturés, mon ami Jasmin Adic et moi, à proximité
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1 d’un endroit appelé cele, près d’Agici, qui se trouve à peu près à
2 mi-chemin entre Prijedor et Bihac.
3 QUESTION : À peu près à quelle distance de Prijedor ?
4 RÉPONSE : Eh bien, 20, 30 kilomètres environ.
5 QUESTION : Pouvez-vous vous souvenir de la date à laquelle vous avez été
6 capturés ?
7 RÉPONSE : Le 6 juin 1992.
8 QUESTION : Qui vous a capturés ? Qui vous a capturés le 6 juin 1992 ?
9 RÉPONSE : Les Serbes de cette localité.
10 QUESTION : Il s’agissait de soldats serbes, n’est-ce pas ?
11 RÉPONSE : Des réservistes serbes.
12 QUESTION : Où vous ont-ils emmenés après votre capture ?
13 RÉPONSE : Ils nous ont emmenés dans, comment disent-ils, dans leur Commune
14 locale.
15 QUESTION : Vous souvenez vous de son nom ? Vous ne vous souvenez peut-être
16 pas du nom. Vous souvenez-vous du nom de la Commune locale à
17 laquelle on vous a emmenés ?
18 RÉPONSE : C’était la Municipalité de cele.
19 QUESTION : Et de là, où êtes-vous allés ?
20 RÉPONSE : Ils voulaient nous tuer tout de suite mais, heureusement, la
21 police militaire et la police de Bosanski Novi sont arrivées et plus
22 tard on a été transférés au quartier général de la police de
23 Bosanski Novi.
24 QUESTION : Combien de temps vous a-t-on gardés à Bosanski Novi ?
25 RÉPONSE : Nous y avons passé deux nuits.
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1 QUESTION : Et de là, où êtes-vous allés ?
2 RÉPONSE : Le matin qui a suivi la deuxième nuit, ils nous ont emmenés à
3 l’hôtel Una à Bosanski Novi, c’était la police militaire, et à midi
4 nous avons été transférés à la caserne de Prijedor.
5 QUESTION : Lorsque vous parlez de "caserne", que voulez-vous dire par là ?
6 S’agissait-il d’une caserne de police ou d’une caserne militaire ?
7 RÉPONSE : Une caserne militaire à Prijedor.
8 QUESTION : Pouvez-vous nous dire où, approximativement, dans la ville de
9 Prijedor, se situait cette caserne militaire ?
10 RÉPONSE : À Urije.
11 QUESTION : À quelle date êtes-vous arrivés à la caserne de Prijedor ? Vous
12 en souvenez-vous ?
13 RÉPONSE : Après le 9 juin, c’était le 8 juin.
14 QUESTION : À environ quelle heure y êtes-vous arrivés ? Le matin ou
15 l’après-midi ?
16 RÉPONSE : Eh bien, entre midi et l’après-midi.
17 QUESTION : Quand vous êtes arrivés, que s’est-il passé ?
18 RÉPONSE : Ils nous ont emmenés au premier étage et nous ont laissé là-bas
19 Burdo et moi. Deux gardes étaient avec nous. L’un des deux est allé
20 faire son rapport au Commandant, que nous étions arrivés. Un autre
21 est venu et a dit "qu’est-ce que vous fichez ici, vous les Oustachis
22 ?" Il nous a forcés à lever trois doigts et à nous mettre contre le
23 mur. Alors un autre a dit "Tadic, tu vois ces Oustachis ?", l’un
24 d’eux a dit.
25 QUESTION : Vous faisiez face au mur quand c’est arrivé ?
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1 RÉPONSE : Eh bien, oui, nous étions appuyés au mur sur trois doigts.
2 QUESTION : Qu’est-ce qui est arrivé après ?
3 RÉPONSE : Ensuite, deux hommes sont venus, l’un était plus grand que
4 l’autre. Ils étaient tous deux en tenue camouflée avec des bretelles
5 blanches et au moment où je me suis retourné, quelqu’un m’a frappé.
6 C’était un coup de karaté asséné très fortement.
7 QUESTION : Comment ce fait-il que vous sachiez que c’était un coup de
8 karaté ?
9 RÉPONSE : Eh bien, j’ai également fait du karaté et quand je faisais mon
10 service, j’ai aussi appris le jiu-jitsu et d’autres arts martiaux.
11 QUESTION : Qu’est-ce qui s’est passé après que vous ayez reçu ce coup de
12 karaté ? Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?
13 RÉPONSE : Ils ont continué à nous battre.
14 QUESTION : Avez-vous vu le visage des hommes qui vous battaient ?
15 RÉPONSE : Oui, pendant un très court instant.
16 QUESTION : Pendant qu’ils vous battaient, les avez-vous entendus discuter
17 entre eux ?
18 RÉPONSE : Ils nous frappaient pendant tout ce temps et nous disaient de
19 rester face au mur en nous appuyant des trois doigts et ils nous
20 frappaient avec leur bottes, leurs bâtons et d’autres objets.
21 QUESTION : L’un d’entre eux a-t-il utilisé une arme contre vous ?
22 RÉPONSE : Eh bien, le Commandant a quitté le bâtiment. Il a dit "Tadic,
23 laisse ces gens tranquilles", et il a dit "Ils doivent tous y
24 passer, on devrait tous leur couper la gorge. C’est la seule
25 solution."
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1 QUESTION : Qui a dit ça ?
2 RÉPONSE : Je n’ai pas vu.
3 QUESTION : Non, mais répétez nous qui leur a dit d’arrêter le passage à
4 tabac.
5 RÉPONSE : Le Commandant qui était dans la pièce et qui a parlé aux gardes
6 qui nous avaient ramenés de Bosanski Novi.
7 QUESTION : Quelle était la réponse que vous avez entendue ?
8 RÉPONSE : Que nos gorges devraient êtres coupées parce que nous étions des
9 Oustachis.
10 QUESTION : Savez-vous lequel des deux hommes a dit ça ?
11 RÉPONSE : Non, parce que j’étais face au mur.
12 QUESTION : Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?
13 RÉPONSE : Ils nous ont ensuite pris et emmenés dans une cellule de la
14 caserne.
15 QUESTION : Ces hommes qui vous ont battu, connaissiez-vous l’un d’entre
16 eux avant ce jour ?
17 RÉPONSE : Non, je ne les connaissais pas.
18 QUESTION : Avant ce jour là, aviez-vous déjà rencontré quelqu’un qui
19 s’appelait Tadic ?
20 RÉPONSE : Rencontré ?
21 QUESTION : Avant ce jour là, aviez-vous déjà rencontré quelqu’un qui
22 s’appelait Tadic ?
23 RÉPONSE : Non.
24 QUESTION : Connaissiez-vous quelqu’un qui portait ce nom là ?
25 RÉPONSE : Non.
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1 QUESTION : Après cela, qu’est ce qui s’est passé ? Où êtes-vous allés,
2 après le passage à tabac ?
3 RÉPONSE : Ils nous ont emmenés dans une cellule de la caserne et là, ils
4 nous ont tabassés une deuxième fois, c’étaient d’autres hommes.
5 QUESTION : Qui sont les hommes qui vous ont battus ? Vous le savez ?
6 RÉPONSE : Non, je ne sais pas -- des soldats aussi.
7 QUESTION : S’agissait-il des mêmes hommes qui vous avaient battus avant ou
8 d’autres hommes ?
9 RÉPONSE : Il s’agissait d’autres hommes.
10 QUESTION : Qu’est ce qui s’est passé ensuite? Où êtes-vous allés, après
11 cela ?
12 RÉPONSE : Nous avons passé une nuit dans cette cellule et après cela, ils
13 nous ont emmenés au camp d’Omarska.
14 QUESTION : Où étiez-vous logés au camp d’Omarska ?
15 RÉPONSE : Dans la maison blanche.
16 QUESTION : Lorsque vous êtes allés à Omarska, avez-vous reconnu certains
17 des gardes qui s’y trouvaient ?
18 RÉPONSE : Non, pas avant.
19 QUESTION : Vous ne les connaissiez pas avant ?
20 RÉPONSE : Non.
21 QUESTION : Combien de temps avez-vous passé à la maison blanche d’Omarska
22 ?
23 RÉPONSE : Un mois.
24 QUESTION : Pendant tout le temps que vous avez passé à la maison blanche à
25 Omarska, avez-vous subi des passages à tabac ?
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1 RÉPONSE : Au moins cinq fois par jour.
2 QUESTION : Avez-vous fini par connaître certains des hommes qui vous ont
3 battu pendant votre captivité dans la maison blanche d’Omarska ?
4 RÉPONSE : Est-ce que j’ai fini par connaître un des gardes ?
5 QUESTION : Oui.
6 RÉPONSE : Je n’ai pu entendre que leur noms.
7 QUESTION : Oui. Vous souvenez-vous des noms par lesquels étaient appelés
8 certains des gardes qui vous ont battu lorsque vous étiez au camp
9 d’Omarska ?
10 RÉPONSE : Oui, je me souviens en effet de certains d’entre eux.
11 QUESTION : Pourriez-vous nous dire leur nom ?
12 RÉPONSE : Vous voulez que je vous donne ces noms ?
13 QUESTION : Si vous pouvez vous en souvenir ?
14 RÉPONSE : Il y avait quelqu’un qui s’appelait Kvocka, il a commandé le
15 camp pendant quelques temps, puis il a été remplacé par Zeljko
16 Meakic qui m’a également frappé en personne ; et certains gardes
17 venaient de Prijedor, l’un d’entre eux était Zuga Nikica et il y en
18 avait un autre avec eux, Pirvan et puis un autre qui s’appelait Brk,
19 il était le chauffeur personnel de Zeljko Meakic et un certain
20 nombre d’autres.
21 QUESTION : Combien de temps avez-vous passé à Omarska ?
22 RÉPONSE : Jusqu’au démantèlement du camp.
23 QUESTION : Quand cela a-t-il eu lieu ?
24 RÉPONSE : Je ne me souviens pas. Ça devait être en août ou septembre.
25 QUESTION : Août ou septembre de quelle année ?
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1 RÉPONSE : 1992.
2 QUESTION : Où êtes-vous allé quand vous avez quitté Omarska ?
3 RÉPONSE : Manjaca.
4 QUESTION : Combien de temps avez-vous été détenu à Manjaca ?
5 RÉPONSE : Jusqu’à la mi-décembre.
6 QUESTION : Où êtes-vous allé après Manjaca ?
7 RÉPONSE : Je suis parti pour Karlovac avec le convoi de la Croix Rouge
8 Internationale.
9 QUESTION : Revenons un peu au moment où vous êtes allé à la caserne de
10 Prijedor où vous avez été battu par ces deux hommes, lorsque vous
11 avez entendu le nom de "Tadic" pour la première fois, dans quelle
12 position étiez-vous lorsque vous avez entendu pour la première fois
13 le nom "Tadic" ?
14 RÉPONSE : J’étais face au mur, m’appuyant dessus des trois doigts et quand
15 j’ai voulu les regarder, j’ai vu deux hommes entrer et l’un des deux
16 m’a frappé.
17 QUESTION : En juin de cette année, le 14 juin 1996, Monsieur Thomas
18 Ackheim et Monsieur Reid, du Bureau du Procureur, vous ont-ils
19 montré un album de photographies ?
20 RÉPONSE : Oui, un petit album photo.
21 QUESTION : Avez-vous examiné chacune de ces photographies ?
22 RÉPONSE : Oui.
23 QUESTION : Dans cet album, avez-vous reconnu une des photographies qui
24 vous ont été montrées ?
25 RÉPONSE : Oui.
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1 QUESTION : La photographie que vous avez reconnue, c’était une
2 photographie de qui ?
3 RÉPONSE : C’était la photo de l’un des deux hommes qui nous ont battus à
4 la caserne.
5 QUESTION : Aviez-vous vu cette photographie auparavant, la photographie de
6 cette personne, avant qu’on ne vous montre cet album photo ?
7 RÉPONSE : Non.
8 QUESTION : Aviez-vous jamais vu l’image de cette personne à la télévision
9 ou dans tout autre média auparavant ?
10 RÉPONSE : Non.
11 QUESTION : Pourrai-je faire marquer aux fins d’identification cet album
12 photo, s’il vous plaît ? No. 242 ? Pourrait-on montrer cet album
13 photo au témoin ?
14 LE PRÉSIDENT : En avez-vous une copie, Monsieur Kay ?
15 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président. Vous vous souvenez peut-être
16 qu’avant la pause, il y a eu des propositions à ce sujet.
17 LE PRÉSIDENT : Avez-vous un exemplaire supplémentaire du 242 pour que la
18 Défense puisse le consulter en même temps que le témoin le regarde ?
19 MONSIEUR WLADIMIROFF : En fait, nous avons vu cet album et j’en ai moi-
20 même fait des copies.
21 MONSIEUR NIEMANN : Nous avons donné un exemplaire à la Défense, Madame le
22 Président.
23 LE PRÉSIDENT : Très bien, merci.
24 MONSIEUR NIEMANN (Au témoin) : Monsieur Halvadzic, cet album est-il le
25 même que celui que vous ont montré les enquêteurs Ackheim et Reid du
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1 Bureau du Procureur ?
2 RÉPONSE : Oui.
3 QUESTION : Votre signature apparaît-elle sur l’une des photographies de
4 cet album, au dos de l’une des photographies de cet album ?
5 RÉPONSE : Oui.
6 QUESTION : Quel est le numéro de cette photographie si l’on prend l’album
7 par le début ?
8 RÉPONSE : Il y a deux chiffres ici.
9 QUESTION : Je vous demande pardon. Il y a combien de photographies entre
10 le début de l’album et cette photographie ? Pouvez-vous juste
11 compter les photographies à partir du début de l’album ?
12 RÉPONSE : Il y a la 0400, la 15400, la 136.
13 QUESTION : Oui. Tout ce que je veux que vous me disiez, c’est le nombre de
14 photographies qui précèdent celle que vous avez signée. Partez du
15 début de l’album, d’accord ?
16 RÉPONSE : La deuxième.
17 QUESTION : La deuxième photographie ?
18 RÉPONSE : Ici, la deuxième.
19 QUESTION : Je crois que vous étiez sur le point de nous citer des chiffres
20 qui apparaissent au dos de cette photographie. Est-ce que ces
21 chiffres étaient sur la photographie lorsque vous l’avez signée,
22 pouvez-vous vous en rappeler ?
23 RÉPONSE : Non.
24 QUESTION : Il n’y avait rien d’inscrit dessus, n’est-ce pas ?
25 RÉPONSE : Oui.
Page 3752
1 MONSIEUR NIEMANN : Je demande le versement au dossier de cette
2 photographie, Madame le Président.
3 LE PRÉSIDENT : Y a-t-il des objections ?
4 MONSIEUR WLADIMIROFF : En fait, Madame le Président, nous maintenons
5 l’objection que nous avions déjà formulée, même si, pour autant que
6 je me souvienne, aucune décision n’a encore été prise à son sujet.
7 LE PRÉSIDENT : Je considère donc que vous avez une objection de principe à
8 l’utilisation ---
9 MONSIEUR WLADIMIROFF : Absolument.
10 LE PRÉSIDENT : -- de cet album photo au cours de cette procédure, pour les
11 raisons que vous avez énoncées dans votre mémoire.
12 MONSIEUR WLADIMIROFF : Merci beaucoup.
13 LE PRÉSIDENT : Sur ce point particulier, votre objection est rejetée. La
14 pièce 242 sera admise au dossier.
15 MONSIEUR NIEMANN : Êtes-vous sûr que la photographie au dos de laquelle
16 vous avez écrit votre nom est celle de la personne qui vous a passé
17 à tabac à la caserne de Prijedor ce jour là, ou de l’un des hommes
18 qui vous ont passé à tabac à la caserne de Prijedor ce jour là ?
19 RÉPONSE : Oui.
20 MONSIEUR NIEMANN : Plus de questions, Madame le Président.
21 LE PRÉSIDENT : Monsieur Kay ?
22 MONSIEUR KAY : Merci, Madame le Président.
23 Contre-interrogatoire conduit par MONSIEUR KAY
24 QUESTION : Monsieur, Halvadzic, je peux supposer, n’est-ce pas, que vous
25 vivez en ce moment dans un endroit où il y a des télévisions ?
Page 3753
1 RÉPONSE : Oui.
2 QUESTION : Je peux supposer, n’est-ce pas, que vous vivez dans un endroit
3 où il y a des journaux ?
4 RÉPONSE : Oui.
5 QUESTION : Quand avez-vous appris que vous alliez témoigner dans cette
6 affaire.
7 RÉPONSE : Lorsqu’ils m’ont contacté.
8 QUESTION : Quand vous ont-ils contacté ?
9 RÉPONSE : En 1995.
10 QUESTION : Était-ce en mai 1995 ?
11 RÉPONSE : Je ne me souviens pas.
12 QUESTION : J’ai ici une déclaration signée de votre main le 4 mai 1995. Je
13 vais donc considérer qu’il s’agit de la date approximative à
14 laquelle on vous a localisé en tant que témoin dans cette affaire.
15 RÉPONSE : Je n’ai pas compris la question.
16 QUESTION : Ai-je raison de considérer que la déclaration en date du 4 mai
17 1995 a été faite peu de temps après que l’on fut entré en relation
18 avec vous pour vous faire témoigner dans cette affaire ?
19 RÉPONSE : Oui.
20 QUESTION : C’était donc près de trois ans après les événements qui se sont
21 déroulés à la caserne de Prijedor lorsque vous avez été arrêté pour
22 la première fois ?
23 RÉPONSE : Oui.
24 QUESTION : Entre temps, vous avez passé près de trois mois dans le camp
25 d’Omarska ?
Page 3754
1 RÉPONSE : Oui.
2 QUESTION : Après Omarska, vous êtes allé à un camp appelé Manjaca ?
3 RÉPONSE : Oui.
4 QUESTION : Combien de temps avez-vous passé à Manjaca ?
5 RÉPONSE : Je n’arrive pas à me rappeler. Je ne me souviens pas exactement.
6 QUESTION : Plutôt six mois ou plutôt quatre mois ?
7 RÉPONSE : Au total pour les deux camps ?
8 QUESTION : À Manjaca ?
9 RÉPONSE : Trois à quatre mois.
10 QUESTION : Bien. De Manjaca, vous êtes allé à un endroit appelé Karlovac ?
11 RÉPONSE : Oui.
12 QUESTION : Combien de temps y avez-vous passé ?
13 RÉPONSE : Environ un mois.
14 QUESTION : À quelle date avez-vous été libéré et en mesure de cesser de
15 vivre dans un camp, que ce soit un camp de réfugiés ou de
16 prisonniers ?
17 RÉPONSE : Vous voulez dire quand est-ce que j’ai été libéré de Manjaca ?
18 QUESTION : Oui.
19 RÉPONSE : Je pense que c’était aux alentours du 15 décembre.
20 QUESTION : Avez-vous vécu un certain temps en tant que réfugié dans un
21 camp en dehors de la Republika Srpska ?
22 RÉPONSE : Eh bien oui, j’ai passé un mois à Karlovac.
23 QUESTION : Vous avez donc passé un mois à Karlovac ; est-ce la dernière
24 fois que vous avez vécu dans un camp ? Après Karlovac, avez vous
25 vécu ailleurs dans des conditions normales d’hébergement ?
Page 3755
1 RÉPONSE : J’étais encore réfugié.
2 QUESTION : Vous avez donc fait une déclaration trois ans après les
3 événements qui se sont déroulés à la caserne de Prijedor.
4 RÉPONSE : Oui.
5 QUESTION : On vous a montré un album photo en juin de cette année ?
6 RÉPONSE : Oui.
7 QUESTION : Soit un tout petit peu plus de quatre ans après les événements
8 qui se sont déroulés à la caserne de Prijedor ?
9 RÉPONSE : Oui.
10 QUESTION : Vous savez, n’est-ce pas, que la télévision couvre ce procès ?
11 RÉPONSE : Je le sais mais je n’ai rien vu à ce sujet.
12 QUESTION : S’agit-il d’une réponse honnête ?
13 RÉPONSE : Oui.
14 QUESTION : Avez-vous regardé les bulletins d’informations ou pas du tout ?
15 RÉPONSE : Je n’ai pas le temps de regarder les informations à la
16 télévision.
17 QUESTION : Avez-vous vu des journaux couvrant ce procès ?
18 RÉPONSE : Non.
19 QUESTION : En marchant dans les rues ou en rendant visite à quelqu’un qui
20 avait allumé la télévision, avez-vous vu la couverture télévisuelle
21 de ce procès ?
22 RÉPONSE : Je ne regarde aucune émission et ma connaissance de (expurgé) ne
23 me permet de suivre aucune émission.
24 QUESTION : Non, mais vous pouvez regarder les photos, n’est-ce pas ?
25 RÉPONSE : On me l’avait interdit.
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1 QUESTION : Oui, mais ça ne vous empêche pas de regarder des photos, n’est-
2 ce pas ?
3 RÉPONSE : Je suis un honnête homme. Je suis un homme sincère.
4 QUESTION : Vous aviez un intérêt personnel dans cette affaire parce que
5 vous saviez que vous alliez être l’un des témoins ?
6 RÉPONSE : Désolé, pas d’intérêt personnel.
7 QUESTION : Pas d’intérêt personnel. Donc, vous nous dites que vous n’avez
8 pas eu d’échos du procès que ce soit par la presse ou la télévision
9 et que vous êtes tout à fait honnête lorsque vous affirmez cela,
10 est-ce bien ça ?
11 RÉPONSE : Oui.
12 QUESTION : Lorsque vous étiez dans la caserne de Prijedor et que vous avez
13 été attaqué par l’homme dont vous dites qu’il s’appelait Tadic, est-
14 ce que tous les hommes présents étaient des policiers militaires ?
15 RÉPONSE : Dans la pièce où ils étaient, il n’y avait que des policiers
16 militaires.
17 QUESTION : Le garde appelé Tadic qui vous a attaqué, portait-il également
18 une tenue de policier militaire ?
19 RÉPONSE : Oui.
20 QUESTION : Quand vous dites qu’il était vêtu comme un policier militaire,
21 vous voulez dire qu’il portait une ceinture blanche.
22 RÉPONSE : Oui.
23 QUESTION : C’est ce que portent les policiers militaires ?
24 RÉPONSE : Oui.
25 QUESTION : Avait-il, dans son équipement, une autre pièce susceptible
Page 3757
1 d’appartenir à un policier militaire ?
2 RÉPONSE : Oui, il avait un bâton blanc.
3 QUESTION : Un bâton blanc ? Vous arrivez à vous souvenir que vous avez vu
4 ce bâton blanc à proximité de sa personne ?
5 RÉPONSE : Je me souviens aussi qu’il portait -- qu’il avait un couteau.
6 QUESTION : Pourriez-vous juste me dire d’abord où était ce bâton blanc ?
7 RÉPONSE : Il le portait du côté droit.
8 QUESTION : Attaché à sa ceinture ?
9 RÉPONSE : Oui, attaché à sa ceinture du côté droit. Du côté gauche, il
10 avait un couteau. Du côté droit, il avait le bâton.
11 QUESTION : Afin que nous puissions mieux comprendre, pourriez-vous nous
12 dire de quelle taille était ce bâton ?
13 RÉPONSE : Environ un demi mètre
14 QUESTION : Le couteau qu’il portait, il était également attaché à la
15 ceinture ?
16 RÉPONSE : Oui, c’était une baïonnette, en fait.
17 QUESTION : De quelle taille était ce couteau ?
18 RÉPONSE : Environ 40 centimètres aussi -- peut-être un peu moins.
19 QUESTION : Vous dites avoir été attaqué par deux hommes, est-ce que le
20 deuxième homme, l’autre homme, était également un policier militaire
21 ?
22 RÉPONSE : Les deux hommes qui nous ont ramenés de Bosanski Novi étaient
23 aussi des policiers militaires de Bosanski Novi qui nous ont ramenés
24 à la caserne de Prijedor.
25 QUESTION : Les deux gardes qui sont entrés et dont vous nous avez dit que
Page 3758
1 l’un des deux s’appelait Tadic, est-ce que l’autre aussi était un
2 policier militaire ?
3 RÉPONSE : Oui, ils étaient tous deux membres de la police militaire.
4 QUESTION : Il semble donc que vous étiez dans un endroit où travaillait la
5 police militaire ?
6 RÉPONSE : C’était la caserne et il n’y avait là que des soldats serbes.
7 QUESTION : Oui, mais le groupe d’hommes avec lequel vous étiez dans cette
8 pièce semble avoir été constitué exclusivement de policiers
9 militaires ?
10 RÉPONSE : J’étais dans le couloir, en face de cette pièce.
11 QUESTION : Le groupe d’homme auquel vous aviez affaire semblait-il être
12 constitué de policiers militaires ?
13 RÉPONSE : Non, j’en suis sûr. Il ne me "semblait" pas ; je suis sûr qu’ils
14 étaient membres de la police militaire.
15 QUESTION : On peut donc présumer que c’était leur métier ?
16 RÉPONSE : De nous passer à tabac, vous voulez dire ?
17 QUESTION : Oui -- Non, d’être policiers militaires ?
18 RÉPONSE : C’étaient des réservistes.
19 QUESTION : Savez-vous combien de personnes portent le nom de "Tadic" dans
20 la région de Prijedor ?
21 RÉPONSE : Non, je ne sais pas.
22 QUESTION : Savez-vous qu’il existe un village qui s’appelle Tadici ?
23 RÉPONSE : Non.
24 QUESTION : Savez-vous qu’il existe un village qui s’appelle Babici ?
25 RÉPONSE : Non.
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1 QUESTION : Savez-vous qu’il existe un village qui s’appelle Drljaca ?
2 RÉPONSE : Non.
3 QUESTION : Vous dites que vous n’aviez jamais rencontré auparavant de
4 personne s’appelant Tadic ?
5 RÉPONSE : Non.
6 QUESTION : Avant le début de ce procès, avez-vous regardé des émissions de
7 télévision consacrées à l’arrestation d’un homme appelé Tadic ?
8 RÉPONSE : J’ai juste entendu dire qu’un homme appelé Tadic avait été
9 arrêté.
10 QUESTION : Où avez-vous entendu cela ?
11 RÉPONSE : C’est un de mes amis qui me l’a dit.
12 QUESTION : Un ami. Pourquoi votre ami vous a-t-il dit qu’un homme nommé
13 Tadic avait été arrêté ?
14 RÉPONSE : Il m’a demandé si je le connaissais, si je connaissais quelqu’un
15 appelé Tadic.
16 QUESTION : Pensant que vous seriez intéressé par ce genre de sujets,
17 n’est-ce pas ?
18 RÉPONSE : Je rechercherais moi-même les criminels de guerre.
19 QUESTION : Oui et c’est pourquoi vous auriez regardé des émissions de
20 télévision, même avant le début de ce procès, parce que vous êtes
21 intéressé par ces questions, n’est-ce pas ?
22 RÉPONSE : Je ne regarde que les films à la télévision, rien d’autre.
23 QUESTION : Vous ne regardez pas les bulletins d’information entre les
24 films ?
25 RÉPONSE : Il n’y a pas d’informations entre les films.
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1 QUESTION : Avez-vous entendu parler d’un film réalisé par une certaine
2 Monika Gras ?
3 RÉPONSE : Non.
4 QUESTION : Vous jetez un coup d’oeil aux journaux, n’est-ce pas ?
5 RÉPONSE : Le seul journal que je lis, c’est le journal (expurgé).
6 QUESTION : Donc, malgré tout ce qui vous avez vécu à Omarska et Manjaca,
7 malgré votre arrestation, vous ne vous êtes jamais intéressé aux
8 informations relatives aux événements en question ?
9 RÉPONSE : Parce que je ne crois pas à la propagande, qui est pour
10 l’essentiel un tissu de mensonges.
11 QUESTION : C’est bien ce que vous avez dit au Tribunal, n’est-ce pas ?
12 Vous avez raconté des mensonges quand vous avez dit que vous n’avez
13 vu pas d’images, ni à la télévision, ni dans les journaux ?
14 RÉPONSE : Non.
15 QUESTION : Vous avez menti concernant le nom de "Tadic" ?
16 RÉPONSE : Non.
17 QUESTION : Le jour de votre arrestation, est-ce qu’on a mentionné devant
18 vous un autre nom à la caserne de Prijedor ?
19 RÉPONSE : Non, le seul nom qui a été prononcé, c’est "Tadic".
20 QUESTION : Aucun autre nom, de personne d’autre ?
21 RÉPONSE : Non.
22 QUESTION : Aucun des cinq ou six autres ?
23 RÉPONSE : Non.
24 QUESTION : Des cinq ou six personnes auxquelles vous avez eu affaire,
25 aucun autre nom ?
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1 RÉPONSE : Pour autant que je me souvienne, ils n’ont pas été mentionnés.
2 QUESTION : Vous souvenez-vous d’autres noms de gardes à Omarska, autres
3 que le fameux Zeljko Meakic ?
4 RÉPONSE : Comme j’ai dit, Pirvan. Je me souviens de deux frères, des
5 jumeaux, des gardes. Ils avaient les cheveux bouclés. Je ne me
6 souviens plus de leur nom.
7 QUESTION : Mais moi, voyez-vous, je vous demande des noms.
8 RÉPONSE : Je ne me souviens pas. Je n’arrive pas à me souvenir.
9 QUESTION : Des noms de gardes à Manjaca ?
10 RÉPONSE : Non.
11 QUESTION : Bien, combien de fois par jour étiez-vous battu à Omarska ?
12 RÉPONSE : Au moins cinq fois par jour.
13 QUESTION : Est-ce que des noms était alors prononcés ? Est-ce que les
14 gardes s’appelaient par leurs noms respectifs ?
15 RÉPONSE : Oui, par leurs noms.
16 QUESTION : Pouvez-vous vous souvenir de l’un de ces noms ?
17 RÉPONSE : Comme j’ai dit, Pirvan, Duca, Zigic, Nikica, Brk, Krkan, Ckalja.
18 QUESTION : C’est sont tous les gens importants qu’il y avait à Omarska,
19 les commandants du camp et les chefs d’équipes, n’est-ce pas ?
20 RÉPONSE : Ils m’ont tous passé à tabac à Omarska.
21 QUESTION : Tous les commandants vous ont-ils battu ?
22 RÉPONSE : Les commandants et les gardes.
23 QUESTION : Avez-vous ou non été détenu à Omarska ?
24 RÉPONSE : Oui.
25 QUESTION : Donc, si l’on résume la situation, parmi tous les événements
Page 3762
1 que vous avez vécu, vous arrivez seulement à vous souvenir de ce
2 policier militaire des forces de réserve, que quelqu’un a appelé
3 "Tadic", c’est bien cela ?
4 RÉPONSE : J’ai entendu son nom quelques fois à Omarska aussi.
5 QUESTION : Avez-vous inventé cela ?
6 RÉPONSE : Non.
7 MONSIEUR KAY : Je vous remercie.
8 LE PRÉSIDENT : Monsieur Niemann ?
9 Nouvel interrogatoire conduit par MONSIEUR NIEMANN
10 QUESTION : Monsieur Halvadzic, pourriez-vous, s’il vous plaît, nous parler
11 des circonstances dans lesquelles vous avez entendu prononcer le nom
12 de "Tadic" au camp d’Omarska.
13 RÉPONSE : Je n’ai pas compris la question.
14 MONSIEUR KAY : Je vous demande pardon, Madame le Président. S’agissant des
15 arguments que nous avons présentés à l’audience publique de ce
16 matin, nous n’avons pas encore eu de décision écrite du Tribunal en
17 ce qui concerne la question de la preuve indirecte. Je garde bien
18 sûr à l’esprit les remarques du Tribunal au sujet de la véracité et
19 autres indices qui pourraient lui permettre de déterminer si des
20 éléments de preuve indirects devraient être admis au dossier de ce
21 procès. Je m’oppose au fait que Monsieur Niemann utilise des
22 éléments de preuve de cette manière afin de porter à la connaissance
23 du Tribunal des informations que ce témoin tiendrait d’autres
24 personnes, informations qui pourraient être vraies ou fausses.
25 LE PRÉSIDENT : Votre objection consiste à dire qu’il s’agit d’éléments de
Page 3763
1 preuve indirects, non probants ?
2 MONSIEUR KAY : Oui.
3 LE PRÉSIDENT : Bien. Monsieur Niemann, pourriez-vous reformuler votre
4 question ou la répéter ? Est-ce que votre question était : Avez-vous
5 entendu quelqu’un être appelé Tadic à Omarska ? Était-ce votre
6 question ?
7 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président.
8 LE PRÉSIDENT : Votre objection est rejetée, Monsieur Kay.
9 MONSIEUR NIEMANN : Je disais donc, parlez-nous des circonstances dans
10 lesquelles vous avez entendu ce nom. (Au témoin) : Pourriez-vous
11 nous dire dans quelles circonstances vous avez entendu mentionner le
12 nom de "Tadic" au camp d’Omarska ?
13 RÉPONSE : Quand ils nous battaient, j’ai entendu mentionner le nom de
14 Tadic.
15 LE PRÉSIDENT : Voilà la réponse. La réponse est qu’il a entendu ce nom et
16 non pas qu’il a entendu des propos sur Tadic.
17 MONSIEUR KAY : Si tel est le fond de la réponse : "ils utilisaient le nom
18 de Tadic quand ils nous battaient à Omarska", soit ; au vu du
19 contre-interrogatoire dont la Tribunal a été témoin il y a peu,
20 j’espère qu’il lui accordera le poids qu’il juge bon.
21 LE PRÉSIDENT : Oui. Notre discussion portait toutefois sur un point
22 différent. Elle portait sur la signification de la question de
23 Monsieur Niemann. La signification de sa question, pas la
24 signification mais la formulation de la question a été tout a fait
25 clarifiée. Nous considérons qu’elle ne peut soulever d’objections et
Page 3764
1 la vôtre est donc rejetée. Votre dernière question était : a-t-il ou
2 non entendu mentionner le nom de Tadic à Omarska ? La réponse était
3 oui. Vous avez alors demandé au témoin dans quelles circonstances il
4 avait entendu mentionner le nom de Tadic. Il va maintenant nous le
5 dire ; est-ce qu’on le battait à ce moment là, est-ce qu’il était
6 endormi ou éveillé, est-ce qu’il était dans la maison blanche, où
7 était-il ?
8 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président.
9 LE PRÉSIDENT : Bien. Veuillez continuer.
10 MONSIEUR NIEMANN : Pouvez-vous répondre à la question, s’il vous plaît,
11 Monsieur Halvadzic ?
12 RÉPONSE : J’étais tout -- j’avais des fractures à la tête. J’étais tout
13 noir, parce qu’on m’avait battu tous les jours et j’ai entendu
14 toutes sortes de noms.
15 QUESTION : Pouvez-vous évoquer plus précisément les circonstances dans
16 lesquelles vous avez entendu mentionner le nom de Tadic lors de
17 votre détention à Omarska ? Pouvez-vous nous dire quand
18 approximativement ?
19 RÉPONSE : Nous devions rester assis. Nous devions nous asseoir par terre.
20 C’était une petite pièce, la première à droite, ou à gauche, désolé,
21 lorsque vous entrez dans la maison blanche. C’était une petite pièce
22 de deux mètres sur trois, environ 12 mètres carrés et il y avait
23 toujours 13 personnes dans cette pièce. Nous devions nous asseoir
24 tête baissée.
25 QUESTION : Quand avez-vous entendu mentionner ce nom ?
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1 RÉPONSE : Alors qu’on nous battait.
2 QUESTION : Avez-vous vu la personne qui a prononcé le nom Tadic ?
3 RÉPONSE : Non, je n’avais le droit de regarder nulle part.
4 QUESTION : Avez-vous vu la personne qui, apparemment, répondait au nom de
5 Tadic, lorsque vous étiez au camp d’Omarska ?
6 RÉPONSE : Non.
7 QUESTION : Vous souvenez-vous de ce qui se passait au moment où vous avez
8 entendu mentionner ce nom de Tadic au camp d’Omarska ?
9 RÉPONSE : Ils ont commencé à me donner des coups de pied et je me suis
10 évanoui de nouveau.
11 MONSIEUR NIEMANN : Merci. Pas d’autres questions.
12 LE PRÉSIDENT : Monsieur Kay ?
13 MONSIEUR KAY : Pas d’autres questions, Madame le Président.
14 LE PRÉSIDENT : J’ai juste une autre question pour le témoin. Monsieur,
15 vous avez dit "Je rechercherais moi-même les criminels de guerre".
16 Je ne vois pas clairement s’il s’agit d’une affirmation ou d’une
17 question. Vous avez dit cela lors de votre contre-interrogatoire par
18 Monsieur Kay. Vous souvenez-vous avoir dit cela ?
19 RÉPONSE : Oui.
20 QUESTION : Que vouliez-vous dire par là ?
21 RÉPONSE : Les criminels de guerre devraient tous être punis.
22 QUESTION : Vous avez dit "Je rechercherais moi-même les criminels de
23 guerre". Que voulez-vous dire par là. Avez-vous recherché des
24 criminels de guerre ?
25 RÉPONSE : Non, je ne l’ai pas fait mais je l’avais envisagé à un moment.
Page 3766
1 QUESTION : Envisagé quoi ? De rechercher les criminels de guerre ?
2 RÉPONSE : Oui, oui, c’est cela.
3 QUESTION : Comment les auriez-vous recherchés ?
4 RÉPONSE : Comment les aurais-je recherchés ?
5 QUESTION : Comment envisagiez-vous de les rechercher ?
6 RÉPONSE : Si j’en avais trouvé un, je l’aurais tué sur le champ.
7 QUESTION : Parlez-vous de l’époque où vous faisiez partie de ce groupe de
8 résistance armée dans l’ex-Yougoslavie ou d’une période ultérieure ?
9 RÉPONSE : Une période ultérieure.
10 QUESTION : Quelle période ultérieure ?
11 RÉPONSE : Quand j’étais à/en (expurgé).
12 LE PRÉSIDENT : S’agit-il d’une réponse à expurger même si cela a déjà été
13 abordé auparavant ?
14 MONSIEUR NIEMANN : Il l’a prononcé à deux reprises et lors de ces deux
15 occasions, j’ai pensé ----
16 LE PRÉSIDENT : Pourquoi ne pas -- si vous le souhaitez, expurger le compte
17 rendu de ce mot ?
18 MONSIEUR NIEMANN : Nous le souhaitons.
19 LE PRÉSIDENT : Très bien. Y a-t-il une objection ? Nous pouvons rechercher
20 l’heure à laquelle cela a été dit. Y a-t-il une objection à ce que
21 cette référence ainsi que les deux précédentes, qui n’étaient pas si
22 évidentes, soient expurgées ?
23 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.
24 LE PRÉSIDENT : Très bien. Cela est-il réglé, Madame Featherstone ?
25 MONSIEUR NIEMANN : Madame et Messieurs de la Cour, je crois que je les ai
Page 3767
1 trouvées : 15.14.42, 15.02.42 et 14.54.08.
2 LE PRÉSIDENT : J’aimerai reprendre les questions que j’étais en train de
3 poser au témoin concernant son implication dans la recherche de
4 criminels de guerre, sauf si vous souhaitez, Monsieur Kay, prendre
5 le relais sur ce même thème --qu’en pensez-vous ?
6 MONSIEUR KAY : Madame le Président, je n’ai pas de questions à poser sur
7 ce thème.
8 LE PRÉSIDENT : Mais moi j’en ai. Vous disposez tous les deux des
9 déclarations préalables des témoins mais pas moi ; je suis
10 intéressée et cela peut concerner ma manière de prendre en
11 considération le témoignage de cette personne. Quand était-ce -- une
12 fois encore, Monsieur Niemann, je vous demande votre aide parce que
13 si cela doit être expurgé, peut-être que je ne devrais pas
14 continuer.
15 MONSIEUR NIEMANN : Non, Madame le Président. Si vous pouviez juste
16 demander au témoin de ne pas mentionner des noms de lieux ?
17 LE PRÉSIDENT : Très bien. (Au témoin) : Lorsque je vous pose ces
18 questions, monsieur, ne mentionnez pas dans vos réponses les noms de
19 lieux, si vous pouvez? Vous avez déclaré que vous vous êtes
20 ultérieurement intéressé à la recherche de criminels de guerre.
21 Pourriez-vous m’expliquer si vous étiez membre d’un groupe, si oui,
22 quand vous avez rejoint ce groupe et vos activités à cet égard ?
23 RÉPONSE : Non, ce n’est pas ce que j’avais en tête. C’est le chaos qui
24 s’est déclenché et lorsque je me rappelle tout ce qui m’est arrivé,
25 je suis en colère.
Page 3768
1 QUESTION : Avez-vous recherché des criminels de guerre ? Vous avez dit que
2 vous l’aviez envisagé mais l’avez vous effectivement fait ?
3 RÉPONSE : Non.
4 LE PRÉSIDENT : Monsieur Niemann, avez-vous d’autres questions ?
5 MONSIEUR NIEMANN : Non.
6 LE PRÉSIDENT : Monsieur Kay, avez-vous d’autres questions ?
7 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.
8 LE PRÉSIDENT : Très bien. Vous pouvez vous retirer, Monsieur. Y a-t-il une
9 objection à ce que le témoin se retire définitivement, Monsieur Kay
10 ?
11 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.
12 LE PRÉSIDENT : Monsieur Halvadzic, vous pouvez vous retirer
13 définitivement. Vous êtes libre de partir. Merci d’être venu
14 témoigner.
15 (Le témoin se retire)
16 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, l’Accusation appelle Monsieur Kasim
17 Mesic à la barre.
18 MONSIEUR KASIM MESIC est appelé à la barre
19 LE PRÉSIDENT : Monsieur, veuillez, s’il vous plaît, faire la déclaration
20 solennelle qui vous est proposée.
21 LE TÉMOIN ?En interprétation? : Je déclare solennellement que je dirai la
22 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
23 (Le témoin prête serment)
24 LE PRÉSIDENT : Merci. Vous pouvez vous asseoir.
25 Interrogatoire conduit par MONSIEUR KEEGAN
Page 3769
1 LE PRÉSIDENT : Monsieur Keegan, vous pouvez commencer.
2 MONSIEUR KEEGAN : Merci, Madame le Président. (Au témoin) : Vous vous
3 appelez Kasim Mesic ?
4 RÉPONSE : Oui.
5 QUESTION : Vous êtes né le 21 mars 1944 ?
6 RÉPONSE : Oui.
7 QUESTION : Vous êtes né dans la ville de Cela, Municipalité de Prijedor ?
8 RÉPONSE : Oui.
9 QUESTION : Quelle est votre appartenance ethnique, Monsieur ?
10 RÉPONSE : Musulman.
11 QUESTION : Avez-vous grandi dans la ville de Prijedor ?
12 RÉPONSE : Oui.
13 QUESTION : Avez-vous suivi quatre années d’enseignement primaire ?
14 RÉPONSE : Oui.
15 QUESTION : Avez-vous ensuite été apprenti maçon puis maçon pendant sept
16 années ?
17 RÉPONSE : Oui.
18 QUESTION : Quand avez-vous effectué votre service militaire obligatoire ?
19 RÉPONSE : En 1963.
20 QUESTION : Combien de temps a-t-il duré ?
21 RÉPONSE : 18 mois.
22 QUESTION : Où avez-vous effectué votre service militaire ?
23 RÉPONSE : À Leskovac.
24 QUESTION : C’était bien en République de Serbie ?
25 RÉPONSE : Oui.
Page 3770
1 QUESTION : Vous avez suivi quelle formation ?
2 RÉPONSE : J’étais sergent, oui, c’est ça.
3 QUESTION : Avez-vous suivi la formation de l’infanterie ?
4 RÉPONSE : Oui.
5 QUESTION : Après votre service militaire obligatoire, êtes-vous retourné à
6 Prijedor ?
7 RÉPONSE : Oui.
8 QUESTION : Avez-vous accompli un service militaire dans la réserve ?
9 RÉPONSE : J’ai fait un moment partie des forces de réserve.
10 QUESTION : Était-ce pendant l’année qui a suivi votre retour, 1966 ?
11 RÉPONSE : Oui.
12 QUESTION : Avez-vous jamais servi dans l’unité de Défense territoriale, la
13 TO ?
14 RÉPONSE : Non.
15 QUESTION : Où viviez-vous à Prijedor ?
16 RÉPONSE : À Raskovac.
17 QUESTION : Après votre retour du service militaire obligatoire, avez-vous
18 de nouveau exercé votre profession de maçon pendant un certain temps
19 ?
20 RÉPONSE : Oui.
21 QUESTION : Après cela, avez-vous travaillé dans une usine ?
22 RÉPONSE : Oui, une usine de papier.
23 QUESTION : En 1992, où travailliez-vous ?
24 RÉPONSE : En 1992, je travaillais dans l’entreprise Mira Cikota de
25 Prijedor.
Page 3771
1 QUESTION : Très bien. Déchargiez-vous les camions, dans cette usine ?
2 RÉPONSE : Oui, j’étais impliqué dans le transport.
3 QUESTION : Avez-vous arrêté de travailler en mai 1992 ?
4 RÉPONSE : Oui.
5 QUESTION : Pourquoi avez-vous dû arrêter de travailler ?
6 RÉPONSE : Parce que les Musulmans se voyaient interdire de travailler --
7 parce que le travail était interdit aux Musulmans. Ils n’avaient pas
8 l’autorisation de travailler.
9 QUESTION : Monsieur Mesic, lorsque vous répondez, pourriez-vous parler un
10 peu plus fort, s’il vous plaît ? Qui vous a dit que les Musulmans
11 subissaient des interdits et n’avaient plus le droit de travailler ?
12 RÉPONSE : Le directeur, Topic.
13 QUESTION : De quelle nationalité était ce directeur, Topic ?
14 RÉPONSE : Serbe.
15 QUESTION : Quelques jours après qu’on vous a annoncé que vous n’aviez plus
16 le droit de travailler, avez-vous été témoin du bombardement de la
17 région de Hambarine ?
18 RÉPONSE : Oui.
19 QUESTION : Quelle est la première chose dont vous vous souvenez à propos
20 de ce bombardement ?
21 RÉPONSE : Je me souviens qu’ils ont annoncé que Mirza Mujadzic devait se
22 rendre et que s’il ne se livrait pas, ils bombarderaient Hambarine.
23 QUESTION : Avez-vous entendu cela vous-même à la radio ?
24 RÉPONSE : Des voisins l’ont entendu à la radio. Je n’avais pas la radio et
25 ils ont dit qu’à moins que Mirza Mujadzic se rende au plus tard à 2
Page 3772
1 heures, ils bombarderaient Hambarine.
2 QUESTION : Vous souvenez-vous à quelle heure le bombardement a commencé ?
3 RÉPONSE : Je pense que c’était vers deux heures, deux heures et demi, en
4 gros.
5 QUESTION : Qu’avez-vous fait lorsque le bombardement a commencé ?
6 RÉPONSE : Je me suis préparé. J’ai envoyé ma femme et mon fils à la cave.
7 QUESTION : À votre cave ?
8 RÉPONSE : Non, à la cave de mes voisins, Jusa Adzim et Cedo Balaban et il
9 y avait là deux caves.
10 QUESTION : Monsieur Mesic, nous vous demandons de parler plus près du
11 microphone pour que les interprètes puissent vous entendre, s’il
12 vous plaît.
13 RÉPONSE : D’accord.
14 QUESTION : Pourquoi n’êtes-vous pas allé à la cave ?
15 RÉPONSE : Eh bien, je ne suis pas allé à la cave parce que j’étais trop
16 étonné, complètement ahuri quand le bombardement a commencé.
17 QUESTION : Qu’avez-vous fait, en fait ?
18 RÉPONSE : J’ai commencé à marcher vers la Sana et je regardais les gens,
19 qui descendaient en courant vers les bois, vers la forêt, près de
20 la Sana ; et alors, je me suis souvenu et je me suis dit qu’est-ce
21 que je vais faire là-bas ? Je veux dire que les obus tombaient
22 partout. J’ai donc rebroussé chemin et je suis retourné à la maison.
23 QUESTION : Vous aviez donc quitté votre maison pour vous diriger vers la
24 rivière Sana ?
25 RÉPONSE : Oui.
Page 3773
1 QUESTION : De cette position là, pouviez-vous en fait observer en aval la
2 région de Hambarine et voir les obus y toucher des bâtiments ?
3 RÉPONSE : Oui, j’ai effectivement observé.
4 QUESTION : Dans cette région, quel genre de bâtiments étaient bombardés ?
5 RÉPONSE : C’était des maisons, des bâtiments privés.
6 QUESTION : Avez-vous pu voir des gens fuir de ces maisons ?
7 RÉPONSE : Oui, ils étaient plus près de la Sana et fuyaient en direction
8 de la forêt.
9 QUESTION : Ces gens que vous avez pu voir fuir en courant vers la forêt et
10 la rivière Sana, comment étaient-ils habillés ?
11 RÉPONSE : C’étaient des civils.
12 QUESTION : Personne en uniforme ?
13 RÉPONSE : Personne.
14 QUESTION : Pourriez-vous nous dire d’où les obus venaient, d’où ils
15 étaient tirés ?
16 RÉPONSE : Topica, Brdo, Pasinac, Karan.
17 QUESTION : Qu’est-ce qui vous fait dire que les obus étaient tirés de ces
18 positions ?
19 RÉPONSE : Eh bien, on voyait de la fumée. La fumée s’élevait et dès
20 qu’elle apparaissait cela voulait dire qu’un obus avait touché
21 Hambarine.
22 QUESTION : Très bien. Vous nous dites que vous avez pu voir la fumée qui
23 apparaissait lorsqu’un obus tombait sur Hambarine ou que vous avez
24 pu voir la fumée qui sortait des canons ?
25 RÉPONSE : Lors des mises à feu.
Page 3774
1 QUESTION : Si on pouvait placer, s’il vous plaît, la pièce à conviction 79
2 sur le rétroprojecteur, pièce qui est une carte de la région de
3 Prijedor déjà admise au dossier ? Pourrait-on allumer le
4 rétroprojecteur, s’il vous plaît ?
5 LE PRÉSIDENT : J’ai la pièce à conviction 79. Si on n’arrive pas à la
6 projeter, nous pouvons la partager si vous voulez, Monsieur Keegan.
7 MONSIEUR KEEGAN : Oui, Madame le Président. C’est bien la pièce 79. Je
8 voudrais juste préciser à la Cour que les étiquettes désignent les
9 zones qu’il vient de mentionner. C’est tout. (Au témoin) : Monsieur
10 Mesic, vous avez déjà vu cette carte auparavant ?
11 RÉPONSE : Oui.
12 QUESTION : La zone marquée "A", c’est la zone de Raskovac à Prijedor ?
13 RÉPONSE : Oui.
14 QUESTION : C’est la zone située entre la voie ferrée et la rivière Sana,
15 près de la zone sur laquelle --
16 RÉPONSE : Oui.
17 QUESTION : -- apparaît la lettre "A". La lettre "B" marque la zone de
18 Hambarine à partir de laquelle vous avez pu voir les obus tomber ?
19 RÉPONSE : Oui.
20 QUESTION : La lettre "C" marque en général la zone de Karan que vous avez
21 mentionnée précédemment, l’une des positions à partir desquelles les
22 obus étaient tirés ?
23 RÉPONSE : Oui.
24 QUESTION : La lettre "D" marque Pasinac à proximité des --
25 RÉPONSE : Oui.
Page 3775
1 QUESTION : -- aéroports et de la caserne militaire ?
2 RÉPONSE : La caserne, oui.
3 QUESTION : "E" marque la zone de Topic Brdo en bas ?
4 RÉPONSE : Oui.
5 QUESTION : Merci. Monsieur Mesic, vers la fin du bombardement de
6 Hambarine, y avait-il également des signes d’activité dans votre
7 voisinage, la zone de Raskovac ?
8 RÉPONSE : Oui, la police est venue collecter des armes.
9 QUESTION : Comment l’avez-vous su ?
10 RÉPONSE : Ils les demandaient. Ils demandaient les armes.
11 QUESTION : Est-ce que les gens dans votre voisinage ont remis leurs armes
12 ?
13 RÉPONSE : Oui, mais deux personnes seulement avaient des armes.
14 QUESTION : Quelle genre d’armes était-ce ?
15 RÉPONSE : Deux pistolets. C’est tout ce qu’il y avait.
16 QUESTION : Après cela, des forces se disant de la police sont-elles venues
17 arrêter les gens de votre voisinage ?
18 RÉPONSE : Ils sont arrivés par la route et ils passaient dans les rues en
19 arrêtant les gens et en les emmenant.
20 QUESTION : Avez-vous vu ces gens qui ont arrêté certains de vos voisins ce
21 jour là ?
22 RÉPONSE : Nous regardions vers le bas de la rue pendant qu’ils emmenaient
23 les gens et alors l’un de nos amis, un Serbe habillé en soldat,
24 s’est arrêté et est venu vers nous pour nous dire "Cachez-vous
25 quelque part". Et c’est ce que nous avons fait.
Page 3776
1 QUESTION : Et ce Serbe qui vous a dit de vous cacher, c’était votre voisin
2 ?
3 RÉPONSE : Je ne peux pas répondre à cette question.
4 QUESTION : Vous hésitez à révéler son identité ?
5 RÉPONSE : Oui.
6 QUESTION : Avez-vous été arrêté ce jour là avec les autres personnes de
7 votre voisinage ?
8 RÉPONSE : Non.
9 QUESTION : Pourquoi ?
10 RÉPONSE : Parce que je me suis caché.
11 QUESTION : À quoi ressemblaient ces gens, les membres des forces qui sont
12 venues arrêter vos voisins ce jour là, comment étaient-ils habillés
13 ?
14 RÉPONSE : Eh bien, certains d’entre eux portaient des uniformes de
15 plusieurs couleurs, des uniformes militaires. Ils avaient quelques
16 bérets rouges et ils couraient et marchaient et alors --
17 QUESTION : Lorsque vous parlez d’"uniformes militaires", quel genre
18 d’uniformes militaires portaient-ils ?
19 RÉPONSE : Bon, écoutez, il y avait plein d’uniformes différents. Il y en
20 avait vraiment de plusieurs sortes.
21 QUESTION : Est-ce que certains étaient en tenue de camouflage ?
22 RÉPONSE : Oh, oui, oui.
23 QUESTION : Est-ce qu’il y avait aussi des uniformes dits SMB, les anciens
24 uniformes de la JNA ?
25 RÉPONSE : Oui, oui.
Page 3777
1 QUESTION : Est-ce que les uniformes de ces personnes comportaient un
2 insigne particulier que vous auriez pu remarquer ?
3 RÉPONSE : Je n’ai à proprement parler pas vu d’insigne particulier.
4 Certains avaient des cocardes. D’autres avaient d’autres insignes,
5 je ne sais pas comment les décrire.
6 QUESTION : Est-ce que certains d’entre eux avaient des rubans sur leur
7 uniforme ?
8 RÉPONSE : Oui.
9 QUESTION : De quelle couleur étaient ces rubans ?
10 RÉPONSE : Ils avaient les couleurs du drapeau yougoslave. Ils étaient
11 attachés là.
12 QUESTION : Ces couleurs, c’étaient le blanc, le rouge et le bleu ?
13 RÉPONSE : Oui.
14 QUESTION : Ils étaient attachés autour des épaulettes des uniformes ?
15 RÉPONSE : Oui.
16 QUESTION : Connaissiez-vous des membres des forces que vous avez vues ce
17 jour là, en avez-vous reconnu certains ?
18 RÉPONSE : Non, personne. Nous n’osions pas regarder. Nous avons pris la
19 fuite en courant.
20 QUESTION : Avez-vous ensuite été arrêté un autre jour ?
21 RÉPONSE : Oui.
22 QUESTION : Quand était-ce ?
23 RÉPONSE : Quatre ou cinq jours plus tard.
24 QUESTION : Pouvez-vous décrire les circonstances qui ont entouré cette
25 arrestation ?
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1 RÉPONSE : Un groupe est arrivé, un groupe d’hommes, de soldats, ces
2 policiers. Ils criaient qu’ils étaient de la police. Ils étaient
3 environ 10 dans une camionnette et ils nous ont attrapés près de ma
4 maison, moi, mon fils de 16 ans et trois de mes neveux. Nous étions
5 assis en train de discuter lorsqu’ils nous ont encerclés et
6 capturés.
7 QUESTION : Ces hommes qui se disaient de la police, comment étaient-ils
8 habillés, quel genre d’uniforme portaient-ils ?
9 RÉPONSE : Certains portaient des uniformes de plusieurs couleurs, certains
10 avaient des rubans noirs, des bandeaux noirs autour de la tête et un
11 seul d’entre eux portait un béret noir.
12 QUESTION : Lorsque vous parlez d’"uniformes de plusieurs couleurs",
13 faites-vous allusion aux tenues de camouflage ou à un autre type
14 d’uniforme ?
15 RÉPONSE : Eh bien, ils étaient tachetés, ils étaient de plusieurs
16 couleurs, ils portaient ces uniformes là.
17 QUESTION : Est-ce que les uniformes de ces hommes comportaient un insigne
18 que vous auriez pu remarquer ?
19 RÉPONSE : Certains portaient l’insigne aux quatre S et sur les uniformes
20 des autres, je n’ai rien vu. Peut-être des cocardes, oui, certains
21 d’entre eux avaient des cocardes et d’autres pas.
22 QUESTION : Lorsque vous parlez des quatre S, faites-vous allusion au
23 symbole qui est une sorte de croix comportant à chacune de ses
24 extrémités un S cyrillique qui ressemble au C de l’alphabet latin ?
25 RÉPONSE : Oui.
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1 QUESTION : Lorsque ces hommes vous ont encerclés, vous et les autres
2 hommes qui se trouvaient avec vous, qu’ont-ils ensuite fait de vous
3 ?
4 RÉPONSE : Ils nous ont forcés à nous mettre debout contre la maison, à
5 lever et poser trois doigts comme ça contre le mur et après ils sont
6 venus par derrière pour nous battre. Ensuite ils ont ramené trois
7 autres voisins, trois frères dont un encore mineur, puis deux autres
8 voisins et mes deux frères.
9 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, je voudrai préciser, pour la clarté
10 du compte rendu d’audience, que le témoin a levé les bras
11 approximativement à la hauteur de sa tête, au dessus des épaules,
12 avec le pouce, l’index et le majeur de chaque main tendus, les
13 autres doigts étant repliés.
14 LE PRÉSIDENT : Oui, le compte rendu en sera clarifié.
15 MONSIEUR KEEGAN : (Au témoin) : C’est bien comme cela que vous deviez
16 appuyer vos mains contre le mur ?
17 RÉPONSE : Oui, avec les jambes écartées.
18 QUESTION : Au total combien d’hommes ont été regroupés par la police et
19 forcés de se placer contre ce mur ?
20 RÉPONSE : Nous étions 11.
21 QUESTION : Quelle était l’appartenance ethnique de tous ces hommes alignés
22 contre le mur ?
23 RÉPONSE : Musulmane.
24 QUESTION : Vous avez dit que l’on vous a battus alors que vous étiez
25 appuyés face au mur. Pouvez-vous nous décrire comment vous et vos
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1 compagnons avez été battus ?
2 RÉPONSE : Ils sont passés de l’un à l’autre, à trois reprises ; ils nous
3 ont frappés au dos de la nuque avec un bâton, puis nous ont donné
4 des coups de pied au ventre avec leurs bottes ou la crosse de leur
5 fusil et puis entre les jambes.
6 QUESTION : Quand vous dites "entre les jambes", voulez-vous dire que l’on
7 vous a donné des coups de pied aux organes génitaux ?
8 RÉPONSE : Oui.
9 QUESTION : Où vous ont-ils frappés avec les crosses de fusils ?
10 RÉPONSE : Sur le dos, sur le dos, il m’a frappé sur le côté gauche et
11 quatre de mes côtes ont été touchées.
12 QUESTION : Avez-vous reçu des coups dans la région des reins ?
13 RÉPONSE : Oui.
14 QUESTION : Ce passage à tabac a-t-il entraîné des lésions ?
15 RÉPONSE : J’étais tout contusionné -- nous étions tous contusionnés et
16 nous avions aussi du sang sur la tête.
17 QUESTION : Avez-vous gardé des séquelles de ces coups reçus dans les côtes
18 ?
19 RÉPONSE : Eh bien, ça faisait mal et on m’a fait une radiographie à
20 (expurgé). Quand je suis arrivé à (expurgé), il y avait encore du
21 sang coagulé parce que nous n’avions pas de docteurs là où nous
22 étions.
23 QUESTION : Immédiatement après cet incident, avez-vous eu des problèmes
24 respiratoires ?
25 RÉPONSE : Oui.
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1 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, si nous pouvions --
2 LE PRÉSIDENT : Vous souhaitez que le compte rendu soit expurgé ?
3 MONSIEUR KEEGAN : Oui, Madame le Président. 15.44.28. Je vous remercie.
4 LE PRÉSIDENT : Je vous demande pardon, Monsieur Keegan. Avez-vous des
5 objections ?
6 MONSIEUR WLADIMIROFF : Non.
7 LE PRÉSIDENT : Très bien, le compte rendu sera expurgé.
8 MONSIEUR KEEGAN : Combien de temps a duré ce passage à tabac ?
9 RÉPONSE : Environ une heure, une heure et demie, deux heures.
10 QUESTION : Et de là, où vous a-t-on emmené ?
11 RÉPONSE : Ils nous ont tous embarqués dans une camionnette pour nous
12 emmener au SUP.
13 QUESTION : Quand vous parlez du "SUP", vous faites allusion au poste de
14 police dans le centre de Prijedor ?
15 RÉPONSE : Oui.
16 QUESTION : Lorsque vous êtes arrivés au SUP, où vous a-t-on d’abord
17 emmenés ?
18 RÉPONSE : Ils nous ont d’abord emmenés dans la maison, l’unité de
19 détention qu’ils avaient dans la cour. Il y avait des cellules et
20 ils se tenaient en cercle.
21 QUESTION : Qui vous a emmené à la cellule dans le poste de police de
22 Prijedor ? S’agissait-il des hommes ----
23 RÉPONSE : Eh bien, ceux qui nous avaient emmenés là.
24 QUESTION : Lorsque vous êtes arrivés dans la cellule, est-ce qu’il y avait
25 déjà quelqu’un dedans ?
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1 RÉPONSE : Oui, sur le toit mais ils nous ont fait rentrer dans la cellule
2 en nous battant tout le long du chemin.
3 QUESTION : Y avait-il déjà quelqu’un dans la cellule quand vous y êtes
4 arrivés, un autre prisonnier ?
5 RÉPONSE : Non, personne ne nous a battus. On ne nous a pas battus avant
6 que nous soyons sortis.
7 QUESTION : Oui, mais quand on vous a fait entrer dans la cellule, est-ce
8 qu’il y avait déjà un autre prisonnier dans cette cellule ?
9 RÉPONSE : Oui, il y avait un Croate.
10 QUESTION : Comment savez-vous que c’était un Croate ?
11 RÉPONSE : Comment ne l’aurais-je pas su ? Eh bien, il nous l’a dit. Il a
12 dit qu’il était croate. Il était lui aussi couvert de sang.
13 QUESTION : Après cette cellule, où vous ont-ils tous emmenés ?
14 RÉPONSE : Ils nous ont fait sortir de la cellule et nous ont de nouveau
15 alignés face à un mur, appuyés dessus en faisant le signe des trois
16 doigts, bras et jambes écartés. Ils nous ont confisqué nos lacets,
17 nos ceintures, nos porte-monnaie et tous les objets de valeur que
18 nous avions sur nous. Ils ont pris tout ça.
19 QUESTION : Ils ont pris tous vos objets de valeur. Qu’ont-ils fait de vos
20 documents et papiers d’identité ?
21 RÉPONSE : Ils les ont jetés par terre, sur l’asphalte.
22 QUESTION : Avez-vous tous été battus dans cette cour ?
23 RÉPONSE : Ils nous ont de nouveau passés à tabac. La police est venue pour
24 nous tabasser.
25 QUESTION : Ces individus dont vous venez de dire qu’ils étaient de la
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1 police, comment étaient-ils habillés ?
2 RÉPONSE : Ils portaient des uniformes bleus.
3 QUESTION : S’agissait-il de l’uniforme normal de la police, une chemise
4 bleu ciel avec un pantalon bleu marine ?
5 RÉPONSE : Oui, oui, bleu ciel.
6 QUESTION : Avec quoi ces policiers vous ont-ils frappés ?
7 RÉPONSE : Ils nous ont frappés avec leurs mains, la paume des mains et
8 plein d’autre objets, mais surtout avec la paume des mains, ces
9 policiers.
10 QUESTION : Pendant combien de temps vous ont-il frappés ?
11 RÉPONSE : Eh bien ça a aussi duré environ deux heures.
12 QUESTION : Pouvez-vous nous décrire à quoi vous ressembliez après ce
13 passage à tabac, vous et les autres hommes qui ont été battus ?
14 RÉPONSE : Mon frère a perdu connaissance parce qu’il a été touché là, il a
15 perdu deux dents là et il avait des blessures sur le visage et nous
16 étions totalement impuissants. Nous n’avions rien.
17 MONSIEUR KEEGAN : Pour la clarté du compte rendu d’audience, je précise
18 que le témoin a indiqué sa joue droite.
19 LE PRÉSIDENT : Le compte rendu comportera cette précision.
20 LE TÉMOIN : Oui.
21 MONSIEUR KEEGAN : (Au témoin) : Du poste de police de Prijedor, où vous a-
22 t-on emmenés ?
23 RÉPONSE : Le véhicule avait l’air d’une voiture mais c’était en fait une
24 camionnette qui n’avait que deux banquettes, soit de la place pour
25 six personnes. Mais ils nous ont quand même embarqués tous les douze
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1 dedans.
2 QUESTION : Donc, il y avait là les onze personnes qui avaient été raflées
3 dans votre quartier plus le Croate qui était déjà au poste de police
4 lorsque vous y êtes arrivés.
5 RÉPONSE : Oui.
6 QUESTION : Est-ce qu’ils vous ont forcés à faire quelque chose dans la
7 camionnette ?
8 RÉPONSE : Nous avons chanté "Qui ment ? Qui dit que la Serbie est petite
9 ?".
10 QUESTION : Où vous a-t-on emmenés ?
11 RÉPONSE : On nous a emmenés à Omarska.
12 QUESTION : Que s’est-il passé quand vous êtes arrivés au camp ?
13 RÉPONSE : Ils nous ont fait descendre de la camionnette et nous avons dû
14 de nouveau nous mettre face au mur appuyés sur trois doigts. Il y
15 avait les deux hommes qui nous avaient emmenés et d’autres gardes.
16 Ils nous ensuite mis dans un garage.
17 QUESTION : Les deux hommes qui vous ont accompagné au camp, faisaient-ils
18 partie du groupe qui vous avait raflés dans votre quartier et
19 étaient-il des policiers du poste ?
20 RÉPONSE : Je ne sais pas d’où ils venaient ni ce qu’ils étaient.
21 QUESTION : Portaient-ils des uniformes de plusieurs couleurs ou des
22 uniformes de police habituels ?
23 RÉPONSE : C’étaient ceux qui avaient des uniformes de plusieurs couleurs.
24 QUESTION : Après vous avoir alignés face au mur à votre arrivée au camp,
25 vous ont-ils frappés ?
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1 RÉPONSE : Oui.
2 QUESTION : Avec quoi avez-vous été frappés ?
3 RÉPONSE : Ils nous ont donné des coups de pied et des coups avec toutes
4 sortes d’objets, des bâtons.
5 QUESTION : Où vous ont-ils frappés ?
6 RÉPONSE : Sur le dos et entre les jambes.
7 QUESTION : Encore une fois, quand vous dites "entre les jambes", voulez-
8 vous dire que l’on vous a donné des coups de pied aux organes
9 génitaux ?
10 RÉPONSE : Oui.
11 QUESTION : Quand ils vous frappaient le dos, s’acharnaient-ils sur une
12 partie précise de votre dos ?
13 RÉPONSE : Oui.
14 QUESTION : Laquelle ? Est-ce qu’ils s’acharnaient plutôt sur le haut du
15 dos, le bas du dos ou ailleurs ?
16 RÉPONSE : Tout le dos. Nous étions de toutes les couleurs, comme un
17 serpent.
18 QUESTION : "De toutes les couleurs, comme un serpent", vous voulez dire à
19 cause des ecchymoses ?
20 RÉPONSE : Oui.
21 QUESTION : Est-ce qu’ils vous insultaient pendant qu’ils vous battaient ?
22 RÉPONSE : Oui, ils disaient "qu’Alija encule ta mère. C’est à cause
23 d’Alija que vous êtes venus ici" etc...
24 QUESTION : Quand ils disaient "C’est à cause d’Alija que vous êtes venus
25 ici", de qui parlaient-ils ?
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1 RÉPONSE : D’Alija Izetbegovic.
2 QUESTION : Le Président de la République de Bosnie-Herzégovine ?
3 RÉPONSE : Oui.
4 QUESTION : Vous a-t-on forcé à chanter des chansons à votre arrivée au
5 camp ?
6 RÉPONSE : Oui.
7 QUESTION : Quelles chansons ?
8 RÉPONSE : Eh bien ils nous ont dit de chanter une chanson à propos de
9 Karardjordje et comme nous n’en connaissions pas, nous avons encore
10 chanté "Qui ment ? Qui dit ?".
11 QUESTION : "Qui ment ? Qui dit que la Serbie est petite ?" ?
12 RÉPONSE : Oui, oui.
13 QUESTION : Vous avez dit qu’on vous avait ensuite emmenés dans un garage ?
14 RÉPONSE : Oui.
15 QUESTION : S’agit-il du garage qui se trouve dans le bâtiment
16 administratif ?
17 RÉPONSE : Oui.
18 QUESTION : À votre arrivée au garage, y avait-il déjà des prisonniers
19 dedans ?
20 RÉPONSE : Oui, il y avait là de nombreux prisonniers.
21 QUESTION : Ces prisonniers ont-ils fait quelque chose pour vous quand on
22 vous a mis dans le garage ?
23 RÉPONSE : Oui, ils ont enlevé leurs chemises et ont essayé de couvrir les
24 ecchymoses de nos dos.
25 QUESTION : Ont-ils mouillé les chemises avant de vous les mettre sur le
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1 dos ?
2 RÉPONSE : Oui.
3 QUESTION : Quelle était l’appartenance ethnique des autres prisonniers qui
4 étaient dans le garage ?
5 RÉPONSE : Musulmane.
6 QUESTION : Pendant la période où vous avez été détenu à Omarska, quelle
7 était l’appartenance ethnique de la plupart des gardes avec lesquels
8 vous avez été en contact ?
9 RÉPONSE : Des Serbes. Des Serbes orthodoxes. Ils se sont revendiqués
10 Serbes du jour au lendemain.
11 QUESTION : Combien de jour avez-vous été détenus dans ce petit garage ?
12 RÉPONSE : 20 à 25 jours environ.
13 QUESTION : Pendant la période que vous avez passée dans ce garage, des
14 prisonniers étaient-ils emmenés pour des interrogatoires ?
15 RÉPONSE : Oui, plus tard, ils ont commencé à appeler des gens et à les
16 emmener ailleurs pour les interroger.
17 QUESTION : Pendant les premiers jours, comment les gens étaient-ils
18 emmenés du garage pour interrogatoire ?
19 RÉPONSE : Le soir, ils venaient et choisissaient une ou deux personnes en
20 les désignant du doigt. La personne les suivait et on ne la revoyait
21 plus jamais dans le garage.
22 QUESTION : Ces personnes qui avaient été emmenées de nuit pour
23 interrogatoire, les avez-vous revues par la suite dans une autre
24 partie du camp ?
25 RÉPONSE : Non, je ne les ai pas revues.
Page 3788
1 QUESTION : Une fois qu’ils ont commencé à appeler les gens qu’ils
2 voulaient interroger, de quelle manière cela se passait-il ?
3 RÉPONSE : Ils ramenaient leur liste et appelaient les gens dont le nom
4 figurait sur cette liste de personnes à interroger.
5 QUESTION : Du petit garage où vous étiez, pouviez-vous entendre ce qui se
6 passait dans les salles d’interrogatoire au premier étage du
7 bâtiment administratif ?
8 RÉPONSE : Un certain nombre des nôtres hurlaient lors de leur
9 interrogatoire par ces gens du dessus, au dessus du garage.
10 QUESTION : Finalement, avez-vous subi un interrogatoire à votre tour ?
11 RÉPONSE : Après 20, 25 jours, ils m’ont appelé pour interrogatoire.
12 QUESTION : En allant vers la salle d’interrogatoire, avez-vous été battu ?
13 RÉPONSE : Oui.
14 QUESTION : Où vous a-t-on battu ?
15 RÉPONSE : Dans la zone d’accès à l’escalier, dans l’escalier et sur le
16 chemin de la salle à travers le corridor. Ils étaient alignés tout
17 le long du chemin et me battaient.
18 QUESTION : Quand vous dites "Ils étaient alignés", à qui faites-vous
19 allusion ?
20 RÉPONSE : Eh bien aux Serbes.
21 QUESTION : Les gardes du camp ?
22 RÉPONSE : Oui.
23 QUESTION : Où se tenaient-ils ?
24 RÉPONSE : Ils étaient debout près des escaliers, au pied de la cage
25 d’escalier et sur le palier en haut.
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1 QUESTION : Après qu’on vous a emmené en haut, dans quelle pièce vous a-t-
2 on interrogé ?
3 RÉPONSE : En haut des escaliers, la première pièce à droite -- à gauche.
4 QUESTION : Première pièce à gauche ?
5 RÉPONSE : Oui.
6 QUESTION : La personne qui vous a interrogé portait-elle un uniforme ?
7 RÉPONSE : Oui, un uniforme de plusieurs couleurs.
8 QUESTION : Quel genre de question vous a-t-il posées ?
9 RÉPONSE : Ils m’ont demandé où était mon fusil, c’était la première
10 question et j’ai dit que je n’avais pas de fusil.
11 QUESTION : A-t-il posé d’autres questions autres que celle relative aux
12 armes ?
13 RÉPONSE : Eh bien, aucune autre, seulement les armes. Alors il a écrit
14 quelque chose sur un cahier ; je ne sais pas ce qu’il a écrit.
15 QUESTION : Avez-vous été battu pendant l’interrogatoire ?
16 RÉPONSE : Non.
17 QUESTION : À la fin de l’interrogatoire, vous a-t-on demandé de signer
18 quelque chose.
19 RÉPONSE : Oui, j’ai dû signer sur cette feuille.
20 QUESTION : Avez-vous pris le temps de la lire ?
21 RÉPONSE : Je n’osais pas la lire. J’ai juste signé.
22 QUESTION : Après qu’on vous a fait sortir de la salle d’interrogatoire,
23 vous a-t-on battu sur le chemin vers l’extérieur du bâtiment ?
24 RÉPONSE : Oui, en allant vers la pista.
25 QUESTION : Après vous avoir fait sortir du bâtiment, vous ont-ils placé
Page 3790
1 sur la pista ?
2 RÉPONSE : Oui.
3 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, je me demande si c’est le moment
4 opportun ?
5 LE PRÉSIDENT : Avant de suspendre l’audience, je voudrais préciser pour la
6 clarté du compte rendu que la pièce à conviction de l’Accusation No
7 242 contient 13 photographies. Elles sont numérotées à partir de la
8 première, c’est la No 00400134, la deuxième porte le numéro 00400135
9 mais aussi le 00400136 et les suivantes sont numérotées
10 consécutivement. Je ne connais pas le contenu exact de votre
11 exemplaire, Monsieur Wladimiroff, mais ça, c’est ce qui a été admis
12 au dossier. L’audience est suspendue pour une durée de 20 minutes.
13 (16 h 00)
14 (La Cour se retire pour une courte pause)
15 (16 h 20)
16 LE PRÉSIDENT : Monsieur Keegan, vous pouvez reprendre votre
17 interrogatoire.
18 MONSIEUR KEEGAN : Merci, Madame le Président. Avant de reprendre le fil de
19 mon interrogatoire, pour la clarté du compte rendu, je voudrais
20 faire quelques précisions sur la mention que vous avez faite, avant
21 la suspension d’audience, de la Pièce 242 et des nombres qui
22 figuraient au dos de la photographie No. 2 en particulier. Je
23 voulais préciser, Madame le Président -- et la Défense en est
24 consciente -- que ces nombres sont les numéros d’enregistrement des
25 éléments de preuve, qui sont apposés sur la photographie après
Page 3791
1 qu’elle ait été ramenée par les enquêteurs qui l’ont montrée au
2 témoin et enregistrée dans notre système. Il y en a deux sur la
3 photographie que le témoin signe parce que la photographie est
4 copiée. L’un des numéro concerne le recto de la photographie, donc
5 l’image, alors que l’autre numéro concerne la signature.
6 LE PRÉSIDENT : Je vois. Je ne connaissais pas la raison de ces deux
7 photographies mais je me souviens que le témoin a dit que ces
8 numéros ne figuraient pas sur les photographies lorsqu’il a
9 identifié -----
10 MONSIEUR KEEGAN : C’est exact, c’est pourquoi dans chacun des albums, vous
11 noterez que chacune des images est numérotée une fois et normalement
12 vous en trouveriez deux ; chaque personne qui signe doit normalement
13 en avoir deux ---
14 LE PRÉSIDENT : Je vois.
15 MONSIEUR KEEGAN : -- pour cette raison.
16 LE PRÉSIDENT : C’était la seule photographie signée dans ce groupe. Bien.
17 Je vous remercie.
18 MONSIEUR KEEGAN (Au témoin) : Monsieur Mesic, juste avant la suspension de
19 l’audience, vous évoquiez comment on vous avait emmené sur la pista
20 après votre interrogatoire.
21 RÉPONSE : Oui.
22 QUESTION : Au moment où vous êtes arrivé sur la pista, avez-vous vu
23 quelqu’un que vous connaissiez ?
24 RÉPONSE : Oui, j’ai vu mon neveu et il m’a appelé pour que je vienne
25 m’asseoir près de lui.
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1 QUESTION : Comment de temps avez-vous passé sur la pista ?
2 RÉPONSE : Une journée.
3 QUESTION : Ce jour là, lorsque vous étiez sur la pista, avez-vous été
4 témoin de l’assassinat d’un prisonnier ?
5 RÉPONSE : Oui.
6 QUESTION : Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous décrire ce qui s’est passé
7 ?
8 RÉPONSE : Le jeune homme a été abattu. Il est parti demander du pain,
9 parce qu’il donnait du pain aux mineurs et il est donc parti en
10 chercher. Le garde l’a repoussé. Ils ne lui ont pas donné de pain.
11 Il marchait parmi nous, entre nous. Il a un peu crié et alors un
12 garde est venu, l’a écarté du groupe et l’a envoyé à la maison
13 blanche. Il est arrivé à la porte, à la porte du bas et il est entré
14 dans la pièce. La fenêtre était ouverte. Sous cette fenêtre, il y
15 avait un banc et il a sauté par la fenêtre et s’est assis sur le
16 banc. Un peu plus tard, il a levé les mains et il a dit "J’ai le
17 pouvoir" et il a commencé à marcher vers le policier. Le garde a
18 pris un fusil et lui a vidé un chargeur entier dans le bas du corps
19 et il s’est écroulé.
20 QUESTION : Quand le prisonnier s’est écroulé, est-ce que les gardes --
21 bien, qu’avez-vous vu ensuite ?
22 RÉPONSE : Il est venu, je veux dire un soldat en tenue de camouflage est
23 venu près de lui et les autres personnes ont dit "Voilà Tadic". Je
24 me suis retourné pour voir de qui il s’agissait.
25 MONSIEUR KAY : Je vous demande pardon. Madame le Président, je présente de
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1 nouveau une objection, fondée sur le principe que les informations
2 que le témoin vient de nous livrer ont une valeur probante largement
3 inférieure à leur effet préjudiciable, étant donné qu’il s’agit d’un
4 discours tenu par d’autres personnes informant le témoin de
5 l’identité d’un homme. Les personnes qui ont donné cette information
6 ne sont pas des témoins de l’existence desquels nous avons été
7 avisés ni des témoins que nous pouvons récuser ou soumettre à un
8 contre-interrogatoire. Nous ne pouvons savoir si l’information était
9 juste ou fausse, ni sur quelle base ces personnes l’ont elles-mêmes
10 reçue, ni si elles connaissaient cet homme ou pas.
11 LE PRÉSIDENT : Cela est en fait à aborder lors de votre contre-
12 interrogatoire de ce témoin ou si vous souhaitez plus tard récuser
13 ce témoin et il s’agit des circonstances dans lesquelles il a appris
14 ou entendu "Voilà Tadic". De nouveau, votre objection est rejetée --
15 bien que nous n’ayons pas encore statué sur votre requête, il me
16 semble approprié, au moins dans ce cas particulier, d’entendre ce
17 témoignage avant de pouvoir vraiment évaluer sa valeur probante,
18 parce que je ne connais pas les circonstances qui l’ont entouré. À
19 ce stade, à part qu’on a tiré sur un individu en visant le bas de
20 son corps, que le garde à vidé son chargeur et que quelqu’un a dit
21 "Voilà Tadic", nous ne savons rien d’autre. Je rejette donc votre
22 objection à ce stade.
23 MONSIEUR KEEGAN : Monsieur Mesic, vous avez indiqué qu’un soldat portant
24 une tenue de camouflage été allé vers lui. Voulez-vous dire qu’un
25 soldat en tenue de camouflage est allé vers le garde qui avait tiré
Page 3794
1 sur le prisonnier ?
2 RÉPONSE : Oui.
3 QUESTION : Pendant que cette personne en tenue de camouflage allait vers
4 le garde qui avait tiré sur le prisonnier, les autres prisonniers
5 vous ont-ils dit quelque chose ?
6 RÉPONSE : Non, ils ne m’ont rien dit.
7 QUESTION : Est-ce que quelqu’un a identifié le soldat qui allait vers le
8 garde qui avait tiré sur le prisonnier ?
9 RÉPONSE : Le prisonnier a dit "Voilà Tadic" et je l’ai regardé puis j’ai
10 détourné mon regard. Alors il a dit "Salut" au garde et ils se sont
11 souri l’un à l’autre. Il portait un livre. Je ne sais pas s’il
12 s’agissait d’un livre ou d’un cahier où il allait consigner le
13 meurtre. Je ne sais pas ce que c’était mais à ce moment là, on nous
14 a ordonné de nous asseoir, de nous allonger face contre terre. Alors
15 on s’est allongés à plat ventre. Après cela, on nous a ordonné de
16 nous lever et Kera a été mis dans une couverture et on l’a emmené
17 derrière le garage. On l’a mis derrière la pièce où il était et les
18 autres ont commencé à arroser l’herbe pour enlever le sang.
19 QUESTION : Monsieur Mesic, quand ce soldat en tenue de camouflage allait
20 vers le garde, est-ce que l’un des prisonniers a mentionné le nom
21 "Tadic" ou est-ce qu’ils étaient plusieurs à le faire ?
22 RÉPONSE : Plus d’un, "Regarde, voilà encore Tadic".
23 QUESTION : Vous souvenez-vous de ce que ces gens disaient ?
24 RÉPONSE : Ils disaient que c’était Tadic et qu’il y avait un concours
25 entre les deux pour savoir lequel tuerait le plus de personnes.
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1 QUESTION : Les prisonniers assis autour de vous qui ont dit "Voilà Tadic",
2 savez-vous d’où ils venaient ?
3 RÉPONSE : Nous venions de plein d’endroits de la région. Mon neveu était
4 là.
5 QUESTION : Les prisonniers que vous avez entendus dire "Voilà Tadic",
6 savez-vous d’où ils venaient, de quelle région ?
7 RÉPONSE : La plupart était de Kozarac.
8 QUESTION : Avez-vous bien regardé le visage de l’homme qu’ils ont
9 identifié comme étant Tadic ?
10 RÉPONSE : Oui.
11 QUESTION : Vous avez dit que vous avez détourné le regard après avoir vu
12 cet homme. Vous avez ensuite décrit comment l’homme a salué le garde
13 qui avait tiré sur le prisonnier. Cela signifie-t-il que vous avez
14 de nouveau regardé du côté où se tenaient le garde et l’homme
15 identifié comme étant Tadic ?
16 RÉPONSE : Oui, oui.
17 QUESTION : Que s’est-il passé lorsque cet homme, identifié comme étant
18 Tadic, est allé vers le garde ? Comment se sont-ils salués ?
19 RÉPONSE : Ils se sont serré la main et se sont souri.
20 QUESTION : Vous avez indiqué qu’à peu près au même moment, on vous a donné
21 l’ordre de tous vous coucher et de ne pas regarder. Quand vous avez
22 obtempéré ----
23 RÉPONSE : Oui, nous nous sommes allongés, face contre terre. Quelqu’un
24 était assis, quelques personnes étaient assises et regardaient vers
25 le bas mais en fait, vous pouviez regarder par dessous votre bras
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1 pour voir ce qui se passait autour de vous.
2 QUESTION : Lorsque vous avez levé les yeux de nouveau, avez-vous pu revoir
3 Tadic, l’homme identifié comme étant Tadic ?
4 RÉPONSE : Lorsque l’on nous a donné l’ordre de nous lever, je n’ai plus vu
5 Tadic, si c’était Tadic.
6 QUESTION : Ce jour là, quand vous avez quitté la pista, où êtes-vous allé
7 ?
8 RÉPONSE : Ce jour là, je suis resté sur la pista jusqu’à environ 9 ou 10
9 heures et après, on a jeté dans la pièce No. 16 ceux qui voulaient
10 partir et je faisais partie de ce groupe.
11 QUESTION : Pourquoi avez-vous rejoint le groupe qui se rendait dans une
12 pièce du hangar ?
13 RÉPONSE : Parce qu’en haut, tout était fermé.
14 QUESTION : Vous pensiez que les conditions seraient meilleures si vous
15 étiez à l’intérieur du bâtiment ?
16 RÉPONSE : Bien sûr que je croyais qu’elles seraient meilleures -- je
17 serais dans de meilleures conditions et on ne nous maltraiterait pas
18 autant dans la pièce.
19 QUESTION : Avez-vous vu ce qui est arrivé au cadavre du prisonnier appelé
20 Kera qui a été abattu l’après-midi où vous étiez sur la pista ?
21 RÉPONSE : Ce cadavre est resté là jusqu’au lendemain matin.
22 QUESTION : Comment savez-vous cela ?
23 RÉPONSE : Parce que le lendemain matin, on est allés au champ, aux
24 toilettes. Nous avons été conduits dehors et nous les avons vu
25 charger les cadavres. Il y avait plusieurs autres cadavres et celui
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1 de Kera était parmi eux.
2 QUESTION : Quand vous dites qu’on vous a conduits dehors, voulez-vous dire
3 que les gardes vous ont emmenés de la pièce à l’intérieur du hangar
4 vers l’extérieur ?
5 RÉPONSE : Oui.
6 QUESTION : Où était l’endroit que vous étiez supposés utiliser comme
7 toilettes ?
8 RÉPONSE : Près de la maison blanche.
9 QUESTION : Où avez-vous vu le cadavre de Kera ?
10 RÉPONSE : À l’endroit même où il avait été laissé, derrière la maison
11 blanche.
12 QUESTION : Que les avez-vous vu faire des cadavres, ce matin là ?
13 RÉPONSE : Ils les mettaient dans un petit camion et les conduisaient
14 ailleurs.
15 QUESTION : Avez-vous revu de nouveau dans le camp l’homme qu’on vous avait
16 identifié comme étant Tadic ?
17 RÉPONSE : Oui.
18 QUESTION : Quand était-ce ?
19 RÉPONSE : C’est le matin où nous sommes partis aux toilettes après le
20 réveil et, en revenant, j’étais assis près de cet homme. Il m’a dit
21 qu’il était de Kozarac et alors un garde est arrivé et m’a dit de
22 l’emmener en haut pour son interrogatoire, qu’il devait me suivre.
23 Nous sommes allés en haut. Je lui ai fait monter les escaliers. On
24 nous a un peu frappés alors que nous montions les escaliers. Il est
25 allé vers la droite, la troisième pièce à droite. Je me suis
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1 retrouvé face au mur, appuyé dessus en faisant le signe des trois
2 doigts et j’ai dû attendre comme ça jusqu’à ce qu’il ressorte. J’ai
3 vu Tadic assis à un bureau et il y avait aussi des chaises autour de
4 la table. Il avait les pied posés sur la table et quand je l’ai vu,
5 je me suis dit que c’était le même homme que j’avais vu la veille.
6 QUESTION : Après qu’on vous ait emmenés au champ, ce matin là, pour aller
7 au toilettes, on vous a ramené à la même pièce à l’étage du hangar ?
8 RÉPONSE : Oui.
9 QUESTION : Dans cette pièce, il y avait un homme -----
10 RÉPONSE : On ne l’a pas ramené à la pièce. On m’a ramené moi. L’homme de
11 Kozarac, il est resté sur la pista.
12 QUESTION : Je parle des instants avant que vous n’alliez avec lui à la
13 salle d’interrogatoire. Alors vous a-t-on ramené à la pièce No. 16
14 ce matin là et un homme de Kozarac a-t-il été amené à la pièce No.
15 16 ?
16 RÉPONSE : Oui. Oui.
17 QUESTION : Un garde vous a dit d’emmener cet homme se faire interroger ?
18 RÉPONSE : Oui, parce qu’il avait été sévèrement passé à tabac et qu’il ne
19 pouvait pas marcher tout seul.
20 QUESTION : Vous avez emmené cet homme en haut, dans le bâtiment de
21 l’administration, où se déroulaient les interrogatoires ?
22 RÉPONSE : Oui.
23 QUESTION : Est-ce l’endroit où vous avez revu l’homme identifié comme
24 étant Tadic ?
25 RÉPONSE : Oui.
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1 QUESTION : Après avoir amené l’homme de Kozarac à la salle
2 d’interrogatoire, où vous êtes vous mis ?
3 RÉPONSE : J’étais debout dans le corridor, à environ deux mètres de lui,
4 de Tadic, de cet homme, je ne sais pas si c’était Tadic.
5 QUESTION : Dans quelle position vous a-t-on ordonné de vous tenir contre
6 le mur ?
7 RÉPONSE : J’ai dû lever trois doigts et m’appuyer dessus contre le mur,
8 jusqu’à ce qu’il ressorte.
9 QUESTION : L’homme de Kozarac ?
10 RÉPONSE : Oui.
11 QUESTION : Combien de temps pensez-vous avoir passé dans ce couloir, à
12 attendre ?
13 RÉPONSE : Pas très longtemps --environ 15 minutes.
14 QUESTION : Durant ce laps de temps, avez vu bien regardé l’homme qu’on
15 vous avait identifié comme étant Tadic et qui était assis à la table
16 ?
17 RÉPONSE : Oui.
18 QUESTION : Pourriez-vous, avec l’aide de Madame Sutherland, nous montrer
19 sur la maquette les différents lieux dont nous avons discuté.
20 Pourriez-vous vous lever, M. Mesic ? M. Mesic, pouvez-vous vous
21 mettre devant votre bureau, le bureau des témoins ?
22 LE PRÉSIDENT : Si vous le souhaitez, Monsieur Keegan, il peut passer de ce
23 côté-ci et utiliser ces microphones. Je ne sais pas ce où vous
24 voulez qu’il se tienne pour procéder à l’identification. Faites
25 comme il vous plaira.
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1 MONSIEUR KEEGAN : Je pense qu’il peut certainement mieux atteindre tous
2 les côtés à partir d’ici, Madame. De plus, nous ne disposons
3 malheureusement pas ici de casques avec de long fils. J’en ai
4 cherché mais il n’y en a pas aujourd’hui. M. Mesic, si vous pouviez
5 d’abord indiquer avec le pointeur le petit garage où vous avez été
6 détenu immédiatement après votre arrivée au camp ?
7 RÉPONSE : (Le témoin indique sur la maquette). Ça, c’est le garage, ça.
8 Ça, c’est le garage.
9 QUESTION : Une précision pour la clarté du compte rendu d’audience, Madame
10 le Président ; je pense que la Cour est suffisamment au fait de
11 cette maquette pour constater qu’il s’agit du petit garage situé au
12 rez-de-chaussée à l’angle de ce bâtiment. Voilà. Pourriez-vous
13 indiquer ce garage de nouveau, s’il vous plaît ? Merci. Si vous
14 pouviez maintenant indiquer la salle d’interrogatoire dans le
15 bâtiment de l’administration où vous avez été interrogé ?
16 RÉPONSE : J’ai été interrogé dans cette pièce, en haut.
17 QUESTION : Il y a une lettre et un nombre qui identifient cette pièce,
18 pourriez-vous nous les lire ?
19 RÉPONSE : C’est la No. 11.
20 QUESTION : Quand on vous a emmené à la pista et que vous avez été témoin
21 du meurtre de Kera, où étiez-vous, approximativement, sur la pista ?
22 RÉPONSE : J’étais à côté des pots de fleurs près de la maison blanche.
23 QUESTION : Les pots de fleurs les plus proches de la maison blanche ?
24 RÉPONSE : C’était tout près.
25 QUESTION : M. Mesic, si vous pouviez maintenant nous indiquer la pièce du
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1 hangar dans laquelle on vous a emmené ce jour là ?
2 RÉPONSE : Dans le hangar ?
3 QUESTION : Oui. Là où l’on vous a emmené dans le hangar ?
4 RÉPONSE : (Le témoin indique)
5 QUESTION : Si vous pouviez indiquer de nouveau et l’identifier par une
6 lettre ou un nombre écrit sur la surface de cette pièce ?
7 RÉPONSE : Je ne comprends pas très bien votre question.
8 QUESTION : Pourriez-vous nous indiquer de nouveau la pièce du hangar où
9 vous êtes restés, dans le bâtiment du hangar ?
10 RÉPONSE : ?La réponse du témoin n’a pas été interprétée?.
11 QUESTION : La pièce où l’on vous a emmené après que vous ayez quitté la
12 pista ?
13 RÉPONSE : On m’a emmené à cette pièce.
14 QUESTION : Pourriez-vous nous dire le nombre ou la lettre qui figure sur
15 cette maquette ?
16 RÉPONSE : B1.
17 QUESTION : Pourriez-vous nous indiquer la pièce de cette maison blanche où
18 l’on a emmené Kera avant de l’abattre ?
19 RÉPONSE : On l’a fait passer par la porte et on l’a mis dans cette pièce.
20 QUESTION : Quand vous regardez la maquette, c’est la première pièce à
21 gauche ?
22 RÉPONSE : Oui, il y avait un banc dehors.
23 QUESTION : La fenêtre qui est indiquée sur la maquette, ici, à l’avant,
24 est-ce que c’est la fenêtre par laquelle il a sauté ?
25 RÉPONSE : Oui, même si la fenêtre était ouverte, il a sauté puis s’est
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1 assis sur le banc.
2 QUESTION : Pendant le temps que vous avez passé dans la pièce 16, vous a-
3 t-on jamais emmené à une autre pièce de ce hangar ?
4 RÉPONSE : Non.
5 QUESTION : Pendant le temps que vous avez passé dans cette pièce, s’est-il
6 passé quelque chose de significatif lorsqu’ils ont emmené des
7 prisonniers additionnels ?
8 RÉPONSE : Oui.
9 QUESTION : Pouvez-vous nous décrire ce qui s’est passé ?
10 RÉPONSE : Ils ont ramené trois bus pleins de gens d’Hambarine.
11 QUESTION : Qu’ont-ils fait de vous et des autres prisonniers qui étaient
12 déjà dans la pièce ?
13 RÉPONSE : Ils nous ont transférés vers une autre pièce, nous faisant
14 passer par le corridor et le hall.
15 QUESTION : Pourriez-vous nous indiquer cette autre pièce, s’il vous plaît
16 ?
17 RÉPONSE : Le long du corridor, de cette pièce à celle-là. Celle-là, là.
18 Nous sommes sortis par là et sommes allés directement à cette porte.
19 Il y avait une cage d’escalier, ici. Cigo est arrivé là. Il a placé
20 un garde armé d’un fusil, lui expliquant comment tenir le fusil,
21 notre porte était ouverte et il nous a mis là. Nous étions dans
22 cette pièce ici et alors, ils ont commencé à battre les gens de
23 Hambarine et les ont emmenés ensuite à notre pièce.
24 QUESTION : Monsieur Mesic, pourriez-vous nous indiquer de nouveau la pièce
25 où vous avez été placés quand les hommes de Hambarine on été ramenés
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1 ? Pointez dessus encore une fois.
2 RÉPONSE : Je ne vois pas très bien mais c’est cette pièce, oui. C’est la
3 pièce où nous étions avant et ensuite, quand les gens de Hambarine
4 sont arrivés, ils nous ont transférés de cette pièce-ci à celle-là.
5 QUESTION : Je vous remercie, vous pouvez vous rasseoir, maintenant. Madame
6 le Président, je voudrais indiquer, pour la clarté du compte rendu
7 que le témoin a indiqué la pièce B7 même s’il n’était pas en mesure
8 de l’atteindre avec son pointeur.
9 LE PRÉSIDENT : C’est la pièce à laquelle il a été transféré ?
10 MONSIEUR KEEGAN : Oui, c’est exact, Madame le Président. (Au témoin) :
11 Lorsque ces hommes d’Hambarine ont été amenés à cette pièce que vous
12 avez identifiée comme étant la pièce 16, que s’est-il passé ?
13 RÉPONSE : Ils les ont battus.
14 QUESTION : Comment ces hommes ont-ils été battus ?
15 RÉPONSE : Ils les ont battus durant les interrogatoires et jusqu’à 9
16 heures du soir, jusqu’à 8 heures et demie ou 9 heures, je ne suis
17 pas sûr ; et après, ils les ont jetés, les deux, dans la No. 16. Ils
18 nous ont demandé qui voulait aller dans l’autre pièce. Certains
19 d’entre nous sont retournés à notre pièce. Les gens avaient été
20 battus. J’ai demandé à l’un d’entre eux d’où ils étaient et il a dit
21 :"Nous étions d’Hambarine ; ils nous ont attrapés dans les bois et
22 nous ont ramenés ici."
23 QUESTION : À quoi ressemblait la pièce, la pièce No. 16 quand vous y êtes
24 retourné ?
25 RÉPONSE : Il y avait du sang. Il y avait toutes sortes de choses.
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1 QUESTION : Est-ce que ces hommes sont restés dans cette pièce toute la
2 nuit ?
3 RÉPONSE : Non, à environ 11 heures ou 11 heures et demie du soir, ils les
4 ont appelés et les ont mis dans un bus. Les bus étaient stationnés
5 près de la pista. Il y en avait exactement trois que j’ai vu à
6 travers un trou dans la fenêtre. Alors ils ont fait l’appel et ils
7 battaient les hommes au fur et à mesure qu’ils étaient appelés et
8 les forçaient à monter dans le bus.
9 QUESTION : Plus tard, ce même soir, avez-vous entendu quelque chose
10 d’inhabituel ?
11 RÉPONSE : Oui, on a entendu des tirs distants cette nuit là. C’est quand
12 ils ont pris mon frère et trois de ses fils et un frère de fils.
13 QUESTION : Les tirs provenaient-ils de l’intérieur du camp ?
14 RÉPONSE : Non, d’un peu plus loin. C’était un son étrange.
15 QUESTION : Combien de temps les tirs ont-ils duré ?
16 RÉPONSE : Eh bien, 15 ou 20 minutes environ.
17 QUESTION : Quand avez-vous quitté le camp d’Omarska, M. Mesic ?
18 RÉPONSE : Eh bien, quand tout ça s’est écroulé, Je ne sais pas la date
19 exacte. On nous a simplement dit de monter dans les bus et on nous a
20 emmenés à Manjaca.
21 QUESTION : Pouvez-vous nous décrire le voyage vers Manjaca ?
22 RÉPONSE : Au rythme où on avançait, on aurait pu, dans les mêmes temps,
23 arriver en Australie. Ils nous battaient et ils nous ont chargés
24 dans les bus comme du bétail. On était assis le long des couloirs.
25 J’étais assis sur les marches de l’escalier. Il y avait d’autres
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1 personnes assises à côté de moi et alors, vers environ 4 heures et
2 demie ou 5 heures, je ne suis pas très sûr, nous avons pris le
3 départ pour Manjaca.
4 QUESTION : Est-ce qu’ils battaient les gens dans les bus pendant le voyage
5 ?
6 RÉPONSE : Ils nous piétinaient, nous marchaient dessus, nous
7 maltraitaient, en chantant et en nous battant. Ils ont tout fait
8 dans ces bus.
9 QUESTION : Est-ce qu’ils avaient allumé le chauffage dans les bus ?
10 RÉPONSE : Oui.
11 QUESTION : Vous ont-ils donné à boire ou à manger quand vous étiez dans
12 les bus ?
13 RÉPONSE : Rien.
14 QUESTION : Combien de temps êtes-vous resté au camp de Manjaca ?
15 RÉPONSE : J’y suis resté jusqu’au 25.
16 QUESTION : Août ?
17 RÉPONSE : Oui.
18 QUESTION : Comment vous souvenez-vous de cette date ?
19 RÉPONSE : Parce que j’ai une liste de libération et cette carte de la
20 Convention de Genève par laquelle nous étions enregistrés. C’est
21 comme ça que je m’en souviens et je célèbre ce jour comme mon jour
22 anniversaire.
23 QUESTION : Où vous a-t-on emmené quand vous avez quitté le camp de Manjaca
24 ?
25 RÉPONSE : De Manjaca, on nous a emmenés à Trnopolje.
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1 QUESTION : Savez-vous pourquoi on vous a transférés de Manjaca ?
2 RÉPONSE : Ils ont transféré de Manjaca tous les vieux, les malades et les
3 mineurs.
4 QUESTION : Dans quel genre de condition étiez-vous quand on vous a
5 transféré ?
6 RÉPONSE : Je pense qu’elles étaient plutôt bonnes à Manjaca, les
7 conditions, parce qu’apparemment, les gardes et Joja, ils avaient eu
8 l’intention de tuer tous les prisonniers, ceux d’Omarska ; je ne
9 sais pas son prénom ou son nom de famille mais je sais qu’il venait
10 d’Omarska et ils l’appelaient Joja. C’était celui qui nous
11 maltraitait le plus, qui nous battait. Et alors, le Commandant
12 adjoint du camp est arrivé et les a insultés en disant "Pourquoi ne
13 l’avez-vous pas fait là-bas à Prijedor, à Omarska ? Vous n’allez
14 rien faire ici" et c’est comme ça qu’il nous a sauvés. Quand nous
15 sommes descendus des bus, il nous a donné de l’eau et tout ce qu’il
16 fallait.
17 QUESTION : Vous parlez du Commandant adjoint du camp à Manjaca ?
18 RÉPONSE : Oui.
19 QUESTION : Dans quel condition étiez-vous, je veux dire physiquement,
20 lorsque vous avez été transféré de Manjaca ?
21 RÉPONSE : J’étais en très mauvais état. Je ne pensais pas que je pourrais
22 retourner chez moi vivant.
23 QUESTION : Pouviez-vous marcher, à l’époque ?
24 RÉPONSE : Non.
25 QUESTION : Combien pesiez-vous ?
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1 RÉPONSE : Je pesais trente-huit kilogrammes.
2 QUESTION : Combien de temps avez-vous passé au camp de Trnopolje ?
3 RÉPONSE : Deux jours.
4 QUESTION : À partir de là, où êtes-vous allé ?
5 RÉPONSE : Un voisin, Vlado Tubin est venu nous chercher avec les chevaux
6 et la carriole de mon frère. Kuruzovic a réussi à me libérer et
7 c’est comme ça qu’il nous a ramenés à la maison.
8 QUESTION : Une fois que vous avez quitté le camp d’Omarska, avez-vous
9 jamais revu, en Bosnie-Herzégovine, l’homme qu’on vous a identifié
10 comme étant Tadic ?
11 RÉPONSE : Non.
12 QUESTION : Après avoir quitté la Bosnie-Herzégovine en 1993, avez-vous
13 jamais vu une photographie de l’homme qu’on vous a identifié comme
14 étant Tadic, à la télévision, dans un quelconque journal ou magazine
15 ?
16 RÉPONSE : Non.
17 QUESTION : En juin de cette année, un enquêteur du Tribunal vous a-t-il
18 montré un album photo ?
19 RÉPONSE : Oui.
20 QUESTION : Vous souvenez-vous du numéro de cet album ? Le numéro était-il
21 sur la couverture ?
22 RÉPONSE : No. 8.
23 QUESTION : Pourrait-on enregistrer cet album comme étant la pièce à
24 conviction suivante à être proposée. Il s’agira de la pièce 243.
25 Pourrait-on le faire passer au témoin. M. Mesic, veuillez, s’il vous
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1 plaît, regarder cet album et nous dire si vous le reconnaissez.
2 RÉPONSE : Oui.
3 QUESTION : Vous reconnaissez l’album lui-même ?
4 RÉPONSE : Quel album ?
5 QUESTION : L’album contenant toutes les photographies que vous regardez,
6 le reconnaissez-vous ?
7 RÉPONSE : Oui.
8 QUESTION : S’agit-il de l’album que vous a montré l’enquêteur ?
9 RÉPONSE : Oui.
10 QUESTION : Lorsque l’enquêteur vous a montré ce livre, que vous a-t-il dit
11 ?
12 RÉPONSE : De signer la photographie de cet album photo et j’ai pris la
13 photographie et j’ai signé pour montrer que je reconnaissais la
14 personne dont c’était le portrait.
15 QUESTION : Très bien. Lorsqu’il vous a donné cet album pour la première
16 fois, qu’est-ce qu’il vous a dit de faire en premier ?
17 RÉPONSE : Eh bien, si je reconnaissais dans cet album qui était ce Tadic
18 que j’ai effectivement reconnu, parce qu’avant les événements, je
19 n’avais jamais vu ce Tadic. Je n’avais jamais entendu parler de lui.
20 QUESTION : Lorsqu’il vous a donné l’album, vous a-t-il dit de chercher
21 l’homme Tadic ? C’est ce qu’il vous a dit de faire ? A-t-il utilisé
22 ce nom là ?
23 RÉPONSE : Non. Non. Non, il m’a juste dit "Reconnaissez-vous,
24 reconnaissez-vous cette photo et dans laquelle pensez-vous que ce
25 soit Tadic ?" Je ne me souviens pas exactement. Non, il m’a demandé
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1 de le reconnaître parmi ... , d’essayer d’identifier parmi tous ces
2 hommes qui était cet homme.
3 QUESTION : Avez-vous regardé chacune des photographies ?
4 RÉPONSE : Oui.
5 QUESTION : Avez-vous sélectionné l’une quelconque des photos ?
6 RÉPONSE : Oui, la quatrième.
7 QUESTION : Avez-vous signé au dos de cette photographie ?
8 RÉPONSE : Oui.
9 QUESTION : Que représentait la photographie que vous avez sélectionnée ?
10 RÉPONSE : Bien, ils m’ont dit que c’était Tadic, alors j’ai signé comme
11 quoi c’était Tadic.
12 QUESTION : Subsiste-t-il un doute dans votre esprit que l’homme dont vous
13 avez sélectionné la photographie dans cet album soit celui qu’on
14 vous a identifié comme étant Tadic au camp d’Omarska ?
15 RÉPONSE : Oui.
16 QUESTION : Ma question était doutez-vous que ce soit l’homme que vous avez
17 vu à Omarska ?
18 RÉPONSE : J’ai vu cet homme là-bas et il est le même que sur la
19 photographie.
20 QUESTION : Lorsque je vous ai posé la question, qui représentait la photo
21 que vous avez sélectionnée, la réponse qui a été traduite c’est
22 "Bien, ils m’ont dit que c’était Tadic, alors j’ai signé comme quoi
23 c’était Tadic." ?
24 RÉPONSE : Oui.
25 QUESTION : Qui vous a dit que cet homme était Tadic ?
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1 RÉPONSE : Eh bien, je l’ai reconnu. J’ai reconnu la photo de cet homme,
2 mais à savoir si c’était Tadic ou non ---
3 QUESTION : Donc, quand vous dites "ils" vous parlez des gens dans le camp
4 qui ont dit "Voilà Tadic" le jour où vous l’avez vu ?
5 RÉPONSE : Oui. Oui. Oui.
6 QUESTION : Vous ne parlez pas de l’enquêteur ?
7 RÉPONSE : Non.
8 MONSIEUR KEEGAN : Pas d’autre question, Madame le Président. Mais je
9 voudrais proposer le versement au dossier de la Pièce à conviction
10 243, Madame le Président.
11 LE PRÉSIDENT : Y a-t-il une objection à la pièce 243 ? Vous avez une
12 objection de principe.
13 MONSIEUR KAY : Oui.
14 LE PRÉSIDENT : Elle sera rejetée pour cette fois-ci. La pièce 243 est
15 admise au dossier des éléments de preuve. Monsieur Kay, souhaitez-
16 vous procéder à un contre-interrogatoire du témoin ?
17 MONSIEUR KAY : Merci, Madame le Président.
18 Contre-interrogatoire conduit par MONSIEUR KAY
19 QUESTION : M. Mesic, vous n’avez passé qu’une seule journée sur la pista,
20 n’est-ce pas ?
21 RÉPONSE : Oui.
22 QUESTION : Êtes-vous en mesure de dire à la Cour combien de personnes
23 étaient avec vous, ce jour où vous étiez sur la pista ?
24 RÉPONSE : Monsieur, je n’étais pas vraiment en état de compter les gens.
25 QUESTION : Dans quel genre d’état étiez-vous ce jour là ?
Page 3811
1 RÉPONSE : On pourrait dire tabassé.
2 QUESTION : Est-ce que vous aviez des blessures ? Est-ce que vous saigniez
3 ?
4 RÉPONSE : Du visage, oui.
5 QUESTION : Est-ce que votre corps était douloureux ?
6 RÉPONSE : Oui, bien sûr qu’il était douloureux.
7 QUESTION : À quelle heure êtes-vous arrivé sur la pista ?
8 RÉPONSE : Vers 5 ou 6 heures.
9 QUESTION : Du soir ?
10 RÉPONSE : Oui.
11 QUESTION : Êtes-vous en mesure de nous dire quoi que ce soit sur la date
12 du jour où vous êtes allé sur la pista ?
13 QUESTION : Je ne sais rien à propos des dates.
14 QUESTION : Êtes-vous en mesure de nous dire depuis combien de temps vous
15 étiez à Omarska lorsque vous êtes allé sur la pista ?
16 RÉPONSE : Je ne saurais même pas vous dire quand on m’a amené là bas ni
17 depuis combien de temps j’y étais. Un homme ne peut pas se souvenir
18 de tout. Je ne m’en souviens toujours pas.
19 QUESTION : Est-il vrai que la pista était entourée de pots ou de bacs de
20 plantes, des blocs de bétons de chaque côté ?
21 RÉPONSE : Oui.
22 QUESTION : Les gens qui étaient sur cette partie de la pista, y en avait-
23 il beaucoup ? Est-ce qu’elle était pleine ?
24 RÉPONSE : Il y avait là beaucoup de monde.
25 QUESTION : Plusieurs centaines de personnes ?
Page 3812
1 RÉPONSE : Des centaines ? Eh bien, je pense que oui -- non, je ne sais
2 pas. Je ne sais pas exactement combien il y avait de personnes, mais
3 la pista était pleine. Les gens passaient la nuit allongés sur la
4 pista.
5 QUESTION : Lorsque vous avez quitté l’autre bâtiment, avez-vous marché des
6 portes de devant de ce bâtiment vers la pista ?
7 RÉPONSE : Que voulez-vous dire par là ?
8 QUESTION : Les portes que nous voyons dans la maquette exposée dans le
9 prétoire, peut-être que vous pouvez les voir, de là où vous êtes, si
10 vous voulez bien vous lever.
11 RÉPONSE : De l’interrogatoire ?
12 QUESTION : Oui. Peut-être pourriez-vous nous indiquer à partir de quel
13 endroit vous êtes entré sur la pista ? Peut-être que si vous vous
14 levez -----
15 RÉPONSE : (Le témoin indique sur la maquette) 21, c’est là, c’est de là
16 qu’on est sortis et arrivés ici.
17 QUESTION : Vous avez montré avec votre pointeur que vous étiez de l’autre
18 côté, vers l’herbe, n’est-ce pas ?
19 RÉPONSE : Oui.
20 QUESTION : Pouvez-vous vous lever et nous montrer avec le pointeur où
21 étaient les bacs de fleurs ?
22 RÉPONSE : Eh bien, les bacs de fleurs, vous le savez, je veux dire ils
23 étaient d’un côté et de l’autre. Je n’ai pas dessiné où ils étaient
24 exactement.
25 QUESTION : Peut-être pourriez-vous vous lever et nous indiquer avec le
Page 3813
1 pointeur où les bacs de fleurs étaient placés.
2 RÉPONSE : Les bacs de fleurs étaient comme ça.
3 QUESTION : Entre les bâtiments ?
4 RÉPONSE : Entre ceci et ils allaient dans cette direction. Je n’arrive pas
5 à me souvenir.
6 QUESTION : Les hommes sur la pista, est-ce qu’ils étaient entre les bacs
7 de fleurs ?
8 RÉPONSE : Oui, nous étions tous assis là bas.
9 QUESTION : Les bacs de fleurs marquaient-ils la limite de la zone où les
10 hommes qui étaient sur la piste devaient rester ?
11 RÉPONSE : Je n’en sais rien, s’il y avait une limite quelque part où s’ils
12 considéraient que c’était une limite. Je n’en sais rien.
13 QUESTION : Mais vous étiez entre les plants de fleurs, n’est-ce pas ?
14 RÉPONSE : Oui.
15 QUESTION : Cela tend à montrer que l’indication que vous avez donnée à la
16 Cour et selon laquelle vous étiez plus près de l’herbe où est la
17 maison blanche, cette indication serait fausse.
18 RÉPONSE : Hein ? Comment cela pourrait-il être faux alors que j’étais
19 assis près des bacs de fleurs ?
20 QUESTION : Les bacs de fleurs étaient-ils entre les bâtiments ?
21 RÉPONSE : Comment cela se pourrait-il ?
22 QUESTION : Eh bien, vous venez de nous les indiquer il y a peu, n’est-ce
23 pas ?
24 RÉPONSE : Écoutez, je ne peux pas décrire tout ça maintenant, pas moyen.
25 Je n’en suis tout simplement pas capable. Où est-ce qu’ils étaient,
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1 comment le saurais-je maintenant ? Tout cela est ---
2 QUESTION : Je vous pose ces questions ----
3 RÉPONSE : J’étais assis à côté des bacs de fleurs près de la maison
4 blanche.
5 QUESTION : Je vous pose ces questions parce qu’apparemment, vous arrivez à
6 vous souvenir de ce à quoi ressemblait l’homme dont vous dites,
7 d’après les photographies, qu’il était Tadic et parce que vous
8 dites que vous pouvez l’identifier à partir de ces photographies
9 comme étant l’homme que vous avez vu parler au garde qui a abattu
10 Kere.
11 RÉPONSE : Oui.
12 QUESTION : Donc, êtes-vous en train de nous dire que votre mémoire est
13 bonne sur ce point et sur d’autres ? Ou êtes-vous en train de dire
14 que votre mémoire vous fait défaut sur les autres points ?
15 RÉPONSE : Comment saurais-je où se trouvent les bacs de fleurs et le reste
16 ?
17 QUESTION : Eh bien je vous pose ces questions et, si vous en souvenez,
18 partagez ces souvenirs avec nous. Par ailleurs, connaissiez-vous
19 Kera ou pas du tout ? Était-il un membre de votre famille, un ami ?
20 RÉPONSE : Non.
21 QUESTION : Comment connaissiez-vous son nom ?
22 RÉPONSE : C’était un compagnon de travail. Nous travaillions ensemble.
23 QUESTION : Alors, c’était un ami à vous ou pas ?
24 RÉPONSE : Il prenait un bus de transport différent. Nous n’étions pas
25 amis. Il n’est pas du même âge que moi. Nous ne pouvions pas être
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1 amis parce que nous étions d’âges différents.
2 QUESTION : Lorsque Kera a demandé du pain au garde, où ce dernier se
3 tenait-il ?
4 RÉPONSE : Devant la porte, devant la cantine.
5 QUESTION : S’agit-il de la porte que vous nous avez indiquée il y 10
6 minutes, pour nous dire que vous êtes passé par elle pour aller sur
7 la pista ?
8 RÉPONSE : Oui.
9 QUESTION : Donc, Kera demande du pain. Comment a-t-il pu arriver à la
10 maison blanche en entrant par la gauche ?
11 RÉPONSE : Le garde l’a appelé et l’a emmené à l’intérieur de la maison
12 blanche.
13 QUESTION : Quel garde l’a appelé et l’a emmené à la maison blanche ? Où se
14 trouvait se garde ?
15 RÉPONSE : Il était là avec celui qui distribuait le pain et Kere s’est mis
16 en colère et a commencé à crier. Il lui a dit qu’il l’emmènerait à
17 l’intérieur de la maison blanche et c’est ce qu’il a fait.
18 QUESTION : Donc le garde a traversé la pista avec Kere et l’a mis dans la
19 maison blanche ?
20 RÉPONSE : Oui.
21 QUESTION : Le garde est-il resté là-bas ou a-t-il quitté l’endroit ?
22 RÉPONSE : Il est revenu. Il est revenu et l’autre était debout là-bas.
23 QUESTION : Alors, est-ce qu’il a rejoint l’autre garde qui était devant le
24 bâtiment de la cantine ?
25 RÉPONSE : De qui voulez-vous parler ?
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1 QUESTION : Eh bien du garde qui a emmené Kere à la maison blanche, est-ce
2 qu’il l’a laissé là-bas pour retourner au bâtiment de la cantine ?
3 RÉPONSE : Oui. L’un se tenait là-bas et l’autre près du hangar.
4 QUESTION : Vous avez dit que Kere a sauté de la fenêtre et s’est assis sur
5 le banc devant le bâtiment ?
6 RÉPONSE : Eh bien oui, c’est exact et ensuite, il s’est levé, s’est dirigé
7 vers le garde, vers nous, en levant les bras comme ça et en disant
8 "J’ai le pouvoir" et il a immédiatement saisi son fusil et a tiré.
9 QUESTION : Où se tenait le garde qui l’a abattu ?
10 RÉPONSE : Près de nous, près des bacs de fleurs.
11 QUESTION : le garde a-t-il tiré au dessus des têtes des prisonniers qui se
12 trouvaient sur la pista ?
13 RÉPONSE : Non, parce qu’il a tiré en direction de la maison blanche.
14 QUESTION : Lorsque le garde a tiré sur cet homme avec son fusil, qu’ont
15 fait les prisonniers qui étaient sur la pista ?
16 RÉPONSE : Ils se sont allongés immédiatement par terre mais lorsqu’il a
17 bougé, lorsque ce soldat est arrivé et est allé vers lui et quand
18 ils se sont salués, c’est là qu’est venu l’ordre de nous allonger
19 sur le ventre et de garder la tête baissée.
20 QUESTION : Donc, quand les coups ont été tirés, tout le monde s’est
21 protégé en se couchant par terre, afin de ne pas être touché, n’est-
22 ce pas ?
23 RÉPONSE : Non. Non, monsieur.
24 QUESTION : Lorsque le ---
25 RÉPONSE : Nous regardions. Lorsque ce monsieur est arrivé, lorsqu’un garde
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1 est allé vers un autre garde, ils se sont salués et c’est là qu’on
2 nous a dit de nous allonger par terre.
3 QUESTION : Alors, vous êtes-vous allongé ?
4 RÉPONSE : J’étais assis, tête baissée.
5 QUESTION : Jusqu’à ce moment là, vous regardiez le garde qui avait tiré
6 sur Kere ?
7 RÉPONSE : Oui.
8 QUESTION : C’est ce qui vous intéressait le plus ?
9 RÉPONSE : Je n’avais jamais vu un homme mourir comme ça.
10 QUESTION : Comment saviez vous que les prisonniers parmi lesquels vous
11 vous trouviez sur la pista étaient de Kozarac ?
12 RÉPONSE : Eh bien ils venaient d’un peu partout.
13 QUESTION : Vous nous avez parlé de votre neveu que vous avez rejoint. D’où
14 était-il ?
15 RÉPONSE : De Raskovac.
16 QUESTION : Pas de Kozarac ?
17 RÉPONSE : Et comment aurait-il pu être de Kozarac ? Il était de Raskovac.
18 Ils venaient tous de là.
19 QUESTION : Ah, ils venaient tous de là ?
20 RÉPONSE : Écoutez, monsieur, vous dépassez légèrement les limites. Cela
21 veut-il dire que si je suis de Raskovac, alors tout le monde est de
22 Raskovac et que si je suis de Kozarac, alors tout le monde est de
23 Kozarac ?
24 MONSIEUR KAY : Madame le Président, je ne sais pas si la Cour souhaiterait
25 suspendre l’audience à ce stade. Nous avons d’autres questions à
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1 poser et le témoin est à la barre depuis déjà un certain temps.
2 C’est peut-être l’occasion de marquer une pause.
3 LE PRÉSIDENT : Bien, nous prendrons une pause à 17 heures 30, soit dans
4 une minute. La dernière Pièce à conviction était la 243, n’est-ce
5 pas ? Le dernier album photo ?
6 MONSIEUR KEEGAN : Oui, Madame le Président.
7 LE PRÉSIDENT : A-t-il été suffisamment identifié au goût de tout le monde,
8 le nombre de photographies qui y figurent, les numéros inscrits
9 dessus ?
10 MONSIEUR WLADIMIROFF : Je vais y jeter un autre coup d’oeil.
11 LE PRÉSIDENT : Passez le moi. Je crois que je suis la seule personne qui
12 s’inquiète vraiment que l’une de ces photos ne glisse hors de
13 l’album et qu’on se retrouve avec un désaccord sur son contenu.
14 MONSIEUR WLADIMIROFF : Madame le Président, peut-être serait-ce une bonne
15 idée de disposer de copies de chaque album parce que la séquence
16 pourrait changer. C’est pourquoi nous préférons voir également la
17 séquence.
18 LE PRÉSIDENT : Le Procureur devrait donc vous faire une copie de l’album
19 qu’il a effectivement l’intention de verser au dossier des éléments
20 de preuve, c’est bien ce que vous dites ?
21 MONSIEUR WLADIMIROFF : C’est cela.
22 LE PRÉSIDENT : C’est une excellente idée. Vous leur avez donné l’occasion
23 d’y jeter un coup d’oeil, mais pourquoi pas à la pièce à conviction
24 en elle-même ?
25 MONSIEUR KEEGAN : Oui, Madame le Président. Ces nombres tamponnés au dos
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1 des photographies permettent de les intégrer une par une à l’album
2 en leur affectant le numéro correspondant au nombre exact de
3 photographies précédentes, si bien que grâce aux numéros, vous
4 pouvez savoir exactement quelles photographies étaient dans l’album
5 ; c’est l’une des manière de régler ce problème, Madame le
6 Président.
7 LE PRÉSIDENT : Je crains juste que Monsieur Bos ne s’accroche à la pièce
8 243 --- je ne sais pas combien de photographies contient la pièce
9 243 et je ne connais pas leurs numéros mais je peux voir que le haut
10 des pages n’est pas agrafé. Je m’inquiète que quelque chose ne tombe
11 hors de l’album, c’est tout.
12 MONSIEUR KEEGAN : Il y a des copies déjà prêtes dans le système de
13 conservation des preuves et elles peuvent être fournies. C’est ce
14 que je vous indique.
15 LE PRÉSIDENT : Je veux que la Défense reçoive une copie exacte de la pièce
16 243. Vous ferez ça ?
17 MONSIEUR KEEGAN : Oui. Madame le Président.
18 LE PRÉSIDENT : Fort bien. je vous remercie. Nous suspendons donc
19 l’audience, qui reprendra demain matin à 10 heures ; merci.
20 (17 heures 30)
21 (L’audience est suspendue jusqu’au lendemain)
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