Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-94-1-A

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Mardi 20 avril 1999

4 Le Procureur

5 c

6 Dusko Tadic

7

8 L'audience est ouverte à 10 heures.

9 M. le Président (interprétation). - Maître Clegg, souhaitez-vous

10 reprendre ?

11 M. Clegg (interprétation). – Oui, Monsieur le Président. Je vais

12 en venir à la question qui m'a été posée hier soir en fin de journée par

13 les Juges de la Chambre.

14 A priori, je pense que l'accusation n'aurait aucun droit d'appel

15 si la situation était inverse à celle que j'ai présentée hier, et

16 l'accusation publique n'aurait aucune raison de présenter ce type

17 d'éléments de preuve à la Chambre de première instance et ce pour deux

18 raisons : d'abord, le principe de l'égalité des armes a pour but dans un

19 procès ordinaire de faire en sorte que la défense ait tous les outils

20 nécessaires pour préparer la présentation de ces éléments à décharge, y

21 compris ceux qui sont à la disposition de l'accusation qui dispose de

22 toutes sortes d'avantages, y compris ceux que lui fournissent le fait

23 d'appartenir aux autorités publiques.

24 Nous vous soumettons l'analyse qui a été faite du droit

25 pertinent par le Juge Vohrah lors du jugement rendu le 27 novembre par la

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1 Chambre de première instance, alors qu'il avait été demandé que certaines

2 déclarations préalables de témoins soient soumises à la Chambre.

3 Son analyse commence à la page 4 du jugement auquel je viens de faire

4 référence.

5 Le Juge Vohrah indique que le principe de l'égalité des armes

6 dans le cas de l'accusation a pour but de permettre à cette dernière

7 d'avoir accès à certaines déclarations préalables recueillies auprès des

8 témoins de la défense. Le Juge Vohrah poursuit en déclarant qu'au vu des

9 sources fournies, il apparaît que le principe de l'égalité des armes est

10 intrinsèque à la définition d'un procès équitable tel qu'il est défini par

11 les conventions internationales. Ce

12 principe dans un procès ordinaire a pour but de faire en sorte que la

13 défense a tous les moyens nécessaires pour présenter ses éléments à

14 décharge, y compris les outils qui sont à la disposition de l'accusation

15 qui jouit d'autre part d'un certain nombre d'avantages qui font partie du

16 fait qu'elle est représentante des autorités publiques.

17 Le Juge Vohrah cite ensuite un certain nombre de ces autorités

18 publiques.

19 A la fin de la même page 4, le Juge Vohrah poursuit en déclarant

20 que la Commission européenne des Droits de l'Homme a été très claire sur

21 ce point en déclarant -et je cite- : "La Commission est d'avis que ce que

22 l'on appelle généralement l'égalité des armes, à savoir l'égalité des

23 outils de procédure entre la défense et l'accusation, fait partie

24 intrinsèque de la définition d'un procès équitable." (Fin de citation).

25 Cette citation -je le répète- provient du jugement dont j'ai parlé tout à

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1 l'heure.

2 Ensuite, le Juge Vohrah cite un certain nombre d'éléments de

3 jurisprudence. Puis, à la page 5 du jugement, il indique -je cite- : "Le

4 principe de l'égalité des armes doit permettre à la défense de se battre

5 autant que possible sur le même terrain que l'accusation et il est évident

6 au vu de la jurisprudence qui émane de la Convention européenne de

7 protection des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Ceci émane

8 également du Pacte international de la protection des droits civils et

9 politiques, deux conventions qui prennent en compte le principe de

10 l'égalité des armes dans le cadre de la définition d'un procès équitable."

11 (Fin de citation).

12 Donc, le principe de l'égalité des armes vise à faire en sorte

13 que la défense puisse assurer à son client un procès équitable.

14 Si je puis maintenant aborder la question que vous m'avez posée,

15 Monsieur le Juge, sous un angle un peu différent et essayer de voir

16 pourquoi il y a apparemment un déséquilibre en matière de droit dans la

17 façon dont on définit le terme égalité et pourquoi il est normal que

18 l'accusation n'ait pas le droit de bénéficier de certains avantages, je

19 pense, moi, que le principe de l'égalité des armes fait partie du droit de

20 l'accusé à un procès équitable. L'accusation n'a pas

21 le droit d'avoir un procès équitable puisque qu'elle n'est pas jugée elle-

22 même. L'accusation a la charge de la preuve, elle doit satisfaire à ses

23 obligations à ce titre et, dans une procédure telle que celle d'un procès

24 en première instance, l'accusé a le droit à un procès équitable.

25 Contrairement à ce qui est permis à la défense, l'accusation peut décider

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1 du moment où elle souhaite délivrer un mandat d'arrêt.

2 Ensuite, le procès ne commence que lorsque l'accusation est

3 prête à présenter ses éléments à charge et lorsque la décision de

4 commencer le procès a été prise, l'accusation peut retarder la procédure

5 jusqu'à ce qu’elle soit persuadée d’avoir réuni les éléments suffisants

6 qui lui permettront de démontrer que l'accusé est coupable.

7 La procédure va ensuite leur permettre de présenter leurs

8 éléments et voir s'ils ont satisfait à leur obligation en termes de charge

9 de la preuve. Il s'agit pour eux de démontrer que l'accusé est

10 effectivement coupable. Un mandat d'arrêt ne peut pas être délivré jusqu'à

11 ce que les éléments de preuve montrent qu'effectivement, il sera possible

12 à l'accusation de démontrer la culpabilité de l’accusé.

13 La défense, en revanche, n’a pas son mot à dire quant au début

14 de la procédure. Elle ne peut pas non plus intervenir pour la délivrance

15 d'un mandat d'arrêt.

16 Ensuite, si la défense peut avoir une certaine influence sur le

17 déroulé de procès, elle est soumise à deux types de pression : celle de se

18 trouver dans la situation où elle représente un homme qui n'est pas

19 convaincu de culpabilité, qui se trouve en détention préventive et,

20 d'autre part, la volonté de la Chambre de mener à bien le procès dans une

21 période de temps qui est considérée comme raisonnable.

22 C'est la raison pour laquelle nous affirmons que le principe

23 d'égalité des armes fait partie du droit inaliénable de l'accusé à un

24 procès équitable et c'est la raison pour laquelle c'est la défense qui

25 doit être prioritaire dans le cadre de ce principe et non pas

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1 l'accusation.

2 Venons-en maintenant au troisième motif d'appel.

3 M. le Président (interprétation). - Maître Clegg, avant que vous

4 n’abordiez ce troisième motif d'appel, puisqu'il me semble comprendre que

5 le deuxième motif d’appel ne sera pas abordé dans l'immédiat, je souhaite

6 revenir sur ce que vous venez de nous soumettre.

7 Je souhaite signaler tout d'abord que je posais une question, je

8 n'affirmais pas quoi que ce soit. La Chambre d'appel n'a pas du tout

9 tranché la question. En fait, la Chambre d'appel souhaite simplement voir

10 dans quelle mesure vous êtes à même de défendre une théorie dont vous vous

11 faites le défendeur. Je n'ai aucun doute quant au fait que l'accusation en

12 temps et en heure nous présentera elle-même ses arguments sur ce que vous

13 venez de dire.

14 Il me semble que dans le cadre de votre argumentation, vous

15 venez de dire que l'accusation, elle, n'avait pas le droit de bénéficier

16 d'un procès équitable. Je le répète, je pense qu'à un moment donné,

17 l'accusation aimera revenir sur ce point, à savoir si elle représente

18 l'intérêt général et si ledit intérêt général suppose que l'accusation ait

19 elle aussi droit à un procès équitable. Dans ce cas le principe s'applique

20 aux deux parties au procès et non pas seulement à la défense.

21 J’attire votre attention sur un document que vous trouverez

22 peut-être intéressant, mais un document qui ne fait pas à proprement

23 parler partie du dossier de l'affaire. Il s'agit d'une lettre qui a été

24 rédigée par M. le Juge Cassese le 19 septembre. Il était à cette époque

25 Président de ce Tribunal. Cette lettre est adressée à Mme Plavcic qui

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1 était alors Présidente de la Republika Srpska. Je souhaiterais que cette

2 lettre soit communiquée aux parties. S’il n'y a pas d'objection, elle

3 pourrait être versée au dossier de notre affaire. Monsieur le Greffier, je

4 vous demanderai de la distribuer aux parties.

5 C'est une lettre dans laquelle M. le Juge Cassese rappelle que

6 le Président de la première instance, Mme le Juge McDonald nous a soumis

7 un problème, à savoir que le responsable de la sécurité dans la région de

8 Prijedor était dans une situation délicate vis-à-vis de la situation dans

9 laquelle se trouvaient trois témoins qui avaient été cités à comparaître

10 par la

11 défense. Le Président Cassese demande l'intervention de Mme Plavcic dans

12 le but de s'assurer que ces menaces qui pesaient sur le chef de la

13 sécurité n'étaient pas mises à exécution. Nous revenons un petit peu à ce

14 dont vous parliez.

15 D'autre part, cette lettre et cet incident montrent que

16 M. le Juge Cassese ainsi que Mme le Juge McDonald ont fait tout ce qui

17 était en leur pouvoir pour s'assurer de la venue des témoins cités par la

18 défense. Vous souhaiterez peut-être lire cette lettre et l'utiliser dans

19 le cadre de votre argumentation. L'accusation pourra l'utiliser à son tour

20 pour répondre.

21 M. Clegg (interprétation). - Merci infiniment, Monsieur le

22 Président, de nous avoir fait parvenir ce document.

23 Effectivement, nous aimerions nous appuyer sur la teneur de

24 cette lettre rédigée par le Juge Cassese, car cette lettre reflète très

25 fidèlement le type d'obstacles auxquels M. Wladimiroff a été confronté

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1 pendant toute la durée du procès. Le jugement rendu par la Chambre de

2 première instance tenait d'ailleurs bien compte de ces difficultés, de ces

3 obstacles et, au paragraphe 3-530 du jugement, cela apparaît très

4 clairement.

5 Il est dit à ce paragraphe : "Les deux parties ont été

6 confrontées à des difficultés, notamment l'accès limité aux éléments de

7 preuve sur le territoire de l'ex-Yougoslavie dû pour une bonne part au

8 refus des autorités serbes de Bosnie de coopérer avec le Tribunal

9 international. Alors que les témoins à charge, principalement des

10 Musulmans et d'anciens résidents de Bosnie, vivent en Europe occidentale

11 ou en Amérique du Nord, la plupart des témoins à décharge, presque tous

12 Serbes, continuent de résider en Republika Srpska."

13 Le jugement poursuit en précisant les différentes mesures prises

14 par le Tribunal en vue de venir en aide aux deux parties au procès

15 toujours dans l'objectif d'éliminer un certain nombre de difficultés

16 auxquelles celles-ci doivent faire face.

17 Ceci étant dit, en bas du paragraphe 531 du jugement, il est

18 indiqué -je cite- : "Ces mesures semblent avoir atténué les difficultés

19 inhérentes à la situation." Le terme anglais qui

20 est utilisé "alleviate", "atténuer" en français, reflète qu'effectivement,

21 un certain nombre de difficultés ont été éliminées, mais que toutes n'ont

22 pas disparu, le problème n'a pas été entièrement résolu. Il apparaît donc

23 clairement que selon la Chambre de première instance, il y a bien des

24 difficultés inhérentes qui se sont fait jour pendant toute la durée du

25 procès malgré tous les efforts déployés par le Tribunal, efforts visant à

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1 aplanir les obstacles auxquels se heurtait la défense, obstacles dressés

2 par la Republika Srpska. Ces difficultés sont toujours une réalité.

3 Ceci reflète bien ce que disait M. Wladimiroff lorsqu'il a

4 prononcé sa déclaration liminaire et lorsqu'il a dit que dans le cadre de

5 la préparation des éléments de preuve à décharge, "nous avons eu à nous

6 battre contre certaines résistances dont la Chambre de première instance a

7 reconnu qu'elles se posaient en Republika Srspka et notamment dans la

8 région de Prijedor. Les autorités dans cette région cherchent à mettre des

9 obstacles aux procédures d'enquête menée à la fois par la défense et par

10 l'accusation." C'est bien de ce problème que nous parlons ici aujourd'hui.

11 Si vous me permettez maintenant, Monsieur le Président,

12 j'aimerais revenir sur la question de savoir si l'accusation a le droit à

13 un procès équitable. Loin de moi l'idée de suggérer que l'accusation n'a

14 aucun droit. Bien sûr que dans le cadre du déroulé du procès, l'accusation

15 jouit de nombreux droits qui, conjugués aux droits qui sont ceux de

16 l'accusé, permettent d'assurer la tenue d'un procès équitable.

17 L'accusation a le droit de citer à comparaître certains témoins et de

18 présenter des éléments de preuve qui sont recevables. L'accusation a le

19 droit de procéder au contre-interrogatoire des témoins cités par la

20 défense et, dans tout procès -et je parle aussi ici des procès qui se

21 tiennent devant ce Tribunal international-, il y a un équilibre à attendre

22 entre les intérêts opposés des parties, et ce sont les juges des Chambres

23 qui doivent s'assurer de l'équilibre et de l'équité du procès, mais nous

24 parlons bien d'un procès au cours duquel c'est l'accusé qui est jugé.

25 C'est bien l'accusé qui doit se défendre et c'est la raison pour laquelle

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1 le principe de l'équité du procès est cité comme faisant partie des droits

2 de l'accusé,

3 même si tout le monde participe à ce procès, à la fois l'accusation et la

4 défense.

5 Je ne suggère pas, loin de là, que l'accusation n'a pas de droit

6 dans le cadre d'un procès. Bien évidemment que c'est le cas, et les droits

7 de l'accusation doivent être compatibles avec le droit à un procès

8 équitable qui est celui de l'accusé.

9 M. le Président (interprétation). - Voyons si je vous comprends

10 bien. Vous dites en fait que l'accusation a le droit de prendre part au

11 procès et de s'assurer de son équité. Mais s'il s'avérait que le procès

12 n'était pas équitable en tous points, si notamment le principe de

13 l'égalité des armes n'était pas intégralement respecté, l'accusation n'a

14 pas le droit d'intervenir et n'a pas le droit de contester, c'est bien ce

15 que vous dites ?

16 M. Clegg (interprétation). – Effectivement, elle ne peut pas

17 interjeter appel de ce problème-là. En fait, votre question part du

18 principe qu'il y a injustice dès lors qu'il n'y a pas égalité totale des

19 armes, que ce soit du côté de l'accusation ou de la défense.

20 Mais, moi, je partirai d'un principe légèrement différent. Je

21 dirai que si l'accusation choisit d'intenter un procès contre un accusé en

22 se fondant sur un ensemble d'éléments de preuve et si elle est convaincue

23 que cet ensemble d'éléments de preuve permet à l'accusation de démontrer

24 la culpabilité de l'accusé pour un certain nombre de faits, si

25 l'accusation soumet ces éléments de preuve à l'examen d'une Chambre de

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1 première instance, alors il n'y a pas inégalité. Si, par ailleurs, il y a

2 d'autres éléments de preuve qui existent et qui permettent d'augmenter le

3 volume des éléments de preuve sur lesquels ils se sont appuyés...

4 Dans tout procès pénal, il me semble, et dans toute juridiction

5 au monde, il y aura toujours plus d'éléments de preuve à la disposition de

6 l'accusation dès lors que l'accusation a les moyens financiers et autres

7 pour se les procurer. Il y aura toujours d'autres témoins susceptibles

8 d'être trouvés dès lors qu'on peut consacrer un certain nombre d'efforts

9 pour les trouver. Il y a toujours les moyens de mener à bien des enquêtes

10 complémentaires pour trouver des éléments de preuve complémentaires.

11 Je veux dire que l'accusation peut gérer comme elle l'entend la

12 procédure qui lui permet de rassembler tous les éléments de preuve qu'elle

13 juge pertinents puisque, en fait, l'Etat ou ici le Tribunal international

14 lui confie cette tâche. L'accusation prend une décision, estime qu'il y a

15 un volume suffisant pour dire qu'ils peuvent intenter un procès à un

16 individu et, à un certain stade, ils disent : "Très bien, nous avons

17 suffisamment d'éléments de preuve, nous pouvons nous appuyer sur ce dont

18 nous disposons, nous n'avons pas besoin de consacrer une ou deux années

19 supplémentaires à la réunion d'éléments de preuve ou de témoignages". A ce

20 moment-là, ils délivrent un mandat d'arrêt et déclarent : "Nous sommes

21 prêts à commencer le procès."

22 Ensuite, ils se tournent vers la défense et disent : "Voilà

23 quels sont les éléments de preuve dont nous disposons et dont nous disons

24 qu'ils prouvent la culpabilité de votre client."

25 Ensuite, la défense doit faire face à ces éléments de preuve et

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1 essayer de les contrer.

2 Si l'accusation n'arrive pas à démontrer la culpabilité de

3 l'accusé, alors il n'y a pas d'inégalité des armes et l'accusation peut

4 ensuite dire : "Nous n'avons pas réussi à prouver la culpabilité de

5 l'accusé, nous allons à nouveau partir sur les routes et rassembler

6 d'autres éléments de preuve."

7 Ensuite, nous irons voir la Chambre d'appel, présenter des

8 éléments de preuve complémentaires pour essayer de prouver ce que nous

9 n'avons pas pu prouver dans un premier stade de procédure.

10 Là, je crois que l'on peut effectivement parler d'inégalité des

11 armes parce que là, dans cette situation, on permet à l'accusation de

12 revenir deux fois à la charge. L'accusation se voit offrir une deuxième

13 chance. Elle peut essayer une nouvelle fois de démontrer la culpabilité

14 d'un individu en essayant de pallier aux lacunes qui se sont fait jour

15 lors de la première phase de la procédure.

16 On ne peut pas parler ici de non-égalité des armes et utiliser

17 cette expression pour

18 caractériser la situation dans laquelle se trouve l'accusation lorsqu'elle

19 essaie de rassembler des éléments de preuve supplémentaires, faire cela

20 est, d'après moi, une mauvaise utilisation de cette expression telle

21 qu'elle a été employée par ailleurs dans des juridictions nationales ou

22 internationales.

23 M. le Président (interprétation). – Diriez-vous, Maître Clegg,

24 que l'on pourrait établir une distinction tout à fait utile entre la

25 position de l'accusation dans le cadre d'une juridiction interne et la

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1 position de l'accusation dans le cadre d'une juridiction interne et la

2 position de l'accusation dans le cadre du système tel qu'il est structuré

3 par le Statut du Tribunal, notamment au vu des spécificités très

4 particulières auxquelles l'accusation est confrontée sur le terrain ?

5 Est-ce que l'accusation, dans le cadre dans lequel elle opère,

6 jouit de cette même abondance d'outils et d'instruments ensemble dont elle

7 peut très facilement bénéficier dans le cadre d'une juridiction interne ?

8 Est-ce que son cas est bien le même ici dans le cadre de ce Tribunal ?

9 M. Clegg (interprétation). - Je ne suis pas du tout au courant

10 des ressources financières qui sont celles de l'accusation mais, au vu des

11 éminents collègues que j'ai en face de moi, il est évident qu'ils se

12 voient assurer un certain soutien financier. Mes éminents collègues

13 bénéficient par ailleurs du savoir-faire et de l'expertise de toute une

14 équipe d'enquêteurs qui travaillent sous leurs ordres.

15 Bien évidemment qu'il y a une distinction entre ces deux

16 situations mais, dans le cadre d'une juridiction interne, nombre de

17 témoins ne viennent pas volontiers déposer pour l'accusation et répugnent

18 parfois à être cités à comparaître. Parfois dans le cadre de l'enquête

19 menée sur certaines crimes, des témoins essaieront d'éviter avoir à

20 coopérer avec l'Etat. C'est une réalité qui existe dans toutes les

21 juridictions et qui existe bien évidemment ici au Tribunal.

22 La procédure qui est en vigueur ici est une procédure

23 accusatoire et si l'on se

24 concentre sur les principes qui sous-tendent une telle procédure

25 accusatoire, alors il me semble que le droit à un procès équitable ne peut

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1 pas être élargi à un principe qui prévoirait pour l'accusation la

2 possibilité de citer des témoins dans le cadre d'une procédure d'appel

3 afin de remédier aux erreurs qui ont été commises dans le cadre de la

4 procédure antérieure, la procédure d'instance.

5 A chaque fois qu'il y a eu un jugement de non-culpabilité

6 pourrait-on aller jusqu'à dire que l'accusation aurait le droit de

7 repartir enquêter sur le terrain, de rassembler de nouveaux éléments de

8 preuve afin de se servir de la procédure d'appel comme d'une deuxième

9 procédure d'instance, se servir de la Chambre d'appel comme une deuxième

10 Chambre de première instance ?

11 Le principe du droit à un procès équitable est bien le droit de

12 la personne qui est accusée, ce n'est le droit de personne d'autre. La

13 Chambre le comprendra.

14 M. le Président (interprétation). - La Chambre vous comprend

15 parfaitement.

16 Vous pouvez maintenant, Maître, venir à la présentation de vos

17 arguments quant au troisième motif d'appel.

18 M. Clegg (interprétation).- Le troisième motif d'appel est un

19 motif limité, dirais-je, à une décision de fait prise par la Chambre de

20 première instance qui est arrivée à la conclusion suivante, à savoir

21 qu'elle a été convaincue au-delà de tout doute raisonnable que l'appelant

22 était coupable du meurtre de deux policiers musulman, Osman Didovic et

23 Edin Besic.

24 Cette condamnation s'est fondée uniquement sur le témoignage

25 d'un témoin, Nihad Seferovic. Nous estimons que les déclarations de ce

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1 témoin étaient improbables, manquaient de plausibilité après analyse et

2 ont été décrites par des commentateurs éminents comme étant curieuses.

3 Quel est le contexte de son témoignage. ? C'était un Musulman

4 vivant dans la région qui avait été la cible d'attaque de forces serbes

5 paramilitaires. La ville où il résidait avait été bombardée et il s'était

6 enfui pour rejoindre des collines ou des montagnes environnantes afin de

7 s'y abriter.

8 Le point central de son témoignage était qu'avant le

9 bombardement, il avait gardé, conservé chez lui des pigeons et qu'il était

10 si inquiet du bien-être de ses pigeons qu'alors que les troupes

11 paramilitaire serbes étaient encore dans la ville, il a décidé de revenir

12 afin de donner à manger à ses pigeons.

13 Quel que soit l'angle duquel on considère ce témoignage, c'est

14 une réaction tout à fait curieuse, voire irrationnelle parce que qu'il se

15 mettait dans une situation très dangereuse simplement pour donner à manger

16 à ses oiseaux qui, très probablement d'ailleurs, n'auraient pas survécu

17 aux bombardements de la ville.

18 Mais c'est la seule explication de sa présence en ville au

19 moment où ces deux hommes ont été tués. Selon lui, il est arrivé dans un

20 verger à quelque 30 mètres de la scène du crime et, à cette distance, il a

21 pu identifier l'accusé comme étant celui qui a pris deux hommes qui

22 faisaient partie d'un groupe de cinq qui avaient été placés en rang et

23 celui qui les a tués dans la zone qui se trouvait juste devant l'église

24 orthodoxe.

25 La Chambre de première instance a repris dans son jugement ces

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1 éléments de preuve, notamment au paragraphe 393. Elle a repris les propos

2 tenus par le témoin dans ce paragraphe et, au paragraphe 394, la Chambre

3 reprend les éléments de preuve soumis par la défense, à savoir qu'il

4 n'était pas dans la ville au moment où ces deux personnes ont été tuées.

5 En fait, selon la défense et pour la Chambre de première

6 instance, il ne s’agit pas d'une analyse des propos tenus par le

7 témoin Seferovic, mais simplement une reprise des propos prononcés lors de

8 sa déposition. Ces éléments de preuve ont été au centre d'une certaine

9 analyse de certains commentateurs.

10 J’attire votre attention sur le 17ième intercalaire de

11 l'ensemble des éléments présentés par la défense. C'est un commentaire du

12 Professeur Mickael Scharf de l'école de droit

13 de la Nouvelle Angleterre. Au paragraphe 718, page 719, il dit : "La

14 victoire la plus marquée de l'accusation a été la décision prise par la

15 Chambre de première instance selon laquelle Tadic avait poignardé et

16 égorgé deux policiers musulmans à l'extérieur d'une église après que ces

17 deux personnes aient été placées en détention par un groupe de forces

18 paramilitaires serbes." C’est le seul meurtre qui a coûté à Tadic sa

19 condamnation et qui a été la raison principale pour laquelle la Chambre a

20 décidé de le condamner à une peine de 20 ans.

21 Pour deux raisons, cette décision est curieuse et je souligne le

22 mot "curieux" : tout d'abord, les seuls éléments de preuve venant à

23 l'appui de cet état de fait étaient le témoignage d'un seul témoin,

24 M. Seferovic, un Musulman qui a raconté une histoire assez improbable au

25 Tribunal, à savoir qu’il avait assisté à ces meurtres quand il était venu

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1 nourrir ses pigeons après la prise par les Serbes de la ville.

2 D'ailleurs, je signalerai que l'acte d’accusation a été modifiée

3 deux fois par l'accusation eu égard à cette référence précise à ce

4 meurtre. Néanmoins, la Chambre de première instance a déclaré que ce point

5 était pertinent puisque la liste des actes allégués dans la charge de

6 persécution était précédée par le mot "incluant".

7 M. le Président (interprétation).- Pourquoi M. Scharf a-t-il dit

8 que le témoin avait donné un récit improbable ? A-t-il étayé cette

9 suggestion par un quelconque argument ? Peut-être l’a-t-il fait ? Je n'en

10 sais rien.

11 M. Clegg (interprétation). – Ces termes "histoire improbable",

12 "récit improbable" sont suivis par l'expression suivante : "parce qu’il

13 est retourné nourrir ses pigeons après la prise de la ville par les

14 Serbes". Il s'agit du commentaire de M. Scharf. C'est pourquoi il disait

15 que ce récit était tout à fait improbable.

16 M. le Président (interprétation). – S’agit-il là de la base sur

17 laquelle il s'est appuyé pour affirmer qu’effectivement, le récit donné

18 par le témoin était improbable ?

19 M. Clegg (interprétation). – Oui.

20 M. le Président (interprétation). - Je comprends. Très bien.

21 M. Clegg (interprétation). – Et cette improbabilité reflète le

22 fait qu'une personne simplement pour nourrir ces pigeons serait réticente

23 à mettre sa vie en danger. En effet, je rappelle que les forces

24 paramilitaires serbes déportaient à l’époque les Musulmans dans des camps

25 de concentration et il me semble qu’il s’agit là d’une possibilité

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1 improbable et d’un récit tout à fait improbable également.

2 M. le Président (interprétation). - Très bien, merci.

3 M. Clegg (interprétation). - Nous déclarons que si tous les

4 éléments de preuve relatifs à toutes les charges...ou plutôt que parmi

5 tous les éléments de preuve présentés à la Chambre de première instance et

6 relatifs aux différentes charges relatives à l'appelant, c'était sans

7 doute un des éléments de preuve les plus faibles, et nous disons que la

8 Chambre de première instance n'aurait pas dû se fonder sur cet élément de

9 preuve et ce témoignage en particulier pour condamner l'appelant pour

10 avoir tué ces deux hommes et ceci pour deux raisons d'ailleurs :

11 Tout d'abord, nous estimons que le récit tout à fait improbable

12 fait par le témoin est un récit que la Chambre d'appel a le droit

13 d'analyser. En effet, elle pourra se demander si effectivement ici, il n'y

14 a pas un véritable danger et s'il n'y a pas eu erreur de justice, car ce

15 récit est tellement improbable, curieux, que l'on ne peut pas dire que le

16 témoignage de ce témoin était effectivement véridique au-delà de tout

17 doute raisonnable. Nous pensons qu'il s'agit là d'une conclusion erronée

18 de la part de la Chambre de première instance.

19 M. le Président (interprétation). - Comment présenteriez-vous

20 cet aspect de votre argumentation dans le cadre du Règlement de ce

21 Tribunal qui limite le champ dans lequel une Chambre d'appel peut être en

22 désaccord avec les décisions prises par la Chambre ?

23 M. Clegg (interprétation). – En ce qui concerne ce témoignage et

24 ce témoin en particulier, nous pensons que la Chambre de première instance

25 s'est égarée quant au statut à accorder au témoignage. D'ailleurs, ceci a

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1 eu un impact assez important sur cette affaire et sur le traitement

2 accordé à ce chef d'accusation en particulier.

3 La position est qu'un autre témoin, Dragan Opacic, que l'on a

4 appelé d'ailleurs au début "témoin L" –et cela était beaucoup plus

5 pratique, je dois le préciser-... Dragan Opacic est un témoin au sujet

6 duquel il a été reconnu après enquête qu'il avait menti à ce Tribunal.

7 La Chambre de première instance a traité de son témoignage au

8 paragraphe 553 et 554 de son jugement. Ce qui est dit est la chose

9 suivante -je cite- : "Au cours de ce procès, la véracité du témoignage

10 d'un témoin, Dragan Opacic, appelé dans un premier temps "témoin L" a été

11 attaquée et, en fin de compte, après enquête, l'accusation a renoncé à

12 s'appuyer sur ce témoignage."

13 La défense soutient que cet incident n'est qu'un exemple du fait

14 que, de façon générale, l'accusation n'a pas examiné comme il convient la

15 véracité des témoignages à charge, acceptant simplement au contraire comme

16 véridique le témoignage donné contre un Serbe, seul accusé par tout un

17 groupe de témoins musulmans.

18 Il y a deux questions à soulever. Cette conclusion appelle deux

19 remarques : premièrement, la provenance de Dragan Opacic était très

20 particulière. Apparemment, parmi tous les témoins, il était le seul à

21 avoir été offert comme témoin à l'accusation par les autorités de la

22 République de Bosnie-Herzégovine qui en assurait alors la détention. Les

23 circonstances de ce témoignage ne concernent donc que lui. "Le fait que

24 l'on ait fini par conclure que son témoignage n'était pas crédible,

25 n'influe en aucun façon sur le témoignage d'autres témoins à charge dont

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1 aucun ne partageait sa provenance." (Fin de citation).

2 Le fait est donc que la Chambre de première instance a ignoré le

3 fait que Nihad Seferovic partageait la même provenance effectivement que

4 le témoin dont le témoignage a été reconnu comme étant un mensonge. Par

5 conséquent, nous estimons que lorsque l'on peut montrer que la Chambre de

6 première instance s'est un peu égarée, a eu une mauvaise détermination

7 d'un témoignage, la Chambre d'appel peut se fonder sur cette erreur au

8 moment de réévaluer ce chef d'accusation.

9 Je ne suis pas en train de suggérer qu'une Chambre de première

10 instance ne pourrait pas condamner qui que ce soit en se fondant sur un

11 seul témoignage. Bien entendu, dans des circonstances appropriées, un

12 verdict sûr peut être prononcé même en se fondant sur un seul témoin.

13 Cependant, je dis qu'il s'agit là d'un témoignage improbable qui

14 manque largement de plausibilité, qui a fait l'objet de nombreux

15 commentaires de personnages éminents, indépendants et qui montre que la

16 Chambre de première instance n'a pas reconnu le fait, qui pourtant était

17 une préoccupation de la Chambre, à savoir que ce témoin partageait la même

18 provenance que le témoin qui, en fait, était introduit dans ce procès afin

19 de tromper les Juges. C'est la seule conclusion qui a pu être tirée suite

20 au témoignage de cette personne, lorsque son témoignage a été reconnu

21 comme étant erroné.

22 M. le Président (interprétation). - Je crois que l'accusation a

23 déclaré qu'elle avait fourni à la défense une déclaration de ce témoin et

24 que, dans cette déclaration, une référence était faite au fait que le

25 témoin était en contact avec (expurgé). Si c'est bien le

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1 cas, la défense a-t-elle relevé ce point au cours du procès ?

2 M. Clegg (interprétation). - Je crois que la situation était la

3 suivante : l'exemplaire fournit par l'accusation était en serbo-croate et

4 j'ai cru comprendre que ce document n'avait pas été traduit au moment

5 adéquat. Ce n'est qu'ensuite que la version anglaise a permis de

6 déterminer qu'effectivement une référence était faite (expurgé)

7 (expurgé)

8 Cependant, je suis tout à fait prêt à corriger ma position si

9 j'ai mal compris les choses, mais je crois que c'est bien cela qui s'est

10 passé et qu'il n'y a pas eu une véritable possibilité de mener les

11 recherches approfondies sur la question.

12 M. le Président (interprétation). - Je pensais qu'effectivement,

13 il était tout à fait

14 utile de traiter de ce point dès maintenant.

15 M. Clegg (interprétation). - Je crois qu'il faut ajouter qu'au

16 cours du procès, la défense tentait d'exploiter la situation qui s'était

17 présentée avec Opacic d'une façon beaucoup plus large que ce à quoi

18 s'était préparée la Chambre de première instance. La défense essayait

19 d'exploiter ce qui s'était passé afin de jeter un doute sur un ensemble

20 assez large d'éléments de preuve sur lesquels se fondait l'accusation.

21 Ce que je tente de faire moi, c'est de limiter l'impact de ces

22 éléments de preuve à la lumière bien entendu du jugement rendu par la

23 Chambre de première instance qui reflète une certaine préoccupation en ce

24 qui concerne l'origine, la provenance du témoin, qui n'était pas une

25 préoccupation qui aurait pu être exprimée jusqu'après après la fin du

Page 346

1 procès. Par conséquent, c'est avec le bénéfice du recul de ce jugement que

2 je me permets de soulever cet argument aujourd'hui.

3 En ce qui concerne la déclaration de ce témoin, qui est placée

4 en annexe du mémoire de l'appelant. Au second paragraphe, il est dit :

5 "Récemment, j'ai eu des contacts avec des personnes (expurgé)

6 (expurgé) et il a été déterminé que j'avais peut-être

7 certaines informations pertinentes." C'est pourquoi par la suite, il a été

8 mis en contact avec des représentants du Tribunal ici à La Haye.

9 Que s'est-il passé ensuite ? Ce témoin crucial, Seferovic, est

10 en fait entré en contact avec l'accusation alors qu'il venait exactement

11 du même endroit que le témoin Opacic. Ces deux témoins ont en fait été

12 proposés à l'accusation par les autorités de la République de Bosnie. Nous

13 estimons donc qu'en lisant de façon tout à fait raisonnable les

14 paragraphes 553 et 554 du jugement, on voit l'opinion exprimée par la

15 Chambre de première instance, à savoir que la Chambre aurait été

16 préoccupée parce que c'est l'absence de provenance identique qui aurait pu

17 les préoccuper, et c'est cette absence-là qui leur a permis de se fonder

18 sur d'autres témoignages. Par conséquent, le fait même que plusieurs

19 témoins proviennent d'un même endroit retire cet élément de confiance.

20 Il est tout à fait clair que la Chambre de première instance

21 était préoccupée par la possibilité que des témoins proviennent d'un lieu

22 identique et, d'autre part, se sont fondés sur l'absence de cette même

23 provenance pour accepter d'autres témoignages, d'autres civils dans cette

24 affaire.

25 La Chambre de première instance ne reconnaît pas le fait

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1 important que l'élément crucial qui portait sur le meurtre de ces deux

2 personnes..., le seul témoin qui a témoigné sur ce meurtre provenait du

3 même gouvernement.

4 Or, la Chambre n'aurait pas pu le savoir à l'époque. Je crois

5 que cette déclaration, bien qu'elle a été versée au dossier en tant que

6 pièce de la défense 14 était en serbo-croate et personne n'aurait pu la

7 lire.

8 Par conséquent, nous estimons qu'un témoin qui fait un récit

9 improbable des événements et des témoignages qualifiés de curieux par

10 certains commentateurs éminents, provenant d'une source quelque peu

11 subjective, provenant de la même autorité qu'un autre témoin considéré par

12 l'accusation comme étant tout à fait digne de foi mais qui, par la suite,

13 devient un témoin sur lequel on ne peut plus compter puisque qu'il a donné

14 un témoignage manquant totalement de véracité... Donc un témoin ainsi ne

15 peut pas servir à condamner un homme.

16 M. le Président (interprétation). - L'accusation a déclaré à la

17 fin qu'elle ne se fondait plus sur son témoignage, n'est-ce pas ?

18 M. Clegg (interprétation). – Oui, effectivement, mais cela va un peu plus

19 loin que cela. L'accusation a déclaré qu'elle ne se fondait plus sur son

20 témoignage et je crois d'ailleurs que c'est la seule chose à faire lorsque

21 qu'un témoignage de ce genre est entendu, mais ce que dit l'accusation est

22 la chose suivante : son élément de preuve a été reconnu comme manquant de

23 vérité, n'étant pas véridique. Par conséquent, cela va un peu plus loin

24 que le simple fait de se fonder sur ces éléments de preuve.

25 Nous pensons qu'il est nécessaire de réfléchir sur le lien qui

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1 existait entre ces témoins et le gouvernement de Bosnie, un lien qui était

2 à l'époque inconnu de la Chambre de première instance et que ceci jette un

3 doute certain sur la décision prise par la Chambre de première instance eu

4 égard à ce chef d'accusation et nous vous invitons au cours de votre

5 réflexion à conclure que ce verdict est erroné et a cassé la décision

6 prise sur ces deux chefs d'accusation de meurtre par la Chambre de

7 première instance.

8 Je suis tout à fait prêt à répondre à toutes vos questions, mais

9 j'en ai terminé de la présentation de mes arguments sur le motif

10 d'appel 3.

11 M. le Président (interprétation). - Je vais me tourner vers mes

12 collègues et vérifier s'ils ont besoin de vous poser un certain nombre de

13 questions.

14 Vous pouvez, vous asseoir. Merci.

15 Madame Hollis, nous avons 20 minutes avant la pause. Je pense

16 que M Clegg a fait un travail tout à fait satisfaisant. Il a répondu à

17 toutes nos attentes et je crois qu'il en a terminé 20 minutes avant le

18 délai prescrit.

19 Mme Hollis (interprétation). - Nous allons tenter de suivre le

20 bel exemple de la défense. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet,

21 Madame et Messieurs les Juges, il y a deux questions que l'accusation

22 souhaiterait soulever en audience à huis clos partiel, parce qu'il est

23 question d'expurgation.

24 M. le Président (interprétation). - Monsieur Clegg, êtes-vous

25 d'accord ?

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1 M. Clegg (interprétation). – Oui.

2 M. le Président (interprétation). - Merci.

3 (L'audience se poursuit à huis clos partiel.)

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10 (Fin du huis clos partiel et retour en audience publique.)

11 Mme Hollis (interprétation). - Nous sommes à nouveau en audience

12 publique ?

13 M. le Président (interprétation). - Les mesures nécessaires sont

14 en train d'être prises. Ces mesures ont porté leurs fruits, vous pouvez

15 procéder.

16 Mme Hollis (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

17 Monsieur le Président, eu égard au premier motif d'appel de la

18 défense, avant que le Procureur ne fasse part des remarques qu'il a

19 préparées à cet égard, je voudrais d'abord réagir aux propos de M. le

20 Juge Shahabuddeen. Hier, lorsqu'il a parlé de l'application du principe

21 étendu d'égalité des armes et quand il a été question de savoir si

22 l'emploi de ce concept étendu d'égalité des armes pouvait avoir lieu si le

23 Procureur se voyait refuser le témoignage d'un témoin de l'Etat qui

24 refuserait de coopérer, le Procureur aurait-il droit dans ces conditions à

25 la même extension de ce principe d'égalité des armes que la défense

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1 prétend vouloir ?

2 Le Procureur déclare d'abord que, comme la défense l'a dit hier,

3 cette définition étendue va au-delà de la conception classique acceptée de

4 l'égalité des armes et, dans notre intervention, nous demandons instamment

5 aux Juges de cette Chambre de première instance de rejeter l'invitation de

6 la défense à étendre ce concept et qu'elle applique le concept classique

7 de l'égalité des armes auquel cas ce principe ne poserait pas de problème.

8 Mais si l'on part du principe que l'égalité des armes doit être

9 étendue de façon à ce que la situation dans laquelle se trouve la défense

10 ait un rapport avec cette égalité des armes, nous vous demandons, Madame,

11 Messieurs les Juges, de ne pas exclure la possibilité pour l'accusation

12 dans ces conditions de bénéficier d'un droit d'appel. Nous le demandons

13 parce que l'accusation fait partie des deux parties au procès.

14 Bien entendu, il y a l'accusé qui bénéficie du droit

15 extraordinaire et d'une protection très importante, mais il y a une

16 deuxième partie qui est le Procureur qui apparaît au nom de la communauté

17 dont les droits sont, semble-t-il, lésés et la communauté a droit à un

18 procès équitable et à s’exprimer au sujet de la violation de ces droits.

19 Le Procureur, en tant que représentant de la communauté, a droit lui aussi

20 à un procès équitable.

21 Deuxièmement, Madame et Messieurs les Juges, si nous examinons

22 l’expression "même égalité des armes". Elle signifie "parité", elle ne

23 signifie pas qu'une partie jouit de certains droits et que l'autre partie

24 ne jouit pas de ces mêmes droits. L’expression "même" implique que les

25 deux parties doivent jouir des mêmes droits, ce qui conduit à la

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1 conclusion que, dans des circonstances appropriées, le Procureur peut

2 également avoir droit à interjeter appel.

3 En outre, Madame, Messieurs les Juges, nous sommes ici face à

4 une situation qui est créée par l'appelant, situation dans laquelle tous

5 les avantages que le Procureur, semble-t-il, possède dans une juridiction

6 nationale, il ne les possède pas ici, dans une juridiction étrangère. Le

7 Procureur n'a pas plus de droit que la défense et pas moins d’obstruction,

8 pas moins de refus de coopération. Dans cette enceinte, le Procureur n'a

9 pas davantage de droits que la défense. Les droits que nous avons se

10 limitent aux pouvoirs qui nous sont conférés par le Tribunal.

11 Si l'Etat ne coopère pas avec ce pouvoir, le Procureur n'a pas

12 plus de possibilités de forcer l'Etat à coopérer que la défense. La

13 question réelle s'agissant de l'égalité des armes pourrait exister si les

14 deux parties avaient réellement recours aux armes disponibles pour forcer

15 une entité à coopérer. Dans ce cas-là, il pourrait être question d'égalité

16 des armes, d'après nous.

17 M. le Président (interprétation). - Mais que dites-vous eu égard

18 à la référence faite par Me Clegg lorsqu'il a repris un point du dossier

19 du Procureur indiquant que si les conditions matérielles permettaient de

20 penser qu'une partie était lésée de façon significative, cela ramènerait à

21 la question de savoir si, dans la pratique, il existait une égalité des

22 armes même si, sur le plan de la procédure, l’égalité avait été parfaite.

23 C'est en tout cas ainsi que j'ai compris les propos de Me Clegg.

24 Mme Hollis (interprétation). – Monsieur le Président, il s'agit

25 d'une question qui va au-delà de la problématique en rapport avec

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1 l’égalité des armes et elle est davantage en rapport avec une injustice

2 manifeste. Dans des juridictions internationales, il peut se produire des

3 situations où une partie est privée de la justice et d'un procès équitable

4 en raison de l’impossibilité d'obtenir et présenter certains éléments de

5 preuve. Cette problématique doit être examinée au cas par cas, mais nous

6 disons que cela n'a pas été le cas dans le procès qui nous intéresse et

7 que cela n'a rien à voir avec l’égalité des armes.

8 En ce moment, nous reprenons les propos de la défense qui a dit

9 qu'elle argumentait au sujet de l’égalité des armes. Nous disons que ceci

10 n'est pas le problème, qu’il y a d’autres problèmes qui peuvent être

11 évoqués, notamment l'abus de procès sur la base de ce qui a été dit hier.

12 La défense a bien accepté que le Procureur n'a pas semé d'embûches dans la

13 présentation de ces éléments de preuve, il n'y a pas eu abus de procès.

14 Cela permet de rejeter les deux motifs d'appel. La première

15 raison, c’était l’égalité des armes, nous disons qu'elle n'est pas en

16 cause ici. La deuxième raison a été l’abus de procès qui, selon nous, est

17 fondé sur des concessions de la défense, et nous disons que cela n'a pas

18 été un problème non plus puisque sur le plan de la procédure, il y a eu

19 égalité entre les parties dans cette affaire.

20 M. le Président (interprétation). – Merci. Vous pouvez procéder.

21 Mme Hollis (interprétation). – Merci. Au cours de la

22 présentation de la défense, ce matin, nous avons également entendu le

23 Juge Shahabuddeen poser les questions au sujet d'une lettre qui avait été

24 envoyée par M. Cassese, Président du tribunal à l'époque, et adressée à

25 Mme Plavcic.

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1 Dans cette lettre, le Président fait connaître son inquiétude

2 quant au fait que trois témoins risquent de ne pas être autorisés à

3 comparaître au procès. Nous connaissions cette lettre et en fait les trois

4 témoins dont il est question dans cette lettre ont bien comparu et ont

5 bien témoigné au cours du procès.

6 M. le Président (interprétation). - Ce que vous venez de dire

7 réduit-il à néant l'argument de Me Clegg selon lequel il y a eu quelques

8 difficultés pour la défense à obtenir des témoignages ?

9 Mme Hollis (interprétation). – Non, Monsieur le Président. Nous

10 tenons à dire que, manifestement, il y a eu des difficultés pour les deux

11 parties. Si nous y regardons de plus près, nous constatons que la défense

12 a joui d'une égalité plus importante que le Procureur car, si la défense a

13 bénéficié d'une coopération majeure de la part des autorités de la

14 Republika Srpska, le Procureur n'a jamais pu obtenir la moindre

15 coopération de la part des autorités de la Republika Srpska.

16 Je tiens à dire que cela n'est pas cette question qui doit être

17 la base de l'appel. La base de l’appel ne doit pas consister à demander si

18 la défense a eu une coopération pleine et entière ou pas et si elle a

19 obtenu tout ce dont elle avait besoin.

20 Ce qui devrait être la base de votre réflexion, c'est : est-ce

21 que la défense a obtenu tous les éléments nécessaires pour mener ses

22 interrogatoires et si le Procureur, lui, a pu également bénéficier de tous

23 les éléments nécessaires pour mener ses contre-interrogatoires en dépit du

24 défaut total de coopération de la part des autorités de la

25 Republika Srpska. C'est une légère nuance, mais nous pensons qu'elle

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1 s'applique.

2 A présent, Madame et Messieurs les Juges, j'aimerais revenir sur

3 les remarques que le Procureur a préparées pour défendre ses arguments.

4 Nous pensons que les arguments présentés hier par la défense ne

5 sont pas valables.

6 M. le Président (interprétation). – Maître Hollis, puis-je vous

7 proposer, si vous en arrivez à l'examen de vos arguments préparés, que

8 nous ayons une pause d'une demi-heure pour prendre un café à présent et de

9 reprendre ensuite ? Est-ce que cela vous agréerait ?

10 Mme Hollis (interprétation). - Bien entendu, Monsieur le

11 Président.

12 M. le Président (interprétation). – Maître Clegg ?

13 (Signe affirmatif de la tête.)

14 L'audience est suspendue pendant une demi-heure.

15 L'audience, suspendue à 11 heures 15, est reprise à

16 11 heures 45.

17 M. le Président (interprétation). – Maître Hollis.

18 Mme Hollis (interprétation). – Merci. Monsieur le Président.

19 Comme l'appelant l’a admis, le concept classique d'égalité des

20 armes n'a pas été violé dans cette affaire, mais la défense invite

21 toutefois les Juges à étendre le principe classique de l'égalité des armes

22 et le Procureur affirme que les Juges devraient rejeter cette invitation.

23 En dépit des arguments de la défense, nous affirmons que ces

24 arguments ne correspondent pas à l'objectif que cherche à atteindre le

25 principe de l'égalité des armes, à savoir que devant les Juges qui jugent

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1 une affaire, les deux parties doivent bénéficier de la parité, c'est-à-

2 dire d'un accès égal au pouvoir accordé au Tribunal de leur faciliter

3 l'obtention de leur objectif.

4 Indépendamment du fait de savoir si l'égalité des armes a été

5 violée dans cette affaire, indépendamment du fait de savoir si le concept

6 classique va être appliqué ou si c'est une position étendue qui sera

7 appliquée, il est particulièrement important que la Chambre d'appel traite

8 cette question et en traite clairement de façon à garantir que la Chambre

9 de première instance et les praticiens du droit de ce Tribunal aient des

10 orientations claires eu égard à la définition de ce concept dans cette

11 enceinte.

12 Nous affirmons que si vous examinez les bases réelles du motif

13 n°1 de l’appel, la question qui se pose consiste à savoir si le degré

14 d'obstruction et l'absence de coopération de la part de la

15 Republika Srpska ont privé l'accusé d'un procès équitable. Apparemment, il

16 est permis de discuter des critères qui ont été appliqués pour traiter de

17 ce problème.

18 L’appelant semble dire qu'il existe des éléments de preuve

19 supplémentaires, et je paraphrase ce que la défense a dit : apparemment,

20 l’appelant affirme que la décision relative aux éléments de preuve

21 supplémentaires montre qu'il y a eu des éléments de preuve pertinents pour

22 la défense qui n'ont pas été cités au moment du procès en première

23 instance, soit parce que les témoins ont été intimidés, soit parce que la

24 Republika Srpska n'a pas apporté une coopération complète, ce qui a privé

25 la défense de la possibilité de découvrir l'endroit où se trouvaient ces

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1 témoins.

2 Cet argument se poursuit, à savoir que si les témoignages

3 avaient pu être entendus, la défense aurait pu de droit entendre certains

4 de ces témoins. La Republika Srpska n'a pas coopéré pleinement et, en

5 conséquence, les témoins n'ont pas pu être présentés au procès de sorte

6 qu'aujourd'hui, au stade de l'appel, l'appelant doit faire la preuve qu'il

7 y a plus que de la pertinence dans ces témoignages de façon à ce que ces

8 témoins puissent être entendus.

9 Dans le cadre de cet argument, on entend dire que la

10 Republika Srpska a privé l’appelant de son droit d'entendre des témoins

11 qui, pourtant, étaient pertinents et lui a imposé une obligation

12 supérieure à celle qui est l'obligation de la défense, le privant ainsi

13 d'un procès équitable.

14 Le Procureur déclare que cet argument ne définit pas

15 correctement les tâches à remplir pour évaluer l'effondrement du motif n°1

16 de l'appel, d’où la nécessité de rejeter ce motif.

17 S'il fallait accepter l'argument de l’appelant, cela

18 signifierait que chaque fois qu'un accusé est privé d'un élément de preuve

19 pertinent en appel, la Chambre d'appel doit revenir sur la décision de la

20 Chambre de première instance pour que la situation devienne normale. Cela

21 signifierait que les décisions de la Chambre de première instance

22 constitue des erreurs qui doivent être rectifiées. Cela signifierait que

23 la Chambre de première instance est incapable d'apprécier sur le fond la

24 pertinence d'un témoignage si une action extérieure est nécessaire pour

25 entendre ces témoignages.

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1 Nous disons que cet argument laisse de côté la réalité à savoir

2 qu'il est assez courant que des éléments de preuve pertinents ne soient

3 pas présentés lors d'un procès, et il est assez courant que des éléments

4 de preuve de cette nature deviennent disponibles après la fin du procès en

5 première instance.

6 Les arguments présentés par l’appelant laissent de côté le fait que le

7 droit à un procès équitable ne signifie pas que l'accusé a droit à un

8 procès parfait, cela ne signifie pas qu'il a droit à citer tous les

9 éléments de preuve pertinents que la défense souhaiterait entendre.

10 Nous disons également que dans le cadre de cet argument, ce sont

11 les intérêts de la société qui sont laissés de côté eu égard à la finalité

12 du jugement. Et c'est l'équilibre selon lequel le droit pénal cherche à

13 appliquer la finalité du jugement d'une part et à satisfaire à la

14 nécessité d'un procès équitable de l'autre, c'est cet équilibre qui est

15 laissé de côté. Cet équilibre doit permettre d'apprécier d'une façon

16 particulière sur le fond une éventuelle erreur et l'intégrité de la

17 décision prise par la Chambre de première instance.

18 Le Procureur déclare que le critère à appliquer pour apprécier

19 ce motif d'appel nous est fourni par la pratique des Chambres d'appel et

20 par le Statut et le Règlement du Tribunal et que ce critère inclus comme

21 il se doit des preuves apportées par la partie appelante qui vont au-delà

22 du principe de pertinence. Il convient de montrer quel est l’effet d'une

23 éventuelle erreur sur l'intégrité du procès dans son ensemble.

24 Si l'appelant prétend qu'il y a eu erreur judiciaire, erreur en

25 droit, le préjudice qui doit être prouvé selon le Statut de ce Tribunal,

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1 c'est que cette erreur de droit a invalidé la décision prise. Si

2 l'appelant fonde son argument sur une erreur de fait, cette erreur de fait

3 doit être telle qu'elle a entraîné une erreur judiciaire. Donc, il faut

4 prouver d'abord qu'il y a eu erreur et, ensuite, quel est le niveau de

5 préjudice qui accompagne cette erreur avant que cela puisse constituer un

6 motif d'appel.

7 Le Statut et le Règlement de ce Tribunal, eu égard à la

8 présentation d'éléments de preuve supplémentaires correspondent bien à ces

9 principes dans la mesure où ils exigent que l'on aille au-delà de la

10 pertinence pour prouver un certain nombre d'autres faits avant que ces

11 éléments de preuve supplémentaires puissent être admis et pris en

12 considération.

13 Si nous examinons les questions liées au motif premier de l'appel dans ce

14 contexte, il nous apparaît que plutôt que d'apporter la preuve qu'il n'y a

15 pas eu procès équitable, la décision au sujet des éléments de preuve

16 supplémentaires doit aller dans le sens de déclarer qu'il n'y a pas eu

17 procès inéquitable, puisque c'est en raison du manque de coopération de la

18 Republika Srpska que les éléments de preuve complémentaires qui ont été

19 découverts étaient en fait disponibles à l'appelant pendant le procès.

20 En outre, eu égard à cette partie des éléments de preuve qui

21 n'ont pas été disponibles au cours du procès, la Chambre d'appel a

22 découvert que ces éléments de preuve n'ont aucune raison d'être pris en

23 compte à ce stade du procès, aucune raison d'être admis maintenant.

24 Outre le fait d'apprécier la portée de l'erreur, je pense que

25 les Juges de la Chambre d'appel doivent apprécier cette erreur et son

Page 362

1 incidence, son influence sur ce qui a été dit par la défense et le

2 Procureur au cours du procès.

3 La défense souhaitait présenter des éléments de preuve à

4 décharge, elle a souhaité revenir sur l'identification de l'accusé

5 également eu égard aux preuves à décharge que la défense souhaite

6 présenter. Eh bien, la défense connaissait l'identité de la plupart des

7 témoins qu'elle souhaitait entendre. Elle n'a donc pas été empêchée de

8 connaître l'identité de ces témoins. Y avait-il d'autres témoins que la

9 défense aurait pu rechercher ? Nous n'allons pas rentrer dans une

10 discussion sur ce point.

11 Au cours du procès, la défense a eu la possibilité de présenter

12 une défense très ferme. Eu égard à la question de l'identification, la

13 défense a pu entendre des témoins qui ont longuement parlé du problème de

14 l'identification et qui ont été très complets au cours du contre-

15 interrogatoire. Des témoins de la défense et de l'accusation se sont

16 exprimés sur ce point pleinement.

17 Eu égard aux preuves à décharge, la défense a appelé des témoins

18 dont le rôle consistait à établir un alibi, et de nombreux documents ont

19 été versés au dossier du procès qui sont en rapport avec cet alibi.

20 La défense a pu agir de la sorte au cours du procès notamment en raison

21 des obligations de divulgation qui pèsent sur le Procureur. Le Procureur a

22 été contraint de transmettre à la défense un certain nombre de preuves à

23 charge et à décharge et la défense a pu agir ainsi au cours du procès

24 également parce qu'elle a bénéficié d'une certaine coopération de la part

25 de la Republika Srpska. Au cours du procès, la défense a cité 40 témoins

Page 363

1 dont 35 provenaient de Republika Srspka. Trois d'entre eux étaient des

2 policiers qui ont comparu avec l'autorisation des autorités de Prijedor.

3 Ils ont soumis des documents qui permettaient de tenter

4 d'établir un alibi et qui émanait de la Republika Srpska et plus

5 précisément de Prijedor, y compris des documents policiers, des registres

6 et autres documents liés à l'alibi.

7 Donc, une certaine coopération a été fournie, y compris avant le

8 procès. Dès 1995, la défense a pu obtenir certaines informations

9 documentaires de la Republika Srpska et, à partir de février 1996, la

10 défense a pu dire qu'il restait encore des obstacles, mais qu'elle

11 estimait que les obstacles les plus importants avaient été levés.

12 La défense en particulier a obtenu une lettre de M. Karadzic qui

13 lui a permis de mener son enquête, elle a reçu un engagement du ministère

14 de l'Intérieur, de Pale également qui lui a permis de poursuivre son

15 enquête. Elle a présenté cette lettre de M. Karadzic au chef de la police

16 de Prijedor et, en février, elle a reçu une autorisation écrite portant la

17 signature du chef de la police lui permettant d'enquêter dans le secteur

18 de Prijedor, c'est-à-dire de parler à des témoins.

19 Etait-ce une coopération pleine et entière ? Non. Est-ce que

20 cette coopération a été fournie avec réticence ? Oui, mais ce degré de

21 coopération a permis à la défense de monter sa défense pour le procès.

22 Hier, une discussion a eu lieu sur le fait de savoir si

23 l'argumentation de la défense et les difficultés de la défense résultaient

24 d'un manque de coopération de la Republika Srpska. La réponse que nous

25 apportons à cette question est non. Trois semaines de suspension ont eu

Page 364

1 lieu entre la présentation des arguments du Procureur et la présentation

2 des arguments de la défense et ce à la demande de la défense.

3 Le résultat, selon la défense, a été que celle-ci a pu organiser

4 l'arrivée des témoins au Tribunal, des témoins de la défense, témoins qui

5 ont témoigné et, puis, la défense a déclaré également qu'elle avait encore

6 une certaine enquête à mener mais, en tout cas, un des grands résultats de

7 ces trois semaines de suspension a été que les témoins de la défense ont

8 pu venir au Tribunal.

9 Si nous examinons la possibilité que la défense a eue d'entendre

10 ces témoins et si nous replaçons ceci dans le contexte d'une Chambre de

11 première instance qui soutenait grandement les efforts de la défense, qui

12 était très sensible aux problèmes de la défense, nous disons qu'il n'y a

13 aucune base qui permette de conclure que la défense s'est vue privée d'un

14 procès équitable.

15 Dans l'appréciation de ce point, nous devons, bien entendu,

16 examiner ce que la défense a fait au cours du procès. Il a été dit hier

17 qu'à aucun moment, au cours du procès, la défense n'a demandé une

18 interruption de la procédure, et ce qui a été dit, c'est que ceci pouvait

19 être dû partiellement à la préoccupation que la défense avait d'un retard

20 supplémentaire apporté au procès.

21 Si nous regardons le déroulement du procès et si nous relisons

22 le compte rendu, rien dans ce compte rendu ne prouve que la défense a

23 voulu demander une interruption liée à l'absence de coopération. Mais la

24 défense avait une autre préoccupation : si, à un certain moment, la

25 défense estimait qu'elle ne pouvait bénéficier d'un procès équitable, elle

Page 365

1 aurait pu demander une interruption, elle ne l'a pas fait. En ne le

2 faisant pas, elle n'a pas donné la possibilité de prendre de nouvelles

3 mesures pour tenter de lever les obstacles qui demeuraient encore.

4 Ce que nous affirmons, c'est qu'en ne demandant pas ces mesures

5 supplémentaires, la défense vous a donné une indication selon laquelle

6 elle ne croit pas que les droits au procès équitable ont été violés. Il y

7 avait quatre avocats de la défense qui travaillaient pour l'appelant au

8 moment du procès : deux avocats de la défense très versés en droit pénal

9 et venant des Pays-Bas et deux avocats britanniques, donc deux systèmes

10 judiciaires étaient représentés dans la défense et je suis sûr que ces

11 défenseurs connaissaient les mesures qui pouvaient être prises en cas

12 d'absence de procès équitable. Mais la défense n'a pas agi de la sorte.

13 Or, elle aurait pu le faire si effectivement il y avait eu défaut de

14 procès équitable.

15 Au cours du procès, la Chambre de première instance a bénéficié

16 des arguments de la défense, des témoignages des témoins de la défense,

17 elle a également bénéficié des contre-interrogatoires très fermes menés

18 par le Procureur et elle a bénéficié aussi des témoins du Procureur.

19 Sur la base de cet élément de preuve, la Chambre de première

20 instance a pris les conclusions qu'elle a prises au-delà de tout doute

21 raisonnable. C'est dans ce contexte que nous disons que la Chambre d'appel

22 doit se demander si l'absence de coopération complète a privé l’appelant

23 d'un procès équitable. Nous disons que la défense n'a pas réussi à prouver

24 que l'absence de coopération était telle qu'elle a privé la défense de

25 présenter ces arguments comme elle le souhaitait.

Page 366

1 La défense n'a pas été privée du droit de citer des témoins.

2 Est-ce qu'elle en souhaitait davantage ? Oui. Est-ce que c'est le critère

3 applicable ? Non. L’absence de coopération complète n'a pas eu pour

4 résultat une invalidation de la décision prise dans cette affaire du

5 jugement prononcé dans cette affaire, elle n'a pas eu pour résultat une

6 erreur judiciaire. Nous disons donc que ce motif d'appel devrait être

7 rejeté.

8 Et à présent, je voudrais passer à l'examen du troisième motif

9 d'appel.

10 M. le Président (interprétation). - Si vous me le permettez,

11 j'aimerai demander à mes collègues s'ils ont besoin d'une aide

12 complémentaire de votre part.

13 (Signe négatif des Juges.)

14 M. le Président (interprétation). - Madame Hollis, vous pouvez

15 poursuivre.

16 Mme Hollis (interprétation). - Merci. Là encore,

17 Monsieur le Président, avant d'entrer dans le vif de mes remarques, je

18 voudrais traiter d'une partie des questions qui ont été évoquées ce matin

19 par la défense.

20 L’appelant semble affirmer que parce que ce témoin

21 Nihad Seferovic affirme qu'il est entré dans une ville attaquée par les

22 Serbes afin de nourrir ses oiseaux, il se livre à un récit improbable et

23 peu plausible. Est-ce que c'est une décision dont beaucoup de personnes

24 penseraient qu'elle est rationnelle ? Sans doute non. Mais combien de fois

25 avons-nous entendu le récit de personnes qui sont rentrées dans des

Page 367

1 bâtiments en flammes pour retirer de ces bâtiments des animaux

2 domestiques ? Est-ce qu'il s'agit là d'actes rationnels ?Certainement pas.

3 Est-ce qu'il s'agit là d'actes auxquels se livrent certains individus ? Eh

4 bien, oui.

5 La question, en fait, est la suivante : le fait d'aller nourrir

6 des oiseaux alors qu'ils se trouvent dans un environnement extrêmement

7 dangereux, est-ce que c'est quelque chose de si improbable, si éloigné des

8 comportements habituels des êtres humains qu'il rend le témoignage de

9 cette personne, de Nihad Seferovic, tout à fait improbable et non digne de

10 crédibilité ? C'est cette question qu'il faut se poser à chaque fois qu'on

11 examine la teneur de la déposition de ce témoin.

12 Comprenons bien que ce témoin, lors du procès, a fait l'objet

13 d'un interrogatoire principal et surtout d'un contre-interrogatoire

14 extrêmement exhaustif sous les yeux de la Chambre de première instance.

15 M. le Président (interprétation). - Veuillez nous aider sur un

16 point Maître Hollis : dans quelle mesure le fait de ne pas tenir compte de

17 la déposition de ce témoin peut-il avoir une influence sur le fait que la

18 Chambre d'appel puisse être en désaccord avec la décision rendue par la

19 Chambre de première instance ?

20 Mme Hollis (interprétation). - Je comprends. Nous pensons que

21 bien évidemment les Juges de la Chambre d'appel peuvent renverser la

22 décision qui a été prise au stade antérieur. Cela fait partie des droits

23 qui lui sont intrinsèques en vertu du Statut.

24 Bien évidemment, il faut tenir compte de ce qui a été décidé par

25 la Chambre de première instance composée de trois juristes éminents qui

Page 368

1 ont entendu et vu les témoins, qui les ont entendus déposer, qui se sont

2 vu soumettre tous les éléments de preuve et qui ont eu la possibilité

3 d'évaluer la crédibilité du témoin et des éléments de preuve, c'est

4 précisément de la

5 crédibilité dont nous parlons ici. Nous devrons prendre compte

6 de ce qui a été fait par la Chambre, mais nous devons également avoir à

7 l'esprit que le critère qui doit être appliqué est de savoir si la Chambre

8 d'appel peut renverser cette décision dans la mesure où elle est

9 convaincue qu'aucune personne raisonnable n'aurait pu atteindre la

10 décision qui a été rendue par la Chambre de première instance.

11 Il ne s'agit pas ici de se mettre dans les chaussures de

12 quelqu'un d'autre, il s'agit de voir si une personne raisonnable aurait

13 été susceptible d'en venir à la décision qui a été rendue par la Chambre

14 de première instance. Nous pensons que c'est là le critère à appliquer et

15 nous pensons que jusqu'à présent, ce critère n'a pas été utilisé.

16 Dans le cadre de ce qui a été dit par la défense, il a beaucoup

17 été question de la déclaration de M. Nihad Seferovic. Nous aimerions

18 revenir sur ce qui a été dit lors du procès.

19 Tout d'abord, la déclaration de M. Nihad Seferovic a été

20 recueillie par le Bureau du Procureur en langue anglaise. La version en

21 langue anglaise, qui était la seule dont nous disposions -et cette version

22 a été donnée à la défense en 1995- eh bien, cette version a été par la

23 suite traduite en BCS afin que l'accusé puisse en prendre connaissance.

24 La défense, lors du procès, a utilisé la version en BCS de la déclaration

25 pour la soumettre au témoin qui, lui-même, ne comprend pas l'anglais mais,

Page 369

1 lors du procès, la défense n'a demandé le versement au dossier ni de la

2 version anglaise qui lui avait été fournie ni de la version en BCS. Et

3 toujours lors du procès, la défense n'a pas jugé bon de soumettre à la

4 Chambre de première instance les informations relatives au contact

5 qu'avait eu le témoin (expurgé).

6 La défense avait connaissance de ces informations qui lui

7 avaient été communiquées sous la forme d'un document en anglais, elle n'a

8 pas jugé bon de les faire valoir aux yeux de la Chambre de première

9 instance, notamment au moment où ils ont parlé de la déclaration du témoin

10 dans leur plaidoirie finale.

11 Nous déclarons que la défense a déformé les conclusions qui ont

12 été celles de la Chambre de première instance dans son évaluation du

13 témoin Dragan Opacic et nous affirmons que cette déformation de la

14 conclusion de la Chambre de première instance a été utilisés comme base

15 d'un argument selon lequel Nihad Seferovic n'était pas digne de confiance

16 parce qu'il était du même lieu géographique d'où provenait Dragan Opacic.

17 La Chambre de première instance a déclaré que les circonstances

18 qui entouraient la déposition de Dragan Opacic étaient uniques en leur

19 genre, qu'elles étaient propres à ce témoin, et les Juges de la Chambre de

20 première instance ont déclaré -je cite- "qu'il était le seul dont

21 l'existence avait été signalée à l'accusation par les autorités de Bosnie-

22 Herzégovine sous la garde desquelles il se trouvait". (Fin de citation) et

23 je voudrais souligner ces derniers mots.

24 C'est dans cette mesure-là que M. Opacic est dans une position

25 exceptionnelle et qui lui est unique : il a été capturé alors qu'il était

Page 370

1 soldat, il a été placé en détention, il a fait un certain nombre de

2 déclarations et c'est grâce aux autorités du gouvernement bosnien que nous

3 avons eu connaissance de son existence. Ce n'est pas la situation qui

4 était celle de M. Nihad Seferovic.

5 En outre, ce qui doit être dit à propos du témoin L et ce que la

6 Chambre de première instance a trouvé ou n'a pas trouvé, ce que

7 l'accusation a dit ou n'a pas dit, c'est cela aussi dont nous devons

8 traiter.

9 Pour ce qui est du témoin L, l'accusation pense que puisque sa

10 crédibilité a été remise en question, nous ne pouvions plus le citer à

11 comparaître. Nous avons décidé de ne pas le citer à la barre.

12 Nous n'avons à aucun moment déclaré que nous pensions qu'il

13 avait menti à propos de ce qui s'était passé à Trnopolje, mais la question

14 est de savoir... En fait, le point est de faire valoir plutôt que si nous

15 ne l'avons pas cité à la barre, ce n'est pas parce que nous étions

16 convaincus qu'il avait menti, mais parce qu'il n'était pas suffisamment

17 sûr de lui pour pouvoir faire un témoignage digne de foi.

18 Il est intéressant de noter d'ailleurs à cet égard que la

19 défense a trouvé des informations relatives à la famille de Dragan Opacic

20 et au fait qu'il étaient vivant, car il avait pu se rendre à Trnopolje.

21 Ils connaissaient son nom, ils savaient qu'il avait eu une certaine

22 position dans le camp. Ils ont posé des questions dans la région et

23 quelqu'un leur a dit qu'il connaissait un certain Pero Opacic, qu'il

24 savait où il se trouvait. La personne qu'ils ont interrogée a précisé

25 également que ce Pero Opacic avait été garde dans le camp. Or, Pero Opacic

Page 371

1 s'est avéré être le frère de Dragan Opacic.

2 Est-ce que Dragan Opacic avait eu une occasion de se rendre sur

3 place ? Oui, mais nous n'avons pas réussi à établir la crédibilité de ses

4 propos. Donc nous n'avons pas cité ce témoin à la barre. Ce n'était pas

5 nécessaire.

6 M. le Président (interprétation). - Est-ce que la Chambre a

7 demandé à l'accusation de mener des enquêtes supplémentaires ?

8 Mme Hollis (interprétation). - Oui et c'est ce que nous avons

9 fait. Nous avons donné aussi les résultats de cette enquête, et les

10 résultats de l'enquête n'allaient pas dans le sens de ce qui était affirmé

11 par la défense.

12 Nous avons eu accès à toutes sortes d'informations et nous n'avons pas du

13 tout pu confirmer ce qui avait été avancé par la défense. Ce n'est pas le

14 résultat qu'a donné notre enquête.

15 Pendant le procès, les Conseils de la défense savaient très bien

16 dans quelle situation se trouvait Dragan Opacic. Ils étaient au courant de

17 Nihad Seferovic et ils connaissaient sa déclaration. Or, la Chambre de

18 première instance n'a jamais établi un lien entre les deux. Les Conseils

19 de la défense lors du procès n'ont jamais demandé à ce que la déposition

20 de Nihad Seferovic soit retirée du dossier parce qu'elle était biaisée et

21 qu'elle n'était pas digne de crédibilité, ils n'ont pas fait valoir la

22 similarité qui existait entre ces deux témoins lors de leur plaidoirie,

23 pourquoi ? Parce qu'ils ont conclu qu'en fait effectivement, il n'y avait

24 pas de lien entre ces deux témoins et c'est pour cela qu'ils ont laissé

25 cet argument hors de leur plaidoirie finale. Il n'y a donc pas ici de

Page 372

1 doute.

2 Il n'est pas prévu qu'il y ait besoin de corroborer les dires

3 d'un témoin, la Chambre de première instance s'est penchée avec attention

4 sur les déclarations dudit témoin et a conclu que sa déposition était

5 crédible. La défense n'a pas pu montrer quoi que ce soit qui vous

6 obligerait, vous, Madame et Messieurs les Juges, de revenir sur ce qui a

7 été fait par la Chambre de première instance et c'est la raison pour

8 laquelle nous demandons que vous rejetiez les arguments avancés sur ce

9 point par la défense. Je vous remercie.

10 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie,

11 Maître Hollis, je vais me tourner vers mes collègues, m'assurer qu'ils

12 n'ont pas de questions à vous poser.

13 Je vois que ce n'est pas le cas. Je vous remercie à nouveau,

14 Maître Hollis et merci d'avoir réussi à restreindre votre temps de parole.

15 Je vois maintenant que Maître Clegg, vous avez un droit de

16 réponse de 15 minutes.

17 M. Clegg (interprétation). – Voyons si nous pouvons continuer de

18 la même façon que nous l'avons fait jusqu'à présent et gagner un peu de

19 temps.

20 Revenons sur ce qui a été dit par l'accusation sur le premier

21 motif d'appel.

22 D'après nous, la Chambre d'appel ne devrait pas se pencher sur le principe

23 qui est évoqué par l'accusation comme sous-tendant ce premier motif

24 d'appel. Que l'on parle d'égalité des armes ou que l'on parle du droit de

25 l'accusé à un procès équitable, peu importe. Apparemment, l'accusation

Page 373

1 reconnaît le fait que si l'obstruction a été telle que l'accusé n'a pas pu

2 bénéficier d'un procès équitable, alors, effectivement, c'est un élément

3 qui doit être reflété dans une décision qui serait prise en faveur de

4 l'accusé par ce Tribunal.

5 Mais, d'après nous, peu importe que l'on appelle cela égalité

6 des armes ou droit à un procès équitable. L'accusation peut le présenter

7 de la façon qu'elle le souhaite et c'est bien ce qu'elle a fait dans le

8 cadre du mémoire sur lequel j'ai attiré votre attention lors de mon

9 argumentation hier. Le principe sous-jacent et ce qui nous intéresse n'est

10 pas tant le nom qu'on lui donne, qui est important, mais la teneur même du

11 principe.

12 Nous estimons que l'accusation semble reconnaître qu'il y a eu

13 obstruction. Personne ne nie qu'il y a eu réticence de la part des

14 autorités concernées à coopérer avec le Tribunal.

15 Et au bout du compte, la question est de savoir si le degré

16 d'obstruction qui existait était tel que le droit de l'accusé à un procès

17 équitable a été lésé. D'après nous, peu importe que l'accusation ait pu

18 souffrir d'un manque de coopération. Ici, on ne peut pas faire valoir le

19 fait que comme il y a eu obstruction d'un côté, ce n'est pas grave que

20 l'autre ait également souffert d'obstruction, parce que d'un côté, il y a

21 quelqu'un qui est susceptible de perdre sa liberté alors que de l'autre

22 côté, il n'y a aucun risque entraîné par le fait de souffrir d'un certain

23 obstructionnisme.

24 M. le Président (interprétation). - Vous dites que le fait qu'il

25 y a eu obstruction pour l'accusation importe peu et qu'on ne peut pas

Page 374

1 établir un équivalent entre les obstructions auxquelles auraient dû faire

2 face l'accusation et celles auxquelles auraient dû faire face la défense.

3 Ceci dit, il me semble -ou peut-être que je me trompe- que Me Hollis

4 faisait référence aux obstructions auxquelles avait dû faire face

5 l'accusation comme montrant quelle était sa conception de l'égalité des

6 armes.

7 M. Clegg (interprétation). – Je crois que c'est précisément

8 ainsi que Maître Hollis a présenté les choses. Mais le fait de présenter

9 la chose de cette façon ne compense pas l'impact de l'obstruction subie

10 par l'accusation vis-à-vis de l'impact qu'a eu pour la stratégie de la

11 défense l'obstruction qu'elle a dû subir de son côté.

12 Et la question est bien de toute façon de savoir si dans de

13 telles circonstances l'équité du procès était possible. D'après nous, il

14 ne s'agit pas de voir quelle était la situation qui prévalait pour une

15 partie et pour l'autre et de voir si cette situation était parfaitement

16 équilibrée. Il faut d'abord se poser la question de savoir si l'accusé a

17 bénéficié d'un procès parfaitement équitable, question qui inclut

18 notamment le droit de l'accusé à présenter ses éléments à décharge de

19 façon appropriée devant la Chambre de première instance et si l'accusé n'a

20 pas eu cette possibilité, nous estimons que cela le laisse dans son droit

21 inaliénable à un procès équitable.

22 Nous pourrions, nous, en parler comme faisant partie du principe

23 élargi de l'égalité des armes mais -je le répète- ce n'est pas tant le nom

24 qui nous importe que la teneur même du principe.

25 La Chambre d'appel doit voir quels ont été les effets de

Page 375

1 l'obstruction subis pour la défense et non pas tant pour l'accusation.

2 C'est ce qui est important ici, c'est ce qui est arrivé à la défense.

3 Nous suggérons que bien évidemment, toutes les obstructions ne

4 viennent pas entraver le procès à tel point qu'il en devient inéquitable.

5 Ceci dit, certains problèmes, certains types de difficulté violent le

6 droit de l'accusé à un procès équitable. On peut prendre bien sûr un

7 exemple extrême : si un témoin périphérique n'est pas autorisé à se

8 présenter, on ne va pas dire qu'il n'y a pas eu procès inéquitable,

9 puisque le témoin n'avait qu'un lien très flou avec le centre de

10 l'affaire. Mais si l'on va de l'autre côté de cette hypothèse, on

11 s'aperçoit qu'il pourrait y avoir une situation dans laquelle 35 témoins

12 cruciaux se verraient interdire l'accès au prétoire et, à ce moment-là, on

13 peut très facilement dire qu'il y a eu obstruction de la justice et que le

14 procès qui a été rendu n'a pas été équitable.

15 Nous nous trouvons bien dans cette situation si le niveau

16 d'obstruction auquel nous aurions dû faire face était tel que l'accusé n'a

17 pas pu bénéficier d'un procès équitable.

18 Permettez-moi maintenant d'en venir aux arguments invoqués par

19 l'accusation au propos du troisième motif d'appel.

20 Bien sûr, j'accepte ce qu'a dit Me Hollis quant à l'utilisation

21 qui a été faite des éléments de preuve, notamment de cette fameuse

22 déclaration qui était la pièce à conviction 14, si je ne m'abuse. Ceci

23 dit, il me semble que ce document s'est vu attribuer un caractère tout

24 particulier. Il n'a pas été considéré comme une pièce à conviction à part

25 entière, il est devenu quelque chose d'un peu différent.

Page 376

1 Ceci étant dit, le document en serbo-croate, d'après ce que j'ai

2 compris, s'est vu considérer comme étant une pièce à conviction de la

3 défense, même si ce n'était pas un document qui faisait à proprement

4 parler partie du dossier officiel de l'affaire.

5 D'après ce que j'ai compris, voilà ce qui s'est passé :

6 M. Nihad Seferovic a déposé devant la Chambre bien longtemps avant

7 M. Opacic. En conséquence, l'importance du lien qui existait entre

8 Nihad Seferovic et les autorités de Bosnie est restée quelque chose de mal

9 connu jusqu'à ce que la non-crédibilité du témoignage de M. Opacic a été

10 révélée alors même qu'il était en train de déposer.

11 Donc, il est important de se rappeler la chronologie des

12 événements ici.

13 Que l'on décide de rappeler un témoin pour le soumettre à un

14 contre-interrogatoire ou qu'on ne prenne pas cette décision, il s'agit en

15 tout état de cause d'une décision qui est toujours difficile à prendre

16 pour un Conseil de la défense. Parfois, le Conseil pense que la déposition

17 du témoin telle qu'elle se présente n'est pas une déposition qui sera

18 considérée comme crédible et recevable par la Chambre de première

19 instance.

20 Les Juges sont à même d'estimer la valeur réelle de la

21 déclaration et de décider que cette valeur n'est pas suffisante pour que

22 la déclaration soit retenue, et je crois que dans le cas du témoin dont

23 nous parlons, c'est bien ce qui a été fait.

24 Mais je ne peux pas parler pour les conseils de la défense qui

25 travaillaient dans le cadre du procès puisque je n'étais pas moi-même

Page 377

1 présent et que je ne faisais pas partie de l'équipe de défense, mais cela

2 ne change rien au fait qu'au niveau de l'appel, dans le cadre de la

3 situation dans laquelle nous nous trouvons, où les Juges se penchent sur

4 la possibilité de revenir sur une décision qui a déjà été rendue, la

5 Chambre d'appel a le droit de se voir soumettre tous les éléments de

6 preuve pertinents.

7 Nous estimons que la Chambre d'appel, dans le cadre de

8 l'exercice de ses fonctions, n'a pas à se voir limiter dans son travail

9 par des questions qui ont été posées dans le cadre de la Chambre de

10 première instance.

11 La Chambre d'appel a le droit de regarder tous les éléments de

12 preuve qui lui ont été soumis. Elle a également le droit de se poser la

13 question de savoir si elle est d'accord avec la décision prise par la

14 Chambre de première instance quant au fait de déclarer recevable ou non la

15 déposition de M. Nihad Seferovic.

16 Je suis tout à fait d'accord avec l'approche qui est celle de

17 Me Hollis quant aux critères à appliquer par la Chambre d'appel pour

18 trancher cette question.

19 Il ne s'agit pas pour vous d'essayer de vous mettre dans la

20 position qui était celle des Juges de la Chambre de première instance au

21 moment où ils ont entendu le témoin, à la fois dans le cadre de

22 l'interrogatoire principal et du contre-interrogatoire.

23 Maître Hollis, sur la façon dont elle décrit ce critère, a

24 parfaitement raison.

25 Le critère est donc de savoir si cette Chambre d'appel peut effectivement

Page 378

1 dire qu'aucune personne raisonnable ne pourrait arriver à la conclusion

2 selon laquelle les éléments de preuve présentés par ce témoin étaient

3 capables de démontrer, au-delà de tout doute raisonnable, que l'appelant

4 était la personne responsable des assassinats.

5 M. le Président (interprétation). - Vous affirmez donc que la

6 Chambre de première instance n'aurait pas agi comme une personne

7 raisonnable si elle avait accepté la déposition de M. Nihad Seferovic ?

8 M. Clegg (interprétation). – Oui, c'est bien ce que je dis.

9 M. le Président (interprétation). - Je vous ai donc bien

10 compris.

11 M. Clegg (interprétation). - Parfaitement, c'est ce que

12 j'affirme.

13 Mais, j'ajoute qu'il faut tenir compte de l'opinion émise par

14 des commentateurs indépendants sur cette question, et nous pensons que

15 c'est là quelque chose qu'il est parfaitement raisonnable de demander à

16 cette Chambre d'appel de faire.

17 M. le Président (interprétation). – Maître Clegg, permettez-moi

18 de vous poser une question.

19 Vous faites effectivement référence au fait que les

20 commentateurs se sont posés cette question. Est-ce que vous vous appuyez

21 sur les observations de ces commentateurs, observations qui constituent en

22 elles-mêmes une source de référence ? Ou bien, est-ce que vous adoptez les

23 remarques du commentateur et les faites vôtres ?

24 M. Clegg (interprétation). - C'est effectivement ce que je suis

25 en train de faire. C'est la deuxième hypothèse que vous avez formulée qui

Page 379

1 est la bonne.

2 M. le Président (interprétation). - Donc vous prenez ces

3 arguments à votre compte, n'est-ce pas ?

4 M. Clegg (interprétation). - Absolument.

5 La deuxième chose que je souhaite dire pour ce qui est du motif

6 d'appel numéro 3, c'est que nous estimons que l'incapacité de la Chambre

7 de première instance à établir la provenance commune de la teneur des

8 dépositions de Nihad Seferovic et Opacic est quelque chose dont la Chambre

9 d'appel est en droit de tenir compte.

10 Lorsque l'on regarde la déposition d'Opacic, on s'aperçoit que

11 la Chambre de première instance a établi très expressément un lien entre

12 ce témoin et le gouvernement de Bosnie-Herzégovine. C'est un fait.

13 La Chambre de première instance a également reconnu que ce

14 témoin n'était pas crédible.

15 La Chambre de première instance a, en outre, rejeté la

16 possibilité qu'il y ait eu possibilité de contamination de la déposition

17 du témoin, sur la base du fait que la Chambre d'instance était convaincue

18 que ce témoin était le seul à avoir des liens avec ces autorités.

19 La coïncidence est assez extraordinaire, mais il est établi que

20 cet autre témoin, qui est le seul autre témoin concerné par cet incident,

21 avait également le même type de lien avec les autorités de Bosnie.

22 Peut-être que la Chambre de première instance n'a pas disposé

23 des éléments nécessaires qui lui auraient permis d'en venir à cette

24 conclusion, peut-être qu'elle n'avait pas entre les mains les outils qui

25 lui auraient permis d'en venir à cette conclusion.

Page 380

1 Mais je pose la question suivante : s'ils avaient eu entre les

2 mains de tels éléments -et je pose la question sous la forme rhétorique-,

3 alors dans ces circonstances, auraient-ils déclaré recevable la déposition

4 de Nihad Seferovic ? Personne ne peut répondre à cette question.

5 Mais j'affirme que cet élément permet à la Chambre d'appel, au

6 moment de se pencher sur cette question extrêmement délicate et épineuse,

7 de tenir compte du fait que la Chambre de première instance n'avait entre

8 les mains aucun élément semblable à celui dont vous disposez à présent,

9 élément qui permettait de savoir que ce témoin avait un lien très étroit

10 avec le témoin Opacic.

11 M. le Président (interprétation). - Est-ce que l'équipe de la

12 défense a essayé de traiter devant la Chambre de première instance du fait

13 que la déclaration en BCS du témoin n'était pas disponible pour les

14 conseils de la défense au moment où ils en auraient eu besoin ?

15 Ou bien, est-ce que de leur côté les équipes de la défense ont

16 essayé d'obtenir une traduction de ce document ?

17 M. Clegg (interprétation). - A vrai dire, je pense que la

18 défense disposait d'une traduction de ce document. En effet, lorsqu'on

19 regarde ce qui s'est passé pendant le procès, on s'aperçoit qu'une partie

20 de cette déclaration est soumise à Nihad Seferovic lors de sa déposition.

21 Donc, il est évident qu'il devait disposer de ce document au moins en

22 langue anglaise, mais il est apparent que jamais l'équipe de la défense

23 n'a attiré l'attention de la Chambre de première instance sur le lien dont

24 je parle, moi, à présent.

25 Mais ceci, d'après nous, n'empêche pas la Chambre d'appel, au

Page 381

1 moment de se prononcer sur le bien-fondé de la condamnation, de regarder

2 le document en question et nous vous demandons instamment à vous, Juges de

3 la Chambre d'appel, d'examiner tous ces documents et tous ces éléments de

4 preuve. Nous vous demandons ensuite à la lumière des liens dont je parle à

5 présent, s'il est possible de dire qu'aucune personne raisonnable n'aurait

6 pu arriver à la conclusion selon laquelle ce témoin donnait une

7 déclaration parfaitement crédible et recevable au-delà de tout doute

8 raisonnable, notamment quant au fait d'avoir vu l'accusé commettre les

9 deux meurtres qui lui sont reprochés.

10 C'est cela que nous vous demandons de faire, Monsieur le Juge,

11 et sur ce, j'en aurai terminé.

12 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Je me

13 tourne vers mes collègues qui, je vois, n'ont pas de question à vous

14 poser. Vous pouvez reprendre votre siège.

15 Si je ne m'abuse, cela clôt l'argumentation relative à l'appel

16 de l'appelant sur le jugement.

17 Nous pouvons maintenant entamer la deuxième phase de cet

18 exercice qui en comprend trois, ce qui veut dire que nous allons passer à

19 l'examen des arguments avancés par l'accusation dans le cadre de son appel

20 incident.

21 Maître Hollis, je me tourne vers vous.

22 Mme Hollis (interprétation). - Oui, c'est moi-même et

23 M. William Fenrick qui allons traiter de cette question, et Maître Fenrick

24 va prendre la parole et va traiter de la question des crimes contre

25 l'humanité et de la question du conflit international.

Page 382

1 M. le Président (interprétation). - Nous étions prêts à

2 travailler jusqu'à 12 heures 55, mais nous pouvons faire preuve de

3 flexibilité. Peut-être que vous jugeriez plus satisfaisant de commencer

4 votre argumentation au moment de la reprise après le déjeuner, c'est-à-

5 dire à 14 heures 45. Vous faites comme vous voulez. Si vous souhaitez

6 commencer maintenant, cela nous convient parfaitement. Sinon, nous pouvons

7 reporter la présentation des arguments jusque après la pause déjeuner.

8 Mme Hollis (interprétation). – Merci, Monsieur le Juge. Nous

9 préférerions effectivement la deuxième solution. Ainsi, nous ne serions

10 pas interrompus par la pause du déjeuner.

11 M. le Président (interprétation). – Parfaitement, nous allons

12 suspendre l'audience et nous nous retrouverons à 14 heures 45.

13 Merci à tous.

14

15 L'audience, suspendue à 12 heures 30, est reprise à

16 14 heures 50.

17 M. le Président (interprétation). – Monsieur Fenrick, êtes-vous

18 prêt ?

19 M. Fenrick acquiesce de la tête.

20 M. Fenrick (interprétation). - D'emblée, je souhaiterais vous

21 dire que vous pourrez nous être très utile sur deux motifs d'appel : le

22 motif numéro 3 et le motif numéro 5 à ce stade. Je crois que le motif

23 d'appel numéro 3 a trait à la définition du crime contre l'humanité. Nous

24 nous demandons si cette définition est suffisamment large pour y inclure

25 des actes motivés par des raisons purement personnelles. L'autre point qui

Page 383

1 nous intéresse porte sur le droit d'une partie à obtenir une déclaration

2 de témoin après que le témoin ait témoigné. Nous vous demandons votre aide

3 sur ces points parce que je crois que, dans votre mémoire, vous avez

4 déclaré que rien véritablement n'a trait à ces arguments en ce qui

5 concerne la libération demandée. Je crois qu'il y a certaines questions

6 d'importance générale sur lesquelles nous souhaiterions obtenir votre

7 aide, en tout cas l’aide des deux parties me semble-t-il.

8 M. Fenrick (interprétation). - Monsieur le Président vous

9 souhaitez que je procède dans l'ordre prévu pour les autres arguments ?

10 M. le Président (interprétation). - Comme vous voulez,

11 Monsieur Fenrick. Nous voulons simplement souligner ces deux points

12 d'emblée.

13 M. Fenrick (interprétation). – Messieurs les Juges, Madame les

14 Juges, je parlerai simplement du motif d'appel 1, 3 et 4 au nom de

15 l'accusation dans le cadre de son appel incident et j'aborderai ces

16 questions spécifiques quand je parlerai du motif d'appel numéro 3. C’est

17 Me Hollis qui parlera des 2 et 5 et je suis sûr qu'elle abordera cette

18 même question lorsqu’elle abordera le numéro 5 au cours de son

19 argumentation. Nous souhaitons procéder de la façon suivante, j'aborderai

20 donc les motifs d'appel 1, 3 et 4 pour environ une durée d’une heure et

21 demie. Cependant, je pense que la majeure partie de ma présentation aura

22 trait au motif d'appel 1. C’est ensuite ma collègue Me Hollis qui

23 consacrera sans doute une heure aux autres motifs d'appel après moi.

24 Je souhaiterais commencer par le premier motif d'appel.

25 Nous faisons appel de la décision de la Chambre de première instance selon

Page 384

1 laquelle il n'a pas été établi que les victimes étaient des personnes

2 protégées au titre de l'article 2 du Statut. L'accusation estime que la

3 Chambre de première instance a commis une erreur quand elle a décidé qu'il

4 n'avait pas été prouvé que les victimes auxquelles il est fait référence

5 dans les différents chefs d'accusations de l'article 2 dans lesquels

6 l’appelant est accusé au titre d’infraction grave aux conventions de

7 Genève de 1949 étaient des personnes protégées en vertu des dispositions

8 pertinentes de la convention de Genève. Au terme de cette conclusion

9 l'accusé a été acquitté vis à vis des chefs d’accusation 8, 9, 12, 15, 21

10 et 32 et cette conclusion a contribué à l'acquittement de l'accusé vis-à-

11 vis du chef d’accusation 29.

12 La raison principale qui a motivé cette décision a été la

13 décision erronée de la majorité de Juges de la Chambre de première

14 instance de se fonder sur le critère du contrôle effectif emprunté au

15 jugement de la Cour internationale de justice dans l'affaire du Nicaragua

16 afin de déterminer l’applicabilité des conventions de Genève.

17 Selon nous, l'affaire du Nicaragua avait trait à une

18 responsabilité d'Etat et non pas une responsabilité pénale individuelle.

19 D'autre part, dans ladite affaire la CIJ a décidé de façon délibérée

20 d'éviter de décider quel ensemble de dispositions issues de traités

21 étaient applicables pour se concentrer sur ce qu'elle a appelé le critère

22 minimum des dispositions contenues dans l'article droit commun des

23 conventions de Genève de 1949 qui, d'après ce Tribunal, s’appliquent à

24 tous les conflits. Par conséquent, nous pensons que l'affaire du Nicaragua

25 serait pertinente si ce qui nous intéressait ici était une situation dans

Page 385

1 laquelle en fait il n'y avait pas d'autre signe de l'existence d'un

2 conflit armé international en Bosnie. S'il n'y avait aucune preuve de la

3 présence de soldats de la République Fédérale de Yougoslavie dans les

4 combats en 1992, il est possible que la décision prise dans le cadre de

5 l'affaire du Nicaragua serait effectivement quelque peu pertinente au

6 moment de déterminer si, oui ou non, la Yougoslavie participait à un

7 conflit international en exerçant son contrôle direct sur les forces

8 armées de la Republika Srpska.

9 Mais puisqu'il s'agit ici d'un point qui ne pose pas problème,

10 puisque la Chambre de première instance a accepté que la République

11 Fédérale de Yougoslavie et ses soldats participaient au conflit après le

12 19 mai 1992, nous estimons que la décision prise dans le cadre de

13 l'affaire du Nicaragua n'est pas très utile et peut-être même totalement

14 inutile en l'occurrence.

15 L'accusation estime que le critère permettant de déterminer si oui ou non

16 il y a eu infraction grave aux Conventions de Genève consiste à déterminer

17 quelles sont les dispositions pertinentes du droit international

18 humanitaire et notamment celles des Conventions de Genève, et à appliquer

19 ces dispositions aux faits existant à l'époque sur le territoire de l'ex-

20 Yougoslavie. C'est sur cet argument-là -et sur cet argument-là seulement-

21 que l'accusation va se concentrer.

22 Dans l'acte d'accusation, Dusko Tadic est accusé d'avoir commis

23 des infractions graves en Bosnie à l'encontre de civils musulmans et

24 croates de Bosnie entre le 23 mai environ et le 31 décembre 1992.

25 Nous estimons que les questions qui doivent recevoir réponse

Page 386

1 sont les suivantes -et elles sont six- :

2 Tout d'abord, la Bosnie et l'autre Etat concerné, à savoir la

3 République Fédérale de Yougoslavie étaient-elles liées par les Conventions

4 de Genève dans le cadre du droit conventionnel ou du droit coutumier entre

5 le 23 mai 1992 environ et le 31 décembre 1992 ?

6 Deuxième question : la situation était-elle telle en Bosnie

7 autour de la période pertinente que la Convention relative à la protection

8 des personnes civiles pouvait s'appliquer au titre soit de l'article 2

9 commun soit au titre de l'article 6 de la Convention relative à la

10 protection des civils ?

11 Troisième question : Tadic avait-il un lien avec l'une des

12 parties, l'une des hautes parties contractantes ?

13 Quatrième question : les victimes avaient-elles un lien avec

14 l'autre partie, l'autre haute partie contractante ?

15 Cinquième question : les victimes étaient-elles des personnes

16 protégées en vertu de l'une des Conventions de Genève et qu'en était-il de

17 Tadic et de la partie avec laquelle il avait un lien ?

18 Sixième question : Tadic a-t-il commis un acte proscrit et

19 constituant une infraction grave de la Convention de Genève applicable ?

20 Et l'accusation estime qu'à toutes ces questions il faut

21 répondre par l'affirmative. Je vais vous dire pourquoi.

22 Tout d'abord, la Bosnie et la République Fédérale de Yougoslavie

23 étaient liées par les Conventions de Genève dans le cadre du droit

24 coutumier et du droit conventionnel au cours de la période couverte par

25 l'acte d'accusation.

Page 387

1 Deuxièmement, un conflit armé international a continué à opposer

2 l'armée de Bosnie-Herzégovine et la République Fédérale de Yougoslavie

3 pendant toute l'année 1992, et par conséquent les dispositions relatives

4 aux infractions graves étaient potentiellement applicables dans tout le

5 territoire de la Bosnie-Herzégovine et de la République Fédérale de

6 Yougoslavie.

7 Je souhaiterais à cet égard citer en partie le paragraphe 70 de

8 l'appel Tadic sur la compétence. Nous estimons que : "Un conflit armé

9 existe chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre Etats ou un

10 conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes

11 armés organisés. Et le droit humanitaire s'applique dès l'ouverture de ce

12 conflit armé et s'étend au-delà de la cessation des hostilités jusqu'à la

13 conclusion générale de la paix. Jusqu'alors le droit international

14 humanitaire continue à s'appliquer sur l'ensemble du territoire des Etats

15 belligérants ou dans le cas de conflit interne sur l'ensemble du

16 territoire sous le contrôle d'une partie, que des combats effectifs s'y

17 déroulent ou non".

18 Le commentaire du CICR adopte à peu près la même attitude, la

19 même vision large de la chose : "Tout différend naissant entre deux Etats

20 et menant à l'intervention des membres des forces armées est un conflit

21 armé au sens de l'article 2."

22 Nous disons donc que la RSFY/RFY était partie au conflit armé

23 international l'opposant à la Bosnie-Herzégovine. En effet, la Chambre de

24 première instance elle-même a déclaré que :"Jusqu'au 19 mai 1992, la JNA,

25 l'armée nationale yougoslave participait à un conflit armé international

Page 388

1 l'opposant à la Bosnie-Herzégovine et que par la suite la VJ, l'armée

2 yougoslave rebaptisée, a directement participé à un conflit armé contre la

3 Bosnie-Herzégovine".

4 Si nous acceptons que les forces armées ont continué à

5 participer au conflit après le 19 mai 1992, nous avons sous les yeux un

6 conflit armée international. Il n'y a pas d'autre conclusion juridique à

7 tirer de cette constatation.

8 D'autre part, rien n'indique qu'il y a eu rétablissement d'une

9 paix complète avant les accords de Dayton en 1995.

10 Je vous renvoie à un certain nombre de paragraphes du jugement

11 de la Chambre de première instance, notamment :

12 Le paragraphe 118 de la décision prise à la majorité : "Des

13 avions et leurs équipages de l'armée yougoslave sont restés en

14 Bosnie-Herzégovine après le retrait du mois de mai et ont travaillé avec

15 la VRS tout au long de 1992 et 1993."

16 Paragraphe 119, "Le corps de Podgorica, de l'ex-JNA devenue la

17 VJ, resta en Bosnie-Herzégovine pendant le plus clair de 1992 et, sous le

18 commandement du général Momsilo Perizic, participa au massacre de

19 Musulmans et de Croates dans la région de Mostar."

20 Paragraphe 569 : "Les forces de la VJ ont continué à participer

21 aux conflits armés après cette date", cette date étant celle du

22 19 mai 1992.

23 Il ne s'agit pas d'une partie ou d'un conflit armé international

24 qui se produit dans une région d'un pays. Si nous avons des forces de

25 combat qui sont déployées en Bosnie par le gouvernement yougoslave après

Page 389

1 le 19 mai 1992, nous avons sous les yeux un conflit armé international.

2 Troisième question qui a été posée : Tadic avait-il un lien

3 quelconque avec une partie ou une haute partie contractante dans le cadre

4 du conflit ?

5 Nous disons qu'il avait un lien avec la République Fédérale de Yougoslavie

6 dans le conflit armé international entre la RFY et la Bosnie-Herzégovine.

7 Dusko Tadic est né en Bosnie et est Serbe de nationalité. Il a milité de

8 façon active aux côtés du mouvement politique nationaliste serbe où il

9 avait la fonction de policier de réserve.

10 Les activités qui ont fait l'objet de l'acte d'accusation se

11 sont déroulées soit dans les camps, soit dans les régions contrôlées par

12 les forces serbes de Bosnie. Tadic avait un lien avec la RS, la

13 Republika Srspka, et la VRS dans le sens où la RS était son entité et la

14 VRS l'armée de son entité. De même, la RS était liée et était du même côté

15 que la RFY.

16 Les éléments de preuve montrent que pendant toute l'année 1992,

17 la Republika Srspka était une entité autoproclamée au sein du territoire

18 de la Bosnie-Herzégovine qui se considérait comme étant une partie de la

19 RFY. Notamment ces éléments de preuve montrent qu'en mai 1992, le SDS, le

20 parti politique au pouvoir en Republika Srspka n'a pas tenté de se séparer

21 de la RFY.

22 Son rapport avec la RFY à l'époque ne peut pas être simplement

23 décrit comme étant un simple lien de coordination d'activités politiques,

24 comme la Chambre l'a fait.

25 D'autre part, la VRS doit être considérée comme étant du même

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1 côté que la VJ au sein du conflit international qui l'a opposée à l'armée

2 de Bosnie-Herzégovine. La Chambre de première instance a accepté que le

3 fait qu'une partie de la JNA ait été rebaptisée VRS, acte délibéré et

4 planifié par les autorités de Belgrade afin de créer une illusion de

5 retrait des forces de la RFY du territoire de Bosnie-Herzégovine.

6 Cette démarche n'a pas été engagée en réaction à la résolution

7 du Conseil de Sécurité 752. Les éléments de preuve n'indiquent pas qu'il y

8 a eu une initiative indépendante de la part des Serbes de Bosnie de former

9 une force armée irrégulière et dissidente. La création de la VRS par la

10 RFY n'indique aucunement une éventuelle intention de Belgrade de renoncer

11 au contrôle d'une partie du JNA.

12 Plus précisément, l'établissement de la VRS a été mis en place

13 afin que les objectifs propres à la RFY soient remplis.

14 Les éléments de preuve montrent que ces objectifs souhaitaient

15 être remplis dans le cadre d'opérations politiques et militaires

16 contrôlées depuis Belgrade et la JNA. Rien ne suggère que ces objectifs

17 ont été modifiés le 19 mai 1992. D'ailleurs, la Chambre de première

18 instance a décidé que ces objectifs sont restés les mêmes.

19 Etant donné que la RFY a continué à poursuivre ces objectifs

20 politiques et militaires au-delà du 19 mai 1992, à peu près de la même

21 manière qu'auparavant, il n'y a aucune base raisonnable qui puisse nous

22 amener à conclure qui y a eu une perte effective de contrôle sur la VRS.

23 En fait, il serait assez illogique que Belgrade renonce à son

24 contrôle de toute l'opération militaire en Bosnie-Herzégovine lancée en

25 mai 1992 alors qu'après de longs préparatifs l'opération venait juste de

Page 391

1 débuter.

2 Le haut degré de planification et de préparation en 1991 et au

3 début de 1992, comme l'a souligné la Chambre de première instance dans les

4 paragraphes 80-146 de son jugement, a permis néanmoins de mettre en place

5 certaines formes de commandement moins apparentes, formes qui ont été

6 adoptées notamment en réaction à l'attention plus soutenue que portait la

7 communauté internationale à la situation.

8 Comme le montrent certains éléments de preuve, le fait de

9 renommer les forces de la JNA en Bosnie-Herzégovine a été l'une des

10 stratégies centrales de la RFY visant à répondre aux demandes de la

11 communauté internationale tout en tirant profit des préparatifs longs qui

12 avaient déjà été mis en place.

13 D'un point de vue totalement pratique, les opérations militaires

14 de la JNA sous le commandement de Belgrade qui avaient déjà été lancées le

15 19 mai 1992 n'auraient pas pu cesser du jour au lendemain quoi qu'il en

16 soit. Il est donc normal, lorsque l'on planifie des opérations militaires,

17 que les commandants militaires pensent un délai de plusieurs jours à

18 l'avance.

19 Les personnes qui se trouvent sur la ligne de front, les

20 personnes qui participent directement aux opérations ont sans doute une

21 planification à plus court terme, mais celles qui sont au coeur de la

22 stratégie nécessitent un certain délai, peut-être deux ou trois jours.

23 Par conséquent, nous n'avons rien sous les yeux. Pensons, par

24 exemple, à la prise de Kozarac, elle était sans doute planifiée largement

25 avant la date de sa prise, à savoir le 19 mai 1992. La Chambre de première

Page 392

1 instance a pu examiner suffisamment d'éléments de preuve établissant

2 l'existence d'une voie hiérarchie et d'une chaîne de commandement entre

3 Belgrade et Pale.

4 La Chambre de première instance a reconnu que le général Mladic

5 anciennement général dans la JNA avait été nommé par Belgrade au poste de

6 commandant de la VRS. Les éléments de preuve montrent également que lui-

7 même et l'état-major principal de la VS ont continué à œuvrer afin de

8 remplir les objectifs militaires de la JNA et les opérations en Bosnie-

9 Herzégovine, et ont obtenu un large contrôle opérationnel afin de parvenir

10 à ces objectifs sous le commandement global de Belgrade.

11 La Chambre de première instance a d'ailleurs reconnu que l'état-

12 major principal de la VRS avait certains liens et était en communication

13 de façon régulière avec Belgrade.

14 J'attire notamment votre attention sur la page 221 du jugement

15 de la Chambre de première instance, paragraphe 598 de la version anglaise.

16 Les éléments de preuve ne font peut-être pas état des détails

17 exacts du lien existant entre la VRS et le commandement principal de

18 Belgrade ou le fait que le général Mladic et la VRS recevaient

19 régulièrement des ordres de Belgrade. Mais comme le témoignage de l'un des

20 témoins de l'accusation le montre, le témoin James Gow, il existait une

21 intention manifeste de dissimuler le rôle de commandement de la RFY. Ceci

22 explique le témoignage donné par le colonel Celac sur lequel s'est fondée

23 la Chambre de première instance pour décider que le lien entre Belgrade et

24 Pale n'était caractérisé que par certains degrés de coordination.

25 Nous trouvons cette conclusion au paragraphe 598 du jugement.

Page 393

1 L'intention de Belgrade était de donner l'impression que ces liens avec

2 Pale étaient des liens de partenariat et de simple coopération.

3 Le travail avait été réalisé sur le terrain par la JNA,

4 permettant de lancer des opérations militaires de grande envergure en

5 Bosnie-Herzégovine, et certains aspects de ce projet avaient déjà été mis

6 en place. Comme l'a souligné la Chambre de première instance, ces

7 opérations ont été couronnées de succès au cours de l'été et de

8 l'automne 1992, ce qui illustre en soi le degré de contrôle de la RFY sur

9 les opérations militaires en Bosnie-Herzégovine.

10 A partir de certains facteurs supplémentaires, on peut également

11 conclure une fois de plus que Belgrade exerçait son contrôle militaire

12 effectif sur la VRS. En fait, la RFY, VJ, a créé la VRS et les structures

13 et les grades au sein de la VRS, et ceux au sein de la JNA et de la VJ

14 étaient identiques. La RFY, VJ, a dirigé et supervisé les activités et les

15 opérations de la VRS.

16 Par conséquent, la VRS reflétait les stratégies et tactiques

17 mises sur pied par la RFY et son armée. La RFY et son armée sont

18 directement intervenues dans le conflit qui s'est déroulé en Bosnie-

19 Herzégovine après le 19 mai 1992 et elle combattait aux côtés de la VRS

20 fournissant un appui au cours de combats tout à fait cruciaux. La RFY, VJ

21 a fourni une aide impressionnante du point de vue financier et logistique

22 également à la VRS.

23 J'aimerais d'ailleurs citer un paragraphe ou un extrait du paragraphe du

24 jugement rendu à la majorité de la Chambre de première instance, il s'agit

25 du paragraphe 115. Il est question des événements qui se sont produits aux

Page 394

1 environs du 19 mai 1992 : "Même si à l'époque des membres officiels de la

2 VRS (il s'agit là après le 19 mai 1992) ont continué à recevoir leur

3 salaire du gouvernement de la République Fédérale de Yougoslavie, la

4 Serbie et le Monténégro et ont continué à rémunérer ceux qui ont leur

5 retraite au terme normal de leur service, lors d'une réunion des officiers

6 responsables de la logistique, le Général Djordji Djukic, alors membre de

7 la VRS, -mais jusqu'au 18 mai 1992, chef d'état-major pour

8 l'administration technique de la JNA à Belgrade- annonça que toutes les

9 troupes d'actifs de la VRS continueraient de recevoir leur solde du

10 gouvernement fédéral de Belgrade qui financerait la VRS comme il avait

11 financé la JNA, à raison du nombre d'officiers enregistrés au

12 19 mai 1992".

13 Au sein des juristes internationaux, il est bien connu qu'un

14 simple appui financier ou logistique fourni à un groupe n'indique pas

15 nécessairement une participation au conflit. C'est peut-être le cas si

16 nous parlions d'un appui terrestre apporté par les Etats-Unis au Royaume-

17 Uni au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Personne ne suggérait, soit

18 avant, soit après Pearl Harbour, que les Américains ont étroitement

19 participé aux côtés de l’armée britannique, ne serait-ce que parce qu'elle

20 a fourni un certain appui financier, mais nous ne parlons pas de cela ici.

21 Nous parlons d'un pays payant ses propres soldats afin

22 d'exécuter une tâche dans un pays étranger. Ce pays continue à les payer

23 mais leur fournit leur pension au terme de leur service. Il ne s'agit pas

24 là d'un appui purement logistique.

25 Ceci prouve selon nous que la VRS, ou en tout cas que cet

Page 395

1 ensemble d'officiers, par conséquent ses officiers les plus expérimentés,

2 étaient en fait en train d'exécuter certaines tâches pour la République

3 Fédérale de Yougoslavie.

4 Dans ce cas particulier, pour ce qui est de la plupart des

5 forces armées, lorsque par exemple certains soldats ou officiers sont

6 détachés à une autre force armée, ils le sont aux termes de conditions qui

7 sont par exemple les suivantes : quand les forces armées vis-à-vis

8 desquelles elles sont détachées sont engagées dans certaines hostilités,

9 aux termes de ces hostilités il y a un terme qui est mis à ce détachement

10 ou ce rattachement.

11 Car si vous restez là-bas en tant que membre de votre propre

12 force armée, des forces armées de votre pays, et que vous participez à la

13 guerre de quelqu'un d'autre, quelqu’un d’autre risque de parvenir à la

14 conclusion que votre propre pays est engagé dans le conflit armé.

15 Malgré l'étiquette qui change, peut-être que des uniformes

16 étaient différents, il s'agit là pourtant du même organe qui distribue les

17 salaires aux uns et aux autres. Certaines personnes prennent leur retraite

18 à Belgrade, ils obtiennent leur pension de la République Fédérale de

19 Yougoslavie et il ne s'agit là que de l'armée yougoslave qui porte

20 simplement un nom différent.

21 Pour conclure nous disons que Tadic avait un lien avec la

22 Republika Srpska et que ces entités avaient également un lien très

23 inextricable avec la République Fédérale de Yougoslavie et la VJ.

24 Si je reprends la décision de Celebici au paragraphe 209, nous

25 lisons la chose suivante : "Si le conflit en Bosnie-Herzégovine était

Page 396

1 international, les normes pertinentes du droit international humanitaire

2 s'appliquent sur tout son territoire jusqu'à la cessation générale des

3 hostilités à moins qu'il puisse être fait preuve que le conflit dans

4 certaines zones était des conflits internes distincts n'ayant rien à voir

5 avec le conflit international plus large", (fin de citation).

6 Ici il y avait un conflit international au cours de la période

7 qui nous intéresse entre la République fédérale de Yougoslavie et la

8 Bosnie-Herzégovine, et le combat entre la VRS et l'armée de Bosnie-

9 Herzégovine faisait partie de ce conflit international.

10 Quatrièmement question que j'ai suggérée tout à l’heure : les

11 victimes étaient-elles liées à une autre partie contractante ? Dans ce

12 cas, oui, les victimes étaient des Musulmans et des Croates de Bosnie et

13 leur gouvernement participait à un conflit armé international l'opposant à

14 la République Fédérale de Yougoslavie.

15 Venons-en à la cinquième question : les victimes étaient-elles des

16 personnes protégées au titre de l’une des Conventions de Genève vis-à-vis

17 de M. Tadic et de la partie à laquelle il était lié ? La réponse est oui à

18 nouveau, les victimes étaient des civils et en tant que tels protégés par

19 les Conventions de Genève. Elles se trouvaient aux mains de la République

20 Fédérale de Yougoslavie et n'étaient pas ressortissantes de la République

21 Fédérale de Yougoslavie.

22 Enfin sixième question : Tadic a-t-il commis des infractions

23 graves en vertu de la Convention de la protection de civils ? Oui, la

24 responsabilité pénale de l'appelant au titre de l'article 2 a été établie

25 sur la base du dossier de ce procès.

Page 397

1 Par conséquent, nous disons que Tadic peut et doit être tenu

2 pénalement responsable des crimes relevant de l'article 2.

3 Ceci conclut mon argumentation relative au motif d'appel

4 numéro 1, et s'il n'y a pas de questions je passerai directement au motif

5 d'appel numéro 3.

6 M. le Président (interprétation). - Une question si vous voulez

7 bien. Suis-je en droit d'avoir le sentiment que votre mémoire au sujet de

8 ce motif d'appel évoquait un critère que l'on pourrait décrire comme

9 implication d'un lien démontrable ? Est-ce bien de cela que vous venez de

10 traiter ?

11 M. Fenrick (interprétation). - Monsieur le Président, j'ai le

12 sentiment qu'en décrivant toutes les questions que j’ai décrites, je me

13 suis efforcé de montrer comment on pouvait construire ce lien démontrable.

14 M. le Président (interprétation). - Vous avez voulu construire

15 sur la base de ma proposition.

16 M. Fenrick (interprétation). - Oui.

17 M. le Président (interprétation). - Dans ce cas, il me reste à

18 vous demander s’il y a une source précise qui fait autorité à l'appui de

19 votre proposition ?

20 M. Fenrick (interprétation). - Je ne voudrais pas dire que ce

21 que nous faisons ici c’est de créer un droit totalement nouveau, mais nous

22 nous efforçons d'appliquer la disposition relative aux infractions graves

23 des Conventions de Genève et, dans la mesure où la chose est faisable,

24 nous essayons de trouver toutes les réponses à nos questions dans les

25 Conventions de Genève ou en extrapolant sur la base de ces Conventions de

Page 398

1 Genève.

2 Mais il y a l'autre face de la médaille qui est la suivante : il

3 existe bien sûr une jurisprudence plus que suffisante qui peut prouver que

4 l'accusé n'a pas besoin de plus que d'un lien démontrable avec sa partie

5 belligérante.

6 Par exemple, il existe des affaires relatives aux crimes de

7 guerre commis au cours de la Seconde Guerre Mondiale où il a été question

8 d'auteurs de crimes qui étaient membres d'un groupe de lyncheurs.

9 Après la Seconde Guerre Mondiale, dans d'autres procès, il y

10 avait des accusés qui étaient de la même nationalité que leurs victimes et

11 qui, malgré cela, avaient un emploi, un poste hiérarchique relativement

12 élevé dans un camp de concentration.

13 Nous avons donc un grand nombre d'éléments de preuve qui sont

14 favorables à la partie adverse, c'est-à-dire la partie des auteurs de

15 crimes, dans le cadre des éléments participant à la création de ce lien.

16 Mais ce que je me suis efforcé de faire ici, c'est renverser, si

17 je puis m'exprimer ainsi, la jurisprudence pour montrer que les arguments

18 appliqués pouvaient être appliqués dans l'autre sens.

19 J'aurais aimé être peut-être plus clair mais, très franchement,

20 ce n'est pas un élément très simple dans la jurisprudence.

21 M. le Président (interprétation). - Je comprends ce que vous

22 dites, mais j'aimerais le confirmer.

23 Suis-je en droit de comprendre que ce que vous êtes en train

24 d'affirmer, c'est que tout au long de votre intervention, vous prouvez que

25 sur la base des faits il existe un lien démontrable, et que vous avez dit

Page 399

1 du point de vue du droit que l'existence d'un lien démontrable était un

2 critère juridique acceptable ?

3 M. Fenrick (interprétation). - Oui, pour l'essentiel, c'est cela

4 mais, si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelques détails.

5 Si l'on consulte une encyclopédie de droit public international

6 par exemple et que l'on lit ce que dit cette encyclopédie au sujet des

7 crimes de guerre, on constate qu'il y est stipulé qu'un crime de guerre

8 est quelque chose qui est commis par un agent d'une partie contre soit une

9 personne neutre soit un ressortissant de la partie adverse, de l'autre

10 partie au conflit.

11 Pour ce qui me concerne, j'affirme que malheureusement les

12 auteurs de cette disposition ont commis une grave erreur, car il est très

13 facile de démontrer qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait un rapport

14 fondé sur l'existence d'un agent entre celui qui a commis un crime de

15 guerre et l'Etat, l'entité au nom duquel cette personne agit car, s'il

16 fallait toujours qu'il y ait un agent, il serait très facile pour la

17 défense d'affirmer : "Mes forces armées nationales m'ont pas donné cet

18 ordre. Mon gouvernement ne m'a pas donné cet ordre. Je l'ai fait en dépit

19 de cela."

20 Mais pour aller au-delà de cet argument qui semble un peu

21 facile, j'ajouterai qu'il y a des cas, comme des cas de lynchage, où les

22 auteurs du crime sont des groupes de lyncheurs. Je ne crois pas qu'un

23 groupe de lyncheurs puisse être considéré comme l'agent d'un gouvernement

24 de quelque façon que l'on regarde les choses.

25 Voilà certains arguments que l'on peut avancer. On aimerait

Page 400

1 qu'il y en ait d'autres dans la jurisprudence, mais nous traitons ici de

2 circonstances qui sont tout de même assez rares.

3 M. le Président (interprétation). - Pour synthétiser ce que vous

4 dites, c'est qu'entre la VRS, armée de la Republika Srspka, et la

5 Yougoslavie, trois critères s'appliquent pour qualifier leur relation.

6 D'abord, un contrôle exercé de l'une sur l'autre et, s'il n'y a

7 pas contrôle, un lien démontrable. Est-ce bien ce que vous dites ?

8 M. Fenrick (interprétation). - Oui, je vous suis très

9 reconnaissant, Monsieur le Président. Et dans le mémoire que nous avons

10 présenté, l'existence d'un contrôle effectif est argumentée.

11 Moi, j'ai choisi de parler du lien démontrable, car cela me

12 paraissait préférable dans ce prétoire.

13 M. le Président (interprétation). - Mais vous dites que

14 l'existence d'un lien démontrable recouvre les deux autres critères ?

15 M. Fenrick (interprétation). - Non, je le dirais un peu

16 différemment. Je dirais que le lien démontrable est d'abord le critère

17 qu'il convient d'appliquer dans les circonstances qui nous intéressent et

18 que les deux autres ne sont pas aussi efficaces ou appropriés.

19 Deuxièmement, j'affirme également que le critère du contrôle

20 effectif et le contrôle de l'existence d'un agent sont deux critères qui

21 sont légèrement supérieurs à celui d'un lien démontrable.

22 M. le Président (interprétation). - Mais si vous avez raison,

23 dois-je comprendre que ce que vous dites, c'est que la portée du dernier

24 critère, le lien démontrable, est important pour englober la portée des

25 deux autres critères.

Page 401

1 M. Fenrick (interprétation). – Oui, oui, c'est tout à fait cela,

2 c'est exactement ce que je disais.

3 M. le Président (interprétation). – Bien. Mon collègue aimerait

4 vous poser une question.

5 M. Cassese (interprétation). - Monsieur Fenrick, vous pouvez

6 sûrement nous aider sur un point.

7 J'aurais tendance à être d'accord avec vous pour affirmer qu'il

8 n'est pas nécessaire d'établir l'existence d'un lien en cas de crimes de

9 guerre.

10 Vous avez parlé de l'affaire du lynchage. Un civil peut

11 commettre un crime de guerre. Mais pour qu'un civil commette une

12 infraction grave, il faut que vous démontriez l'existence d'un lien entre

13 ce civil et une partie belligérante, parce qu'un civil peut commettre un

14 crime de guerre dans le cadre d'un conflit armé interne, et dans ce cas il

15 s'agit de crimes de guerre, ou dans le cadre d'un conflit armé

16 international.

17 Mais pour qu'un civil ou pour qu'une personne, qui n'a aucune

18 position hiérarchique particulière ou aucun rôle officiel particulier,

19 commette une infraction grave, il faut que vous établissiez l'existence

20 d'un lien entre les forces armées et une partie belligérante dans le cas

21 d'un conflit armé international.

22 M. Fenrick (interprétation). - Monsieur le Juge, j'aurai

23 tendance à ne pas être d'accord avec vous.

24 Que nous parlions d'un conflit armé interne ou d'un conflit armé

25 international, cela, il faut le déterminer mais, d'après le Procureur, les

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1 critères qui ont été définis, dans le cadre des affaires jugées après la

2 Seconde Guerre Mondiale, sont applicables en cas de conflit armé

3 international, pas dans un conflit armé national interne, mais dans le cas

4 d'un conflit armé international. C'est bien ce à quoi nous avons affaire.

5 Dans ce cadre, le critère s'applique tant aux crimes de guerre

6 qu'aux infractions graves. Peut-être la situation serait-elle différente

7 dans le cas d'un conflit armé interne, mais je pense que la situation des

8 crimes de guerre et des infractions graves est pratiquement la même quand

9 il y a conflit armé international.

10 M. Cassese (interprétation). - Oui, mais même dans le cadre d'un

11 conflit armé international, si quelqu'un ne pas fait partie des forces

12 armées, n'appartient pas à l'un ou à l'autre des belligérants, je vois mal

13 comment cette personne peut être accusée d'infraction grave et non de

14 crime de guerre.

15 M. Fenrick (interprétation). - Monsieur le Juge, je n'ai aucune

16 difficulté à répondre à votre question, mais permettez-moi de donner un

17 exemple qui peut-être clarifiera davantage les choses.

18 Supposons que nous ayons un prisonnier de guerre en Yougoslavie,

19 un prisonnier de guerre originaire de Bosnie. Je déclare dans ce cas que

20 si un civil yougoslave tue ce prisonnier de guerre, il commet une

21 infraction grave sans avoir besoin de faire partie des forces armées.

22 M. Cassese (interprétation). - Merci.

23 J'aimerais vous poser une deuxième question mais,

24 malheureusement, je n'ai pas le texte des Conventions de Genève sous la

25 main. Cependant, je me rappelle que dans la quatrième Convention de

Page 403

1 Genève, il existe une disposition selon laquelle, en cas d'infraction

2 grave...

3 Bien sûr, il peut y avoir responsabilité pénale internationale

4 pour l'auteur de cette infraction grave mais, dans le même temps, l'Etat

5 dont est ressortissant cette personne aura une responsabilité nationale.

6 Il existe donc deux notions : la responsabilité de l'Etat et la

7 responsabilité pénale individuelle relative au même acte.

8 Donc, si ceci est exact, j'ai du mal à comprendre comment vous

9 pouvez dire que l'affaire du Nicaragua n'a un rapport qu'avec la

10 responsabilité de l'Etat et pas avec la responsabilité pénale

11 individuelle. Je crois que le critère de l'affaire du Nicaragua s'applique

12 dans l'appréciation d'un acte particulier commis par un individu ou par un

13 Etat. Si l'individu en question agit au nom de l'Etat, là encore nous en

14 revenons à cette notion d'agent de responsable officiel de l'Etat.

15 Pour utiliser les termes utilisés par la Commission

16 internationale, des actes commis par des particuliers non pas dans un

17 poste officiel, mais en tant qu'individus... mais, cependant, au nom d'un

18 Etat ; vous avez donc à la fois la responsabilité de l'Etat et la

19 responsabilité pénale individuelle. J'aimerais avoir votre point de vue

20 sur le sujet. Peut-être ai-je tort ?

21 M. Fenrick (interprétation). - Monsieur le Juge, avec tout le

22 respect que je vous dois, j'aimerais tout de même exprimer quelques

23 désaccords avec ce que vous venez de dire.

24 Premièrement, oui. En effet, il existe une disposition -J'ai essayé de la

25 retrouver rapidement, mais je n'y suis pas parvenu non plus- qui porte sur

Page 404

1 la responsabilité de l'Etat. Mais je dirais qu'il y a certaines

2 circonstances dans lesquelles la responsabilité de l'Etat s'applique eu

3 égard à des personnes responsables qui ont commis des infractions graves

4 et d'autres cas dans lesquels cette responsabilité de l'Etat ne s'applique

5 pas.

6 Par exemple, si vous êtes en présence d'une force armée qui a

7 subi un entraînement très approfondi en matière de lois et droits de la

8 guerre, et qui s'est vu démontrer tous les moyens nécessaires pour prendre

9 des mesures disciplinaires garantissant qu'aucun de ses soldats ne

10 commettrait une infraction, et que, dans ces conditions, un soldat commet

11 un crime ou une infraction grave aux Conventions de Genève, je ne crois

12 pas que l'Etat serait nécessairement jugé responsable de cet acte.

13 Je pense que dans ce cas-là il y aura responsabilité pénale

14 individuelle mais je ne suis pas sûr qu’il y aura automatiquement

15 responsabilité de l'Etat.

16 Et compte tenu de la référence que vous avez faite à la décision

17 dans l'affaire du Nicaragua, ce jugement de l'affaire du Nicaragua a pris

18 en compte, sans aucun doute, la notion de responsabilité de l'Etat.

19 Je ne sais pas si je pourrais aller aussi loin que de dire que

20 les critères évoqués, dans le cadre de ce procès, ont quelques

21 pertinences, d'après le Procureur, pour déterminer si, oui ou non, on se

22 trouve en présence d’un conflit armé international et si les dispositions

23 des infractions graves de la Convention de Genève s’appliquent.

24 Mais nous pensons que ce critère est peut-être davantage

25 applicable lorsqu’on parle d'une situation dans laquelle ce à quoi on a

Page 405

1 affaire est en fait l'existence d'un groupe de rebelles qui fonctionne sur

2 le territoire d'un Etat tiers et que ce que l'on s'efforce de faire c’est

3 de déterminer la responsabilité d’un Etat tiers.

4 Dans la situation du Nicaragua, il convenait de déterminer dans

5 quelle mesure le gouvernement américain avait une responsabilité eu égard

6 à l’activité des contrats.

7 Mais si ce à quoi nous sommes confrontés est un conflit armé

8 international impliquant des unités de combat originaires de Yougoslavie,

9 le Procureur ici affirme, dans ce cas, que nous n’avons pas besoin de nous

10 appuyer sur le ou les critères émanants du jugement prononcé dans

11 l’affaire du Nicaragua à titre exclusif pour déterminer si, oui ou non,

12 les actes de l’individu accusé peuvent être mentionnés comme étant des

13 infractions graves aux Conventions de Genève.

14 M. Cassese (interprétation). - Si je vous ai bien compris, vous

15 affirmez que, dans une affaire, chaque fois qu'il y a possibilité de deux

16 conflits en parallèle, un conflit armé interne plus un conflit armé

17 international, ce sont les règles applicables aux conflits armés

18 internationaux qui recouvrent tous les événements qui sont survenus, y

19 compris ceux qui ont un rapport avec une guerre civile. Donc l’ensemble,

20 d’après vous, peut être couvert par la disposition relative aux

21 infractions graves.

22 M. Fenrick (interprétation). - Nous n'avons pas pour intention

23 de dire ce que vous venez de dire.

24 Pour utiliser le libellé du jugement de Celebici, si vous êtes

25 en présence de conflits armés internes tout à fait distincts, bien entendu

Page 406

1 il n'est pas question de parler d’infraction graves, ou de conflits armés

2 internationaux -par exemple, en Bosnie, le conflit qui a opposé le

3 gouvernement bosniaque et la faction Fikret Abdic- je ne crois pas qu’il y

4 ait le moindre moyen pour nous de parler d’infraction grave dans un cas de

5 ce genre.

6 Mais ce que nous affirmons, c'est qu'il y a eu à l'évidence

7 conflit armé international entre la Yougoslavie et la Bosnie, conflit au

8 cours duquel la VRS et l’armée de la Republika Srpska étaient d’un même

9 côté et que le gouvernement bosniaque était de l'autre côté, mais que

10 l'armée de la Republika Srpska et la Republika Srpska avaient de nombreux

11 liens avec le gouvernement yougoslave.

12 M. le Président (interprétation). - Merci.

13 Puis-je encore vous demander votre assistance ?

14 Etes-vous bien en train de dire qu'à tous moments la Yougoslavie

15 avait des forces combattantes en Bosnie-Herzégovine, aussi bien avant le

16 19 mai qu'après le 19 mai ? Si c'est bien cela que vous dites, pourquoi la

17 majorité des Juges a-t-elle estimé qu'après le 19 mai il n’y avait pas de

18 conflit armé opposant la Bosnie-Herzégovine et la Yougoslavie ?

19 Ou est-ce que je commets une erreur en décrivant les faits ?

20 M. Fenrick (interprétation). - Vous décrivez tout à fait

21 exactement la réalité des faits.

22 D'après moi, la majorité des Juges a appliqué de façon erronée

23 l’avis exprimé par la Chambre d’appel dans la décision sur la compétence

24 dans l'affaire Tadic.

25 Pour une raison ou une autre, au lieu de déclarer que lorsque

Page 407

1 des forces de combat sont impliquées dans un pays on se trouve en présence

2 d’un conflit armé international affectant l'ensemble du pays, la majorité

3 a déclaré que l'armée yougoslave s'était retirée, ou plutôt pour être plus

4 précis que l’armée yougoslave s’était divisée.

5 J'ai cité des paragraphes de cet arrêt et ça n'est pas moi qui

6 parlais, ce sont les Juges qui ont estimé que les forces continuaient à

7 être engagées dans des combats en Bosnie. Mais, au lieu de considérer cela

8 applicable à l'ensemble du territoire du pays, ils ont estimé que, dans un

9 coin de la Bosnie, il y avait conflit armé international et que, là-haut,

10 dans un autre coin du pays, le parapluie du concept de conflit armé

11 international ne s’appliquait pas ; alors qu'à mon avis lorsqu'on déclare

12 qu'il y a un conflit armé international c'est un concept qui s'applique à

13 l'ensemble du territoire du pays concerné.

14 M. le Président (interprétation). - Vous estimez donc que les

15 Juges ont adopté une démarche compartimentée ?

16 M. Fenrick (interprétation). - Oui, tout à fait, Monsieur le

17 Président.

18 M. le Président (interprétation). - Merci. Vous pouvez

19 poursuivre.

20 M. Fenrick (interprétation). - Je vous remercie.

21 Le troisième motif d'appel que je traiterai plus brièvement

22 consiste à dire que des crimes contre l'humanité ne peuvent pas être

23 commis uniquement pour des motifs personnels. Je voudrais traiter de cet

24 argument.

25 Cette conclusion n'affecte pas le verdict prononcé contre

Page 408

1 l'accusé, mais pose une question de droit importante qui a une importance

2 générale ici. Nous admettons qu'elle ne ressorte pas entièrement du

3 libellé du paragraphe 25-1-a du Statut puisque nous ne parlons pas

4 d'erreur sur la question de droit invalidant le jugement en tant que tel

5 mais, cela étant dit, nous affirmons que nous parlons ici d'une question

6 de droit importante qui a une importance générale sur toute la

7 jurisprudence du Tribunal et que la Chambre d'appel a une possibilité de

8 corriger.

9 Nous disons que cette conclusion, si elle devait être confirmée,

10 pourrait avoir une influence sur d'autres Chambres de première instance,

11 aussi bien dans ce Tribunal que dans le Tribunal du Rwanda. Il s'en

12 suivrait d'autres erreurs et nous estimons que ce serait regrettable.

13 M. le Président (interprétation). - C'est la fin de votre

14 intervention ?

15 M. Fenrick (interprétation). - Non. C'est la fin de ce que je

16 voulais dire en introduction.

17 M. le Président (interprétation). - Poursuivez, je vous prie.

18 M. Fenrick (interprétation). - L'article 5 du Statut stipule que

19 les crimes contre l'humanité de la compétence du présent Tribunal doivent

20 être commis au cours d'un conflit armé.

21 Cette Chambre de première instance a estimé qu'un tel libellé

22 exige qu'il y ait un lien entre les actes ou les omissions commises par

23 l'auteur du crime et le conflit armé.

24 S'agissant de la nature du lien requis, la Chambre de première

25 instance a estimé qu'à deux nuances près il suffisait, pour qu'il y ait

Page 409

1 crime contre l'humanité, que l'acte se soit produit au cours d'un conflit

2 armé.

3 La première nuance, c'est que cet acte doit être lié

4 géographiquement ou temporellement avec le conflit armé, ce qui est tout à

5 fait juste bien entendu.

6 La deuxième nuance, c'est que l'acte et le conflit armé doivent

7 être reliés ou, en tout cas, que l'acte commis ne doit pas être sans

8 relation avec le conflit armé.

9 La Chambre de première instance a ensuite estimé que pour que

10 l'acte n'ait pas de relation au conflit armé, il fallait deux choses :

11 premièrement, l'auteur de l'acte doit connaître le contexte plus large

12 dans lequel cet acte a été commis et, deuxièmement, l'acte ne doit pas

13 être commis uniquement pour des raisons personnelles sans rapport avec le

14 conflit armé.

15 Le Procureur remet en cause la conclusion de la Chambre de

16 première instance en disant que pour appliquer l'article 5, pour que

17 l'acte commis rentre dans l'article 5, il faut qu'il ait été commis pour

18 d'autres raisons que des raisons purement personnelles.

19 Le Procureur, sur le troisième motif, a la position suivante.

20 Je cite la Chambre de première instance : "Il n'y a rien dans le

21 rapport du Secrétaire Général, ou dans le Statut, ou dans les débats du

22 Conseil de Sécurité, liés à l'adoption du Statut qui aille dans ce sens."

23 Le Procureur affirme que le poids des sources appuie sa

24 proposition selon laquelle les crimes contre l'humanité peuvent être

25 commis pour des raisons purement personnelles.

Page 410

1 Les sources que la Chambre de première instance a directement

2 appliquées proviennent d'une affaire jugée en 1948 après la Deuxième

3 Guerre Mondiale et impliquant l'Allemagne. Cette affaire contredit les

4 conclusions de la Chambre de première instance, d'après le Procureur. Dans

5 cette affaire, les accusés avaient dénoncé une victime juive à la Gestapo

6 pour ses remarques antinazies. La victime juive est morte par la suite

7 dans un camp de concentration. Le seul motif des accusés avait consisté à

8 vouloir se débarrasser de la victime parce qu'ils n'étaient pas satisfaits

9 de son comportement hystérique.

10 Appliquant les dispositions de la Loi du Conseil de contrôle n° 10, le

11 Tribunal a estimé qu'en dépit des motifs purement personnels qui avaient

12 justifié, permis le comportement des accusés, ce comportement pouvait

13 quand même être caractérisé comme crime contre l'humanité.

14 Pour citer maintenant une partie d'une traduction non

15 officielle, je dirais que la conduite de l'accusé était intimement liée au

16 régime national socialiste de violence et d'arbitraire parce que, depuis

17 le début, ce comportement faisait partie d'une campagne organisée de

18 persécutions contre tous les Juifs et contre les Juifs d'Allemagne et du

19 Canada, contre les Juifs d'Allemagne en tout cas.

20 Ce qui s'est passé dans cette affaire, c'est qu'il y a eu un

21 comportement coupable qui n'était motivé que par des motifs personnels.

22 Les gens impliqués n'avaient aucun autre désir que celui de se débarrasser

23 de l'un d'entre eux et ils ont d'énoncé cette personne à la Gestapo à

24 cette fin.

25 Le Tribunal n'a pas déclaré qu'il n'était pas exigé que le

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1 comportement des accusés ne soit pas fondé sur des motifs personnels.

2 Le Tribunal a accepté la nature personnelle des motifs des

3 accusés et donc ceci est en contradiction avec l'objectif humanitaire de

4 notre Statut qui souhaite ne pas laisser impunis des actes d'agression

5 systématique et généralisée contre des populations civiles, simplement

6 parce que ceux-ci auraient été commis pour des raisons personnelles. Une

7 telle condition créerait un précédent qui permettrait la commission de

8 très nombreux crimes échappant à toute responsabilité.

9 Le Procureur estime que l'exigence d'absence de motifs personnels dans la

10 commission de crimes contre l'humanité doit pousser à définir le terme

11 "mobile" comme étant un terme distinct de l'intention ou de la

12 connaissance. Le terme "mobile" est souvent utilisé pour faire référence à

13 une forme d'intention particulière. Nous pensons par exemple au concept

14 d’"Absicht" utilisé dans le droit allemand qui fait référence à une

15 intention directe ou déterminée que l'on peut comparer à une motivation

16 d'un accusé souhaitant l'obtention d'un résultat particulier ; mais nous

17 souhaiterions éviter cette confusion entre les deux termes dans l’affaire

18 qui nous intéresse.

19 Nous ne parlons pas d’une situation dans laquelle la raison

20 finale de l'accusé consiste à réaliser tel ou tel acte. Il n'y a aucun

21 intérêt à savoir si un accusé a volé de l'argent pour acheter un cadeau de

22 Noël à ses enfants ou pour payer l’héroïne dont il a besoin dans le cadre

23 de ses habitudes toxicomanes. Tout ce qui nous intéresse c’est qu’il a

24 volé cet argent. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait absence de motif

25 personnel pour que l’on ait connaissance de l'exécution d'une attaque

Page 412

1 généralisée ou systématique contre des civils. Le Procureur affirme que

2 ceci est une proposition générale qui s'applique dans le cas qui nous

3 intéresse et que le motif est tout simplement non pertinent dans le droit

4 pénal. Il n'est pas important de savoir si un accusé a commis un acte

5 inhumain pour des raisons purement personnelles, lorsqu’il s’est

6 débarrassé d'un voisin musulman parce qu’il lui devait de l'argent, par

7 exemple, aussi longtemps qu’il y a connaissance du contexte. Si la Chambre

8 devait appuyer la décision de la Chambre de première instance, cela

9 reviendrait à établir un élément supplémentaire comme condition aux crimes

10 contre l'humanité. Le motif donc n’est pas important.

11 M. le Président (interprétation). – Permettez-moi une question.

12 Y a-t-il un problème ici quant au sens que la majorité des personnes

13 attribuerait au terme "purement personnel" ? Cette expression "purement

14 personnelle", est-ce qu’elle est acceptée par la majorité des Juges qui

15 ont tranché l’affaire et notamment dans le cadre de cette affaire

16 allemande dont vous avez parlé ou bien est-ce qu’elle a été rejetée ?

17 M. Fenrick (interprétation). – Non, je crois qu'ils l'ont

18 considérée comme quelque chose venant à l'appui de ce qu'ils entendaient

19 par "purement personnel" mais nous, nous estimons que cela va exactement à

20 l'encontre de leur estimation de ce point.

21 M. le Président (interprétation). - Est-ce qu’il serait possible

22 de considérer que la majorité des Juges a estimé qu’ils parlaient de

23 raison purement personnelle ?

24 C'est peut-être cela qu'il faut comprendre plutôt que de se

25 pencher sur ce qui a été dit dans le cas allemand. Dans cette instance

Page 413

1 très précise, il y a avait le mot "apte". Cet homme a éliminé sa femme en

2 la dénonçant. Il avait connaissance de la politique d’extermination

3 totale. Or, bien qu’il ait agi pour des raisons purement personnelles, il

4 avait connaissance de l’existence de cette stratégie d’ordre général, mais

5 encore, il souhaitait établir une corrélation entre ses motifs personnels

6 et cette politique générale. Il souhaitait se servir de cette politique

7 générale pour servir ses intérêts personnel. N’ai-je pas raison,

8 Maître Fenrick ?

9 M. Fenrick (interprétation). – Absolument.

10 M. le Président (interprétation). - Parfait. Il me semble que la

11 majorité des Juges de la Chambre de première instance ont accepté cette

12 situation et ensuite ils sont allés encore au-delà de cette simple

13 acceptation. En fait, je ne pose pas une question, j'essaie de voir

14 l'interprétation qui a été faite.

15 Ils ont donc accepté ce point de vue et ensuite ils sont allés

16 encore au-delà. Ils ont dit : si vous agissez pour des objectifs purement

17 personnels ayant connaissance du système général qui existe et en essayant

18 de faire cadrer vos objectifs personnels avec le système sans pour autant

19 avoir l'intention d'utiliser le système pour servir vos objectifs, alors

20 est-ce que c’est là une situation qui est couverte ou laissée de côté par

21 la définition des crimes contre l'humanité. Est-ce que vous pensez,

22 Maître Clegg, que c'est une interprétation que l'on est en droit de

23 faire ?

24 Il y a cet homme qui a tué un individu parce que lorsque cet individu

25 était son maître d’école, il l’a battu. C’est la raison pour laquelle

Page 414

1 l'auteur de l'acte a commis un meurtre. Est-ce que vous croyez que ce cas

2 précis est celui qui me permet de procéder à cette interprétation. La

3 politique générale a permis à cet homme de servir ses objectifs personnels

4 mais il n’a pas utilisé cette politique dans la réalisation de ses motifs

5 personnels. Vous commettez un crime mais vous n’essayez pas de faire en

6 sorte que les circonstances du crime cadrent avec la politique générale et

7 vous n’essayez pas non plus de l’utiliser pour servir vos propre fins.

8 Qu’en pensez-vous ?

9 M. Fenrick (interprétation). - Si un individu n'aime pas son

10 ancien professeur et s'il se trouve que cette personne est un Musulman, si

11 cet individu informe les autorités serbes de l'existence de cet homme

12 musulman, si les autorités serbes viennent interpeller ce Musulman, puis

13 le maltraitent ou le tuent en fin de compte, alors, dans une telle

14 hypothèse, nous estimons qu'il y a là une situation qui tombe bien dans le

15 cadre des grandes lignes qui sont données par cette décision.

16 Si, en revanche, nous parlons d'une situation dans laquelle une

17 personne commence à passer son ancien professeur à tabac pour des motifs

18 de vengeance personnelle, alors je ne crois pas que cette situation est,

19 du point de vue du droit, différente de celle que j'ai décrite

20 précédemment.

21 Il est dans une situation où il accomplit l'acte lui-même. Dans

22 l'autre situation, ce sont d'autres qui accomplissent l'acte. Mais, dans

23 les deux cas de figure, l'environnement général permet de tels actes et

24 l'individu qui en est responsable, d'une façon ou d'une autre, sait que

25 l'environnement général lui permet d'agir de la sorte.

Page 415

1 C'est la raison pour laquelle l'accusation est d'avis que dans

2 le cadre de l'affaire qui a été citée par M. Clegg, et partant de

3 l'hypothèse que l'on a connaissance de la nature systématique et

4 généralisée des opérations qui sont menées contre la population civile, il

5 devrait tout de même y avoir responsabilité au titre d'actes perpétrés et

6 définis par l'article 5.

7 M. le Président (interprétation). - Nous parlons d'une situation

8 où l'accusé a connaissance de l'environnement général qui prévaut, nous

9 parlons de situations où l'accusé agit pour des motifs personnels, mais

10 nous parlons aussi de cas où l'accusé a également l'intention de se servir

11 de l'environnement dans lequel il se trouve pour servir ses objectifs

12 personnels.

13 Est-ce que c'est bien cette situation qu'avait à l'esprit la majorité des

14 Juges de la Chambre de première instance ? Ou bien n'avaient-ils pas

15 plutôt à l'esprit une situation dans laquelle l'accusé commet un crime,

16 tel qu'un meurtre, en connaissant les tenants et les aboutissants de

17 l'environnement dans lequel il se trouve, sans pour autant essayer

18 d'établir des liens entre son crime et l'environnement général ?

19 M. Fenrick (interprétation). - D'après nous, dès lors que

20 l'accusé "profite" de l'existence d'un système particulier, il doit être

21 puni au titre de l'article 5.

22 M. le Président (interprétation). - Je vous comprends bien, mais

23 je vous soumets une autre hypothèse dans laquelle l'accusé sait quel est

24 le système général qui prévaut autour de lui, dans lequel il commet un

25 crime, mais une situation dans laquelle il n'essaie pas justement de

Page 416

1 profiter, comme vous l'avez dit, de l'environnement. Il n'essaie pas

2 d'établir un lien entre le système et ce qu'il est en train d'accomplir.

3 La seule chose, c'est qu'il sait qu'une certaine structure existe.

4 M. Fenrick (interprétation). - Nous, nous pensons que dès qu'il

5 a connaissance de ce qui constitue son environnement, il est coupable au

6 titre de l'article 5.

7 M. le Président (interprétation). - Même s'il n'essaie pas

8 d'établir un lien entre son acte personnel et l'environnement dans lequel

9 il se trouve ?

10 M. Fenrick (interprétation). - Mais en fait, de facto, il

11 bénéficie de l'environnement dans lequel il commet son crime. Peut-être

12 qu'il réussira, par exemple, à dissimuler le cadavre de la victime de

13 telle sorte que les autorités n'aient jamais connaissance de ce qui s'est

14 passé mais, d'après nous, dès lors qu'il sait qu'il agit dans un

15 environnement particulier qui lui permet de perpétuer un acte spécifique,

16 il se rend coupable des crimes prévus à l'article 5.

17 Il est difficile de tirer un trait net entre la connaissance de

18 l'existence d'un certain environnement et la perpétration du crime. Nous,

19 nous pensons que ce seul élément de connaissance suffit.

20 M. le Président (interprétation). - Moi, je vous demande quelle

21 était la situation qui existait dans l'esprit de la majorité des Juges de

22 la Chambre de première instance.

23 Est-ce qu'ils pensaient à une situation où l'accusé avait

24 connaissance de l'existence d'une politique d'ordre général et que, parce

25 qu'il en avait connaissance, il a commis un crime ? Ou bien est-ce que la

Page 417

1 majorité des Juges pensaient à une situation où un accusé avait

2 connaissance de l'existence d'une politique générale où il a commis un

3 crime, mais où il n'a en aucun cas essayé d'établir un lien entre ce crime

4 et la politique générale alors en place ?

5 M. Fenrick (interprétation). - Moi, je pense que c'est la

6 deuxième situation que les Juges de la Chambre avaient à l'esprit.

7 Ceci étant dit, nous estimons que dès lors que l'accusé a

8 connaissance de ce qui se passe autour de lui, il est permis d'établir un

9 lien entre son acte et l'existence d'un conflit armé. Parce que l'accusé

10 connaît quel est l'environnement dans lequel il se trouve et dès lors

11 qu'il jouit de cette connaissance, alors on peut établir un lien avec le

12 principe du conflit armé.

13 M. le Président (interprétation). - Donc, théoriquement, vous

14 pensez au modèle que la majorité des Juges de la Chambre de première

15 instance avaient à l'esprit.

16 Cependant du point de vue pratique et des faits, il semble que

17 la situation qui se présente va même au-delà du modèle théorique que vous

18 avez envisagé.

19 M. Fenrick (interprétation). - Oui. Il semble que les

20 circonstances qui prévalaient permettent dans une mesure minime d'excuser

21 en partie l’acte de l'accusé, mais c'est quelque chose dont les Juges de

22 la Chambre d’appel ne peuvent absolument pas tenir en compte.

23 M. le Président (interprétation). - Je vois.

24 M. Cassese (interprétation). – Je reviens sur ce que vous venez

25 de dire. Je connais vingt ou vingt-cinq affaires qui ont eu lieu dans le

Page 418

1 cadre de la Seconde Guerre Mondiale, de dénonciations qui ont été faites

2 par des Allemands, et certaines de ces affaires viennent en appui de vos

3 arguments.

4 Le critère exigé, celui de la participation des auteurs, à

5 savoir en l’occurrence de leur dénonciation de Juifs ou d’opposants

6 politiques à la Gestapo aux représentants des autorités, mais l’intention

7 n’est pas exigée, n’entre pas dans le critère exigé.

8 En fait, il faut établir un lien objectif entre l’acte de

9 dénonciation et la politique d’oppression qui existait sous le cadre du

10 régime Nazi. Ce lien, s’il est démontré, est suffisant.

11 M. le Président (interprétation). - Je remercie mon éminent

12 collègue pour cette explication.

13 Nous parlons d'un modèle dans le cadre duquel non seulement

14 l'accusé a connaissance de la politique générale qui existe mais, en

15 outre, a l'intention de s’en servir pour servir ses motifs personnels et

16 en l'occurrence son crime.

17 Le modèle que je vous ai soumis est celui dont j'ai pensé qu'il

18 était possible qu’il ait été retenu par la majorité des Juges de première

19 instance, à savoir un modèle dans le cadre duquel l’accusé connaît

20 l’existence d’une politique d’ordre général, commet son crime, peut-être

21 que ce crime n’implique pas le crime de dénonciation, mais il le perpétue

22 dans un sens qui lui permet de profiter d’une façon ou d’une autre de la

23 politique générale qui prévaut.

24 Est-ce que vous suivez ce que je vous dis ?

25 M. Fenrick (interprétation). - Absolument.

Page 419

1 M. le Président (interprétation). - Alors que mon collègue avait

2 à l’esprit, je crois, un modèle assez différent.

3 M. Fenrick (interprétation). – Monsieur le Président, il m’est

4 assez difficile de penser à une application pratique du modèle dont vous

5 parlez. Cela me semble assez improbable, a priori.

6 M. le Président (interprétation). – Bien. Il est 16 heures 02

7 très exactement. Je propose de suspendre et nous nous retrouvons dans une

8 demi-heure, par conséquent à 16 heures 20. Cela vous convient-il ?

9 M. Fenrick (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

10 M. le Président (interprétation). - Nous faisons donc la pause.

11 L'audience, suspendue à 16 heures 05, est reprise à

12 16 heures 25.

13 M. le Président (interprétation). - Maître Fenrick, vous êtes

14 prêt à présenter vos arguments pour le motif d'appel suivant ?

15 M. Fenrick (interprétation). – Absolument, Monsieur le Juge.

16 Le motif d'appel suivant est le motif d'appel 4. L'accusation

17 interjette appel sur la conclusion selon laquelle tous les crimes contre

18 l'humanité exigent que soit démontrée l'existence d'une intention

19 discriminatoire.

20 L'accusation estime que la Chambre de première instance s'est

21 trompée lorsqu'elle a conclu que tous les crimes contre l'humanité

22 énumérés à l'article 5 exigent que soit démontrée l'existence d'une

23 intention discriminatoire.

24 Du fait de cette conclusion, la Chambre de première instance a

25 limité la portée du crime de persécution au titre de l'alinéa h de

Page 420

1 l'article 5 aux seuls actes qui ne sont pas retenus ailleurs dans l'acte

2 d'accusation plutôt que d'imposer un cumul de responsabilité pour tous les

3 actes commis sur une base discriminatoire. Ce faisant, il semble que la

4 sentence qui a été prononcée à l'égard de l'accusé a été réduite de façon

5 non négligeable.

6 Nous sommes d'avis qu'il n'y a pas d'exigence expresse de

7 démonstration de l'existence d'une intention discriminatoire dans le

8 chapeau de l'article 5 du Statut du Tribunal.

9 L'inclusion d'une telle condition sous l'article 3 du Statut du

10 Tribunal Pénal International pour le Rwanda implique a contrario que le

11 Statut du Tribunal n'avait pas l'intention d'imposer une exigence

12 similaire.

13 En outre, le droit coutumier international n'exige pas que soit

14 démontrée l'existence d'une intention discriminatoire pour tous les crimes

15 contre l'humanité.

16 D'ailleurs, la Chambre de première instance a reconnu que ni la

17 Charte de Nuremberg ni la Loi numéro 10 du Conseil du contrôle, ni

18 d'ailleurs du Statut du Tribunal de Tokyo, qui tous servent de sources de

19 référence pour le libellé de l'article 5, aucun donc de ces documents ne

20 contient une disposition exigeant la démonstration de l'existence d'une

21 intention discriminatoire pour tous les crimes contre l'humanité.

22 Toutes ces chartes et documents établissent une distinction

23 entre deux types de crimes contre l'humanité, à savoir d'un côté les

24 crimes de type meurtre -comme meurtre, extermination et soumission à

25 l'esclavage- et d'autre part les types dits de persécution qui sont commis

Page 421

1 pour des motifs politiques, raciaux ou religieux.

2 Cette distinction a été réaffirmée par les dispositions de

3 l'article 7 de la Cour Pénale Internationale qui rejette expressément

4 l'exigence de la démonstration de l'existence d'une intention

5 discriminatoire pour tous les crimes contre l'humanité.

6 Nous estimons qu'à titre général les dispositions du Statut

7 définissant les crimes devraient refléter le droit coutumier

8 international, sauf si le Statut indique expressément son intention de

9 s'éloigner de ce qui est prévu par le droit international.

10 Le droit coutumier est très clair, il n'est pas exigé que soit

11 démontrée l'existence d'une intention discriminatoire pour tous les crimes

12 contre l'humanité.

13 C'est pourquoi le commentaire du Secrétaire Général et les

14 différentes interprétations fournies par trois différents membres du

15 Conseil de Sécurité ne devraient pas se voir considérées comme sources de

16 référence lorsqu'il s'agit d'interpréter le champ d'application de

17 l'article 5.

18 Nous estimons qu'il existe une présomption selon laquelle le

19 Statut devrait être lu à la lumière du droit coutumier ou conventionnel

20 international dès lors que n'existe pas expressément dans le Statut une

21 volonté de ne pas se conformer à ce que dit le droit international sur ce

22 point.

23 Le Conseil de Sécurité est susceptible de modifier les normes en

24 vigueur, mais, si c'est le cas, cette volonté de modifier les normes doit

25 être expressément manifestée.

Page 422

1 Par exemple, l'article 5 du Statut exige qu'il soit démontré

2 l'existence d'un lien et l'existence d'un conflit armé. Pour ce qui est

3 des crimes contre l'humanité, ceux-ci ne violent pas le principe "Nullum

4 crimen sine lege", et ceci est une interprétation relativement étroite de

5 la norme en vigueur dans le droit coutumier.

6 Vous vous rappellerez peut-être qu'il a été fait référence aux

7 différentes déclarations des membres du Conseil de Sécurité dans le cadre

8 de la décision sur l'incompétence de l'affaire Tadic.

9 Au moment d'interpréter l'article 3 du Statut, afin de lui faire

10 inclure le champ d'application de l'article 3 commun, il a été fait

11 référence au texte de la disposition qui stipule que les lois ou coutumes

12 de la guerre incluent sans se limiter certains des délits énumérés.

13 Les interprétations fournies par les membres du Conseil de

14 Sécurité ont alors été invoquées afin de définir le champ des crimes

15 couverts par cette disposition non restrictive.

16 Cependant, nous estimons qu'à l'époque ces déclarations, ces

17 interprétations, n'étaient que des sources secondaires devant servir à

18 l'interprétation d'une disposition expressément placée dans le Statut.

19 Nous estimons que se fonder sur des déclarations interprétatives

20 afin de définir si, oui ou non, il y a une intention discriminatoire dans

21 les crimes contre l'humanité serait absurde quand l'article 5 ne contient

22 pas une telle définition ou un tel critère, et le faire reviendrait à se

23 fonder sur des interprétations, des déclarations interprétatives pour

24 affirmer que l'article 3 ne se limite pas aux exemples qu'il cite.

25 Malheureusement, il faut souligner que les précédents dans le

Page 423

1 domaine des faits sont souvent confondus avec le droit. En d'autres

2 termes, la conception commune des crimes contre l'humanité implique

3 particulièrement la persécution des Juifs dans l'Allemagne nazie, des

4 Musulmans en Bosnie-Herzégovine et aujourd'hui des Albanais du Kosovo au

5 Kosovo.

6 On peut supposer par conséquent que puisque la plupart des

7 précédents historiques impliquent des motifs discriminatoires et bien

8 ceux-ci donnent à penser que de tels motifs sont nécessaires et qu'ils

9 sont nécessaires du point de vue du droit ; ce qui est tout à fait erroné.

10 Nous pensons que les règles d'interprétation des textes de droit

11 vont également à l'encontre de ce critère prétendument nécessaire de

12 l'intention discriminatoire lorsqu'il s'agit de crimes contre l'humanité.

13 En effet, un tel critère reléguerait le crime de persécution au

14 titre de l'article 5-h à une simple disposition résiduelle. D'autre part,

15 ceci ferait d'autres actes inhumains, toujours au titre de l'article 5,

16 mais du paragraphe i, totalement redondants.

17 Nous suggérons donc que le Statut devrait être interprété afin

18 de donner l'effet escompté à toutes ces dispositions.

19 Ce critère de l'intention discriminatoire pour tous les crimes

20 contre l'humanité n'est pas cohérent avec l'objectif et le but humanitaire

21 du Statut et du droit international humanitaire ; ceci créerait une grande

22 lacune, une faille, car ceci ne permettrait pas de protéger des

23 populations civiles lorsqu'il n'y aurait pas de motif de discrimination.

24 Le Statut de la Cour de Rome ne fait aucune référence à une

25 certaine intention discriminatoire comme étant un critère nécessaire dans

Page 424

1 le cadre de crimes contre l'humanité. Cet instrument est le produit d'une

2 réflexion extrêmement longue, d'une délibération extrêmement longue, entre

3 les membres des Nations Unies et autres parties intéressées.

4 On ne trouve que ce type de référence lorsqu'il s'agit du crime spécifique

5 de persécution à l'article 7-1-h, à l'article 2-7-2-f qui a trait à la

6 modification de la composition ethnique d'une population, de grossesse

7 forcée à l'article 7-2-f, d'apartheid à l'article 7-2-h, enfin de

8 disparition forcée d'individus à l'article 7-2-i.

9 On ne peut donc conclure que la communauté internationale a

10 estimé en règle générale que les crimes contre l'humanité ne nécessitent

11 pas l'existence d'un motif particulier, sauf dans le cas de certains types

12 de crimes spécifiques, crimes contre l'humanité spécifiques.

13 Nous affirmons que le poids écrasant de différentes sources de

14 droit soutient la proposition selon laquelle il n'est pas nécessaire de

15 déterminer l'existence d'une intention discriminatoire dans le cadre de

16 tous les crimes contre l'humanité. Ceci met un terme à l’exposé des

17 arguments de l'accusation.

18 M. le Président (interprétation). – Dois-je vous interpréter de

19 la façon suivante ? A l'exception du rapport du Secrétaire Général, à

20 l'exception des trois interprétations fournies par les Etats membres, le

21 Statut doit être lu à la lumière de dispositions existantes du droit

22 international coutumier et doit être interprété de la façon suivante : un

23 critère général d'intention discriminatoire n'existe pas.

24 M. Fenrick (interprétation). - C'est effectivement notre

25 position.

Page 425

1 M. le Président (interprétation). - Pouvez-vous préciser un

2 point ?

3 Certains textes portent sur les interprétations des Etats

4 membres portant sur des traités multilatéraux.

5 Pouvez-vous nous donner des exemples de textes portant sur le

6 sujet de déclarations interprétatives ou d'interprétations d'Etats membres

7 portant sur une résolution ou des résolutions du Conseil de Sécurité ?

8 M. Fenrick (interprétation). - Malheureusement, je ne peux pas

9 vous donner d'exemples. Bien entendu, nous connaissons certaines

10 interprétations du Statut, certaines interprétations de traités, mais je

11 n'ai rien à l'esprit à l'heure actuelle qui fasse une référence explicite

12 aux résolutions du Conseil de Sécurité et à leurs interprétations.

13 M. le Président (interprétation). - Effectivement, je voulais

14 profiter de l'occasion pour vous interroger sur ce point. Je me tourne

15 vers le conseil de la défense qui pourra apporter sa propre contribution

16 sur le sujet en temps opportun.

17 Je crois que vous allez passer, Maître Fenrick, au motif d'appel

18 suivant.

19 M. Fenrick (interprétation). - Pour ce qui est de mon

20 intervention, j'ai terminé.

21 M. le Président (interprétation). - Très bien. Alors peut-être

22 pourriez-vous répondre à une question que je vous ai posée précédemment.

23 Cette question était relative au motif d'appel 3. Je crois que

24 dans votre mémoire vous avez reconnu…

25 Ceci n'a aucune importance sur les mesures que vous avez

Page 426

1 demandées. Je répète à ce moment-là que je n'ai pas, quant à moi, de

2 certitude sur ce point, mais je voulais simplement que vous nous éclairiez

3 sur ce sujet, à savoir sur la validité de ce point, lorsque vous avez

4 concédé que ceci n'avait aucun impact pratique sur les mesures que vous

5 avez vous-même demandées, et que vous demandez vu l'importance générale de

6 la question.

7 M. Fenrick (interprétation). - Je n'ai rien à ajouter à ce que

8 j'ai déjà dit, lorsque j'ai abordé ce motif d'appel numéro 3.

9 Nous voulions simplement dire à ce moment-là que nous

10 considérons qu'il s'agit d'un point de droit d'importance générale qui

11 doit être abordé au cours de la procédure d'appel.

12 Je crois que ce type de décision, si elle était maintenue,

13 risquerait d'avoir un effet négatif sur des procédures entamées devant

14 d'autres tribunaux, mais je n'avais rien à dire de plus.

15 M. le Président (interprétation). - Les Juges vous comprennent.

16 C'est à Maître Hollis, si j'ai bien compris.

17 Mme Hollis (interprétation). - Comme l'a dit mon collègue, je

18 vais, quant à moi, aborder les motifs d'appel 2 et 5 de l'accusation.

19 Le deuxième motif vous demande de revenir sur la décision prise

20 par la Chambre de première instance ayant déclaré l'accusé non coupable

21 des chefs d'accusation 30 et 31 portant sur les meurtres de cinq hommes

22 dans le village de Jaskici.

23 Je crois que nous avons traité d'une question quelque peu

24 similaire ou connexe ce matin, lorsque nous avons parlé du motif d'appel

25 numéro 3 de l'appelant, mais je pense qu'il y a une différence tout à fait

Page 427

1 significative entre les deux motifs d'appel.

2 Pour ce qui est de l'appelant, l'appelant vous demande de suivre

3 plus précisément la décision prise par la Chambre d'appel, décision prise

4 sur les faits, et de dire que les conclusions de faits étaient erronées.

5 Nous demandons quant à nous, ou nous ne vous demandons pas, plus

6 précisément, de faire cela. Nous acceptons les conclusions auxquelles est

7 parvenue la Chambre de première instance, nous les acceptons dans leur

8 intégralité. Nous ne vous demandons pas d'influer sur les conclusions.

9 Nous demandons de comprendre ce qui a motivé la décision de la Chambre de

10 première instance et de prendre une décision différente quant à la

11 crédibilité des éléments de preuve.

12 Notre position est que la Chambre de première instance, même en

13 ayant une vision exacte des faits, a commis une erreur de deux façons

14 différentes. Tout d'abord, la Chambre de première instance a commis une

15 erreur en appliquant le critère de la preuve au-delà de tout doute

16 raisonnable. D'autre part, au moment de conclure, de parvenir à sa

17 conclusion, la Chambre a commis une erreur en appliquant le critère de

18 l'objectif commun ou de l'opération criminelle commune.

19 J'en parlerai dans un instant et surtout dans l'ordre que je

20 viens de mentionner.

21 Tout d'abord nous suggérons que lorsque la Chambre est parvenue

22 à sa décision, dans ce cas particulier elle a commis une erreur au moment

23 d'appliquer le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable.

24 Nous suggérons également que l'accusation a prouvé ses arguments

25 au-delà de tout doute raisonnable et au moment de déterminer si, oui ou

Page 428

1 non, la Chambre de première instance s'est trompée en déclarant que nous

2 ne nous sommes pas acquittés de nos obligations.

3 La Chambre d'appel doit examiner tous les faits et toutes les

4 conclusions qui peuvent être tirés à partir des faits présentés.

5 La culpabilité est établie au-delà de tout doute raisonnable si

6 en consultant les faits proposés et en les considérant comme étant

7 fiables, la seule explication possible que l'on peut donner ou la seule

8 conclusion possible que l'on peut tirer est l'existence de la culpabilité.

9 D'autre part il n'y a pas de preuve au-delà de tout doute

10 raisonnable lorsqu'il y a simple possibilité ou lorsqu'il y a suggestion.

11 Ce doute raisonnable existe seulement lorsqu'après examen des éléments de

12 preuve, il y a un doute rationnel et raisonnable quant à la culpabilité de

13 l'accusé.

14 Si l'on étudie le langage utilisé par la Chambre de première

15 instance dans le cadre de sa décision, à savoir que nous ne nous étions

16 pas acquittés de nos obligations, l'accusation suggère que ceci montre que

17 l'application erronée de la Chambre de première instance du critère de la

18 preuve au-delà de tout doute raisonnable se trouve particulièrement au

19 paragraphe 373, à la page 133 de son jugement en anglais.

20 A ce stade, la Chambre a indiqué que la simple possibilité que

21 la mort des villageois de Jaskici ait résulté du fait qu'ils ont rencontré

22 une partie de ce fort contingent. Donc, cette simple éventualité suffit en

23 l'état de la preuve, ou plutôt de l'absence de preuve quant à leur mort,

24 pour que la Chambre ne puisse être convaincue au-delà de tout doute

25 raisonnable que l'accusé a participé à leur meurtre.

Page 429

1 C'est le premier argument présenté, venant soutenir la décision

2 selon laquelle nous ne nous étions pas acquittés de notre obligation

3 d'établir cette preuve au-delà de tout doute raisonnable.

4 Puis, elle continue. Le fait que nul n'a été tué à Sivci

5 pourrait indiquer que le meurtre des cinq hommes n'était pas un élément

6 prémédité de cet épisode particulier de nettoyage ethnique des deux

7 villages auquel l'accusé a pris part.

8 Il est donc parfaitement possible que leur mort ait été causée

9 par l'action d'un groupe entièrement distinct d'hommes en armes ou par un

10 acte spontané et non autorisé du contingent qui a investi Sivci.

11 Nous vous suggérons qu'en utilisant ces termes tels que "la

12 simple éventualité" et "pourrait indiquer", la Chambre de première

13 instance indique qu'elle a mal appliqué ce critère de la preuve au-delà de

14 tout doute raisonnable.

15 Aucune de ces deux bases sur laquelle s'est appuyée la Chambre

16 de première instance n'est étayée par les faits qui lui ont été présentés

17 au cours de cette affaire. A cet égard, nous vous suggérons que, bien que

18 la question qui se pose est différente de celle de ce matin, le même

19 critère doit être utilisé par vous-même afin d'apporter une réponse à

20 cette question.

21 Examinez les faits qui ont été présentés à la Chambre de

22 première instance, vous verrez que la Chambre de première instance s'est

23 trompée, s'il n'y a aucun soutien raisonnable venant étayer leurs

24 conclusions, et nous suggérons que c'est effectivement le cas ici, même si

25 nous tenons compte de la différence que vous avez, même s'il existe le

Page 430

1 fait que vous devez toujours tenir compte des décisions de faits prises

2 par la Chambre de première instance.

3 Quels sont les faits justement qui ont été présentés à la

4 Chambre de première instance ? Regardons le paragraphe 369 de son

5 jugement. La Chambre dit la chose suivante, entre autres : "Des témoins

6 ont effectivement vu l'accusé à Sivci et Jaskici le 14 juin 1992. Il est

7 entré dans ces deux villages aux côtés d'autres hommes en armes", comme il

8 est présumé au paragraphe 12 de l'acte d'accusation, et qu'à Sivci il

9 était de ceux qui ont emmené du village ces hommes, et qu'à Jaskici il

10 était de ceux qui ont fait sortir les habitants et ont séparé les hommes

11 des femmes et des enfants.

12 La Chambre a également été convaincue que dans le groupe en

13 question, emmenés de force du village de Jaskici, se trouvaient les hommes

14 dont la liste est donnée ensuite et que l'accusé a participé à leur

15 transfert et qu'en outre l'accusé a battu… Et ensuite, la Chambre de

16 première instance a établi une liste d'hommes. Mais en tout cas la Chambre

17 a été convaincue que l'accusé a frappé ces hommes.

18 La Chambre de première instance ajoute, s'agissant du meurtre de

19 cinq hommes à Jaskici, que les témoins ont vu leurs cinq cadavres gisant

20 dans le village lorsque les femmes purent sortir des maisons après le

21 départ des hommes en armes et que ces hommes armés ont été violents. Ceci

22 ne fait aucun doute, c'est une conclusion à laquelle est parvenue la

23 Chambre.

24 Un certain nombre de témoins ont été menacés de mort par les

25 hommes en armes au moment où les hommes étaient transférés hors du

Page 431

1 village. Outre cela, le passage à tabac et le fait qu'ils ont battu les

2 hommes du village est encore un nouveau signe de la violence de leur

3 comportement violent.

4 Au paragraphe 371, il est dit : "Le groupe d'hommes en armes

5 était relativement peu nombreux, l'accusé en faisait partie et il a

6 participé directement à l'action consistant à rassembler les hommes du

7 village".

8 Au paragraphe 372, la Chambre ajoute que : "Le village de

9 Jaskici était calme avant l'arrivée des hommes en armes. Leur arrivée

10 s'est accompagnée de coups de feu, de menaces de mort et de graves

11 violences. Ils ont fouillé une à une les maisons du village, ils ont battu

12 brutalement les hommes du village qui étaient allongés sur la route et en

13 partant, ils ont tué les hommes du village. Des coups de feu ont été

14 entendus et les cadavres de cinq hommes ont été retrouvés gisant là où ils

15 ont été tués dans le village".

16 Eu égard à ces cinq hommes morts et à l'endroit où ils se

17 trouvaient, des témoignages au cours du procès ont été recueillis selon

18 lesquels parmi cette liste de cinq hommes qui ont été tués, pour deux

19 d'entre eux au moins, donc le corps de deux de ces

20 personnes a été retrouvé sur la route à proximité de l'endroit où l'accusé

21 et les autres membres de ce groupe d'hommes en armes les avaient frappés

22 et dans la direction dans laquelle l'accusé et les autres hommes en armes

23 avaient emmené les hommes qui se trouvaient auparavant dans le village.

24 Nous vous suggérons, Madame et Messieurs les Juges, que, étant

25 donné les faits qui ont été présentés à la Chambre de première instance,

Page 432

1 cette Chambre n'aurait pas pu parvenir de façon raisonnable à la

2 conclusion selon laquelle l'accusé ne pouvait avoir aucune responsabilité

3 dans ces crimes.

4 Examinons un instant ce concept de la responsabilité et des

5 conclusions que la Chambre de première instance a tirées concernant la

6 responsabilité.

7 Voyons le paragraphe 764 du jugement. Selon la Chambre de

8 première instance, en vertu du Statut et son article 7.1 notamment, pour

9 qu'il y ait effectivement responsabilité il faut d'abord arriver à la

10 conclusion qu'il y a eu intention.

11 Qu'est-ce que l'intention ? L'intention c'est avoir conscience

12 de l'acte de participation et prendre une décision consciente visant à

13 participer à la perpétration des crimes.

14 La Chambre indique également que l'intention peut être déduite

15 de tous les faits ressortant des circonstances propres à une affaire.

16 La Chambre estime également que le deuxième critère établissant

17 la responsabilité d'un participant est la participation à une conduite qui

18 a contribué à la perpétration d'un acte illégal, que cette conduite a été

19 délibérée et qu'elle a directement de façon importante affecté la

20 perpétration dudit crime.

21 Il est également dit aux paragraphes 678 à 687 la chose

22 suivante : "Il ne faut pas nécessairement qu'un accusé ait eu l'intention

23 ou la connaissance de toutes les conséquences d'un acte auquel l'accusé a

24 participé, il doit y avoir également un acte délibéré pour que l'accusé

25 puisse être tenu pénalement coupable et cet acte délibéré doit influer

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1 directement sur

2 la perpétration du crime proprement dit".

3 Il est ensuite donné un exemple d'un passage à tabac. Si

4 l'accusé est présent lorsqu'un passage à tabac a lieu et qu'il reste

5 ensuite dans un groupe d'hommes qui continuent à frapper les autres

6 individus et bien cette présence est considérée comme ayant un effet

7 encourageant et ceci donne à l'accusé une certaine responsabilité

8 d'intention.

9 Au paragraphe 685, il est aussi question de cette idée

10 d'entreprise commune et il y est indiqué que si des personnes étaient

11 toutes présentes ensemble au même moment participant à une entreprise

12 illicite commune et qu'elles contribuent chacune à leur façon à l'objectif

13 commun, elles seraient toutes également coupables en droit.

14 Alors, si on remet ces différents concepts liés à la

15 responsabilité dans le contexte des faits, nous suggérons que la Chambre

16 de première instance n'a pas tiré une conclusion raisonnable lorsqu’elle a

17 déterminé que cet accusé n'était pas coupable. Si nous examinons la

18 conclusion selon laquelle d'autres personnes auraient pu être responsables

19 de ce crime, d'autres personnes que l'accusé et le groupe d’hommes qui

20 l'accompagnaient, les faits ne viennent pas étayer cette conclusion de

21 façon raisonnable.

22 Nous avons entendu des éléments de preuve au cours du procès

23 selon lesquels au cours de la période pendant laquelle des hommes ont été

24 transférés hors du village, placés dans la rue et frappés, des femmes se

25 trouvaient dans les maisons environnantes et elles ont pu assister à la

Page 434

1 scène de leurs fenêtres et observer ces passages à tabac. Aucune de ces

2 femmes n'a indiqué que des personnes nouvelles étaient arrivées afin de

3 participer à ces actes.

4 Nous avons également obtenu des éléments de preuve indiquant

5 qu'au moment où l'accusé et ce groupe d’hommes en armes menaient les

6 habitants du village à l'extérieur de leur village, les femmes ont pu

7 observer la scène. A aucun moment, il n'y a eu d'indication selon laquelle

8 un autre groupe d'hommes serait arrivé et aurait rejoint le groupe déjà

9 présent de l'accusé.

10 Il a été dit au cours du procès que ce groupe qui venait de

11 Jaskici était un groupe très violent, qu'ils ont fait preuve de

12 comportements très violents également, qu'ils ont menacé de tuer des

13 habitants du village s'ils n'obéissaient pas aux ordres. Par conséquent,

14 une menace de mort était générale et flottait dans l'air de Jaskici.

15 La Chambre de première instance n'a pas établi l'existence de

16 tels meurtres à Sivci et une distinction a été faite ici : les éléments de

17 preuve portant sur Sivci ont montré que l'accusé avait participé d'une

18 façon mineure aux événements qui ont eu lieu à Sivci.

19 Quand nous parlons de Sivci, nous voyons que l'accusé faisait

20 partie intégrante de ce climat de violence qui régnait dans le village et,

21 quand lui-même et le petit groupe d’hommes armés se sont éloignés de Sivci

22 et sont arrivés à Jaskici, nous voyons une exacerbation des actes de

23 violence et une menace de mort qui planait alors dans l'air du village.

24 Les faits viennent soutenir ce type de situation dans laquelle

25 la mort est une conséquence tout à fait naturelle des crimes commis par ce

Page 435

1 groupe d’hommes dans ce village et on ne peut pas dire qu'il était

2 impossible de prévoir que ceci allait résulter de l'extrême violence qui a

3 été infligée aux habitants de ce village.

4 D'autre part, si nous examinons les éléments de preuve relatifs

5 aux événements qui ont eu lieu à Jaskici et qui ont trait à cet accusé,

6 cet accusé savait pertinemment qu'il allait participer à ces différents

7 actes, il a sans doute pris une décision en son âme et conscience, ses

8 activités étaient délibérées, ces actes ont contribué aux crimes qui ont

9 eu lieu dans le village.

10 Alors, qu'en est-il des meurtres ? Que pouvons-nous dire des

11 meurtres ? Y avait-il une intention qui sous-tendait ces actes ? Etait-ce

12 là une simple conséquence naturelle des événements qui avaient lieu ? Nous

13 suggérons qu'ils n'étaient pas prévus dans le sens où un groupe est arrivé

14 dans le village et où il y avait un désir conscient de tuer, mais ils sont

15 une conséquence naturelle des événements qui se sont produits dans le

16 village et que tous les hommes armés qui se trouvaient dans ce village

17 avaient l'intention de participer à un tel

18 comportement. Nous savons que ces hommes menaçaient les villageois, qu'ils

19 ont fait peser des menaces de mort sur ces derniers et que ceci est

20 également vrai de l'accusé qui a menacé de mort l'un des villageois.

21 Par conséquent, nous avons cet élément d'intention, nous avons

22 cet élément de participation et nous avons maintenant les éléments de

23 Jaskici eux-mêmes avec ce petit groupe d’hommes armés qui ont participé à

24 une entreprise commune, et cette entreprise commune n'était pas une

25 entreprise inattendue ou qui n'avait pas été autorisée parce que cette

Page 436

1 entreprise qui a eu lieu à Jaskici était la même que celle qui s’est

2 déroulée à Sivci, que toutes celles qui ont eu lieu dans l’Opstina de

3 Prijedor.

4 Quels étaient cette entreprise et son objectif ? Eh bien, de

5 débarrasser la région de tous les non Serbes qui vivaient dans la région

6 et ceci par différents moyens, notamment le meurtre parce que pendant tous

7 les témoignages que nous avons entendus dans l'affaire Tadic, nous avons

8 fait face à des situations dans lesquelles les villages étaient nettoyés

9 de leur population non serbe, des personnes étaient tuées, les non Serbes

10 étaient déportés vers des camps où ils étaient exterminés.

11 Par conséquent, afin de nettoyer la région, des meurtres ont été

12 utilisés, d'autres formes violentes de comportement également ainsi que

13 des moyens moins violents, des mesures de coercition visant à nettoyer la

14 région de sa population non serbe.

15 Par conséquent, ce n'était pas un acte imprévisible dans le

16 contexte du nettoyage ethnique qui existait à l'époque, ce n'était pas un

17 acte non plus arbitraire, ce sont des actes qui se sont ajoutés les uns

18 aux autres, ceci faisait partie d'un plan spécifique.

19 Par conséquent, il y avait effectivement entreprise commune,

20 entreprise illicite commune, et la Chambre de première instance, au moment

21 de juger, au moment d'évaluer cette entreprise illicite commune, a fait

22 une erreur en la restreignant à une zone trop petite. Elle aurait dû tenir

23 compte de tout l'Opstina de Prijedor parce que nous suggérons que c'est un

24 plan qui s'est appliqué dans toute la région et que les Serbes, dans toute

25 cette région, ont tenté de se débarrasser de la population non serbe.

Page 437

1 Si nous tenons compte de ce contexte, nous suggérons que la

2 Chambre de première instance a commis une erreur, non pas parce que nous

3 voudrions présenter ou substituer à ce jugement un jugement différent,

4 mais parce qu'il n'y avait aucune base raisonnable qui puisse étayer le

5 jugement qui a été rendu en l'occurrence. Les deux bases qui ont servi à

6 la Chambre de première instance à tirer des conclusions de non-culpabilité

7 ne sont pas étayées de façon raisonnable par le dossier du procès ou bien

8 par le droit existent, ne sont pas soutenues par les faits qui ont été

9 présentés à la Chambre.

10 Si nous devions supposer, par exemple, qu'un composant ou qu'une

11 personne émanant de ce contingent qui est entré à Sivci était

12 effectivement la personne qui est entrée à Jaskici et qui a tué ces cinq

13 hommes, si nous devions formuler cette hypothèse-là, même si nous

14 suggérons qu'elle n'est pas crédible, l'accusé néanmoins serait coupable

15 parce qu'il aurait participé à ce groupe, il aurait fait partie de ce

16 groupe, de cette force armée qui se trouvait à Sivci. Il a participé à

17 Jaskici dans le cadre de cette entreprise commune illicite afin de

18 nettoyer le village et l'Opstina de tous les non Serbes et de le faire par

19 des moyens violents et par des mesures moins violentes lorsque cela était

20 possible.

21 Le meurtre n'était pas quelque chose qu'il ne pouvait pas

22 prévoir. Il a lui-même participé à ces meurtres et non pas seulement aux

23 meurtres qui sont contestés ici, mais il y a eu d'autres meurtres,

24 d'autres personnes, d'autres Musulmans qui ont été tués au camp d'Omarska.

25 La Chambre de première instance à cet égard a jugé

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1 qu'effectivement, cet homme avait été frappé et que l'accusé avait

2 participé dans une certaine mesure à ces passages à tabac et la Chambre a

3 décidé et établi que suite à ces passages à tabac, ces hommes étaient

4 morts. Les éléments de preuve présentés à l'encontre de cet accusé ont

5 fait état de cette violence extrême et de ces traitements cruels.

6 Par conséquent, il aurait pu prévoir ce type d'événements et, en

7 ne tenant pas compte de tous ces faits, des faits qui ont été présentés à

8 la Chambre de première instance et qu'elle a retenus, nous suggérons que

9 cette Chambre a commis une erreur en prenant la décision qu'elle a prise,

10 à savoir que nous n'avions pas établi de preuve au-delà de tout doute

11 raisonnable.

12 Un dernier point sur la question : l'accusation suggère qu'il

13 est incroyable de pouvoir dire qu'une personne est sortie ou plutôt est

14 arrivée de l'extérieur de ce groupe armé et que c'est cette personne qui a

15 commis ces crimes. Comment peut-on affirmer une chose pareille ?

16 J'ai dit au départ que personne dans le village qui avait la

17 possibilité d'observer la scène n'a vu qui que ce soit arriver et

18 rejoindre par la suite ce groupe d'hommes. Personne n'a entendu qui que ce

19 soit arriver dans le village. Personne n'a entendu qui que ce soit, une

20 période de silence au cours de laquelle l'accusé et son groupe auraient pu

21 partir et un autre groupe arriver et, ensuite, des tirs qui auraient été

22 entendus. Tout ceci est arrivé alors que l'accusé et son groupe d'hommes

23 en armes étaient dans le village.

24 Par conséquent, si l'on devait affirmer que c'est quelqu'un

25 d'autre qui a commis le crime en question, il faudrait formuler une

Page 439

1 hypothèse double. Il faudrait dire tout d'abord que les autres

2 participants sont arrivés dans le village, qu'ils ont été totalement

3 silencieux lorsqu'ils sont arrivés, qu'ils n'ont pas fait le moindre

4 bruit, qu'ils n'ont pas prononcé le moindre mot de salut en apercevant le

5 groupe qui se trouvait au village et qu'ils se sont immédiatement fondus

6 au groupe qui se trouvait là et qu'ils ont immédiatement tué ces cinq

7 hommes. Nous pensons que c'est une hypothèse totalement "implausible".

8 La deuxième possibilité serait que ce groupe est arrivé accompagné de

9 coups de feu, que ce groupe a parlé au groupe présent, c'est-à-dire le

10 groupe de l'accusé, et qu'il s'est mêlé à ce groupe et qu'ensuite, il a

11 commis ces meurtres. Mais les femmes qui se trouvaient dans les

12 habitations et qui ont eu la possibilité d'entendre ce qui se passait et

13 de voir parfois ce qui se passait à l'extérieur, n'ont jamais vu ceci,

14 n'ont jamais entendu ceci, et nous suggérons par conséquent que cette

15 théorie est tout à fait "implausible".

16 C'est pourquoi nous suggérons que la Chambre de première

17 instance a fait une erreur lorsqu'elle est parvenue à sa conclusion de

18 non-culpabilité quant au meurtre de ces cinq hommes dans le village de

19 Jaskici.

20 J'en passerai maintenant au motif numéro 5.

21 M. le Président (interprétation). – Maître Hollis, je crois

22 comprendre que ce que vous voulez dire, c'est que l'erreur dont vous dites

23 qu'elle a été commise par la Chambre de première instance est double,

24 qu'en déterminant la teneur du concept d'objectif commun ou d'entreprise

25 commune dans l'affaire qui nous intéresse, la Chambre de première instance

Page 440

1 aurait dû, mais n'a pas pris en compte le fait que l'accusé mettait en

2 oeuvre une politique générale de nettoyage ethnique dont les

3 caractéristiques auraient dû lui être connues, politique générale qui

4 portait en elle la possibilité de la violence.

5 Mme Hollis (interprétation). – Oui, Monsieur le Président, c'est

6 exact. En fait, la conséquence naturelle incluait la violence et y compris

7 le meurtre.

8 M. le Président (interprétation). - Et le deuxième argument que

9 vous développez, si je vous ai bien comprise, est que la Chambre de

10 première instance a exprimé un doute fondé sur la possibilité qu'un groupe

11 plus important soit arrivé dans la localité et ait commis l'acte en

12 question.

13 J'ai cru comprendre que vous affirmiez qu'il n'existait pas dans

14 le dossier du procès le moindre élément matériel apte à étayer cette

15 possibilité et, d'autre part, qu'un doute doit toujours être fondé sur des

16 faits.

17 Mme Hollis (interprétation). – Oui, Monsieur le Président, mais

18 je m'exprimerai peut-être un peu différemment.

19 M. le Président (interprétation). – Bien, je vous prierai de

20 passer au point suivant.

21 Mme Hollis (interprétation). – Puis-je vous répondre ?

22 M. le Président (interprétation). – Oui, bien sûr.

23 Mme Hollis (interprétation). – La position du Procureur consiste

24 à affirmer que la Chambre de première instance s'est fondée sur une simple

25 éventualité pour conclure qu'un autre groupe ou un autre individu aurait

Page 441

1 pu être impliqué dans les meurtres. Notre position est que le fait de

2 tenir compte d'une éventualité n'est pas équivalent au doute raisonnable.

3 M. le Président (interprétation). – Et qu'il s'agit de

4 spéculations ?

5 Mme Hollis (interprétation). – Oui, qu'il s'agit de

6 spéculations, mais qu'un doute raisonnable doit être fondé sur

7 l'évaluation des éléments de preuve en toute équité et que les éléments de

8 preuve apportés au cours du procès ne permettent pas de conclure

9 raisonnablement qu'une personne ou des personnes venues de l'extérieur

10 sont arrivées à Jaskici pour commettre les meurtres.

11 Et puis, nous disons deuxièmement que si l'on doit déterminer

12 que raisonnablement ces personnes faisaient partie d'un groupe plus large,

13 et bien, il s'agirait d'entreprise commune, d'entreprise criminelle

14 commune, à savoir le nettoyage ethnique auquel toutes ces personnes ont

15 participé.

16 M. le Président (interprétation). – Merci. Nous sommes prêts à

17 vous entendre sur le dernier motif.

18 Mme Hollis (interprétation). - Merci Monsieur le Président.

19 Le motif 5 de l'appel du Procureur est un des motifs Monsieur le

20 Président, dont vous vous rappellerez que nous l'avons déjà traité, il

21 s'agit du rejet de la requête du Procureur, demandant la divulgation des

22 déclarations préalables de témoins qui devaient être entendues au cours du

23 procès.

24 Ce motif d'appel ne répond pas aux exigences de l'article 25.

25 Nous ne sommes pas en train de dire que cette décision de la Chambre de

Page 442

1 première instance permet d'invalider le jugement. Nous n'avons aucune base

2 étayant un tel argument. Nous ne sommes pas en train de dire cela, mais

3 nous affirmons que cette décision a abouti à une erreur judiciaire.

4 Nous demandons à la Chambre d'appel de prendre en compte cette

5 question, car nous pensons que c'est une question qui est importante pour

6 tous les praticiens du droit qui travaillent dans ce Tribunal et pour

7 toutes les Chambres d'appel et de première instance de ce Tribunal.

8 Nous estimons que la défense ne peut pas recevoir l'ordre de

9 divulguer des déclarations préalables de témoins. Notre position consiste

10 à dire que ce serait un pouvoir erroné et que la Chambre de première

11 instance a le pouvoir d'ordonner une telle divulgation, mais que cet ordre

12 ne violerait aucune des dispositions statutaires ou des Règlements des

13 articles du Règlement applicable dans ce Tribunal, mais qu'agir de la

14 sorte contribuerait à remplir le mandat général de ce Tribunal, à savoir

15 que les personnes cherchant à établir les faits se servent d'éléments de

16 preuve totalement avérés et l'un des moyens d'avérer la nature des

17 éléments de preuve consiste à vérifier les déclarations préalables de

18 témoins qui peut-être sont contradictoires en les confrontant à d'autres

19 de façon à mettre en doute ces contradictions, contradictions qui peut-

20 être auront ou n'auront pas une influence, mais les personnes à la

21 recherche des faits auront pu bénéficier des contradictions contenues dans

22 ces déclarations préalables et déterminer leur véracité ou non-véracité.

23 Nous disons que la Chambre de première instance a fait erreur en

24 décidant que le privilège du secret pouvait s'appliquer, alors qu'il

25 n'existe pas dans ce Tribunal. Les Juges de ce Tribunal ont eu la

Page 443

1 possibilité de mettre en application des articles du Règlement relatif au

2 privilège du secret dans le cas où les Juges estiment que ceci est

3 nécessaire pour un procès équitable et une recherche équitable de la

4 justice.

5 Mais les Juges n'ont pas estimé nécessaire de se servir du

6 privilège du secret dans cette affaire. Nous disons que ce privilège ne

7 doit pas être introduit dans le Règlement du Tribunal ou dans la loi

8 applicable par le Tribunal.

9 Si nous examinons l'application de tels privilèges, nous pensons

10 qu'il faut le faire avec la plus grande précaution, car tout privilège

11 aboutit inévitablement à ce que des éléments de preuve hautement

12 pertinents risquent de ne pas être présentés à ceux qui sont en recherche

13 des faits, à ceux qui cherchent à établir des faits. Cela aboutit à

14 l'exclusion d'un certain nombre d'éléments de preuve pertinents ou de

15 résultats d'enquête pertinente.

16 La Chambre de première instance a adopté le point de vue selon

17 lequel le privilège du secret entre l'avocat et son client doit

18 s'appliquer de la façon la plus étroite et n'est pas allée au-delà du fait

19 que les déclarations fournies au conseil de la défense étaient couvertes

20 par le secret sans penser aux risques de voir certains témoins ne pas

21 témoigner dans cette affaire, il pouvait être dit que faire droit aux

22 demandes du Procureur en appel sur ce point, risque de diminuer le droit

23 de l'accusé à construire sa défense. Nous disons qu'après mûre réflexion,

24 aucun argument de ce genre ne tient, car lorsque cette disposition entrera

25 en vigueur, lorsque la défense aura choisi sa stratégie de défense, les

Page 444

1 éléments de preuve seront présentés et ces éléments de preuve ne doivent

2 pas être empêchés, être interdits d'examen par la partie adverse,

3 pourquoi ? Parce qu'aucun élément objectif ne doit être interdit à

4 l'examen de l'autre partie. Ce qui est intéressant dans la recherche des

5 faits, c'est d'étudier d'analyser les éléments de faits fiables, et ce,

6 dans le cadre de l'application de critères très stricts applicables à ces

7 éléments de preuve. Un élément de preuve lorsqu'il est testé consiste à

8 examiner des déclarations préalables qui peuvent comporter des

9 contradictions et vérifier si oui ou non ces contradictions tiennent

10 toujours au moment où on apprécie la crédibilité du témoin.

11 La Chambre de première instance, d'après nous, a fait également

12 erreur quand elle a décidé de ne pas aller au-delà de la jurisprudence et

13 de la pratique de la Common Law. En effet, cette Chambre de première

14 instance avait une possibilité unique à cette disposition. Elle applique

15 un droit qui est un droit fondé sur l'ensemble des systèmes judiciaires du

16 monde : le droit coutumier, le droit romain et d'autres éléments venus de

17 tous les droits applicables dans le monde.

18 Donc la possibilité offerte à la Chambre de première instance

19 était extraordinaire, mais l'ensemble de ces droits pour créer un droit

20 plus efficace est le Règlement, Règlement qui vous permet au mieux de

21 remplir le mandat qui vous a été conféré de façon à étudier la situation

22 liée à l'accusé et à rechercher la vérité.

23 Vous participez à un processus de recherche de la vérité,

24 d'ailleurs c'est le cas de tous les procès pénaux. Mais, ce que vous

25 pouvez faire c’est mêler l’ensemble des ressources judiciaires à votre

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1 disposition au mieux des intérêts de la justice. Et nous estimons que les

2 éléments de preuve apportés par la défense comme ceux apportés par le

3 Procureur doivent être examinés, analysés au plus près selon les

4 possibilités des personnes à la recherche de la vérité dans le but qui est

5 celui de ceux qui recherchent la vérité à savoir établir la vérité.

6 Maintenant, on pourrait discuter de savoir ce qu’est une

7 déclaration préalable. Ceci peut être réglé en se fondant sur les notes

8 prises par l'accusé par exemple. Le problème s'est posé également pour des

9 notes prises par les enquêteurs. C'est à la Chambre de première instance à

10 régler cette question.

11 Mais ce que nous disons, la conclusion à tirer c'est qu'il n'y a

12 pas de privilège ; le privilège qui a été appliqué par la Chambre de

13 première instance n'existe pas. Lorsqu'un accusé décide de présenter tel

14 ou tel élément de preuve, avant ou après le contre-interrogatoire, dans le

15 cadre de l'interrogatoire des témoins de la défense, le Procureur est en

16 droit de recevoir toute déclaration préalable faite par le témoin et qui

17 pourrait être en la possession des conseils de la défense.

18 Si la défense s'inquiète quant au fait que cela pourrait créer quelque

19 inhibition de la part des témoins à venir s'exprimer devant le Tribunal,

20 nous disons qu’il faut examiner la base de cette préoccupation. Si c’est

21 parce que le témoin craint que son récit ne soit pas véridique, c'est une

22 question que la Chambre de première instance doit examiner.

23 Si la défense craint que les informations divulguées par le

24 témoin ne doivent pas être présentées, alors les déclarations devraient

25 pouvoir être examinées par la Chambre de première instance à huis clos.

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1 Nous disons que cela ne présente aucune contradiction avec le Règlement ou

2 Statut du Tribunal et que la Chambre d'appel peut déterminer que la

3 Chambre de première instance a fait erreur, peut déterminer que la Chambre

4 d'appel avait le pouvoir d'ordonner la production de ces déclarations

5 préalables et aurait dû le faire dans les circonstances que je viens de

6 décrire.

7 Je n'ai pas d'autres commentaires à apporter au sujet de ce

8 motif de l'appel du Procureur, mais les Juges ont-ils des questions ?

9 M. le Président (interprétation). - Vous avez laissé entendre à

10 juste titre qu'il existe des systèmes judiciaires qui, dans la pratique,

11 correspondent à la position que vous venez d'exprimer, n'est-ce pas ?

12 C'est bien ce que vous avez dit ?

13 Mme Hollis (interprétation). – Oui. En effet.

14 M. le Président (interprétation). - Quels systèmes ? Des

15 systèmes de droit romain ?

16 Mme Hollis (interprétation). – Oui. Dans la pratique, c'est ce

17 qui existe en droit romain car les témoins font des déclarations à l'appui

18 de la défense et s’il y a des déclarations préalables, ces déclarations

19 préalables sont ouvertes aussi bien à l'une partie qu’à l'autre partie.

20 Donc, le Procureur peut avoir accès à des déclarations préalables

21 pertinentes pour la défense. Aux Etats-Unis, si vous me le permettez, le

22 système judiciaire d’où je viens, à savoir plus précisément le système du

23 droit militaire applicable aux Etats-Unis, je puis vous dire que depuis de

24 nombreuses années ce système de droit militaire prévoit une divulgation,

25 une communication de pièces importantes par le Procureur et la défense.

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1 Ces dernières années ces obligations de communication se sont étendues

2 pour inclure des obligations incombant à la défense au profit du Procureur

3 et qui portent sur les déclarations préalables des témoins ; le motif

4 invoqué a été que cela favorise la recherche de la vérité et que cela ne

5 viole pas les droits de l'accusé parce que lorsque l'accusé présente des

6 témoins, la personne à la recherche de la vérité est mieux informée et

7 peut mieux juger des éventuelles contradictions dans ces déclarations.

8 M. le Président (interprétation). - Mais, vous invitez la

9 Chambre d'appel à adopter une position consistant à déterminer que les

10 seuls privilèges disponibles à l'accusé sont les privilèges établis dans

11 le Statut ou le Règlement ?

12 Mme Hollis (interprétation). – Oui, c'est exact, Monsieur le

13 Président, à moins, bien entendu, que dans le Statut et le Règlement, les

14 dispositions existantes soient en contradiction manifeste avec les

15 principes bien établis et universellement acceptés du droit de l'accusé à

16 la défense. Par exemple, si le Statut stipulait que l'accusé doit

17 présenter des éléments de preuve pour prouver son innocence, nous ne

18 serions pas d'accord, mais nous ne prévoyons aucune mesure aussi extrême.

19 Nous disons qu'à part cette situation, oui, c'est bien ce que

20 nous proposons.

21 M. le Président (interprétation). - Comment est-ce que vous

22 réagiriez à un argument éventuel selon lequel le règlement étant

23 subordonné au Statut, l'impératif au coeur du Statut selon lequel l'accusé

24 doit bénéficier d'un procès équitable a la priorité sur le Règlement et

25 que, dans ces conditions, il est possible dans certains cas, bien que le

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1 Règlement ne le stipule pas, que la Chambre de première instance ait

2 compétence pour exclure certains éléments matériels en arguant du fait que

3 l'admission de ces éléments matériels pourrait être inéquitable eu égard à

4 l'accusé.

5 Mme Hollis (interprétation). - Je suis d'accord que le Statut a

6 préséance sur les Règlements et je suis d'accord que si une Chambre de

7 première instance devait établir qu'elle ne peut pas appliquer un article

8 du Règlement parce que cela priverait l'accusé d'un procès équitable, et

9 bien dans ce cas, c'est la disposition garantissant le procès équitable

10 qui doit avoir priorité. Mais, dans ce cas, il faut garantir et prouver

11 que le procès équitable est en danger.

12 Ce qui est intéressant, c'est que si l'on examine le Statut,

13 nous en avons d'ailleurs déjà parlé en détail plutôt ce matin et hier

14 également, l'article 21 du Statut traite, comme nous le savons, des droits

15 dont l'accusé bénéficie pendant le procès et si nous nous penchons sur le

16 point 4 de l'article 21, nous lisons : "Toute personne contre laquelle une

17 accusation est portée en vertu du présent Statut a droit en pleine égalité

18 au moins aux garanties suivantes -et là suivent un certain nombre de

19 garanties dont la garantie stipulée au point e qui est la suivante, je

20 cite : "à interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir

21 la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes

22 conditions que les témoins à charge". Mais l'une des conditions associées

23 aux témoins à charge, c'est qu'ils comparaissent dans les mêmes conditions

24 que les témoins à décharge, donc que les déclarations préalables soient

25 remises au Procureur, car il y a une obligation que le Procureur est

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1 contraint d'appliquer dans l'audition de ces témoins, c'est que s'il

2 existe des déclarations préalables, le Procureur doit communiquer ces

3 déclarations préalables.

4 M. le Président (interprétation). - Il doit communiquer les

5 déclarations préalables ?

6 Mme Hollis (interprétation). - Oui aux termes du Statut.

7 M. le Président (interprétation). - Egalement aux termes des

8 dispositions du Règlement.

9 Mme Hollis (interprétation). - Oui aux termes du Règlement

10 également, article 66 du Règlement. Il y a aussi l'article 68.

11 M. le Président (interprétation). - Y a-t-il une exigence

12 comparable pour la défense ?

13 Mme Hollis (interprétation). – Non, il n'y en a pas. Cela a été

14 discuté au cours du procès. Dans le Règlement en tout cas, cette

15 disposition n'existe pas. La défense n'est contrainte que de produire des

16 résumés de la teneur générale du témoignage du témoin.

17 M. le Président (interprétation). - Y a-t-il des questions ?

18 Non. Maître Hollis, nous vous remercions vous-mêmes et vos

19 collègues pour la présentation de vos arguments. Etes-vous arrivée au

20 terme de cette présentation ?

21 Mme Hollis (interprétation). – Oui, en effet Monsieur le

22 Président.

23 M. le Président (interprétation). - Selon notre calendrier

24 prévisionnel et notre horaire prévisionnel, nous devions entendre à

25 17 heures 30 les arguments de Maître Clegg, mais je crois que vous serez

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1 d'accord, Maître Clegg, avec les Juges, pour penser que cela pourrait se

2 faire demain matin.

3 M. Clegg (interprétation). – Oui, Monsieur le Président.

4 M. le Président (interprétation). - L'audience est suspendue

5 jusqu'à 10 heures demain matin.

6 L'audience est suspendue à 17 heures 20.

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