Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 17 février 2011

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 27.

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes dans le

  6   prétoire et à l'extérieur du prétoire. Je suis vraiment désolé pour ce

  7   retard. Nous avions des questions à débattre, enfin, nous avions des

  8   questions qu'il nous fallait régler.

  9   Alors, notre prochain témoin qui est appelé, je voudrais faire

 10   quelques commentaires au nom de la Chambre concernant l'audience d'hier

 11   pour le compte rendu d'audience.

 12   La Chambre souhaiterait faire un commentaire concernant la discussion

 13   qui a eu lieu hier soir. La Chambre est préoccupée quant à la position du

 14   bureau du Procureur. A la page 26, ligne 18 du compte rendu d'audience

 15   d'hier, l'Accusation a dit, je cite, que : "Il est absolument essentiel que

 16   le témoin soit en mesure de quitter ce soir."

 17   La Chambre était donc guidée par ceci au cours de la session. Et plus tard,

 18   après que le témoin ait quitté le prétoire, le bureau du Procureur a

 19   informé la Défense que le témoin était disponible aujourd'hui pour un

 20   contre-interrogatoire supplémentaire, et c'est une contradiction très

 21   sérieuse. La Chambre devrait s'appuyer sur l'information qui lui est donnée

 22   par le bureau du Procureur concernant la disponibilité des témoins en

 23   général.

 24   De plus, la Chambre souhaiterait insister sur le fait que

 25   conformément à l'article 20 du Statut, ce procès doit être un procès juste

 26   et équitable et qu'il faut absolument respecter les droits de l'accusé et

 27   faire attention également à la protection des témoins. La Chambre fera de

 28   son mieux pour s'assurer que tout ceci soit respecté et également, les


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  1   parties devraient tenir compte de ceci pour ce qui est des témoins au cours

  2   de cette procédure.

  3   Et la Chambre ne peut pas accepter la position du Procureur, à savoir

  4   que l'accusé doit montrer d'abord les questions qu'il souhaite poser au

  5   témoin. Et ceci, encore une fois, est tiré du compte rendu d'audience hier

  6   et, bien sûr, les Juges de cette Chambre, nous ne comprenons pas très bien

  7   ce à quoi faisait référence M. McCloskey hier, mais le message est très

  8   clair et nous l'avons au compte rendu d'audience. Donc, j'aimerais apporter

  9   ce dernier commentaire. La Chambre est d'avis qu'il n'est pas acceptable ou

 10   n'accepte plutôt pas l'attitude à laquelle le Procureur a adressé la

 11   Chambre après le commentaire du Juge Mindua. Même si M. McCloskey a offert

 12   ses excuses, la Chambre est préoccupée par cette façon. Il faut voir quelle

 13   mesure doit être prise pour nous assurer que ceci ne se passe pas de

 14   nouveau. J'espère que le message est clair et que le message est lancé au

 15   bureau du Procureur.

 16   Je vous écoute.

 17   M. VANDERPUYE : [interprétation] Merci, Monsieur le Procureur.

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Nous ne voulons pas débattre de cette

 19   question aujourd'hui.

 20   M. VANDERPUYE : [interprétation] Je comprends, Monsieur le Président, mais

 21   je voulais simplement ajouter pour le compte rendu d'audience, comme vous

 22   pouvez le voir, M. McCloskey n'est pas présent aujourd'hui. Il n'est donc

 23   pas en mesure de répondre à la Chambre de première instance. Je me suis

 24   toutefois entretenu avoir lui hier soir et je dois vous dire, en fait,

 25   qu'il a exprimé ses regrets. Il s'est excusé, certainement, de la façon

 26   dont il s'est adressé à l'Honorable Juge Mindua à la suite de ses

 27   commentaires. Il ne pouvait pas être ici aujourd'hui à cause d'une mission,

 28   qui à déjà été planifiée il y a bien longtemps avant les procédures d'hier,


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  1   et donc il est absent aujourd'hui pour ces raisons-là. Mais, je vais

  2   certainement me plier et respecter votre instruction à savoir de ne pas

  3   parler de cette question, de ne pas nous appesantir sur ce point, mais je

  4   voudrais absolument insister sur le fait que dans aucun cas l'Accusation

  5   n'essaierait pas de ne pas respecter la procédure. Ceci ne correspond pas

  6   au droit de l'accusé et ceci n'est pas conformément à la directive de ce

  7   Tribunal. Et je ne crois pas que M. McCloskey a essayé de dire ceci à la

  8   Chambre de première instance et je ne crois pas que l'Accusation et son

  9   comportement ait pu faire preuve de ceci. Donc, je voulais simplement

 10   m'assurer que ceci ne soit mentionné.

 11   Je crois que le Juge Nyambe voudrait dire quelque chose.

 12   M. LE JUGE MINDUA :

 13   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Nous

 14   pouvons certainement comprendre vos commentaires, donc nous vous avons

 15   écouté, Monsieur Vanderpuye, nous apprécions votre intervention, mais eu

 16   égard au fait que vous n'étiez pas présent hier lorsque ceci a eu lieu, je

 17   ne crois pas que vous puissiez être en mesure de nous dire ce que M.

 18   McCloskey voulait dire ou ne voulait pas dire. Nous avons vu son

 19   comportement, nous étions là hier. Donc, j'apprécie et nous apprécions

 20   votre intervention d'un point de vue d'esprit d'équipe, je vous remercie.

 21   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Voici la position de la Chambre.

 22   M. VANDERPUYE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président,

 23   Madame, Messieurs les Juges. Je me suis entretenu avec M. McCloskey, je

 24   voulais simplement vous le dire, et ceci après la fin de la session d'hier,

 25   et j'ai également lu le compte rendu d'audience et donc, je vous ai parlé

 26   d'un point de vue de ce que j'ai cru comprendre de ce qui s'était passé.

 27   Mais il est tout à fait certain que je n'étais pas ici, et donc je ne peux

 28   pas voir quels étaient vos impressions.


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  1   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Vanderpuye, arrêtons-nous

  2   ici. Je ne veux pas utiliser d'autre temps de la Chambre, donc il faudrait

  3   faire entrer le prochain témoin.

  4   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Bonjour, Madame Ibrahimefendic, je

  6   vous souhaite la bienvenue au Tribunal. Veuillez, je vous prie, lire la

  7   déclaration solennelle qui vous est remise.

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

  9   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 10   LE TÉMOIN : TEUFIKA IBRAHIMEFENDIC [Assermentée]

 11   [Le témoin répond par l'interprète]

 12   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie, veuillez vous

 13   asseoir.

 14   Je voudrais d'abord m'excuser auprès de vous pour ce retard. Nous devions

 15   nous occuper d'une autre question. Mme Hasan vous posera des questions au

 16   nom du bureau du Procureur.

 17   Madame Hasan, je vous écoute.

 18   Mme HASAN : [interprétation] Bonjour Monsieur le Président, Madame,

 19   Messieurs les Juges. Je souhaite également bien le bonjour à toutes les

 20   personnes présentes dans ce prétoire et à l'extérieur du prétoire.

 21   Interrogatoire principal par Mme Hasan :

 22   Q.  [interprétation] Bonjour, Madame le Témoin.

 23   R.  Bonjour.

 24   Q.  Avant que je ne vous pose mes premières questions, veuillez je vous

 25   prie décliner votre identité pour le compte rendu d'audience.

 26   R.  Je suis Teufika Ibrahimefendic. Je suis psychothérapeute du centre

 27   chargé de la thérapie et de la réhabilitation des femmes Vive Zene Tuzla.

 28   Q.  Madame Ibrahimefendic, avez-vous eu l'occasion de réécouter votre


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  1   déposition que vous avez faites dans l'affaire Krstic ?

  2   R.  C'était avant-hier, j'ai réécouté mon témoignage, le témoignage que

  3   j'ai donné en l'an 2000 dans l'affaire Krstic.

  4   Q.  Lorsque vous avez déposé dans l'affaire Krstic, est-ce que vous avez

  5   déposé de façon véridique et précise ?

  6   R.  Etant donné que ce témoignage a eu lieu il y a dix ans et demi, le

  7   témoignage reflétait la situation à l'époque, à savoir que cette déposition

  8   reflétait l'état des personnes traumatisées à l'époque, les personnes ayant

  9   subi un traumatisme, et j'ai également parlé de leur douleur et du travail

 10   que je faisais avec ces personnes à ce moment-là. Ce que j'ai pu dire, ce

 11   que j'ai dit ici devant le Tribunal, j'ai raconté, en fait, mes expériences

 12   dans le cadre de mon travail.

 13   Q.  Donc, dans ce cadre-ci dans le cadre de votre travail, vos expériences,

 14   votre connaissance à l'époque, est-ce que les réponses que vous avez

 15   données étaient précises et véridiques ?

 16   R.  Bien sûr que oui, elles sont précises et véridiques. Mais, d'un point

 17   de vue du traumatisme, au cours de ces dix dernières années, je peux dire

 18   que je peux ajouter aux symptômes déjà démontrés à l'époque, je peux

 19   ajouter à cette souffrance et tous ces états, d'autres éléments, alors

 20   souffrance, je peux décrire également leurs besoins individuels et leur

 21   chagrin individuel. Je peux également décrire la dimension sociale de ce

 22   traumatisme, et je pourrais vous décrire le contexte dans lequel elles

 23   vivent et nous vivons tous, puisque j'habite là-bas, moi aussi.

 24   Q.  D'accord. Je vais maintenant vous poser un certain nombre de questions

 25   concernant, justement, ceci.

 26   Mme HASAN : [interprétation] Mais à cette étape-ci, Monsieur le Président,

 27   si je puis demander le versement au dossier le compte rendu d'audience de

 28   Mme Ibrahimefendic, de son témoignage dans l'affaire Krstic, il s'agit de


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  1   la pièce 65 ter 1574, au compte rendu d'audience.

  2   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Très bien, alors ces pièces seront

  3   versées.

  4   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce recevra la cote P1817. Merci.

  5   Mme HASAN : [interprétation] Avec votre permission, Monsieur le Président,

  6   je voudrais lire un résumé de ce témoignage.

  7   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Très bien, faites.

  8   Mme HASAN : [interprétation] Mme Teufika Ibrahimefendic est une femme

  9   musulmane de Bosnie née en 1948. Elle est psychothérapeute qui a suivi des

 10   études en matières médicales et de travail social. Elle a fait des études

 11   en psychologie et en pédagogie à l'Université de Sarajevo. Mme

 12   Ibrahimefendic a par la suite étudié les traumatismes de guerre et a étudié

 13   la thérapie psychosociale pour donner l'assistance aux femmes et aux

 14   enfants traumatisés.

 15   Après avoir travaillé en tant qu'infirmière pédiatrique et travailleur

 16   social à l'hôpital Tuzla, Mme Ibrahimefendic a pris la position de

 17   coordonnateur de l'organisation Vive Zene, qui est une organisation

 18   multidisciplinaire qui s'occupe du traitement des femmes qui ont été

 19   victimes de la guerre.

 20   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Veuillez ralentir votre débit.

 21   Mme HASAN : [interprétation] En plus de coordonner le programme Vive Zene,

 22   Mme Ibrahimefendic a assisté les femmes et les enfants, elle a prodigué les

 23   soins aux femmes et aux enfants qui étaient des victimes des événements de

 24   1995 à Potocari alors qu'il y a eu la séparation des femmes et des enfants,

 25   des hommes et des enfants.

 26   Les femmes auxquelles elle a prodigué des soins ont démontré un niveau de

 27   traumatisme exceptionnellement élevé. A l'époque de son témoignage dans

 28   l'affaire Krstic en l'an 2000, Mme Ibrahimefendic a dit que les femmes et


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  1   les enfants de Srebrenica étaient encore en train de souffrir de ce

  2   traumatisme, de sentir les effets du traumatisme, et ceci se manifestait en

  3   des souvenirs vifs, cauchemars, irritabilité, crainte, nervosité,

  4   agressivité, perte de concentration, déni de la réalité, et dans quelques

  5   cas, ces femmes souffrent également de dépression, d'apathie, de passivité,

  6   ainsi que de douleur, d'une perte de motivation et du désir de vivre.

  7   Elle a traité également d'autres victimes ayant vécu des

  8   traumatismes, et Mme Ibrahimefendic vous a expliqué que les traumatismes

  9   vécus par les femmes de Srebrenica étaient uniques. Le syndrome de

 10   Srebrenica, le nom que l'on attribue à leur traumatisme, est une

 11   conséquence de la disparition des hommes de leurs familles, tels les pères,

 12   fils, frères, maris ou oncles. Ne sachant pas la vérité, à savoir ce qui

 13   s'est passé avec eux, il est très difficile pour ces femmes, parce qu'il

 14   faut chercher l'explication quant à ce qui s'est passé, et ceci les rend

 15   particulièrement fatiguées. Ne sachant pas ce qui s'est passé avec eux,

 16   elles souffrent de sentiment de culpabilité.

 17   Les enfants de Srebrenica, qui ont également pu voir la séparation de

 18   leurs frères et de leurs pères, ont également été particulièrement

 19   traumatisés. En plus de tous ces symptômes, Mme Ibrahimefendic a pu

 20   observer également que l'absence de modèles masculins dans leur vie leur a

 21   enlevé un sens d'identité.

 22   Les événements de Srebrenica ont eu un impact très présent sur la vie

 23   sociale des femmes et des enfants ayant survécu à Srebrenica. Mme

 24   Ibrahimefendic a parlé sur les difficultés que les femmes et les enfants

 25   rencontrent lorsqu'ils essaient d'établir des liens dans le cadre de la

 26   communauté ou de la famille. La culpabilité que les femmes de Srebrenica

 27   ressentent les empêche de déclarer la mort de leurs maris; en fait, c'est

 28   une déclaration qui est un prérequis pour pouvoir se remarier. Les


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  1   difficultés qu'elles ont à rétablir les liens et se remarier se font voir

  2   encore plus puisqu'il n'y a pas suffisamment d'hommes dans cette région.

  3   Mme Ibrahimefendic a également dit qu'il y a également un changement très

  4   important quant au rôle de ces femmes après les événements de 1995.

  5   Les victimes qui ont poursuivi une thérapie montrent quand même une

  6   amélioration dans leur état. Toutefois, Mme Ibrahimefendic a dit que leur

  7   condition oscille et qu'il y a certaines régressions dans certains cas qui

  8   sont également présentes. Même si on peut être optimiste, Mme

  9   Ibrahimefendic anticipait que les enfants de Srebrenica vont probablement

 10   continuer de faire face aux problèmes de développement. Elle a dit que la

 11   route vers la guérison pour ces femmes et ses enfants qui ont reçu le

 12   traitement, donc que la route est longue. Et dans quelques cas, malgré la

 13   thérapie, il est très difficile de se remettre. Elle a également fait

 14   remarquer qu'il y avait des femmes et des enfants qui n'ont pas reçu de

 15   thérapie du tout et certains qui n'ont pas voulu d'aide non plus.

 16   Lorsque l'honorable Juge Rodrigues dans l'affaire Krstic lui a posé

 17   la question, à savoir combien de générations il faudra pour que la vie

 18   normale reprenne pour ces victimes, Mme Ibrahimefendic n'a pas pu donner de

 19   réponse.

 20   Q.  Madame Ibrahimefendic, depuis votre dernière déposition en 2000,

 21   pourriez-vous nous dire brièvement quel type de travail est-ce que vous

 22   avez fait ?

 23   R.  Au cours des dix dernières années, l'organisation Vive Zene est devenue

 24   une organisation plus professionnelle et elle a commencé à travailler non

 25   pas seulement sur les blessures individuelles, sur les femmes et les

 26   patients de façon individuelle, mais on s'occupe également des personnes au

 27   niveau de la communauté, au niveau des groupes et au niveau des familles.

 28   Mais nous travaillons également sur l'éducation à l'intérieur de la


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  1   communauté, car il y a eu destruction sociale au niveau de la communauté,

  2   et les traumatismes en soi séparent les gens. De sorte qu'il y a, en fait,

  3   une équipe multidisciplinaire qui s'occupe des femmes dans le cadre de

  4   l'organisation Vive Zene, et nous avons essayé d'établir un programme

  5   spécial pour que ces femmes puissent se rétablir de leur traumatisme au

  6   niveau du travail, non pas seulement pour ce qui est de l'individu, mais au

  7   niveau de la communauté.

  8   Personnellement, je peux vous dire que j'ai assisté à un très grand nombre

  9   de conférences, de réunions, j'ai suivi des cours, et j'ai discuté

 10   également avec un très grand nombre de spécialistes qui s'occupent des

 11   traumatismes. Et je dois vous dire que surtout au cours de ces dix

 12   dernières années, dix ans et demi, si vous voulez, dans le monde on a un

 13   autre regard sur les personnes traumatisées, car au cours des dernières

 14   guerres, il y a eu un très grand nombre de civils ayant péri, donc leur

 15   douleur n'a pas pu être marginalisée. Cette douleur n'est plus une douleur

 16   secondaire.

 17   Mais au niveau international, cette douleur est devenue très

 18   importante pour qu'une communauté ayant subi la guerre puisse se rétablir

 19   et se remettre sur pied. Je voudrais également ajouter que la science a

 20   particulièrement bien avancé pour ce qui est de l'observation des personnes

 21   victimes de traumatisme. Je peux vous dire que de nouveaux diagnostics sont

 22   maintenant faits. On ne parle plus seulement du syndrome post-traumatique,

 23   puisque c'était lié aux personnes traumatisées, des personnes traumatisées

 24   qui ont vécu la guerre, donc le syndrome post-traumatique n'est plus

 25   seulement un traumatisme de guerre, mais on a commencé à se pencher sur le

 26   traumatisme comme processus. Le regard que la communauté scientifique a

 27   maintenant sur les traumatismes est un processus qui est un processus

 28   continu. A savoir que même si la guerre s'est arrêtée, même si elle est


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  1   finie, le traumatisme se poursuit chez certaines personnes, le traumatisme

  2   continue à se développer.

  3   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Madame Ibrahimefendic.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Madame, je comprends que vous avez

  6   beaucoup à nous dire sur le développement de cette science, mais je dois

  7   vous dire que Mme Hasan vous a posé une question très précise. Et la

  8   Chambre vous serait grée si vous pourriez répondre à cette question.

  9   Alors, la question était : pourriez-vous brièvement nous raconter quel type

 10   de travail est-ce que vous avez fait ? Quel était le travail sur lequel

 11   vous vous êtes penchée au cours des dix dernières années ? Alors, ceci

 12   serait fort utile. Pourriez-vous vous concentrer seulement sur cette

 13   question.

 14   Mme HASAN : [interprétation] Je pourrais, si vous le souhaitez, Monsieur le

 15   Président, reformuler ma question.

 16   Q.  A savoir, Madame, est-ce que vous avez encore le poste de coordonnateur

 17   du programme Vive Zene depuis l'an 2000 ?

 18   R.  Oui, je suis encore la coordinatrice de tout ce programme social. Je

 19   travaille encore avec les clients, je travaille encore avec les personnes

 20   dont les membres de la famille sont portés disparus, des femmes qui ont

 21   subi le viol ou des personnes qui ont fait l'objet de torture. Je suis

 22   membre d'une équipe multidisciplinaire au sein du programme Vive Zene. Mais

 23   entre-temps, je me suis spécialisée, j'ai suivi des cours de spécialisation

 24   dans le domaine du traumatisme. Depuis les dix dernières années, je suis

 25   devenue également enseignante pour d'autres professionnels en Bosnie-

 26   Herzégovine. Je travaille également sur des programmes d'éducation aux

 27   victimes et j'enseigne également aux professionnels. Je travaille également

 28   avec les enquêteurs de la police, qui doivent prendre des déclarations des


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  1   victimes qui pourraient devenir de témoins potentiels, car l'OSCE, une

  2   organisation en Bosnie-Herzégovine, a demandé à notre organisation, et je

  3   suis la coordinatrice de ce programme, d'éduquer les procureurs, les

  4   enquêteurs et de travailler auprès des victimes potentielles afin de

  5   motiver les personnes pour que ces dernières deviennent témoigner.

  6   Donc je n'ai pas seulement travaillé au niveau de la Fédération, mais

  7   également dans la Republika Srpska. J'ai également travaillé au sein de

  8   l'accusation de Bijeljina, "Brcko district", également avec les victimes,

  9   avec les enquêteurs, et je dois vous dire que mon but personnel était de

 10   les éduquer sur le traumatisme afin que ces personnes puissent savoir ce

 11   que représente réellement un traumatisme, ce que cette douleur représente

 12   et de quelle façon est-ce qu'on peut travailler avec les personnes ayant

 13   souffert d'un traumatisme.

 14   Voilà, c'est un résumé assez court du travail que j'ai fait au cours des

 15   dernières années.

 16   Q.  Bien. Merci. Au cours de votre travail, avez-vous prodigué des soins

 17   aux femmes et aux enfants qui ont été victimes de guerre ou qui ont été

 18   affectés d'une certaine façon par la guerre pour ce qui est de l'ensemble

 19   de la Bosnie-Herzégovine ?

 20   R.  Oui, bien sûr. J'ai travaillé avec des femmes et des enfants, et j'ai

 21   aussi travaillé avec des hommes, ces personnes venaient de l'ensemble de la

 22   Bosnie-Herzégovine, et toutes ces personnes avaient des traumatismes

 23   différents, puisque ces personnes vivaient dans différentes parties de

 24   Bosnie-Herzégovine.

 25   Q.  Est-ce que vous avez poursuivi de prodiguer des soins aux femmes et aux

 26   enfants de Srebrenica, les femmes et les enfants bosniens de Srebrenica ?

 27   R.  Pour ce qui est des femmes de Srebrenica, elles étaient nos clients

 28   depuis 1994, donc déjà avant la chute de Srebrenica. Nous nous occupions


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  1   d'un groupe de femmes qui séjournaient dans notre centre social. Elles

  2   étaient hébergées là alors que leurs maris se trouvaient à Srebrenica, et

  3   j'ai été témoin de leur espoir, de l'espoir, comme elles le disaient, que

  4   Srebrenica ne tombe pas. Moi aussi, j'ai travaillé avec ces personnes, j'ai

  5   eu des interventions de crise, si vous voulez, parce que ces femmes, très

  6   souvent, étaient en panique, elles avaient peur. Par exemple, lorsque le

  7   reste de leurs familles avait été transféré à Tuzla ou lorsque des membres

  8   de leurs familles se trouvaient à l'aéroport de Tuzla, des membres de notre

  9   équipe les ont transportées jusqu'à l'aéroport afin qu'elles puissent

 10   rencontrer les membres de leurs familles, et nous les avons suivies. Nous

 11   avons donc donné un suivi à ces personnes pour savoir si elles ont réussi à

 12   retrouver leurs maris, leurs pères, leurs frères, et cetera.

 13   Donc nous suivons le processus. Nous les suivons dans leur démarche

 14   et dans cette démarche de rétablissement.

 15   Q.  Je voudrais maintenant me concentrer justement sur ces femmes et sur

 16   les enfants de Srebrenica. Je vais vous poser une question, mais avant

 17   cela, je voudrais d'abord vous demander si vous vous rappelez d'avoir

 18   déposé dans l'affaire Krstic de la souffrance de ces femmes concernant les

 19   événements de juillet 1995, et je parle particulièrement de la souffrance

 20   et des événements qui ont fait en sorte que ces femmes et ces enfants aient

 21   souffert de façon différente, ont eu d'autres souffrances ? Leur souffrance

 22   était particulière, et il s'agissait plutôt de ce traumatisme que l'on

 23   appelle le traumatisme de Srebrenica.

 24   R.  Oui, bien sûr que je m'en souviens. Même aujourd'hui, 15 ans, 16 ans

 25   plus tard, les femmes parlent encore de Potocari. Les femmes parlent encore

 26   des instants lorsqu'elles ont dû se séparer de leurs maris. Elles parlent

 27   des moments où elles étaient détenues à Potocari, lorsqu'elles sont parties

 28   vers Tuzla. Donc, dans le cadre de leur vie quotidienne, elles se


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  1   souviennent constamment de tous ces éléments, puisqu'on exhume encore des

  2   fosses communes, on procède encore à l'identification des victimes. Elles

  3   sont encore dans un processus de stress puisqu'elles n'ont pas encore

  4   entamé le processus de deuil. Elles recherchent encore leurs personnes

  5   chères disparues. Les femmes à Tuzla manifestent tous les 11 de chaque

  6   mois. Elles manifestent. J'appellerais ça une manifestation. De toute

  7   façon, elles sont là, elles attirent l'attention sur elles aux hommes

  8   politiques et aux autres personnes et toutes les personnes qui ont déjà

  9   oublié leur souffrance, leur douleur et la disparition de leurs êtres

 10   chers. Elles mentionnent que les victimes ne peuvent pas être oubliées.

 11   Donc les images de Potocari sont encore actuelles, elles sont encore

 12   présentes dans la vie quotidienne de ces femmes.

 13   Q.  Merci. Cette Chambre de première instance a entendu des éléments de

 14   preuve selon lesquels on a pu constater que certaines personnes avaient été

 15   exhumées et, grâce à l'ADN, on a pu identifier des corps ou des parties de

 16   corps. J'aimerais savoir si vous pouvez nous dire si vous êtes au courant

 17   de ce processus d'identification ?

 18   R.  Ce processus d'identification est toujours un processus public. Tout ce

 19   qui se passe est toujours publié dans les médias, bien sûr. On dit où les

 20   fosses ont été trouvées, où les endroits d'exhumation ont été trouvés, qui

 21   a été identifié, combien de personnes, et cetera. Donc, d'une part, c'est

 22   ce que j'entends. Mais nous participons à un très grand nombre de

 23   conférences où l'on parle des souffrances des personnes. Il y a très

 24   souvent des organisations internationales, mais il y a également des

 25   organisations nationales qui organisent des conférences, des conseils,

 26   justement, sur ce sujet, on parle des résultats, on discute des éléments,

 27   des événements. Donc je suis toujours, bien sûr, toujours au courant,

 28   justement, de ce processus d'identification et d'exhumation.


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  1   Dans ces moments très difficiles, un très grand nombre de nos

  2   clientes, qui sont nos clientes depuis 15 ans, nous demandent de l'aide. Et

  3   des fois, elles nous demandent même de les accompagner lorsqu'elles vont

  4   quelque part pour identifier ces personnes ou lorsqu'elles doivent

  5   identifier des objets qui ont été trouvés, parce qu'elles ont peur, bien

  6   sûr, de faire face à tout ceci. Elles ne savent pas si elles vont pouvoir

  7   tenir bon. Donc c'est la raison pour laquelle, très souvent, elles

  8   demandent une assistance, soit d'un médecin ou d'une travailleuse sociale

  9   ou d'une psychologue, de les accompagner afin que ces dernières puissent

 10   faire face aux ossements et aux restes humains, puisque c'est, en fait,

 11   d'une certaine façon, un moment final où l'on se rend compte de la

 12   situation.

 13   Et justement, je me souviens d'avoir vu un film dans lequel une femme

 14   qui découvre les ossements de son fils dit : Je crois à la science, mais je

 15   ne crois pas à mes propres yeux, en examinant les ossements qui étaient

 16   éparpillés sur un papier journal sur lequel ces ossements étaient placés.

 17   Donc, vous savez, ce sont des événements particulièrement stressants. Ce

 18   sont des moments qui font revivre toutes les émotions, et les personnes

 19   deviennent agitées, bien sûr. Il est très difficile pour ces personnes de

 20   surmonter tout ceci, de faire face à tout ceci, et c'est la raison pour

 21   laquelle notre équipe est toujours présente.

 22   Q.  A en juger par les observations auxquelles vous vous êtes livrée et aux

 23   traitements que vous avez prodigués aux femmes et aux enfants de

 24   Srebrenica, une fois que la mort de leurs parents a été confirmée, les

 25   femmes ont-elles été à même de faire face à cette réalité au fait de leur

 26   décès ? Leurs vies quotidiennes ont-elles pu reprendre leur cours normal ?

 27   R.  Avec les situations normales, lorsqu'on perd un être cher, il faut

 28   passer par une période de deuil. Et cette période de deuil comprend un


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  1   certain nombre d'étapes nécessaires. La période commence par le choc et

  2   l'impossibilité de croire ce qui s'est produit. Elle est suivie par une

  3   autre étape où on commence progressivement à accepter la perte qu'on a

  4   subie. Et après une période donnée, la personne se remet à fonctionner

  5   normalement. Toutefois, lorsque la perte survient dans des circonstances

  6   traumatiques, ce processus est beaucoup plus complexe. Ceci vaut surtout

  7   pour les personnes portées disparues au sujet desquelles on ne sait rien,

  8   et la question qui se pose est de savoir dans quelles circonstances ces

  9   personnes ont trouvé la mort, ont-elles été assassinées, fusillées, ont-

 10   elles subi des sévices, ont-elles été violées, ont-elles souffert la famine

 11   ou la faim.

 12   Donc, on ne peut commencer de faire face à la réalité qu'au moment où

 13   les restes de ces personnes ont été retrouvés. Ce n'est qu'à ce moment-là

 14   que la période de deuil peut être entamée. Et chaque fois qu'on procède à

 15   une identification de personnes portées disparues, chaque fois il faut

 16   absolument mettre en œuvre et respecter un certain nombre de procédures

 17   pour communiquer cette information à la famille. Le jour de l'enterrement

 18   est fixé et alors, les personnes affectées, en fait, repassent tout le

 19   processus dès le début, comme si seulement elles venaient d'apprendre que

 20   leurs êtres chers venaient de trouver la mort. Et il y a toute une

 21   réflexion qui s'ensuit, d'une part on accepte le fait que les ossements ont

 22   été retrouvés, on accepte la réalité de la mort de l'être cher, mais

 23   d'autre part, on continue à espérer que tout ceci n'est pas la vérité, et

 24   les ossements sont accueillis comme s'il s'agissait à la fois de quelque

 25   chose de sacré et d'effrayant. Les ossements ont cet aspect sacré parce

 26   qu'ils appartiennent à leurs êtres chers, mais en même temps, le fait

 27   qu'ils aient été retrouvés a quelque chose d'effrayant puisque cela veut

 28   dire qu'il n'y a plus d'espoir, qu'il n'y a plus rien à attendre, que la


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  1   mort est définitive.

  2   Si bien que les femmes peuvent se dire : D'une façon, c'est bien,

  3   maintenant au moins je sais où ses restes seront enterrés, je pourrai me

  4   rendre à sa tombe, je pourrai organiser tous les rites qu'on organise

  5   normalement lorsqu'une personne est décédée; et puis, une fois qu'on fait

  6   l'enterrement, on procède à des rites, de façon générale, plus souvent des

  7   rites religieux.

  8   Et tout ceci permet de faire face à la mort, et ce n'est qu'alors que

  9   le processus de deuil commence, mais c'est un processus fort complexe qui

 10   ne se déroule pas très simplement. De nombreuses femmes portent en elles ce

 11   qu'on désigne par le terme de double psychologique, elles ne parviennent

 12   pas à laisser partir l'être cher qu'elles ont perdu. Elles rêvent de cet

 13   être cher. Elles gardent les effets personnels qui lui appartenaient et qui

 14   les relient à ces personnes disparues. Il peut s'agir de photographies ou

 15   d'effets personnels, ou même les enfants peuvent devenir un objet, en

 16   quelque sorte, qui assure le lien avec l'être perdu, notamment s'il s'agit

 17   de l'enfant d'un mari ou d'un frère décédé. Donc, tout ce processus de

 18   deuil ne se déroule pas en fonction des étapes qu'on rencontre normalement

 19   dans la vie quotidienne lorsque nous devons faire face à la perte d'un être

 20   cher.

 21   Q.  Et qu'en est-il de l'impact psychologique de tout ceci sur les femmes ?

 22   Vous avez déjà déposé sur les symptômes qu'on pouvait relever chez ces

 23   femmes et ces enfants, dont, par exemple, des cauchemars, le sentiment

 24   d'irritabilité, la dépression, et cetera. Alors, ces symptômes sont-ils

 25   toujours présents auprès des femmes et des enfants avec qui vous travaillez

 26   ?

 27   R.  Les symptômes qui se manifestent tout au début, c'est surtout le fait

 28   de revivre tout ce qui s'est passé dans le passé. Donc, on fait des


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  1   cauchemars au cours desquels on revit tous les événements traumatiques.

  2   Mais il peut arriver aussi qu'on souffre s'insomnie ou d'un sentiment

  3   d'irritabilité, ou de rage vis-à-vis des autres. Et même après de

  4   nombreuses années, il peut rester impossible, pour les professionnels aussi

  5   bien que pour les victimes, d'établir un lien entre les symptômes qui se

  6   présentent et les événements traumatiques subis il y a plusieurs années.

  7   Aujourd'hui, par exemple, les femmes restent dans l'isolement. Elles sont

  8   beaucoup plus solitaires. La société les dérange. Elles n'aiment pas sortir

  9   en compagnie. Elles ne font pas confiance en elles-mêmes. Elles ne se font

 10   pas confiance pour fonctionner dans la vie de tous les jours, mais elles se

 11   méfient également des autres. Elles ont le sentiment que personne d'autre

 12   ne comprend ce qu'elles ont dû vivre, qu'elles ont été abandonnées par tout

 13   le monde. Donc, elles souffrent d'un sentiment d'isolement général.

 14   Parfois, elles se sentent complètement vidées de tout sentiment. Elles ont

 15   l'impression de ne pas pouvoir ressentir de l'amour, de la joie ou de la

 16   tristesse non plus.

 17   D'autres, en revanche, sont hypersensibles, alors qu'il y en a qui

 18   son hyposensibles. La plupart de celles qui font preuve d'hypersensibilité

 19   souffrent également d'affections somatiques telles que, par exemple, la

 20   haute tension artérielle, donc elles vont souvent voir le médecin, et le

 21   personnel médical, les assistants sociaux, ne sont parfois pas sensibles à

 22   leurs affections particulières et les traitent en simples malades. Mais

 23   parfois, il suffit de leur poser la question de savoir d'où elles viennent,

 24   ce qu'elles ont vécu, pour comprendre qu'une simple conversation peut avoir

 25   plus d'effet que toute une foule de médicaments qui leur sont administrés.

 26   Et par ailleurs, il y a un grand nombre de femmes qui se sentent

 27   apathiques ou dépressives. Ce n'est pas qu'elles ressentent un sentiment de

 28   tristesse, parce que la tristesse ne peut pas être soignée par des


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  1   médicaments. Plutôt, il faut chercher le remède dans la rencontre avec les

  2   autres. Alors, souvent, il s'agit des femmes qui ont des enfants. Ces

  3   enfants, maintenant, sont déjà grands. Il s'agit des adolescents. La

  4   culture dans laquelle ils sont immergés dicte qu'on ne parle pas des

  5   personnes disparues. Donc, un grand nombre d'enfants ne savent pas grand-

  6   chose sur leurs pères. Ces enfants ne savent pas où leurs pères ont été

  7   portés disparus et dans quelles circonstances.

  8   Il y a trois jours, il y a une femme qui est venue me voir. Sa fille

  9   venait de se marier. Elle avait 16 ans et demi. Mais au moment où elle

 10   était venue de Srebrenica, elle avait dix mois et demi, donc la fille était

 11   un bébé, et elle n'avait absolument aucun objet qui la relierait à son

 12   père. Elle n'avait même pas une photographie. Or, la mère, à cause de la

 13   souffrance qu'elle ressentait elle-même, n'a jamais pu réunir la force

 14   nécessaire pour lui parler de son père, pour lui raconter les circonstances

 15   dans lesquelles il a trouvé la mort, et c'est pourquoi cette jeune fille

 16   est partie toute seule, dans le village de Srebrenica, elle s'est rendue

 17   dans les bureaux de la municipalité et elle a apporté la carte d'identité

 18   de son père, et elle a demandé aux autorités municipales de lui montrer sa

 19   photo. Et après avoir vu cette photo, elle s'est fâchée contre sa mère et

 20   elle a quitté sa maison maternelle. Elle a dit à sa mère : Tout compte

 21   davantage à tes yeux que moi.

 22   Donc, les problèmes auxquels nous faisons face en ce moment sont très

 23   souvent des problèmes qui sont reliés aux enfants, parce que les enfants

 24   sont devenus rationnels sans avoir absorbé sur le plan émotionnel la perte

 25   qu'ils ont subie. Donc, les émotions qu'ils ont ressenties alors qu'ils

 26   étaient en bas âge, ils n'ont pas pu les traiter de façon rationnelle et

 27   raisonnable et faire face ainsi à la perte de leur père.

 28   Q.  Madame Ibrahimefendic, vous avez parlé quelque peu des problèmes qui


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  1   existent au niveau des relations au centre de la famille. Alors, j'aimerais

  2   que vous nous disiez quelques mots également sur les problèmes qui existent

  3   dans les relations mutuelles au niveau de la communauté. J'aimerais que

  4   vous partagiez avec nous vos observations et ce que vous avez tiré de vos

  5   interactions avec ces femmes et ces enfants. Donc, il s'agit de parler

  6   maintenant seulement de la période qui va de l'année 2000

  7   jusqu'aujourd'hui, parce que la déposition que vous avez faite dans

  8   l'affaire Krstic témoigne suffisamment de ce qui s'était passé auparavant.

  9   R.  Donc, si j'ai bien compris votre question, on me demandait quelles sont

 10   les modifications que nous avons vues apparaître au niveau de la société

 11   tout entière ?

 12   Q.  Tout à fait. Les événements qui se sont produits au mois de juillet

 13   1995, quels impacts ont-ils eu sur les liens que ces femmes et ces enfants

 14   établissent au niveau de la communauté ?

 15   R.  La disparition d'un nombre de personnes aussi important dans un délai

 16   de deux ou trois jours a un impact immense sur la communauté tout entière,

 17   bien évidemment. Il faut savoir que toutes ces femmes qui ont survécu ont

 18   été accueillies dans la ville de Tuzla. Evidemment, par la suite, il

 19   arrivait qu'elles décident de déménager dans une autre ville ou même dans

 20   un autre pays, en dehors de la Bosnie-Herzégovine. Donc, la destruction n'a

 21   pas touché uniquement des vies individuelles et personnelles, mais la

 22   société tout entière a été dévastée, tant sur le plan social que sur le

 23   plan politique, financier, juridique. La société n'était pas capable de

 24   faire face à tous les malheurs qui l'avaient frappée. Donc, par conséquent,

 25   la société n'a pas su fournir l'assistance et le soutien nécessaire à

 26   l'époque où ces événements traumatisants se sont déroulés.

 27   De nombreuses familles de Srebrenica, de nombreux survivants ont

 28   commencé à contempler la possibilité d'immigrer vers un autre pays. Un


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  1   grand nombre de clientes que nous avons soignées en 1995 et 1996 ont quitté

  2   le territoire de la Bosnie-Herzégovine et habitent aujourd'hui à travers le

  3   monde tout entier. Celles qui ont décidé de rester ont préféré de ne pas

  4   revenir à Srebrenica. Les événements qui se sont déroulés étaient de nature

  5   extrême et extrêmement traumatisante. Ils sortaient complètement du cadre

  6   de la vie quotidienne et des expériences qu'elle comporte. C'est pourquoi

  7   ces femmes n'osaient plus revenir chez elles. Elles ressentaient trop de

  8   peur.Il y a évidemment des exceptions à cette règle générale. Un certain

  9   nombre est revenu à Srebrenica. Mais d'autres ont décidé de rester à Tuzla

 10   ou de déménager dans quelques autres villes.

 11   Mais quelle que soit la décision qu'elles ont prise, elles font face

 12   à une crise d'identité. Elles ne savent pas qui elles sont. Vous avez des

 13   enfants qui habitent à Tuzla depuis plus de 15 ans et lorsque vous leur

 14   demandez "D'où êtes-vous ?" ils répondent "Je suis de Srebrenica." Cela

 15   veut dire qu'ils n'ont pas su s'assimiler à la population de la ville dans

 16   laquelle ils habitent maintenant. Ils n'arrivent toujours pas à oublier

 17   leur village d'origine. Ils ressentent de la nostalgie par rapport à

 18   Srebrenica et par rapport à la vie qu'ils menaient avant le début de la

 19   guerre.

 20   Et lorsqu'on suit les débats menés entre les femmes qui ont perdu leurs

 21   maris, ils sont très particuliers. En 2008 et en 2009, j'ai travaillé avec

 22   un groupe de femmes dont les maris avaient été portés disparus. Et parmi

 23   ces femmes, plusieurs avaient perdu plusieurs membres de leur famille qui

 24   avaient été portés disparus. Et au début, elles disaient, par exemple, Bon,

 25   j'ai trouvé la tête de mon mari ou, J'ai trouvé la cuisse de mon mari, ou

 26   alors, Ce qu'on m'a montré, ce n'était pas, en fait, les dents de mon mari.

 27   Donc, la teneur de la conversation qu'elles menaient entre elles était

 28   toujours terrifiante. Et à les écouter débattre entre elles, on ne peut


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  1   qu'imaginer quelles sont les pensées de leurs enfants et ce qui se passe

  2   dans leurs têtes.

  3   Q.  J'aimerais justement vous poser quelques questions relatives aux

  4   enfants de Srebrenica. Il s'agit d'un sujet que vous avez déjà abordé dans

  5   votre déposition précédente. Donc, j'aimerais que maintenant vous ne nous

  6   communiquiez que vos observations depuis l'an 2000.

  7   Alors, ces enfants qui ont survécu aux événements de Srebrenica et qui

  8   représentent, si je puis m'exprimer ainsi, l'avenir de tout ce groupe de

  9   personnes, quelle a été leur expérience, quel a été l'impact de la

 10   disparition de toute la population mâle de leur milieu, qu'il s'agisse de

 11   leur père, de leur frère, de leur oncle, de leurs parents, de tous ces

 12   hommes qui, traditionnellement, étaient ceux qui assuraient la survie dans

 13   une société patriarcale ? Ces hommes étaient censés être leurs leaders,

 14   leurs modèles, alors quel est l'impact de leur absence sur la vie que les

 15   enfants mènent aujourd'hui ?

 16   R.  Si les enfants n'avaient personne avec qui ils pouvaient s'identifier

 17   pendant qu'ils grandissaient, qu'il s'agisse d'un père, d'un frère, d'un

 18   parent, d'un oncle, si les enfants n'ont jamais eu l'occasion de partager

 19   leurs expériences avec des hommes, les enfants se sentent plutôt perdus,

 20   pris dans un chaos. Les adolescents se comportaient comme si rien n'était

 21   arrivé. Et c'est la raison pour laquelle les membres de leur famille

 22   arrivaient à la conclusion qu'ils ne ressentaient rien. Mais cette

 23   conclusion est complètement fausse. En fait, ces adolescents n'avaient pas

 24   la force de faire face à la réalité et essayaient de la fuir en prétendant

 25   que rien ne s'était passé. Quant aux enfants en plus bas âge, ils

 26   absorbaient tout simplement les émotions ressenties par les adultes. Je

 27   leur posais, par exemple, la question de savoir s'ils avaient entendu

 28   parler de leur père et les enfants me répondaient, Les miens pensent que la


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  1   nuit, je dors et je n'entends rien, mais moi, j'entends tout. Je sais très

  2   bien que mon père a été retrouvé, qu'on est allé identifier son corps, et

  3   cetera.

  4   C'est pourquoi il est très important de parler à ces enfants. Mais

  5   les enfants qui sont âgés de 5 à 10 ans ne comprennent pas le concept de la

  6   mort comme un concept définitif. En cet âge, les enfants pensent que la

  7   mort n'est pas irréversible, que les personnes considérées comme mortes

  8   reviendront un jour. Les enfants ont beaucoup d'imagination, et alors ils

  9   se livrent aux fantaisies. Lorsqu'on ne leur fourni pas des explications

 10   réelles, elles se forgent l'image de leur père dans leur imagination.

 11   Quelle était son apparence, quel était son caractère et ceci, parfois,

 12   peut-être extrêmement dangereux.

 13   J'ai connu plusieurs cas de figure, soit directement soit par le

 14   truchement de mes collègues, où les enfants, en l'absence de tout élément

 15   d'information réelle, et ceci était dû au fait que les mères les

 16   protégeaient beaucoup trop et ne souhaitaient pas leur communiquer des

 17   informations qui risquaient de leur faire mal, donc en l'absence de toute

 18   information importante, ces enfants, en grandissant, commençaient à

 19   accorder une attention excessive à leur apparence physique, à leur force

 20   physique, par exemple, et lorsqu'on leur demande pourquoi le corps est si

 21   important à leur yeux, pourquoi ils souhaitent devenir aussi corpulents,

 22   aussi forts, le plus souvent ils répondent qu'ils n'en savent rien. Mais en

 23   réalité, ce qui est derrière, c'est la peur qu'ils ressentent. Ces enfants

 24   se ressentent menacés, même si aucune menace ne règne, n'existe. Mais pour

 25   eux, tout est ressenti comme menaçant, même les choses qui n'ont pas un

 26   caractère menaçant aux yeux des personnes qui n'ont pas subi de telles

 27   souffrances.

 28   Q.  Cet impact des événements vécus sur les enfants, repose-il à la base de


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  1   traitements que vous prodiguez ?

  2   R.  Oui. Le traitement est basé sur le principe de la conversation. Tout ce

  3   que je viens de vous dire fait partie de mon expérience professionnelle que

  4   je tire de ma pratique professionnelle. Alors, je vais vous citer un

  5   exemple. Nous avons parlé à un garçon en 1997, à l'époque il avait cinq

  6   ans. Sa mère l'a ramené l'année dernière parce qu'il avait de mauvaises

  7   notes à l'école, sa concentration était beaucoup trop faible, il n'arrivait

  8   pas à étudier, il restait enfermé dans sa chambre à regarder son ordinateur

  9   tout le temps, il ne sortait pas, il n'avait pas d'amis, et lorsqu'il est

 10   venu suivre le traitement, il lui a fallu énormément de temps pour qu'il me

 11   fasse confiance et me révèle quoi que ce soit sur lui. Et c'est la raison

 12   pour laquelle je lui ai demandé de me faire un dessin qui me dirait quelque

 13   chose de lui.

 14   Nous parlons maintenant d'un garçon qui est déjà adolescent, qui va

 15   au lycée. Et lorsqu'il a dessiné cette image, je dois avouer que l'image

 16   m'a fait peur. Ce qu'il avait dessiné, c'était un fantôme. Et cet

 17   adolescent m'a dit que ce fantôme est toujours présent dans sa chambre, il

 18   se tient toujours dans un coin de la chambre et parfois, il discute avec

 19   lui et cetera. Mais lorsque j'ai essayé d'expliquer tout ceci à la mère,

 20   elle a tout rejeté parce qu'elle le regardait de façon superficielle, il

 21   s'agissait d'un jeune garçon très beau, très bien développé physiquement.

 22   Or, il était clair qu'il s'agissait d'un cas psychiatrique, que ce

 23   garçon avait besoin de l'aide de professionnels parce qu'en fait, il

 24   fonctionnait parallèlement à deux niveaux différents. Il y avait un niveau

 25   extériorisé, la surface qu'il présentait à ses amis, à ses collègues, à

 26   l'école, et puis il y avait un monde intérieur au sein duquel il était

 27   enfermé et où une terreur était présente au quotidien, une terreur et une

 28   souffrance intenses, un malaise intense. Donc, on peut conclure finalement


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  1   que ce garçon vivait parallèlement dans deux réalités différentes. Une

  2   réalité interne, que lui seul connaissait, et une réalité externe que les

  3   autres voyaient. Et ce qu'il faut faire, c'est d'arriver à faire

  4   réconcilier ces deux réalités différentes, mais on ne peut y arriver que si

  5   toutes ces terreurs, toutes ces images effrayantes, sont exprimées,

  6   partagées avec les autres. Mais dans le cas de ce garçon, il a été renfermé

  7   en lui-même dès le début, il gardait le silence.

  8   Et puis un autre point intéressant, lorsqu'il est venu nous voir pour la

  9   première fois en 1997, il était hyperactif, c'était l'un des enfants les

 10   plus hyperactifs, le plus agité que nous avions à l'époque. Or,

 11   aujourd'hui, c'est quelqu'un de très renfermé sur lui-même, qui ne

 12   communique avec personne, qui ne sait pas comment entrer en contact avec

 13   les autres, qui a peur de sortir, qui a peur de se retrouver en compagnie,

 14   et cetera.

 15   Q.  Merci. Madame Ibrahimefendic, les conséquences subies par ces femmes et

 16   ces enfants sont-elles devenues moins prononcées depuis le moment où vous

 17   avez déposé la dernière fois en juillet 2000 ?

 18   R.  Les conséquences sont-elles devenues moins prononcées pour ce qui est

 19   des femmes et des enfants, eh bien, vous me posez là une question bien

 20   complexe. Si on prend pour le point de départ la théorie suivant laquelle

 21   le traumatisme est né, non seulement au moment où l'événement se produit

 22   mais aussi par la suite, alors il faut conclure que le traumatisme se

 23   manifestera de la même façon, en suivant toute une série d'étapes

 24   différentes. Il est donc difficile de dire s'il y a eu amélioration ou non

 25   dans la condition de ces femmes.

 26   Ce qui m'intéresse moi, tout particulièrement, est de constater ce

 27   qui a pu aider aux femmes de se remettre. Donc, quels sont les mécanismes

 28   qui ont donné la force à un certain nombre de femmes, la force nécessaire


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  1   pour reprendre la vie quotidienne, d'assumer les rôles qui leur ont été

  2   allouées de façon tout à fait inattendue. Et en étudiant un grand nombre de

  3   femmes, j'ai pu constater que le rétablissement était basé sur des

  4   objectifs qu'elles s'étaient fixées. Donc, ces femmes s'étaient fixées des

  5   objectifs à réaliser et elles se sont servies de différents mécanismes

  6   psychologiques pour se protéger de la douleur qu'elles ressentaient. Donc,

  7   au début, elles niaient tout ce qui s'était passé, elles refusaient de

  8   réfléchir sur les événements. Et même s'il s'agit là d'un mécanisme

  9   purement négatif, il leur permettait néanmoins de poursuivre la vie, de

 10   reprendre la vie quotidienne, donc il était utile à un moment donné.

 11   Mais mis à part le progrès individuel réalisé par des femmes, il est tout

 12   aussi important de suivre le progrès général réalisé sur le plan social,

 13   économique, juridique, par exemple. Il est très important, par exemple, de

 14   savoir où on en est avec les poursuites pénales des auteurs de crime.

 15   Enfin, pour m'exprimer brièvement, le processus traumatique est toujours en

 16   cours, mais il adopte aujourd'hui des formes différentes et ces nouvelles

 17   formes permettent aux victimes de faire face aux réalités d'aujourd'hui.

 18   Un autre point que je souhaite ajouter. Chez les personnes qui n'ont pas pu

 19   retrouver leurs êtres les plus proches, le temps semble arrêté. On

 20   distingue un processus traumatique tout particulier chez ces personnes, et

 21   notamment chez leurs enfants. Les enfants dans de telles familles semblent

 22   revivre la vie de leurs parents. Les enfants voient que leurs mères sont

 23   sans ressources et les enfants sentent que c'est leur responsabilité de

 24   donner la force à leur mère nécessaire pour survivre. Et puis, une fois

 25   l'identification faite, on se sépare du passé, mais on n'arrive toujours

 26   pas à envisager l'avenir. L'avenir n'existe pas. Par exemple, je pose la

 27   question à une femme : Peux-tu t'imaginer où tu seras dans cinq ans d'ici ?

 28   Et elles me répondent généralement : Je ne sais pas. Elles n'ont pas de


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  1   projets; elles n'osent pas forger des projets. Elles n'osent pas s'imaginer

  2   leur vie dans cinq ans. Elles n'osent pas se dire : Voilà, dans cinq ans,

  3   j'aurai peut-être terminé mes études. Non, pas du tout. De s'imaginer de

  4   telles perspectives, c'est quelque chose qui leur est étranger.

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Madame Hasan, je suis désolé mais il

  6   faut que je vous interrompe maintenant puisqu'on doit faire la première

  7   pause plus tôt que d'habitude, puisque j'ai une chose urgente à régler dans

  8   le cadre d'une autre Chambre.

  9   Maintenant, nous allons faire la pause, et nous allons continuer nos débats

 10   à 16 heures 05.

 11   --- L'audience est suspendue à 15 heures 33.

 12   --- L'audience est reprise à 16 heures 07.

 13   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Madame Hasan, vous avez la parole.

 14   Mme HASAN : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai plus de

 15   questions pour ce témoin.

 16   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

 17   Madame Ibrahimefendic, M. Tolimir commencera son contre-interrogatoire

 18   maintenant.

 19   Monsieur Tolimir, vous avez la parole.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 21   Contre-interrogatoire par M. Tolimir : 

 22   Q.  [interprétation] Bonjour, Madame Ibrahimefendic. Je vous souhaite bon

 23   séjour parmi nous, et je souhaite que ce jour se finisse selon la volonté

 24   de Dieu et non pas selon ma volonté.

 25   J'ai quelques questions à vous poser. D'abord, je dois vous dire que j'ai

 26   lu votre déclaration, la déclaration que vous avez faite le 20 juin 2000,

 27   et dans cette déclaration il n'y a pas autant de détails que vous avez

 28   présentés lors de votre témoignage aujourd'hui. Deuxièmement, j'aimerais


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  1   savoir si le bureau du Procureur vous a jamais demandé d'écrire un rapport

  2   d'expert, et est-ce que vous avez fait cela ? Puisque pour la Chambre et

  3   pour moi-même, en tant qu'accusé, cela serait utile de savoir s'il y a de

  4   telles informations d'expert.

  5   R.  Non, jamais on ne m'a demandé de faire cette expertise. Le Tribunal ne

  6   m'a jamais demandé de faire cette expertise, ni à moi ni à l'organisation

  7   dans laquelle je travaille.

  8   Q.  Merci. Maintenant, j'aborderais les sujets qui ont été abordés avec

  9   vous lors de l'interrogatoire principal. A la page 7, ligne 24, vous avez

 10   dit : Les enfants des Srebrenica, après avoir vu la séparation de leurs

 11   pères, ont été traumatisés. Ils ont perdu le sens de leur identité, et

 12   cetera.

 13   Voilà ma question pour vous : est-ce que vous savez si à Potocari, les

 14   enfants ont été séparés de leurs familles, ou bien c'était avant que leurs

 15   parents se sont séparés d'eux lorsqu'il a été décidé que leurs familles

 16   continuent pour Potocari et que les hommes continuent à emprunter le chemin

 17   menant à Tuzla ?

 18   R.  La plupart des enfants, pour ce qui est de leurs parents ou de leurs

 19   pères, ils se sont séparés de leurs pères chez eux ou pas du tout, puisque

 20   les hommes étaient déjà partis avant. Un petit nombre d'enfants se sont

 21   séparés de leurs pères à Potocari. Il y a eu plusieurs cas où la mère et le

 22   père étaient arrivés à Potocari avec l'enfant et que c'est à Potocari que

 23   le père et la mère ont été séparés de l'enfant.

 24   Q.  Merci. Puisque habituellement les jeunes enfants sont les enfants des

 25   couples plus jeunes, de 20 à 30 ans, donc les combattants ne sont pas

 26   partis à Potocari, ils ont décidé de ne pas partir à Potocari. J'aimerais

 27   savoir si vous connaissez cette donnée, ce nombre d'enfants ?

 28   R.  Je ne le connais pas. Nous n'avons pas fait d'enquête là-dessus. A


Page 10092

  1   plusieurs occasions, certaines femmes m'ont dit que leur mari, qui était,

  2   par exemple, professeur dans une école ou qui n'était pas en bonne santé,

  3   qu'il pensait que s'il allait ensemble avec son épouse, que cela aurait été

  4   une meilleure solution, mais nous ne connaissons pas le nombre exact de

  5   tels cas.

  6   Q.  Madame Ibrahimefendic, à la page 10 du compte rendu de votre témoignage

  7   aujourd'hui, à partir de la ligne 15, ensuite jusqu'à la ligne 21, et

  8   jusqu'à la page 11, vous avez parlé de cela. Vous avez dit : Je travaille

  9   avec les femmes qui ont été violées. Donc c'était à la ligne 21. Après,

 10   vous avez dit : Je travaille pour ce qui est de la formation du personnel

 11   qui s'occupe du recueil des déclarations des victimes.

 12   Est-ce que vous avez parlé avec des femmes qui ont été violées à Srebrenica

 13   ou est-ce que vous travaillez avec les femmes violées, indépendamment de la

 14   période et d'événements de Srebrenica ?

 15   R.  J'ai cinq femmes de Srebrenica qui suivent la thérapie et qui ont été

 16   violées. Pour ce qui est de leur viol, elles n'ont pas parlé de cela au

 17   moment où elles sont arrivées pour suivre leur thérapie. Cela veut dire

 18   jusqu'en 2000. Mais c'est il y a peu de temps que du département de la

 19   psychiatrie, ces femmes sont renvoyées dans notre centre parce que ces

 20   femmes ont des problèmes d'identité, de personnalité. Elles sont déjà des

 21   malades psychiatriques, et ces femmes sont renvoyées dans notre centre pour

 22   suivre une thérapie. C'est parce que notre centre est un centre de thérapie

 23   et de réadaptation pour des personnes traumatisées, et dans notre ville,

 24   c'est le seul endroit où peuvent venir les personnes qui ont eu de telles

 25   expériences.

 26   Mais nous savons beaucoup de choses pour ce qui est des traumatismes.

 27   Notre personnel est engagé par les tribunaux, par exemple, pour former du

 28   personnel, des professionnels, pour qu'ils aient plus de connaissances pour


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  1   ce qui est des traumatismes et pour qu'ils puissent contribuer, quand il

  2   s'agit du travail avec les victimes, à ce qu'ils établissent de meilleurs

  3   rapports avec les victimes, rapports de confiance.

  4   Par exemple, le 19 octobre l'année dernière, à Banja Luka j'ai eu 34

  5   enquêteurs parmi lesquels se trouvaient de jeunes policiers qui ont suivi

  6   la formation concernant les affaires par rapport aux crimes de guerre, mais

  7   ils n'en savaient pas beaucoup pour ce qui est des traumatismes. Ils ne

  8   savaient pas comment approcher les victimes de traumatismes, et eux-mêmes

  9   ils ont exprimé le désir d'apprendre le plus possible pour ce qui est de la

 10   préparation psychologique des personnes qui doivent témoigner, c'est-à-dire

 11   comment approcher une femme ou quelqu'un qui était dans le camp, et cetera.

 12   Q.  Pour ce qui est de ces cinq cas de viol, pouvez-vous dire à la Chambre

 13   si vous savez si ces femmes ont été violées à Srebrenica pendant la guerre,

 14   et est-ce que vous savez quand ces viols ont été commis et dans quelles

 15   circonstances ?

 16   R.  Ces cinq femmes ont dit qu'elles avaient été violées à Potocari.

 17   Q.  Merci. Pouvez-vous dire à la Chambre comment cela s'est passé et

 18   comment elles ont été violées pendant qu'elles étaient dans la base de la

 19   FORPRONU ? Sans mentionner de noms.

 20   R.  Elles nous ont dit que cela s'est passé lorsqu'elles partaient pour

 21   aller chercher de l'eau, puisque les enfants avaient soif, et elles

 22   partaient vers une petite rivière, vers un ruisseau, derrière les bâtiments

 23   de la base de la FORPRONU. C'est là où elles ont été arrêtées et elles ont

 24   été emmenées. Elles ont dit -- par exemple, deux femmes ont dit qu'il y

 25   avait des tentes dans lesquelles elles ont été emmenées et violées. Elles

 26   ont même mentionné des témoins.

 27   Q.  Est-ce que vous savez que les tentes de la FORPRONU ont été utilisées

 28   pour de telles activités ?


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  1   R.  Je ne sais pas quel air avait la base pendant la guerre. Plus tard, je

  2   me suis rendue à Potocari et j'ai vu ces bâtiments. Mais je ne sais pas

  3   comment tout cela était organisé. Je ne sais pas s'il y avait des tentes,

  4   et s'il y en avait, où ces tentes étaient. Je n'en sais rien.

  5   Q.  Pouvez-vous nous présenter des documents qui en parlent, pouvez-vous

  6   les montrer à cette Chambre de première instance ? Merci.

  7   R.  Moi, non. Mais il y a une association qui s'appelle Femmes victimes de

  8   la guerre, et cette organisation dispose d'une base de données pour ce qui

  9   est de toutes les femmes qui ont été violées pendant la guerre, les femmes

 10   qui se sont présentées à ce centre, qui ont fait les déclarations et parlé

 11   en détail de ces viols en mentionnant les noms de témoins. Donc cette

 12   organisation dispose de telles informations, mais l'organisation dans

 13   laquelle je travaille, non. Moi non plus.

 14   Q.  Pouvez-vous nous citer un cas où une personne aurait témoigné après

 15   avoir suivi une thérapie avec vous, puisque vous avez dit que vous avez

 16   travaillé avec les professionnels pour les former pour qu'ils puissent

 17   travailler avec les victimes ? Pouvez-vous citer un exemple, ou pouvez-vous

 18   fournir le nombre de tels cas ?

 19   R.  Même les professionnels hésitent à venir devant les tribunaux pour

 20   témoigner. Les victimes aussi. D'un côté, ils ont peur, puisque ces femmes

 21   ne savent pas comment elles vont raconter leur expérience et comment venir

 22   devant un tribunal pour témoigner. En fait, elles n'ont pas peur de menaces

 23   éventuelles. C'est plutôt une peur profondément ancrée en elles, puisque

 24   témoigner devant le tribunal, c'est quelque chose qui est stressant. Et

 25   j'en sais quelque chose puisque la procédure qui est appliquée devant tout

 26   tribunal doit être connue à la victime.

 27   La victime doit être familière avec cette procédure et raconter leur

 28   expérience devant le tribunal, dans une salle d'audience. Il faut arranger


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  1   tout pour que cela soit avec moins de stress possible. Pour ce qui est de

  2   la préparation des victimes, des témoins, cela ne consiste pas à préparer

  3   le témoin ou la victime pour ce qui est de sa façon de parler.

  4   Q.  Merci.

  5   R.  Il faut que la victime se débarrasse de cette crainte, de cette peur,

  6   pour qu'elle puisse venir témoigner au tribunal. Mais comment une victime

  7   racontera ce qu'elle avait vécu, c'est quelque chose qu'il faut que le

  8   Procureur s'occupe.

  9   Q.  Merci, Madame Ibrahimefendic. J'aimerais que vous répondiez à ma

 10   question de façon concise, en quelques phrases.

 11   Est-ce que le bureau du Procureur vous a demandé de parler avec un

 12   témoin potentiel qui a refusé de venir pour témoigner parce qu'il avait

 13   peur ?

 14   R.  Si vous pensez au bureau du Procureur du Tribunal, ma réponse est non.

 15   A Tuzla, le parquet de Tuzla a eu des problèmes pour ce qui est des

 16   témoins, parce qu'il y avait des témoins qui ont refusé de déposer. Et

 17   pendant quelques séminaires de deux ou trois heures qui ont été organisés à

 18   l'époque et où les victimes ont pu parler des problèmes liés à leurs

 19   témoignages, ainsi que les Procureurs, et lors de ces séminaires, ils

 20   pouvaient échanger leurs opinions par rapport à cela. Et à Tuzla, un témoin

 21   a dit au Procureur la chose suivante : Vous avez parlé avec moi, et pendant

 22   que vous parliez à moi, vous répondiez à des appels reçus sur votre

 23   portable.

 24   Q.  Ce n'est pas quelque chose qui est lié à Srebrenica.

 25   R.  Non. Cela concernait la formation concernant les traumatismes.

 26   Puisqu'en Bosnie, on est arrivés à des discussions dont l'objectif était

 27   d'expliquer aux gens que l'on a toujours des séquelles liées à des

 28   traumatismes et qu'il faut que les procédures devant les tribunaux doivent


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  1   se terminer et que la vie sociale prenne une autre direction.

  2   Q.  Merci.

  3   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, je voudrais

  4   simplement vous venir en aide.

  5   Vous expliquiez très bien au cours du contre-interrogatoire le fait

  6   que -- Madame, lorsque M. Tolimir vous dit certaines choses ou vous pose

  7   des questions, il n'est pas nécessaire de répéter votre travail et de nous

  8   expliquer votre travail. Donc la question était réellement très claire.

  9   Vous avez répondu par la négative, vous avez dit : Non, le bureau du

 10   Procureur ne m'a pas posé la question. Mais ce n'est pas ce que M. Tolimir

 11   voulait savoir. Donc veuillez, je vous prie, vous concentrer sur la

 12   question très précise que vous pose M. Tolimir.

 13   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 14   M. TOLIMIR : [interprétation]

 15   Q.  Madame Ibrahimefendic, dites-nous, s'il vous plaît, à la page 16 de

 16   votre déposition d'aujourd'hui au compte rendu d'audience, vous avez

 17   déclaré sur cette même page que les personnes ne font pas confiance en

 18   d'autres personnes, qu'elles vivent ces syndromes de façon très difficile

 19   et qu'elles ne peuvent plus ressentir ni le bonheur ni le malheur. Donc ce

 20   qui m'intéresse, c'est de savoir si vous aviez parlé avec des personnes

 21   ayant fondé un nouveau foyer à Srebrenica et si, dans le cadre de ce

 22   nouveau foyer, dans cette nouvelle situation, ces personnes ne peuvent

 23   toujours pas ressentir ni le bonheur ni le malheur ?

 24   R.  Il y a des cas comme ça, mais il s'agit toujours de relations

 25   importantes. D'un côté, la personne, la femme, peut être joyeuse et

 26   heureuse, mais d'autre part, elle se sent coupable parce qu'elle est encore

 27   en vie, parce qu'elle peut partager un sourire avec quelqu'un d'autre. Donc

 28   il y a toujours un sentiment de culpabilité dans le fin fond de son être.


Page 10097

  1   Q.  Très bien. A la page 17, ligne 9, et ce, jusqu'à la ligne 21 du compte

  2   rendu d'audience d'aujourd'hui, vous avez déclaré : Il y a trois jours, une

  3   femme est venue avec sa fille de 16 ans, ainsi de suite, sa mère ne lui a

  4   jamais parlé de son père, elle est donc allée toute seule à Srebrenica et

  5   elle a vu une photo de son père. Vous souvenez-vous de ceci ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Répondez à ma question alors, qui est la suivante : est-ce qu'un enfant

  8   de six mois, si cet enfant avait six mois au moment des événements, lorsque

  9   cette fille a perdu son père, comme vous nous l'avez dit, est-il possible

 10   que cette personne peut sentir une perte intensément ? Peut-elle donc

 11   sentir la perte de son père de façon intense, alors qu'à six mois, il est

 12   impossible qu'elle se souvienne de son père ? Ou s'agit-il de personnes

 13   exceptionnelles qui aient pu se souvenir de leurs pères, par exemple ?

 14   R.  Lorsqu'un enfant n'a pas de père, l'enfant crée son père dans son

 15   esprit. La plupart des filles avec lesquelles elle allait à l'école avaient

 16   des pères. Elle, elle n'en avait pas. Donc, si on peut nier et on ne lui

 17   donne pas des informations concernant son père, si sa mère ne lui dit pas

 18   que son père est porté disparu, si pendant cinq ans sa mère lui disait :

 19   Ton père est en vie, ton père va venir, et le père ne venait jamais - parce

 20   que j'ai oublié de vous dire ce petit détail - cette fille a perdu

 21   confiance en sa propre mère et elle avait même cessé de lui parler. Donc

 22   c'est la responsabilité de la mère. En fait, il s'agit d'un traitement

 23   qu'il faut prodiguer à ces mères. Les mères ont l'obligation d'expliquer à

 24   l'enfant ou aux enfants ce qui s'est passé, parce que les mères sont les

 25   seuls parents qui restent à ce moment-là et qui doivent vraiment faire tout

 26   ce qu'elles peuvent pour trouver une photo pour montrer à son enfant, vous

 27   savez. Parce que ce n'est pas à l'enfant d'aller chercher ces informations.

 28   Mais dans ce cas-ci, l'enfant, donc la fille en question, a dû aller


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  1   chercher ces informations elle-même.

  2   Q.  Très bien. Pourriez-vous expliquer aux Juges de la Chambre, puisqu'ils

  3   ne connaissent pas la situation en Bosnie, comment cela se fait-il que

  4   cette fille ait pu aller à Srebrenica et trouver une photo de son père

  5   alors qu'il ne restait plus rien à Srebrenica, et comment cela se fait-il

  6   qu'il n'y avait plus de photos dans sa propre maison ?

  7   R.  Elle a appris que dans la communauté de Srebrenica, au registre de

  8   l'état civil, il y avait une documentation d'avant la guerre. Elle a appris

  9   également que son père avait une carte d'identité. Elle est donc allée au

 10   bureau de l'état civil, elle a demandé à la dame en question de lui donner

 11   une carte d'identité ou de lui montrer la carte d'identité, parce qu'elle a

 12   dit : Voilà, pourriez-vous nous donner un exemplaire d'une carte

 13   d'identité; mon père avait une carte d'identité auprès de cette

 14   municipalité avant la guerre. Et cette femme a été très aimable avec elle,

 15   elle lui a donné ce petit carton sur lequel il y avait une photo de son

 16   père. Cette dame lui a donc remis ce carton, la jeune fille a photocopié le

 17   carton et elle l'a remis à la dame au bureau de l'état civil.

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Oui, Madame Hasan.

 19   Mme HASAN : [interprétation] Petite correction. Page 17, ligne 13, le

 20   témoin a dit que l'enfant avait dix mois à l'époque de la perte de son

 21   père, et non pas six mois.

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, effectivement, la petite fille avait dix

 23   mois.

 24   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

 25   Monsieur Tolimir, veuillez poursuivre.

 26   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

 27   M. TOLIMIR : [interprétation]

 28   Q.  Madame Ibrahimefendic, vous avez dit, si je ne m'abuse, à la ligne 23,


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  1   qu'un très grand nombre de femmes souffrent d'un déni de la réalité, le

  2   refoulent, en quelque sorte, parce qu'elles ne veulent plus penser aux

  3   événements. Alors, s'il s'agit d'une méthode négative en psychologie

  4   lorsqu'on dit que notre vie reflète nos pensées, est-ce que ceci veut dire

  5   que c'est négatif ou positif ? Donc, qu'il ne faut pas penser aux choses

  6   négatives pour pouvoir surmonter quelque chose ? C'est peut-être une raison

  7   de faire face à la réalité ?

  8   R.  J'ai dit ceci dans un autre contexte, lié plutôt aux mécanismes

  9   psychologiques de défense. Si nous estimons que quelque chose est très

 10   difficile pour nous, nous n'arrivons pas à l'accepter, on le refoule dans

 11   notre esprit. Alors, si on ne veut pas faire face à la réalité, il s'agit

 12   d'un mécanisme de déni. C'est ce déni, justement, qui leur a permis de

 13   survivre.

 14   Parce que vous pouvez imaginer une situation dans laquelle ces femmes

 15   se trouvaient à bord de moyens de transport en direction de Tuzla, et si

 16   une femme pensait que son mari était mort, à ce moment-là, cette femme

 17   refoulait, niait la réalité. Elle pensait à ce moment-là que son mari était

 18   en vie. Donc c'est ce mécanisme de défense qui permet aux personnes de

 19   survivre. Des fois, il nous arrive de ne pas pouvoir accepter la réalité

 20   parce que la réalité nous fait mal, et donc on se comporte comme si les

 21   choses ne se sont même pas passées telles qu'elles se sont passées.

 22   Même aujourd'hui, vous avez un très grand nombre de personnes, même

 23   des femmes un peu plus âgées, puisque maintenant elles sont plus âgées, qui

 24   essaient d'ailleurs de reprendre leurs vies comme avant la guerre. Donc

 25   elles pensent que la personne est en vie. Elles pensent à la personne qui

 26   est disparue, elles parlent avec cette personne. Donc il y a double

 27   psychologie. C'est une façon de nier la réalité. Alors qu'il y a d'autres

 28   personnes qui leur disent : Non, ton mari est mort. Et la femme répond :


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  1   Non, mon mari n'est pas mort. Et c'est dans ce sens-là que je veux dire que

  2   ce n'est pas un mécanisme de défense qui n'est pas propice pour le

  3   rétablissement. Cela n'aide pas.

  4   Il n'est pas question de savoir pendant combien de temps elles vont

  5   souffrir de ce refoulement, mais il est important de savoir quand est-ce

  6   que ces femmes vont faire le deuil. Alors, moi, je dois les aider à trouver

  7   une façon de faire face à cette perte et de faire un deuil.

  8   Q.  Très bien. Merci, Madame Ibrahimenfendic. J'aimerais vous demander la

  9   chose suivante : vous avez beaucoup parlé de la situation sociale dans

 10   laquelle les familles se sont trouvées après leur départ de Srebrenica, et

 11   vous avez également parlé de la perte des personnes chères. Dites-nous,

 12   s'il vous plaît, si ce problème social est quelque chose qui est vécu par

 13   tous les réfugiés ayant fui la guerre en Bosnie, de partout en Bosnie, et

 14   est-ce que c'est ainsi que ces personnes souffrent toujours de la perte,

 15   même les personnes qui ont subi la perte d'êtres chers sur les lignes de

 16   front à Tuzla, ainsi de suite ?

 17   R.  Cette douleur est universelle. Et toutes les personnes en Bosnie-

 18   Herzégovine et dans d'autres parties du monde, quand on perd un être cher,

 19   indépendamment des circonstances dans lesquelles ont perd l'être cher,

 20   toute personne sent la douleur. Mais lorsqu'il est question de personnes

 21   portées disparues, et il y en a énormément sur tout l'ensemble du

 22   territoire de Bosnie-Herzégovine, une incertitude persiste. Parce que d'un

 23   certain côté, il y a toujours une ambivalence. D'une part, ces femmes

 24   espèrent que ces personnes vont pouvoir revenir, donc elles pensent que la

 25   personne est vivante, mais elles n'ont pas de certificat de décès pour

 26   attester de la mort d'une personne. Donc c'est une attente lorsqu'on n'a

 27   pas de certificat de décès. Mais la douleur est universelle. Tout le monde

 28   souffre de la même façon.


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  1   Q.  Bien. Merci, Madame. Dites-nous, s'il vous plaît, si ces questions

  2   sociales se manifestent chez tous les réfugiés, chez tous les réfugiés

  3   ayant subi des traumatismes particuliers, telle la perte des personnes et

  4   des êtres chers, et qui sont partis vivre ailleurs. Est-ce que c'est

  5   quelque chose qui est senti chez tous ou est-ce que c'est surtout chez les

  6   personnes qui ont quitté des lieux ruraux et qui sont venues vivre dans des

  7   villes ? Est-ce que le problème est plutôt là parce qu'il est une question

  8   d'autorité qui est là maintenant ? Quelle est l'autorité qui dirige la

  9   ville ? Ce n'est pas ça la question. Mais la question c'est que ce sont des

 10   personnes qui ont quitté leur milieu rural pour aller en ville. Est-ce que

 11   vous avez pensé à cette question-là ?

 12   R.  Lorsque je songe à ce problème, je l'aborde plus d'un point de vue

 13   psychologique, à savoir que les choses n'allaient plus jamais se répéter

 14   comme elles étaient avant. Les personnes se disent que la vie doit se

 15   poursuivre comme elle était avant la guerre. Mais lorsque ces personnes

 16   reviennent là où elles ont été chassées ou de l'endroit où elles sont

 17   parties, elles se rendent compte que ce n'est plus la même chose. Et dans

 18   un très grand nombre d'endroits, par exemple dans des villes, vous pouvez

 19   voir que les personnes ont déjà recommencé une autre vie. Les enfants sont

 20   déjà plus vieux. Et il y a des fois les problèmes qui sont nés à

 21   l'intérieur d'une famille. Certaines personnes veulent revenir de l'endroit

 22   où ils sont, d'autres personnes non.

 23   Certaines personnes souhaitent retourner, d'autres personnes non.

 24   Donc, même à l'intérieur d'une même famille, on peut voir des conflits liés

 25   au retour de l'endroit d'origine. Tout ceci, bien sûr, est exacerbé par la

 26   situation économique. Le chômage est très important; soit parce que dans la

 27   ville où ils sont, il y a beaucoup de chômage, ou parce que de l'endroit où

 28   ils sont chassés, d'où ils sont partis, il n'y a plus de possibilité de


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  1   vivre. Le chômage est très important, ainsi de suite. Mais les problèmes

  2   sociaux sont vraiment très similaires pour ce qui est de l'ensemble de

  3   Bosnie-Herzégovine, surtout lorsque vous parlez du retour de l'endroit

  4   d'origine.

  5   Q.  Oui, je sais. Mais je vous ai posé des questions puisque vous êtes

  6   psychothérapeute, et j'aimerais savoir si ces problèmes sont plus

  7   complexes, se compliquent parce que, justement, la situation maintenant est

  8   une nouvelle situation ? Est-ce que ces problèmes s'avèrent plus --

  9   maintenant qu'à l'époque des conflits ?

 10   R.  Eh bien, il est certain que cette dimension sociale du traumatisme, il

 11   ne faut pas l'oublier. Il ne faut pas la mettre de côté, bien sûr. On ne

 12   peut pas l'ignorer. Outre les problèmes psychologiques que j'ai mentionnés

 13   tout à l'heure, et puisque les choses ne peuvent plus jamais revenir comme

 14   elles étaient, tout ceci est exacerbé, bien sûr, par des problèmes

 15   économiques, des problèmes politiques, des problèmes juridiques également,

 16   des problèmes psychologiques ou des problèmes de foi. Donc ce sont des

 17   choses qui compliquent les choses encore plus, puisque la société est

 18   démantelée, elle n'existe plus. Il y a un très grand nombre de mécanismes

 19   qui gardaient le tout ensemble et qui formaient un cadre pour que l'on

 20   puisse continuer pour fonctionner.

 21   Q.  Merci bien, Madame.

 22   Dans votre déclaration, vous avez déclaré que de 1995 à l'an 2000,

 23   vous aviez prodigué des soins à environ 60 femmes. J'aimerais savoir si

 24   vous avez des registres ou des documents qui existent qui permettraient aux

 25   Juges de la Chambre de voir qui sont ces personnes à qui vous avez prodigué

 26   des soins ?

 27   R.  Il n'y a absolument pas de problème pour que les Juges de ce Tribunal

 28   examinent nos bases de données. Nous avons des bases de données très


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  1   élaborées. Nous parlons du protocole, nous parlons des raisons pour

  2   lesquelles ces personnes sont venues nous voir, à combien de reprises ces

  3   personnes sont-elles venues séjourner dans notre centre, combien de fois

  4   ces personnes sont venues suivre des thérapies. Donc tout ceci existe et

  5   tout ceci peut être consulté, si le besoin est.

  6   Q.  Merci bien, Madame Ibrahimefendic. Je n'ai plus de temps pour vous

  7   poser des questions. Nous avons été particulièrement heureux de nous

  8   entretenir avec vous et d'apprendre certaines choses. En tant que témoin

  9   expert, nous aurions également préféré, en plus de cela, avoir un rapport

 10   d'expert, mais ceci est notre problème, et non pas le vôtre, bien sûr. Donc

 11   nous vous remercions d'être venue déposer, et nous vous souhaitons un bon

 12   retour à la maison.

 13   R.  Merci.

 14   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Tolimir.

 15   Mais vous avez encore du temps, si vous le souhaitez. Vous avez demandé une

 16   heure 30 pour le contre-interrogatoire de ce témoin et vous avez employé un

 17   peu moins d'une heure. Je voulais simplement m'assurer que vous ayez bien

 18   compris : vous avez encore du temps pour ce témoin, si vous le souhaitez.

 19   Mais bien sûr, c'est à vous de choisir.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci bien, Monsieur le Président. Je me

 21   comporte ainsi à cause du témoin suivant, puisque nous avons dit que le

 22   témoin suivant doit absolument rentrer chez lui ce soir, et nous avons

 23   perdu beaucoup de temps sur le témoin précédent. Donc je n'ai plus de

 24   questions.

 25   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie.

 26   Madame Hasan, est-ce que vous avez des questions en guise de questions

 27   supplémentaires ?

 28   Mme HASAN : [interprétation] Non, Monsieur le Président, je n'ai pas de


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  1   questions supplémentaires.

  2   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie.

  3   M. le Juge Mindua a une question.

  4   Questions de la Cour : 

  5   M. LE JUGE MINDUA : Oui, bonjour, Madame le Témoin. J'ai une question pour

  6   vous. Au transcript d'aujourd'hui, à la page 23, lignes 19 à 25, vous avez

  7   bien expliqué que c'est très compliqué et très difficile d'évaluer l'impact

  8   de la guerre sur les femmes et les enfants et de savoir si le mal a pu

  9   s'atténuer. Et plus loin, à la page 24, lignes 17 à 18, vous dites que le

 10   processus du traumatisme continue, mais un peu différemment. Je suis en

 11   train de lire en anglais et je traduis en français, c'est pour cela que ça

 12   prend un peu de temps. Donc le processus du traumatisme continue, mais

 13   change de forme. La question que je voudrais vous poser, Madame le Témoin,

 14   c'est de savoir : dans ces conditions, le mal, la souffrance et le

 15   traumatisme que tout cela entraîne, cela est-il inguérissable ? Vos

 16   patients, ou les personnes traumatisées, en d'autres termes, doivent-elles

 17   être suivies et soignées toute leur vie ? En un mot, le traitement est-il

 18   limité dans le temps ou pas ?

 19   R.  Lorsque j'ai mentionné le processus est que le traumatisme dure encore

 20   mais que les symptômes se manifestent de façon différente. Je vais

 21   simplement vous dire -- je vais essayer de simplifier, en fait. Il y a une

 22   théorie qui nous permet d'aider nos patientes dans le processus de

 23   rétablissement. D'abord, nous abordons avec elle le début de leur

 24   traumatisme. Le traumatisme passe par plusieurs séquences. Alors, d'abord,

 25   c'est l'expulsion de la demeure, l'arrivée à destination au centre de

 26   réfugiés. Alors, de nouveau, c'est un choc. Même si ces personnes pensaient

 27   qu'une fois au centre de réfugiés elles seraient en sécurité, eh bien, de

 28   nouveau, elles sont encore préoccupées avec des questions de survie, de


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  1   quelle façon se nourrir et ainsi de suite. Ensuite, elles s'adaptent, elles

  2   essaient de s'adapter, mais elles ne sont pas encore tout à fait

  3   conscientes des blessures psychologiques. Mais la situation devient

  4   chronique, puisque la guerre a duré assez longtemps en Bosnie-Herzégovine.

  5   Donc certaines personnes sont parties dans d'autres pays et, de nouveau,

  6   elles se retrouvent sur un territoire complètement nouveau où on parle une

  7   autre langue. Elles doivent s'adapter. Elles ont d'autres symptômes,

  8   puisqu'elles souffrent de la demeure qu'elles ont quittée, de leur foyer,

  9   mais la vie continue, les enfants grandissent. Ces personnes ont de

 10   nouvelles obligations et elles deviennent soit épuisées, ou bien il arrive

 11   également que les personnes reviennent, ou d'autres traumatismes

 12   surviennent. Par exemple, Srebrenica en 1995, il arrivait à ces femmes de

 13   retourner à la maison, de retourner chez elles, mais de trouver également

 14   des morts.

 15   Donc, ceci veut dire que chacune de ces séquences comporte en elle

 16   ses symptômes propres et ses éléments déclencheurs traumatiques qui sont

 17   très réels pour ces personnes. Et donc, en passant par ce processus de

 18   traumatisme, la personne gère tout ceci en développant certaines façons de

 19   faire face à tout ceci, mais il y a également un affaiblissement de la

 20   santé physique et également un affaiblissement de la santé psychologique.

 21   Certaines personnes réussissent à passer à travers toutes ces séquences

 22   mais elles restent tristes. Il y a une tristesse qui reste en elles,

 23   puisque le traumatisme ne fait plus partie de l'histoire de leur vie. C'est

 24   le traumatisme qui les mène, qui les guide et qui détermine leur vie.

 25   C'est l'élément traumatique qui change leur vie. Au lieu d'avoir une

 26   vision en soi et de pouvoir gérer sa propre vie et d'avoir ses propres

 27   plans et de dire de quelle façon ces personnes -- de se dire : je vais me

 28   développer de cette façon-ci ou non, eh bien, il arrive quelque chose, et


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  1   donc tout est changé tout d'un coup. Donc, il faut laisser la vie passer

  2   derrière mais il est impossible de l'oublier, et il faut gérer avec ce

  3   qu'on a. Et je leur dis toujours : Il faut que tu prennes ce qui a été bon

  4   dans ta vie passée et il faut que tu passes dans la nouvelle vie, il faut

  5   que tu entames une nouvelle vie.

  6   Donc, il est vrai que certaines personnes vont pouvoir fonctionner de

  7   façon normale, mais il y aura toujours quelque chose qu'elles regretteront,

  8   il y aura toujours quelque chose qui les fera souffrir.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Vanderpuye, je vois que vous

 10   êtes debout. Est-ce que nous pouvons laisser partir le témoin ?

 11   M. VANDERPUYE : [interprétation] Justement, Monsieur le Président, je

 12   voulais aborder cette question. La raison pour laquelle je me suis levé,

 13   c'est parce que concernant votre question à savoir si le général Tolimir a

 14   d'autres questions, je voulais simplement être tout à fait clair. Je veux

 15   que le compte rendu d'audience soit tout à fait clair, puisqu'il a dit

 16   qu'il terminait son contre-interrogatoire eu égard au témoin qui suivra. Je

 17   ne sais pas ce qu'il voulait dire concernant le prochain témoin, plus

 18   particulièrement eu égard ou à la lumière des événements qui se sont

 19   déroulés hier. Je veux m'assurer que le général Tolimir ait bel et bien

 20   terminé son contre-interrogatoire de façon appropriée, donc qu'il n'a pas

 21   terminé son contre-interrogatoire sur la base d'une compréhension des

 22   choses et sur la base du fait qu'il pensait que le témoin prochain devait

 23   absolument commencer très rapidement. Ce n'est absolument pas ça le

 24   problème. Je voulais absolument m'assurer de tout ceci avant que l'on ne

 25   laisse partir ce témoin.

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Vanderpuye.

 27   Vous avez entendu les arguments du Procureur. Qu'est-ce que vous avez

 28   à dire là-dessus ?


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  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, je remercie Mme

  2   Ibrahimefendic. Je l'ai déjà remerciée et je lui ai même dit que je

  3   souhaitais que Dieu l'aide, et lorsqu'on dit ceci, on ne peut plus revenir

  4   en arrière. Moi, je peux simplement lui souhaiter un bon voyage et

  5   souhaiter que Dieu soit avec elle, mais je ne peux plus faire autre chose.

  6   Ce n'est que Dieu qui puisse l'accompagner. Alors, j'ai terminé, Monsieur

  7   le Président, et j'ai terminé mon contre-interrogatoire. Merci.

  8   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie de cette

  9   compréhension commune qui est la vôtre.

 10   Madame Ibrahimefendic, je vous remercie d'être venue à La Haye, et ce, bien

 11   sûr, 11 ans plus tard, d'être venue donc de nouveau parmi nous. Je vous

 12   remercie des informations que vous nous avez données et je vous souhaite

 13   bon voyage, bon retour, et vous pouvez maintenant reprendre vos activités

 14   régulières. M. l'Huissier vous viendra en aide pour vous escorter à

 15   l'extérieur du prétoire.

 16   [Le témoin se retire]

 17   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Il faudrait faire rentrer le témoin

 18   suivant dans la salle d'audience. C'est M. Tolimir qui va reprendre le

 19   contre-interrogatoire du Dr Brunborg.

 20   [Le témoin vient à la barre]

 21   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Bonjour, Monsieur. Veuillez vous

 22   asseoir. Bienvenue de nouveau au Tribunal, Docteur Brunborg.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur.

 24   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Nous sommes contents que vous ayez

 25   été en mesure de revenir. Je vous rappelle que la déclaration solennelle

 26   que vous avez faite au début de votre déposition est toujours en vigueur.

 27   M. Tolimir souhaite vous poser quelques autres questions.

 28   Monsieur Tolimir, à vous.


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  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président.

  2   LE TÉMOIN : HELGE BRUNBORG [Reprise]

  3   [Le témoin répond par l'interprète]

  4   Contre-interrogatoire par M. Tolimir : [Suite]

  5   Q.  [interprétation] Monsieur Brunborg, je vous salue. Je vous souhaite de

  6   vous sentir à l'aide parmi nous. Merci d'être revenu au Tribunal. Je vous

  7   présente mes excuses si vous avez été obligé de refaire votre chemin à

  8   cause de nous. Je suis désolé si je vous ai forcé de vous séparer

  9   provisoirement de vos activités quotidiennes et de votre travail, et

 10   j'espère que l'audience d'aujourd'hui se terminera en fonction de la

 11   volonté de Dieu et non pas selon mes propres désirs.

 12   Alors, je souhaite vous rappeler des sujets que nous avons discutés la

 13   dernière fois que vous avez déposé ici, le 10 février dernier, nous avons

 14   parlé des divergences qui existaient entre les données fournies par l'armée

 15   de la BiH et les données fournies par la Commission internationale pour les

 16   personnes portées disparues dont vous vous êtes servi pour élaborer votre

 17   analyse. La commission nationale ou le comité international avait sa propre

 18   base de données qui a été mise en doute par l'armée de la BiH. Ceci est

 19   quelque chose que nous avons pu déduire de toute la documentation qui nous

 20   a été présentée au cours de votre déposition.

 21   Alors, j'aimerais savoir comment se fait-il que toutes les personnes

 22   tuées au cours des années 1992, 1993 ou 1994 ont pu être trouvées dans des

 23   fosses communes ?

 24   R.  Les éléments d'information dont je me suis servi proviennent des

 25   exhumations et des enquêtes faites par le TPIY et le bureau du Procureur,

 26   en partie, et en partie les données sont basées sur les exhumations

 27   effectuées par le Comité international pour les personnes portées

 28   disparues, l'ICMP. Comme je l'ai dit la semaine dernière, je ne suis pas un


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  1   expert en matière d'exhumations, mais je pense qu'un certain nombre de

  2   fosses communes qu'on trouvait, par exemple, à Srebrenica étaient

  3   considérés comme étant reliées de façon générale à un événement, donc que

  4   toutes ces personnes auraient trouvé la mort lors de la chute de

  5   Srebrenica.

  6   Il existe quelques cas de figure où plusieurs personnes décédées en

  7   plusieurs années différentes, en 1992 et 1995, par exemple, ont été

  8   retrouvées. Mais de tels cas de figure sont très peu nombreux. Je pense par

  9   ailleurs qu'il en existe une seule. Je n'ai entendu parler que de Bratunac

 10   dans ce contexte.

 11   Q.  Merci. Mais à examiner votre analyse, et par ailleurs à étudier la

 12   réponse que vous venez de fournir, il est clair que vous vous êtes appuyé

 13   sur les données fournies par l'CICR, malgré le fait que, par exemple, une

 14   personne portée disparue pouvait toucher de l'aide humanitaire pendant de

 15   longues années. Et pourtant, nous avons pu constater que l'armée de la BiH

 16   n'a pas toujours été d'accord --

 17   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, les interprètes

 18   n'ont pas saisi le sens de votre question. Alors, veuillez reprendre votre

 19   question, s'il vous plaît. Donc, j'ai interrompu l'accusé pour l'avertir de

 20   ce qu'il est en train de faire.

 21   Veuillez reprendre votre question.

 22   M. TOLIMIR : [interprétation]

 23   Q.  Nous avons déjà vu, d'après une liste qui a été affichée, que l'armée

 24   de la BiH n'a pas accepté l'existence de plusieurs cadavres qui, allègue-t-

 25   on, ont été retrouvés dans des fosses communes, malgré le fait que la

 26   Croix-Rouge disait le contraire.

 27   Ma question serait la suivante : pourquoi une enquête particulière

 28   n'a pas été déclenchée pour établir de quoi il s'agit dans ces cas de


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  1   figure qui sont au nombre de 10, voire davantage. Pourquoi n'a-t-on pas

  2   diligenté une enquête pour établir la cause de ces divergences entre les

  3   différentes données enregistrées ?

  4   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Vanderpuye, à vous.

  5   M. VANDERPUYE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Il peut

  6   s'agir ici d'une question d'interprétation ou d'un problème de traduction,

  7   mais il serait utile que l'accusé présente les documents auxquels il se

  8   réfère au témoin. Et je le dis parce que le témoin vient d'affirmer ou

  9   vient de se référer aux allégations avancées par la Croix-Rouge quant à

 10   l'ADN des corps retrouvés dans les fosses communes. Alors, je pense qu'il

 11   est tout à fait clair, d'après le compte rendu d'audience, que la Croix-

 12   Rouge n'a jamais avancé de telles allégations. C'est généralement l'ICMP

 13   qui s'occupait de ce type de questions, c'est-à-dire des personnes portées

 14   disparues. Donc, si M. Tolimir pense à un document particulier, il serait

 15   bon qu'il le présente à l'écran.

 16   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

 17   Monsieur Tolimir, veuillez aider le témoin à répondre à vos questions.

 18   L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, je pensais, en

 19   fait, au Comité chargé des personnes portées disparues qui s'occupaient des

 20   analyses ADN, je ne pensais pas, en fait, à la Croix-Rouge internationale.

 21   M. TOLIMIR : [interprétation]

 22   Q.  Donc, ce qui m'intéresse est de savoir pourquoi il existe de telles

 23   divergences entre les différentes sources de données, et pourquoi l'armée

 24   de la BiH ne reconnaît toujours pas les données de l'ICMP, malgré toutes

 25   les pressions qui sont exercées sur cette armée pour accepter les données ?

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, vous référez-vous à

 27   un quelque document concret pour formuler cette question ?

 28   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Oui, j'ai à


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  1   l'esprit un document particulier qui porte la cote 1776. J'aimerais qu'il

  2   soit affiché dans le système du prétoire électronique. Mais j'avais cru

  3   qu'il était superflu de représenter le même document à l'écran, puisque

  4   nous l'avons déjà vu la dernière fois. Donc, ce qu'il nous faut, c'est la

  5   pièce P1776, à savoir le rapport du présent expert.

  6   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Et il sera peut-être utile au témoin

  7   que vous citiez une page en particulier de ce rapport.

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que l'accusé se réfère à la page 95

  9   de notre rapport du mois d'avril 2009; ai-je raison de l'affirmer ? Je

 10   parle de la version anglaise.

 11   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Oui, c'est bien de ce rapport-là

 12   qu'il s'agit. C'est votre rapport le plus volumineux.

 13   L'ACCUSÉ : [interprétation] En fait, moi j'avais à l'esprit la page 220.

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] S'agit-il de la page 220 du compte rendu

 15   d'audience ?

 16   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Non, de votre rapport.

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Mais mon rapport ne compte que 105 pages.

 18   M. TOLIMIR : [interprétation]

 19   Q.  Oui, merci, mais je n'avais pas terminé ma phrase. Je voulais parler de

 20   220 personnes qui font objet de différentes évaluations, avancées d'une

 21   part par l'armée de la BiH, et d'autre part par l'ICMP. Merci.

 22   R.  Merci. Je pense qu'il serait bon que je vous présente un résumé. Plus

 23   de 5 000 cadavres ont été exhumés, plus de 5 000 personnes ont été

 24   retrouvées mortes par l'ICMP, et quelques autres cadavres ont été retrouvés

 25   par des méthodes différentes. Le couplage avec les listes élaborées par

 26   l'armée de la BiH a montré que 70 % des personnes identifiées comme mortes

 27   figuraient également sur la liste dressée par l'armée de la BiH. Lorsque

 28   nous avons vérifié les dates et les lieux où ces personnes avaient disparu,


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  1   nous avons constaté que sur 3 ou 4 000 de cadavres exhumés, 220 avaient été

  2   portés disparus avant -- enfin, non, je vous demande pardon, avaient été

  3   enregistrés sur les listes de l'armée comme ayant trouvé la mort avant

  4   l'année 1995, à savoir en 1992 et en d'autres années, et ceci malgré le

  5   fait que leurs familles les avaient portés déclarés au moment où la chute

  6   de Srebrenica a eu lieu.

  7   Donc, pour commencer, ce qui pose question ici est moins de 5 % de

  8   cadavres au total. Donc, il s'agit de 220 personnes sur 5 371 personnes

  9   exhumées. Donc, le pourcentage est très bas, 3 à 4 %. Deuxièmement,

 10   lorsqu'on examine ces 220 dossiers de près, on constate que toutes les

 11   confirmations et toutes les identifications ont été faites par l'ICMP pour

 12   140 personnes retrouvées bien à Srebrenica. Alors, si vous souhaitez savoir

 13   quelles méthodes ont été utilisées pour ce faire, je pense qu'il serait

 14   meilleur de poser la question au personnel de l'ICMP ou à ma collègue, Mme

 15   Ewa Tabeau, qui a coopéré étroitement avec cette organisation.

 16   Par ailleurs, il est indiqué ici qu'une fois ces 220 dossiers envoyés

 17   au ministère de la Défense de Bosnie pour préciser le point, le ministère a

 18   apporté des corrections à 127 dossiers en réponse à la requête envoyée par

 19   le bureau du Procureur. Donc je ne sais pas les raisons pour lesquelles ces

 20   modifications ont été apportées, mais il arrive aussi que le ministère se

 21   trompe au niveau des dates, qu'il s'agisse de la date du décès ou de la

 22   date où une personne a été portée disparue. Il se peut qu'il s'agisse tout

 23   simplement de coquilles qui ont été corrigées par le ministère. Mais

 24   toujours est-il que seulement 127 dossiers ont été corrigés par le

 25   ministère, alors que 38 dossiers sur 220 n'ont pas été modifiés, n'ont donc

 26   pas été corrigés. Il est difficile de dire que le ministère a corrigé de

 27   façon systématique toutes les données relatives à Srebrenica.

 28   Je ne sais pas pour quelles raisons ils ont apporté un certain nombre


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  1   de corrections dans les dossiers qu'ils ont corrigés, mais je pense qu'ils

  2   ont eu des bonnes raisons pour le faire. Donc tout ceci nous laisse

  3   seulement 38 cas de figure - 38 dossiers sur 220 - au sujet desquels la

  4   situation n'est pas encore claire. Alors, c'est ma collègue, Ewa Tabeau,

  5   qui peut éventuellement répondre aux autres questions que vous pouvez

  6   souhaiter poser à cet égard. Merci. Et je suis désolée d'avoir fourni cette

  7   réponse assez longue. Parce que je me rappelle que ce rapport a été rédigé

  8   en avril 2009, donc il y a presque deux ans.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vais vous demander précision, s'il

 10   vous plaît. A la page 47 du compte rendu d'audience, ligne 9, il est

 11   enregistré dans le compte rendu d'audience que vous auriez dit que :

 12   "Moins de 5 % des dossiers présentent l'approche qui concorde avec le

 13   jour de la mort. Donc 220 sur 5 371."

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 15   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Vouliez-vous vraiment dire que

 16   c'était "cohérent" ? Ou plutôt que c'était "divergent" ?

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je voulais dire qu'il y avait une

 18   "divergence". Voilà, ça figure à la page 95 du rapport.

 19   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Très bien. C'est ce que j'avais cru.

 20   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

 21   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Maître Gajic, à vous.

 22   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, je pense qu'il nous

 23   serait utile de montrer la page 97 dans le système du prétoire électronique

 24   en version anglaise, et je pense que présenter cette page suffira amplement

 25   pour faire disparaître des doutes éventuels.

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Bien. Merci.

 27   M. GAJIC : [interprétation] Et je signale aux fins du compte rendu

 28   d'audience que ceci correspond à la page 104 dans la version serbe.


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  1   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, vous pouvez

  2   poursuivre.

  3   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   M. TOLIMIR : [interprétation]

  5   Q.  Alors, je vais me pencher immédiatement sur la troisième personne qui

  6   figure dans cette liste. Je ne vais pas lire à haute voix son nom et son

  7   prénom, mais en tout cas, il s'agit donc de la troisième personne sur cette

  8   liste, disparue en 1994, bien qu'il soit indiqué ici qu'il a été retrouvé

  9   plus tard. Ou alors examinons la personne précédente, portée disparue en

 10   1992. Or, l'ICMP fait figurer les deux hommes sur les listes de personnes

 11   retrouvées dans les fosses communes de Srebrenica.

 12   Alors, M. Brunborg a déclaré que nous avions à peu près cinq cas de

 13   figures de ce type par rapport au nombre total d'environ 5 000 exhumations,

 14   et moi, j'aimerais savoir si ce pourcentage de 5 % n'atteint pas le seuil

 15   d'une erreur statistique, parce que sinon, les données qui figurent ici ne

 16   seraient pas valides ? En fait, je présente mes excuses, j'ai fait un

 17   lapsus tout à l'heure, je voulais parler de l'ICMP et j'ai parlé plutôt de

 18   la Croix-Rouge internationale. Par ailleurs, ce qui m'intéresse est de

 19   savoir si d'abord il existe une marge statistique de 5 % et si cette marge

 20   statistique est suffisante pour faire diligenter une enquête, pour élucider

 21   la question ? Et par ailleurs, je me demande si un ministère peut tout

 22   simplement décider du destin de 128 dossiers différents ? Comment a-t-on

 23   décidé que les données qui concernaient ces 127 personnes concordaient dans

 24   toutes les bases de données, celles de l'ICMP aussi bien que celles de

 25   l'armée de la BiH ?

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, veuillez vous

 27   pencher sur le compte rendu d'audience à la page 49, lignes 5 à 20, votre

 28   question compte 15 lignes. En fait, vous posez toute une série de questions


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  1   au lieu d'une seule. Il est très difficile pour le témoin de fournir la

  2   réponse à des questions aussi complexes.

  3   Docteur Brunborg, voulez-vous essayer de fournir une réponse à cette

  4   question ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Pour commencer,

  6   le général Tolimir a entamé sa question par une déclaration erronée. Il a

  7   dit que la deuxième et la troisième personnes avaient été portées disparues

  8   en 1995. Or, tel n'est pas le cas. Ces personnes avaient été portées

  9   disparues par les membres de leurs familles auprès de la Croix-Rouge

 10   internationale à peu près au moment où il y a eu la chute de l'enclave de

 11   Srebrenica. Sinon, ces personnes n'auraient pas figuré dans nos listes de

 12   personnes portées disparues.

 13   Pour ce qui est des dates, le ministère de la Défense indique les dates où

 14   ces personnes ont été considérées comme ayant trouvé la mort par les

 15   représentants de l'armée de la BiH. Alors, je ne sais pas en fonction de

 16   quels critères ces dates de mort ont été établies, peut-être en fonction de

 17   leur âge. Mais en tout cas, lorsque nous avons demandé que toutes ces dates

 18   soient vérifiées parce qu'elles ne concordaient pas avec les dates données

 19   par les familles, nous avons compris qu'il y avait des divergences entre

 20   les dates données par les familles et les dates signalées dans les

 21   registres de l'armée.

 22   Par ailleurs, pour ce qui est des personnes retrouvées dans des fosses

 23   communes de Srebrenica, toutes les victimes sont mortes au moment de la

 24   chute de Srebrenica. Je pense que j'ai répondu à toutes les questions qui

 25   m'ont été posées désormais.

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Brunborg, vous avez dit que

 27   vous aviez demandé que toutes les dates soient vérifiées par le ministère

 28   parce que vous aviez relevé des divergences. Alors, de quelle façon l'armée


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  1   de la BiH a-t-elle réagi ?

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Eh bien, la réponse figure à la page 95 de mon

  3   rapport. Sur 220 dossiers, 127, à savoir plus que la moitié, ont été

  4   corrigés par le ministère en 2003. Ces corrections ont été apportées une

  5   fois déposée la requête du bureau du Procureur où l'on demandait que toutes

  6   les divergences par rapport aux registres de l'armée de la BiH soient

  7   précisées et tirées au clair.

  8   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Mme Nyambe souhaite vous poser une

  9   autre question.

 10   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] Je souhaite juste préciser un point.

 11   De quelle armée est-il question là ?

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Nous parlons de l'armée de la Fédération de

 13   Bosnie.

 14   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] Merci.

 15   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, à vous.

 16   L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais que nous nous

 17   penchions sur les entrées qui concernent les dates où les personnes numéros

 18   1 et 2 ont été portées disparues. Ces personnes figurent-elles dans les

 19   registres de l'armée au cours de l'année  1992 ? Merci.

 20   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Mais le témoin vient d'expliquer que

 21   ce figure ici n'est pas la date où ces personnes ont été portées disparues,

 22   mais plutôt la date où l'armée de la BiH les a fait figurer sur sa liste

 23   comme ayant trouvé la mort. Le témoin vient justement de l'expliquer.

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous demande pardon, Monsieur le Président,

 25   Messieurs les Juges, mais dans l'intitulé du tableau, nous lisons les 22

 26   dossiers où "la date du décès ou la date où les personnes ont été portées

 27   disparues présente des divergences." Parfois il peut s'agir de personnes

 28   portées disparues, et parfois de personnes qui ont trouvé la mort. Alors,


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  1   je ne sais pas quels étaient exactement les critères utilisés par l'armée,

  2   mais si j'ai bien compris, il s'agit peut-être uniquement ici des dates de

  3   décès enregistrées dans les archives de l'armée.

  4   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci de cette précision.

  5   Monsieur Tolimir, à vous.

  6   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

  7   M. TOLIMIR : [interprétation]

  8   Q.  [aucune interprétation]

  9   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous demande pardon.

 10   M. TOLIMIR : [interprétation]

 11   Q.  Mais les statistiques, on peut tout se permettre dans ce domaine. Le

 12   papier s'offre à tout. Mais Srebrenica c'est un petit village. Il était

 13   impossible d'en sortir au cours de la guerre; le saviez-vous ? Croyez-vous

 14   qu'il soit possible que quelqu'un ait pu dissimuler sa présence à l'armée

 15   pendant toute la durée de la   guerre ? Merci.

 16   R.  Merci à vous. Je ne comprends pas le sens de votre question. Qu'est-ce

 17   que vous voulez dire lorsque vous parlez de personnes qui "se dissimulaient

 18   aux yeux de l'armée" ? Nous savons que 70 % des personnes portées disparues

 19   étaient des membres de l'armée, donc pourquoi essaieraient-ils de fuir

 20   l'armée ou de se soustraire à ses yeux ?

 21   Evidemment, peut-être que vous voulez dire que ces personnes

 22   portaient des vêtements civils, qu'elles soient armées ou non, mais sur ce

 23   point, je ne saurais me prononcer. Je ne suis pas au courant de ces faits.

 24   Q.  Merci. Croyez-vous que les conclusions tirées par moi-même et par les

 25   Juges de la Chambre seront fiables si nous les appuyons sur ce type de

 26   données ? Ne serait-il pas nécessaire de disposer des documents qui

 27   seraient à la base de tous les chiffres cités pour pouvoir procéder à des

 28   comparaisons ?


Page 10118

  1   R.  Merci. Mais quelle est votre question au juste ? Et merci de me

  2   présenter vos questions une par une, étape par étape.

  3   Q.  Merci.

  4   L'ACCUSÉ : [interprétation] Aleksandar, soit gentil, lis-moi à haute voix

  5   ce que je viens de dire.

  6   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] En fait, c'est à moi que revient

  7   cette tâche. Monsieur Tolimir, cette question me pose problème. Vous dites

  8   :

  9   "Nous-mêmes et les Juges de la Chambre peuvent-ils tirer des

 10   conclusions fiables sur la base de ces données", et cetera.

 11   Mais c'est aux Juges de la Chambre de voir ce qu'ils souhaitent faire

 12   et la manière en fonction de laquelle ils souhaitent interpréter les

 13   chiffres. Vous pouvez peut-être demander : est-ce que les Juges de la

 14   Chambre sont en position de tirer des conclusions dans de telles

 15   circonstances ? Cela aurait été une question tout autre. Et alors, il

 16   faudrait la formuler ainsi :

 17   Est-ce que vous, Monsieur Tolimir, vous êtes en position de tirer des

 18   conclusions fiables sur la base de ces chiffres ? Ou ne serait-il pas

 19   préférable de s'appuyer également sur d'autres éléments, des données et sur

 20   d'autres documents ?

 21   Comprenez-vous la question, Monsieur Brunborg ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, Messieurs les

 23   Juges. Moi et mes collègues, nous nous sommes vus confier la tâche de

 24   fournir une liste de personnes portées disparues ou décédées en relation

 25   avec la chute de Srebrenica. Donc nous avons fourni les noms de ces

 26   personnes et leur nombre total. Je signale en passant que ce nombre est

 27   constamment en hausse. Mais cela ne veut pas dire que je prétends

 28   comprendre tout ce qui s'est passé à Srebrenica ou d'en savoir tout avec


Page 10119

  1   exactitude. C'est justement la raison pour laquelle il y a un tribunal qui

  2   travaille, qui étudie toute une série de rapports d'experts qui sont

  3   présentés et écoute toute une série de dépositions faites par les témoins

  4   au sujet des événements qui se sont produits à Srebrenica.

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

  6   Monsieur Tolimir, vous pouvez poursuivre.

  7   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je ne souhaite

  8   plus perdre de temps. Donc j'ai tout simplement demandé au témoin si les

  9   Juges de la Chambre peuvent tirer des conclusions sur la base des

 10   déclarations du type les choses étaient peut-être ainsi ou alors elles se

 11   sont déroulées comme ça. Mais revenons maintenant au rapport, puisque je ne

 12   souhaite pas m'appesantir sur ce point.

 13   Donc il nous faut la page 2 du rapport. Page 46 en version serbe, qui

 14   correspond à la page 42 en version anglaise. Pièce P1776. Merci. Voilà,

 15   nous avons le rapport sous les yeux.

 16   M. TOLIMIR : [interprétation]

 17   Q.  Et au deuxième paragraphe, vous dites :

 18   "Il n'existe pas d'aperçu concis et précis en matière d'exhumations et

 19   d'identifications effectuées sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, et plus

 20   particulièrement, de tels aperçus n'existent pas pour les exhumations et

 21   identifications faites à Srebrenica. Une seule organisation est à même de

 22   les fournir."

 23   Puis, à la fin du paragraphe, vous ajoutez :

 24   "L'Institut chargé des personnes disparues ainsi que l'institut bosniaque

 25   qui s'occupe de la même question sont en train d'élaborer une base de

 26   données centralisée qui concernerait des exhumations et des

 27   identifications. Malheureusement, une telle base de données n'existe

 28   toujours pas dans une forme électronique utilisable."


Page 10120

  1   Donc vous dites qu'aucune base de données n'existe soit au sein de

  2   l'Institut ou du Comité gouvernemental chargé des personnes disparues. Vous

  3   dites qu'il n'y a pas de base de données utilisable.

  4   Alors, qu'est-ce que vous entendez par là ? Est-ce que vous êtes en

  5   train de nous dire qu'une telle base de données devrait être mise sur pied

  6   ? Et, à votre avis, à quel moment ce sera chose faite ? Avant ou après la

  7   fin du présent procès ?

  8   R.  Au moment où ce rapport a été rédigé au mois d'avril 2009, d'après mes

  9   connaissances, il n'y avait pas de base de données centralisée qui

 10   concernerait les exhumations et les identifications effectuées. Le projet

 11   était toujours en voie de développement. Mais d'après ce que j'en sais,

 12   aucune base de données centralisée, unifiée, compréhensive n'a été élaborée

 13   jusqu'au jour d'aujourd'hui. Mais les choses évoluent très vite et des

 14   choses ont été faites sur ce point. Puis, vous savez, il existe d'autres

 15   sources qui concernent les personnes décédées ou portées disparues, y

 16   compris le "Livre bosniaque des morts". Mais bon, ce n'est pas vraiment une

 17   base de données qui concerne les exhumations.

 18   Alors, d'après ce que j'en ai compris, l'ICMP s'occupe de l'essentiel

 19   des identifications et des exhumations effectuées. Merci.

 20   Q.  Merci. Vu ce que vous venez de dire et par rapport à ce que vous avez

 21   dit des divergences qui sont assez importantes, si l'Institut pour les

 22   personnes disparues ne reconnaît pas les listes de l'armée, les listes du

 23   bureau du Procureur, on peut se poser la question suivante si cette

 24   commission reconnaît le travail d'autres organes et d'autres commissions,

 25   cette Commission pour les personnes portées disparues n'accepte que le

 26   critère qui est le sien ou qui est le critère de la commission d'Etat pour

 27   ce qui est des personnes disparues par rapport aux listes de cette

 28   commission ?


Page 10121

  1   R.  Merci. Je n'ai pas dit que l'Institut pour les personnes portées

  2   disparues ne reconnaît pas la liste de l'armée ou la liste du bureau du

  3   Procureur ou d'autres commissions ou d'autres organes. Donc j'aimerais que

  4   vous répétiez votre question.

  5   Q.  Merci. Je vais répéter ma question. On a eu l'occasion d'entendre le

  6   témoignage portant sur de diverses listes, nous avons eu l'occasion

  7   d'entendre votre témoignage portant sur diverses listes pour ce qui des

  8   personnes disparues du comité international de la Croix-Rouge, du bureau du

  9   Procureur, et c'est pour cela qu'on pose cette question, pour savoir si le

 10   comité international de la Croix-Rouge reconnaît les résultats du travail

 11   du bureau du Procureur concernant les personnes et les personnes portées

 12   disparues de Srebrenica ? Merci.

 13   R.  Pour autant que je sache, le comité international de la Croix-Rouge

 14   reçoit les informations de la Commission pour les personnes portées

 15   disparues par rapport à des personnes qui ont été identifiées comme mortes.

 16   Je ne sais pas ce que vous voulez dire lorsque vous dites "que le comité

 17   international de la Croix-Rouge reconnaît ou ne reconnaît pas le travail du

 18   bureau du Procureur". Je n'ai pas compris cela. Je pense qu'ils considèrent

 19   ce travail comme étant un travail important, mais ils s'appuient également

 20   sur les résultats de leur propre travail et sur d'autres sources.

 21   Q.  Pouvez-vous nous dire brièvement s'il y a une discordance entre les

 22   listes du comité international de la Croix-Rouge et les listes du bureau du

 23   Procureur ?

 24   R.  Comme j'ai déjà expliqué la semaine dernière, nous avons commencé à

 25   travailler sur l'établissement de la liste des personnes portées disparues

 26   en s'appuyant sur les listes du comité international de la Croix-Rouge. De

 27   plus, nous avons utilisé les données provenant d'autres organisations

 28   humanitaires, de l'organisation des Médecins pour les droits de l'homme. Et


Page 10122

  1   je pense que cela concernait moins de 100 personnes portées disparues. En

  2   d'autres termes, pour ce qui est du travail du bureau du Procureur là-

  3   dessus, le bureau du Procureur s'est basé presque exclusivement sur les

  4   listes du comité international.

  5   Nous avons reçu les informations de la Commission pour les personnes

  6   portées disparues concernant les personnes mortes identifiées et également

  7   les personnes qui ont été identifiées plus tard et qui ont été ajoutées à

  8   cette liste qui ne figuraient pas sur la liste du comité international de

  9   la Croix-Rouge des personnes portées disparues. Mais nous n'avons pas

 10   inclus les personnes portées disparues d'autres sources, des personnes

 11   portées disparues ou des personnes mortes. Nous n'appuyons que sur les

 12   listes du comité international de la Croix-Rouge, des Médecins pour les

 13   droits de l'homme et de la Commission pour les personnes portées disparues.

 14   Q.  Merci.

 15   L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aimerais qu'on affiche la page 52 en serbe et

 16   la page 48 en anglais. Et il faut afficher la dernière phrase du paragraphe

 17   où il est dit…

 18   M. TOLIMIR : [interprétation]

 19   Q.  Maintenant, nous pouvons voir ce paragraphe à l'écran. L'avant-dernier

 20   paragraphe, la dernière phrase de l'avant-dernier paragraphe dans les deux

 21   versions, merci.

 22   "Nous soulignons que le nombre de cas complétés ne correspond pas

 23   nécessairement au nombre de cas que les organes aux instances judiciaires

 24   ont obtenu par rapport au nombre de personnes portées disparues."

 25   Etes-vous d'accord avec moi pour dire qu'une personne est considérée morte

 26   lorsqu'un jugement définitif est rendu par un tribunal compétent ou un

 27   organe, un autre organe compétent ? Et quelle est la pratique norvégienne

 28   dans ce sens-là; est-ce qu'on peut considérer une personne comme étant


Page 10123

  1   morte s'il n'y a pas de décision judiciaire d'un organe judiciaire

  2   compétent ?

  3   R.  Je ne vois pas où est la pertinence de cette question, puisque chez

  4   nous, nous n'avons pas de liste de personnes portées disparues. Parfois, il

  5   arrive qu'une personne soit disparue et que cette personne ne se trouve

  6   plus dans son lieu de domicile et on peut la déclarer disparue par la suite

  7   et morte par la suite par une décision judiciaire. Mais, en tout cas, il

  8   s'agit de très rares cas où cela arrive. Par exemple, si un bateau de pêche

  9   disparaît, après une certaine période de temps, l'équipage de ce bateau

 10   peut être déclaré comme disparu et mort.

 11   Q.  Merci. Est-ce que vous avez procédé à des vérifications pour savoir

 12   quel était le degré de divergence ou de discordance des listes de la

 13   Commission pour les personnes portées disparues concernant les listes des

 14   personnes mortes et identifiées en tant que tel et les listes des organes

 15   judiciaires locaux qui ont rendu des décisions judiciaires définitives

 16   déclarant une personne comme étant morte ?

 17   R.  Pour autant que je sache, nous n'avons reçu aucune information dans ce

 18   sens-là pour ce qui est des organes judiciaires locaux ou nationaux.

 19   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, je pense qu'il faut

 20   qu'on fasse la deuxième pause maintenant, puisqu'il faut changer des

 21   cassettes.

 22   Nous allons faire une pause d'une demi-heure, et nous continuons nos

 23   débats à 18 heures.

 24   --- L'audience est suspendue à 17 heures 29.

 25   --- L'audience est reprise à 18 heures 03.

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, vous pouvez

 27   poursuivre votre contre-interrogatoire.

 28   M. TOLIMIR : [interprétation]


Page 10124

  1   Q.  Puisque le document est toujours affiché à l'écran, Monsieur Brunborg,

  2   j'aimerais que vous regardiez le paragraphe que nous avons déjà vu où vous

  3   parlez des différences entre les informations publiées par la Commission

  4   pour les personnes portées disparues qui ne contiennent pas les rapports

  5   pour ce qui est des analyses d'ADN qui étaient en train d'être vérifiées.

  6   Est-ce que les identifications basées sur l'analyse d'ADN ont été incluses

  7   à la liste du bureau du Procureur de 2002 ?

  8   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, l'interprète n'a

  9   pas saisi la dernière partie de votre question, où vous avez parlé des

 10   divergences entre les informations publiées par la Commission pour les

 11   personnes portées disparues et ensuite, vous faites référence à des

 12   analyses d'ADN qui étaient en train d'être vérifiées, et ensuite, vous avez

 13   dit quelque chose que les interprètes n'ont pas pu interpréter.

 14   M. TOLIMIR : [interprétation]

 15   Q.  Est-ce que ces identifications qui étaient en train d'être vérifiées,

 16   d'être confirmées, étaient incluses à la liste du bureau du Procureur de

 17   2009 ?

 18   R.  Je pense que nous avons inclus les identifications qui étaient en

 19   cours. Si nous avons reçu de telles informations concernant ces cas, cela

 20   comprenait les nombres provenant de la liste de la Commission pour les

 21   personnes portées disparues.

 22   Q.  Merci. Pouvez-vous nous dire si la liste du bureau du Procureur est une

 23   liste publique ?

 24   R.  En principe, oui, mais il faut que je répète que puisque sur cette

 25   liste il y a des noms des personnes mortes ou des personnes par rapport

 26   auxquelles toutes les informations ne sont pas rassemblées, les

 27   informations provenant de leurs familles, donc ces listes comportent les

 28   parties qui sont sous pli scellé.


Page 10125

  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce qu'on peut maintenant afficher la page

  2   12 en B/C/S et la page 11 en anglais de la pièce à conviction qui porte la

  3   cote P1176.

  4   M. TOLIMIR : [interprétation]

  5   Q.  Avant de répondre à cette question, j'aimerais savoir si les experts

  6   peuvent vérifier vos listes ?

  7   R.  Je ne pense pas qu'il existe une différence ou une distinction entre

  8   les experts qui sont les experts et le public en général, puisque si

  9   certaines parties de ces listes sont sous pli scellé, cela ne peut pas être

 10   disponible pour les experts.

 11   M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agit de la pièce P1776 aux fins du

 12   compte rendu.

 13   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

 14   M. TOLIMIR : [interprétation]

 15   Q.  Monsieur Brunborg, pouvez-vous regarder le point numéro 3 dans ce

 16   paragraphe 2.3, et je vais le citer :

 17   "De plus, toutes les informations concernant les survivants de Srebrenica

 18   et qui ont attiré notre attention sur un document en tant que source

 19   d'information, sur un rapport des médias ou sur les souvenirs de témoins,

 20   les déclarations ou les dépositions d'autres personnes, et si le bureau du

 21   Procureur ou la Défense, on attirait notre attention sur ces sources, ces

 22   informations étaient exclues de notre base de données s'il a été constaté

 23   et confirmé que la personne en question a survécu à ces événements."

 24   Les sources que vous avez utilisées lors des vérifications dont vous avez

 25   parlé, est-ce que vous avez compilé une liste des informations, des sources

 26   que vous avez utilisées pendant ces vérifications que vous avez mentionnées

 27   ?

 28   R.  Non. Pour autant que je sache, nous avons consulté de nombreux


Page 10126

  1   documents, des articles de presse, des ouvrages, mais ici, il a été dit que

  2   nous n'avions pas trouvé de nouveaux noms de survivants potentiels, donc

  3   ces recherches n'ont pas donné de résultat, aucun résultat. Nous avons

  4   consulté les listes contenant plusieurs noms des personnes déplacées, des

  5   réfugiés, des soldats, des électeurs. On a eu des discussions détaillées,

  6   et cela figure dans des annexes à ce rapport.

  7   Et j'aimerais également ajouter que dans le premier rapport du mois de

  8   février 2000, il est dit que nous avons examiné certains ouvrages et

  9   listes, et cela figure dans le chapitre où il y a des tentatives de

 10   minimiser certaines listes. Il y a des références, des ouvrages et des

 11   articles qui ont été examinés pour ce qui est du rapport de 2000 et ont été

 12   versés au dossier dans cette affaire.

 13   Q.  Donc, vous n'avez pas retrouvé ces personnes survécues, aucune de ces

 14   personnes survécues. C'était votre réponse.

 15   L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aimerais qu'on affiche 1D574. Il s'agit d'un

 16   extrait du livre "Srebrenica juillet 1995 à la recherche de la vérité, de

 17   Milivoje" --

 18   L'INTERPRÈTE : Et l'interprète n'a pas saisi le nom de l'auteur.

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Nous voyons le titre -- c'est Milivoje

 20   Ivanisevic qui est l'auteur de l'ouvrage "Srebrenica, juillet 1995, à la

 21   recherche de la vérité."

 22   M. TOLIMIR : [interprétation]

 23   Q.  Maintenant, est-ce qu'on peut afficher la page numéro 2 de ce livre, où

 24   on peut lire comme suit :

 25   "Les personnes qui ont été déclarées personnes mortes par une décision

 26   judiciaire à un autre endroit et pendant une autre période, la liste a été

 27   dressée sur la base des informations des registres de personnes décédées."

 28   Et dans l'introduction, on peut lire, je cite :


Page 10127

  1   "Par l'inspection incomplète de certains registres de personnes décédées

  2   auprès des autorités musulmanes, nous avons constaté que même les personnes

  3   dont les noms vont être énumérés dans la suite de cette revue n'ont pas été

  4   les victimes du massacre en juillet 1995 à Srebrenica, mais que ces

  5   personnes sont mortes de mort naturelle à d'autres endroits et à d'autres

  6   moments.

  7   "Malheureusement, nous ne pouvons pas avoir un accès, même partiel, à la

  8   plupart des registres de personnes décédées à Srebrenica, ni à d'autres

  9   municipalités avoisinantes. Nous croyons que si cela peut être effectué,

 10   cette liste pourrait être plus complète. Mais il n'est pas contestable que

 11   de cette façon il a été essayé d'augmenter le nombre de victimes musulmanes

 12   présumées de Srebrenica ayant péri lors du massacre à l'occasion du retour

 13   des Serbes en juillet 1995 et qui ont été par la suite enterrées au centre

 14   commémoratif et au cimetière de Potocari, cet abus est confirmé par les

 15   conclusions suivantes :"

 16   Avant de parler de ces constatations, pouvez-vous me dire si vous avez pu

 17   examiner cette liste avant, puisque le livre d'Ivanisevic a été publié en

 18   2007, avant que vous n'ayez fait publier ce rapport, le rapport que vous

 19   avez écrit en 2009, puisque vous avez dit que vous avez dit aussi avoir

 20   consulter certaines sources, certains médias ? Merci.

 21   R.  Je vous remercie. J'ai vu plusieurs listes analogues à celles-ci, et à

 22   savoir si cette liste a également été prise en considération, je ne le sais

 23   pas, mais je pense que ma collègue, Ewa Tabeau, a également étudié cette

 24   liste. Ce que nous avons trouvé lorsque nous avons examiné ce type de

 25   listes, c'est que les personnes dans ces listes ne faisaient pas partie de

 26   notre liste de personnes portées disparues. Nous serions, bien sûr, heureux

 27   de vérifier si les noms figurant sur cette liste figurent effectivement sur

 28   la liste qui est la nôtre des personnes portées disparues.


Page 10128

  1   Q.  Bien. Merci. Pourriez-vous nous dire si vous vous êtes servi de

  2   registres de décès de personnes décédées, registres tenus par les autorités

  3   musulmanes en Bosnie-Herzégovine pour effectuer le nombre de personnes

  4   portées disparues ou de personnes qui ont été identifiées grâce à l'analyse

  5   ADN et qui sont mortes de mort naturelle soit avant ou après les événements

  6   de Srebrenica ? Merci.

  7   R.  Eh bien, encore une fois, vous me posez plusieurs questions en une.

  8   Nous nous sommes assurés que lorsqu'une personne a été rapportée comme

  9   personne décédée, que d'abord cette personne a été portée sur une liste de

 10   personnes disparues. Et si les données sont des données de mort naturelle,

 11   à ce moment-là ces personnes ne seraient pas sur une liste de personnes

 12   portées disparues.

 13   Je ne me rappelle pas, toutefois, de ces instances, et il est tout à fait

 14   possible que le CICR ait examiné ceci, vu cela, et qu'ils aient pu enlever

 15   les personnes de leurs listes. Mais les raisons sont très minimes pour que

 16   ceci soit fait de cette façon-là, je veux dire le fait que le nombre de

 17   personnes qui ont été biffées ou enlevées de leurs listes, ces raisons-ci

 18   sont effectivement bien minces.

 19   Q.  Merci. Veuillez, je vous prie, consulter cette liste-ci. Voilà, nous

 20   l'avons à la page 2. Il s'agit de la pièce 1D580. Vous trouverez sur cette

 21   liste des données tirées du livre dont je parle, ouvrage de M. Milivoje

 22   Ivanisevic. La Défense l'a comparée avec les listes de l'Accusation de

 23   2000, 2007 et 2009, et nous avons trouvé 58 noms mentionnés sur ces listes

 24   pour lesquels il a été confirmé qu'ils sont mortes ailleurs et à d'autres

 25   moments, et non pas à la suite des événements de Srebrenica. Est-ce que

 26   vous avez tenu compte de ceci lorsque vous avez élaboré votre rapport ?

 27   Merci.

 28   R.  Comme j'ai dit un peu plus tôt, je ne me souviens pas d'avoir vu cette


Page 10129

  1   liste, puisque je ne travaillais pas ici en 2007. Ma collègue, Mme Ewa

  2   Tabeau, a pu voir cette liste. Mais pour vous donner une réponse précise,

  3   je voudrais vous demander de me donner une précision, est-ce que vous avez

  4   mentionné huit noms ou 28 noms ? Je ne suis pas tout à fait certain.

  5   Q.  Merci de m'avoir pose cette question. Alors, nous avons compté un total

  6   de 58 noms.

  7   R.  Il nous faudrait vérifier ces noms et comparer avec nos listes pour

  8   voir si vos conclusions sont valides, effectivement.

  9   Q.  Merci.

 10   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais que l'on affiche la page 1.

 11   M. TOLIMIR : [interprétation]

 12   Q.  Et avant que l'on attende l'affichage de cette page, je voudrais vous

 13   dire que six noms apparaissant sur cette liste ne figurent pas sur les

 14   listes des années précédentes, et ce, s'agissant de la liste de 2009 pour

 15   ce qui est de six noms, mais ces noms figurent toutefois sur les listes de

 16   2000 et 2007. Donc, par moments, ces noms apparaissent dans vos listes, et

 17   à d'autres moments, ces noms n'y sont pas.

 18   Donc, voici ma question : sur la base de quoi avez-vous biffé ces six noms

 19   tirés de ces 58 noms ? Est-ce que vous avez des documents, est-ce que vous

 20   avez des explications dans lesquelles vous donnez des raisons pour

 21   lesquelles ces noms ont été biffés en 2009 et éliminés de vos listes ?

 22   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Pour une meilleure compréhension,

 23   pouvez-vous nous expliquer, je vous prie, de quel type de liste il s'agit ?

 24   Vous avez dit : "Veuillez consulter cette liste, elle est affichée à

 25   l'écran, elle figure à la page 2." Par la suite, vous avez changé, et vous

 26   avez demandé l'affichage d'un autre document. Est-ce que ceci est tiré du

 27   livre de l'ouvrage que nous avons vu un peu plus tôt ou bien s'agit-il

 28   d'une autre liste ? J'aurais besoin d'explication, s'il vous plaît.


Page 10130

  1   Maître Gajic.

  2   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, je crois que je vais

  3   pouvoir vous l'expliquer assez facilement. Voici : la liste que nous avons

  4   maintenant à l'écran est une liste qui a été compilée par la Défense. Cette

  5   liste a été compilée par la Défense en comparant les noms qui figurent dans

  6   une liste du livre de Milivoje Ivanisevic et en la comparant avec le bureau

  7   du Procureur. Nous voyons dans la première colonne le nom, le prénom et le

  8   nom du père de chacune de ces personnes. Ensuite, dans la deuxième colonne,

  9   il y a l'endroit de disparition, d'après les listes du Procureur, bien sûr.

 10   Et dans la troisième colonne, nous pouvons voir le lieu de décès qui est

 11   dit dans le livre d'Ivanisevic et pour lequel on dit que ces données ont

 12   été prises des registres des tribunaux.

 13   On a également la mort -- du décès dans la colonne qui suit, comme il a été

 14   tiré les registres concernés, et tout ceci a été comparé avec les listes du

 15   Procureur. Les trois dernières colonnes nous donnent également des numéros

 16   65 ter qui nous renvoient aux listes de l'Accusation. Par exemple, le

 17   numéro 65 ter 00536 est une liste de l'Accusation de 2000. OTP 65 numéro

 18   2197, c'est une liste de l'Accusation de 2007. Et dans la dernière colonne,

 19   effectivement, nous voyons également la liste du bureau du Procureur de

 20   2009. Vous verrez, de plus, dans le tableau, dans les parties où on fait

 21   référence aux listes de l'Accusation qu'il est indiqué "Da", c'est qui veut

 22   dire qu'on peut trouver les données sur la liste de l'Accusation et on peut

 23   également voir sur quelle page du prétoire électronique le nom et le prénom

 24   figurent; les noms et les prénoms qui sont comparés aux données tirées du

 25   livre d'Ivanisevic.

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie de cette précision,

 27   Maître Gajic. Ceci est fort utile, effectivement. Cela nous permet de mieux

 28   comprendre. Donc, si je ne m'abuse, cette liste a été élaborée par la


Page 10131

  1   Défense dans ce cas-ci, n'est-ce pas ? Maître Gajic, est-ce que c'est

  2   exact, cette liste a été compilée par la Défense de cette affaire-ci,

  3   n'est-ce pas, si je ne m'abuse ?

  4   M. GAJIC : [interprétation] Oui, tout à fait. Ce sont mes associés ou mes

  5   collaborateurs qui ont compilé cette liste et j'ai eu l'occasion de

  6   vérifier la majorité de ces données, de ces entrées. Je n'ai vu aucune

  7   erreur nulle part.

  8   L'ACCUSÉ : [interprétation] Excusez-moi, je voudrais simplement ajouter

  9   quelque chose.

 10   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Mais non, je ne parle pas d'erreurs.

 11   Ce n'est pas de ceci que je parle. Je voulais simplement savoir l'origine

 12   de cette liste pour mieux comprendre comment elle a vu jour.

 13   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voulais simplement dire quelque chose.

 14   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Oui, Monsieur Tolimir.

 15   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voulais simplement dire ceci, voilà. Alors,

 16   je voulais vous dire que les données sont les données qui figurent dans le

 17   livre d'Ivanisevic tiré des registres des tribunaux, pour ce qui est de ces

 18   58 personnes. Alors, je voulais le dire pour que l'on comprenne le tout tel

 19   que décrit par Me Gajic.

 20   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie.

 21   Monsieur Vanderpuye.

 22   M. VANDERPUYE : [interprétation] Je crois que le général Tolimir a en

 23   partie répondu à la question que je voulais poser. Mais dans la mesure où

 24   on fait référence aux dates de décès et de lieux de décès, dans la mesure

 25   où ceci était tiré dans le registre des tribunaux, je crois qu'il serait

 26   fort utile de savoir de quels registres de quels tribunaux il s'agit, et si

 27   ces registres sont identifiés, il serait utile de pouvoir les examiner.

 28   Je remarque ceci, car certaines entrées qui figurent sur ce tableau


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  1   tel que dit, et de toute façon, ces noms correspondent sur la liste du

  2   bureau du Procureur de personnes qui ont été identifiées à l'aide de

  3   l'analyse par l'ADN de l'ICMP provenant des fosses telles que Glogova et

  4   Cancari, donc, fosses de Cerska. Donc, je crois qu'il est important de

  5   savoir de quels registres on parle exactement, quels sont les registres sur

  6   lesquels la Défense s'est appuyée pour produire ces tableaux, puisque nous

  7   ne les avons pas sous les yeux, afin de pouvoir d'abord déterminer

  8   l'origine ou la provenance de l'information et de pouvoir évaluer également

  9   la fiabilité de ces données.

 10   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je remarque que les noms des

 11   personnes énumérés de 1 à 6 sont énumérés comme ayant la même date de

 12   naissance, 15 décembre 1996. Effectivement, il serait fort utile --

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] Date de décès, excusez-moi.

 14   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Et qu'est-ce que j'ai dit ?

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Vous avez dit "date de naissance" et c'est la

 16   date de décès.

 17   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Effectivement. Donc, date de décès.

 18   Voilà, merci de votre correction.

 19   Monsieur Tolimir, il serait vraiment utile si vous pouvez nous donner cette

 20   information. Si vous souhaitez faire un commentaire et obtenir de ce témoin

 21   concernant cette liste qui figure à l'écran.

 22   Alors, d'abord, correction du Greffier.

 23   M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, Madame le Juge,

 24   avec votre permission, je voudrais simplement vérifier pour le compte rendu

 25   d'audience que le document 65 ter dont la Défense a fait référence tout à

 26   l'heure au numéro 00536 a déjà été versé au dossier en tant que pièce de

 27   l'Accusation P1782, contrairement aux autres documents 65 ter 02197 et

 28   qu'il ne fait pas encore partie du dossier, qu'il n'a pas encore été versé


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  1   au dossier.

  2   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie.

  3   Maître Gajic.

  4   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, dans le livre dont on

  5   s'est basés pour compiler cette liste, nous avons obtenu les informations

  6   complètes du livre d'Ivanisevic. Il est tout à fait clairement élaboré dans

  7   ce livre sur la base de quoi il donne ses données. Il s'agit de données des

  8   registres de décès des personnes décédées et les données ont été entrées

  9   sur ce tableau à la suite de décisions prises par les tribunaux.

 10   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] M. Vanderpuye voulait savoir si vous

 11   pouviez nous donner une référence d'un dossier ou de quels tribunaux il

 12   s'agit. Je crois que c'est ceci qu'a demandé M. Vanderpuye.

 13   Alors, mais pour ne pas perdre plus de temps sur ceci, j'apprécierais,

 14   effectivement, si le témoin, en fait, se souvient de la question. On a posé

 15   au témoin la question concernant ce document qui figure à l'écran pour ce

 16   qui est des six noms qui sont tirés de la liste. On vous a demandé,

 17   Monsieur le Témoin :

 18   "Donc, sur la base de quoi avez-vous biffé ces six noms, éliminé ces six

 19   noms du total des 58 noms ? Et y a-t-il des documents ou une explication

 20   pour laquelle vous avez éliminé ces six noms en 2009" ?

 21   Est-ce que vous avez une réponse ? Pouvez-vous répondre à cette question ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Bien évidemment, je ne suis pas capable de me

 23   souvenir de tous les détails, cela vaut pour tout le monde, mais je pense

 24   que la raison principale pour laquelle ces noms ont été effacés étaient les

 25   nouveaux éléments qui nous ont été remis par la Croix-Rouge internationale.

 26   Donc, nous avons reçu des listes de personnes portées disparues mises à

 27   jour. Et chaque fois que nous recevions une nouvelle version de cette

 28   liste, le nombre total de personnes montait en hausse. Mais aussi, on


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  1   enlevait un certain nombre de noms, parce qu'on avait constaté que des

  2   personnes avaient survécu, ou encore parce qu'on avait relevé des erreurs

  3   techniques. Il arrivait par exemple qu'on constate qu'une personne était

  4   morte de causes naturelles ou que la date de son décès n'était pas en

  5   concordance avec la date de la chute de Srebrenica.

  6   Mais permettez-moi, Messieurs les Juges, de relever un point. Vous

  7   remarquez pour les sept premiers noms, on indique la même date de décès, le

  8   15 décembre 1996. Et je trouve ça un peu douteux, si je puis m'exprimer

  9   ainsi. Est-il certain qu'il ne s'agit pas plutôt de la date où le tribunal

 10   a délivré sa décision. Ou c'est peut-être la date de l'exhumation qui est

 11   citée ici. C'est quelque chose qu'il faudrait tirer au clair, parce que

 12   pour autant que je le sache, il n'y a pas eu de bataille en 1996. Donc, il

 13   est étrange que sept personnes soient mortes sur le coup, le même jour.

 14   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, à vous.

 15   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 16   Si nous examinons toutes les sources que nous avons énumérées, y compris le

 17   livre d'Ivanisevic, de même que tous les éléments de données recueillis par

 18   le bureau du Procureur entre 2007 et 2009, et nous avons l'intention de

 19   soumettre aux Juges de la Chambre tous ces documents, vous verrez bien pour

 20   quelle raison la Défense a tiré ces conclusions. Vous pourrez étudier tous

 21   les éléments de preuve qui figurent dans ces quatre documents. Donc, nous

 22   nous appuyons sur les causes de morts ou les modes de décès énumérés dans

 23   ces documents. Mais il faut signaler que toutes ces données ont été

 24   fournies par la partie musulmane et non pas par la partie serbe. Parce que

 25   le document qui servait de base, c'étaient les certificats de mort fournis

 26   par les Musulmans pour les personnes en question. Merci.

 27   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Vous pouvez poursuivre votre contre-

 28   interrogatoire.


Page 10135

  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aimerais que ces deux documents soient versés

  2   au dossier pour qu'ils puissent être à la disposition des Juges par la

  3   suite.

  4   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] S'agit-il du document 1D580, qui est

  5   affiché à l'écran ? Ce document a-t-il déjà été admis au dossier ? Non,

  6   apparemment, non.

  7   Monsieur Vanderpuye.

  8   M. VANDERPUYE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.  Compte tenu

  9   de l'argumentation que j'ai déjà présentée tout à l'heure quant à l'origine

 10   de ces éléments d'information, et notamment pour ce qui est des décisions

 11   adoptées par les Tribunaux quant à la date de décès enregistrée, et compte

 12   tenu du fait que le témoin a indiqué qu'à la seule première page, on relève

 13   plusieurs personnes qui auraient trouvé la mort le 15 décembre 1996, et je

 14   vous signale qu'il y en a plus, une vingtaine peut-être, dans le document

 15   dans sa totalité, voire 30. Donc compte tenu de toutes ces informations et

 16   du fait que la source précise de ces éléments n'a pas été identifiée, je me

 17   demande si les Juges de la Chambre ne préféreraient pas enregistrer ce

 18   document aux fins d'identification, tant que nous n'aurons pas reçu des

 19   renseignements supplémentaires quant à l'origine de la documentation de

 20   base. Donc, pour le moment, je soulève une objection quant à l'admission du

 21   document au dossier.

 22   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Maître Gajic, à vous.

 23   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, je pense qu'il serait

 24   utile d'afficher brièvement à l'écran le document 1D574. Je comprends

 25   parfaitement que M. le Procureur ne maîtrise pas la langue serbe, et c'est

 26   peut-être là que réside le problème. Ce document, en effet, n'a pas encore

 27   été traduit.Est-il possible d'afficher la page 2, s'il vous plaît. Alors,

 28   dans cette liste qui figure dans le document, nous voyons la source qui a


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  1   été utilisée, à savoir le registre de naissances, et nous voyons également

  2   sur la base de quels dossiers judiciaires les décès ont été répertoriés, et

  3   nous avons été très précis quant à nos sources. Nous avons précisé que nous

  4   nous sommes servis exclusivement de ce livre rédigé par Milivoje

  5   Ivanisevic. Alors, nous n'avions pas les moyens nécessaires pour vérifier

  6   tous les registres judiciaires et tous les registres de décès. Le Procureur

  7   a beaucoup plus de moyens à sa disposition pour procéder à des

  8   vérifications nécessaires, s'il le souhaite. Mais voilà, ceci est la source

  9   des données sur laquelle nous nous appuyons. Tout est cité dans le livre.

 10   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je peux vous donner lecture, si vous le voulez.

 11   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, vous n'avez pas la

 12   parole en ce moment. Nous avons écouté très attentivement le propos de Me

 13   Gajic, mais je souhaite lui poser une question supplémentaire, puis je vous

 14   donnerai la parole.

 15   Maître Gajic, vous avez dit que vous avez relevé tous les éléments

 16   d'information dont vous vous servez dans ce livre-ci, qui est affiché à

 17   l'écran en ce moment, mais vous dites que ce livre se réfère aux sources

 18   que vous avez évoquées dans la liste que vous avez dressée; ai-je bien

 19   compris votre propos ?

 20   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, nous avons réuni les

 21   éléments d'information qui se trouvent dans ce livre et les éléments

 22   d'information qui figurent dans les listes du Procureur. Donc, nous avons

 23   assemblé et comparé toutes les données disponibles. Le Procureur procède de

 24   la même façon lorsqu'il compare ses listes avec celles de l'ABiH. Donc,

 25   nous avons procédé à des comparaisons. Mais nous n'avons tenu compte que

 26   des éléments d'information qui figurent dans toutes les sources que nous

 27   avons consultées, parce que si vous consultez la liste du Procureur, vous

 28   verrez que le nombre de noms est beaucoup plus long que celui qui figure


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  1   dans notre liste. Donc, la liste du Procureur est de nature confidentielle.

  2   Elle n'est accessible qu'aux personnes qui sont partie prenante au procès

  3   qui se déroule ici, et c'est pourquoi dans le livre, on ne s'est servi que

  4   des noms qui sont cités dans les cimetières.

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] C'est très utile. Les informations

  6   que vous venez de nous fournir, Maître Gajic, j'imagine que vous n'avez

  7   rien de particulier à ajouter. Vous n'avez pas de dossier judiciaire à

  8   citer ou de registre à citer, vous avez tout pris dans ce livre; ai-je

  9   raison de l'affirmer ?

 10   M. GAJIC : [interprétation] Oui. La seule source dont nous nous sommes

 11   servis, c'était ce livre-là.

 12   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Vanderpuye, à vous.

 13   M. VANDERPUYE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je pense que

 14   cela résout la question de la source d'où provient le tableau, et ceci ne

 15   pose plus problème à l'Accusation puisque nous avons identifié la source

 16   sur laquelle est basé le tableau, mais je ne suis pas sûr si ce livre a

 17   déjà été versé au dossier.

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je crois que non. Je pense que M.

 19   Tolimir a tout simplement annoncé qu'il allait demander le versement au

 20   dossier du livre.

 21   M. VANDERPUYE : [interprétation] Bien.

 22   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Mais avant de rendre une décision sur

 23   le sujet, j'aimerais savoir combien de pages nous devrions verser au

 24   dossier ? Ici, ce qui est affiché à l'écran, ce sont les pages 156 et 157,

 25   mais tout à l'heure vous avez évoqué la page 2. Alors, combien de pages

 26   faut-il verser au dossier ? Combien de pages ce document compte-t-il, pour

 27   commencer ?

 28   Nous pourrions peut-être demander cette information au Greffier


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  1   d'audience.

  2   M. LE GREFFIER : [interprétation] Il y a cinq pages au total. Merci.

  3   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Donc, il y a cinq pages qui ont été

  4   téléchargées par la Défense dans le système du prétoire électronique; ai-je

  5   raison de l'affirmer ?

  6   M. LE GREFFIER : [interprétation] Oui, tout à fait.

  7   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vois que vous êtes debout, Maître

  8   Gajic.

  9   M. GAJIC : [interprétation] Oui, vous avez parfaitement raison, Monsieur le

 10   Président. Cinq pages de ce livre sont pertinentes pour ce qui nous

 11   intéresse, et n'ont pas encore été versées au dossier, et nous souhaitons

 12   demander le versement maintenant. Il s'agit du document 1D574.

 13   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Vanderpuye.

 14   M. VANDERPUYE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je suis

 15   toujours debout simplement pour dire que nous ne soulevons pas d'objection

 16   quant au versement du livre au dossier ou des pages qui sont pertinentes,

 17   mais je souhaitais préciser que les sources d'information citées par M.

 18   Gajic, à savoir les registres de décès publics qui figurent dans son

 19   tableau, j'aimerais m'assurer que ces sources figurent bien dans ces cinq

 20   pages qui nous concernent ici. Et si ces informations figurent dans ces

 21   pages, alors je n'ai pas d'objection à soulever. Mais si, par contre, elles

 22   n'y figurent pas, alors je demande que le document soit enregistré aux fins

 23   d'identification.

 24   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Très bien. C'est ce que j'ai compris,

 25   moi aussi.

 26   Maître Gajic.

 27   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, le document 1D574

 28   comprend cinq pages du livre. Le document 1D580 est une liste dressée par


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  1   la Défense qui a procédé à une comparaison des données qui figurent dans ce

  2   livre-ci et dans la liste dressée par le Procureur. Donc, la Défense a

  3   rédigé sa liste en se servant précisément des données qui sont citées dans

  4   les cinq pages du livre que nous souhaitons verser au dossier. Je pense que

  5   tout est parfaitement clair en ce moment.

  6   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je suis bien d'accord.

  7   M. VANDERPUYE : [interprétation] Mais moi, je ne suis pas d'accord, si vous

  8   le permettez.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Vanderpuye.

 10   M. VANDERPUYE : [interprétation] Ce qui manque, c'est peut-être tout

 11   simplement une question de traduction et du fait que je ne suis pas à même

 12   de déchiffrer l'écriture cyrillique, donc ce qui n'est pas clair, c'est le

 13   point suivant : ces cinq pages du livre citent-elles les sources

 14   d'information pour les dates de décès citées dans votre liste ? Est-ce que

 15   dans ce livre nous pouvons lire cet élément d'information est tiré d'un tel

 16   registre tenu dans une telle municipalité ? Si ces éléments d'information

 17   figurent dans les pages du livre, alors il n'y a pas de problème.

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] J'ai compris le sens de votre

 19   demande.

 20   Maître Gajic, qu'en dites-vous ?

 21   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, tout est indiqué très

 22   clairement dans ce livre. M. Tolimir a donné lecture tout à l'heure de la

 23   partie introductoire. Il est indiqué dans cette partie que toutes les

 24   données qui figurent dans le livre ont été tirées des registres officiels.

 25   Donc, permettez-moi, pour éclaircir la situation, de vous donner lecture du

 26   premier point :

 27   "Huso Dzafic, mort le 21 mai 1992, né en 1960, mort dans la

 28   municipalité de Nova Kasaba, il a été répertorié sur la base du registre de


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  1   décès, conformément à une décision rendue par le tribunal de base de

  2   Banovici, numéro IR 43/96, du 9 décembre 1996. La date a été enregistrée

  3   dans le registre de décès le 19 décembre 1996."

  4   Donc, toutes les informations qui figurent dans notre tableau ont été

  5   tirées de ce livre, qui indique clairement ses sources.

  6   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci infiniment. Je pense que la

  7   situation est claire maintenant. Malheureusement, personne d'entre nous

  8   n'est capable de déchiffrer l'écriture cyrillique, du moins pas pour le

  9   moment, mais je pense que si nous admettons au dossier la liste dressée par

 10   la Défense, on pourrait commencer par là. 1D580, s'il vous plaît.

 11   M. LE GREFFIER : [interprétation] Messieurs les Juges, le document 1D580

 12   obtiendra la cote D164. Merci.

 13   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Et les cinq pages du livre affichées

 14   à l'écran, donc c'est le document 1D574, seront enregistrées aux fins

 15   d'identification en attendant que la traduction soit préparée.

 16   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce D165. Merci, Messieurs

 17   les Juges.

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Voilà, nous sommes arrivés à bout

 19   d'un débat plutôt compliqué, mais voilà, vous m'en voyez heureux.

 20   Monsieur Tolimir, à vous, vous pouvez poursuivre.

 21   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Dans le rapport

 22   de monsieur l'expert, il est indiqué qu'on s'est servi de toutes sortes

 23   d'enregistrement, y compris tout ce qui a été télédiffusé, donc je pense

 24   qu'il n'y a pas de problème quant aux sources que la Défense se sert de son

 25   côté, puisqu'elle s'est servie de ces mêmes sources. Alors, étudions en

 26   préparant les documents D165 et D164, la Défense a repéré un certain nombre

 27   de divergences entre la liste du Centre mémorial de Potocari et la liste

 28   dressée par ce M. Ivanisevic dans son livre.


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  1   M. TOLIMIR : [interprétation]

  2   Q.  Après avoir étudié un certain nombre de registres officiels, je

  3   souhaite vous poser la question suivante : quelle est la cause de la

  4   divergence des données qui figure sur le monument qui se trouve au Centre

  5   mémorial de Potocari et qui figure sur la liste du Procureur ?

  6   R.  Merci. Comme je l'ai déjà dit, je n'ai jamais vu cette liste

  7   auparavant, mais il est possible que Mme Eva Tabeau, le co-auteur du

  8   rapport, l'aurait vue. Comme on en a déjà discuté la semaine dernière avant

  9   que je n'aie commencé ma déposition, elle aurait pu dire que ces personnes

 10   ne figuraient pas sur la liste des personnes portées disparues, j'ai déjà

 11   dit qu'il était nécessaire de le vérifier sur les listes précédentes et les

 12   listes similaires.

 13   Et par rapport à des affirmations similaires selon lesquelles ce sont

 14   les cas de décès qui ne peuvent pas être en rapport avec Srebrenica, c'est

 15   quelque chose qu'il faut vérifier, puisque si vous dites que ces personnes

 16   ne figurent pas sur notre liste de personnes portées disparues, oui, il

 17   faut vérifier toutes ces données.

 18   Q.  A la page 27 de votre rapport, vous dites que le nombre de la

 19   population à Srebrenica était 40 000, d'après les sources que vous avez

 20   examinées. Est-ce que lors de vos recherches vous avez rencontré des

 21   documents comportant des informations plus précises pour ce qui est du

 22   nombre d'habitants de l'enclave de Srebrenica ?

 23   L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est à la page 26 en serbe, et à la page 22 en

 24   anglais. Il s'agit de la pièce à conviction P1776. Merci.

 25   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci. Dans cette phrase, on peut lire, je

 26   cite :

 27   "Il est présumé qu'à peu près 40 000 personnes se trouvaient dans la ville

 28   de Srebrenica avant sa chute." Mais le nombre exact d'habitants n'est pas


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  1   connu."

  2   Avant, j'ai fait référence au chiffre de 42 000, qui représente

  3   l'estimation des organisations humanitaires, le nombre approximatif

  4   d'habitants. J'ai déjà dit que nous avions demandé les listes des personnes

  5   qui vivaient à Srebrenica avant sa chute, mais nous n'avons pas eu cette

  6   liste. Donc, personne ne sait quel était le nombre exact d'habitants de

  7   Srebrenica avant sa chute.

  8   L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce qu'on peut afficher maintenant la pièce

  9   D117.

 10   M. TOLIMIR : [interprétation]

 11   Q.  C'est le document du bureau du Procureur qui porte le numéro 0092-6462.

 12   Donc, vous avez pu l'avoir lors de la rédaction de votre rapport. Et dans

 13   ce document, on peut voir le nombre exact d'habitants de Srebrenica et dans

 14   les municipalités avoisinantes.

 15   Est-ce que vous avez eu l'occasion de voir ce document qui est affiché

 16   maintenant à l'écran ?

 17   R.  Merci. Je l'ai probablement vu avant, mais je vois en haut du document

 18   mentionné, je cite "Srebrenica, le 11 janvier 1995." A savoir, six ou sept

 19   mois avant la chute de Srebrenica, ce document n'est pas vraiment

 20   pertinent, c'est-à-dire le nombre de personnes qui s'y trouvaient en

 21   janvier n'est pas pertinent par rapport au nombre en juillet, après la

 22   chute, puisque nous n'avons pas les noms de toutes ces personnes. Cela

 23   serait utile pour notre analyse si on avait les noms et les dates de

 24   naissance de ces personnes, mais ici on ne voit que des nombres.

 25   Q.  Je vous ai posé la question pour savoir si vous avez utilisé ce

 26   document ou pas ?

 27   L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce qu'on peut afficher maintenant la pièce

 28   D116 pour que le témoin puisse le voir ?


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  1   M. TOLIMIR : [interprétation]

  2   Q.  Dans cette pièce à conviction affichée à l'écran, il faut que je vous

  3   lise cela puisque la traduction n'existe pas. Bon, il y a la traduction. Il

  4   y est dit que l'organe municipal de Srebrenica a signé ce document, c'est

  5   M. Fahrudin Salihovic, le président de l'assemblée générale de Srebrenica,

  6   c'était le 11 janvier 1994. Il est dit au premier point le nombre de la

  7   population locale; deuxièmement, le nombre de la population locale qui est

  8   arrivée sur le territoire de la municipalité; et troisièmement, le nombre

  9   de personnes expulsées de d'autres municipalités. L'on marque :

 10   "Les informations sont envoyées pour vos besoins statistiques et vous

 11   ne devriez pas mettre cela à la disposition d'organisations humanitaires

 12   puisque nous disposons du nombre de 45 000 habitants."

 13   Puisque vous avez dit que ces informations sont de 1995 et ces

 14   informations sont de 1994, pouvez-vous nous dire si le nombre d'habitants

 15   dans l'enclave a rapidement augmenté ou a diminué ?

 16   R.  Si on suppose que ces chiffres sont exacts, que ces estimations sont

 17   assez précises, on peut voir que pour le mois de janvier 1994 l'estimation

 18   est 45 000 personnes. Pour le mois de janvier 1995, c'était 40 000. Je ne

 19   sais pas quelle est la qualité de ces informations et comment ces

 20   informations ont été collectées. Donc, la différence est de 5 000. Il y a

 21   donc des informations qui sont là pour corroborer d'autres choses, c'est-à-

 22   dire pour que la communauté internationale puisse estimer tout ce qu'il a

 23   été besoin pour la population, la nourriture, et cetera.

 24   Q.  Merci. Est-ce que vous avez demandé aux autorités de la Bosnie-

 25   Herzégovine de tels documents et d'autres documents similaires, puisque ce

 26   document provient des autorités de la Bosnie-Herzégovine, de Srebrenica ?

 27   R.  Nous avons demandé aux autorités de Bosnie-Herzégovine plusieurs fois

 28   les listes des personnes qui vivaient à Srebrenica avant la chute de


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  1   Srebrenica en juillet 1995. Donc nous avons vu des documents similaires,

  2   nous avons entendu parler des estimations que vous avez mentionnées, mais

  3   selon notre approche, nous devions travailler sur les informations

  4   concernant les personnes en tant qu'individus. Donc ce document ne pouvait

  5   pas nous être utile pour ce qui est de ces nombres de personnes.

  6   Q.  Merci. Tout à l'heure, on a vu le document où il est dit qu'en janvier

  7   1994 il y avait 37 000 habitants. Et nous avons vu le document tout à

  8   l'heure où il est dit que dans l'enclave il y avait 36 057 habitants. Est-

  9   ce qu'on peut en conclure qu'en une année, 1 204 personnes ont quitté

 10   l'enclave, seulement en une année ?

 11   R.  Il est intéressant de lire la note de bas de page du document, où il

 12   est dit, je cite :

 13   "Les information demandées qui sont fournies en tant qu'informations

 14   statistiques ne devraient pas être mises à la dispositions des

 15   organisations internationales, puisque nos calculs se basent sur le nombre

 16   d'habitants, qui est de 45 000."

 17   Donc le maire a fourni le nombre total de 37 000 habitants, mais cela

 18   n'a pas été communiqué aux organisations nationales. Cela veut dire que

 19   cela n'est pas très fiable. C'était probablement parce qu'ils ont voulu

 20   obtenir plus d'approvisionnement en nourriture.

 21   Q.  Vous avez dit qu'ils n'ont pas communiqué ces informations aux

 22   organisations nationales. Pouvez-vous nous dire de quelles organisations il

 23   s'agit ?

 24   R.  Dans cette note de bas de page, il est écrit que "ces informations ne

 25   doivent pas être mises à la disposition des organisations internationales."

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Le témoin a dit que :

 27   "…le maire a communiqué l'information concernant le nombre total de 37 000

 28   habitants, et ici, il a été consigné de façon erronée qu'il s'agissait des


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  1   "organisations nationales". C'était à la page 77, à la ligne 16.

  2   Ou peut-être que c'était le témoin qui s'est trompé. En tout cas, il faut

  3   corriger cela, et il faut consigner au compte rendu qu'il s'agissait des

  4   organisations internationales qui ne devaient pas avoir ce document.

  5   L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce qu'on peut maintenant afficher P176 dans

  6   le prétoire électronique.

  7   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Le document D166 a été déjà versé au

  8   dossier.

  9   L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est le document 1776.

 10   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Ce document -- vous avez déjà demandé

 11   que ce document soit versé au dossier, mais j'ai dit que ce document a été

 12   déjà versé au dossier en tant que pièce à conviction.

 13   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 14   M. TOLIMIR : [interprétation]

 15   Q.  A la page 26, au deuxième paragraphe, au milieu, il y a une phrase, en

 16   anglais c'est à la page 22, l'avant-dernier paragraphe. On peut lire dans

 17   cette phrase comme suit :

 18   "Les autorités locales et les organisations internationales humanitaires

 19   auraient rédigé les listes de personnes se trouvant dans l'enclave, mais

 20   nous n'avons pas pu retrouver ces listes, et nous avons des doutes pour ce

 21   qui est de l'existence de ces listes."

 22   C'est ce qui est écrit dans votre rapport. J'aimerais savoir pourquoi vous

 23   avez dit qu'il y a des doutes pour ce qui est de l'existence de ces listes

 24   et sur quoi vous vous êtes appuyé pour dire cela alors que ces listes ont

 25   été montrées ici, et ce sont les listes du bureau du Procureur ?

 26   R.  Comme je l'ai déjà dit, nous avons formulé beaucoup de demandes lors

 27   des réunions avec les représentants des organisations nationales et les

 28   organisations non gouvernementales, et personne n'a jamais pu nous


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  1   communiquer de telles listes. Nous n'avons pas non plus obtenu de réponse

  2   positive pour ce qui est de l'existence de telles listes. Donc on est

  3   arrivés à la conclusion que ces listes n'existaient pas ou que ces listes

  4   n'étaient pas disponibles. Que peut-être ces listes existaient, mais

  5   n'étaient pas disponibles. Et ce que vous avez cité, à savoir le chiffre de

  6   37 000 personnes évoqué par le maire, cela veut dire qu'il y avait de

  7   telles listes, mais ils sont arrivés à ce chiffre en calculant les

  8   personnes dont le nom figurait sur cette liste.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, nous sommes arrivés

 10   à la fin de l'audience. Vous nous aviez dit que vous alliez avoir besoin

 11   pour votre contre-interrogatoire d'une heure et 30 minutes ou deux heures.

 12   Donc vous avez déjà utilisé une heure 35 minutes. Voulez-vous procéder ?

 13   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Les questions qui

 14   ne sont pas posées ici pour ce qui est de ce que le témoin a dit de

 15   demander à Mme Ewa, de toute façon, nous allons pouvoir poser ces questions

 16   à Mme Ewa, puisqu'elle est co-signataire de ce rapport.

 17   Mais j'aimerais néanmoins poser une dernière question : si vous vous

 18   souvenez, même les Nations Unies disposaient de documents, et je voudrais

 19   que ces documents soient montrés au témoin. Donc l'Accusation détenait les

 20   données; nous avons vu cela, et nous voyons maintenant que les Nations

 21   Unies disposaient des mêmes données. Merci.

 22   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Vanderpuye.

 23   M. VANDERPUYE : [interprétation] Eh bien, je voudrais souligner que nous

 24   avons également des questions supplémentaires pour le Dr Brunborg. Dans la

 25   mesure où le général Tolimir n'a pas terminé son contre-interrogatoire, qui

 26   n'est pas terminé si j'ai bien compris, nous allons nous efforcer pour que

 27   le Dr Brunborg puisse revenir et soit disponible pour la continuation de

 28   son contre-interrogatoire et pour les questions supplémentaires. Nous


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  1   n'avons pas encore la date en question, la date pour faire revenir le Dr

  2   Brunborg, mais nous allons essayer de nous mettre d'accord également avec

  3   le Dr Brunborg et avec les autres participants afin de pouvoir le faire

  4   revenir. Et donc, nous verrons quelle est la date la plus appropriée afin

  5   qu'il puisse terminer son témoignage. Je crois, si je ne m'abuse, que M.

  6   Tolimir avait estimé six heures pour le contre-interrogatoire du Dr

  7   Brunborg. Il n'a pas encore usé de tout le temps qui lui est imparti. Cela

  8   dit, je pense que ce serait une bonne façon de procéder.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] On m'a informé que des six heures

 10   indiquées un peu plus tôt, il ne reste que sept minutes. Mais bien sûr,

 11   c'est différent pour ce qui est de l'évaluation d'aujourd'hui.

 12   Donc je voudrais faire la proposition suivante aux parties présentes

 13   : nous pourrions continuer demain. Nous ne siégeons pas demain. Il n'y a

 14   rien de prévu pour demain dans cette affaire en l'espèce, et il serait très

 15   malheureux que le témoin doive revenir une troisième fois à La Haye.

 16   D'abord, j'aimerais demander au témoin quelle est sa position là-

 17   dessus, et deuxièmement, j'aimerais également consulter les parties.

 18   Alors, Docteur Brunborg, êtes-vous disponible demain ?

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] S'il est nécessaire, je peux passer une autre

 20   nuit à La Haye, bien sûr. A ce moment-là, je préférerais que l'audience se

 21   tienne le matin, s'il est possible, afin que je puisse rentrer chez moi à

 22   une heure raisonnable, car si l'audience est tenue dans l'après-midi, je ne

 23   pourrai pas revenir chez moi vendredi soir.

 24   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

 25   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Maître Gajic.

 26   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, voilà, je viens de

 27   consulter M. Tolimir. Pour ce qui est de la Défense, nous avons terminé

 28   avec le contre-interrogatoire de M. Brunborg. S'il reste encore des


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  1   questions, et il y en aura sans doute, nous allons les poser au témoin qui

  2   se trouve, de toute façon, sur la liste, c'est Mme Ewa Tabeau. Et M.

  3   Brunborg l'a d'ailleurs mentionnée à plusieurs reprises aujourd'hui. Pour

  4   ce qui est de la Défense, nous n'aurons plus de questions pour ce témoin et

  5   nous sommes prêts, néanmoins, à revenir demain. Ce n'est pas un problème,

  6   bien sûr, si c'est, bien sûr, dans l'intérêt de l'Accusation.

  7   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

  8   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Comme il n'y a pas d'autre contre-

  9   interrogatoire, nous sommes en train de réfléchir à la question suivante,

 10   si vous n'avez pas trop de questions dans le cadre de vos questions

 11   supplémentaires, pensez-vous que nous pourrions rester encore dix minutes,

 12   par exemple, et à ce moment-là cela résoudrait peut-être ce problème ? Est-

 13   ce que cela vous suffirait pour vos questions supplémentaires ?

 14   M. VANDERPUYE : [interprétation] Non, Monsieur le Président. Pour être bien

 15   franc, je ne crois pas que cela suffirait. J'aurais plus besoin d'une demi-

 16   heure que de dix minutes. Mais je voudrais aussi ajouter ceci : dans la

 17   mesure où le général Tolimir a terminé son contre-interrogatoire, tel

 18   qu'annoncé par Me Gajic, je voudrais néanmoins informer les Juges de la

 19   Chambre que je crois qu'un peu plus tôt dans la procédure, nous avions déjà

 20   annoncé que nous n'appellerions peut-être pas nécessairement le Dr Tabeau

 21   comme témoin. Donc, si M. Tolimir souhaite poser des questions au Dr

 22   Tabeau, il serait peut-être plus utile de poser ces questions-là à ce

 23   témoin car il est possible que l'Accusation puisse prendre la décision de

 24   ne pas faire appeler le Dr Tabeau, et à ce moment-là il pourrait faire

 25   valoir le fait qu'il n'a pas pu poser ses questions.

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Effectivement, la Chambre a déjà reçu

 27   ces informations du bureau du Procureur, à savoir que Mme Tabeau ne sera

 28   peut-être pas appelée en tant que témoin ou, de toute façon, elle pourrait


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  1   être retirée de la liste de témoins par l'Accusation, donc il nous faudra

  2   arriver à une décision définitive bientôt.

  3   Oui, Maître Gajic.

  4   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, étant donné les

  5   déclarations de ce témoin qui a mentionné Mme Tabeau à plusieurs reprises

  6   comme étant une personne compétente pour répondre à un certain nombre de

  7   questions auxquelles le témoin lui-même n'a pas pu répondre, et étant donné

  8   que Mme Ewa Tabeau dépose conformément à l'article 92 ter, je crois qu'il

  9   serait dans l'intérêt de la justice que Mme Ewa Tabeau, étant donné qu'elle

 10   figure déjà sur la liste de l'Accusation, vienne néanmoins témoigner à un

 11   moment donné, puisque je ne sais pas si j'ai bien compris, si je ne

 12   m'abuse, et M. Vanderpuye me corrigera si ce n'est pas le cas, je crois

 13   qu'elle est employée ici au bureau du Procureur, et je ne crois pas que

 14   c'est très difficile pour elle de venir déposer quand et si cela s'avère

 15   nécessaire.

 16   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Alors, nous avons maintenant deux

 17   options. L'une de reprendre nos travaux demain pour terminer

 18   l'interrogatoire du témoin. Il me semblerait que ceci serait plutôt dans

 19   l'intérêt de notre témoin de revenir demain matin. Nous ne pouvons pas

 20   reprendre à 9 heures parce qu'il faudrait réorganiser plusieurs choses. Les

 21   interprètes, la sécurité, les sténotypistes et tout ça doit être organisé

 22   puisque l'audience n'était pas prévue. Je crois que nous pourrions

 23   reprendre nos travaux le plus tôt possible à 11 heures, mais je ne suis pas

 24   en mesure de vous le dire immédiatement. Il faudra vérifier un certain

 25   nombre de choses avec l'administration.

 26   L'autre possibilité qui existe est de vous entendre dire, Monsieur

 27   Vanderpuye, si vous êtes prêt à rappeler le témoin une troisième fois, ou

 28   peut-être vous devriez peut-être nous dire si le Témoin Tabeau sera appelé


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  1   ou pas, puisque ceci a un certain impact sur la décision de M. Tolimir, à

  2   savoir s'il souhaite poser d'autres questions au témoin actuel. Je pense

  3   que ceci est une décision sage, mais j'aimerais d'abord vous entendre là-

  4   dessus.

  5   M. VANDERPUYE : [interprétation] Aimeriez-vous que je vous informe de ceci

  6   maintenant ou est-ce que vous aimeriez que je m'entretienne avec Me Gajic

  7   après l'audience et que je vous informe des résultats de notre discussion ?

  8   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je crois qu'il faut donner à M.

  9   Brunborg une indication. Vous devez lui dire si vous avez besoin de lui

 10   demain ou pas.

 11   M. VANDERPUYE : [interprétation] Je pense qu'il serait peut-être plus utile

 12   d'avoir une session demain. Toutefois, je ne pense pas d'être en mesure à

 13   ce moment-ci de vous dire de façon définitive si l'Accusation appellera le

 14   Dr Tabeau à la lumière des questions posées au Dr Brunborg, et puisque je

 15   ne peux pas vous le dire ce soir, je pense qu'il serait peut-être plus sage

 16   de faire revenir le Dr Brunborg. Peut-être pas immédiatement, afin qu'il ne

 17   soit pas complètement épuisé par tous ces voyages, mais de lui donner un

 18   peu de temps pour reprendre ses activités régulières chez lui et le faire

 19   revenir par la suite.

 20   Et puisque le général Tolimir a terminé son contre-interrogatoire

 21   dans tous les cas, il ne devrait pas y avoir de préjudice causé à la

 22   Défense à la suite du retard des questions supplémentaires, et en réalité,

 23   cela leur donne un peu plus de temps pour digérer le compte rendu

 24   d'audience et de voir s'ils ont d'autres questions à poser à la suite de

 25   nos questions supplémentaires.

 26   Je pense qu'eu égard aux circonstances et compte tenu de tout ceci,

 27   on pourrait se réorganiser de cette façon-ci. Je crois qu'il faudrait peut-

 28   être nous coordonner avec le Dr Brunborg, peut-être par le truchement du


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  1   VWS, et à ce moment-là nous pourrions informer Me Gajic. Je ne pense pas

  2   qu'en réalité tout ceci serait très compliqué, puisque j'aurai besoin d'une

  3   demi-heure, peut-être une demi-heure à une heure, pas plus.

  4   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, je souhaite revenir sur

  5   une question qui concerne la déposition éventuelle de Mme Tabeau. Elle

  6   figure sur la liste des témoins prévus, donc la question ne se pose plus de

  7   savoir si l'Accusation souhaite la citer à la barre ou non. Pour le moment,

  8   ce sont les Juges de la Chambre qui doivent en décider. Si entre-temps

  9   l'Accusation dépose une requête demandant de dispenser Mme Tabeau de sa

 10   déposition ici, nous allons soulever une objection, et j'annonce dès

 11   maintenant que nous citerons quelques propos de M. Brunborg dans

 12   l'objection que nous soulèverons vis-à-vis de cette requête.

 13   Pour ce qui est de la possibilité de citer à la barre le témoin à une

 14   date postérieure dans un mois ou deux, la Défense ne s'y oppose pas.

 15   [La Chambre de première instance se concerte]

 16   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Mais la situation devient

 17   encore plus complexe. Donc, je pense que dans les circonstances données, il

 18   est impossible de siéger demain parce que, de toute façon, cela susciterait

 19   tant de problèmes administratifs. Il est fort possible qu'il n'y aurait pas

 20   suffisamment d'interprètes ou de sténographes. Et je pense que le fait de

 21   ne pas citer à la barre Mme Tabeau pourrait poser des problèmes. Nous avons

 22   déjà entendu la position adoptée par la Défense. Il est vrai que le Dr

 23   Brunborg a évoqué le nom de Mme Tabeau à plusieurs reprises. Nous aimerions

 24   que les parties au procès nous remettent leurs argumentations par écrit à

 25   ce sujet de manière à ce que nous puissions l'étudier de façon correcte et

 26   adopter la décision appropriée.

 27   Donc, je pense qu'il sera nécessaire de remettre à plus tard la fin

 28   de votre audition.


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  1   Docteur, je suis désolé, mais cela arrive de temps en temps. Nous

  2   avons fait tout ce que nous avons pu pour vous retenir ici et vous laisser

  3   partir une fois votre déposition terminée, mais d'autre part, évidemment

  4   nous serons contents de vous revoir à une autre reprise pour que vous

  5   puissez terminer votre audition.

  6   Monsieur Vanderpuye, je vois que vous êtes toujours debout.

  7   Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

  8   M. VANDERPUYE : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Vous m'en voyez soulagé. Très bien.

 10   Alors, nous levons la séance et reprendrons nos travaux la semaine

 11   prochaine, mardi. Je ne sais plus si nous sommes censés siéger dans la

 12   matinée ou dans l'après-midi -- non, non, nous ne siégeons pas lundi. Nous

 13   siégeons mardi, dans la matinée, à partir de 9 heures, dans la même salle

 14   d'audience.

 15   Merci.

 16   [Le témoin quitte la barre]

 17   --- L'audience est levée à 19 heures 13 et reprendra le mardi 22

 18   février 2011, à 9 heures 00.

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