Affaire no : IT-98-32-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Wolfgang Schomburg
Mme le Juge Inés Mónica Weinberg de Roca

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
21 octobre 2003

LE PROCUREUR

c/

MITAR VASILJEVIC

_____________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS DE PRÉSENTATION DE MOYENS DE PREUVE SUPPLÉMENTAIRES

_____________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Les Conseils de l’Accusé :

M. Vladimir Domazet
M. Gerardus Godefridus Johannes Knoops

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991,

VU la « Requête de la Défense aux fins de présentation de moyens de preuve supplémentaires », déposée le 24 juin 2003, et l’« Addendum à la Requête de la Défense aux fins de présentation de moyens de preuve supplémentaires », déposé le 11 juillet 2003 (ensemble la « Requête de la Défense »), par lesquels la Défense a demandé une prorogation de délai et le versement au dossier, en application de l’article 115 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), de cinq documents de la municipalité de Visegrad, d’un enregistrement vidéo et de la transcription d’une déclaration de Stojan Kosoric recueillie par la Défense,

VU la « Réponse de l’Accusation à la Requête de la Défense aux fins de présentation de moyens de preuve supplémentaires », déposée le 17 juillet 2003, par laquelle l’Accusation a affirmé qu’aucun des moyens de preuve présentés dans la Requête de la Défense n’était recevable en application de l’article 115 du Règlement,

VU la « Réponse de la Défense à la Requête de l’Accusation datée du 17 juillet 2003 », déposée le 22 juillet 2003,

ATTENDU que la Requête de la Défense a été déposée en dehors du délai de soixante-quinze jours prévu par l’article 115 A) du Règlement1,

ATTENDU que n’a été avancé aucun motif valable qui justifierait d’accorder une prorogation de délai et que, si la Requête de la Défense peut être rejetée pour cette seule raison, elle doit l’être en tout état de cause pour les raisons exposées ci-dessous,

ATTENDU que, pour que des moyens de preuve supplémentaires soient admis en appel, la partie requérante est tout d’abord tenue d’établir leur « non-disponibilité au procès » sous quelque forme que ce soit2, et d’établir ensuite que l’exercice de la diligence voulue n’aurait pas permis de les découvrir3, ce qui signifie qu’elle doit notamment prouver qu’elle a eu recours à « tous les mécanismes de protection et de contrainte prévus par le Statut et le Règlement du Tribunal international afin de présenter les moyens de preuve à la Chambre de première instance4 »,

ATTENDU que les moyens de preuve supplémentaires doivent être examinés non pas isolément mais à la lumière des éléments présentés au procès,

ATTENDU que les documents (D-51, D-52, D-53, D-54 et D-55) dont la Défense a demandé le versement au dossier comme moyens de preuve supplémentaires étaient disponibles à la municipalité de Visegrad avant l’ouverture du procès et qu’au procès, la Défense connaissait le dénommé Stojan Kosoric, dont elle cherche ŕ faire admettre la déclaration (D-56 et D-57),

ATTENDU que la Défense n’a fourni aucune explication sur les raisons pour lesquelles elle n’avait pu obtenir ces pièces au cours du procès,

ATTENDU que, durant le procès, le conseil de la Défense n’a fait part à la Chambre de première instance d’aucune difficulté rencontrée pour obtenir des éléments de preuve, notamment de difficultés résultant de manœuvres d’intimidation ou de son incapacité à retrouver certains témoins5,

ATTENDU que les pièces supplémentaires en question étaient à la disposition de la Défense au procès,

ATTENDU que, si les moyens de preuve étaient disponibles au procès ou si l’on avait pu les découvrir en exerçant toute la diligence voulue, la partie requérante est tenue d’établir, pour que ces moyens soient admis en appel, que l’exclusion de ces moyens de preuve supplémentaires causerait une erreur judiciaire, dans la mesure où s’ils avaient été disponibles au procès, ils auraient influé sur le jugement6,

ATTENDU que les moyens de preuve supplémentaires présentés se rapportent uniquement à la déclaration du témoin VG-14 selon laquelle, le jour des événements de la Drina, Vasiljevic a pointé du doigt une maison située à proximité et indiqué au chef d’un groupe paramilitaire serbe qui l’accompagnait, Milan Lukic, qu’elle appartenait à une famille musulmane,

ATTENDU que la déclaration susmentionnée constitue l’un des éléments sur lesquels la Chambre de première instance s’est fondée pour conclure que Vasiljevic a servi d’informateur au groupe de Lukic,

ATTENDU cependant que même si elle permettait d’établir que la maison en question appartenait à un Serbe et non à un Musulman, l’offre de preuve supplémentaire ne permettrait pas de conclure que Vasiljevic n’a pas en réalité tenu les propos que le témoin VG-14 lui a attribués,

ATTENDU que, dans ces circonstances, l’offre de preuve supplémentaire n’aurait pas influé sur le jugement, de sorte que son exclusion ne causerait aucune erreur judiciaire,

PAR CES MOTIFS,

CONCLUT à l’irrecevabilité des offres de preuve supplémentaires, et

REJETTE la Requête de la Défense.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
___________
Theodor Meron

Le 21 octobre 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Article 115 du Règlement dans sa rédaction modifiée du 12 juillet 2002. La Défense affirme que, dans sa version précédente, l’article 115 prévoyait que les requêtes aux fins de présentation de moyens de preuve supplémentaires devaient être déposées au moins quinze jours avant la date fixée pour l’audience devant la Chambre d’appel, et que c’est cette version de l’article qui devrait s’appliquer. La modification en question est entrée en vigueur le 19 juillet 2002, avant que soit rendu le Jugement contre Vasiljevic et avant que celui-ci ait formé appel. Par conséquent, c’est l’article 115 dans sa version actuelle qui régit la procédure dans le présent appel.
2. Le Procureur c/ Tadic, Affaire n° IT-94-1-A, Décision relative à la requête de l’Appelant aux fins de prorogation de délai et d’admission de moyens de preuve supplémentaires, 15 octobre 1998 (« Décision Tadic relative à l’article 115 »), par. 34 ; Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, Affaire n° IT-95-16-A, Arrêt relatif aux requêtes des appelants Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic, Zoran Kupreskic et Mirjan Kupreskic aux fins de verser au dossier des éléments de preuve supplémentaires, 26 février 2001 par. 14 ; Le Procureur c/ Krstic, Affaire n° IT-98-33-A, Arrêt relatif à la demande d’injonctions, 1er juillet 2003 (« Arrêt Krstic relatif aux injonctions »), par. 4.
3. Décision Tadic relative à l’article 115, par. 36 à 45.
4. Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, Affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001 (« Arrêt Kupreskic »), par 50 ; Le Procureur c/ Krstic, Affaire n° IT-98-33-A, Décision relative aux requêtes aux fins d’admission de moyens de preuve supplémentaires en appel, 5 août 2003, par. 3 (« Décision Krstic relative à l’article 115 »).
5. Arrêt Krstic relatif aux injonctions, par. 5 ; Arrêt Kupreskic, par. 50.
6. Arrêt Krstic relatif aux injonctions, par. 16 ; Décision Krstic relative à l’article 115, p. 3 ; Le Procureur c/ Delic, affaire n° IT-96-21-R-R119, Décision relative à la requête en révision, 25 avril 2002, par. 15.