Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 6 mars 2003)

2 (Audience publique.)

3 (L'audience est ouverte à 9 heures 07.)

4 (Seconde comparution de l'accusé, M. Radovan Stankovic.)

5 M. le Président: Bonjour à tout le monde.

6 Madame la Greffière, s'il vous plaît, ayez l'obligeance d'appeler

7 l'affaire, s'il vous plaît.

8 Mme Philpott (interprétation): J'appelle l'affaire IT-96-23/2-I, le

9 Procureur contre Radovan Stankovic.

10 M. le Président: Merci, Madame.

11 Je demanderai, s'il vous plaît, pour le transcript que les parties se

12 présentent.

13 L'accusation, s'il vous plaît.

14 M. Wubben (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Je m'appelle

15 Jan Wubben, je suis avocat récemment nommé dans cette affaire et, à mes

16 côtés, vous voyez M. Mundis, avocat, et Mlle Djurdja Mirkovic, notre

17 assistante.

18 M. le Président: Merci beaucoup.

19 Et pour la défense?

20 M. Radovic (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président.

21 Je m'appelle Milenko Radovic, je suis avocat de Foca Srbinja, et je

22 défends l'accusé M. Radovan Stankovic.

23 M. le Président: Merci, Monsieur.

24 Je m'adresse à M. Stankovic: est-ce que vous m'entendez, Monsieur, dans

25 une langue que vous comprenez?

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1 M. Stankovic (interprétation): Oui, nous nous entendons parfaitement bien

2 et nous sommes en ce moment sur la même longueur d'onde.

3 M. le Président: Merci beaucoup. Moi, je suis Juge Amin El Mahdi, nommé

4 Juge de la mise en état pour cette affaire par l'ordonnance du 23 juillet

5 2002.

6 En application de l'ordonnance portant calendrier du 28 février 2003,

7 l'audience d'aujourd'hui sera consacrée à la fois à une seconde

8 comparution de l'accusé, suite à la modification de l'Acte d'accusation,

9 accordée par la décision de la Chambre du 28 février 2003; ensuite, à une

10 conférence de mise en état convoquée en application de l'Article 65bis du

11 Règlement en vue de discuter du progrès accompli dans la préparation du

12 procès.

13 On commence donc par la seconde comparution.

14 Je voudrais précisément que M. Stankovic nous suive attentivement dans

15 cette partie assez délicate de notre audience d'aujourd'hui.

16 Il s'agit, Monsieur Stankovic, de vous faire savoir et de porter à votre

17 connaissance l'Acte d'accusation modifié qui a été modifié. Cette

18 modification a été accordée par la Chambre en vue de vous permettre une

19 meilleure compréhension du contenu de l'Acte d'accusation parce que je

20 vous rappelle que l'acte initial comportait plusieurs accusés et pouvait

21 prêter à une confusion.

22 Alors, pour vous permettre de mieux comprendre les charges qui vous sont

23 attribuées, la Chambre a considéré d'accorder à l'accusation la

24 possibilité de modifier l'Acte d'accusation, et nous sommes là aujourd'hui

25 pour vous faire savoir complètement et en détail le contenu de cet Acte

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1 d'accusation; cet Acte qui est en quelque sorte une réorganisation de

2 l'Acte ancien, du premier.

3 Et j'aimerais que vous me disiez, s'il vous plaît, si vous aimeriez qu'on

4 vous lise en intégralité l'Acte d'accusation ou bien qu'on se concentre

5 sur les charges et les chefs d'accusation. Vous avez complètement le droit

6 de dire, d'exiger que l'acte en totalité vous soit lu ou bien qu'il soit

7 concentré sur les charges et sur les chefs d'accusation.

8 C'est à vous de choisir entre les deux possibilités.

9 Vous voulez peut-être conférer avec votre conseil?

10 M. Stankovic (interprétation): Monsieur le Juge, je fais de mon mieux pour

11 essayer d'abréger tout cela, pour faire une économie de temps, pour ne pas

12 qu'on perde trop de temps en faisant lecture de l'ensemble de l'Acte

13 d'accusation.

14 Mais permettez-moi de faire quelques commentaires. Il me semble qu'il y a

15 là pas mal de choses illogiques dans tout cela. Je l'ai lu, l'Acte

16 d'accusation, comme tel.

17 M. le Président: Je m'excuse de vous interrompre, Monsieur Stankovic. Nous

18 aurons tout le temps de discuter du contenu. Maintenant, nous parlons de

19 la forme, nous parlons des questions formelles exigées par le Règlement.

20 Le Règlement exige que l'Acte vous soit lu.

21 Vous avez la possibilité d'exiger la lecture de l'Acte en totalité, aussi

22 bien -ce que je vous propose- de nous concentrer sur les charges et les

23 chefs d'accusation.

24 Effectivement, l'Acte en totalité vous sera transmis et vous serez en

25 connaissance, je crois, n'est-ce pas? Oui? Qu'est ce que voulez-vous dire?

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1 M. Stankovic (interprétation): Il s'agit donc de ces deux choses-là: soit

2 en totalité l'Acte d'accusation à présenter comme tel ou des chefs

3 d'accusation.

4 M. le Président: Non.

5 M. Stankovic (interprétation): En ce qui me concerne, on n'a guère besoin

6 de faire lecture de l'Acte d'accusation, je l'ai lu. Je ne voulais pas

7 vous maltraiter, Monsieur Président, en vous imposant la lecture complète

8 de l'Acte d'accusation et en abusant de votre temps.

9 M. le Président: Non, je ne comprends pas, vous me dites… J'ai cru

10 comprendre que vous êtes maltraité ici?

11 Merci, beaucoup. Vous êtes bien gentil, mais je vous assure que la justice

12 a beaucoup de patience et c'est une des fonctions essentielles et

13 principales de la justice qu'elle soit patiente, qu'elle entende, qu'elle

14 ouvre son cœur à toute idée et qu'elle vous donne toute la possibilité de

15 vous exprimer.

16 M. Stankovic (interprétation): Mais, il me semble que la justice se fait

17 lente et qu'elle n'attend pas dans ce cas ici présent.

18 M. le Président: Tout le monde fait de son mieux.

19 M. Stankovic (interprétation): On verra bien, dans la foulée…

20 M. le Président: Madame la Greffière, ayez l'obligeance, s'il vous plaît,

21 de nous faire lecture des charges et des chefs d'accusation. S'il vous

22 plaît, merci beaucoup.

23 Ah! J'aimerais… Madame, un petit moment, s'il vous plaît.

24 J'aimerais préciser, Monsieur Stankovic, que je préfère que nous ne nous

25 concentrions pas uniquement sur les nouveaux chefs d'accusation, mais vous

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1 transmettre tous les chefs en même temps, pour que vous soyez en mesure

2 d'apprécier l'ampleur des charges qui vous ont été confrontées. Merci.

3 Alors, Madame, s'il vous plaît.

4 M. Stankovic (interprétation): Excusez-moi, si vraiment on doit faire

5 lecture de tous les chefs d'accusation, alors là, faites une lecture en

6 totalité de cet Acte. Je voulais une troisième possibilité, c'est-à-dire

7 ne pas donner lecture du tout de l'Acte d'accusation parce que j'en ai

8 pris note, j'en ai pris connaissance, et je l'ai sous les yeux.

9 Puisque déjà nous devons en donner lecture d'une seule partie de l'Acte

10 d'accusation, alors, faisons-le en totalité.

11 M. le Président: C'est-à-dire, Monsieur… Ce que je vous proposais, vous

12 avez tout à fait le droit d'exiger la lecture entière, mais moi, si vous

13 avez l'acte devant vous…

14 M. Stankovic (interprétation): J'ai ici sous mes yeux… Enfin, tous les

15 chefs d'accusation.

16 M. le Président: Oui.

17 M. Stankovic (interprétation): Par conséquent, s'il faut en donner

18 lecture, enfin de ces chefs d'accusation, alors, faisons-le en totalité.

19 M. le Président: Vous avez complètement le droit.

20 Madame la Greffière, s'il vous plaît, en totalité avec la première page.

21 Merci.

22 Mme Philpott (interprétation): "Le Procureur du Tribunal contre Radovan

23 Stankovic. Deuxième Acte d'accusation modifié.

24 Le Procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, en

25 vertu des pouvoirs que lui confère l'Article 18 du Statut du Tribunal,

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1 accuse Radovan Stankovic de crimes contre l'humatnite et de violations des

2 lois ou coutumes de la guerre, comme décrit ci-après:

3 Contexte.

4 La ville et la municipalité de Foca sont situées au sud-est de Sarajevo,

5 en Bosnie-Herzégovine, près de la frontière avec la Serbie et le

6 Monténégro. Selon le recensement de 1991, Foca comptait 40.513 habitants

7 dont 51,6% de Musulmans, 45,3% de Serbes et 3,1% d'origines diverses. Les

8 forces Serbes ont lancé une attaque de grande envergure contre la

9 population civile non serbe, en s'en prenant d'abord à la ville de Foca le

10 8 avril 1992. Les forces serbes appuyées par de l'artillerie et des armes

11 lourdes, ont investi Foca, quartier par quartier. Le 16 ou le 17 avril

12 1992, la ville était entièrement occupée. Le siège des villages

13 environnants s'est poursuivi jusqu'à la mi-juillet 1992.

14 Après s'être emparés des villes et des villages, les militaires, la

15 police, les paramilitaires et parfois même les villageois serbes ont

16 commencé à piller ou brûler les maisons et appartements des Musulmans et à

17 effectuer des rafles et arrêter ces derniers. Des Musulmans ont été battus

18 ou tués au cours de cette opération.

19 Les forces serbes ont séparé les hommes et les femmes non serbes. Les

20 hommes étaient principalement détenus au Kazneo-Popravni Dom de Foca ("KP

21 Dom"), l'une des plus grandes prisons de l'ancienne République de

22 Yougoslavie. Certains ont passé jusqu'à deux ans et demi en détention pour

23 la seule et unique raison qu'ils étaient Musulmans.

24 Les femmes, les enfants et les vieillards musulmans étaient détenus dans

25 des maisons, des appartements et des motels de la ville de Foca, ou des

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1 villes environnantes, ou dans des centres de détention à court ou long

2 terme tels que Buk Bijela, le lycée de Foca et le centre sportif Partizan.

3 Ces femmes et ces jeunes filles étaient forcées de vivre dans des

4 conditions d'hygiène intolérables. Elles étaient en but à de multiples

5 exactions et nombre d'entre elles ont subi des viols à répétition.

6 Certaines de ces femmes et de ces jeunes filles ont été transférées depuis

7 ces grands centres de détention dans des appartements et des maisons

8 privés, comme la maison de Karaman au numéro 16 de la rue Osmana Djikica

9 ou la maison de Trnovace, où elles étaient forcées de faire la cuisine, le

10 ménage et de servir les occupants qui étaient des soldats serbes. Ces

11 femmes et ces jeunes filles ont également été victimes de violences

12 sexuelles répétées.

13 Le Comité international de la Croix-Rouge, CICR, et d'autres

14 organisations, qui ignoraient l'existence de ces lieux de détention, ne

15 sont pas intervenus. Ces détenues n'ont donc pas pu être libérées ou

16 échangées.

17 Les accusés.

18 Radovan Stankovic, alias Rasa, fils de Todor, né le 10 mars 1969 dans le

19 village de Trebica, municipalité de Foca, était domicilié à Miljevina.

20 Radovan Stankovic était un soldat du Bataillon Miljevina, qui dépendait de

21 la brigade tactique de Foca.

22 Le Bataillon Miljevina était commandé par Pero Elez à l'époque visée dans

23 le présent Acte d'accusation. Radovan Stankovic était responsable de la

24 maison de Karaman à Miljevina.

25 Allégations générales.

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1 A toutes les époques visées dans le présent Acte d'accusation, la Bosnie-

2 Herzégovine, située sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, était le

3 théâtre d'un conflit armé.

4 A toutes les époques visées dans le présent Acte d'accusation, l'accusé

5 était tenu de respecter les lois ou coutumes régissant la conduite de la

6 guerre.

7 Sauf indication contraire ci-après, tous les actes et omissions décrits

8 dans le présent Acte d'accusation se sont déroulés entre avril 1992 et

9 novembre 1992.

10 Dans chacun des chefs d'accusation relatifs aux crimes contre l'humanité,

11 sanctionnés par l'Article 5 du Statut du Tribunal, les actes ou omissions

12 faisaient partie d'une offensive généralisée, à grande échelle ou

13 systématique contre une population civile, à savoir la population

14 musulmane de la municipalité de Foca.

15 Dans le présent Acte d'accusation, les témoins et les victimes sont

16 désignés par des noms de code ou des pseudonymes, tels que FWS-87 par

17 exemple ou par des initiales telles que D.B.

18 Chacun des accusés est individuellement responsable des crimes mis à sa

19 charge dans le présent Acte d'accusation, en vertu de l'Article 7.1) du

20 Statut du Tribunal.

21 La responsabilité pénale individuelle d'une personne est engagée dès lors

22 que celle-ci a commis, planifié, incité à commettre, ordonné ou aidé et

23 encouragé à planifier, préparer ou exécuter tout acte ou omission décrit

24 ci-après.

25 Les chefs d'accusation.

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1 Chefs d'accusation 1 à 4.

2 Réduction en esclavage et viol de FWS-75, FWS-87, FWS-132, FWS-190, A.S.,

3 A.B., J.B., J.G. et d'autres femmes dans la maison de Karaman.

4 Pero Elez, un chef paramilitaire serbe ayant autorité dans la région,

5 commandait le Bataillon Miljevina, qui était subordonné à la brigade

6 tactique de Foca.

7 Le quartier général du Bataillon Miljevina se trouvait dans le motel de

8 Miljevina. Certains soldats placés sous le commandement d'Elez, y compris

9 l'accusé Radovan Stankovic, habitaient la maison abandonnée d'un Musulman,

10 Nusret Karaman.

11 Le 3 août 1992 ou vers cette date, Dragoljub Kunarac, de concert avec Pero

12 Elez, a, comme il est indiqué au paragraphe 5.1 infra, fait sortir FWS-75,

13 FWS-87, FWS-50 et D.B. du numéro 16 de la rue Osmana Djikica pour les

14 conduire à Miljevina, où elles ont été remises à Pero Elez et ses hommes,

15 qui, à leur tour, les ont transférées dans la maison de Karaman. La maison

16 de Karaman se trouve non loin du quartier général du Bataillon.

17 Par la suite, d'autres femmes et jeunes filles ont été détenues dans la

18 maison de Karaman. Certaines n'avaient pas plus de 12 ou 14 ans.

19 Du 3 août 1992 au 30 octobre 1992 ou vers ces dates, au moins neuf femmes

20 et jeunes filles au total ont été détenues dans la maison de Karaman,

21 notamment FWS-75, FWS-87, FWS-190, A.S., A.B., J.B. et J.G., ainsi que du

22 3 août 1992 environ à la fin septembre 1992, D.B, comme il est indiqué aux

23 paragraphes 5.1 à 5.4 infra.

24 Radovan Stankovic, avec au moins un autre soldat serbe, Nikola Brcic,

25 était responsable de la maison de Karaman où des femmes musulmanes ont été

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1 détenues et soumises à des violences sexuelles entre le 3 août 1992 et le

2 30 octobre 1992 au moins.

3 Contrairement à ce qui se passait dans des centres de détention plus

4 importants tels le centre sportif "Partizan", les détenues de la maison de

5 Karaman étaient suffisamment nourries. Elle n'étaient ni surveillées, ni

6 enfermées à l'intérieur de la maison. Elles avaient même une clef qu'elles

7 pouvaient utiliser pour verrouiller la porte et empêcher les soldats qui

8 n'appartenaient pas à l'Unité de Pero Elez d'entrer.

9 Les détenues disposaient également du numéro de téléphone du motel de

10 Miljevina qu'elles devaient appeler chaque fois qu'un soldat essayait

11 d'entrer dans la maison sans autorisation. Lorsque les femmes appelaient

12 ce numéro, Radovan Stankovic ou Pero Elez venait pour empêcher les

13 personnes extérieures d'entrer dans la maison.

14 Même si ces détenues n'étaient pas sous surveillance, elles ne pouvaient

15 s'enfuir; elles n'avaient nulle part où aller car elles étaient entourées

16 de soldats et de civils serbes.

17 FWS-75, FWS-87 et d'autres femmes et jeunes filles ont été détenues dans

18 la maison de Karaman du 3 août 1992 environ au 30 octobre 1992 environ.

19 Radovan Stankovic et les soldats serbes qui vivaient dans la maison

20 traitaient ces femmes et ces jeunes filles comme si elles leur

21 appartenaient.

22 Pendant toute la durée de leur détention dans la maison de Karaman, FWS-

23 75, FWS-87 et d'autres détenues étaient la nuit victimes de viols et de

24 violences sexuelles répétées. Tous les violeurs étaient des soldats serbes

25 appartenant à l'Unité de Pero Elez. Radovan Stankovic était au nombre des

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1 soldats qui ont fréquemment violé FWS-87 (pénétration vaginale et annale).

2 FWS-75 et FWS-87 ont été violées pour la première fois dans la maison de

3 Karaman vers le 3 août 1992, peu de temps après leur arrivée. Ce jour-là,

4 un soldat non identifié a violé FWS-75 (pénétration vaginale) tandis que

5 Radovan Stankovic violait FWS-87.

6 Outre les viols et autres violences sexuelles, l'accusé ordonnait

7 régulièrement à toutes les détenues de travailler pour lui et les autres

8 soldats serbes, de laver leurs uniformes, de faire la cuisine et de

9 nettoyer la maison.

10 A trois reprises, FWS-87 a été emmenée de la maison de Karaman jusque dans

11 d'autres immeubles de Miljevina où elle devait nettoyer certaines pièces,

12 faire la cuisine pour les soldats et peindre des châssis de fenêtre. Une

13 fois, alors qu'elle avait été emmenée avec une autre femme, deux soldats

14 monténégrins leur ont fait subir des violences sexuelles.

15 Dans la maison de Karaman, les détenues craignaient constamment pour leur

16 vie. Lorsqu'une femme ou une jeune fille refusait d'obéir aux ordres, on

17 la battait. Des soldats disaient souvent à ces femmes qu'elles seraient

18 tuées lorsqu'ils en auraient fini avec elles parce qu'elles en savaient

19 trop. FWS-87 a eu envie de se suicider pendant toute la durée de sa

20 détention dans la maison de Karaman.

21 Par les actes et omissions susmentionnés, Radovan Stankovic s'est rendu

22 responsable de:

23 Chef d'accusation n°1: réduction en esclavage, un crime contre l'humanité

24 sanctionné par l'Article 5c) du Statut du Tribunal."

25 M. le Président: Un petit moment, s'il vous plaît.

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1 Monsieur Stankovic, comment répondez-vous à ce chef d'accusation: coupable

2 ou non coupable?

3 M. Stankovic (interprétation): Pour ce qui est de cet Acte d'accusation

4 modifié, je ne saurais me prononcer. Voilà pour quelles raisons, voilà

5 pour quelles raisons, je pourrais les argumenter. Je veux que l'on

6 définisse le caractère du conflit…

7 M. le Président: S'il vous plaît, nous sommes à un stade où, simplement,

8 vous répondez aux chefs d'accusation qui sont lus. Vous avez tout le temps

9 d'exposer, de présenter à la Chambre toutes les défenses que vous avez.

10 C'est uniquement et simplement que l'on vous fait savoir les charges, on

11 vous met au courant des chefs d'accusation et vous avez à répondre: vous

12 êtes coupable ou non coupable.

13 Tous les moyens de défense vous sont permis, mais ce n'est pas à ce stade-

14 ci de la procédure ni à cette audience, qui est consacrée à une

15 comparution initiale, à une seconde comparution, de développer des moyens

16 de défense. Je comprends bien que vous avez beaucoup de moyens de défense,

17 et vous avez amplement le temps de présenter tout ce que vous voulez...

18 M. Stankovic (interprétation): Oui, Monsieur El Mahdi. Je vous comprends

19 bien.

20 M. le Président: Bien. Maintenant, uniquement, s'il vous plaît, il y a le

21 premier chef d'accusation. Qu'est-ce que vous répondez? Vous répondez

22 coupable ou non coupable?

23 M. Stankovic (interprétation): Moi, je dis que je ne peux pas m'exprimer

24 au sujet de cet Acte d'accusation. Voilà les raisons pour lesquelles je ne

25 peux pas le faire. Je demande qu'on définisse le caractère du conflit dans

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1 l'état de Yougoslavie internationalement reconnu. Voilà pourquoi je vous

2 le demande, si vous me le permettez.

3 M. le Président: Monsieur Stankovic, vous avez tout le droit de demander

4 de répondre à ces chefs d'accusation pendant 30 jours. Vous n'êtes pas

5 obligé de répondre aujourd'hui si vous n'êtes pas en mesure de répondre.

6 Mais tout ce que je vous demande c'est de bien réfléchir et de bien...

7 avec consultation de votre conseil, si vous aimez et si vous préférez,

8 mais que vous répondiez simplement, parce que vous avez beaucoup -je vous

9 dis et je vous répète-, vous avez beaucoup de moyens –je comprends-,

10 beaucoup de moyens de défense, mais maintenant, c'est simplement le moment

11 de dire: "Oui, je plaide coupable" ou "Je plaide non coupable".

12 C'est tout ce qu'on vous demande à ce stade-là et vous avez tout le temps

13 et tous les moyens vous sont permis de développer vos moyens de défense.

14 Vous saisissez ce que je veux dire? Enfin, c'est uniquement…

15 M. Stankovic (interprétation): Oui, j'ai saisi, j'ai compris. Mais si vous

16 me permettez de dire quoi que ce soit, je ne souhaite pas me sentir ici

17 comme un singe de dire tout simplement: je plaide coupable ou je plaide

18 non coupable; ou de garder le silence.

19 Je vous en prie. Lorsque déjà publiquement vous m'avez accusé, alors

20 permettez-moi au moins de me défendre, de me défendre publiquement

21 également.

22 M. le Président: Monsieur Stankovic, vous avez… Nous ne sommes pas au

23 stade de présenter des moyens de défense. Il suffit simplement de dire

24 non.

25 M. Stankovic (interprétation): Je comprends cela, Monsieur El Mahdi. Voilà

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1 la raison pour laquelle je dis que je ne peux faire mon plaidoyer, voilà

2 les raisons pour lesquelles je ne peux pas le faire.

3 Permettez-moi de vous le dire: je ne peux faire mon plaidoyer ici.

4 Permettez-moi d'argumenter cela.

5 M. le Président: Monsieur Stankovic, vous avez tout le temps de présenter

6 tous vos moyens. Aujourd'hui dans cette audience, ce n'est pas le moment.

7 Il y a des règles de procédure. Nous suivons tous des règles de procédure.

8 La procédure exige...

9 M. Stankovic (interprétation): Ce sont vos règles à vous!

10 M. le Président: Oui, ce sont les règles de la communauté internationale.

11 Tout ce que je peux vous dire, c'est que l'on vous demande de plaider. Si

12 vous voulez, vous avez toute la possibilité de dire: "Non, je prends un

13 temps de réflexion." Si vous vous abstenez de présenter votre avis sur les

14 chefs d'accusation, je dois vous dire que je vais à votre place, selon le

15 Règlement, présenter un plaidoyer de non-coupable.

16 C'est normal parce que j'aimerais que vous soyez certain que vous êtes

17 innocent...

18 M. Stankovic (interprétation): Pas tout à fait, non.

19 M. le Président: Ecoutez, Monsieur Stankovic. Jusqu'à preuve du contraire,

20 vous êtes innocent. Et personne ne peut...

21 Vous dites qu'on a fait lecture de l'Acte d'accusation que... Non,

22 Monsieur, vous jouissez d'une présomption d'innocence que personne ne peut

23 toucher. Jusqu'à verdict contraire, vous êtes innocent.

24 J'aime préciser et j'aime insister sur ce point parce que c'est un point

25 fondamental.

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1 J'aimerais, dans ce contexte-là, que vous compreniez la procédure, la

2 procédure qui consiste à vous faire savoir des charges présumées devant

3 moi: est-ce qu'on peut…

4 N'importe qui, n'importe qui peut être chargé d'accusation, mais est-ce

5 que cela veut dire qu'il est coupable? Personnellement, et c'est une

6 connaissance commune, personne ne peut être jugé coupable sauf par un

7 Jugement du Tribunal.

8 Ce n'est pas parce qu'une partie a prétendu que certains faits ont été

9 commis par quelqu'un, qu'il se sent ou qu'il soit considéré comme

10 coupable. Pas du tout. Vous êtes innocent jusqu'à preuve du contraire.

11 M. Stankovic (interprétation): D'accord, d'accord. Mais puis-je dire un

12 mot?

13 M. le Président: Oui, faites, je vous en prie, mais dans le cadre...

14 Enfin, vous comprenez mon point de vue?

15 M. Stankovic (interprétation): Oui, donc je ne veux pas faire mon

16 plaidoyer comme vous le dites, vous, faire un plaidoyer de culpabilité ou

17 de non-culpabilité. Moi, je disais et je le redis, je le répète, à ce

18 moment-ci, à ce stade-ci, je ne peux me prononcer au sujet de cet Acte

19 d'accusation.

20 Voilà pour quelle raison: je demande que l'on définisse le caractère des

21 conflits intervenus dans l'Etat de Yougoslavie "internationalement"

22 reconnu. Voilà pourquoi je vous demande: je le demande pour qu'on

23 n'utilise pas des termes inadéquats, telle l'occupation dont on fait état

24 ici dans l'Acte d'accusation...

25 M. le Président: Nous sommes… Vous dites que vous n'êtes pas en mesure de

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1 répondre à l'Acte d'accusation. On va vous lire l'Acte en entier et vous

2 aurez tout le temps de réfléchir. Nous aurons une autre audience de

3 comparution initiale pour que vous répondiez. Si vous vous abstenez et ne

4 répondez pas, je vous fais savoir qu'à votre place, je suis obligé de

5 plaider non coupable. C'est tout.

6 Vous avez tout le temps, Monsieur…

7 La question ou le problème, c'est que vous croyez que cet Acte

8 d'accusation vous condamne. Non, ce n'est pas la vérité.

9 Et vous avez tout le temps de présenter tous les moyens juridiques

10 factuels...

11 M. Stankovic (interprétation): Je comprends tout cela, et cela fort bien.

12 M. le Président: Alors, nous allons procéder de la sorte. Madame, s'il

13 vous plaît, lisez tout l'Acte et nous allons préciser que M. Stankovic ne

14 plaide pas aujourd'hui et qu'il demande un temps de réflexion.

15 (L'avocat de M. Stankovic se prend la tête dans les mains.)

16 Vous étiez au compte n°1.

17 Mme Philpott (interprétation): "Chef d'accusation n°2: viol, un crime

18 contre l'humanité sanctionné par l'Article 5g) du Statut du Tribunal.

19 Chef d'accusation n°3: viol, une violation des lois ou coutumes de la

20 guerre sanctionnée par l'Article 3 du Statut du Tribunal.

21 Chef d'accusation n°4: atteintes à la dignité des personnes, une violation

22 des lois ou coutumes de la guerre sanctionnée par l'Article 3 du Statut du

23 Tribunal.

24 Chefs d'accusation n°5 à 8: viol et réduction à l'esclavage de D.B.

25 Le 3 août 1992 ou vers cette date, Dragoljub Kunarac, de concert avec Pero

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1 Elez, a, comme il est indiqué au paragraphe 4.1 supra, fait sortir D.B

2 ainsi que FWS-75, FWS-87 et FWS-50, du numéro 16 de la rue Osmana Djikica

3 pour les conduire à Miljevina, où elles ont été remises à Pero Elez et ses

4 hommes qui, à leur tour, les ont été transférées dans la maison de Kraman.

5 La maison de Karaman se trouve non loin du quartier général du Bataillon.

6 D.B. et les autres femmes et jeunes filles étaient détenues dans la maison

7 de Karaman comme il est indiqué aux paragraphes 4.1 à 4.7 supra.

8 Pendant toute la durée de leur détention dans la maison de Karaman, D.B et

9 les autres détenues étaient la nuit victimes de viols et de violences

10 sexuelles répétées. Tous les violeurs étaient des soldats serbes

11 appartenant à l'unité de Pero Elez. Radovan Stankovic était au nombre des

12 soldats qui ont fréquemment violé D.B. par pénétration vaginale et anale.

13 D.B a été violée pour la première fois dans la maison de Karaman vers le 3

14 août 1992, peu de temps après son arrivée, par Radovan Stankovic.

15 Radovan Stankovic a fait sortir D.B de la maison de Karaman vers la fin

16 septembre 1992. Tout au long de sa détention dans la maison de Karaman, à

17 savoir depuis le 3 août 1992 environ jusqu'à fin septembre 1992, D.B a

18 connu le sort décrit aux paragraphe 4.1 à 4.7 supra, et l'accusation

19 réitère, en y faisant référence, les allégations concernant le sort

20 réservé à D.B par Radovan Stankovic dans la maison de Karaman durant cette

21 période.

22 Après avoir fait sortir D.B. de la maison en 1992, Radovan Stankovic l'a

23 d'abord emmenée dans un appartement de l'immeuble de Miljevina pour une

24 dizaine de jours, avant de la transférer dans un appartement de l'immeuble

25 Lepa Brena à Foca. Tout au long de cette période, Radovan Stankovic a

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1 traité D.B. comme si elle lui appartenait, la forçant à travailler et lui

2 faisant subir des violences sexuelles répétées. Radovan Stankovic a laissé

3 D.B partir pour le Monténégro le 3 novembre 1992.

4 Par les actes et omissions susmentionnés, Radovan Stankovic s'est rendu

5 responsable de:

6 Chef d'accusation 5: Réduction en esclavage, un crime contre l'humanité

7 sanctionné par l'Article 5c) du Statut du Tribunal;

8 Chef d'accusation n°6: Viol, un crime contre l'humanité sanctionné par

9 l'Article 5 g);

10 Chef d'accusation 7: Viol, une violation des lois ou coutumes de la

11 guerre, sanctionnéepar l'Article 3 des Statut du Tribunal;

12 Chef d'accusation 8: atteintes à la dignité des personnes, une violation

13 des lois ou coutumes de la guerre sanctionnée par l'Article 3 du Statut du

14 Tribunal".

15 M. le Président: Merci beaucoup, Madame.

16 Donc, vous maintenez… Je peux conclure que vous n'allez pas plaider

17 aujourd'hui.

18 Alors sur le transcript, on mentionne bien clairement que M. Stankovic ne

19 plaide pas aujourd'hui, donc ce sera… Vous aurez le temps de réflexion

20 pour déterminer votre position dans les 30 jours qui viennent.

21 (L'accusé sourit).

22 Suite à cette audience, je crois qu'on doit quand même tenir une

23 conférence de mise en état, mais je propose avant cela d'avoir une pause

24 de 10 minutes. Donc, jusqu'à 10 heures.

25 (L'audience est levée à 9 heures 47.)