Le
Procureur c/ Enver Hadzihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura - Affaire
n°
IT-01-47-PT
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Décisions
26 novembre et 19 décembre 2001
Bruno Cathala, Greffier adjoint et Hans Holthuis, Greffier

alignArticle
45 B) du Règlement de procédure et de preuve - Article 9
2) du Code de déontologie pour les avocats comparaissant devant
le Tribunal International – Commission d’office de Conseil de la défense
- Conflit d’intérêt.
Il ne semble
pas contraire à l’éthique que des avocats travaillent pour
les Chambres, l’Accusation puis la Défense ou inversement.
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Rappel
de la procédure
- De janvier 1996 à janvier 2000 et de
septembre 1998 à novembre 1999, Maître Rodney Dixon, avocat à
Londres, et Maître Stéphane Bourgon, avocat à Repentigny
au Québec, ont respectivement travaillé au Bureau du Procureur
du Tribunal en tant que conseillers juridiques en droit international, humanitaire
et comparé. Au mois de novembre 1999, Maître Bourgon a été
désigné Chef de Cabinet au Bureau du Président. Son contrat
s’est terminé le 31 décembre 2001.
- Le 19 septembre 2001, Maître Fahrudin
Ibrisimovic, Conseil commis à la défense d’Amir Kubura, a déposé
une requête aux fins de nomination de Maître Dixon comme Co-conseil
de l’accusé.
- Les 11 et 23 octobre 2001, Maître Dixon
a adressé des télécopies au Bureau de l’aide juridictionnelle
et des questions de détention du Tribunal, aux termes desquelles il
a affirmé que ses fonctions au Bureau du Procureur comprenaient la
rédaction d’avis juridiques et de documents relatifs à des questions
juridiques ainsi que des interventions dans deux affaires concernant des accusés
et liées à la région de Bosnie centrale. Il a cependant
allégué qu’il n’avait ni participé aux enquêtes,
ni présenté d’éléments de preuve en audience et
a admis qu’il ne pouvait être commis à la défense de l’accusé
en cas de conflit d’intérêt1. Il a cependant
allégué qu’aucun conflit d’intérêt n’existerait
s’il était amené à représenter l’accusé
et que le fait qu’il ait travaillé au Bureau du Procureur ne lui donnerait
aucun avantage injuste. Maître Dixon a accepté d’être lié
par l’obligation de respecter la confidentialité de toute information
à laquelle il avait eu accès lorsqu’il travaillait pour le Bureau
du Procureur. Maître Dixon a enfin fait valoir que la charge de la preuve
d’un conflit d’intérêt incombe au Procureur au cas où
celui-ci s'oppose à sa nomination.
- Les 10 octobre et 1er novembre 2001, l’Accusation
a adressé deux mémorandums intérieurs au Bureau d’aide
juridictionnelle et des questions de détention, aux termes desquels
elle a affirmé que la participation antérieure de Maître
Dixon aux poursuites engagées dans certaines affaires relatives à
la Bosnie centrale et sa connaissance de la stratégie et du fonctionnement
interne du Bureau du Procureur créeraient un conflit d’intérêts
entre ses obligations permanentes de confidentialité envers ledit Bureau
et ses obligations en tant que Conseil commis à la défense de
l’accusé. L’Accusation a également allégué que
la commission de Maître Dixon à la défense de l’accusé
pourrait nuire à la représentation de la justice et à
l’intégrité de la procédure devant la Chambre. L’Accusation
a enfin fait valoir que l’accusé pourrait nuire indûment aux
intérêts de la justice en formant des recours judiciaires à
l’encontre d’un jugement ultérieur, au motif que Maître Dixon
a travaillé au Bureau du Procureur.
- Maître Edina Residovic, Conseil de la
Défense commis à Enver Hadzihasanovic, a déposé
une requête, reçue le 30 novembre 2001, demandant que Maître
Stéphane Bourgon soit nommé en qualité de Co-conseil.
- Le 20 novembre 2001, Maître Bourgon
a adressé un courrier au Greffe, aux termes duquel il a affirmé
que son travail au Bureau du Procureur avait consisté à présenter
et développer des arguments juridiques d’ordre général
fondés sur le droit international sans qu’ils se rapportent à
des éléments factuels spécifiques. Il a déclaré
qu’en qualité de Chef de Cabinet, il avait eu accès à
des informations relatives à la gestion et à l’administration
judiciaire du Tribunal, mais non à des renseignements confidentiels
relatifs à l’une quelconque des affaires portées devant les
Chambres. Maître Bourgon s’est engagé à respecter la confidentialité
de toutes les informations auxquelles il avait eu accès lorsqu’il travaillait
au Bureau du Procureur et, dans le cas de Maître Bourgon, au Bureau
du Président. Il a présenté une déclaration sous
serment détaillée, aux termes de laquelle il a déclaré
qu’il n’aurait pas de conflit d’intérêts en représentant
Enver Hadzihasanovic ni aucun avantage déloyal résultant du
fait qu’il a travaillé au Bureau du Président. Maître
Bourgon a fait valoir qu’il incombe au Président et au Procureur d’établir
l’existence d’un conflit d’intérêts s’ils s’opposent à
sa nomination.
- Le 26 novembre 2001, les deux coaccusés
ont accepté par écrit d’être respectivement assistés
par Maître Dixon et par Maître Bourgon après avoir été
pleinement informés de leurs collaborations antérieures avec
le Bureau du Procureur et avec le Bureau du Président. Les deux coaccusés
ont déclaré qu’ils ne contesteraient pas les commissions d’offices
de Maître Dixon et de Maître Bourgon, au motif que ceux-ci ont
respectivement travaillé au Bureau du Procureur d’une part, et au Bureau
du Procureur et à celui du Président d’autre part.
- Le 12 décembre 2001, le Président
a adressé un mémorandum au Greffier adjoint et au Greffier,
aux termes duquel il les a informés qu’il ne voyait aucune raison s’opposant
à ce que le nom de Maître Bourgon figure sur la liste des conseils
qui acceptent d’être commis d’office pour représenter un suspect
ou un accusé, établie conformément à l’article
45 B) du Règlement2.
- Le 18 décembre 2001, le Procureur a
adressé un mémorandum au Bureau d’aide juridictionnelle et des
questions de détention, aux termes duquel il a estimé qu’il
pourrait être inopportun que Maître Bourgon défende Enver
Hadzihasanovic, compte tenu de son intervention antérieure dans plusieurs
affaires liées à la Bosnie centrale. Le Procureur a conclu que
la nomination de Maître Bourgon pourrait affecter l’apparence de la
justice, bien qu’il ne semble pas que celui-ci ait travaillé sur des
questions factuelles liées à la cause de l’accusé, mais
uniquement sur des questions purement juridiques liées à l’affaire
de la Bosnie centrale.
Les décisions
Le Greffier adjoint et le Greffier
ont fait droit aux requêtes aux fins de nomination de Maître Dixon
et de Maître Bourgon comme Co-conseils des deux coaccusés à
compter respectivement du 20 septembre 2001 et du 2 janvier 2002.
Les motifs
- Le Greffier adjoint et le Greffier ont relevé
que l’acte d’accusation avait été confirmé plus de 18
mois après que Maître Dixon et Maître Bourgon eurent quitté
leurs fonctions au sein du Bureau du Procureur. Ils ont considéré
que l’existence et l’ampleur d’un conflit d’intérêt peuvent seulement
être déterminées au stade du procès. Le Greffier
a ajouté qu’il est dans l’intérêt des droits de l’accusé
et de la justice d’établir s’il existe un éventuel conflit d’intérêt
et que l’accusé demandant la commission du conseil et toute partie
contestant la commission doivent par conséquent motiver leurs requêtes.
- Le Greffier adjoint et le Greffier ont estimé
que Maître Dixon et Maître Bourgon ont fourni des renseignements
détaillés relatifs à leurs collaborations antérieures
avec le Bureau du Procureur et celui du Président, et que ceux-ci ne
révèlent l’existence d’aucun conflit d’intérêts.
Le Greffier adjoint a précisé que le Procureur n’avait ni communiqué
d’informations précises relatives au degré de participation
de Maître Dixon lorsqu’il travaillait au Bureau du Procureur, ni évoqué
l’acquisition de quelconques connaissances particulières, susceptibles
de créer un tel conflit.
- Le Greffier a de plus relevé que la
liste des Conseils disposés à assister des suspects ou des accusés
devant le Tribunal compte au moins trois employés, anciens ou actuels,
du Bureau du Procureur ou des Chambres et qu’il ne semble pas contraire à
l’éthique que des avocats travaillent pour les Chambres, l’Accusation
puis la Défense ou inversement.
- Le Greffier adjoint et le Greffier ont estimé
que les informations actuellement disponibles sur la collaboration antérieure
de Maître Dixon et de Maître Bourgon ne démontraient pas
«clairement de conflit d’intérêts raisonnablement susceptible
de nuire aux intérêts de la justice». Ils ont cependant tous
deux souligné que s’il devenait manifeste à un stade ultérieur
de la procédure «qu’il existe un conflit d’intérêts, il
conviendrait d’envisager la révocation de la commission» de Maître
Dixon et de Maître Bourgon3.
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1. L'article 9 2) du Code de déontologie pour
les avocats comparaissant devant le Tribunal International (IT/125 du 12 juin
1997) prévoit que «[d]ans sa mission de représentation,
le conseil prend toutes précautions nécessaires pour prévenir
tout conflit d'intérêt.»
2. «Le Greffier tient une liste des conseils remplissant
les conditions visées à l'article 44, qui ont justifié
d'une expérience raisonnable en droit pénal et/ou international
et qui ont fait savoir qu'ils accepteraient d'être commis d'office par
le Tribunal pour représenter toute personne n'ayant pas les moyens de
rémunérer un conseil et détenue sous l'autorité
du Tribunal.»
3.
Voir également Le Procureur c/ Mehmed Alagic («Bosnie centrale»),
Affaire n° IT-01-47-PT, Greffier, Décision, 24 septembre 2001, aux termes
de laquelle Monsieur Hans Holthuis a décidé de commettre temporairement
Maître John R.W.D. Jones, qui a travaillé pour le Tribunal en tant
que juriste adjoint aux Chambres de janvier 1995 à septembre 1997 et
d'août 1998 à mai 1999, comme Co-conseil de l'accusé à
compter du 7 septembre 2001 pendant une période de 106 jours.