Chambres de Prem. Inst.

Le Procureur c/ Stanislav Galic — Affaire n° IT-98-29-T

"Jugement et Opinion"

5 décembre 2003
Chambre de première instance I (Juges Orie [Président], El Mahdi et Nieto -Navia)

Attaques contre des civils et nécessité militaire Protection des civils Éléments constitutifs de l’attaque contre des civils Attaques contre des civils et principe de proportionnalité Terrorisation en droit international humanitaire Terrorisation, une violation grave du droit international humanitaire Terrorisation et menaces de violence Eléments constitutifs du crime de terrorisation

Attaques contre des civils et nécessité militaire : l’article 51 2) du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949 indique clairement que ni les personnes civiles ni la population civile en tant que telle ne doivent être l’objet d’attaques. Il ne prévoit aucune exception. En particulier, il exclut toute possibilité d’y déroger en se prévalant de nécessités militaires.

Eléments constitutifs de l’attaque contre des civils : l’infraction que constitue l’attaque contre des civils comprend les éléments communs aux infractions relevant de l’article 3 du Statut ainsi que les éléments spécifiques suivants :
1. Des actes de violence dirigés contre la population civile ou les personnes civiles ne participant pas directement aux hostilités et entraînant la mort ou causant des atteintes graves à l’intégrité physique ou la santé.
2. L’auteur de ces actes de violence a soumis intentionnellement à ceux-ci la population civile ou les personnes civiles ne participant pas directement aux hostilités.

La notion d’« intention » intègre celle de dol éventuel mais non celle d’imprudence. Quiconque attaque des civils dans une indifférence totale aux conséquences de ses actes est réputé agir « intentionnellement.
Pour établir l’intention coupable dans le cadre d’une attaque contre des civils, l’Accusation doit prouver que l’auteur savait que les personnes attaquées étaient des civils. En cas de doute sur la qualité d’une personne, l’Accusation doit prouver qu’en l’espèce une personne raisonnable n’aurait pu penser que l’individu attaqué était un combattant.

Attaques contre des civils et principe de proportionnalité : certaines attaques apparemment disproportionnées peuvent pousser à conclure qu’elles prenaient en fait des civils pour cible. Pour déterminer si une attaque était proportionnée, il convient d’apprécier si une personne ayant une connaissance suffisante de la situation dans laquelle se trouvait l’auteur, et exploitant judicieusement les informations à sa disposition, aurait pu prévoir que l’attaque causerait des pertes excessives dans la population civile.

La règle de la proportionnalité ne porte ni sur les dommages réels causés ni sur l’avantage militaire apporté par une attaque ; au contraire, le mot « attendu » est utilisé.

Terrorisation en droit international humanitaire : on pourrait dire que l’interdiction particulière de répandre la terreur revêt elle aussi le caractère impératif de l’interdiction générale des attaques contre des civils, puisqu’elle protège les mêmes valeurs. S’accordant avec la norme générale, la règle interdisant de répandre la terreur ne doit pas s’opposer ni déroger aux normes impératives du droit international.

Terrorisation, une violation grave du droit international humanitaire : il est indéniable qu’une attaque contre la population civile ou des civils qui fait des morts et des blessés parmi eux constitue une violation très grave d’une règle fondamentale du droit international humanitaire et pourrait même être considérée comme une violation grave du Protocole additionnel I, plus précisément de son article  85 3). Il ne peut qu’en aller de même lorsqu’elle est lancée dans le but principal de répandre la terreur parmi la population civile, et les conséquences pour les victimes ne peuvent en être moins graves.

Terrorisation et menaces de violence : certaines menaces de violence emportent indéniablement de graves conséquences. A titre d’exemple, une menace crédible et largement diffusée de bombarder indistinctement un centre de population civile ou de lancer une attaque au moyen d’armes de destruction massive aura très vraisemblablement pour effet de causer une peur extrême parmi les civils et d’entraîner d’autres conséquences graves, telles que le déplacement de groupes de population.

Terrorisation et responsabilité pénale individuelle : les violations graves des dispositions de la deuxième partie de l’article 51 2) et, plus particulièrement, les violations qui ont fait des morts et des blessés engageaient déjà en 1992 la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs.

Eléments constitutifs du crime de terrorisation : pour que le crime de terrorisation de la population civile soit constitué, les éléments communs aux infractions tombant sous le coup de l’article 3 du Statut doivent être réunis, de même que les éléments suivants :

1. Actes de violence dirigés contre la population civile ou des personnes civiles ne participant pas directement aux hostilités, qui entraînent parmi elles la mort ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé.
2. L’auteur a intentionnellement soumis à ces actes de violence la population civile ou des personnes civiles ne participant pas aux hostilités.
3. L’infraction susmentionnée a été commise dans le but principal de répandre la terreur parmi la population civile.

– Puisque le fait de répandre effectivement la terreur n’est pas un élément constitutif du crime de terrorisation, il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un lien de causalité entre les actes de violence illicites et la terreur elle-même.
– Quant aux « actes de violence », ils ne comprennent pas les attaques légitimes dirigées contre des combattants mais uniquement les attaques illégitimes dirigées contre des civils.
– Le « but principal » constitue l’élément moral (mens rea) du crime de terrorisation. Il faut l’entendre comme excluant le dol éventuel (dolus eventualis) ou l’indifférence aux conséquences de ses actes (recklessness) de l’intention spécifique de répandre la terreur. Ainsi, l’Accusation est tenue de prouver non seulement que l’Accusé avait accepté la possibilité que des actes illégaux résulte la terreur – ou, en d’autres termes, qu’il était conscient que la terreur pourrait en résulter – mais aussi que c’était le résultat qu’il en attendait précisément. Le crime de terrorisation se caractérise par l’intention spécifique de l’auteur.
– La « terreur » peut être définie comme une « peur extrême.

Rappel de la procédure

Stanislav Galic est né le 12 mars 1943, dans le village de Goles, dans la municipalité de Banja Luka. Il avait le grade de général de division dans l’armée serbe de Bosnie (la « VRS »). Il a pris le commandement du Corps Sarajevo-Romanija vers le 10 septembre 1992 et l’a conservé jusqu’au 10 août 1994 environ. Un acte d’accusation a été déposé à son encontre le 26 mars 1999 et a été maintenu sous le sceau de la confidentialité jusqu’à son arrestation par les troupes de la Force multinationale de stabilisation (la « SFOR ») le 20 décembre 1999. Il a été mis en accusation en raison des événements liés à l’encerclement militaire en 1992 de la ville de Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine.

Selon l’acte d’accusation, Stanislav Galic (l’« Accusé ») a mené, durant cette période, une campagne prolongée de bombardements et de tirs isolés1 pour tuer, mutiler, blesser et terroriser les habitants de Sarajevo, faisant ainsi des milliers de tués et de blessés parmi la population civile. Sa responsabilité pénale individuelle, au sens des articles 7 1) et 7 3) du Statut, a été mise en cause par l’Accusation pour des actes et omissions visant à répandre la terreur, constitutifs d’une violation des lois ou coutumes de la guerre énoncée à l’article  51 du Protocole additionnel I2 et à l’article 13 du Protocole additionnel II3 aux Conventions de Genève de 19494 (chef 1), pour des attaques contre des civils en tant que violations des lois ou coutumes de la guerre (chefs 4 et 7), pour des assassinats en tant que crimes contre l’humanité (chefs 2 et 5) et pour des actes inhumains en tant que crimes contre l’humanité (chefs 3 et 6).

Le 21 décembre 1999, Stanislav Galic a été transféré au Tribunal. A sa comparution initiale, le 29 décembre 1999, il a plaidé non coupable de l’ensemble des chefs d’accusation. Le procès s’est ouvert le 3 décembre 2001 et le réquisitoire et la plaidoirie ont eu lieu les 6, 7 et 8 mai 2003. En tout, 171 témoins ont été entendus. Le nombre total de pièces à conviction, y compris les rapports écrits, les films, les photographies, les cartes et les enregistrements sonores, s’est élevé à 1  268, auquel se sont ajoutés 15 rapports d’experts.

Jugement

En application de l’article 7 1) du Statut du Tribunal, la Chambre de première instance a déclaré Stanislav Galic coupable des chefs suivants :

Chef 1 : Violations des lois ou coutumes de la guerre (actes de violence dont le but principal était de répandre la terreur parmi la population civile, prohibition inscrite à l’article 51 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949), sanctionnées par l’article 3 du Statut du Tribunal ;
Chef 2 : Crimes contre l’humanité (assassinats), sanctionnés par l’article 5 a) du Statut du Tribunal ;
Chef 3 : Crimes contre l’humanité (autres actes inhumains), sanctionnés par l’article  5 i) du Statut du Tribunal ;
Chef 5 : Crimes contre l’humanité (assassinats), sanctionnés par l’article 5 a) du Statut du Tribunal ;
Chef 6 : Crimes contre l’humanité (autres actes inhumains), sanctionnés par l’article  5 i) du Statut du Tribunal.

L’Accusé ayant été déclaré coupable du chef 1, les chefs suivants ont été rejetés 5 :

Chef 4 : Violations des lois ou coutumes de la guerre (attaques contre des civils, prohibées par l’article 51 du Protocole additionnel I et l’article 13 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève de 1949), sanctionnées par l’article 3 du Statut du Tribunal ;
Chef 7 : Violations des lois ou coutumes de la guerre (attaques contre des civils, prohibées par l’article 51 du Protocole additionnel I et par l’article 13 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève de 1949), sanctionnées par l’article  3 du Statut du Tribunal.

La Chambre de première instance a, à la majorité de ses membres, condamné Stanislav Galic à une peine unique de vingt ans d’emprisonnement.6

Motifs7

Attaques contre des civils, une violation des lois ou coutumes de la guerre

Il est allégué au chef 4 que Stanislav Galic, en tant que commandant du SRK, a mené une « campagne prolongée et coordonnée d’attaques de tireurs embusqués contre la population civile de Sarajevo, tuant et blessant de nombreux civils de tout âge et des deux sexes ; la nature même de ces attaques consistait à viser délibérément des civils avec des armes à tir direct. Il est indiqué au chef 7 de l’acte d’accusation que l’Accusé a mené une « campagne coordonnée et prolongée de tirs d’artillerie et de bombardements au mortier contre les zones civiles de Sarajevo et sa population civile. Cette campagne de bombardements a fait des milliers de tués et de blessés parmi les civils. » Après s’être assurée que les conditions d’application de l’article  3 du Statut avaient été remplies8, la Chambre de première instance a notamment traité des points de droit suivants :

Attaques contre des civils et nécessité militaire

La Chambre de première instance a fait remarquer que la Chambre d’appel ne s’était toujours pas prononcée de façon définitive quant aux éléments constitutifs de cette infraction. Seules deux affaires portées devant le Tribunal concernaient des personnes accusées d’avoir mené des attaques contre des civils et elles ont été jugées en application de l’article 3 du Statut, pour cette infraction énoncée à l’article  51 2) du Protocole additionnel I. Dans l’affaire Blaskic, la Chambre de première instance a fait observer, s’agissant de l’élément matériel de l’infraction, que « l’attaque doit avoir causé des morts et (ou) de graves dommages corporels dans la population civile ou des dégâts à des biens de caractère civil. […] Le ciblage des civils ou des objets civils est une infraction s’il n’est pas justifié par la nécessité militaire9. Quant à l’élément moral de l’infraction, elle a conclu qu’ « [u]ne telle attaque doit avoir été entreprise intentionnellement avec la connaissance (ou alors qu’il n’était pas possible d’ignorer ) que des civils ou des objets civils étaient visés sans nécessité militaire10. Dans l’affaire Kordic et Cerkez, la Chambre de première instance a indiqué qu’ « on entend par attaques proscrites celles qui prennent délibérément pour cible des civils ou des objectifs civils au cours d’un conflit armé et que les nécessités militaires ne justifient pas. Elles doivent avoir causé des pertes humaines parmi les civils et/ou porté gravement atteinte à leur intégrité physique et causé des dommages massifs à des biens civils11.

La Chambre de première instance a suivi cette jurisprudence dans la mesure où elle déclare qu’une attaque qui fait des morts ou des blessés graves au sein de la population civile constitue une infraction. Néanmoins, elle n’a pas souscrit à la thèse selon laquelle le comportement proscrit consistant à attaquer une population civile, visé par la première partie de l’article 51 2), est à juste titre qualifié de ciblage des civils « s’il n’est pas justifié par la nécessité militaire12. Selon elle, cet article « indique clairement que ni les personnes civiles ni la population civile en tant que telle ne doivent être l’objet d’attaques. Il ne prévoit aucune exception. En particulier, il exclut toute possibilité d’y déroger en se prévalant des nécessités militaires13.

Protection des civils

La Chambre de première instance a rappelé que l’article 51 2) consacre la règle coutumière selon laquelle les civils doivent jouir d’une protection générale contre les dangers résultant des hostilités et a indiqué que l’interdiction de diriger une attaque contre des civils tire son origine d’un principe fondamental du droit international humanitaire : le principe de la distinction. Celui-ci est notamment énoncé à l’article 48 du Protocole additionnel I, qui oblige les parties au conflit à « faire en tout temps la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, à ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires14.

La Chambre de première instance a traité en détail la question de savoir qui peut être considéré comme civil. En droit international humanitaire, il est clairement établi qu’un civil est une personne ne prenant pas une part active aux hostilités. En d’autres termes, la protection accordée aux civils cesse dès lors que ces derniers prennent les armes et engagent le combat.15 Dans la mesure où il peut parfois être malaisé d’établir la qualité de certaines personnes, les vêtements, l’activité, l’âge ou le sexe de celles-ci sont des éléments qui peuvent être pris en compte et, en tout état de cause, une personne est considérée comme civile tant qu’il existe un doute sur sa qualité réelle.16 D’après la Chambre de première instance, « une personne ne doit pas être l’objet d’une attaque lorsqu’il n’y a pas lieu de croire, dans la situation où se trouve la personne envisageant l’attaque et compte tenu des informations dont elle dispose, que la cible potentielle est un combattant17.

Eléments constitutifs de l’attaque contre des civils

En résumé, la Chambre de première instance a conclu que l’infraction que constitue l’attaque contre des civils comprend les éléments communs aux infractions relevant de l’article 3 du Statut ainsi que les éléments spécifiques suivants :

1. Des actes de violence dirigés contre la population civile ou les personnes civiles ne participant pas directement aux hostilités et entraînant la mort ou causant des atteintes graves à l’intégrité physique ou la santé.
2. L’auteur de ces actes de violence a soumis intentionnellement à ceux-ci la population civile ou les personnes civiles ne participant pas directement aux hostilités.18

S’agissant de l’élément moral de l’infraction que constitue l’attaque contre des civils, la Chambre de première instance a fait référence à l’article 85 du Protocole additionnel I, aux termes duquel est considéré comme une infraction grave, lorsqu’il est commis intentionnellement, l’acte de « soumettre la population civile ou des personnes civiles à une attaque », lorsque celle-ci entraîne la mort ou cause des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé. La Chambre de première instance s’est ensuite référée au commentaire de l’article 85 du Protocole additionnel I, qui précise que le terme « intention » signifie que l’Accusé « doit avoir agi avec conscience et volonté » et englobe la notion de « dol éventuel19. Elle a conclu que : « la notion d’“intention” [intègre] celle de dol éventuel mais non celle d’imprudence. Quiconque attaque des civils dans une indifférence totale aux conséquences de ses actes est réputé agir “intentionnellement20”. La Chambre de première instance a ajouté que, pour établir l’intention coupable dans le cadre d’une attaque contre des civils, l’Accusation doit prouver que l’auteur savait que les personnes attaquées étaient des civils, précisant qu’en cas de doute sur la qualité d’une personne, « l’Accusation doit prouver qu’en l’espèce une personne raisonnable n’aurait pu penser que l’individu attaqué était un combattant21.

Attaques contre des civils et proportionnalité

S’agissant du premier élément de la définition susvisée de l’attaque contre des civils, il est de jurisprudence constante que les attaques indiscriminées, c’est -à-dire les attaques frappant indistinctement des personnes civiles ou des biens de caractère civil et des objectifs militaires, peuvent être qualifiées d’attaques directes contre des civils.22 En outre, les attaques sans discrimination sont expressément interdites par l’article 51 du Protocole additionnel I23, qui les définit comme des attaques « dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu24. En d’autres termes, les attaques disproportionnées peuvent par nature être qualifiées d’attaques indiscriminées.

Afin de se conformer au principe de proportionnalité, ceux qui envisagent ou décident d’attaquer un objectif doivent prendre des « précautions dans l’attaque » (article  57 du Protocole additionnel I25). Ils doivent faire « tout ce qui est pratiquement possible » pour évaluer si la cible envisagée n’est pas de caractère civil (ou un objectif militaire protégé), choisir les moyens d’attaque qui conviennent en vue de réduire au minimum les pertes qui pourraient être causées incidemment et enfin apprécier s’il reste pratiquement possible d’attaquer cet objectif sans causer « incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. Selon les propres termes de la Chambre de première instance, pour déterminer si une attaque est proportionnée, il convient d’apprécier « si une personne ayant une connaissance suffisante de la situation dans laquelle se trouvait l’auteur, et exploitant judicieusement les informations à sa disposition, aurait pu prévoir que l’attaque causerait des pertes excessives dans la population civile26. La Chambre de première instance a par conséquent décidé que « [p]our établir l’élément moral d’une attaque disproportionnée, l’Accusation doit prouver […] que l’auteur a lancé intentionnellement l’attaque, en ayant connaissance des circonstances qui laissaient prévoir des pertes excessives dans la population civile27.

Pour ce qui est de l’application de ce principe, la Chambre de première instance a noté que « la règle de la proportionnalité ne porte ni sur les dommages réels causés ni sur l’avantage militaire apporté par une attaque ; [mais qu’] au contraire, le mot “attendu” est utilisé28. Elle a en outre fait remarquer que lors de la ratification du Protocole additionnel I, l’Allemagne avait déclaré que « la décision prise par la personne responsable doit être évaluée sur la base de toutes les informations disponibles au moment donné, et non sur la base du déroulement réel considéré a posteriori29. En conséquence, lorsqu’elle a analysé le bombardement n° 1, la Chambre de première instance a fait observer que, même si la moitié des victimes étaient des soldats, il était manifeste, au moment de la préparation de l’attaque, que celle-ci risquait d’entraîner des pertes en vies humaines et des blessures parmi la population civile qui seraient excessives par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu.30

Terrorisation de la population civile, une violation des lois ou coutumes de la guerre

Au paragraphe introduisant le chef 1, intitulé « Répandre la terreur », il était allégué que le général Galic, en sa qualité de commandant du SRK, « a[vait] mené une campagne prolongée de bombardements et de tirs [isolés] contre des zones civiles de Sarajevo et contre la population civile, répandant la terreur en son sein et lui infligeant des souffrances mentales. Le crime de terrorisation n’avait encore jamais été examiné en tant que tel dans un Jugement rendu par le Tribunal, bien que la terrorisation des civils ait été prise en compte en tant qu’élément dans la commission d’autres crimes.31 C’était aussi la première fois qu’un tribunal international était amené à se prononcer sur la question. La Chambre de première instance était tenue de déterminer non pas si le crime de terrorisation au sens général relevait de la compétence du Tribunal, mais si le fait précis de tuer ou de blesser des civils pendant un conflit armé, avec l’intention de répandre la terreur parmi la population, comme il est allégué dans l’acte d’accusation, constituait un crime ressortissant à sa compétence. C’est ce qu’elle a fait en ce qui concerne les quatre conditions Tadic devant être remplies pour qu’une infraction puisse relever de l’article 3 du Statut32, avant d’examiner les éléments constitutifs du crime de terrorisation.

Terrorisation en droit international humanitaire

Le crime de terrorisation figurait dans l’acte d’accusation en application à la fois de l’article 51 du Protocole additionnel I et de l’article 13 du Protocole additionnel II. Ayant déjà conclu que, s’agissant des événements figurant dans l’acte d’accusation, l’article 51 du Protocole additionnel I s’appliquait, en tant que règle du droit conventionnel, au conflit armé déchirant Sarajevo33, la Chambre de première instance a décidé de se fonder sur la deuxième partie de son paragraphe 2 (la « deuxième partie de l’article 51 2) ») qui dispose que « [ s]ont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. Par conséquent, la première condition Tadic, à savoir que l’interdiction doit se fonder sur une règle du droit international humanitaire, était remplie.

Quant à la deuxième condition, la Chambre de première instance n’a pas eu à prouver que l’interdiction participait d’une règle du droit international coutumier. Elle a décidé de se fonder sur le droit conventionnel et a poursuivi son raisonnement en faisant preuve d’une « circonspection particulière afin d’éviter tout malentendu […] sur cette question importante34. Dans l’Arrêt Tadic relatif à l’exception d’incompétence, la Chambre d’appel avait indiqué que le Tribunal international était « autorisé à appliquer, outre le droit international coutumier, tout traité qui : i) lie incontestablement les parties à la date de la commission du crime ; et ii) ne s’oppose pas ou ne déroge pas aux normes impératives du droit international, comme dans le cas de la plupart des règles coutumières du droit international humanitaire35.

S’agissant du premier de ces points, la Chambre de première instance avait déjà constaté, comme il a été indiqué plus haut, que les dispositions du Protocole additionnel I étaient applicables en l’espèce en tant que règles du droit conventionnel. S’agissant du deuxième point soulevé par la Chambre d’appel, à savoir que le traité en question ne doit pas s’opposer ou déroger aux normes impératives du droit international, la Chambre de première instance a déclaré que le paragraphe 2 de l’article 51, pris dans son ensemble, voulait dire que l’interdiction de répandre la terreur est une interdiction particulière qui entre dans le cadre de l’interdiction générale des attaques contre des civils.36 L’interdiction générale étant une norme impérative du droit international coutumier, la Chambre de première instance a déclaré que l’on pourrait dire que l’interdiction particulière revêt elle aussi un caractère impératif, puisqu’elle protège les mêmes valeurs. Elle a par conséquent conclu que, « s’accordant avec [la norme générale] […], la règle interdisant les actes ou menaces qui visent à répandre la terreur ne s’oppose pas et ne déroge pas aux normes impératives du droit international37.

Terrorisation, une violation grave du droit international humanitaire

Selon la troisième condition Tadic, la violation en question doit être «  grave » – c’est-à-dire qu’elle doit constituer une infraction à une règle protégeant des valeurs importantes et que cette infraction doit emporter de graves conséquences pour la victime. La Chambre de première instance a relevé que l’acte d’accusation faisait état d’actes de violence graves et conclu qu’il était « indéniable qu’une attaque contre la population civile ou des civils qui fait des morts et des blessés parmi eux constitue une violation très grave d’une règle fondamentale du droit international humanitaire », et pourrait même être considérée comme une violation grave du Protocole additionnel I en vertu de son article 85 3)38. Elle a ensuite indiqué qu’« il ne peut qu’en aller de même lorsqu’[une telle attaque ] est lancée dans le but principal de répandre la terreur parmi la population civile, et [que] les conséquences pour les victimes ne peuvent en être moins graves39.

Terrorisation et menaces de violence

La question relative aux menaces de violence ne s’est pas posée en l’espèce et la Chambre de première instance n’était donc pas tenue de se prononcer quant à la question de savoir si de telles menaces, par opposition aux actes de violence, pouvaient aussi emporter de graves conséquences pour les victimes. Toutefois, elle n’a pas éludé cette question et constaté que « [c]ertaines menaces de violence emportent indéniablement de graves conséquences40. A titre d’exemple, la Chambre de première instance a déclaré qu’« une menace crédible et largement diffusée de bombarder indistinctement un centre de population civile ou de lancer une attaque au moyen d’armes de destruction massive aura[it] très vraisemblablement pour effet de causer une peur extrême41 parmi les civils et d’entraîner d’autres conséquences graves, telles que le déplacement de groupes de population42.

Terrorisation et responsabilité pénale individuelle en 1992

Avant d’aborder les éléments constitutifs du crime de terrorisation, la Chambre de première instance a examiné la quatrième condition Tadic, à savoir que la violation en question devait engager la responsabilité pénale de l’Accusé durant la période couverte par l’acte d’accusation. Autrement dit, elle devait être convaincue que l’intention de répandre la terreur avait déjà été érigée en crime en 1992. Elle a examiné les règles du droit législatif, réglementaire et conventionnel antérieures à l’introduction de l’article 51 2)43 avant d’aborder les développements législatifs intervenus dans la région en cause dans l’acte d’accusation, en commençant par l’article 125 (« Crime de guerre contre la population civile ») du chapitre XI (« Crimes contre l’humanité et contre le droit international ») du Code pénal de 1960 de la République fédérale de Yougoslavie qui dispose que « [q]uiconque aura, en violation des règles du droit international applicables, en temps de guerre, de conflit armé ou d’occupation, ordonné ou pris [...] des mesures d’intimidation ou de terreur [...] sera puni de cinq ans d’emprisonnement au moins dans un établissement à régime sévère ou de la peine de mort. Parmi les autres dispositions pertinentes, la Chambre de première instance s’est notamment référée au Code pénal de 1976 dont l’article 142 est ainsi libellé : « Quiconque, en violation des règles du droit international applicables en temps de guerre, de conflit armé ou d’occupation, ordonne [l’imposition de mesures dirigées contre la population civile afin de lui] inspirer de la peur et de la terreur [...] [ou quiconque commet l’un des actes susmentionnés] est puni d’une peine d’emprisonnement de cinq ans au moins ou de la peine de mort. » Elle a en outre relevé qu’après avoir ratifié le 11 mars 1997 le Protocole additionnel I, la Yougoslavie l’a incorporé dans le « Règlement concernant l’application des lois internationales de la guerre par les forces armées de la RSFY. Ce règlement indiquait que « [a]ttaquer des civils dans le but de les terroriser est tout particulièrement interdit. La Chambre de première instance a conclu que « puisque les violations étaient passibles de sanctions pénales en 1992, que ce soit au niveau international44 ou dans l’ex-Yougoslavie (y compris la Bosnie-Herzégovine45) , la quatrième condition Tadic était remplie. Elle a ajouté que « les violations graves des dispositions de la deuxième partie de l’article 51 2) et, plus particulièrement, les violations alléguées en l’espèce qui ont fait des morts et des blessés engageaient déjà en 1992 la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs46.

Eléments constitutifs du crime de terrorisation

La Chambre de première instance s’est appuyée sur le libellé de l’article 51 2) du Protocole additionnel I pour conclure que :

« […] pour que le crime de terrorisation de la population civile soit constitué, les éléments communs aux infractions tombant sous le coup de l’article 3 du Statut doivent être réunis, de même que les éléments suivants :

1. Actes de violence dirigés contre la population civile ou des personnes civiles ne participant pas directement aux hostilités, qui entraînent parmi elles la mort ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé.
2. L’auteur a intentionnellement soumis à ces actes de violence la population civile ou des personnes civiles ne participant pas aux hostilités.
3. L’infraction susmentionnée a été commise dans le but principal de répandre la terreur parmi la population civile47.  »

La Chambre de première instance a apporté les précisions suivantes sur les éléments constitutifs du crime de terrorisation :

- Puisque le fait de répandre effectivement la terreur n’est pas un élément constitutif du crime de terrorisation, il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un lien de causalité entre les actes de violence illicites et la terreur elle-même.48
- Quant aux « actes de violence », ils ne comprennent pas les attaques légitimes dirigées contre des combattants mais uniquement les attaques illégitimes dirigées contre des civils.49
- Le « but principal » constitue l’élément moral (mens rea) du crime de terrorisation. Il faut l’entendre comme excluant le dol éventuel (dolus eventualis) ou l’indifférence aux conséquences de ses actes (recklessness) de l’intention spécifique de répandre la terreur. Ainsi, l’Accusation est tenue de prouver non seulement que l’Accusé avait accepté la possibilité que des actes illégaux résulte la terreur – ou, en d’autres termes, qu’il était conscient que la terreur pourrait en résulter – mais aussi que c’était le résultat qu’il en attendait précisément. Le crime de terrorisation se caractérise par l’intention spécifique de l’auteur.50
- La « terreur » peut être définie comme une « peur extrême51.

Opinion individuelle et partiellement dissidente du Juge Nieto-Navia

Le Juge Nieto-Navia a joint une opinion individuelle et partiellement dissidente dans laquelle il a passé en revue certains faits importants pour saisir le contexte dans lequel s’inscrivait le conflit à Sarajevo durant la période couverte par l’acte d’accusation. Il a expliqué pourquoi il était en désaccord avec les constatations de la majorité à propos de certains événements impliquant des civils et pourquoi, selon lui, les éléments de preuve n’ont pas établi que le SRK avait mené, pendant cette période, une campagne « de tirs délibérés sur la population civile52. Il a notamment examiné les points de droit suivants :

Terrorisation de la population civile, une violation des lois ou coutumes de la guerre

Selon le Juge Nieto-Navia, une infraction ne peut relever de la compétence du Tribunal que si elle existait déjà comme forme de responsabilité en droit international coutumier.53 Il a fait référence au rapport adressé au Conseil de sécurité au sujet de la création du Tribunal, dans lequel le Secrétaire général a expliqué que « l’application du principe [de droit pénal] nullum crimen sine lege exige que le Tribunal international applique des règles [...] qui font partie sans aucun doute possible du droit coutumier54. Il s’est en outre référé à la conclusion rendue par la Chambre d’appel dans la Décision Ojdanic relative à l’appel interlocutoire, selon laquelle on peut dire que l’étendue de la compétence ratione materiae du Tribunal est déterminée « à la fois par le Statut […] et par le droit international coutumier, dans la mesure où la compétence du Tribunal pour déclarer un accusé coupable d’un crime énuméré dans le Statut dépend de l’existence de ce crime en droit coutumier à l’époque où il est supposé avoir été commis55. Le Juge Nieto-Navia a déclaré que, en concluant qu’une infraction pouvait relever de la compétence du Tribunal en vertu du droit conventionnel, la majorité avait interprété l’Arrêt Tadic relatif à l’exception d’incompétence en s’écartant « de la jurisprudence établie de ce Tribunal56. Il en a conclu que la Chambre de première instance n’était pas compétente pour connaître de l’infraction consistant à répandre la terreur parmi la population civile.

La position d’autorité, une circonstance aggravante

La Chambre de première instance a conclu que, s’agissant de la peine à infliger, le fait que le général Galic a exercé les fonctions de commandant de corps de la VRS, et qu’il a, à maintes reprises, manqué au devoir lié officiellement au poste très élevé qu’il occupait, constituait une circonstance aggravante.57 Le Juge Nieto-Navia a indiqué que, dès lors que la Chambre de première instance avait déclaré l’Accusé responsable au regard de l’article 7 1) du Statut pour avoir ordonné les crimes établis au procès, « considérer ses fonctions de chef militaire comme une circonstance aggravante équiva[lait] à considérer la qualité d’époux comme une circonstance aggravante dans le cas d’un uxoricide58.

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1. S’agissant de la définition de la notion de tirs isolés, voir Galic, IT-98-29-T, Décision relative à la demande d’acquittement de l’Accusé Stanislav Galic, 3 octobre 2002, Supplément Judiciaire n° 37. Voir aussi par. 182 à 184 du Jugement. Au paragraphe 184, la Chambre de première instance a conclu que « dans le contexte de la présente espèce, le terme “tirs isolés” implique le fait de tirer de loin sur des individus avec une arme de petit calibre, quel qu’en soit le type ».
2. L’article 51 (Protection de la population civile) est ainsi rédigé : « 1. La population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires. En vue de rendre cette protection effective, les règles suivantes, qui s’ajoutent aux autres règles du droit international applicable, doivent être observées en toutes circonstances. 2. Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. »
3. L’article 13 (Protection de la population civile) est ainsi rédigé : « 1. La population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires. En vue de rendre cette protection effective, les règles suivantes seront observées en toutes circonstances. 2. Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne devront être l’objet d’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. 3. Les personnes civiles jouissent de la protection accordée par le présent Titre, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation. »
4. Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), Genève, 12 décembre 1977 (le « Protocole additionnel I »). Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), Genève, 12 décembre 1977 (le « Protocole additionnel II »).
5. Selon la Chambre d’appel, un cumul de déclarations de culpabilité n’est possible, à raison d’un même fait et sur la base de différentes dispositions du Statut, que si « chacune des dispositions comporte un élément nettement distinct qui fait défaut dans l’autre. Un élément est nettement distinct s’il exige la preuve d’un fait que n’exigent pas les autres. » Voir Delalic et consorts, IT-96-21-A, 20 février 2001, par. 412, Supplément Judiciaire n° Spécial Arrêts et Jugements 2001. Dans la mesure où la Chambre de première instance a conclu que le crime de terrorisation, tel que reproché à l’Accusé au chef 1, impliquait les mêmes faits que ceux reprochés aux chefs 4 et 7 et où elle a indiqué que ce crime se caractérise par l’intention spécifique de l’auteur (voir ci-dessous « Eléments constitutifs du crime de terrorisation »), une déclaration de culpabilité ne pouvait être prononcée que pour le chef 1 (voir par. 157 à 162 du Jugement).
6. Le 18 décembre 2003, l’Accusation a déposé son appel relatif à la sentence et le conseil de Stanislav Galic a déposé une demande de prorogation du délai de dépôt de l’acte d’appel. La Défense a sollicité un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle la traduction officielle du jugement et de l’opinion en français serait disponible. Il a été fait droit à la demande de la Défense le 22 décembre 2003 (Galic, IT-98-29-A, Décision relative à la demande de prorogation du délai de dépôt de l’acte d’appel, 22 décembre 2003).
7. Le présent résumé ne traitera que des contributions essentielles apportées à la jurisprudence du Tribunal et au droit international pénal et humanitaire. Le texte intégral et le résumé du Jugement sont disponibles auprès des services d’information publique du Tribunal et/ou sur son site Internet à l’adresse suivante : www.un.org/icty (page « Jugements »).
8. Voir Tadic, IT-94-1-AR72, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence (l’« Arrêt Tadic relatif à la compétence »), 2 octobre 1995. Au paragraphe 94 de cet arrêt, la Chambre d’appel avait indiqué que les conditions suivantes devaient être remplies pour qu’un crime puisse faire l’objet de poursuites devant le Tribunal international aux termes de l’article 3 : « i) la violation doit porter atteinte à une règle du droit international humanitaire ; ii) la règle doit être de caractère coutumier ou, si elle relève du droit conventionnel, les conditions requises doivent être remplies ; iii) la violation doit être grave, c’est-à-dire qu’elle doit constituer une infractions aux règles protégeant des valeurs importantes et cette infraction doit emporter de graves conséquences pour la victime ; et iv) la violation de la règle doit entraîner, aux termes du droit international coutumier ou conventionnel, la responsabilité pénale individuelle de son auteur ».
9. Blaskic, IT-95-14-T, Jugement (le « Jugement Blaskic »), 3 mars 2000, par. 180, Supplément Judiciaire n° 13.
10. Ibid.
11. Kordic et Cerkez, IT-95-14/2-T, Jugement, 26 février 2001, par. 328, Supplément Judiciaire n° Spécial Arrêts et Jugements 2001.
12. Au sens large, sacrifier aux nécessités militaires signifie « faire le nécessaire pour atteindre un objectif de guerre ». (Dictionnaire du droit international des conflits armés, publié sous la direction du CICR, 1992). Le principe de nécessité militaire admet la possibilité de morts et de blessés parmi les civils du fait d’opérations militaires légitimes. Cependant, ce principe exige que la destruction d’un objectif militaire donné apporte quelque avantage en affaiblissant les forces militaires adverses. Les civils ne doivent en aucun cas être considérés comme des cibles militaires légitimes. Par conséquent, on ne saurait se prévaloir des nécessités militaires pour justifier des attaques contre des personnes civiles ou la population civile en tant que telle (note 76 du Jugement reproduite en partie).
13. Jugement, par. 44. La Chambre de première instance s’est en outre référée à l’article 51 6) du Protocole additionnel I qui interdit explicitement « les attaques dirigées à titre de représailles contre la population civile ou des personnes civiles » et a relevé que le libellé de cet article « exclut que les nécessités militaires puissent justifier des représailles » (voir note 77 du Jugement).
14. Dans son avis consultatif sur la licéité des armes nucléaires, la Cour internationale de Justice a considéré le principe de distinction, ainsi que celui de protection de la population civile, comme « les principes cardinaux contenus dans les textes formant le tissu du droit humanitaire » et a déclaré que « les Etats ne doivent jamais prendre pour cible des civils » (Avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Recueil 1996, par. 78).
15. Kupreskic et consorts, IT-95-16-T, 14 janvier 2000, par. 522 et 523, Supplément Judiciaire n° 11.
16. Voir article 50 1) du Protocole additionnel I.
17. Jugement, par. 50. La Chambre de première instance a procédé à une analyse similaire des objectifs militaires. Elle a déclaré au paragraphe 51 que « pareil bien ne doit pas être l’objet d’une attaque lorsqu’il n’y a pas lieu de croire, dans la situation où se trouve la personne envisageant l’attaque et compte tenu des informations dont elle dispose, que ce bien est utilisé pour apporter une contribution effective à l’action militaire ».
18. Jugement, par. 56.
19. Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Yves Sandoz, Christophe Swinarski, Bruno Zimmerman (ed.), Comité international de la Croix-Rouge, Éditions Martinus Nijhoff, Genève, 1987 (le « Commentaire du CICR »).
20. Jugement, par. 54.
21. Ibid., par. 55.
22. La nature des armes employées peut permettre de déduire le caractère discriminatoire d’une attaque. Voir, notamment, Jugement Blaskic, par. 501 et 512. S’agissant de l’obligation des Etats de ne jamais prendre pour cible des civils, la Cour internationale de Justice a indiqué que lesdits Etats ne doivent jamais « utiliser des armes qui sont dans l’incapacité de distinguer entre cibles civiles et cibles militaires » (Avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Recueil 1996, par. 78). S’agissant du caractère coutumier de l’interdiction des attaques indiscriminées, voir Arrêt Tadic relatif à la compétence, par. 127.
23. L’article 51 4) du Protocole additionnel I est ainsi rédigé : « Les attaques sans discrimination sont interdites. L’expression “attaques sans discrimination” s’entend :
a) des attaques qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire déterminé ;
b) des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être dirigés contre un objectif militaire déterminé ; ou
c) des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le présent Protocole ; et qui sont, en conséquence, dans chacun de ces cas, propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil. »
24. Article 51 5) du Protocole additionnel I.
25. L’article 57 (Précautions dans l’attaque) dispose ce qui suit en ses paragraphes pertinents : « 2. En ce qui concerne les attaques, les précautions suivantes doivent être prises :
a) ceux qui préparent ou décident une attaque doivent :
i) faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les objectifs à attaquer ne sont ni des personnes civiles, ni des biens de caractère civil, et ne bénéficient pas d’une protection spéciale, mais qu’ils sont des objectifs militaires au sens du paragraphe 2 de l’article 52, et que les dispositions du présent Protocole n’en interdisent pas l’attaque ;
ii) prendre toutes les précautions pratiquement possibles quant au choix des moyens et méthodes d’attaque en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil qui pourraient être causés incidemment ;
iii) s’abstenir de lancer une attaque dont on peut attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ; […]. »
26. Jugement, par. 58.
27. Ibid., par. 59. Voir article 85 3) b) du Protocole additionnel I qui considère une telle attaque comme une infraction grave au Protocole.
28. Jugement, note de bas de page 109.
29. Ibid. Voir Déclarations interprétatives faites par l’Allemagne (14 février 1991). Des déclarations similaires ont également été faites par la Suisse (17 février 1982), l’Italie (27 février 1986), la Belgique (20 mai 1986), les Pays-Bas (26 juin 1987), la Nouvelle-Zélande (8 février 1988), l’Espagne (21 avril 1989), le Canada (20 novembre 1990) et l’Australie (21 juin 1991). Aucune autre partie au Protocole additionnel I ne s’est opposée à ces déclarations.
30. Pour plus d’informations au sujet du bombardement n° 1 (match de football organisé dans le quartier de Dobrinja IIIB), voir paragraphes 372 à 387.
31. Jugement, note de bas de page 114. Dans l’affaire Celebici, des actes d’intimidation créant un « climat de terreur » dans les camps de détention ont été punis en tant qu’infractions graves aux Conventions de Genève (torture et traitements inhumains) et en tant que violation de l’article 3 commun auxdites conventions (torture et traitements cruels) : Delalic et consorts, IT-96-21-T, Jugement (le « Jugement Celebici »), 16 novembre 1998, par. 976, 1056, 1086 à 1091 et 1119, Supplément Judiciaire n° 1. Dans l’affaire Blaskic, « l’atmosphère de terreur qui régnait dans les établissements de détention » était un des faits sur lesquels reposait la déclaration de culpabilité de l’accusé pour traitements inhumains (une infraction grave) et traitements cruels (une violation des lois ou coutumes de la guerre) : Jugement Blaskic, par. 695, 700, 732 et 733. Le fait que Blaskic ait en outre été reconnu coupable « d’attaque illégale » contre des civils découlait en partie de la conclusion selon laquelle ses troupes avaient « terrorisé les civils par des pilonnages intensifs, des meurtres et des violences caractérisées » (voir par. 630). Dans l’affaire Krstic, le général Krstic était accusé de persécutions, un crime contre l’humanité, pour sa participation présumée aux actes consistant à « terroriser les civils musulmans de Bosnie » : affaire Krstic, n° IT-98-33-T, Jugement, 2 août 2001, par. 533, Supplément Judiciaire n° Spécial Arrêts et Jugements 2001. La Chambre de première instance a conclu à l’existence d’une « campagne de terreur » : « De nombreux témoins ont déclaré qu’au cours de l’opération Krivaja 95, la VRS avait pilonné l’enclave de Srebrenica, apparemment dans le but d’en terroriser la population » (par. 122). En outre, « [l]orsque les forces serbes sont arrivées à Potocari, les 12 et 13 juillet 1995, les Musulmans de Bosnie réfugiés à l’intérieur et aux alentours de la base ont été victimes d’une campagne de terreur faite de menaces, insultes, pillage et incendie des maisons voisines, passages à tabac, viols et meurtres » (par. 150). Dans ladite affaire, la Chambre de première instance a qualifié la « campagne de terreur » et le transfert forcé des femmes, enfants et personnes âgées à Potocari de persécutions et d’actes inhumains (par. 607 ; voir aussi par. 1, 41, 44, 46, 147, 153, 292, 364, 517, 527, 537, 653, 668, 671 et 677). Voir également affaire Martic, n° IT-95-11-R61, Décision (« Décision Martic relative à l’article 61 »), 8 mars 1996, par. 23 à 31 (les missiles utilisés n’étaient pas destinés à frapper un objectif militaire mais à terroriser la population civile de Zagreb en violation de règles du droit international) ; et affaire Momir Nikolic, n° IT-02-60/1-S, Jugement portant condamnation, 2 décembre 2003, par. 38, Judicial Supplement n° 46.
32. Voir note de bas de page 8 ci-dessus.
33. Le 22 mai 1992, des représentants de la République de Bosnie-Herzégovine, du Parti démocratique serbe et de l’Union démocratique croate ont conclu, sous les auspices du Comité international de la Croix-Rouge, un accord par lequel ils s’engageaient à respecter, entre autres, les dispositions pertinentes du Protocole additionnel I. Au paragraphe 25, la Chambre de première instance a conclu que « l’article 51, de même que les articles 35 à 42 et 48 à 58 du Protocole additionnel I, s’appliquait incontestablement en tant que règle du droit conventionnel aux parties au conflit ». L’accord du 22 mai 1992 non seulement incorporait l’article 51 2) par voie de référence, mais reprenait aussi les termes même de l’interdiction de commettre le crime de terrorisation.
34. Jugement, par. 97.
35. Arrêt Tadic relatif à l’exception d’incompétence, par. 143.
36. La Chambre de première instance a fait référence aux Commentaires du CICR, par. 4785 : « Les attaques visant à terroriser constituent un type d’attaques parmi d’autres, mais elles sont particulièrement condamnables. On a cherché de longue date à interdire ce type d’attaques, dont la pratique est courante et qui infligent des souffrances particulièrement cruelles à la population civile. » [Non souligné dans l’original].
37. Jugement, par. 98.
38. Ibid., par. 108.
39. Ibid., par. 109.
40. Ibid., note de bas de page 179.
41. La Chambre de première instance s’est rangée à l’avis de l’Accusation qui a défini la terreur comme une « peur extrême ». Voir ci-dessous la partie intitulée « Eléments constitutifs du crime de terrorisation ».
42. Jugement, note de bas de page 179.
43. Ibid., par. 114 à 119.
44. Voir par. 114 à 119 du Jugement. La Chambre de première instance s’est notamment référée à l’affaire Motomura et consorts (Procès de Shigeki Motomura et consorts, Law Reports of Trials of War Criminals, vol. 13, p. 138, 1947) dans laquelle 13 accusés ont été déclarés coupables par une cour martiale siégeant à Makassar, dans les Indes orientales néerlandaises, de « terrorisme systématique dirigé contre des civils » pour différents actes, dont des arrestations massives illégales.
45. Voir par. 126 du Jugement. La Chambre de première instance a trouvé un exemple de déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction interne pour terrorisation de la population civile durant le conflit yougoslave, à raison d’événements qui se sont produits entre septembre 1991 et 1993 [Le Procureur c/ R. Radulovic et consorts, Tribunal de district de Split, République de Croatie, affaire n° K-15/95, verdict rendu le 26 mai 1997, cité dans M. Sassoli et A. Bouvier (éd.), How does Law protect in War ? (Genève, CICR, 1999)].
46. Jugement, par. 130. La Chambre de première instance a souligné qu’elle ne se prononçait pas sur la compétence du Tribunal dans le cas d’autres formes de violation de cette disposition, comme, par exemple, celles qui prennent la forme de simples menaces de violence, ou d’actes de violence qui ne font pas de morts ou de blessés.
47. Jugement, par. 133.
48. Ibid., par. 134. La Chambre de première instance s’est fondée sur le libellé sans équivoque de l’article 51 2), de même que sur les travaux préparatoires de la Conférence diplomatique, qui, selon elle, excluent cette notion de la définition de l’infraction.
49. Ibid., par. 135.
50. Ibid., par. 136.
51. Ibid., par. 137.
52. Opinion individuelle et partiellement dissidente du Juge Nieto-Navia (l’« Opinion dissidente »), par. 2.
53. Opinion dissidente, par. 108 à 113.
54. Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité, par. 34 (non souligné dans l’original).
55. Milutinovic et consorts, IT-99-37-AR72, Arrêt relatif à l’exception préjudicielle d’incompétence soulevée par Dragoljub Ojdanic – entreprise criminelle commune, 21 mai 2003, par. 9, Supplément Judiciaire n° 41.
56. Le Juge Nieto-Navia a expliqué que les Chambres de première instance et la Chambre d’appel se sont dans le passé toujours assurées qu’une infraction donnée existait comme forme de responsabilité en droit international coutumier avant de conclure que le Tribunal était compétent pour connaître de cette infraction. Il a renvoyé aux jugements et aux arrêts suivants : Vasiljevic, IT-98-32-T, Jugement, 29 novembre 2002, par. 193 et suiv., Supplément Judiciaire n° 40 ; Krnojelac, IT-95-25-T, Jugement, 15 mars 2002, par. 177 et suiv. et par. 350 et suiv., Supplément Judiciaire n° 36 ; Kunarac et consorts, IT-96-23 & IT-96-23/1-T, Jugement, 22 février 2001, par. 518 et suiv., Supplément Judiciaire n° 24 ; Jugement Celebici, par. 414 à 418 ; Kunarac et consorts, IT-96-23 & IT-96-23/1-A, Arrêt, 12 juin 2002, par. 124 et 146 à 148, Supplément Judiciaire n° 34 ; Furundzija, IT-95-17/1, Jugement, 10 décembre 1998, par. 111, Supplément Judiciaire n° 1.
57. Jugement, par. 765.
58. Opinion dissidente, par. 121. Uxoricide : « the killing of one’s wife / a man who kills his wife » (meurtre de l’épouse par le mari / homme meurtrier de sa femme) (Concise Oxford Dictionary, 10e édition, 1999).