Après le prononcé du jugement rendu dans l’affaire Le Procureur c/ Ratko Mladić, Serge Brammertz, Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, a fait la déclaration suivante à la presse :
Aujourd’hui, Ratko Mladić, commandant de l’état-major principal de l’Armée des Serbes de Bosnie, a été déclaré coupable pour ses crimes, et condamné à l’emprisonnement à vie.
La Chambre de première instance a retenu les éléments de preuve que nous lui avions présentés, établissant le rôle essentiel que Ratko Mladić a joué dans quatre entreprises criminelles communes. Ratko Mladić et d’autres hauts dirigeants avaient l’intention de réaliser leurs objectifs politiques et militaires en commettant un génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.
Premièrement, Ratko Mladić a été déclaré coupable pour avoir dirigé de violentes campagnes de nettoyage ethnique dans toute la Bosnie‑Herzégovine de 1992 à 1995. L’objectif était de chasser définitivement les Croates et les Musulmans de Bosnie en perpétrant des crimes de manière généralisée et systématique. Durant ces campagnes de nettoyage ethnique, des milliers de civils ont été tués. Des dizaines de milliers de victimes ont été détenues dans des conditions inhumaines dans des centres où nombre d’entre elles ont été battues, violées et tuées. Plus d’un million d’habitants ont été déplacés à l’intérieur de la Bosnie ou forcés de se réfugier dans d’autres pays.
Deuxièmement, Ratko Mladić a été déclaré coupable pour avoir dirigé la campagne de crimes commis pendant le siège de Sarajevo. L’objectif était de répandre la terreur parmi la population civile de Sarajevo. Des bombardements massifs à l’artillerie et des tirs isolés généralisés, ordonnés et supervisés par Ratko Mladić, prenaient quotidiennement pour cible les habitants de Sarajevo pendant le siège, tuant plus de 10 000 personnes, dont un très grand nombre d’enfants innocents. Cette campagne a réduit la ville à l’état de ruines.
Troisièmement, Ratko Mladić a été déclaré coupable pour le génocide commis à Srebrenica en 1995. L’objectif était d’anéantir les Musulmans de Bosnie de Srebrenica. Ratko Mladić a utilisé les forces placées sous son commandement pour exécuter plusieurs milliers d’hommes et de jeunes garçons. Il les a également utilisées pour chasser de chez eux 25 000 femmes, enfants et personnes âgées en proie à la terreur.
Enfin, Ratko Mladić a été déclaré coupable pour avoir utilisé les forces placées sous son commandement qui ont pris en otage des soldats de l’ONU chargés du maintien de la paix. L’objectif était de dissuader l’OTAN de mener des frappes aériennes. Des centaines de soldats du maintien de la paix ont été capturés, détenus, attaqués et utilisés comme boucliers humains.
Pour ce qui est du chef 1 de l’Acte d’accusation, la Chambre de première instance a conclu que mon Bureau avait prouvé que les auteurs des crimes étaient animés de l’intention de détruire, en partie, le groupe des Musulmans de Bosnie dans un certain nombre de lieux. Il s’agit là d’une conclusion importante. La Chambre n’a cependant pas prononcé de déclaration de culpabilité pour génocide. Mes collaborateurs vont à présent étudier de près son raisonnement sur ce point. Je tiens à souligner que la Chambre de première instance a dit que ces crimes constituaient des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, et que Ratko Mladić en portait la responsabilité.
Certains diront que le jugement qui a été rendu aujourd’hui est un jugement contre le peuple serbe. Mon Bureau rejette cette affirmation avec la plus grande vigueur. Ce jugement rend compte de la culpabilité de Ratko Mladić, et seulement de la sienne.
D’autres diront encore que Ratko Mladić est un héros et qu’il défendait son peuple. Comme le montre le jugement, rien n’est moins vrai. L’Histoire se souviendra de Ratko Mladić pour les nombreuses communautés et existences qu’il a détruites.
Les véritables héros sont les victimes et les survivants qui n’ont jamais cessé de croire en la justice. Ils ont montré un véritable courage en venant témoigner devant le Tribunal pour dire la vérité et confronter ceux qui leur avaient fait du mal. Au nom de mon Bureau, je tiens à les remercier et à reconnaître leur combat.
Mon Bureau remercie la communauté internationale pour le soutien qu’elle a apporté à ses travaux, et il en appelle instamment à l’ONU et à ses États Membres pour qu’ils ne cessent d’apporter leur soutien aux parquets nationaux dans les pays issus de la Yougoslavie, qui continuent à se battre pour qu’un plus grand nombre de victimes obtiennent justice. Dans toutes les communautés, des survivants attendent encore que justice soit rendue et un trop grand nombre de familles ignorent toujours ce qu’il est advenu de leurs proches.
Le jugement rendu aujourd’hui constitue un jalon dans l’histoire du Tribunal et de la justice pénale internationale. Ratko Mladić fut l’un des premiers à être accusé par mon Bureau et le dernier à être déclaré coupable. Le jugement rendu aujourd’hui justifie la vision qu’a eue le Conseil de sécurité il y a 24 ans de cela, à savoir restaurer la paix au moyen de la justice, en traduisant devant le Tribunal les dirigeants portant la responsabilité la plus lourde pour les crimes commis.
Mon Bureau tient aussi à exprimer sa profonde reconnaissance aux représentants de la presse internationale. Vous avez une responsabilité considérable : celle de dire au public la vérité sur ce qui s’est passé. Cette responsabilité est d’autant plus grande à l’heure où l’on continue à nier les crimes et à glorifier les criminels de guerre.
Enfin, je voudrais exprimer ma profonde gratitude à tous ceux qui ont soutenu notre action, y compris les collaborateurs, présents et anciens, du Bureau du Procureur ; et je tiens à remercier tout particulièrement l’équipe de l’Accusation dans cette affaire pour son dévouement et ses efforts inlassables.
Le Président de la Chambre a conclu ce prononcé en nous rappelant que les crimes de Ratko Mladić, notamment le génocide et l’extermination, sont parmi les plus odieux que l’humanité ait connus. Je ne peux qu’être d’accord.
Je vous remercie de votre attention.
Information à la presse
Ratko Mladić est né le 12 mars 1942 dans la municipalité de Kalinovik, en Bosnie‑Herzégovine. Il a été formé à l’académie militaire de l’Armée populaire yougoslave (la « JNA »). En 1991, Ratko Mladić a été nommé commandant du 9e corps d’armée de la JNA, basé à Knin, en Croatie. Le 12 mai 1992, il est devenu le commandant de l’état-major principal de l’Armée des Serbes de Bosnie (la « VRS »). Il est resté aux commandes de l’état-major principal de la VRS pendant toute la durée du conflit en Bosnie‑Herzégovine.
Le 24 juillet 1995, Ratko Mladić a été mis en accusation par le TPIY, aux côtés de Radovan Karadžić. Après avoir fui la justice pendant 16 ans, Ratko Mladić a finalement été arrêté le 26 mai 2011 dans le Nord de la Serbie.
Ratko Mladić a eu à répondre de deux chefs de génocide, cinq chefs de crimes contre l’humanité et quatre chefs de violations des lois ou coutumes de la guerre, pour un large éventail de crimes.
D’autres dirigeants des Serbes de Bosnie ont été déclarés coupables par le TPIY pour les crimes commis durant le conflit en Bosnie‑Herzégovine, dont Radovan Karadžić, Momčilo Krajišnik et Biljana Plavšić.