Le Bureau du Procureur se félicite de l’arrêt rendu par la Chambre d’appel dans l’affaire Le Procureur c/ Jadranko Prlić et consorts, qui confirme dans leurs aspects les plus importants les déclarations de culpabilité prononcées en première instance contre Jadranko Prlić, Bruno Stojić, Slobodan Praljak, Milivoj Petković, Valentin Ćorić et Berislav Pušić.
La Chambre d’appel a confirmé que les six accusés, ainsi que des hauts dirigeants de la République de Croatie à l’époque, étaient des membres‑clés d’une entreprise criminelle commune visant le nettoyage ethnique des Musulmans de Bosnie par la perpétration de crimes contre l’humanité, d’infractions graves aux Conventions de Genève et d’autres crimes de guerre.
Ils avaient pour but commun de prendre le contrôle du territoire qu’ils revendiquaient en Bosnie‑Herzégovine, en déplaçant de force des dizaines de milliers de Musulmans de Bosnie pour faciliter l’unification du peuple croate en Croatie et en Bosnie‑Herzégovine.
La Chambre d’appel a confirmé que ce projet criminel avait été réalisé par le nettoyage ethnique des Musulmans de Bosnie qui avaient été chassés de leurs foyers et de leurs communautés sur tout le territoire de plusieurs municipalités, à savoir Gornji Vakuf, Jablanica, Prozor, Mostar, Ljubuški, Stolac et Čapljina, entre la mi‑janvier 1993 et avril 1994. Municipalité après municipalité, les forces du conseil de défense croate (HVO) ont lancé des opérations militaires ayant notamment pris la forme d’attaques généralisées et systématiques dirigées contre des populations civiles. Ces attaques ont donné lieu à l’arrestation en masse de milliers de civils musulmans et à leur mise en détention, à la séparation des hommes et des femmes, enfants et personnes âgées, à la détention de personnes dans des conditions inhumaines dans un réseau unifié de centres de détention du HVO, à des meurtres et à la perpétration de nombreux autres crimes.
La Chambre d’appel a également confirmé qu’à partir de juin 1993 le HVO avait assiégé Mostar‑Est durant presque 10 mois et qu’il y avait mené une campagne de crimes contre la population civile. Ces opérations visaient à répandre la terreur parmi la population civile de Mostar‑Est. La population civile, qui avait doublé et comptait alors quelque 55 000 personnes en raison du nettoyage ethnique qui avait chassé les Musulmans de Bosnie de Mostar‑Ouest et d’autres lieux, a dû subir en permanence des tirs isolés et des bombardements et a ainsi été forcée à vivre dans des conditions extrêmement difficiles. La situation humanitaire, déjà désespérée, s’est encore aggravée lorsque le HVO a délibérément empêché les livraisons d’aide humanitaire.
Conformément à ce qui a été établi dans de nombreuses affaires jugées par le Tribunal dans le passé, l’arrêt rendu aujourd’hui confirme qu’un conflit armé international existait à l’époque parce que la Croatie exerçait un contrôle global sur le HVO, qui a commis des crimes généralisés, comme il a été prouvé dans la présente affaire. La Croatie a détaché des officiers de l’armée de terre croate pour commander les forces du HVO en Bosnie‑Herzégovine, a fourni un soutien logistique et a envoyé des éléments de l’armée de terre croate en Bosnie‑Herzégovine pour participer directement au conflit. La Chambre d’appel a confirmé les conclusions de la Chambre de première instance selon lesquelles des membres‑clés des autorités croates de l’époque, y compris le Président Franjo Tuđman, le Ministre de la défense Gojko Šušak et le général Janko Bobetko, haut placé dans les forces armées croates, partageaient l’objectif commun visant le nettoyage ethnique des Musulmans de Bosnie et avaient contribué à la réalisation de cet objectif.
Les autorités concernées devraient promouvoir l’acceptation de ces faits et contribuer ainsi à poser les fondations de la réconciliation. Il nous faut reconnaître les souffrances des victimes et des survivants et en tenir compte.
Si ces six accusés ont été reconnus coupables de cette campagne de nettoyage ethnique, d’autres responsables officiels et chefs militaires de haut rang ou de rang intermédiaire doivent toujours et encore être traduits en justice pour ces crimes, et nombre d’entre eux sont à la portée des autorités judiciaires croates.
Le Bureau du Procureur tient à exprimer son plein soutien au Procureur général de la Croatie et son espoir que celui‑ci mènera à bien ces affaires avec toute la diligence voulue. Le Bureau du Procureur exhorte en outre les autorités croates à laisser la justice aller de l’avant en toute indépendance et en toute impartialité, notamment en facilitant la coopération judiciaire régionale.