Lettre de la Présidente McDonald au Conseil pour la mise en œuvre de la paix
Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral de la lettre adressée par Gabrielle Kirk McDonald, Présidente du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, aux chefs de gouvernements des États membres du Comité directeur du Conseil pour la mise en oeuvre de la paix et au Haut-Représentant, à la veille de la réunion du Conseil à Madrid.
Le 4 décembre 1998
Mesdames et Messieurs,
Alors que la réunion plénière du Conseil pour la mise en oeuvre de la paix approche, j’ai l’honneur de vous informer que la République fédérale de Yougoslavie (RFY, Serbie et Monténégro) persiste à ne pas s’acquitter de ses obligations vis-à-vis du Tribunal international, prévues par l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine (l’ « Accord de paix »). Je fais appel à tous les chefs de gouvernements des États membres du Comité directeur du Conseil pour la mise en oeuvre de la paix et au Haut-Représentant afin que des mesures appropriées soient prises par le Conseil pour la mise en oeuvre de la paix pour que la RFY s’acquitte de ses obligations.
En tant que signataire de l’Accord de paix, la RFY est tenue de coopérer avec le Tribunal, conformément, entre autres, à l’article 9 de l’Accord cadre et à l’article 10 de l’Annexe 1-A. Ces dispositions reflètent le caractère juridique du Tribunal. La résolution 827 du Conseil de sécurité, portant création du Tribunal en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, dispose que « tous les États apporteront leur pleine coopération au Tribunal international et à ses organes ». Dans son rapport adressé au Conseil de sécurité avant l’adoption de cette résolution, le Secrétaire général avait en outre fait remarquer qu’en vertu du chapitre VII, les ordonnances du Tribunal étaient exécutoires.
Le Tribunal a mis en accusation Mile Mrksić, Miroslav Radić et Veselin Šljivančanin le 7 novembre 1995, pour le meurtre de 260 hommes non armés, après la chute de la ville de Vukovar, en novembre 1991. Un mandat d’arrêt a été établi et délivré à la RFY (entre autres), parce que l’on pensait que les accusés se trouvaient sur ce territoire. Le mandat d’arrêt n’a pas été exécuté. Le 3 avril 1996, la Chambre de première instance I a conclu qu’il existait suffisamment d’éléments de preuve pour être convaincue que les trois accusés avaient commis les crimes qui leur étaient reprochés et a certifié que « la non signification de l’acte d’accusation était due au refus de la République fédérale de Yougoslavie (RFY) de coopérer avec le Tribunal ». La Chambre de première instance a délivré des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre des trois accusés, qui ont été transmis à tous les États et à la force de mise en œuvre établie conformément à l’annexe 1-A de l’Accord de paix.
Son Excellence
M. D’Alema, Premier Ministre
Rome
Italie
Le 24 avril 1996, mon prédécesseur, le Président Cassese, a informé le Conseil de sécurité du refus de la RFY d’arrêter les trois hommes. Le 8 mai 1996, le Président du Conseil de sécurité a rappelé à la RFY ces obligations, «déplor[ant] que la République fédérale de Yougoslavie se soit …refusée à donner suite aux mandats d’arrêt délivrés par le Tribunal» et appelant à leur exécution immédiate. Le Président avait ajouté que le Conseil de sécurité resterait saisi de la question.
Depuis cette date, les trois hommes sont restés en liberté, et l’on pense qu’ils résident en Serbie. Les autorités de la RFY n’ont d’ailleurs pas réfuté ces allégations. Le Bureau du Procureur du Tribunal a exigé l’arrestation de ces accusés à maintes reprises. Le 19 décembre 1997, suite à une demande du Procureur, la Chambre de première instance II a ordonné aux autorités de signifier l’acte d’accusation aux accusés, ainsi que plusieurs autres documents, et d’informer le Greffier du Tribunal des lieux où se trouvaient les accusés. Le même jour, la Chambre de première instance II a demandé aux autorités de publier, en RFY, un avis exhortant les accusés à se livrer immédiatement au Tribunal.
Le refus permanent de donner suite aux ordonnances demandant l’arrestation de Mile Mrksić, Miroslav Radić et Veselin Šljivančanin est l’exemple on ne peut plus flagrant du refus de la RFY de coopérer avec le Tribunal. Ce comportement intransigeant est resté inchangé depuis la création du Tribunal, le 27 mai 1993. Il faut noter, à cet égard, que la RFY n’a pris aucune mesure dans le cadre de son droit interne pour mettre en œuvre les dispositions de la résolution 827 et le Statut du Tribunal, conformément au paragraphe 4 de la résolution. La RFY demeure en effet le seul signataire de l’Accord de paix à n’avoir ni adopté de législation pour faciliter la coopération avec le Tribunal international, ni pris de mesures pour transférer devant le Tribunal international les accusés se trouvant sur son territoire.
J’ai donc écrit au Conseil de sécurité le 9 septembre et informé ses membres du refus continu de la RFY à arrêter les trois personnes mises en cause. Depuis, ce refus de coopération est devenu de l’obstructionnisme. Le 5 novembre de cette année, elle annonçait au Procureur que la « République fédérale de Yougoslavie n’autoris[ait] aucune enquête du TPIY au Kosovo et en Metohija en général », position qui constitue une violation flagrante des résolutions 1160, 1199 et 1203 relatives à la situation au Kosovo. J’ai par conséquent adressé des lettres au Conseil de sécurité, les 22 octobre et 6 novembre, afin de lui demander de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la conduite illégale de la RFY.
Le 17 novembre, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1207, exigeant que Mile Mrksić, Miroslav Radić et Veselin Šljivančanin soient immédiatement et inconditionnellement arrêtés et placés sous la garde du Tribunal. La résolution exhortait de nouveau la RFY à coopérer pleinement avec le Procureur dans le cadre de ses enquêtes concernant les évènements au Kosovo.
L’obligation de coopérer avec le Tribunal est parfaitement claire. Sans ambiguïté et incontournable, elle a été énoncée dans de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et dans le texte de l’Accord de paix. En bravant le droit et la volonté de la communauté internationale, la RFY a fait preuve de mépris envers l’état de droit international. Elle a été autorisée à agir de la sorte, dans une impunité quasi- totale, pendant trois ans. De ce fait, non seulement la RFY ne s’estime pas concernée par le droit international, mais elle est devenue un refuge pour ceux qui le fuient.
Un tel comportement illégal constitue une entrave à la bonne exécution du mandat du Tribunal. Il s’agit d’un affront direct à l’autorité du Conseil de sécurité, l’organe ayant créé et habilité le Tribunal et au Conseil pour la mise en oeuvre de la paix, l’organe chargé de superviser la mise en œuvre de l’Accord de paix.
La RFY a singulièrement manqué à ses engagements au titre de l’Accord de paix. Alors que cinq accusés qui se trouvaient sur le territoire de la Republika Srpska se sont livrés au Tribunal, la RFY n’a pris aucune mesure pour garantir que la Republika Srpska s’acquitte de ses obligations vis-à-vis d’autres accusés se trouvant sur son territoire, comme elle doit le faire en sa capacité de garant des obligations de la Republika Srpska, en application de l’Accord de paix. Son comportement répréhensible affecte, de surcroît, le processus de paix en Bosnie-Herzégovine. Certaines forces de la Republika Srpska ont récemment défié de nouveau la légitimité du Tribunal, faisant fi de l’obligation de transférer les accusés, alors même que le Haut- Représentant a présenté au Conseil pour la mise en œuvre de la paix, au mois de septembre, un rapport soulignant que la RFY avait créé des conditions qui avaient mis à rude épreuve la faible infrastructure et les ressources limitées de la Bosnie-Herzégovine. Enfin, la population de la RFY est actuellement stigmatisée par la politique de son Gouvernement et, en conséquence, pâtit énormément des conséquences de celle-ci.
Je vous demande donc instamment de veiller à ce que le Conseil pour la mise en oeuvre de la paix saisisse l’occasion du sommet de Madrid pour contraindre la RFY à se conformer au droit international et à respecter ses engagements, tant envers le Tribunal qu’envers le Conseil. Tous les États sont tenus de respecter leurs obligations internationales et de garantir leur respect. En cette époque où une attention accrue est accordée au droit des individus, l’entêtement persistant de la RFY met en péril les efforts déployés pour apporter la paix aux peuples de l’ex-Yougoslavie.
Veuillez croire, Excellences, en l’assurance de mes salutations les plus respectueuses.
Gabrielle Kirk McDonald
Présidente
cc: Les chefs de gouvernements des États Membres du Comité directeur
Son Excellence le roi Juan Carlos d’Espagne
Son excellence Jose Maria Aznar-Lopez, Premier Ministre de l’Espagne
Son Excellence Juan Abel Matutes, Ministre des affaires étrangères d’Espagne
Le Haut-Représentant