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Jugement de la Chambre de première instance II dans l'affaire Kunarac, Kovac et Vukovic.

Communiqué de presse
CHAMBRES
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 22 février 2001
CC/S.I.P./566-f


Jugement de la Chambre de première instance II dans l'affaire Kunarac, Kovac et Vukovic.

 

  • Dragoljub Kunarac condamné à 28 ans d’emprisonnement
  • radomir Kovac condamné à 20 ans d’emprisonnement
  • Zoran Vukovic condamné à 12 ans d’emprisonnement

Premières condamnations par le TPIY pour viol en tant que crime contre l’humanité La Chambre de première instance II considère que les forces armées serbes de Bosnie ont eu recours au viol comme un instrument de terreur Premières condamnations pour réduction en esclavage en tant que crime contre l’humanitéLa Chambre de première instance affirme que les opportunistes sans foi ni loi ne doivent attendre aucune pitié, même s’ils sont au plus bas de la chaîne de commandement

Veuillez trouver ci-dessous le texte du résumé du jugement lu par le Président Mumba à l’audience de ce jour

La Chambre de première instance rend aujourd’hui son jugement à l’encontre des accusés. Le texte intégral du Jugement sera distribué aux parties. Je n’en lirai ici qu’un résumé et le dispositif.

Les trois accusés qui sont d’origine serbe ont été inculpés par le Bureau du Procureur de violations des lois ou coutumes de la guerre et de crimes contre l’humanité et, nommément, de viol, torture, réduction en esclavage et d’atteintes à la dignité des personnes.

Les accusés ont participé à une campagne menée par les Serbes dans l’ensemble de la municipalité de Foca entre le début de 1992 et le milieu de 1993. La campagne s’inscrivait dans le cadre d’un conflit armé qui opposait les forces serbes aux forces musulmanes dans la région de Foca ŕ toutes les époques visées dans les actes d’accusation.

L’un des objectifs de la campagne était, entre autres, de chasser les Musulmans de la région de Foca. L’objectif a été atteint et męme le nom de la ville a été changé.

Rebaptisée Srbinje, Foca se trouve aujourd’hui sur le territoire de la Republika Srpska. Pratiquement aucun Musulman ne vit aujourd’hui à Srbinje.

Outre les forces armées musulmanes, l’une des cibles de cette campagne étaient les civils musulmans et, en l’espèce, plus particulièrement les femmes musulmanes.

L’expulsion par la terreur était la principale méthode utilisée.

D’une manière générale, la terreur trouvait son expression dans la destruction des symboles religieux musulmans. Toutes les mosquées de Foca ont été détruites ŕ l’explosif et rasées.

Les civils musulmans, hommes comme femmes, ont fait l’objet de rafles dans les villages aux alentours de Foca, et męme jusque dans les municipalités voisines de Kalinovik et Gacko. Les hommes étaient séparés des femmes et des enfants.

Les hommes ont souvent été détenus pendant de longues périodes à la prison KP Dom de Foca, sans aucun motif. Certains ont parfois été victimes de sévices graves lors de leur arrestation ou même tués sur place, devant ou à portée de voix de leurs proches.

Les femmes et les enfants de la région de Foca étaient acheminés vers des points de rassemblement, tel Buk Bijela, une localité située au sud de Foca. Ils étaient ensuite transférés par car au lycée de Foca, oů ils étaient enfermés. Certains ont été conduits plus tard dans d’autres lieux de détention à Foca même ou dans les environs, au centre sportif Partizan, par exemple, qui se trouvait à un jet de pierre du poste de police, ou dans des logements privés à Miljevina et Trnovace. Ils y retrouvaient d’autres femmes et jeunes filles venues des deux autres municipalités.

Dans ces lieux, la terreur prenait une tout autre dimension, très personnelle.

_____________________

Le procès des accusés a parfois été appelé «l’affaire du camp des viols», car il offre l’exemple de viols systématiques de femmes d’une autre ethnie comme «arme de guerre».

Dire que l’on avait recours au viol systématique comme «arme de guerre» pourrait prêter quelque peu à confusion. Cela pourrait signifier qu’il existait une sorte de démarche concertée, ou que les forces armées des Serbes de Bosnie avaient reçu l’ordre de violer les femmes musulmanes dans le cadre de leurs activités de combat prises au sens large. Les preuves ne sont pas suffisantes pour que la Chambre de première instance en vienne à une telle conclusion.

Mais il a été établi que des membres des forces armées serbes de Bosnie avaient recours au viol comme instrument de terreur. Un instrument dont ils pouvaient user en toute liberté contre quiconque et quand bon leur semblait.

Il a été établi que les forces serbes ont eu toute latitude pour installer et contrôler un centre de détention comme le centre sportif Partizan, à quelques pas seulement du bâtiment de la police municipale à Foca, où ils retenaient un grand nombre de femmes musulmanes. Et, régulièrement, on venait chercher dans ce centre des femmes et des jeunes filles pour les emmener en d’autres lieux où elles étaient violées.

Il a été établi que les autorités censées protéger les victimes, telle la police locale dont les Serbes avaient pris le contrôle, se montraient indifférentes à leurs souffrances. Elles prenaient part au contraire à la surveillance de ces femmes et s’associaient aux sévices qui leur étaient infligés lorsque ces dernières leur demandaient de les protéger contre leurs oppresseurs.

Il a été établi que les femmes et les jeunes filles musulmanes, mères comme filles, étaient dépouillées des derniers vestiges de leur dignité, que les femmes et les jeunes filles étaient traitées comme des objets, comme des biens livrés à l’arbitraire des forces d’occupation serbes, et plus particulièrement soumis au bon vouloir des trois accusés.

L’ensemble de ces preuves démontre manifestement les répercussions que peut avoir en temps de guerre une personnalité criminelle sur une population civile sans défense :

Les actes des trois accusés participaient d’une attaque systématique contre la population civile musulmane. En temps de paix, certains de leurs actes auraient pu sans doute être qualifiés de crime organisé.

Ils étaient au courant du conflit armé dans la région de Foca, puisqu’ils y prenaient part en tant que soldats dans des unités différentes.

Ils savaient que l’un des principaux objectifs de cette campagne était de chasser les Musulmans de la région.

Ils savaient que l’un des moyens d’y parvenir était de terroriser la population civile musulmane pour qu’elle ne puisse jamais revenir dans la région.

Ils connaissaient également dans leurs grandes lignes les crimes commis, en particulier ceux qui consistaient à enfermer des femmes et des jeunes filles dans des lieux différents où elles seraient violées. Les actes commis par les trois accusés, tels qu’ils vont être décrits, indiquent sans l’ombre d’un doute qu’ils connaissaient l’existence des centres de détention, et la pratique qui consistait à transférer systématiquement des femmes et des jeunes filles dans des lieux où des Serbes leur feraient subir des sévices sexuels.

Les trois accusés ne se contentaient pas d’exécuter l’ordre de violer les femmes musulmanes, si tant est

qu’un tel ordre ait été donné. Il a été établi qu’ils agissaient sciemment. Parmi les femmes et les jeunes filles ainsi détenues, il y avait une enfant qui n’avait que 12 ans à l’époque. Nul ne sait ce qu’elle est devenue après avoir été vendue par l’un des accusés. Les femmes et les jeunes filles étaient prêtées ou «louées» à d’autres soldats dans le seul but de les avilir ou de leur faire subir des violences. Certaines d’entre elles étaient réduites en esclavage pendant des mois d’affilée.

Les trois accusés ne sont pas de simples soldats dont les mśurs se seraient relâchées du fait des rigueurs de la guerre. Ces hommes avaient un casier judiciaire vierge. Ils se sont cependant complus dans l’atmosphère sordide de la déshumanisation de leurs soi-disant ennemis, là où nul ne songerait à demander, pour reprendre les paroles d’Eleanor Roosevelt :

«Où les droits universels de l’homme commencent-ils en fin de compte ? En tous lieux, près de chez soi

Il est évident que les trois accusés n’appartiennent pas à la catégorie des dirigeants politiques ou militaires qui se trouvaient derrière les conflits et les atrocités. Si, de manière générale, dans les affaires dont ce Tribunal est saisi, il serait souhaitable d’engager des poursuites contre les plus hauts responsables et de les juger, la Chambre de première instance affirme clairement que nul ne pourra invoquer un grade ou des fonctions subalternes pour échapper aux poursuites.

Les dirigeants politiques et les généraux sont impuissants si leurs subalternes refusent d’exécuter des ordres criminels pendant une guerre. Les opportunistes sans foi ni loi ne devraient attendre aucune pitié, même s’ils sont au plus bas de la chaîne du commandement.

Il est utile de rappeler ici qu’en temps de paix comme en temps de guerre, aucun homme digne de ce nom ne saurait abuser d’une femme.

La Chambre de première instance va maintenant prononcer son jugement pour chacun des accusés.

ACCUSÉ DRAGOLJUB KUNARAC, VEUILLEZ VOUS LEVER :

Dragoljub Kunarac, sous les chefs 1 à 4, vous êtes accusé de viol et de torture, en tant qu’ils constituent à la fois une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.

La Chambre de première instance n’accepte votre défense d’alibi pour aucune de ces charges. Cela vaut également pour tous les autres chefs qui ont été retenus contre vous dans l’acte d’accusation.

Vous êtes accusé d’avoir, à deux reprises au moins entre le 13 juillet et le 1er août 1992, conduit le témoin 87 dans la maison sise au n° 16, Ulica Osmana Ðikica, où elle aurait été violée par d’autres soldats. La Chambre de première instance conclut que ces allégations n’ont pas été établies au-delà de tout doute raisonnable.

Vous êtes accusé d’avoir, le 16 juillet 1992 ou vers cette date, conduit les témoins 75 et D.B. au n° 16, Ulica Osmana Ðikica. Là, elles ont été violées par plusieurs soldats ; là encore, vous avez personnellement violé D.B. et aidé et encouragé le viol collectif du témoin 75. La Chambre de première instance estime que ces accusations ont été prouvées au-delà de tout doute raisonnable.

Vous êtes accusé d’avoir, le 2 août 1992, conduit les témoins 87, 75, 50 et D.B. au n° 16, Ulica Osmana Ðikica, d’avoir personnellement violé le témoin 87, et d’avoir aidé et encouragé le viol des témoins 87, 75 et 50 par d’autres soldats. La Chambre de première instance statue que ces accusations ont été prouvées au-delà de tout doute raisonnable.

Vous êtes accusé d’avoir, à deux reprises au moins entre le 13 juillet et le 2 août 1992, conduit le témoin 95 du centre sportif Partizan au n° 16, Ulica Osmana Ðikica où, la première fois, elle aurait été violée par vous et par trois autres soldats et, la deuxième fois, par trois soldats, mais non par vous. La Chambre de première instance estime qu’il a été prouvé au-delà de tout doute raisonnable que vous avez personnellement violé le témoin 95 en une occasion, mais qu’il n’a pas été établi qu’elle a été violée par d’autres soldats dans ces deux circonstances.

Si l’on s’en tient au critère dégagé par la Chambre de première instance dans son jugement en ce qui concerne le cumul des déclarations de culpabilité à raison d’un même comportement — lequel n’est envisageable que lorsque chaque infraction relatée contient au moins un élément distinct qui n’est pas contenu dans les autres — votre comportement peut être à la fois puni en tant que viol et que torture, comme violation des lois ou coutumes de la guerre, en application de l’article 3 du Statut, et comme crime contre l’humanité, en application de l’article 5 du Statut. Ce principe de droit s’applique pareillement aux accusations portées contre les trois accusés.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare COUPABLE

du chef 1 (torture, crime contre l’humanité), du chef 2 (viol, crime contre l’humanité), du chef 3 (torture, violation des lois ou coutumes de la guerre), et du chef 4 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre).

Sous les chefs 5 à 8, vous êtes accusé de torture et de viol, en tant qu’ils constituent à la fois une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.

Au vu des éléments de preuve à sa disposition, la Chambre de première instance conclut que les accusations n’ont pas été prouvées au-delà de tout doute raisonnable.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare NON COUPABLE des chefs 5, 6, 7 et 8.

Sous les chefs 9 et 10, vous êtes accusé de viol, en tant qu’il constitue une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.

Il vous est reproché de vous être rendu, en septembre ou octobre 1992, dans un lieu appelé «maison de Karaman» à Miljevina, d’avoir conduit le témoin 87 à l’étage supérieur et de l’avoir violée. La Chambre de première instance estime que ces allégations ont été prouvées au-delà de tout doute raisonnable.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare COUPABLE

du chef 9 (viol, crime contre l’humanité) et du chef 10 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre). Sous les chefs 11 et 12, vous êtes accusé de torture et de viol en tant qu’ils constituent une violation des lois ou coutumes de la guerre.

La Chambre de première instance conclut que ces accusations ont été pleinement prouvées. Un soir, à la mi-juillet 1992, avec deux autres soldats, vous avez emmené le témoin 183 de chez elle jusqu’aux rives de la Cehotina à Foca, où vous l’avez tous trois violée. Vous avez personnellement violé 183 et vous vous êtes rendu complice de son viol par les deux autres soldats du fait que vous leur avez prodigué des encouragements pendant qu’ils la violaient. Vous avez en outre raillé la victime en disant aux autres soldats d’attendre leur tour pendant que vous la violiez, en vous moquant d’elle pendant que les autres soldats la violaient et, enfin, en disant qu’elle aurait des bébés serbes dont elle ne connaîtrait pas le père.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare COUPABLE

du chef 11 (torture, violation des lois ou coutumes de la guerre) et du chef 12 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre). Sous les chefs 18 à 21, vous êtes accusé de réduction en esclavage et d’atteintes à la dignité des personnes en tant qu’elles constituent un crime contre l’humanité et de viol, en tant qu’il constitue à la fois une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.

La Chambre de première instance estime, au vu des éléments de preuve à sa disposition, que les faits à l’origine des ces accusations ont pour une part été établis au-delà de tout doute raisonnable.

La Chambre de première instance conclut que vous, Dragoljub Kunarac, avez personnellement violé le témoin 191 dans la maison à Trnovace le 2 août 1992, et qu’en emmenant les jeunes filles dans cette maison, vous avez aidé et encouragé le viol du témoin 186 par le soldat portant le pseudonyme DP6.

Cependant, la Chambre de première instance n’est pas convaincue que J.G., que vous aviez également amenée dans cette maison, a été violée cette nuit-là par le soldat surnommé «Gaga».

En outre, la Chambre de première instance conclut qu’à partir du 2 août 1992, vous, Dragoljub Kunarac, avez violé le témoin 191 chaque fois que vous vous rendiez à la maison de Trnovace, tandis que, durant cette période, DP6 violait le témoin 186. Il n’a toutefois pas été établi que vous aidiez et encouragiez DP6 à violer le témoin 186 durant cette même période, puisqu’il n’a pas été démontré, que, réserve faite de la fois où vous avez conduit les femmes dans cette maison, vous étiez présent lorsque DP6 violait le témoin 186, ni que vous l’ayez autrement aidé. Il n’a pas été prouvé que votre présence ou vos actes aidaient ou encourageaient DP6 à violer le témoin 186. Le lien, très lâche, entre, d’une part, les événements qui se sont déroulés dans la maison et, d’autre part, votre présence intermittente sur les lieux aboutirait à élargir exagérément le concept d’aide et d’encouragement en matière de viol, alors qu’il est suffisamment étroit pour justifier l’accusation de réduction en esclavage.

La Chambre de première instance conclut également que les témoins 186 et 191 ont été retenues pendant plusieurs mois dans la maison de Trnovace, où DP6 et vous, les avez traitées comme des biens personnels.

La Chambre de première instance considère que, s’agissant du crime de réduction en esclavage, les éléments suivants sont particulièrement pertinents :

i) le fait que les jeunes filles étaient détenues,

ii) le fait qu’elles devaient faire tout ce qu’on leur ordonnait, y compris la cuisine et les tâches ménagères,

iii) le fait que vous vous êtes arrogé des droits exclusifs sur le témoin 191 en vous la réservant,

iv) que les jeunes filles étaient constamment à votre disposition et à celle de DP6,

v) d’autres traitements dégradants, comme le fait de donner à un soldat la permission de violer le témoin 186 contre 100 DM en présence du témoin 191 et

vi) le fait qu’elles étaient effectivement privées de tout contrôle sur leur propre vie.

La Chambre de première instance estime que DP6 et vous avez agi de concert et que vous vous êtes mutuellement aidés et encouragés à réduire ces femmes en esclavage.

La Chambre de première instance estime toutefois que les éléments de preuve concernant les témoins 186 et 191, ne justifient pas l’accusation d’atteintes à la dignité des personnes.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare COUPABLE

du chef 18 (réduction en esclavage, crime contre l’humanité), du chef 19 (viol, crime contre l’humanité), du chef 20 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre), mais NON COUPABLE du chef 21 (atteintes à la dignité des personnes, violation des lois ou coutumes de la guerre). Par l’ensemble de ces actes, vous avez manifesté le mépris le plus criant pour la dignité des femmes et leur droit humain fondamental à l’autodétermination en matière sexuelle, et ce à un degré qui dépasse, de très loin, ce qu’en l’absence d’une meilleure formule, on pourrait qualifier de «degré habituel de gravité des viols en temps de guerre». Vous avez violenté et outragé des femmes musulmanes en raison de leur origine ethnique et vous choisissiez celles d’entre elles qui, sur le moment, vous plaisaient.

En campagne, vous étiez un soldat courageux et l’on a affirmé sans contredit que vos hommes vous tenaient en haute estime. Cette autorité naturelle aurait aisément pu vous permettre de mettre un terme aux souffrances de ces femmes. Votre participation active à ce système cauchemardesque d’exploitation sexuelle n’en est donc que plus odieuse.

Non seulement vous avez vous-même maltraité des femmes et des jeunes filles, mais vous avez organisé leur transfert dans d’autres lieux, où, comme vous le saviez, elles seraient violées et maltraitées par d’autres soldats.

Ce comportement appelle une peine sévère, proportionnée à la gravité de vos crimes.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous condamne, Dragoljub Kunarac, à une peine unique de 28 années d’emprisonnement.

La peine court à compter d’aujourd’hui. Le temps que vous avez passé en détention sera déduit de la peine.

Vous pouvez vous rasseoir.

ACCUSÉ RADOMIR KOVAC, VEUILLEZ VOUS LEVER:

Radomir Kovac, vous êtes accusé sous les chefs 22 à 25 de réduction en esclavage et de viol, en tant qu’ils constituent des crimes contre l’humanité, et de viol et d’atteintes à la dignité de la personne, en tant qu’ils constituent des violations des lois ou coutumes de la guerre.

Sur la base des éléments de preuve présentés, la Chambre de première instance juge que les accusations portées contre vous ont été prouvées au-delà de tout doute raisonnable comme suit :

Le 31 octobre 1992 ou vers cette date, quatre jeunes filles, les témoins 87, 75, A.B. et A.S., ont été conduites dans votre appartement de l’immeuble Lepa Brena, à Foca. Les témoins 75 et A.B. y ont été retenues environ une semaine, durant laquelle vous les avez traitées comme votre propriété personnelle et leur avez fréquemment fait subir des sévices sexuels.

Elles devaient effectuer des tâches ménagères. Les conditions d’hygiène dans lesquelles vivaient toutes ces jeunes filles étaient désastreuses, et elles étaient souvent affamées parce que vous ne leur donniez pas suffisamment de nourriture.

En une occasion, vous avez violé à la fois les témoins 75 et 87, tout en écoutant de la musique sur votre stéréo.

Pendant qu’elles se trouvaient dans votre appartement, les témoins 75 et A.B. ont été violées par vous et par d’autres soldats. En une occasion, le témoin 75 a refusé d’aller avec un soldat nommé Slavo Ivanovic, que vous aviez fait venir dans votre appartement. Vous l’avez alors giflée et avez envoyé A.B., âgée de 12 ans, à sa place. Au bout d’une semaine environ, vous avez remis les deux jeunes filles à d’autres soldats serbes qui ont continué à les violer. Vous vous êtes ensuite rendu dans la maison où elles sont restées deux semaines environ et là, vous avez prétendu être désolé pour elles.

Elles ont ensuite été remises à un autre groupe de soldats qui ont continué à les violer et vous les ont finalement ramenées. Le lendemain, vous avez vendu A.B. et remis le témoin 75 au soldat portant le pseudonyme DP1.

Vous avez donc personnellement violé les témoins 75 et A.B. et aidé et encouragé d’autres soldats à le faire en leur permettant de se rendre à votre appartement et d’y violer ces jeunes filles, ou en les incitant à le faire, et en remettant les jeunes filles à d’autres hommes, sachant qu’ils les violeraient.

Pendant qu’elles étaient détenues dans votre appartement, les témoins 87 et A.S. ont sans cesse été violées par vous et par Jagos Kostic. Vous violiez personnellement le témoin 87, tandis que Jagos Kostic violait A.S. et, à votre insu, quelquefois également le témoin 87, que vous vous étiez «réservée».

La Chambre de première instance remarque donc qu’il n’a pas été établi au-delà de tout doute raisonnable que vous ayez aidé et encouragé Jagos Kostic à violer le témoin 87, les éléments de preuve indiquant que ce fait vous a été caché.

À une date inconnue entre le 31 octobre 1992 environ et le 7 novembre 1992 environ, vous avez contraint les témoins 87, A.S. et A.B. à danser nues sur une table pendant que vous les regardiez. Il n’a toutefois pas été établi au-delà de tout doute raisonnable que le témoin 75 était également présente en cette occasion.

Enfin, le 25 février 1993 ou vers cette date, vous avez vendu les témoins 87 et A.S., chacune pour 500 DM, à des soldats monténégrins.

Pour ce qui est de la réduction en esclavage des témoins 87, 75, A.S. et A.B., la Chambre de première instance a notamment retenu les éléments suivants :

i) le fait que ces jeunes filles étaient tant physiquement que psychologiquement prisonnières, car même si elles avaient réussi à s’enfuir de l’appartement, elles n’auraient pas su où aller ;

ii) le fait que vous ayez vendu les témoins 87, A.S. et A.B. ;

iii) le fait que vous ayez remis les témoins 75 et A.B. à d’autres soldats ;

iv) les mauvais traitements tels que les coups et les gifles ;

v) le fait que vous vous soyez arrogé des droits exclusifs sur le témoin 87 ;

vi) les conditions de vie déplorables et le manque de nourriture ;

vii) le fait qu’elles devaient obéir à tous les ordres et faire tout ce qu’on leur demandait, y compris la cuisine et les tâches ménagères.

S’agissant des atteintes à la dignité des témoins 87, 75, A.S. et A.B., la Chambre de première instance a notamment retenu les éléments suivants :

i) le fait que vous ayez contraint les jeunes filles à danser nues sur une table ;

ii) le fait qu’elles aient été frappées et giflées ;

iii) le fait que les jeunes filles aient été «prêtées» et vendues à d’autres hommes ;

iv) le fait qu’en une occasion vous ayez violé en même temps les témoins 75 et 87, tout en écoutant de la musique sur votre installation stéréo ;

Vous avez toujours su que les jeunes filles étaient musulmanes, et c’est l’une des principales raisons pour lesquelles vous les avez maltraitées et avez abusé d’elles.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare, Radomir Kovac, COUPABLE

du chef 22 (réduction en esclavage, crime contre l’humanité), du chef 23 (viol, crime contre l’humanité), du chef 24 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre), du chef 25 (atteintes à la dignité des personnes, violation des lois ou coutumes de la guerre). Bien que n’ayez pas été déclaré coupable d’un nombre aussi grand de chefs que l’accusé Dragoljub Kunarac, la Chambre de première instance vous tient pour presque aussi coupable que lui.

Le traitement que vous avez réservé à A.B., âgée de 12 ans, est particulièrement odieux et déplorable. Il s’agissait d’une enfant sans défense pour qui vous n’avez pas eu la moindre compassion. Vous en avez abusé comme vous avez abusé des autres filles. Vous l’avez finalement vendue comme un objet, sachant que cela la condamnait quasi certainement à de nouveaux sévices sexuels de la part d’autres hommes.

Vous saviez que ses chances de retrouver sa mère, dont la Chambre a pu voir l’immense chagrin à l’audience, devenaient de la sorte encore plus improbables qu’elles ne l’étaient déjà. Lors du procès, quelque 8 ans plus tard, personne n’avait plus jamais revu cette enfant ou entendu parler d’elle. Le traitement infligé à A.B. est l’exemple le plus frappant de votre caractère dépravé et corrompu.

Mais ce que vous avez fait aux autres filles n’est pas moins grave. Vous en avez fait vos esclaves et celles de Jagos Kostic, tout juste bonnes à être utilisées quand le désir vous en prenait, à être données à tous ceux à qui vous vouliez faire une faveur. Vous jouissiez du pouvoir absolu que vous exerciez sur leurs vies, ce que vous avez clairement prouvé en les faisant danser nues sur une table pendant que vous les regardiez. Après les avoir utilisées, vous les avez vendues également.

Votre conduite mérite une sanction sévère.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous condamne, Radomir Kovac, à une peine unique de 20 ans d’emprisonnement.

La peine court à compter d’aujourd’hui. La période passée en détention sera déduite de la peine. Vous pouvez vous rasseoir.

ACCUSÉ ZORAN VUKOVIC, VEUILLEZ VOUS LEVER:

Zoran Vukovic, vous êtes accusé sous les chefs 21 à 24 de torture et de viol, en tant qu’ils constituent à la fois un crime contre l’humanité et une violation des lois ou coutumes de la guerre.

Sur la base des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Chambre de première instance juge qu’aucune des allégations qui sous-tendent ces chefs d’accusation n’ont été prouvées au-delà de tout doute raisonnable.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare NON COUPABLE des chefs 21, 22, 23 et 24. Vous êtes accusé sous les chefs 33 à 36 de torture et de viol, en tant qu’ils constituent à la fois un crime contre l’humanité et une violation des lois ou coutumes de la guerre.

Sur la base des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Chambre de première instance juge qu’un seul des incidents sous-tendant ces accusations a été prouvé au-delà de tout doute raisonnable, à savoir le fait que le 14 juillet 1992 ou vers cette date, vous avez personnellement violé le témoin 50. Un autre soldat et vous l’avez fait sortir de Partizan. Auparavant vous aviez menacé sa mère de la tuer si elle ne vous disait pas où se cachait sa fille, et elle est alors allée la chercher. Vous l’avez emmenée dans une autre maison, où vous l’avez violée.

Elle était âgée de 15 ans à l’époque, ce que vous saviez, car vous lui avez dit que si elle n’avait pas eu le même âge que votre fille – qui avait alors environ 15 ans – vous lui auriez fait des choses bien pires.

La Chambre de première instance n’admet pas le fait que vous étiez incapable d’avoir des rapports sexuels en raison d’une prétendue lésion au scrotum.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare, Zoran Vukovic, COUPABLE

du chef 33 (torture, crime contre l’humanité), du chef 34 (viol, crime contre l’humanité), du chef 35 (torture, violation des lois ou coutumes de la guerre), et du chef 36 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre). Dans votre cas, les éléments de preuve de l’Accusation n’ont pas suffi à établir la majorité des chefs d’accusation retenus contre vous, et votre peine doit par conséquent être plus légère que celle des deux autres accusés.

Toutefois, la Chambre de première instance juge grave le fait que vous n’ayez pas manifesté le moindre remords et sens moral en parlant de votre propre fille après avoir violé le témoin 50, qui, de plus, n’avait que 15 ans à l’époque, et que vous l’ayez raillée dans sa douleur en affirmant que vous auriez pu lui réserver un traitement encore bien pire.

Vos actions méritent une sanction sévère.

Par conséquent, la Chambre de première instance vous condamne, Zoran Vukovic, à une peine unique de 12 ans d’emprisonnement.

La peine court à compter d’aujourd’hui. Le temps passé en détention sera déduit de la peine. Vous pouvez vous rasseoir.

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Cela conclut le jugement de la Chambre de première instance.

L’audience est levée.

La Cour va se retirer


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