Communiqué de presse |
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La Haye, 10 décembre 2003
CC/P.I.S/ 809f
Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Dragan Obrenovic
L'accusé condamné à 17 ans d'emprisonnement
Veuillez trouver ci-dessous le résumé du jugement rendu par la Chambre de 1ère instance I Section A composée des Juges Liu (Président), Vassylenko et Argibay , tel que lu à l’audience de ce jour par le Juge Président:
RÉSUMÉ DU JUGEMENT
La présente audience est consacrée au prononcé du jugement en l’espèce. Ce qui suit n’est qu’un résumé du jugement écrit, dont il ne fait pas partie intégrante. Le texte écrit du jugement sera mis à la disposition des parties et du public à l’issue de l’audience.
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L’audience tenue aujourd’hui a pour objet de condamner Dragan Obrenovic pour sa participation aux persécutions commises aprčs la chute de l’enclave de Srebrenica en juillet 1995.
Rappel de la procédure et Accord sur le plaidoyer
Dragan Obrenovic, Serbe de Bosnie âgé de 40 ans, a été mis en accusation par le Bureau du Procureur le 9 avril 2001 pour différents crimes : complicité de génocide, persécutions et extermination. Arrêté par la SFOR le 15 avril 2001, il a été transféré au Tribunal, où il est depuis en détention au Quartier pénitentiaire des Nations Unies.
Dragan Obrenovic a été mis en accusation conjointement avec trois autres accusés et son procčs s'est ouvert le 14 mai 2003. Lors de l'interrogatoire principal du premier témoin ŕ charge, la Chambre de première instance a été saisie d’une requête conjointe sollicitant l’examen de l’accord sur le plaidoyer conclu entre Dragan Obrenovic et l’Accusation. Ŕ l'issue de l'audience consacrée ŕ la requête qui s'est tenue le 21 mai 2003, la Chambre de première instance a accepté le plaidoyer de culpabilité de Dragan Obrenovic pour l'un des chefs de crimes contre l’humanité, celui de persécutions, sanctionné par les articles 5 h), 7 1) et 7 3) du Statut, et l’a déclaré coupable de ce crime.
En application de l’accord sur le plaidoyer, l’Accusation a demandé que soient retirés les autres chefs d’accusation, ce qui a été fait par la suite. En outre, dans l’accord sur le plaidoyer, Dragan Obrenovic a accepté de témoigner dans d’autres affaires portées devant le Tribunal, notamment dans celles ayant trait ŕ Srebrenica. En octobre 2003, Dragan Obrenovic a témoigné dans le procčs de ses deux anciens coaccusés sept jours durant.
Le 30 octobre 2003 s'est tenue une audience consacrée à la fixation de la peine, au cours de laquelle quatre témoins à décharge ont déposé à la barre. Neuf déclarations écrites ont été présentées par la Défense, cinq par l'Accusation. Toutes ont été admises en application de l’article 92 bis du Règlement.
Les faits
Un exposé écrit des faits concernant le crime et la part qu’y a prise Obrenovic a été déposé en męme temps que l'accord sur le plaidoyer. La Chambre de premičre instance va se fonder sur l’exposé des faits et l’acte d’accusation, dont Obrenovic a reconnu l'exactitude, pour fixer la peine. Les faits qui y sont décrits sont les suivants.
Le crime de persécutions, visé au chef 5 de l’acte d’accusation, a été consommé par :
— le meurtre de milliers de civils musulmans de Bosnie, hommes, femmes, enfants et personnes âgées ;
— le traitement cruel et inhumain de civils musulmans, notamment les sévices perpétrés sur des civils dans des écoles et autres centres de détention dans la zone de Zvornik du 13 au 16 juillet 1995 ;
— le fait de terroriser des civils musulmans originaires de Srebrenica et de Potočari du 13 au 16 juillet 1995 ;
— la destruction de biens et effets personnels appartenant à des civils musulmans originaires de Srebrenica qui ont été détenus et tués dans la zone de Zvornik.
Les hommes détenus ont été emmenés de Potočari pour ętre exécutés. De męme, les hommes qui avaient fui Srebrenica dans « la colonne » ont été faits prisonniers et détenus jusqu’à leur exécution. Sur le trajet de Bratunac à Zvornik, les noms qui désignaient autrefois des hameaux, des communes, des lieux de savoir, de culture, de travail ou des caractéristiques géographiques désignent désormais des lieux de massacre : la rivière Jadar, la vallée de la Cerska, l’entrepôt de Kravica, l’école de Petkovci, le centre culturel de Pilica, et les villages de Tišca et Orahovac. Ŕ la ferme militaire de Branjevo, quelque 1 200 hommes musulmans de Bosnie qui avaient été capturés dans la colonne ont été exécutés à l’arme automatique. Plus de 7 000 hommes au total ont été tués.
La peine : finalités de la sanction
La Chambre de première instance a examiné les principes et les finalités de la sanction à la lumière du mandat du Tribunal. Elle a conclu que les principes gouvernant la peine dans les systèmes nationaux, à savoir la dissuasion, la rétribution et la réinsertion, sont applicables à l’échelon international, même si, dans ce cas, la portée et l’objet de chacun peuvent être différents.
La Chambre de première instance rappelle que la peine à infliger se fonde sur la notion de responsabilité pénale individuelle. Nul ne doit être puni pour les crimes commis par d'autres et aucune affaire ne saurait refléter la responsabilité ultime pour un crime donné, à plus forte raison lorsqu'il s'agit de crimes tels que ceux commis après la chute de Srebrenica, pour lesquels nombre d'individus peuvent être tenus pénalement responsables. Chacun doit répondre de ses actes et être sanctionné en fonction de sa participation aux agissements criminels.
Gravité des infractions
Passant en revue les éléments à prendre en considération dans la fixation de la peine, la Chambre de première instance a tout d’abord considéré la gravité des infractions, sachant qu’il lui fallait prendre en compte les circonstances propres à l’affaire, ainsi que le mode et le degré de participation de Dragan Obrenovic au crime.
La Chambre de première instance fait observer que le crime de persécution est, par essence, grave. Sa singularité vient de ce qu'il exige une intention discriminatoire spécifique de la part de l’auteur, et c’est pourquoi ce crime est considéré comme particulièrement grave. En l’espèce, la gravité de l’infraction est mise en évidence par les actes de persécution dont Dragan Obrenovic a été reconnu coupable.
Les crimes commis après la chute de l’enclave de Srebrenica sont malheureusement bien connus. Le massacre ou le transfert forcé de la population musulmane de cette région de Bosnie orientale en à peine plus d'une semaine a atteint un degré de sauvagerie et de bestialité sans précédent dans le conflit en ex-Yougoslavie, qui avait pourtant déjà coûté de trop nombreuses vies.
Dragan Obrenovic était commandant en second et chef d'état-major de la Brigade de Zvornik, dont la zone de responsabilité couvrait la municipalité dans laquelle la grande majorité des exécutions ont eu lieu. Pendant les deux jours au cours desquels se sont déroulées nombre de ces exécutions, il était commandant par intérim de la Brigade de Zvornik. Dragan Obrenovic, comme il l'a lui-męme reconnu, a pris des mesures qui ont facilité la réalisation du plan d'exécution. Il a envoyé sept de ses hommes pour « aider » ŕ s'occuper des prisonniers, prisonniers qui, comme il le savait, devaient être emmenés à Zvornik pour y être exécutés. Il a accepté que deux conducteurs d'engin soient retirés de la ligne de front, sachant qu'ils auraient pour tâche d'enterrer les prisonniers exécutés. Pour ces actes, la responsabilité pénale de Dragan Obrenovic est engagée.
La Chambre de première instance a entendu des témoignages selon lesquels Dragan Obrenovic était un homme hors du commun et un soldat, un officier, que ses subordonnés « auraient suivi aveuglément ». Bien que le soutien direct de Dragan Obrenovic ŕ la réalisation du plan d'exécution ait été limité, son inaction au cours de ces journées critiques et dévastatrices a eu une influence sur ses collaborateurs et ses subordonnés. Dragan Obrenovic a passé la plus grande partie de cette période décisive sur le champ de bataille mais savait qu'un plan plus large d'exécution était en cours de réalisation. Pour n'avoir pas empêché ses subordonnés de participer à la détention, au meurtre et à l'enterrement d'hommes musulmans de Bosnie, la responsabilité pénale de Dragan Obrenovic est engagée. Pour n'avoir pas puni ses subordonnés, alors qu'il savait ou avait des raisons de savoir qu'ils avaient commis des crimes, la responsabilité pénale de Dragan Obrenovic est engagée.
Tout en admettant les différentes formes de responsabilité pénale reconnues par Dragan Obrenovic, la Chambre de premičre instance estime que la responsabilité de ce dernier découle avant tout, mais pas uniquement, de ses responsabilités en tant que supérieur hiérarchique.
Circonstances aggravantes
L’Accusation a fait valoir que la Chambre de première instance devrait tenir compte de trois circonstances aggravantes en l’espèce : i) le rôle de dirigeant joué par Dragan Obrenovic ii) le fait qu’il était commandant en second et iii) la vulnérabilité des victimes et le caractčre odieux des crimes commis.
La Chambre de première instance considère qu’en tant que commandant par intérim et commandant en second de la brigade de Zvornik, Dragan Obrenovic était en position d’autorité. Étant donné que sa responsabilité pénale découle en grande partie de sa responsabilité de supérieur hiérarchique sur la base de l’article 7 3) du Statut, la Chambre de première instance estime qu’en l’espèce, il ne convient pas de tirer une circonstance aggravante d’un comportement ayant déjà servi à établir la responsabilité de l’accusé.
La Chambre de première instance considère que le caractère odieux des crimes fait partie de la gravité générale de l’infraction.
La Chambre de première instance souligne en particulier la vulnérabilité des victimes. Toutes étaient sans défense et ont fait l'objet de traitements cruels aux mains de ceux qui les avaient capturées. Dans ces conditions, la Chambre considère qu’il s’agit là d’une circonstance qui aggrave les actes criminels commis.
Circonstances atténuantes
Pour l’Accusation, les circonstances atténuantes que la Chambre de première instance devrait retenir sont le plaidoyer de culpabilité, la reconnaissance de responsabilité, les remords exprimés, la coopération fournie au Bureau du Procureur, et la bonne moralité de l’accusé avant les faits. En plus de ces éléments, la Défense a avancé que l’accusé devrait bénéficier de circonstances atténuantes pour avoir śuvré en faveur de la réconciliation et avoir proposé de se rendre volontairement.
La Chambre de première instance estime que le plaidoyer de culpabilité et la reconnaissance de responsabilité constituent des circonstances atténuantes importantes, parce qu’ils ont contribué à établir la vérité et à favoriser la réconciliation, et parce que Dragan Obrenovic a accepté d’assumer sans réserve une responsabilité pénale individuelle pleine et entière pour son rôle dans le crime de persécutions. Si la Chambre considère le plaidoyer de culpabilité comme une circonstance atténuante, c’est également parce qu’il a évité à des témoins de venir déposer à propos d’événements douloureux et traumatisants. Cela est particulièrement appréciable dans le cas des événements survenus à Srebrenica, au sujet desquels l’Accusation a établi de nombreux actes d’accusation, et pour lesquels la présence de ces témoins sera probablement requise dans des procès à l’avenir.
Enfin, la Chambre de première instance observe que d’autres accusés ont été récompensés pour avoir plaidé coupables avant l’ouverture du procès, ou à ses débuts, permettant ainsi d’économiser les ressources du Tribunal. La Chambre apprécie les économies réalisées, mais estime qu’elles ne sauraient revêtir une importance excessive dans une affaire de cette envergure, où le Tribunal s’emploie à exécuter la mission qui lui a été confiée par le Conseil de sécurité et, partant, par la communauté internationale : celle de rétablir la justice en ex-Yougoslavie au moyen de procédures pénales équitables et conformes aux normes internationales des droits de l’homme, en respectant pleinement les droits des accusés et les intérêts des victimes.
La Chambre de première instance a soigneusement examiné les remords exprimés par Dragan Obrenovic et les excuses qu’il a présentées aux victimes pour sa participation ŕ ce qu’il a décrit comme « l’horreur de Srebrenica ». La Chambre estime, que par ses déclarations et par ses actes, Dragan Obrenovic a montré qu’il éprouvait des remords sincčres pour son rôle dans les crimes dont il a été déclaré coupable, et qu’il désire expier ces crimes. La Chambre de premičre instance retient donc les remords exprimés comme une circonstance atténuante importante.
S’agissant de la coopération fournie, la Chambre de première instance note que l’Accusation considère que Dragan Obrenovic a pleinement coopéré. La Chambre estime que dans l’affaire Blagojevic, Dragan Obrenovic a livré un témoignage véridique et des informations détaillées sur ce qu’il savait des faits se rapportant ŕ Srebrenica et de la structure militaire de la VRS. Elle partage l’avis de l’Accusation selon lequel Dragan Obrenovic a répondu ŕ toutes les questions de maničre aussi claire et précise que possible, que celles-ci aient été posées par l’Accusation, par le conseil de la défense ou par la Chambre de première instance. La Chambre retient en outre que l’accusé a témoigné dans la procédure d’appel Krstic et qu’il s’est engagé à déposer dans d’autres procès. Il a également aidé l’Accusation en lui fournissant de nombreux documents utiles pour l’affaire Blagojevic et pour des enquêtes dans d’autres affaires. La Chambre note enfin que Dragan Obrenovic a coopéré avec l’Accusation lors de la phase d’investigation, en l’autorisant ŕ inspecter les biens ayant appartenu ŕ la brigade de Zvornik. La Chambre considère donc que l’étendue de la coopération fournie à l’Accusation dans cette affaire constitue une circonstance atténuante importante.
Les éléments de preuve présentés établissent qu’avant la guerre, Dragan Obrenovic était un membre hautement respecté de sa communauté, qui n’a exercé aucune discrimination contre qui que ce fût. Les témoignages ont également montré que, même pendant la guerre, Dragan Obrenovic a régulièrement aidé des Musulmans qu’il ne connaissait pas auparavant. Aux yeux de la Chambre, cela constitue une circonstance atténuante importante.
Pour elle, ces circonstances atténuantes sont également les premiers pas dans la voie de la réinsertion de l’accusé.
La Chambre de première instance a également retenu les circonstances atténuantes suivantes : la proposition de reddition volontaire, le comportement au quartier pénitentiaire et la situation personnelle de l’accusé.
Conclusions
La responsabilité pénale encourue par Dragan Obrenovic pour les crimes commis de maničre systématique ou généralisée aprčs la chute de Srebrenica doit rendre compte du comportement criminel propre à l’accusé — c’est-à-dire de ses actes et de ses omissions. Sans vouloir minimiser le comportement criminel de Dragan Obrenovic, la Chambre de premičre instance rappelle qu’il n’est pas le seul dont la responsabilité pénale est mise en cause pour les crimes de grande ampleur commis contre la population musulmane de Bosnie. Ce n’est pas lui qui a conçu la campagne de meurtre. C’est pourquoi la sanction imposée ne doit rendre compte que de son propre rôle et de sa propre participation au crime de persécutions. D’autres, qui devraient un jour comparaître devant ce Tribunal, seront jugés et condamnés pour le rôle qui a été le leur.
La Chambre de première instance a conclu qu’il existait en l’espèce de nombreuses circonstances atténuantes auxquelles elle a accordé un poids important. Parce qu’il a reconnu sa responsabilité et sa culpabilité, qu’il a exprimé des remords sincères et coopéré de manière substantielle avec l’Accusation, compte tenu enfin de sa moralité, Dragan Obrenovic mérite que sa peine soit atténuée.
La Chambre de première instance souligne qu’en accordant un grand poids aux circonstances atténuantes, elle ne remet pas en cause la gravité des infractions dont Dragan Obrenovic a été déclaré coupable. La Chambre a bien pris en compte l’échelle sur laquelle ont été commis les crimes auxquels il a participé, ainsi que l’effet de ces crimes sur les victimes et sur les survivants : les deux sont énormes.
Ainsi qu’elle l’a rappelé aux parties et à Dragan Obrenovic, la Chambre n’est pas liée par leurs recommandations en matière de peine. Elle a soigneusement examiné les conclusions des parties, et les peines proposées.
Monsieur Obrenovic, veuillez vous lever.
Ayant dûment pesé l’ensemble de ces éléments, la Chambre de première instance vous condamne à 17 ans d’emprisonnement. La durée de détention préventive à déduire de cette peine est de 969 jours à la date du présent jugement portant condamnation.
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Le texte intégral du Jugement (en anglais seulement, provisoirement) est disponible
sur demande aux Services d’Information ainsi que sur le site Internet du Tribunal.
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Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
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