Confirmation des déclarations de culpabilité prononcées contre quatre hauts responsables serbes pour des crimes commis au Kosovo
Aujourd’hui, la Chambre d’appel a accueilli partiellement les appels interjetés par la Défense et l’Accusation dans l’affaire Šainović et consorts mettant en cause quatre hauts responsables serbes qui exerçaient des fonctions politiques, militaires et dans la police en République fédérale de Yougoslavie (RFY) et en Serbie. Dans son arrêt, la Chambre d’appel a ramené la peine prononcée contre Nikola Šainović de 22 ans à 18 ans d’emprisonnement, celle prononcée contre Sreten Lukic de 22 ans à 20 ans d’emprisonnement et celle prononcée contre Vladimir Lazarević de 15 ans à 14 ans d’emprisonnement. Elle a confirmé la peine de 22 ans d’emprisonnement prononcée contre Nebojša Pavković.
L’affaire concernait des crimes commis par les forces serbes au Kosovo entre mars et mai 1999 dans le cadre d’une campagne de violence menée, après le début des bombardements de l’OTAN contre la Yougoslavie, contre les civils albanais du Kosovo au cours de laquelle de nombreuses personnes ont été déplacées de forces, des meurtres et des violences sexuelles ont été commis et des mosquées ont été délibérément détruites. À l’époque des faits, les quatre Appelants occupaient des postes élevés en RFY et en Serbie : Nikola Šainović était Vice-Premier Ministre de la RFY, Nebojša Pavković était commandant de la 3e armée de l’armée de Yougoslavie, Vladimir Lazarević était commandant du corps de Priština de la VJ et Sreten Lukić était à la tête de l’état-major du Ministère de l’intérieur serbe (MUP) à Priština.
Les Appelants ont tous contesté les déclarations de culpabilité et les peines prononcées contre eux en première instance tandis que l’Accusation a contesté l’acquittement des Appelants de certains chefs ainsi que la peine qui leur avait été infligée.
La Chambre d’appel a confirmé la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle, au printemps de l’année 1999, dans les 13 municipalités du Kosovo où les crimes reprochés ont été commis, « les forces de la RFY et de la Serbie ont déplacé délibérément et par la force des civils albanais du Kosovo aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la province » et que, pendant le déplacement forcé de la population albanaise du Kosovo, les forces de la RFY et de la Serbie ont tué des centaines de personnes, détruit ou endommagé des mosquées et infligé des violences sexuelles à des femmes albanaises du Kosovo.
La Chambre d’appel, le Juge Tuzmukhamedov étant en désaccord concernant Nikola Šainović, a également confirmé la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Nikola Šainović, Nebojša Pavković et Sreten Lukić étaient coupables pour avoir participé à une entreprise criminelle commune dont l’objectif était de déplacer de force la population albanaise du Kosovo, et étaient pénalement individuellement responsables de plusieurs crimes dont il a été conclu qu’ils constituaient des crimes contre l’humanité et des violations des lois ou coutumes de la guerre. De même, la Chambre d’appel a confirmé que Vladimir Lazarević était individuellement responsable pour avoir aidé et encouragé des crimes contre l’humanité.
La Chambre d’appel a également conclu que les crimes d’expulsion et autres actes inhumains (transfert forcé) commis à Tušilje/Tushilë, dans la municipalité de Srbica/Skënderaj, le 29 mars 1999, n’avaient pas été exposés dans l’acte d’accusation, ce qui « a causé un préjudice aux Appelants et les a sérieusement gêné dans la préparation de leur défense ». En conséquence, la Chambre d’appel a infirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre les Appelants pour ces crimes.
La Chambre d’appel a également accueilli le grief formulé contre la constatation faite par la Chambre de première instance concernant le déplacement de la population de la ville de Kačanik/Kaçanik et de Turićevac/Turiçec. Elle a jugé que « aucun juge du fait n’aurait pu raisonnablement conclure que la seule déduction qui puisse être raisonnablement faite est que des membres des forces de la VJ et du MUP, s’agissant de la ville de Kačanik/Kaçanik, et des membres des forces de la VJ et du MUP, s’agissant de Turićevac/Turiçec, ont provoqué le déplacement de la population ». En conséquence, la Chambre d’appel a infirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre Vladimir Lazarević s’agissant de la ville de Kačanik/Kaçanik, et celles prononcées contre les quatre Appelants s’agissant de Turićevac/Turiçec.
En outre, la Chambre d’appel a accueilli le moyen d’appel soulevé par Sreten Lukić concernant les meurtres commis pendant l’opération de la vallée de la Reka/de Caragoj dans la municipalité de Ðakovica/Gjakova, et a infirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre Nebojša Pavković et Sreten Lukić pour meurtre, en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre, et assassinat, en tant que crime contre l’humanité, s’agissant de 274 des 287 Albanais du Kosovo dont il a été conclu qu’ils avaient été tués. La Chambre d’appel a conclu que les éléments de preuve établissaient au-delà de tout raisonnable que seules 13 personnes ne prenaient pas activement part aux hostilités ou étaient hors de combat à l’époque de leur décès.
De plus, la Chambre d’appel a exposé ses conclusions concernant les arguments présentés par Vladimir Lazarević selon lesquels la Chambre de première instance avait commis une erreur en le déclarant coupable pour avoir aidé et encouragé l’expulsion et les actes inhumains (transfert forcé), puisque ses actes et omissions présumés ne visaient pas précisément à faciliter ces crimes. La Chambre d’appel, après avoir soigneusement examiné la jurisprudence du TPIY et du TPIR, ainsi que le droit international coutumier, a conclu, le Juge Tuzmukhamedov étant en désaccord, que le fait que l’aide apportée vise précisément à commettre le crime n’était pas un élément de l’aide et l’encouragement. En conséquence, le moyen d’appel soulevé par Vladimir Lazarević a été rejeté.
La Chambre d’appel, le Juge Liu étant en désaccord, a accueilli en partie des branches du moyen d’appel soulevé par Nikola Šainović, infirmant les déclarations de culpabilité prononcées contre celui-ci pour meurtre, en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre, et assassinat, en tant que crime contre l’humanité, pour des actes commis avant le 7 mai 1999 à Bela Crkva/Bellacërka, à Mala Kruša/Krusha e Vogël, dans la ville de Suva Reka/Suhareka, à Izbica/Izbicë, dans la ville de Đakovica/Gjakova, à Korenica/Korenicë et Meja/Mejë, et près de Gornja Sudimlja/Studimja e Epërme. La Chambre d’appel a également accueilli en partie des branches du moyen d’appel soulevé par Sreten Lukić, infirmant les déclarations de culpabilité prononcées contre celui-ci pour les meurtres commis avant le 1er avril 1999 ou à cette date à Bela Crkva/Bellacërka, à Mala Kruša/Krusha e Vogël, dans la ville de Suva Reka/Suhareka, à Izbica/Izbicë et dans la ville de Đakovica/Gjakova.
La Chambre d’appel a de même accueilli en partie le moyen d’appel soulevé par l’Accusation concernant les violences sexuelles infligées à K31, K14, et K62 à Priština/Prishtina, concluant que les victimes avaient été violées par des membres de la VJ et du MUP animés d’une intention discriminatoire, et que ces actes étaient constitutifs de persécutions, un crime contre l’humanité.
La Chambre d’appel, le Juge Liu étant en désaccord concernant Nikola Šainović, a également accueilli en partie un autre moyen d’appel soulevé par l’Accusation, concluant que la Chambre de première instance avait eu tort de ne pas déclarer Nikola Šainović et Sreten Lukić responsables de persécutions ayant pris la forme de violences sexuelles, un crime contre l’humanité commis à Beleg, Ćirez/Qirez et Priština/Prishtina. En outre, à la majorité, la Chambre d’appel a conclu que la Chambre de première instance avait commis une erreur en ne déclarant pas Nebojša Pavković coupable des violences sexuelles commises à Priština/Prishtina. Cependant, la Chambre d’appel, le Juge Ramaroson étant en désaccord, s’est abstenue de prononcer de nouvelles déclarations de culpabilité.
S’agissant des moyens d’appel soulevés par les parties au sujet de la peine, la Chambre d’appel a estimé fondés les arguments de l’Accusation, de Nikola Šainović et de Sreten Lukić selon lesquels la Chambre de première instance n’a pas personnalisé les peines, ainsi que les arguments de Sreten Lukić concernant l’appréciation de la reddition de ce dernier en tant que circonstance atténuante. En définitive, la Chambre d’appel a considéré que, « compte tenu des circonstances de l’espèce, de la gravité des crimes dont les Appelants sont tenus responsables et du principe de proportionnalité, une réduction limitée de la peine infligée à Nikola Šainović, à Vladimir Lazarević et à Sreten Lukić s’imposait ».
Le Juge Liu Daqun a joint une opinion partiellement dissidente et une déclaration et les Juges Arlette Ramaroson et Bakhtiyar Tuzmukhamedov ont joint des opinions dissidentes.
L’affaire Šainović et consorts est l’une des affaires les plus importantes et les plus complexes portées devant le Tribunal. Le procès en première instance s’est ouvert le 10 juillet 2006 et a concerné six accusés, dont Milan Milutinović, ancien Président de Serbie, et Dragoljub Ojdanić, chef de l’état-major général de la VJ. Les débats se sont clos le 27 août 2008. La Chambre de première instance a entendu 235 témoins et a versé au dossier plus de 4 300 pièces à conviction. Le jugement a été rendu le 26 février 2009. Outre les déclarations de culpabilité prononcées contre les quatre Appelants, la Chambre de première instance a acquitté Milan Milutinović de tous les chefs dont il était accusé et a condamné Dragoljub Ojdanić à une peine de 15 ans d’emprisonnement pour avoir aidé et encouragé des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Le Bureau du Procureur et Dragoljub Ojdanić se sont désistés de leur appel en janvier 2013 et Dragoljub Ojdanić a été mis en libération anticipée le 10 juillet 2013.
Le Tribunal a mis en accusation neuf hauts responsables serbes et yougoslaves pour les crimes commis par les forces serbes au Kosovo en 1999, dont les six accusés susmentionnés. L’ancien dirigeant yougoslave Slobodan Milošević a été le premier chef d’état en exercice à être accusé de crimes de guerre lorsque le Tribunal a dressé un acte d’accusation à son contre en 1999. Entre 2002 et 2006, il a comparu devant le Tribunal pour répondre des crimes qui auraient été commis au Kosovo, en Croatie et en Bosnie‑Herzégovine. Il est décédé de mort naturelle avant la fin des débats et le prononcé du jugement. Vlajko Stojiljković, un haut responsable de la police et un proche de Slobodan Milošević, a été mis en accusation, mais il a mis fin à ses jours à Belgrade en 2002. L’arrêt dans l’affaire concernant Vlastimir Đorđević, Ministre adjoint au MUP serbe et chef de la sécurité publique, devrait être rendu le 27 janvier.
Depuis sa création, le Tribunal a mis en accusation 161 personnes pour des violations graves du droit humanitaire perpétrées sur le territoire de l’ex-Yougoslavie entre 1991 et 2001. Les procédures à l’encontre de 140 d’entre elles ont pris fin.