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Emil Čakalić, Croate de Vukovar et survivant du massacre d’Ovčara, a rapporté les paroles prononcées devant lui et d’autres prisonniers par un soldat, à la caserne de Vukovar, en 1991. Il a témoigné contre Slavko Dokmanović, le 5 février 1998, les 13 et 14 mars 2006 au procès des officiers de l’Armée populaire yougoslave Veselin Šljivančanin, Mile Mrkšić et Miroslav Radić et le 16 juillet 2003 au procès de Slobodan Milošević.
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“ On m’a frappé. Je suis tombé mais je me suis relevé, parce que, normalement, ceux qui tombaient ne se relevaient plus. ”
Emil Čakalić a indiqué que pendant l’été de 1991, des soldats de l’armée yougoslave (la « JNA ») et des membres d’unités paramilitaires avaient commencé à bombarder Vukovar et que beaucoup de gens avaient quitté la ville, par peur. M. Čakalić s’est porté volontaire auprès du Secrétariat à la défense nationale pour approvisionner la population de Vukovar et l’armée en nourriture et en eau potable.
Le 17 novembre 1991, le témoin et sa femme se sont réfugiés à l’hôpital de Vukovar après avoir appris que l’armée yougoslave et les paramilitaires avaient emmené des habitants de la ville dans des véhicules blindés de transport de troupes.
« La situation qui régnait à l’hôpital était absolument atroce », a déclaré M. Čakalić. « [D]ès qu’on pénétrait dans la cour, il y avait une foule immense. L’hygiène dans l’hôpital était déplorable. Il n’y avait pas assez d’eau. J’ai l’impression qu’en fait les canalisations étaient bouchées » s’est souvenu M. Čakalić. Le témoin et sa femme ont passé deux nuits à l’hôpital de Vukovar.
Emil Čakalić a déclaré qu’il avait vu arriver les premiers soldats de la JNA le 19 novembre 1991, après minuit. Le lendemain, tout le personnel soignant a été convoqué à une réunion. Les autres personnes qui se trouvaient dans l’hôpital ont été priées de quitter les lieux par la porte du service des urgences. Les 250 personnes environ rassemblées là ont reçu l’ordre de vider leurs poches et leurs sacs pour que les soldats puissent en vérifier le contenu. Les objets considérés comme dangereux, tels que les rasoirs et les couteaux, ont été confisqués.
Emil Čakalić et les autres détenus sont montés dans plusieurs autocars pour être d’abord emmenés à la caserne de la JNA à Vukovar. Le témoin a décrit à la Chambre les sévices psychologiques que les soldats avaient infligés aux prisonniers. Ils les ont maltraités en leur disant : « Toi, je vais t’égorger, toi, je vais te tuer ! » L’un des soldats a menacé de lui couper la gorge, geste à l’appui.
Quelques heures plus tard, les autocars sont arrivés à Ovčara, une coopérative agricole située dans la municipalité de Vukovar. À cet endroit, les prisonniers sont descendus des véhicules et ont été forcés de passer en courant entre deux rangées de soldats qui leur ont donné des coups. Avant d’entrer dans le hangar où les soldats de la JNA avaient ordonné aux prisonniers de se rassembler, Emil Čakalić a entendu quelqu’un crier son nom. Il s’agissait de Slavko Dokmanović, qui sera par la suite mis en cause par le TPIY.
M. Čakalić avait rencontré Slavko Dokmanović 15 ans environ auparavant. Les deux hommes avaient travaillé ensemble à l’assemblée municipale de Vukovar. Slavko Dokmanović y était alors conseiller du président du comité de l’agriculture. Le témoin a déclaré que leurs rapports étaient amicaux. Quand Slavko Dokmanović a vu Emil Čakalić à Ovčara, il l’a appelé « inspecteur » (« Voyons notre inspecteur », a-t-il dit). Le témoin a expliqué qu’à ces mots, les soldats qui étaient en train de le frapper s’étaient acharnés sur lui, pensant qu’il était inspecteur de police.
Dans le hangar, Emil Čakalić a vu Slavko Dokmanović donner des coups de pied à un soldat croate blessé aux jambes. Le témoin était lui-même passablement amoché. « On m’a frappé. Je suis tombé mais je me suis relevé, parce que, normalement, ceux qui tombaient ne se relevaient plus. » Emil Čakalić a déclaré que les prisonniers étaient couverts de sang. « Les soldats nous frappaient autant et aussi souvent qu’ils voulaient. » Un soldat a dit à Emil Čakalić d’aller s’asseoir sur un tas de foin. De là, le témoin a vu un homme être jeté par terre. « Il était allongé sur le ventre. Ils lui ont sauté dessus. Puis, ils lui ont saisi la tête et l’ont cognée contre le sol en béton. Ils l’ont retourné et lui ont sauté sur le ventre. [L’homme] saignait du nez et de la bouche. Puis, il est mort. »
“ « J’ai été sauvé par un homme […] qui s’est souvenu que je lui avais rendu un service avant la guerre », a-t-il dit. « Chacun des sept survivants d’Ovčara a eu son sauveur. » ”
Emil Čakalić et six autres détenus ont été sauvés d’Ovčara. Le témoin a déclaré à la Chambre qu’un homme vêtu de l’uniforme de l’armée yougoslave lui avait fait signe et lui avait dit de sortir du hangar et de rester à l’entrée. À la fin de sa déposition, Emil Čakalić a expliqué : « J’ai été sauvé par un homme […] qui s’est souvenu que je lui avais rendu un service avant la guerre », a-t-il dit. « Chacun des sept survivants d’Ovčara a eu son sauveur. »
Alors que les sept hommes qui avaient été libérés attendaient devant le hangar, Emil Čakalić a vu arriver un véhicule qui s’est arrêté à l’entrée. Dix à 15 hommes vêtus d’uniformes de l’armée yougoslave, avec des casques et des battes de base-ball, sont sortis du véhicule et ont pénétré dans le hangar. M. Čakalić a indiqué qu’il y avait un colonel dans le groupe et qu’à son signal, la moitié des hommes s’étaient mis à frapper les prisonniers. Quand le colonel a sifflé de nouveau, le reste du groupe a pris la relève. « C’était terrible », a déclaré M. Čakalić. « Vous savez, les cris étaient affreux. J’en rêve encore la nuit. Quand je me réveille, c’est terrible. »
Emil Čakalić et ses six compagnons ont été emmenés du hangar d’Ovčara à l’entrepôt de Velepromet, puis dans l’usine textile de Modateks, qui était un centre de rassemblement pour les prisonniers. Ils ont été fouillés et on leur a confisqué tous leurs objets personnels. M. Čakalić a dû remettre son argent, sa carte d’identité, son livret d’épargne et d’autres documents. Puis ils ont été emmenés dans une pièce qu’Emil Čakalić a appelée « la chambre de la mort ». M. Čakalić a raconté que plusieurs prisonniers y avaient été emmenés et n’en étaient jamais revenus.
Alors qu’ils se trouvaient dans cette pièce, un capitaine des services de contre-espionnage est arrivé et leur a annoncé qu’il était venu les chercher pour les ramener à la caserne de Vukovar. De retour à la caserne, Emil Čakalić et les six autres hommes ont été traités convenablement. On leur a donné de l’eau, de la nourriture et des couvertures. Ils ont cru qu’ils allaient pouvoir se reposer. Or, comme l’a raconté M. Čakalić, tout au long de la matinée, un grand nombre de policiers se sont succédé et ont battu certains détenus. M. Čakalić a expliqué comment « [l]es mains d’un jeune homme [étaient] attachées derrière son dos à l’aide d’un fil électrique. Il avait des blessures aux mains. Ils lui ont fait avaler deux ou trois balles de pistolet. » Le témoin a également déclaré qu’un soldat était entré dans leur cellule en disant : « Les Serbes d’un côté, et tous les autres de l’autre. » Il y avait aussi des femmes parmi les prisonniers. Emil Čakalić a indiqué à la Chambre que l’une d’entre elles avait alors demandé : « Qu’est-ce que je vais faire ? Je suis croate et mon mari est serbe. » Il a répondu : « Sur la droite ! » « Les Serbes étaient d’un côté et les autres de l’autre. Nous étions de l’autre », a expliqué M. Čakalić. « Il s’est tourné vers nous, les Croates, et a commencé à nous parler. Il a dit : “Nous allons tous vous tuer, nous allons tous vous brûler, nous allons jeter vos cendres dans le Danube pour détruire les graines croates.” Je me rappelle très bien cette phrase, et je ne l’oublierai jamais », a déclaré Emil Čakalić à la Chambre.
De Vukovar, les sept hommes ont été conduits à Sremska Mitrovica, en Serbie. « On nous a frappés, nous devions nous coucher sur le dos, puis sur le ventre. » Le 7 février 1992, le témoin a été échangé et ramené en Croatie.
Lorsque la Défense lui a demandé si, à l’époque, il avait pensé que Slavko Dokmanović avait des liens avec la JNA, Emil Čakalić a répondu : « Oui. J’étais très surpris. Cela m’a beaucoup frappé. […] [C’était] désagréable, j’ai été gêné de le voir là-bas. Aujourd’hui encore, je serais heureux de ne pas l’avoir vu […]. Je me suis dit : “Comment un intellectuel, un homme connu, un homme avec qui je me suis trouvé à plusieurs reprises dans le même bureau – je crois qu’il connaissait pas mal des gens qui se trouvaient sur place – a-t-il pu agir de cette façon ?” S’il en avait sauvé un seul, je le défendrais aujourd’hui. [J’]ai entendu dire que l’homme qui m’a sauvé la vie a été mis en accusation. Si je suis appelé à témoigner, je supplierais qu’on l’acquitte. Si M. Slavko avait sauvé un seul homme là-bas, je demanderais aux juges de l’acquitter. »
Emil Čakalić a témoigné le 5 février 1998 au procès de Slavko Dokmanović, Président de la municipalité de Vukovar. Il a été mis fin à la procédure engagée contre Slavko Dokmanović le 15 juillet 1998 à la suite du suicide de ce dernier en détention le 29 juin 1998. Emil Čakalić a déposé les 13 et 14 mars 2006 au sujet des mêmes faits au procès de Veselin Šljivančanin, Mile Mrkšić et Miroslav Radić, anciens officiers de l’armée populaire yougoslave. Il a témoigné au procès de Slobodan Milošević, l’ancien Président de la Serbie, le 16 juillet 2003.
> Lire la version intégrale de la déposition d’Emil Čakalić dans l’affaire Dokmanović et dans l’affaire Šljivančanin, Mrkšić et Radić