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Le témoin VV (lors de sa déposition, son nom et son identité n’ont pas été divulgués au public), ancien soldat de l’armée de Bosnie-Herzégovine fait prisonnier, raconte les sévices qui lui ont été infligés en 1993 dans la prison de Široki Brijeg, près de Mostar, dans le sud de la Bosnie.Il a témoigné contre Mladen Naletilić et Vinko Martinović (« Tuta et Štela ») le 4 et 5 décembre 2001.
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“ On nous donnait de la nourriture tous les deux ou trois jours, un quart de pain et un petit pâté de 100 grammes. On ne nous donnait jamais d’eau, par conséquent nous en étions réduits à boire notre urine. ”
Le témoin VV a déclaré qu’à l’époque, « les rapports étaient excellents » entre les soldats de l’ABiH et ceux du HVO. « On se rendait ensemble sur les lignes de front contre l’agresseur serbe, et l’on ne percevait aucun problème entre le HVO et l’armée de Bosnie-Herzégovine », a-t-il précisé.
Cependant, des tensions sont apparues entre le HVO et l’ABiH en Bosnie centrale au début de l’année 1993, et vers la mi-avril, elles ont dégénéré en un conflit ouvert. Le témoin VV a déclaré que la police du HVO arrêtait les soldats de l’ABiH aux postes de contrôle et les provoquait souvent sans raison apparente. Selon le témoin, « [l]es provocations ont commencé avec des tirs de tireurs embusqués. Au départ, les tirs étaient dirigés contre les membres de l’armée de Bosnie-Herzégovine et par la suite, également, contre les civils ». Il a indiqué qu’à l’époque, les familles des soldats de l’ABiH avaient été chassées de leurs appartements et emmenées dans une ancienne caserne, appelée l’Heliodrom, devenue le principal centre de détention du HVO.
Le 9 mai 1993, à l’aube, le HVO a lancé une attaque contre Mostar-Est avec des pièces d’artillerie, des mortiers, des armes lourdes, ainsi que des armes légères.
Le témoin VV a entendu dire qu’il « fallait hisser des drapeaux blancs, remettre les armes et que tout se passerait bien ».
Le témoin VV a décrit devant le Tribunal les combats qui ont opposé au cours des mois suivants les soldats de l’ABiH et du HVO à Mostar. Le 23 septembre 1993, le témoin VV se trouvait à Raštani, village situé au nord de Mostar, sur la rive droite de la Neretva, pour y chercher de la nourriture et des munitions pour l’ABiH, lorsque le HVO a lancé son attaque. Les bombardements du HVO ont été, d’après le témoin VV, les plus massifs qu’ait connus la région cette année-là. Ensuite, un groupe de 10 à 15 soldats du Bataillon disciplinaire a ordonné au témoin et à un autre soldat de l’ABiH de se rendre. Les soldats du HVO ont frappé le témoin VV et l’autre soldat à coups de poing, de pied et de crosses et les ont injuriés.
Le témoin VV a reconnu deux des soldats qui l’ont maltraité. L’un d’entre eux, appelé Kolobara, l’a aspergé d’essence. « On m’avait déjà ligoté les mains, on m’a arrosé le visage », a expliqué le témoin. Kolobara s’apprêtait à mettre le feu au témoin lorsqu’il a reçu un appel sur son Motorola. Il a reculé d’un pas et a dit aux soldats que les prisonniers devaient être emmenés vivants à Široki Brijeg parce que « le vieux » l’avait l’ordonné. Le témoin VV a appris par la suite que « le vieux » était Mladen Naletilić, mis en cause par le TPIY, également connu sous le nom de « Tuta », qui commandait à l’époque le Bataillon disciplinaire.
Plus tard, en début de soirée, le témoin VV et l’autre soldat de l’ABiH ont été emmenés à Široki Brijeg, près de Mostar. Ils ont été conduits dans un bâtiment que le témoin VV n’a pu identifier précisément. Il se rappelle qu’il a été emmené dans un bureau, qu’il a été roué de coups et maltraité.
« Nous étions couverts de sang et de bleus. Nos yeux étaient tuméfiés et à moitié clos, à cause des sévices qu’on nous avait infligés. Nous étions dans un état épouvantable », a indiqué le témoin VV.
“ Ils m’insultaient également, ils me demandaient de prier à leur manière, puis ils riaient. ”
Ils ont été emmenés dans une prison à Široki Brijeg où chacun a été enfermé dans une cellule.
Le témoin VV a raconté que dans la nuit, cinq ou six soldats du Bataillon disciplinaire étaient entrés dans sa cellule et s’étaient mis à le provoquer et à l’injurier. Puis, l’un d’entre eux avait « jeté un briquet sur le sol et il m’a demandé de le lui donner. Quand je me suis baissé pour ramasser le briquet, le soldat m’a donné un coup de pied, puis tous les autres se sont mis à me frapper. Je suis tombé par terre, et ils ont continué à me rouer de coups. Ils ont continué, donc, à me frapper jusqu’au moment où un policier qui était de garde à la prison [...] a dit : “Écoutez, laissez cet homme parce qu’il ne va pas survivre !” »
Les soldats sont ensuite allés dans la cellule de son collègue qu’ils ont également roué de coups. Le témoin VV a entendu pendant une demi-heure « des gémissements et des hurlements » provenir de l’autre cellule.
Le lendemain, le témoin VV a été emmené au bureau de Mladen Naletilić. Ce dernier lui a demandé qui l’avait frappé. Le témoin VV a haussé les épaules parce qu’il ignorait l’identité de son agresseur et parce qu’il avait trop peur de parler. Mladen Naletilić lui a promis que personne ne lui ferait de mal parce qu’à présent il était « son prisonnier ».
Pourtant, après cet entretien avec Mladen Naletilić, des soldats sont entrés plusieurs fois par jour dans la cellule du témoin VV et l’ont frappé à coups de bottes, de ceintures et à coups de poing. Le témoin VV a indiqué que l’un des soldats l’avait frappé avec une béquille.
Le témoin VV a déclaré qu’outre lui-même et son collègue qui avait lui aussi été gravement maltraité, plusieurs autres prisonniers avaient été détenus à Široki Brijeg dans des conditions épouvantables.
« On nous donnait de la nourriture tous les deux ou trois jours, un quart de pain et un petit pâté de 100 grammes. On ne nous donnait jamais d’eau, par conséquent nous en étions réduits à boire notre urine », a indiqué le témoin VV.
Le témoin VV a indiqué qu’au douxième jour de leur detention, deux soldats du Bataillon disciplinaire l’avaient emmené dans un bureau : « [Ils] m’ont demandé de m’asseoir [...]. Ils ont branché les fils d’un téléphone de campagne sur mes doigts, puis ils ont tourné la manivelle du téléphone. J’ai alors reçu des décharges électriques dans tout le corps. Ils ont continué pendant une demi-heure à une heure. »
Les soldats produisaient une décharge électrique, puis interrogeaient le témoin : « [L]es questions étaient [d’ordre militaire]. Ils m’insultaient également, ils me demandaient de prier à leur manière, puis ils riaient. »
Le 16 novembre, le témoin et son collègue ont été transférés à la prison de Ljubuški située dans le sud-ouest de Mostar. Ils ont été enfermés dans une cellule sans couverture ni matelas, et ils n’ont été nourris qu’un jour sur deux jusqu’à ce que la Croix-Rouge arrive à la prison pour recenser les détenus.
Dans la prison de Ljubuški, des soldats du HVO détenus se mêlaient aux prisonniers musulmans. Les cellules des premiers étaient ouvertes pour qu’ils puissent sortir et déambuler dans l’enceinte de la prison. L’un d’entre eux avait les clés des cellules des prisonniers musulmans. Le témoin VV a déclaré que ce soldat l’avait frappé et brutalisé à maintes reprises.
Kolobara, l’un des soldats qui avaient arrêté le témoin VV, était parmi les prisonniers croates détenus à Ljubuški. Lorsque il l’a aperçu un jour pendant le déjeuner, le témoin VV a baissé la tête. Mais, a-t-il dit, « [Kolobara] nous a reconnus. Il s’est approché de nous et il a renversé notre repas. Il nous a ramenés dans nos cellules et là, il nous a tabassés ».
Le témoin VV a quitté la prison de Ljubuški le 19 mars 1994.
Le témoin VV a témoigné le 4 décembre 2001 au procès de Mladen Naletilić, chef du Bataillon disciplinaire du Conseil de défense croate, et de Vinko Martinović, chef d’une unité de ce bataillon. Le Tribunal a déclaré Mladen Naletilić et Vinko Martinović coupables d’un certain nombre de crimes commis contre des Musulmans de Bosnie dans la région de Mostar entre avril 1993 et janvier 1994 et les a condamnés respectivement à 20 ans et 18 ans d’emprisonnement.