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Emir Beganović

 

C’était l’anarchie totale […] s’ils s’étaient disputés ou détestaient quelqu’un, ils venaient au camp pour le tuer.

 

 

Emir Beganović, Musulman de Bosnie, a été violemment maltraité et détenu dans des conditions épouvantables au camp de détention d’Omarska, tenu par les Serbes et situé aux abords immédiats de Prijedor, en Bosnie-Herzégovine. Il a témoigné le 19 juillet 1996 au procès de Duško Tadić et les 4 et 5 mai 2000 dans l’affaire Kvočka et consorts.

 

 

Lire son histoire et son témoignage

Emir Beganović est né à Prijedor, une ville du nord-est de la Bosnie-Herzégovine. Il avait 37 ans lorsque le conflit a éclaté, en 1992. Ses affaires étaient fructueuses, il possédait plusieurs restaurants et un magasin de fleurs. Il était marié et avait un fils.

Il a expliqué qu’en raison du manque d’hygiène « chaque pièce de ce camp de détention était emplie d’une odeur nauséabonde ». « Partout dans le camp […] Nous avions tous des poux, nous avions une barbe. Nous étions affamés, squelettiques ».

Après les élections générales de 1990, un climat de tension grandissante s’est instauré à Prijedor entre les Serbes et les non-Serbes, les Musulmans et les Croates. Les tensions se sont intensifiées lorsqu’a éclaté le conflit ethnique opposant les Croates aux Serbes dans la Croatie voisine. Des Serbes de Bosnie ont rejoint la JNA, l’Armée populaire yougoslave, renforçant les rangs de forces serbes pendant la guerre. La présence militaire à Prijedor n’a cessé de croître, notamment en raison de la présence de soldats serbes qui allaient combattre en Croatie. Il était possible d’acheter des armes dans la rue, tels que de vieux fusils de la JNA et des grenades. Tout le monde pouvait acheter des armes pour se défendre. « Un fusil automatique coûtait entre 1000 et 1500 marks allemands. Les grenades à main coûtaient de 20 à 30 marks, et plus tard c'était 10 marks allemands », a déclaré Emir Beganović.

En mars 1992, de nombreuses personnes, notamment des Musulmans et des Croates, ont fui Prijedor. Emir Beganović a raconté que tout le monde avait un pressentiment, l’impression que « quelque chose allait arriver. » Inquiet à cause de la montée des tensions, il a envoyé sa femme et son fils chez des membres de leur famille qui vivaient en Croatie, à l’écart des conflits. Il est quant à lui resté à Prijedor. Ayant cependant peur de vivre seul, en raison de l’anarchie qui semblait s’installer et parce que certains Serbes chercheraient à se venger des Musulmans, pour des raisons personnelles, il a décidé de s’installer chez son ami, le docteur Esad Sadiković. Le 30 avril 1992, les Serbes ont officiellement pris le pouvoir à Prijedor. À partir de ce moment-là, a relaté Emir Beganović, « la tension est montée d’heure en heure. » Les Serbes ont hissé des drapeaux serbes dans toute la ville et ont établi des postes de contrôle, où ils harcelaient les Musulmans et les Croates, et laissaient passer les Serbes. « La vie a complètement changé en 24 heures. Les gens circulaient de moins en moins en ville et, une quinzaine de jours plus tard, les gens ne circulaient plus du tout. » Prijedor semblait déserte. Le 20 mai, Emir Beganović a fermé tous ses établissements.

Le 30 mai 1992, les forces serbes ont commencé à procéder au nettoyage ethnique de la population non serbe de Prijedor. Des annonces étaient diffusées à la radio ; après avoir enjoint les Musulmans à rester chez eux, on leur demandait de mettre des draps blancs à leurs fenêtres pour qu’ils puissent être identifiés comme Musulmans.

Alors qu’Emir Beganović et son ami, le docteur Esad Sadiković, montaient les escaliers pour étendre les draps, ils ont vu que la Vielle ville, peuplée de Musulmans, était en flammes. Un autre de ses amis, Asif Kapetanović, qui logeait également chez le docteur Sadiković a vu que sa maison était en train de brûler. Il s’est mis à crier : « Mon dieu, ma mère est dans la maison, elle doit être en train de brûler dans l’incendie. » Il s’est donc rendu à la maison, en compagnie d’Emir Beganović. Ils ont rencontré dans la rue un soldat serbe, qui les a sommés de s’arrêter. Terrifié, Emir Beganović s’est enfui et a sauté par-dessus une haie ; il a attendu le soldat tirer des coups de feu derrière lui. Il a trouvé refuge chez un voisin musulman.

Très peu de temps après, la radio annonçait que les Musulmans devaient mettre des bandeaux blancs autour de leurs bras, former des colonnes et se diriger vers la place principale. Emir Beganović, avec les autres, a fait ce qu’on lui demandait. Il a vu sur le chemin du centre-ville, les corps de plusieurs civils qui avaient été tués. Les cadavres avaient été jetés les uns sur les autres au bord de la route. Il n’a reconnu aucune de ces personnes, car elles avaient été mutilées par des tirs à l’arme automatique.

Lorsqu’il est arrivé au centre-ville, quelque deux mille personnes s’y trouvaient déjà rassemblées. Des bus les attendaient. Des soldats serbes ont séparé les civils musulmans : les femmes et les enfants d’un côté, et tous les hommes de plus de 15 ans de l’autre. Emir Beganović est monté dans l’un des bus avec d’autres hommes. Les autocars ont atteint leur destination dans la soirée. Ce lieu, allait-il apprendre plus tard, était le camp d’Omarska.

En descendant du bus, il a été contraint de vider ses poches. Il avait par hasard gardé dans la poche de sa veste des pétards de la célébration du nouvel an. Les voyant, le garde qui le fouillait a crié: « Lui, prenez-le, tuez-le sur place, c'est avec cela qu'il a essayé de jouer avec notre armée ». Emir Beganović a été conduit à l’intérieur. Plus tard, un policier serbe l’a emmené dans une grande pièce où quelque 600 hommes étaient détenus, et lui a a dit : « Va-t-en, mets-toi à l'écart, ne répond pas si on appelle ton nom et ton prénom, car si tu réponds tu seras abattu. » Il a suivi ce conseil.

Les détenus d’Omarska étaient essentiellement des Musulmans, mais quelques Croates s’y trouvaient aussi, et un petit groupe d’environ 35 femmes. Les conditions dans le camp étaient catastrophiques. Les détenus étaient souvent entassés dans des pièces sans ventilation et dormaient à même le sol, souvent sur le côté parce qu’il n’y avait pas assez d’espace pour s’allonger.

Il n’y avait aucune aide médicale. Emir Beganović a relaté qu’après avoir été battus « les gens marchaient complètement ensanglantés, ils avaient des vers sur leurs plaies, ils avaient deux ou trois litres de pus sur le dos, ils étaient épuisés…Cinquante pour cent des gens souffraient d'entérite, les conditions d’hygiène étaient vraiment catastrophique ». Il a expliqué qu’en raison du manqué d’hygiène « chaque pièce de ce camp de détention était emplie d’une odeur nauséabonde. Partout dans le camp(…)Nous avions tous des poux, nous avions une barbe. Nous étions affamés, squelettiques » a-t-il expliqué.

L’une des méthodes de persécution qui avait cours à Omarska consistait à affamer les détenus: durant les six premiers jours de sa détention, Emir Beganović n’a pas reçu de nourriture, puis les détenus en une fois par jour, à la cantine. « Nous avions trois minutes pour courir à la cantine, manger le repas et sortir » a-t-il expliqué. À chaque fois qu’ils allaient à la cantine, les prisonniers couraient le risque d’être sévèrement battus.

« À peu près 90 % des fois, lorsqu'on se dirigeait vers la nourriture, on se faisait battre, au moment où on entrait ou lorsqu'on sortait. Très souvent, dans le couloir, lorsqu'on sortait du restaurant, ils arrosaient le sol avec un bidon d’eau et ils jetaient des plateaux en plastique sur le sol et donc, puisqu'il fallait courir, les premières personnes tombaient, car c'était glissant, puis les autres tombaient par-dessus et là ils nous battaient ». À Omarska, les passages à tabac étaient permanents. Emir Beganović a expliqué que les gardes battaient les prisonniers lorsqu’ils les interrogeaient durant la journée, essayant de les forcer à avouer des exactions politiques. Décrivant les conditions du vcamp, Emir Beganovića a ajouté: « Nous étions inquiétés, battus, victimes de tortures psychologiques, affamés, sans rien à boire (…) C’est simplement indescriptible », a-t-il ajouté. Parfois les gardiens entraient dans une salle pleine de détenus et battaient sans discernement quiconque se trouvait tout près de la porte. Il a rapporté que ces actes de violences étaient menés « sans raison (…) Ils commençaient à nous battre avec des matraques, ils nous donnaient des coups de pied, et ils partaient. Ils ne savaient même pas qui ils battaient, ni pourquoi. Ils étaient probablement ivres. Tout simplement, ils avaient soudain envie de nous battre. »

Détenu du camp d'Omarska, dirigé par les Serbes, en 1992. De nombreuses personnes y sont mortes, victimes de passages à tabac, de sous-alimentation et de mauvais traitements.
(Pièce à conviction P3/232, affaire Kvočka et consorts)

Les gardiens en exercice cessaient de battre et d’interroger les détenus vers cinq heures de l’après-midi. Mais les passages à tabac ne prenaient pas fin pour autant. Quiconque le souhaitait pouvait entrer dans le camp et choisir de battre qui il voulait : « Ensuite, il y avait des visites privées de soldats serbes, de gardiens, de civils. N’importe qui pouvait venir, entrer, chercher des prisonniers, les appeler par leur nom, leur prénom ou leur surnom. Il arrivait même que des hommes qui ne nous avaient jamais rencontrés nous choisissent. Nous étions couchés sur le ventre sur la pista. Tout simplement, ils disaient ‘ Donne m’en deux, donne m’en trois’, ‘Tu peux en prendre cinq si tu veux’ leur répondait-on. »

Emir Beganović a été victime de sévices infligés lorsque les détenus étaient en groupe, mais il a également été désigné individuellement, à trois reprises, pour être sévèrement battu.

La première fois, un homme de la région qui portait un uniforme et qu’il a identifié comme un certain « Dragan » l’a appelé, lui a demandé de sortir et l’a conduit à un groupe de Serbes. Parmi eux se trouvait Nikica Janjić, un Serbe de Prijedor, avec qui il s’était disputé l’année avant la guerre. Lorsque Janjić a vu Emir Beganović, il lui a dit d’un air moqueur : « Tu vois comme les temps changent ? Ce soir, je vais t’égorger ! » Après un court délai, Dragan est venu le chercher de nouveau et a commencé à le battre alors qu’il le conduisait au bâtiment qu’on appelait « la maison blanche » : « À la sortie du bâtiment [où il était détenu], Dragan a commencé à me frapper avec sa matraque, sur la tête, le cou, le dos, le haut du dos. Il a continué à me frapper, dans cette partie du camp, sur le chemin de la maison blanche. »

Arrivé à la maison blanche, il a vu que trois autres hommes d’affaires musulmans, réputés à Prijedor, avaient déjà été conduits dans l’une des pièces. Il a été conduit dans une pièce de l’autre côté. Il est entré : « ils [Dragan et Nikica Janjić] se sont mis à me battre, immédiatement (…) Ils m’ont roué de coups, tous les deux. Dragan me battait avec une matraque, Nikica me donnait des coups de pied. Je ne me souviens pas s’il s’est servi d’un objet pour me frapper, mais il m’a surtout donné des coups de pied. » D’autres Serbes entraient et sortaient, participant tour à tour aux sévices. Ils utilisaient divers objets pour battre les détenus. « Ils avaient aussi des câbles, des câbles électriques, avec une boule au bout, soudée au câble. »

Emir Beganović a reconnu certains de ses agresseurs. L’un d’entre eux, Zoran Žigić, a par la suite été condamné par le Tribunal. Il y avait également un joueur de handball de Prijedor, qu’Emir Beganović a désigné comme « Šaponja ». Il l’avait considéré comme un ami, car leurs parents étaient très proches. « Ses parents se sont mariés chez moi, ils venaient d’arriver à Prijedor, ils n’avaient pas encore trouvé de logement. Donc, son père et le mien étaient très amis. Sa mère a emprunté la robe de mariage de ma mère pour se marier. »

Il a été battu pendant près d’une demi-heure, qui lui a semblé une éternité. Il s’est rappelé qu’à un moment, il s’est trouvé assis sur une chaise, son bras gauche étendu le long du bureau en face de lui. À ce moment-là : « Nikica [Janjić] a sorti un couteau de cette taille, environ. J’ai cru que, comme il l’avait annoncé, il allait me trancher la gorge, qu’il avait sorti ce couteau à cette fin. Presque automatiquement, j’ai levé le bras et à ce moment-là, j’ai senti que ma main recevait un coup de couteau ; la cicatrice est encore visible. Le sang jaillissait de la blessure. Je me suis évanoui. »

Lorsqu’il a repris connaissance, il a été emmené à l’extérieur, avec les prisonniers qui avaient été battus dans la pièce à côté. « [Zoran] Žigić nous a dit de nous pencher et de boire l’eau dans une rigole, comme des chiens. Il nous a dit que nous devions nous conduire comme des chiens et boire l’eau comme les chiens. Nous avons bu, et nous étions contents de le faire, j’avais la gorge sèche. En cet instant, ces méchantes paroles n’avaient plus aucun sens pour moi. »

Il a ensuite été détenu dans la maison blanche : « Nous savions qu’elle était réservée aux prétendus extrémistes musulmans qui avaient attaqué Prijedor, et nous savions aussi qu’aucun de nous n’en sortirait vivant. » Emir Beganović a pourtant eu de la chance. Un gardien serbe, nommé Radenko, lui est venu en aide. Étant allé voir les prisonniers, il a dit à l’un d’entre eux: « Tu dis que vous n’avez pas attaqué Prijedor, mais regarde, regarde, dans ton groupe, il y a même un noir. » « Il a dirigé sa lampe-torche sur moi » a raconté Emir Beganović, rapportant que Radenko avait alors été stupéfait de constater que le visage d’Emir Beganović était entièrement noir à cause des coups qu’il avait reçus. Il a eu pitié de lui et il est parvenu à le faire sortir de cette pièce de sinistre réputation.

« Nous étions inquiétés, battus, victimes de tortures psychologiques, affamés, sans rien à boire […] C’est simplement indescriptible », a-t-il ajouté. Parfois les gardiens entraient dans une salle pleine de détenus et battaient sans discernement quiconque se trouvait tout près de la porte.

Deux jours après avoir été battu pour la première fois, il a vu que le commandant en second du camp, Miroslav Kvočka, donnait un papier à Nikica Janjić. Peu aprè, ce dernier a appelé Emir Beganović, lui demandant de sortir. Il voulait le battre une deuxième fois dans la maison blanche. Un gardien, armé d’un fusil automatique, gardait l’entrée et Janjić s’est mis à battre Emir Beganović. Il lui donnait des coups de pieds et le frappait à la tête avec la crosse de son pistolet, lui infligeant plusieurs fractures du crâne. Ses plaies, qui s’étaient rouvertes, saignaient abondamment. Les sévices ont duré « longtemps, peut-être 20 minutes », a-t-il expliqué, ajoutant : « [Janjić] était déjà fatigué. Il transpirait. Sa chemise était mouillée de transpiration, il suait par tous les pores. »

Emir Beganović l’a supplié de le tuer ou de cesser de le battre, car ils devaient être quittes de toute querelle à présent. Janjić lui a montré un papier que lui avait donné M. Kvočka, le chef adjoint du camp. Il était écrit « Emir Beganović, kop 2. » Selon Emir Beganović, « kop 2 » faisait référence à l’une des fosses d’ Omarska où l’on jetait des corps de prisonniers. Mais, contre toute attente, Janijić lui a dit qu’il avait finalement changé d’avis, et qu’il lui laisserait la vie sauve. « Il a dit : ‘tu peux remercier ma mère, c’est elle qui m’a dit de ne pas te tuer, parce que tu es un fils unique, et elle aussi n’a qu’un fils’[ ” a rapporté Emir Beganović. Janijić lui a donné des cigarettes, lui a serré la main et il est parti. Il n’est jamais revenu frappé Emir Beganović.

Il a de nouveau été battu deux jours plus tard. On l’a encore appelé et on lui a demandé de sortir de la pièce où il était détenu. Lorsqu’il est sorti, il a vu que Dragan se tenait dans l’entrée. Les blessures à la tête infligées à Emir Beganović avaient été maladroitement bandées à l’aide d’un vieux t-shirt par certains de ses codétenus. Lorsque Dragan l’a vu, il a ri et s’est moqué de lui parce qu’il portait un bandage comme s’il s’agissait d’un turban, et lui a dit: « Pourquoi tu portes ça sur la tête ? Tu n’es pas un hodža [ecclésiastique musulman]. » Puis Dragan a battu Emir Beganović de nouveau, avec sa matraque, et l’a poussé dans le hangar du camp, où se trouvait un groupe de 7 à 10 soldats serbes, vêtus de différents uniformes. Il a reconnu Duško Tadić parmi les soldats, qu’il connaissait avant la guerre comme un fauteur de troubles.

Quand il est entré dans le hangar, les soldats se sont mis à le battre avec des bouts de bois, des barres de métal et des câbles, lui donnant des coups de pied avec leurs bottes de soldats. Malgré sa douleur, s’est-il rappelé, il était déterminé à ne pas perdre connaissance: « J’ai compris que si je perdais connaissance, je ne me réveillerais plus, ces gens-là étaient tout simplement des tueurs. » À un moment donné, les soldats l’ont pendu la tête en bas, lui attachant les pieds avec un vieux câble. Ses pieds ont finalement glissé du câble et il est tombé. À ce moment-là, Dragan s’est approché et a demandé à Emir Beganović s’il le connaissait. Il a juré qu’il ne le connaissait pas parce que, a-t-il expliqué au Tribunal: « Dans le camp, en fait, on savait qu’ils ne laissaient jamais en vie les témoins qui pourraient éventuellement reconnaître les gardiens qui tuaient et qui torturaient. C’est simple, ils ne voulaient pas laisser de témoins. »

Dragan a ordonné aux gardiens de le ramener à l’étage, et a demandé qu’on lui envoie un autre détenu. Pourtant, alors qu’il arrivait aux escaliers, les soldats lui ont demandé de revenir chercher ses chaussures, qu’il avait perdues lorsqu’on l’avait suspendu. Il n’avait d’autre choix que de retourner au hangar, où Dragan l’a immédiatement battu de nouveau. Lorsqu’il a enfin pu regagner la pièce où il était détenu, il a gagné un coin de la pièce et s’est évanoui. Ayant repris connaissance quelques minutes après, il a entendu les cris d’un autre prisonnier qui se faisait battre à l’étage inférieur. « Avant mon arrivée dans ce camp, je n’avais jamais entendu crier comme cela. C’était des cris humains, mais je serais incapable de les reproduire » a-t-il déclaré.

Emir Beganović avit était grièvement blessé lors de ces sévices, mais il n’y avait aucune ressource médicale pour soigner les prisonniers, hormis ce que le Dr. Sadiković, son ami de Prijedor, s’arrangeait parfois à rapporter après avoir soigné les blessures des soldats serbes. Comme nombre d’autres prisonniers, les blessures d’Emir Beganović s’étaient infectées. « Le pire, c’était les fractures du crâne, parce que le tissu, le bandage, est resté sur ma tête pendant un mois environ, et il a pourri, il y avait des vers. »

Emir Beganović a quitté le camp d’Omarska le 6 août 1992, peu de temps avant sa fermeture, les médias internationaux ayant attiré l’attention du grand public à son sujet. Les prisonniers sont montés dans des bus et ont reçu l’ordre de garder la tête baissée. Au cours du voyage, les gardiens les ont battus et, à un moment donné, les ont forcés à ramper sous les sièges. Il a passé la nuit, avec les autres détenus, sous les sièges du bus., Ils ont été conduits le jour suivant au camp de Manjača. À son arrivée, il a été pesé pour la première fois depuis le début de sa détention, et a découvert qu’il ne pesait que 49 kilos. À son arrivée, à Omarska, il pesait 75 kilos. « Je n’avais que la peau sur les os », s’est-il souvenu.

Le 13 décembre 1992, Emir Beganović a été conduit au camp de Batković, où il est resté détenu jusqu’au 4 mars 1993, jour où il a fait l’objet d’un échange de prisonnier.

Emir Beganović souffre encore physiquement et psychologiquement des sévices qui lui ont été infligés au camp d’Omarska : « J’ai subi des fractures du crâne, j’avais le crâne enfoncé. Ma main aussi a été blessée, je ne peux plus vraiment m’en servir, et je crois qu’elle est encore plus maigre que la main droite. Et j’ai des lésions à la colonne vertébrale. Mes reins ont été blessés, ma jambe. »

Emir Beganović et sa famille se sont finalement réinstallés et il a progressivement refait sa vie à l’étranger, ouvrant par la suite un magasin de fleurs. Prijedor a été rattachée à la Republika Srpska, l’entité majoritairement serbe de Bosnie-Herzégovine. Lorsqu’il a témoigné en 2000, il a déclaré que les autorités locales ne l’avaient jamais autorisé à reprendre possession de ses commerces, et qu’il n’avait reçu aucune compensation pour leur perte.
 

Emir Beganović a témoigné le 19 juillet 1996 au procès de Duško Tadić, qui avait été policier de réserve et dirigeant politique de la ville de Kozarac, près de Prijedor. Il a été reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ayant pris la forme de persécution, actes inhumains et traitements cruels, infligés à des civils musulmans de Bosnie. Sa participation à l’un des passages à tabac infligés à Emir Beganović au camp d’Omarska compte parmi ces crimes. Le 26 janvier 2000, la procédure d’appel a pris fin ; Duško Tadić a été condamné à 20 ans d'emprisonnement.

Emir Beganović a aussi t témoigné les 4 et 5 mai 2000 dans l’affaire Kvočka et consorts. Miroslav Kvočka, Milojica Kos, Mladjo Radić, Zoran Žigić et Dragoljub Prcać, ont également été déclarés coupables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre pour leur participation aux sévices infligés aux détenus au camp d’Omarska et pour ne pas avoir essayé d’empêcher ces sévices ou d’y mettre un terme. Miroslav Kvočka, ,policier de profession et commandant en second du camp d’Omarska , a été condamné à sepe ans d’emprisonnement pour persécutions, meurtre et actes de torture. Milojica Kos (alias « Krle »), policier de réserve et chef d’équipe de gardiens du camp d’Omarska, a été condamné à six ans d’emprisonnement pour persécutions, meurtre et actes de torture. Mlađo Radić (alias « Krkan »), policier et chef d’équipe de gardiens à Omarska, a été condamné à 20 ans d'emprisonnement pour persécutions, meurtre et actes de torture. Zoran Žigić, un civil qui se rendait aux camps d’Omarska, de Keraterm, et de Trnopolje pour infliger des sévices aux prisonniers, a été condamné à vingt-cinq d’emprisonnement pour meurtre, actes de torture, traitements cruels et persécutions. Dragoljub Prcać qui a occupé un poste de responsable à Omarska, a été condamné à six ans d’emprisonnement pour persécutions, meurtre et torture.

> Lire le témoignage complet d’Emir Beganović (en anglais)

 

 

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