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Ante Tomić, Croate de Bosnie, relate son expérience au camp d’Omarska, à Prijedor, en Bosnie-Herzégovine, où il a été détenu en 1992. Il a témoigné les 5 et 6 avril 2001 au procès de Duško Sikirica, Damir Došen et Dragan Kolundžija.
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“ À propos de ce camp, Ante Tomić a dit : « On nous traitait avec brutalité. Il n’y avait absolument aucune règle. Aucun sentiment de dignité. Ils ont tué certains d’entre nous; ils nous ont fait tout ce qu’ils voulaient. » ”
Le 30 avril 1992 vers 22 heures, Ante Tomić se trouvait dans un café de Ljubija lorsque deux policiers sont entrés. Ils ont annoncé que le café devait fermer et que les clients devaient rentrer chez eux car un couvre-feu avait été décrété. C’est ainsi qu’Ante Tomić a appris que le Parti démocratique serbe (SDS) avait pris le pouvoir à Prijedor.
Ante Tomić a expliqué au Tribunal qu’il ne respectait pas le couvre-feu. Il a décrit comment, chaque nuit, un groupe d’une vingtaine ou d’une trentaine d’habitants de Ljubija se retrouvait spontanément au café, puis allait se promener pendant 30 à 45 minutes, ou jusqu’à ce que la police les disperse.
Le 24 mai 1992 au soir, Ante Tomić était de nouveau dans le café lorsqu’un homme de Donja Ljubija (quartier situé en contrebas de Ljubija) a annoncé que l’armée préparait une attaque. Ante Tomić a revêtu son uniforme et, en compagnie de plusieurs hommes, des Serbes, des Croates et des Musulmans, il s’était mis en route pour Donja Ljubija. À mi-chemin, des hommes de la défense territoriale ont barré la route au groupe.
À la mi-juin, personne ne pouvait quitter Ljubija. Les lignes téléphoniques avaient été coupées et on ne pouvait plus communiquer avec Prijedor. Les bus ne circulaient plus parce qu’ils n’avaient nulle part où aller. « Nous étions coupés du monde », a expliqué Ante Tomić.
Dans la nuit du 13 au 14 juin 1992, deux soldats serbes, des voisins du témoin, sont venus arrêter celui-ci à son appartement. Ils l’ont emmené dans une camionnette où se trouvait déjà une douzaine d’hommes arrêtés cette même nuit. Tous étaient Musulmans ou Croates, âgés de 16 à 60 ans. L’un d’entre eux avait été battu et était pieds nus ; un autre était en pyjama. Ils ont tous été conduits au camp de Keraterm, une ancienne usine de céramique, située dans les environs de Prijedor. Ante Tomić apprendra par la suite que 115 hommes de sa ville avaient été détenus au camp de Keraterm.
Le camp de Keraterm était un grand bâtiment avec un étage. Au rez-de-chaussée se trouvaient quatre pièces, appelées pièces 1, 2, 3 et 4, qui servaient à garder les prisonniers. Ante Tomić allait passer presque 3 semaines dans ce camp, confiné dans la pièce 2 avec 400 autres personnes, dans un espace de 15 à 20 mètres de large sur 18 à 20 mètres de long, avec un sol froid, en béton.
Quelques heures après son arrivée à Keraterm, une agitation a soudain saisi le camp. Tous les détenus, y compris les nouveaux arrivants, courraient dans les pièces, et Ante Tomić a entendu des personnes dire : « Duća est là !» Accusé par la suite par le TPIY, Dušan (Duško) Knežević, surnommé Duća, était un soldat serbe qui venait souvent au camp, et, à chacune de ses visites, a dit Ante Tomić, des détenus étaient battus ou tués. Dušan Knežević et un autre soldat sont venus dans la pièce 2 pour y chercher un homme qu’ils accusaient d’avoir violé des femmes serbes. Lorsque Dušan Knežević et l’autre soldat l’ont trouvé, ils l’ont roué de coups.
Ils ont ensuite frappé un autre détenu, Emsud Bahonjić, qu’ils appelaient « Sniper » ou « Singaporac ». Ce dernier est resté étendu dans un coin de la pièce 2. « Une horrible puanteur emplissait la pièce », a rapporté Ante Tomić. « Il n’avait pas bougé pendant plusieurs jours ; il avait été sauvagement battu, mais il était toujours vivant. » Dušan Knežević a ordonné à Emsud Bahonjić de se lever. Ante Tomić a expliqué que ce dernier n’avait pas la force de bouger. Dušan Knežević lui a donné des coups de pieds à plusieurs reprises et l’homme est mort le lendemain ou le surlendemain.
Durant les quelques semaines de sa détention au camp de Keraterm, Ante Tomić allait entendre ou voir d’autres hommes se faire brutaliser. Il a expliqué au Tribunal qu’un Albanais de 17 ans, appelé Jusufi, et deux autres Albanais, propriétaires d’une pâtisserie, avaient été emmenés de la pièce et roués de coups. Il a aussi rapporté qu’un codétenu serbe, Jovan Radocaj, avait été emmené à l’extérieur pour être battu. Ante Tomić a indiqué que Jovan Radocaj était accusé d’avoir voté pour le parti musulman de l’action démocratique (SDA) et d’avoir chez lui des affiches de ce parti. Quand ce détenu a quitté la pièce, Ante Tomić l’a entendu dire : « Tout est fini. » Il a été tué cette nuit-là.
Durant les quelques semaines qu’il a passées au camp de Keraterm, Ante Tomić a vu arriver de nouveaux prisonniers tous les jours. Le plus souvent, c’était Milan Čurguz, appelé Krivi, qui amenait les nouveaux venus. Toutefois, une fois à l’intérieur du bâtiment, il aidait les prisonniers. Un jour, alors qu’il lui apportait de la nourriture, Milan Čurguz a dit à Ante Tomić que le fait d’aider les détenus lui coûterait la vie. « C’était très mal vu, très mal vu d’aider les détenus », a précisé Ante Tomić. Milan Čurguz a en effet été tué, principalement, d’après Ante Tomić, parce qu’il aidait les détenus.
Par la suite, le 6 août 1992, date à laquelle Ante Tomić est arrivé au camp de Trnopolje, Pero, le frère de Milan Čurguz, qui travaillait pour la Croix-Rouge, lui a assuré que des membres serbes de l’unité de son frère étaient responsables du meurtre. Pourtant, a ajouté Ante Tomić, lorsque l’équipe de télévision de Banja Luka est arrivée une demi-heure plus tard, Pero Čurguz a déclaré que des « balijas » [terme péjoratif désignant les Musulmans] avaient non seulement tué son frère, mais lui avaient aussi coupé la tête. « Pero Čurguz a donné à ce moment-là une tout autre version des faits », a déclaré Ante Tomić.
“ Ante Tomić a passé sa pire nuit au camp d’Omarska lorsqu’un gardien du nom de Kvočka s’est mis à le frapper. D’autres hommes sont venus lui prêter main forte, puis d’autres encore, et au final, ils étaient huit à brutaliser le témoin. ”
Ante Tomić a expliqué que d’autres policiers de Ljubija amenaient des prisonniers au camp. Il a notamment mentionné Drago Tokmadžić, un Croate, et Esad Islamović. Un jour, les deux hommes sont arrivés au camp ensemble. « On pensait qu’ils amenaient de nouveaux prisonniers, mais en fait, ce jour-là, c’était eux les prisonniers. » Une nuit, ils ont dû sortir de la pièce 4, et Ante Tomić les a entendus se faire battre. Parmi les voix qu’il a entendues, il a reconnu celles de Duško Knežević et de Zoran Žigić qu’il connaissait de vue et qui effectuaient des visites d’inspection au camp. [Ce dernier a été par la suite condamné par le TPIY pour les crimes qu’il avait commis aux camps de Keraterm et d’Omarska.] Ante Tomić a précisé que Drago Tokmadžić était mort des suites de ses blessures cette nuit-là, alors qu’Esad Islamović avait survécu et avait, par la suite, été conduit à l’hôpital.
Un jour, pendant la détention d’Ante Tomić au camp de Keraterm, des gardiens ont demandé à cinq ou six détenus de se porter volontaires pour des travaux hors du camp. Durant une journée entière, les détenus ont porté et trié des marchandises dans un entrepôt. Ils ont informé Ante Tomić que ces marchandises (des postes de télévision, des appareils électroménagers, des meubles et des tracteurs) avaient été volées dans des villages qui avaient été incendiés. Lorsque les juges du Tribunal ont demandé à Ante Tomić pourquoi les détenus se portaient volontaires pour se genre de travail, Ante Tomić a répondu : « La seule raison qui pousserait un homme à faire un tel travail, c’est l’espoir d’avoir un peu plus à manger. »
Durant les trois semaines ou presque qu’il a passées au camp de Keraterm, Ante Tomić n’a jamais été interrogé et on ne lui a jamais expliqué les raisons de sa détention.
Le 4 juillet 1992, Ante Tomić et les 115 autres prisonniers originaires de sa ville natale ont été transférés au camp d’Omarska. À propos de ce camp, Ante Tomić a dit : « On nous traitait avec brutalité. Il n’y avait absolument aucune règle. Aucun sentiment de dignité. Ils ont tué certains d’entre nous ; ils nous ont fait tout ce qu’ils voulaient. » Ante Tomić a rapporté qu’en trois semaines de détention au camp de Keraterm, près de 10 personnes avaient été tuées, alors qu’à Omarska, au moins dix à quinze détenus étaient tués par jour.
À Omarska, les gardiens et les visiteurs du camp, tous en uniforme, battaient les prisonniers à toute heure du jour et de la nuit. Ante Tomić a expliqué que beaucoup d’entre eux l’avaient roué de coups. « Les passages à tabac étaient quotidiens. On ne s’en étonnait plus. Un jour, j’ai été frappé si violemment que j’ai passé les quatre jours qui ont suivi dans le coma. On m’a jeté sur un tas de cadavres, et c’est là que l’un de mes codétenus m’a retrouvé et m’a ramené parmi les vivants. »
Ante Tomić a passé sa pire nuit au camp d’Omarska lorsqu’un gardien du nom de Kvočka s’est mis à le frapper. D’autres hommes sont venus lui prêter main forte, puis d’autres encore, et au final, ils étaient huit à brutaliser le témoin. Ante Tomić a précisé que Kvočka était le frère d’un des commandants du camp, Miroslav Kvočka [condamné par le Tribunal pour les crimes qu’il a commis au camp d’Omarska].
Ante Tomić a raconté qu’un jour, à la mi-juillet, les prisonniers du camp d’Omarska ont dû se préparer à chanter des chansons parce qu’une délégation de Banja Luka devait visiter le camp, et il fallait l’accueillir. Lorsque la délégation est arrivée en hélicoptère, les prisonniers ont chanté des chants nationalistes serbes, en faisant le salut serbe, les trois doigts levés. Près de 10 membres de la délégation, dont le Président de la municipalité de Banja Luka, ont fait le tour du camp et visité les pièces dans lesquelles les prisonniers étaient détenus.
Ante Tomić est resté en détention au camp d’Omarska jusqu’au 6 août, date à laquelle il a été transféré au camp de Trnopolje.
Durant le contre-interrogatoire, le conseil de la défense a demandé à Ante Tomić si l’émergence de partis nationalistes avait mis à mal les relations entre des gens qui avaient vécu en bons termes jusqu’alors. Ante Tomić a répondu : « Pour ce qui me concerne, la réponse est non. Mes amis sont restés mes amis. »
Ante Tomić a témoigné les 5 et 6 avril 2001 dans le procès de Duško Sikirica, chef de la sécurité au camp de Keraterm, de Damir Došen et de Dragan Kolundžija, tous deux chefs d’équipe de gardiens. Lorsque l’Accusation a terminé la présentation des moyens à charge, les accusés ont tous trois plaidé coupables de persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, et les autres chefs d’accusation ont été retirés. La Chambre de première instance a condamné les accusés respectivement à quinze ans, cinq ans et trois ans d’emprisonnement.