Communiqué de presse |
CHAMBRES
|
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel) |
|
La Haye, 14 janvier 2000
CC/P.I.S./462-F
Jugement dans l'affaire "Kupreskic & consorts": un accusé acquitté cinq
accusés condamnés à des peines de prison variant de 6 à 25 ans.
Ce jour, vendredi 14 février 2000, la Chambre de première instance II, composée du Juge Antonio Cassese (Président, Italie), du Juge Florence Mumba (Zambie) et du Juge Richard May (Royaume Uni) a rendu son Jugement motivé dans l’affaire Le Procureur c. Zoran Kupreskic, Mirjan Kupreskic, Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic, Vladimir Santic et Dragan Papic.
Les cinq premiers accusés ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de 6 à 25 ans. Le sixième, Dragan Papic, a été acquitté.
Les six accusés avaient été mis en accusation pour leur participation alléguée à l’attaque du village de Ahmici (Bosnie centrale), le 16 avril 1993, et au massacre de 116 habitants, incluant des femmes et des enfants. 24 autres villageois furent blessés au cours de cette attaque, qui résulta aussi en la destruction de 169 maisons et de 2 mosquées.
Les victimes étaient des civils Bosniaques Musulmans.
"LE MEURTRE PLANIFIE ET BIEN ORGANISE DES CIVILS D’UN GROUPE ETHNIQUE"
Dans le résumé du Jugement qu’il a lu au cours de l’audience, le Juge Président Cassese a relevé que: "la Chambre est convaincue, au vu des éléments de preuve présentés, qu’il Sl’attaque sur AhmiciC ne s’agissait pas d’une opération de combat mais du meurtre planifié et organisé de civils d’ un groupe ethnique, les Musulmans, par l’armée d’un autre groupe, les Croates. Ce massacre avait pour objectif fondamental d’expulser les Musulmans du village, en en tuant un grand nombre, en brûlant leurs foyers, en abattant leur bétail et en détenant et déportant illégalement les survivants dans une autre zone. Ces actes avaient pour but ultime de semer la terreur dans la population afin de dissuader les membres de ce groupe ethnique de jamais retourner chez eux".
Le Juge Cassese a encore déclaré que: "Les évènements du 16 avril 1993 à Ahmici se sont manifestement gravés dans les mémoires comme l’un des exemples les plus terribles de l’inhumanité de l’homme envers l’homme. Aujourd’hui, le nom de ce petit village vient s’ajouter à la longue liste de hameaux et villes, inconnus auparavant, qui symbolisent de terribles méfaits et nous font tous frémir d’horreur et de honte: Dachau, Oradour-sur-Glâne, Katijn, Marzabotto, Soweto, My Lai, Sabra et Shatila, et tant d’autres".
Enfin, on retiendra aussi que le Président Cassese a fait valoir que: "A l’issue de ce procès, nous sommes parvenus à la conclusion que, à l’exception peut-être de l’un des accusés, cette Chambre n’a pas eu à juger les principaux coupables, ceux qui portent la responsabilité la plus lourde pour le massacre du 16 avril 1993, qu’ils l’aient ordonné et planifié ou qu’ils aient commis les pires atrocités imaginables contre des civils innocents…Ainsi, nous avons dû limiter notre examen au cas des six personnes mises en accusation par le Procureur devant cette Chambre pour déterminer si elles ont participé aux crimes commis à Ahmici et, le cas échéant, dans quelle mesure".
LES CONDAMNATIONS ET LES PEINES
Après examen des preuves et étude des arguments, la Chambre de première instance II a décidé ainsi:
Zoran Kupreskic, soldat du HVO
COUPABLE de persécutions comme un crime contre l’humanité NON COUPABLE de meurtre et actes inhumains comme crimes contre l’humanité
Condamné à 10 ans d’emprisonnement
Mirjan Kupreskic, soldat du HVO
COUPABLE de persécutions comme un crime contre l’humanité NON COUPABLE d’assassinat et actes inhumains comme crimes contre l’humanité
Condamné à 8 ans d’emprisonnement
Vlatko Kupreskic, officier de police
COUPABLE d’aide et d’encouragement à des persécutions comme un crime contre l’humanité
NON COUPABLE d’assassinat et actes inhumains comme crimes contre l’humanité ni de meurtre et traitements cruels comme violations des lois et coutumes de la guerre
Condamné à 6 ans d’emprisonnement
Drago Josipovic, soldat du HVO
COUPABLE de persécutions comme un crime contre l’humanité COUPABLE de meurtre et d’actes inhumains comme crimes contre l’humanité
NON COUPABLE (pour motifs formels) de violations des lois et coutumes de la guerre
Condamné à trois peines de 10 ans (persécutions), 15 ans (assassinat) et
10 ans (actes inhumains) devant être confondues. Peine totale: 15 ans.
Vladimir Santic, commandant de la police militaire et du groupe paramilitaire "Jokers"
COUPABLE de persécutions comme un crime contre l’humanité
COUPABLE d’assassinat et d’actes inhumains comme crimes contre l’humanité
NON COUPABLE (pour motifs formels) de violations des lois et coutumes de la guerre
Condamné à trois peines de 25 ans (persécutions), 15 ans (assassinat) et
10 ans (actes inhumains) devant être confondues. Peine totale: 25 ans.
L’ACQUITTEMENT
Dragan Papic était accusé de persécutions, comme un crime contre l’humanité. Cependant, la Chambre de première instance a estimé qu’ "aucun des éléments de preuve à charge ne suffit à établir la participation active de l’accusé à l’attaque d’Ahmici ni aux évènements précédant cette attaque". La Chambre a en conséquence acquitté Dragan Papic.
LES PRINCIPALES CONCLUSIONS JURIDIQUES
Les conclusions juridiques les plus significatives de la Chambre sont répertoriées ci-après, avec un renvoi explicite aux paragraphes afférents dans la version anglaise du Jugement:
1. Nature de l’attaque: Non pas une situation de combat militaire, mais des meurtres de civils soigneusement planifiés et organisés.
2. Statut des victimes: majoritairement des civils, quelques soldats en permission et un petit nombre de personnes ayant spontanément pris les armes. Dès lors, Ahmici peut être considéré comme un village non défendu (para. 512).
3. Pas de défense "tu quoque" recevable: même s’il était admis que des attaques du même type avaient été engagées par les forces musulmanes contre des villages croates, cela ne justifierait nullement l’attaque croate contre Ahmici (para. 125, 511 et 515ss).
4. Les représailles contre des civils sont interdites de la façon la plus absolue, y compris contre les civils présents dans la zone de combat (para. 527ss).
5. Les attaques systématiques et généralisées sont inadmissibles et illégales (para. 513); sous certaines conditions, les dommages collatéraux peuvent être considerés comme illégaux eux aussi dès lors que "le droit international prescrit que l’on prenne des précautions raisonnables lors de l’attaque d’objectifs militaires pour éviter que les civils pâtissent inutilement d’une imprudence"(para. 524). La protection des civils constitue la pierre angulaire du droit humanitaire. Ainsi, en ce qui concerne les dommages collatéraux, bien que des attaques isolées ne soient pas per se illégales, leur effet cumulatif pourraient les rendre telles (para. 526): "lorsque les attaques se répètent et que toutes, ou la plupart d’entre elles, se situent dans la zone grise entre légalité indiscutable et illégalité, on pourrait être fondé à conclure que ces actes peuvent être contraires au droit international en raison de leur effet cumulatif. En effet, ce type de conduite militaire peut mettre excessivement en danger les vies et les biens des civils, contrairement aux exigences de l’humanité."
6. Politique d’Etat et crimes contre l’humanité: les crimes contre l’humanité ne sont pas nécessairement liés intrinsèquement à une politique étatique mais ils sont en tout état de cause rattachés de façon organique à ce dernier, qui les tolère ou les approuve (para.551, 555)
7. Persécution:
a) Le crime de persécution se suffit à lui-même et ne doit donc pas être lié à quelque autre crime contenu dans le Statut du tribunal (para. 581).
b)Pas d’exigence de lien avec une politique de l’Etat (para. 625)
c) Actus reus (élément matériel) du crime de persécution (para. 615): le crime de persécution peut prendre des formes diverses, et consistera généralement en une série de crimes plutôt qu’un crime unique. De plus, c’est leur effet cumulé qu’il faut considér
d) Mens rea (élément intentionnel) et distinction entre persécution et génocide (para. 634-6): la mens rea du crime de persécution, bien qu’inférieure à celle du crime de génocide, est de même nature. Lorsque la persécution atteint sa forme extrême consistant en des actes intentionnels et délibérés destinés à détruire un groupe, en tout ou en partie, on peut estimer qu’elle s’apparente au génocide (para. 636).
e) Définition (para. 621 + 627): la persécution se définit comme "le déni manifeste ou flagrant, pour des motifs discriminatoires, d’un droit fondamental, consacré par le droit international coutumier ou conventionnel, et atteignant le même degré de gravité que les autres actes prohibés à l’article 5."
8. Finalité de la peine (para. 848-849): châtiment, dissuasion, réinsertion et éradication du sentiment d’impunité.
*****
Le texte intégral du Résumé lu à l’audience est disponible (en anglais et en français)
sur le site Internet du Tribunal, ainsi que le Jugement intégral (en anglais seulement).
La version française du Jugement est en cours de préparation et sera publiée dès que possible.
*****
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
Pour plus d'informations, veuillez contacter notre Bureau de presse à La Haye
Tél.: +31-70-512-8752; 512-5343; 512-5356 Fax: +31-70-512-5355 - Email: press [at] icty.org ()Le TPIY sur Twitter et Youtube