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Affaire Jelisic : La chambre d’appel « estime que dans les circonstances de l’espèce, le renvoi de l’affaire pour un nouveau procès n’est pas approprié »

Communiqué de presse
CHAMBRE D’APPEL
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 5 juillet 2001
XT/P.I.S./601-F
 

Affaire Jelisic :

La chambre d’appel « estime que dans les circonstances de l’espèce,
le renvoi de l’affaire pour un nouveau procès n’est pas approprié
»

Lla chambre d’appel « confirme la peine de 40 années d’emprisonnement »

Aujourd’hui, jeudi 5 juillet 2001, la Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), composée des Juges Shahabuddeen (Président), Vohrah, Nieto-Navia, Wald et Pocar, a rendu son arrêt dans l’affaire Le Procureur c/ Goran Jelisic.

La majorité de la Chambre d’appel a estimé « que le renvoi de l’affaire pour un nouveau procès n’est pas approprié », et a refusé « d’infirmer l’acquittement. » La Chambre d’appel a confirmé « la peine de 40 années d’emprisonnement prononcée par la Chambre de première instance » le 14 décembre 1999 (voir le Communiqué de presse n° 454). Le Président de la Chambre d’appel, le Juge Mohamed Shahabuddeen, a lu le résumé suivant de l’arrêt en audience : « [C]e résumé ne reproduit pas tous les éléments de l’arrêt écrit », qui est « la seule version des conclusions et des motifs de la Chambre d’appel » faisant foi.

« La présente Chambre est saisie de deux appels : celui formé par l’Accusation et celui interjeté par Goran Jelisic. Le contexte est le suivant : Goran Jelisic a été accusé de génocide, de violations des lois ou coutumes de la guerre et de crimes contre l’humanité, pour des infractions commises en mai 1992 dans la municipalité de Brcko, au Nord-Est de la Bosnie-Herzégovine.

Lors de la phase préalable au procès, les parties sont parvenues à un accord sur les faits. Le 29 octobre 1998, Goran Jelisic a plaidé coupable de trente-et-un chefs d’accusation pour des violations des lois ou coutumes de la guerre et pour des crimes contre l’humanité ; il a plaidé non coupable du chef de génocide. Le procès qui s’est déroulé par la suite devant la Chambre de première instance ne concernait donc que le chef de génocide.

Le procès s’est ouvert le 30 novembre 1998 et l’Accusation a achevé la présentation de ses moyens le 22 septembre 1999. La Chambre de première instance a avisé les parties de son intention de délivrer un jugement en application de l’article 98 bis B) du Règlement, qui dispose : «Si la Chambre de première instance estime que les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à justifier une condamnation pour cette ou ces accusations, elle prononce l’acquittement, à la demande de l’accusé ou d’office». L’Accusation a déposé une requête pour que soit reportée la décision de la Chambre jusqu’à ce qu’elle ait eu la possibilité de présenter ses arguments.

Le 19 octobre 1999, la Chambre de première instance a rendu son jugement oralement. Le 14 décembre 1999, elle a présenté ses motifs par écrit, ainsi que son examen de la peine. Elle a conclu qu’il existait un lien indissociable entre la requête de l’Accusation aux fins d’être entendue et le jugement lui-même, et a rejeté ladite requête. Elle a déclaré Goran Jelisic coupable des chefs alléguant de violations des lois ou coutumes de la guerre et de crimes contre l’humanité, chefs pour lesquels il avait plaidé coupable. Une peine unique de 40 années d’emprisonnement a été prononcée. Par ailleurs, elle a acquitté Goran Jelisic du chef de génocide, en application de l’article 98 bis B) du Règlement.

Les deux parties ont interjeté appel : l’Accusation a fait appel de l’acquittement prononcé pour le chef de génocide ; et Goran Jelisic a formé un recours contre la peine infligée pour les chefs sous lesquels il avait plaidé coupable et contre le cumul de déclarations de culpabilité visées ci-dessous.

L’Accusation soulève trois moyens en appel. Le premier est le suivant :

1) La Chambre de première instance a commis une erreur de droit en ne donnant pas à l’Accusation la possibilité d’être entendue à propos d’une décision prononcée d’office en application de l’article 98 bis du Règlement.

Le deuxième moyen est le suivant :

2) La Chambre de première instance s’est fourvoyée, en droit, en adoptant la norme de la preuve «au-delà de toute doute raisonnable» pour déterminer si les éléments de preuve suffisaient à justifier une condamnation, au sens de l’article 98 bis du Règlement,.

3) Le troisième moyen de l’Accusation comporte deux volets. Tout d’abord, la Chambre d’appel a conclu à tort, en droit, l’intention requise pour le génocide au sens de l’article 4 du Statut correspond au critère du dol spécial, et non pas à une notion plus large d’intention générale. Deuxièmement, la Chambre de première instance a déclaré à tort, en droit et en fait, que les éléments de preuve n’établissaient pas, au-delà de tout doute raisonnable, qu’il existait un plan visant à détruire le groupe musulman, à Brcko ou ailleurs, et que les meurtres commis par Goran Jelisic venaient s’inscrire dans ce contexte ; la Chambre de première instance a également versé dans l’erreur, en droit et en fait, en déterminant que les actes de Goran Jelisic ne constituaient pas la manifestation physique d’une résolution de détruire, en tout ou en partie, un groupe en tant que tel, mais qu’il s’agissait de meurtres arbitraires imputables à des troubles de la personnalité.

L’Accusation a demandé que l’affaire soit renvoyée devant une Chambre de première instance, constituée différemment, pour un nouveau procès.

Goran Jelisic a soulevé les moyens d’appel suivants :

1) La Chambre de première instance a prononcé, à tort, des déclarations de culpabilité cumulées.

2) En fixant la peine, la Chambre de première instance a commis une erreur de fait dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

À l’appui de ce deuxième moyen d’appel, l’accusé a notamment présenté les arguments suivant :

· La Chambre de première instance, en prononçant la peine pour les chefs dont il a plaidé coupable, a erronément pris en compte les éléments de preuve à charge relatifs au génocide produits au procès,

· La Chambre de première instance a, à tort, cumulativement reconnu l’accusé coupable des chefs 16 et 17 (relatifs à la mort de deux frères) alors que l’acte d’accusation ne reprochait qu’un meurtre,

· L’absence d’échelle des peines reconnue,

· La Chambre de première instance n’a pas reconnu la sincérité du remords exprimé par l’accusé,

· La Chambre de première instance n’a pas pris en compte le fait que l’accusé n’était pas un supérieur hiérarchique,

· La Chambre de première instance n’a pas dûment tenu compte du rôle de l’accusé dans le contexte plus large du conflit en ex-Yougoslavie,

· La Chambre de première instance était tenue de prendre en compte la grille générale des peines d’emprisonnement telles qu’appliquées par les Tribunaux en ex-Yougoslavie, et ne l’a pas fait,

· La Chambre de première instance ne lui a pas su gré de son plaidoyer de culpabilité,

· La Chambre de première instance n’a pas tenu compte de sa coopération avec l’Accusation,

· La Chambre n’a pas dûment pris en compte son jeune âge.

L’accusé a demandé la réduction de sa peine. Concernant le cumul de déclarations de culpabilité, il a demandé l’annulation des déclarations de culpabilité prononcées pour ce qu’il a qualifié d’infraction moindre incluse dans l’autre.

Nous allons à présent exposer les conclusions de la Chambre d’appel.

Nous traiterons d’abord de l’appel interjeté par le Procureur. Pour ce qui est du premier moyen d’appel, la Chambre conclut que l’Accusation a un droit à être entendue sur la question de savoir si les éléments de preuve suffisent à justifier une déclaration de culpabilité. Le fait que la Chambre de première instance a le droit de se prononcer d’office, en application de l’article 98 bis B) du Règlement, ne l’exonère pas de l’obligation qui incombe à tout organe judiciaire, d’entendre d’abord la partie dont les droits peuvent être lésés par la décision.

Quant au deuxième moyen d’appel, la Chambre d’appel estime que la Chambre de première instance a commis une erreur dans son application du critère permettant de déterminer si les éléments de preuve à charge suffisent à justifier une déclaration de culpabilité. Le critère qu’il convient d’appliquer est celui de savoir s’il existe des moyens de preuve au vu desquels (s’ils sont admis) un juge du fond raisonnable pourrait être convaincu au-delà du toute raisonnable que l’accusé est coupable du chef d’accusation précis en cause.

S’agissant du premier volet du troisième moyen d’appel de l’Accusation, la Chambre conclut que l’intention nécessaire est celle de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, par l’un des actes prohibés énumérés à l’article 4 du Statut. Elle considère que c’est à cette intention que faisait référence la Chambre de première instance en parlant de dol spécial. La Chambre d’appel déclare en outre que l’existence d’un projet ou d’une politique n’est pas un élément constitutif du génocide, mais peut aider à le démontrer.

Concernant le deuxième volet du troisième moyen d’appel de l’Accusation, la Chambre estime que l’application erronée par la Chambre de première instance du critère de l’article 98 bis B) du Règlement a entraîné une appréciation incorrecte des éléments de preuve. Néanmoins, en l’espèce, la Chambre d’appel juge inapproprié d’infirmer l’acquittement et de renvoyer l’affaire devant une autre Chambre.

En ce qui concerne le premier moyen d’appel de l’intimé, la Chambre d’appel conclut que le cumul de déclarations de culpabilité en vertu des articles 3 et 5 du Statut est possible.

La Chambre d’appel en vient au deuxième moyen d’appel de l’intimé :

À propos des chefs d’accusation 16 et 17, l’intimé a plaidé coupable du meurtre d’un seul des frères Huso et Smajil Zahirovic. La Chambre de première instance a commis une erreur en le déclarant coupable de les avoir tués tous les deux. Cependant, vu que l’intimé a été convaincu de 12 meurtres, la Chambre d’appel estime que l’erreur susmentionnée n’influe pas sur la peine.

Quant à savoir si, comme le soutient l’intimé, la Chambre de première instance a commis une erreur d’appréciation en prononçant la peine, nous l’avons vu, plusieurs sous-moyens ont été soulevés. Les conclusions de la Chambre d’appel pour chaque sous-moyen ne seront pas abordées ici. Néanmoins, l’article 101 A) du Règlement dispose : «toute personne reconnue coupable par le Tribunal est passible de l’emprisonnement pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à vie». La Chambre de première instance peut donc prononcer l’emprisonnement à vie. Elle dispose également d’un large pouvoir d’appréciation pour décider de quels éléments tenir compte pour fixer la peine et du poids à leur accorder. Dans l’ensemble, la Chambre d’appel a conclu que l’intimé n’avait pas démontré que la Chambre avait commis une erreur d’appréciation.

Nous allons maintenant lire le dispositif.

DISPOSITIF

1) La Chambre d’appel, à l’unanimité, accueille le premier moyen d’appel de l’Accusation.

2) La majorité de la Chambre d’appel (avec opinion dissidente du juge Pocar) accueille le deuxième moyen de l’Accusation.

3) S’agissant du troisième moyen de l’Accusation,

i) la Chambre d’appel, à l’unanimité, rejette l’argument selon lequel la Chambre de première instance aurait commis une erreur de droit dans l’application de l’expression «dol spécial» ;

ii) la majorité de la Chambre d’appel (avec opinion dissidente du juge Pocar) accueille, pour le reste, ce troisième moyen.

4) Cependant, la majorité de la Chambre d’appel (avec opinion dissidente des juges Shahabuddeen et Wald) estime que dans les circonstances de l’espèce, le renvoi de l’affaire pour un nouveau procès n’est pas approprié, et refuse d’infirmer l’acquittement.

5) La Chambre d’appel, à l’unanimité, rejette le premier moyen soulevé par Goran Jelisic.

6) S’agissant du second moyen de Goran Jelisic, la Chambre d’appel, à l’unanimité,

i) conclut que la Chambre de première instance a reconnu, à tort, Goran Jelisic coupable de deux meurtres sous les chefs 16 et 17 du deuxième acte d’accusation modifié alors qu’en fait, il n’a plaidé coupable que de l’un de ces meurtres ;

ii) rejette, pour le reste, le second moyen de Goran Jelisic.

7) La Chambre d’appel, à l’unanimité, confirme la peine de 40 années d’emprisonnement prononcée par la Chambre de première instance.

8) En conformité avec l’article 103 C) du Règlement, Goran Jelisic restera détenu au Quartier pénitentiaire du Tribunal international jusqu’à ce que les modalités de son transfert dans l’État dans lequel il purgera sa peine soient finalisées. »

Le Juge Nieto-Navia a annexé une opinion individuelle alors que les Juges Shahabuddeen, Wald et Pocar ont annexé des opinions partiellement dissidentes.

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Des exemplaires de l’arrêt intégral en anglais seulement sont disponibles sur demande et sur le site Internet du Tribunal. Il est actuellement en cours de traduction et sera publié dans les meilleurs délais.


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