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Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Stanislav Galic L'accusé condamné à 20 ans d'emprisonnement

Communiqué de presse
CHAMBRES
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye,  5 décembre 2003
CC/P.I.S/ 807f


Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Stanislav Galic
L'accusé condamné à 20 ans d'emprisonnement

 

Veuillez trouver ci-dessous le résumé du jugement rendu par la Chambre de 1ère instance I Section B composée des Juges Alfons Orie (Président), El Mahdi et Nieto-Navia , tel que lu à l’audience de ce jour par le Juge Président:

RÉSUMÉ DU JUGEMENT

Introduction

La Chambre de première instance I du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie est réunie aujourd’hui pour rendre son jugement dans le procès du général Stanislav Galic.

Le général Galic est accusé d’avoir mené, de septembre 1992 à aoűt 1994, une campagne de tirs isolés et de bombardements contre la population civile de Sarajevo, tuant et blessant des civils dans le but principal de répandre la terreur parmi cette population.

Aux fins de la présente audience, la Chambre de première instance présente un bref exposé des motifs du jugement. Cela étant, seul fait autorité le texte écrit du jugement, dont des copies seront mises à la disposition des parties et du public à l’issue de l’audience.

La Chambre de première instance a rendu son jugement à la majorité de ses membres. Le juge Nieto-Navia présente une opinion partiellement dissidente, dont il exposera succinctement les raisons à la suite de notre exposé.

La majorité rend sa décision après s’être convaincue de la justesse de ses conclusions et avoir apprécié en toute impartialité les faits.

Les faits de l’espèce

Le procès de l’accusé porte sur des événements qui se sont produits à Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, et alentour. À l’époque des faits, une entité connue sous le nom de Republika Srpska s’est constituée sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. L’armée de Bosnie-Herzégovine et celle de la Republika Srpska étaient alors engagées dans un conflit armé.

L’armée de la Republika Srpska était connue sous le nom de VRS. En septembre 1992, une unité de la VRS appelée corps Romanija de Sarajevo, avait pratiquement encerclé Sarajevo.

Le général Galic a commandé le corps Romanija de Sarajevo pendant toute la période visée par l’acte d’accusation, c’est-à-dire de septembre 1992 à août 1994.

L’armée de Bosnie-Herzégovine, ou ABiH, contrôlait la plus grande partie de la ville de Sarajevo. Une ligne de front autour de Sarajevo séparait les belligérants.

Le Procureur avance que le général Galic est pénalement responsable de la campagne de tirs isolés et de bombardements menée par le corps Romanija de Sarajevo contre les civils dans les quartiers de Sarajevo contrôlés par l’ABiH. Cette campagne aurait fait un grand nombre de morts et de blessés parmi les civils. Selon le Procureur, il y avait donc violation du droit international humanitaire. Le principe de la distinction, qui fait partie intégrante de cette branche du droit, oblige les chefs militaires à opérer une distinction entre objectifs militaires et civils, et leur interdit en tout état de cause de s’en prendre aux civils.

Le Procureur affirme que l’accusé a ordonné les attaques contre les civils, ou qu’il n’a rien fait pour empêcher que des crimes soient commis par ses subordonnés ou en punir les auteurs. Le général Galic doit de ce fait répondre de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Il lui est également reproché d’avoir répandu la terreur. Tel aurait été du reste le but principal de ces attaques.

Nous tenons à préciser que l’acte d’accusation ne s’intéresse pas aux attaques militaires légitimes lancées par les forces placées sous le commandement de l’accusé, même si pareilles attaques ont pu accidentellement faire des victimes parmi les civils.

La Défense conteste ces allégations et soutient que le Procureur n’a pas établi que les pertes enregistrées parmi les civils étaient dues aux bombardements ou aux tirs aveugles ou délibérés du corps Romanija de Sarajevo.

La Défense fait valoir qu’il s’agit là de dommages collatéraux causés par des opérations militaires légitimes. Des erreurs de cible et des balles perdues ont également fait des victimes. Selon la Défense, certaines pertes auraient pu être causées par l’ABiH tirant sur ses propres compatriotes civils.

La Chambre de première instance a dû examiner une quantité importante de preuves testimoniales et documentaires. Au total, 171 témoins ont été entendus. Le nombre des pièces à conviction parmi lesquelles figuraient comptes rendus écrits, films, photographies, cartes et enregistrements sonores, s’est monté à 1268, auquel sont venus s’ajouter 15 rapports d’experts.

De nombreux témoins ont été victimes des attaques ou pris autrement sous les tirs isolés ou dans les bombardements. Parmi les témoins se trouvaient des membres du personnel militaire international stationné à Sarajevo ainsi que des membres des forces armées des parties au conflit. L’Accusation et la Défense ont cité divers témoins experts dans des disciplines allant de l’histoire à la balistique.

Lorsqu’elle a apprécié les éléments de preuve pour en tirer ses conclusions, la Chambre de première instance a tenu compte du fait qu’une partie au conflit — l’ABiH — se trouvait au contact immédiat de la population civile de Sarajevo, et que l’essentiel des combats avaient eu lieu en ville, dans un espace réduit où les cibles militaires n’étaient pas toujours clairement séparées des biens de caractère civil.

Les éléments de preuve établissent au-delà de tout doute raisonnable que les civils de Sarajevo ont effectivement été l’objet d’attaques délibérées de la part du corps Romanija de Sarajevo. La Chambre de première instance a entendu des témoins qui avaient subi de multiples attaques dans leurs quartiers. Ces témoins ont été attaqués alors qu’ils assistaient à des enterrements, circulaient à bord d’ambulances, de trams et d’autobus ou à bicyclette. Ils ont été attaqués pendant qu’ils s’occupaient de leurs jardins, qu’ils faisaient leur marché ou qu’ils procédaient à l’enlèvement des ordures en ville. Des enfants ont été pris pour cible alors qu’ils jouaient ou marchaient dans la rue.

Ces attaques, menées généralement de jour, ne répondaient à aucune menace militaire. Dans la plupart des cas, les assaillants pouvaient facilement constater que les victimes se livraient à leurs occupations de tous les jours.

La topographie de Sarajevo, avec ses hauteurs et ses gratte-ciel, offraient pour les hommes du corps Romanija de Sarajevo des positions stratégiques d’où ils pouvaient viser les civils de la ville. Certains lieux de Sarajevo sont devenus des repères notoires de tireurs embusqués. Par exemple, plusieurs témoins ont déclaré que l’artère principale de Sarajevo était surnommée « Sniper Alley » (avenue des tireurs embusqués).

Même si les civils se sont adaptés dans une certaine mesure aux attaques fréquentes en fermant les écoles, en sortant la nuit et en se cachant pendant la journée, en réduisant au minimum leurs déplacements à Sarajevo, et en dressant des conteneurs en acier pour se protéger contre les tirs isolés, ils n’étaient toujours pas en sécurité. Visibles, les civils étaient visés. Il n’existait guère de protection efficace contre les bombardements.

De nombreux témoins ont livré à la Chambre de première instance leurs impressions générales quant à la fréquence et l’évolution des bombardements et des tirs isolés pendant la longue période visée par l’acte d’accusation. D’autres témoins ont mis l’accent sur des faits précis qu’ils ont relatés à la Chambre de première instance, souvent par le menu.

Le Procureur a énuméré des cas de tirs isolés et des bombardements comme autant de manifestations de la campagne menée contre la population civile. La majorité des juges a estimé que le Procureur avait établi que 18 des 26 cas de tirs isolés retenus et les cinq bombardements énumérés constituaient une bonne illustration de cette campagne. Nous n’entrerons dans les détails si ce n’est pour citer, à titre d’exemple, deux cas de tirs isolés retenus par la Chambre de première instance et un bombardement retenu par la majorité.

Le premier cas de tir isolé que nous allons aborder a causé le 11 juillet 1993 la mort de Munira Zametica, une civile de 48 ans.

Munira Zametica était allée puiser de l’eau à la rivière Dobrinja. Elle est restée un certain temps sur la partie nord-ouest du pont, à l’abri des tirs isolés qui étaient incessants ce jour-là. La demi-douzaine de personnes qui se trouvaient à ses côtés hésitaient à s’approcher à découvert de la rive. Lorsque Munira Zametica s’est enfin décidée à s’approcher de la rive pour remplir son seau, elle a été atteinte par une balle. Les tirs se sont poursuivis. Les personnes présentes et la fille de Munira Zametica, arrivée dans l’intervalle, n’ont pu accourir auprès de la victime car le risque était trop grand. Munira Zametica gisait dans son sang, le visage dans l’eau. Elle a été finalement retirée de l’eau et transportée à l’hôpital où elle a succombé à ses blessures. La Chambre de première instance a conclu qu’elle avait été abattue délibérément par un tireur embusqué près de l’église orthodoxe de Dobrinja, réputée pour être l’une des positions de tir contrôlées par le corps Romanija de Sarajevo.

Autre cas de tir isolé. Par une après-midi ensoleillée de septembre 1993, Elma, une petite fille de huit ans, et sa mère se rendaient chez l’une des camarades de classe d’Elma pour chercher des livres scolaires. Le quartier était calme ce jour-là. Mère et fille, main dans la main, marchaient le long d’une rangée de conteneurs métalliques disposés là pour protéger la population des tireurs embusqués du corps Romanija de Sarajevo qui avaient pris position sur la colline de Hrasno. Il n’y avait ni soldat ni objectif militaire dans les abords immédiats. Lorsque Elma et sa mère ont dépassé les conteneurs, elles ont été atteintes par une balle. La même balle a traversé la hanche de la mère puis s’est logée dans l’abdomen de la fille. Les deux victimes se sont effondrées. Une deuxième balle les a frôlées. Aucun témoin de la scène n’a osé leur venir en aide. Mère et fille ont réussi en rampant à s’éloigner de cet endroit exposé. Elles sont restées deux semaines ou presque à l’hôpital. Les éléments de preuve établissent au-delà de tout doute raisonnable que les tirs provenaient des positions du corps Romanija de Sarajevo. C’est de là qu’Elma et sa mère ont été délibérément prises pour cible.

Nous allons maintenant présenter la constatation faite par la majorité à propos de l’un des bombardements énumérés. Le 5 février 1994, un obus de mortier est tombé sur le marché de Markale situé dans le centre de Sarajevo, tuant environ 60 personnes et en blessant plus d’une centaine. La Chambre de première instance a entendu des témoins relater dans le détail ce bombardement. Nous avons examiné les résultats des enquêtes effectuées à l’époque par le personnel des Nations Unies et par des enquêteurs locaux, ainsi que les analyses des experts cités tant par l’Accusation que par la Défense. Une série d’informations nouvelles ont été mises au jour. La Chambre a constaté à la majorité que l’obus de mortier qui a explosé sur le marché provenait d’un secteur contrôlé par le corps Romanija de Sarajevo. C’était une attaque meurtrière dirigée contre une population civile.

La majorité est en conséquence convaincue que les civils de Sarajevo ont été attaqués directement ou indistinctement depuis des secteurs contrôlés par le corps Romanija de Sarajevo. Le nombre exact des victimes civiles de ces attaques reste inconnu. Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’au cours de la période de deux ans couverte par l’acte d’accusation, des centaines de civils ont été tués et des milliers d’autres blessés par des tirs isolés et des bombardements. Seul un nombre infime de ces victimes ont pu être touchées accidentellement.

La majorité, estimant que les éléments de preuve montrent clairement que les civils ont été, à de très nombreuses reprises et pendant une longue période, délibérément visés par le corps Romanija de Sarajevo, est persuadée que ces attaques, loin d’être des cas isolés, s’inscrivaient dans le cadre d’une campagne généralisée ou systématique dirigée contre la population civile.

Les éléments de preuve, tels que la Chambre les comprend, non seulement établissent l’existence d’une campagne, mais révèlent aussi que le but principal de cette campagne était de semer la terreur parmi la population civile. Du strict point de vue militaire, cette campagne n’avait aucun sens. La fréquence des attaques a pu varier d’un jour à l’autre, mais leur but était de montrer qu’aucun civil de Sarajevo n’était en sécurité.

Il existe des témoignages, soigneusement analysés par la Chambre, selon lesquels l’ABiH a tenté de s’attirer la sympathie de la communauté internationale en montant régulièrement des attaques dirigées contre ses propres civils, sachant pertinemment qu’elles seraient mises sur le compte du corps Romanija de Sarajevo. La majorité n’accorde que peu de poids à ces témoignages. En tout état de cause, même si pareille manśuvre n’est pas à exclure, elle n’en modifie pas pour autant les conclusions de la majorité, concernant la partie responsable des multiples tirs isolés et bombardements visant des civils, et qui ont été examinés au cours de ce procès.

Qualification des crimes

L’Accusation reproche au général Galic d’avoir répandu la terreur parmi la population civile et d’avoir mené des attaques contre cette population. Ces deux infractions sont prohibées par l’article 51 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949. Ces accusations ont été portées sur la base de l’article 3 du Statut sous la qualification de violations des lois ou coutumes de la guerre.

De plus, l’accusé est mis en cause pour assassinat et autres actes inhumains sanctionnés en tant que crimes contre l’humanité par l’article 5 du Statut. (La notion juridique d’« autres actes inhumains » vise à couvrir les blessures non mortelles infligées aux civils au cours des attaques dont ils ont fait l’objet.)

La Chambre de première instance a estimé que le Tribunal international était effectivement compétent pour juger les attaques contre des civils, sanctionnées par l’article 3 du Statut. Non seulement ce crime est solidement ancré dans le droit international coutumier mais il trouve aussi, comme en l’espèce, son fondement dans le droit conventionnel, car les parties belligérantes étaient tenues, de par les conventions, de respecter le droit relatif à la conduite des hostilités dès lors qu’elles avaient signé un accord le 22 mai 1992. Dans cet accord étaient reproduites les interdictions figurant dans l’article 51 du Protocole additionnel I.

Dans le présent Jugement, la Chambre de première instance explique que l’attaque contre des civils consiste en des actes de violence dirigés délibérément contre la population civile ou contre des civils ne participant pas directement aux hostilités, et causant la mort de civils ou portant des atteintes graves à leur intégrité physique ou à leur santé.

S’agissant du fait de répandre la terreur, une violation des lois ou coutumes de la guerre, c’est la première fois que le Tribunal international doit se prononcer sur ses éléments matériels et moraux.

Pour les raisons exposées dans le présent Jugement, la majorité estime que le Tribunal international est compétent pour juger le crime de terrorisation, sanctionné par l’article 3 du Statut. Ce crime est prohibé par l’article 51 du Protocole additionnel I auquel l’accord du 22 mai 1992 déjà évoqué a donné effet.

Une large part du Jugement est consacrée à l’examen du crime de terrorisation. Qu’il suffise de dire ici que les éléments juridiques constitutifs de ce crime sont les mêmes que ceux de l’attaque contre des civils, mais qu’il s’y ajoute un élément moral supplémentaire.

Pour que l’accusé soit déclaré coupable de ce crime, il faut, en particulier, que l’Accusation prouve que le but principal de l’attaque menée contre des civils, pour laquelle la responsabilité de l’accusé a été établie, était de répandre la terreur parmi la population civile.

À la lumière des constatations exposées dans le Jugement, la majorité est convaincue que le but principal des attaques menées par les forces du corps Romanija de Sarajevo contre la population civile de Sarajevo était de répandre la terreur parmi ces civils.

La Chambre de première instance est convaincue que les attaques menées par le corps Romanija de Sarajevo peuvent également être qualifiées d’assassinats et d’actes inhumains au sens de l’article 5 du Statut, et donc de crimes contre l’humanité.

Responsabilité pénale du général Galic :

Nous allons à présent examiner si la responsabilité des crimes suivants : terrorisation, attaque contre des civils, assassinat et actes inhumains, doit être imputée à l’accusé.

La Chambre de première instance s’est demandée si le général Galic exerçait un contrôle effectif sur ses soldats et s’il avait connaissance des crimes commis par eux. Nous sommes convaincus, au vu des éléments de preuve, que la hiérarchie du corps Romanija de Sarajevo exerçait un contrôle sur les tirs isolés et les bombardements effectués par les soldats de ce corps. La Chambre est également convaincue qu’il était matériellement possible au général Galic de punir ceux qui auraient désobéi à ses ordres, enfreint la discipline militaire ou commis des crimes.

Il a donc été établi qu’en sa qualité de commandant du corps Romanija de Sarajevo, le général Galic exerçait un contrôle effectif sur les soldats du corps.

Tout porte à croire que le général Galic a été informé des attaques lancées contre les civils par les forces du corps Romanija de Sarajevo. Des plaintes en bonne et due forme lui ont été adressées et il a été dûment informé par sa hiérarchie des agissements des soldats du corps. Pour la Chambre de première instance, il ne fait aucun doute que l’accusé avait pleinement connaissance des agissements de ses soldats.

Du reste, la majorité est d’avis que le général Galic n’a pas été simplement tenu au courant des agissements de ses subordonnés. Il était en fait maître de la fréquence et de l’ampleur de leurs crimes. Ainsi, plusieurs témoins ont déclaré que les attaques menées par le corps Romanija de Sarajevo contre les civils étaient moins fréquentes lorsque le général Galic intervenait pour les faire cesser. Il ne s’agissait toutefois que d’un court répit et les attaques reprenaient de plus belle. Les forces du corps Romanija de Sarajevo opéraient comme le décidait leur chef compte tenu des circonstances.

La majorité est convaincue que les attaques généralisées menées par le corps de Romanija Sarajevo contre les civils de Sarajevo n’auraient pu être commises sans la volonté du chef du corps. Il apparaît clairement qu’en donnant des ordres et en recourant à d’autres moyens, notamment en apportant son aide et son soutien aux soldats, le général Galic a dirigé cette campagne d’attaques. Il l’a fait dans le but principal de répandre la terreur parmi la population civile de Sarajevo.

La gravité du crime dont le général Galic doit répondre tient à l’ampleur des attaques, à leur forme et à leur fréquence quasi-quotidienne, pendant de nombreux mois. À Sarajevo, des centaines de civils – des hommes et des femmes de tous âges, ainsi que des enfants – ont été tués, et des milliers ont été blessés au cours d’attaques lancées dans le but de terroriser l’ensemble de la population. La majorité tient compte des souffrances physiques et psychologiques endurées par ces civils tout au long des deux années couvertes par l’acte d’accusation.

En dernier lieu, la Chambre conclut, à la majorité, que les fonctions de chef de corps occupées par le général Galic dans la VRS, un poste de confiance et de responsabilité dont il n’a pas su se montrer digne, constituent une circonstance aggravante.

La Défense a avancé que l’ABiH elle-même avait commis des crimes contre des civils serbes et mené des opérations de combat en se servant de ses propres civils comme de boucliers humains. Même s’il existe des éléments de preuve en ce sens, les agissements répréhensibles de l’une des parties ne sauraient excuser les attaques menées par la partie adverse contre des civils dans le cadre d’une campagne prolongée de terreur.

Dispositif

GÉNÉRAL GALIĆ, veuillez vous lever,

Pour les motifs que nous venons brièvement d’exposer, et après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, ainsi que les arguments de l’Accusation et de la Défense, la Chambre de première instance, le Juge Nieto-Navia joignant une opinion dissidente, décide ce qui suit :

Général Galic, vous ętes reconnu COUPABLE des chefs suivants, en application de l’article 7 1) du Statut :

CHEF 1 : violations des lois ou coutumes de la guerre (actes de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile, énoncés à l’article 51 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949), sanctionnées par l’article 3 du Statut.

CHEF 2 : crimes contre l’humanité (assassinat), sanctionnés par l’article 5 a) du Statut.

CHEF 3 : crimes contre l’humanité (autres actes inhumains), sanctionnés par l’article 5 i) du Statut.

CHEF 5 : crimes contre l’humanité (assassinat), sanctionnés par l’article 5 a) du Statut.

CHEF 6 : crimes contre l’humanité (autres actes inhumains), sanctionnés par l’article 5 i) du Statut.

En accord avec la règle interdisant le cumul de déclarations de culpabilité et prévoyant que si l’un des crimes est sanctionné par une disposition plus spécifique que l’autre et si les deux infractions ont été prouvées, la déclaration de culpabilité se fondera sur la disposition la plus spécifique. L’accusé ayant été déclaré coupable du chef 1 – répandre la terreur –, les chefs 4 et 7 – chefs d’attaque contre des civils, une infraction incluse dans le crime de terrorisation – sont donc REJETÉS.

Général Galic, la Chambre de premičre instance, à sa majorité, vous CONDAMNE à une peine unique de 20 années d’emprisonnement. En application de l’article 101 C) du Règlement de procédure et de preuve, la durée de la période passée en détention sera déduite de la durée totale de la peine.

GÉNÉRAL GALIĆ, VEUILLEZ VOUS ASSEOIR.

Le Juge Nieto-Navia va à présent lire le résumé de son opinion dissidente.

Opinion individuelle et dissidente du Juge Nieto-Navia

Je regrette d’avoir à exprimer aujourd’hui mon désaccord sur beaucoup de constatations et de conclusions juridiques auxquelles est parvenue la majorité.

Le principe qui veut que le doute profite à l’accusé est l’un des principes fondamentaux du droit pénal que l’on peut retrouver tant dans les systèmes de droit internes et internationaux que dans la jurisprudence du Tribunal. Selon ce principe, l’Accusation doit établir, au-delà de tout doute raisonnable, un fait dans le but d’obtenir une déclaration de culpabilité. J’ai fait part à la majorité de mes préoccupations et de mes doutes quant à certains éléments de preuve présentés pour établir 8 des 23 cas de tirs isolés recensés dans les annexes de l’acte d’accusation, 3 des 5 cas de bombardements qui y étaient également recensés (y compris l’épisode de Markale que j’examine en détail dans mon opinion dissidente), ainsi que certains épisodes non mentionnés dans les annexes. J’estime que ces doutes sont raisonnables. J’escomptais que la Chambre de première instance, plurielle, reconnaîtrait qu’ils étaient suffisants pour conclure que l’Accusation n’était pas parvenue à prouver certaines de ses allégations au-delà de tout doute raisonnable. La majorité, n’a pas répondu à cette attente et je me vois donc forcé d’exprimer, à titre individuel, mon désaccord avec l’appréciation qu’elle porte sur les éléments de preuve.

L’Accusation a allégué que le corps Romanija de Sarajevo avait « mené une campagne prolongée de bombardements et de tirs [isolés] contre des zones civiles de Sarajevo et contre la population civile ». On pourrait s’attendre à ce qu’une armée ayant le niveau de compétence et de professionnalisme que l’Accusation prête au corps Romanija de Sarajevo, fasse un nombre élevé de victimes civiles, à la mesure de la population totale d’une ville, en menant pendant 23 mois une campagne dont le but était de prendre pour cible la population d’une ville de 340 000 habitants. Les résultats obtenus par les experts démographes de l’Accusation au terme d’une analyse approfondie, indiquent le contraire. En outre, le nombre mensuel des victimes civiles a nettement baissé durant les 23 mois couverts par l’acte d’accusation. Ces éléments me portent à conclure que les forces du corps Romanija de Sarajevo placées sous le commandement du général Galic n’ont pas mené de campagne dans le but de prendre pour cible la population civile de Sarajevo pendant la période couverte par l’acte d’accusation. Cette conclusion va dans le męme sens que les témoignages concernant l’attitude des chefs du corps Romanija de Sarajevo qui ont librement renoncé au contrôle de l’aéroport, accepté l’ouverture d’« itinéraires bleus » pour permettre la distribution de l’aide humanitaire et la circulation en toute sécurité des civils à l’intérieur et à l’extérieur de la ville, et qui ont également négocié des accords, sous l’égide de l’ONU, pour faire cesser les tirs isolés et accepté la mise en place d’une zone d’exclusion totale.

Je vais à présent examiner des questions relatives au droit applicable et aux conclusions. La majorité est parvenue à la conclusion que la terrorisation de la population civile constituait un crime qui était de sa compétence. Lorsqu’il a proposé la création de ce Tribunal, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a expliqué que l’application du principe de légalité, principe de droit pénal, exigeait que le Tribunal international applique des règles qui font partie sans aucun doute possible du droit coutumier. Il est bien établi dans la jurisprudence du Tribunal que ce principe exige d’une Chambre de première instance qu’elle vérifie qu’une infraction alléguée dans l’acte d’accusation trouve bien sa sanction dans le droit international coutumier. Pour la première fois dans l’histoire de ce Tribunal, une Chambre de première instance a dû déterminer si la terrorisation d’une population civile constitue un crime relevant de sa compétence. Je m’attendais donc à ce que la présente Chambre confirme qu’une telle infraction existe comme forme de responsabilité en droit international coutumier et engage la responsabilité pénale individuelle dans cette branche du droit. La Chambre, à la majorité, n’en a rien fait ; elle a mis en avant un argument fondé sur le droit conventionnel pour conclure qu’elle pouvait connaître de cette infraction. À mon sens, une telle approche ne satisfait pas aux conditions requises pour que s’exerce la compétence du Tribunal. Je n’ai pas connaissance d’une pratique établie des États concernant l’incrimination d’une telle infraction qui suffirait à prouver son caractère coutumier. J’en conclus donc que la présente Chambre de première instance n’est pas compétente pour juger l’infraction consistant à répandre la terreur parmi une population civile. En parvenant à une conclusion différente, sans établir au préalable que cette infraction engageait la responsabilité pénale individuelle en droit international coutumier, ni même en droit conventionnel qu’elle a pourtant invoqué, la majorité promeut une conception du droit international humanitaire que je ne partage pas.

La majorité conclut également que le général Galic a délibérément donné l’ordre à ses troupes d’attaquer la population civile de Sarajevo, et le déclare pénalement responsable en application de l’article 7 1) du Statut. Toutefois, cette conclusion repose entièrement sur une série de déductions : en effet, aucun témoin n’a déclaré avoir entendu le général Galic donner des ordres en ce sens, et aucun ordre écrit tendant à indiquer qu’il avait donné de telles consignes à ses troupes n’a été présenté à la Chambre. De nombreux éléments établissent explicitement le contraire : les ordres écrits signés par le général Galic enjoignant à ses troupes de respecter les Conventions de Genève et autres instruments du droit international humanitaire ; les témoignages de 16 soldats et officiers du corps Romanija de Sarajevo postés dans toute la ville de Sarajevo pendant la période visée par l’acte d’accusation, lesquels témoignages confirment qu’ils avaient l’ordre de ne pas s’en prendre aux civils ; et d’autres documents écrits indiquant que le général Galic avait ouvert des enquętes internes lorsque des représentants de l’ONU avaient attiré son attention sur d’éventuelles attaques lancées par ses troupes contre des civils. Sur la base des éléments de preuve disponibles, j’estime que le dossier de première instance n’établit pas au-delà de tout doute raisonnable que le général Galic a donné l’ordre d’attaquer la population civile, et je suis en désaccord avec la conclusion de la majorité sur ce point.

Malgré ces désaccords, je m’associe à la conclusion de la majorité, selon laquelle l’Accusation a établi que, dans un certain nombre de cas, les hommes du corps Romanija de Sarajevo ont tiré délibérément ou dans une indifférence totale aux conséquences de leurs actes sur des civils de Sarajevo pendant la période visée par l’acte d’accusation : ce faisant, ils ont commis le crime de s’attaquer à des civils, des meurtres et des actes inhumains. Je note également que les éléments de preuve présentés au procès établissent que le général Galic, en tant que commandant du corps Romanija de Sarajevo, savait ou avait des raisons de savoir que ces actes avaient été commis, mais qu’il n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empęcher que lesdits actes soient commis ou en punir les auteurs. En conséquence, je conclus que le général Galic s’est rendu coupable d’attaques illégales contre des civils, de meurtres et d’actes inhumains au regard de l’article 7 3) du Statut.

À la lumière de cette conclusion, je condamnerais le général Galic à une peine de 10 ans d’emprisonnement.

LA SÉANCE EST LEVÉE.

Le texte intégral du Jugement (en anglais seulement, provisoirement) est disponible sur demande aux Services d’Information ainsi que sur le site Internet du Tribunal.


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