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Jugement dans l’affaire le procureur contre Radoslav Brdjanin L’accusé condamné à 32 ans d’emprisonnement

Communiqué de presse
CHAMBRE DE 1ERE INSTANCE
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 1er septembre 2004 
KR/S.I.P./888-F


Jugement dans l’affaire le procureur contre  Radoslav  Brdjanin 
L’accusé condamné à 32 ans d’emprisonnement

 

Veuillez trouver ci-dessous le résumé du Jugement rendu par la Chambre de 1ère instance II, composée des Juges Agius (Président), Janů et Taya, tel que lu à l’audience de ce jour par le Juge Président :

I. Introduction

La Chambre de première instance II du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie est réunie aujourd’hui pour rendre son jugement dans l’affaire Le Procureur c/ Radoslav Brdjanin.

L’Accusé avait à répondre de génocide, de complicité de génocide, d’infractions graves aux Conventions de Genève, de violations des lois ou coutumes de la guerre et de crimes contre l’humanité commis dans treize municipalités de Bosanska Krajina entre le 1er avril 1992 et le 31 décembre 1992. Le territoire visé par l’acte d’accusation en l’espèce comprend les municipalités de Banja Luka, Bosanska Krupa, Bosanski Novi, Bosanski Petrovac, Celinac, Donji Vakuf, Kljuc, Kotor Varos, Prijedor, Prnjavor, Sanski Most, Sipovo et Teslic.

Le procès intenté à l’Accusé concernait douze chefs d’accusation, à savoir :

Génocide (chef 1) et complicité de génocide (chef 2), pour avoir participé à une campagne visant à détruire en tout ou en partie les Musulmans et les Croates de Bosnie en tant que groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux, comme tels, dans les municipalités de la Région autonome de Krajina (la « RAK »);

Persécutions, un crime contre l’humanité (chef 3), pour avoir exposé les populations musulmane et croate de Bosnie à des meurtres, actes de torture et mauvais traitements, pour leur avoir nié leurs droits fondamentaux, pour les avoir expulsées ou transférées par la force, pour la destruction, l’endommagement délibéré et le pillage de biens dans des zones peuplées majoritairement de Musulmans et de Croates de Bosnie, ainsi que pour la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices religieux et culturels des Musulmans et des Croates de Bosnie;

Extermination, un crime contre l’humanité (chef 4), et homicide intentionnel, une infraction grave aux Conventions de Genève de 1949 (chef 5), pour avoir participé à une campagne, dont l’objectif était d’exterminer des membres des populations musulmane et croate de Bosnie sur le territoire de la RAK en tuant un nombre important de Musulmans et de Croates de Bosnie dans des zones non serbes, des camps et autres centres de détention, ainsi que pendant les expulsions ou transferts forcés;

Torture, un crime contre l’humanité (chef 6) et une infraction grave aux Conventions de Genève de 1949 (chef 7), pour avoir infligé de grandes douleurs ou souffrances à des Musulmans et des Croates de Bosnie, qui ont été soumis à des traitements inhumains, notamment des violences sexuelles, viols, sévices corporels graves et autres formes de mauvais traitements graves perpétrés en différents lieux;

Expulsion, un crime contre l’humanité (chef 8), et actes inhumains (transfert forcé), un crime

contre l’humanité (chef 9), pour l’expulsion ou le transfert forcé de Musulmans et de Croates de Bosnie se trouvant sur le territoire de la RAK vers des zones sous le contrôle du gouvernement légitime de Bosnie-Herzégovine et vers la Croatie;

Destruction et appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire, une infraction grave aux Conventions de Genève de 1949 (chef 10);

Destruction sans motif d’agglomérations, de villes et de villages ou dévastations que ne justifient pas les exigences militaires, une violation des lois ou coutumes de la guerre (chef 11);

Destruction ou endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, une violation des lois ou coutumes de la guerre (chef 12).

L’Accusation, sans alléguer que l’Accusé ait physiquement commis l’un quelconque des crimes qui lui sont imputés, a soutenu en revanche que sa responsabilité individuelle pénale était engagée au regard de l’article 7 1) du Statut pour avoir participé à une entreprise criminelle commune, dont le but était de chasser définitivement et par la force les habitants musulmans et croates de Bosnie du territoire de l’État serbe prévu, en commettant pour ce faire les crimes rapportés aux chefs 1 à 12. Subsidiairement, l’Accusation a avancé que l’Accusé était individuellement pénalement responsable des crimes reprochés en raison de sa participation à une forme élargie d’entreprise criminelle commune, dont le but était de commettre les crimes d’expulsion et de transfert forcé, les autres crimes visés par l’acte d’accusation ayant été la conséquence naturelle et prévisible de ces crimes.

L’Accusé était en outre poursuivi sur la base de l’article 7 1) du Statut pour avoir planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter les crimes reprochés, et sur la base de l’article 7 3) du Statut, pour les crimes commis par ses subordonnés pendant qu’il était leur supérieur hiérarchique.

Tout au long du procès, qui s’est ouvert le 23 janvier 2002 et a pris fin le 22 avril 2004, la Chambre de première instance s’est vue présenter de nombreux éléments de preuve, sous forme de témoignages ou de documents. Au cours des 284 jours qu’a duré le procès, elle a entendu 135 témoins à charge et 19 témoins à décharge. L’Accusation a également demandé le versement au dossier de 104 déclarations de témoins en application de l’article 92 bis du Règlement. La Chambre de première instance, quant à elle, a cité d’office un témoin à comparaître en application de l’article 98 du Règlement. Au total, 2736 pièces à conviction ont été admises pour le compte de l’Accusation, et 314 pour celui de la Défense. Le dossier de première instance en l’espèce totalise plus de 61 000 pages.

Aux fins de la présente audience, nous allons brièvement exposer les conclusions de la Chambre de première instance, ainsi que ses motifs. Nous tenons néanmoins à souligner qu’il ne s’agit que d’un résumé du jugement, dont il ne fait en aucune manière partie intégrante. Les seules conclusions de la Chambre de première instance faisant autorité figurent dans le texte écrit du jugement, qui sera mis à la disposition des parties et du public à l’issue de l’audience d’aujourd’hui.

II. Les faits

Le Plan stratégique et sa mise en śuvre

La mort du maréchal Tito et la désintégration de la Ligue des communistes en janvier 1990 ont conduit à l’émergence de partis nationalistes sur tout le territoire de l’ex-Yougoslavie. Les premières élections pluripartites se sont tenues en novembre 1990 en Bosnie-Herzégovine. Le SDA (Parti de l’action démocratique des Musulmans de Bosnie), le HDZ (Union démocratique croate) et le SDS (Parti démocratique serbe) ont remporté à cette occasion une victoire écrasante.

L’éclatement de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (la « RSFY »), et en particulier la sécession de la Slovénie et de la Croatie, ont eu des répercussions importantes sur la situation sociopolitique en Bosnie-Herzégovine. Dès la fin de l’été 1991, nombreux sont les hommes en âge de porter les armes qui ont été mobilisés en Bosnie-Herzégovine en vue de rejoindre les rangs de l’armée et de combattre en Croatie. De nombreux Serbes de Bosnie ont répondu à l’appel. Les Musulmans et les Croates de Bosnie, avec le soutien de leurs dirigeants respectifs, n’y ont, pour la plupart, pas répondu, ce qui a accru les tensions entre les communautés ethniques, notamment en Bosanska Krajina, région limitrophe de la Croatie.

L’angoisse et la peur ressenties par la population de Bosanska Krajina étaient également nourries par le comportement menaçant des soldats qui revenaient du front de Croatie, ainsi que par l’afflux de nombreux réfugiés serbes de Croatie, dont l’arrivée a provoqué de graves problèmes de logement. Le conflit en Slovénie et en Croatie a eu par ailleurs des conséquences désastreuses sur l’économie de la Bosnie-Herzégovine. La libre circulation des biens entre les républiques a été interrompue et l’ensemble du territoire de la RSFY a connu une inflation galopante.

Dans ce climat de tension, les trois grands partis nationalistes, qui avaient chacun leur propre programme national et défendaient des intérêts divergents, n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente et ont emprunté des chemins opposés. Leur principal point de désaccord portait sur la question du statut constitutionnel de la Bosnie-Herzégovine. Alors que le SDA et le HDZ, après les déclarations d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie, prônaient la sécession de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine de la RSFY, le SDS, pour sa part, défendait fermement l’intégrité de la Yougoslavie en tant qu’État afin de garantir que les Serbes continuent de vivre ensemble au sein d’un même État et ne deviennent pas une minorité dans un État bosniaque indépendant.

Au cours du deuxième semestre de 1991, le maintien de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine au sein de la RSFY est apparu de plus en plus improbable. La Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que durant cette période, les dirigeants serbes de Bosnie, y compris les membres du Comité central et d’autres membres éminents du SDS, ainsi que des représentants serbes de Bosnie des forces armées, ont conçu un plan visant à relier entre elles les zones peuplées de Serbes en Bosnie-Herzégovine, à prendre le contrôle de ces zones et à créer un État serbe de Bosnie distinct dont la plupart des non-Serbes seraient définitivement chassés (le « Plan stratégique »). Les dirigeants serbes de Bosnie savaient que le Plan stratégique ne pouvait être mis en śuvre que par la force et la peur.

Le 19 décembre 1991, le comité central du SDS promulgua un document intitulé « Instructions relatives à l’organisation et à l’activité des institutions du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine dans des circonstances exceptionnelles » (« variantes A et B »). Ces instructions prévoyaient les actions à mener dans toutes les municipalités où vivaient des Serbes, ainsi que les modalités de la prise du pouvoir par les Serbes de Bosnie dans les municipalités où ils constituaient une majorité de la population (« variante A ») et dans celles où ils étaient minoritaires (« variante B »).

Le 9 janvier 1992, l’Assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine nouvellement établie a adopté une déclaration de proclamation de la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Le territoire de cette république comprenait les entités appelées régions et districts autonomes serbes, notamment la RAK. Lors de la 16ème séance de l’Assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine tenue le 12 mai 1992, alors que le conflit armé avait déjà éclaté, Radovan Karadzic a énoncé les six objectifs stratégiques du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine. Le premier de ces objectifs, et le plus lourd de conséquences, était la « séparation d’avec les deux autres communautés nationales - une séparation des États ». En fait, ces objectifs stratégiques constituaient un plan visant à prendre le contrôle de certains territoires, à établir un État serbe de Bosnie, à défendre des frontières dont le tracé était défini et à séparer les communautés ethniques de Bosnie-Herzégovine en chassant par la force et de façon définitive la plupart des non-Serbes du territoire de l’État serbe de Bosnie ainsi proclamé. Le général de division Ratko Mladic, commandant de l’Armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine nouvellement formée (la « VRS ») a accepté que la VRS soit l’instrument de la réalisation de ces objectifs stratégiques politiques, qu’il a, effectivement, traduits en priorités opérationnelles de la VRS.

La mise en śuvre du Plan stratégique s’est faite en plusieurs étapes, de sorte que la Chambre de première instance a pu clairement constater un comportement criminel récurrent de la part de ceux qui en étaient chargés dans les municipalités concernées.

Avant même l’éclatement du conflit armé, le SDS s’est livré à une guerre de propagande dont les conséquences ont été désastreuses pour toutes les communautés ethniques, instillant la peur et la haine de l’autre et incitant la population serbe de Bosnie, en particulier, à s’élever contre les autres communautés ethniques. En peu de temps, des personnes qui jusqu’alors avaient cohabité en paix sont devenues des ennemis et nombre d’entre elles, essentiellement des Serbes de Bosnie dans le présente affaire, sont devenues des tueurs, influencés par des médias qui, à l’époque, étaient déjà contrôlés par les dirigeants serbes de Bosnie. Le recours à la propagande, qui faisait partie intégrante de la mise en śuvre du Plan stratégique, a instauré un climat dans lequel on était prêt à tolérer que des crimes soient commis et à en commettre soi-même.

L’un des autres aspects de la mise en śuvre du Plan stratégique a été le licenciement de Musulmans et de Croates de Bosnie occupant des postes clefs au sein de l’armée, de la police et d’autres institutions ou entreprises publiques. Cette pratique, qui s’était déjà amorcée à l’époque de la guerre en Croatie, lorsque le refus des non-Serbes de répondre à l’appel de mobilisation avait provoqué leur renvoi, s’est intensifiée durant la période couverte par l’acte d’accusation et a donné lieu au renvoi de presque tous les Musulmans et Croates de Bosnie des postes qu’ils occupaient, les privant ainsi de tout moyen de subsistance.

Les autorités serbes de Bosnie ont exercé en outre de fortes pressions sur les Musulmans et les Croates de Bosnie, et ce de manière organisée, afin de les contraindre à quitter la région. Les non-Serbes ne bénéficiaient pas du même niveau d’attention ni de la même qualité de soins médicaux dans les hôpitaux que les Serbes de Bosnie. Leur liberté de circulation était considérablement restreinte par la mise en place de postes de contrôle et de couvre-feux, mesures qui ne frappaient aucunement les Serbes de Bosnie. Ils n’étaient pas non plus protégés contre les actes de harcèlement et les abus commis par des Serbes de Bosnie armés. Les Musulmans et les Croates de Bosnie étaient opprimés et soumis à des pressions à un point tel que le fait de vivre en Bosanska Krajina leur est devenu insupportable.

Fin 1991 et début 1992, les trois grands partis nationaux ont commencé à s’armer. Les éléments de preuve en l’espèce révèlent que le SDS recevait un soutien considérable de la part de l’armée, qui a systématiquement fourni des armes légères aux comités locaux du SDS dans les municipalités de Bosanska Krajina revendiquées par les Serbes de Bosnie et aux groupes paramilitaires serbes. La distribution d’armes aux civils serbes de Bosnie a été effectuée par les communautés locales sous la surveillance du SDS et avec le soutien de l’armée et de la police locale. Ces armes ont été distribuées sans tenir compte de l’identité de ceux à qui elles étaient remises ni de l’utilisation qui pourrait en être faite. Les Musulmans et les Croates de Bosnie, qui se préparaient eux aussi à la guerre, se sont armés en conséquence. Toutefois, les efforts qu’ils ont déployés pour se procurer des armes et les distribuer s’ont loin d’avoir été aussi intenses que ceux des Serbes de Bosnie, que ce soit en termes de quantité ou de qualité des armes obtenues.

Alors que les opérations d’armement suivaient leur cours, des annonces ont été diffusées par les médias disant que les armes détenues illégalement devaient être remises aux états-majors de la Défense territoriale (la « TO ») ou à la police locale dans des délais fixés. Ces annonces, dont certaines étaient formulées en des termes neutres, invitant tous les groupes paramilitaires et les membres de toutes les communautés ethniques, à remettre les armes qu’ils détenaient illégalement, étaient en pratique suivies de mesures appliquées par les forces de la police et de l’armée sous contrôle serbe de manière discriminatoire, puisqu’elles ont visé exclusivement les non-Serbes. Dans la pratique, les non Serbes se sont vus également confisquer les armes qu’ils détenaient légalement. Le désarmement sélectif des non-Serbes a créé un déséquilibre des forces qui les a rendus totalement vulnérables et les a empêchés d’opposer une résistance efficace ou simplement de se défendre.

Au printemps 1992, un certain nombre de groupes paramilitaires serbes avaient vu le jour en Bosnie-Herzégovine ou étaient arrivés de Serbie. Certains de ces groupes étaient entraînés et équipés par l’armée et avaient des liens étroits avec celle-ci ou avec le SDS. Les groupes paramilitaires ont instauré un climat de peur et de terreur en commettant des crimes contre les Musulmans et les Croates de Bosnie, notamment des viols, des meurtres, des actes de pillage et de destruction de leurs biens. Ils tiraient profit de la guerre à des fins d’enrichissement personnel et se livraient à des rapines. Certains groupes paramilitaires serbes ont également participé à des opérations de combat menées par le 1er Corps de Krajina de la VRS sur le territoire de la RAK, et, à partir de la mi-juin 1992, ont été officiellement intégrés à la structure de la VRS, dont ils recevaient leurs ordres. La Chambre de première instance est convaincue que l’armée et le SDS se sont servis des groupes paramilitaires comme d’un outil crucial leur permettant d’exécuter le Plan stratégique.

Lorsque le conflit armé a éclaté en Bosnie-Herzégovine en avril 1992, les crimes commis à l’encontre de la population civile non serbe de Bosanska Krajina se sont multipliés. Ces crimes ont été le fruit d’une coopération étroite entre la police serbe de Bosnie, l’armée et les groupes paramilitaires serbes. Ces agissements criminels récurrents et manifestes permettent d’aboutir à une seule conclusion raisonnable, à savoir qu’ils ont été commis dans le but de mettre en śuvre le Plan stratégique conçu par les dirigeants serbes de Bosnie pour prendre le contrôle des territoires revendiqués en vue de la création d’un État serbe en Bosnie-Herzégovine et chasser définitivement la plupart des non-Serbes de ces territoires.

Les forces serbes de Bosnie ont attaqué des villes, des villages et des quartiers non serbes situés dans les treize municipalités visées dans l’acte d’accusation. Ces attaques ont pour la plupart été lancées après l’expiration du délai fixé aux non-Serbes pour la remise de leurs armes. Il est arrivé parfois que des incidents provoqués par des non-Serbes servent de prétexte. Les attaques commençaient par un pilonnage à l’arme lourde. Les villages et quartiers musulmans étaient pris pour cibles, et les édifices consacrés à la religion étaient pilonnés à l’aveugle, ce qui provoquait des dégâts considérables et faisait des victimes civiles. La plupart des rescapés s’enfuyaient et cherchaient refuge dans les régions avoisinantes. Une fois le pilonnage terminé, des soldats armés pénétraient dans les villages, pillaient et incendiaient les maisons, et expulsaient ou tuaient certains des villageois restés sur place. Parfois, des femmes étaient violées.

Généralement, les Musulmans et les Croates de Bosnie vivant dans les villes, villages et quartiers pris pour cibles n’étaient pas en mesure d’opposer une résistance efficace à ces attaques armées. Ils n’étaient pas correctement organisés et n’avaient pas assez d’armes pour se défendre.

Au cours du printemps et de l’été 1992, les forces serbes de Bosnie ont commis des meurtres à grande échelle sur tout le territoire de la RAK. Le jugement brosse un tableau d’ensemble de ces événements et nous nous contenterons ici de trois exemples :

Le 31 mai 1992, des soldats serbes de Bosnie ont pénétré dans le hameau musulman de Begici, situé dans la municipalité de Sanski Most, et ont rassemblé les habitants. Les hommes ont été séparés des femmes et des enfants. Entre 20 et 30 hommes ont été conduits vers le pont de Vrhpolje oů ils devaient embarquer à bord d’autocars. Quatre hommes musulmans de Bosnie ont été tués par Jadranko Palija alors qu’ils se dirigeaient vers le pont. À leur arrivée sur le pont, les autres hommes ont reçu l’ordre d’enlever leurs vêtements et de se mettre en rang. De nombreux soldats serbes de Bosnie vêtus d’uniformes différents étaient présents. L’un d’entre eux a déclaré que 70 Musulmans de Bosnie devaient être tués pour venger la mort de sept soldats serbes de Bosnie dans la région. Les hommes musulmans de Bosnie ont alors reçu l’ordre de sauter du pont dans la rivière Sana, l’un après l’autre. Quand ces hommes se sont trouvés dans l’eau, les soldats leur ont tiré dessus. Rajif Begic a survécu après avoir nagé sous l’eau, suivant le courant sur une centaine de mètres. De l’endroit où il s’est caché, il a pu voir les exécutions commises depuis le pont. La Chambre de première instance a estimé qu’au moins 28 personnes avaient été tuées lors de ce massacre.

Le 1er juin 1992, une centaine d’habitants de différents hameaux de la municipalité de Kljuc ont été placés en détention dans l’ancienne école primaire de Velagici. Des soldats et des policiers serbes de Bosnie étaient présents. Peu avant minuit, certains détenus ont été conduits dehors et sommés de s’aligner devant le bâtiment. Deux soldats serbes de Bosnie munis de fusils automatiques ont ouvert le feu sur eux. Les soldats ont continué à tirer jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucun homme debout. Ils ont ensuite tiré sur ceux qui avaient l’air d’être encore en vie. Il n’y a eu qu’un seul survivant. La Chambre de première instance est convaincue que 77 civils au moins ont été tués lors de ce massacre.

Le 21 août 1992, quatre autocars qui transportaient uniquement des hommes sont partis du camp de Trnopolje. Arrivés à un carrefour situé non loin de Kozarac, les autocars de Trnopolje ont été rejoints par d’autres autocars remplis de prisonniers venus de Tukovi. Le convoi était escorté par des membres d’une unité spéciale de la police du SJB de Prijedor. En fin d’après-midi, juste avant d’atteindre la ligne de démarcation séparant les territoires contrôlés par les Serbes de Bosnie de ceux contrôlés par les Musulmans de Bosnie, peu après Skender Vakuf et non loin du mont Vlasic, deux des autocars transportant chacun une centaine de passagers, se sont arrętés. À cet endroit, la route est bordée d’un côté par un ravin, de l’autre par la montagne. Ce lieu est connu sous le nom de Koricanske Stijene. Les hommes sont descendus des cars et ont été emmenés en colonne au bord du précipice où ils ont été sommés de s’agenouiller. Le responsable, un policier, a déclaré : « C’est ici que nous allons échanger les morts contre les morts et les vivants contre les vivants ». Avant d’être exécutées, les victimes ont imploré leurs bourreaux de les épargner. Puis, la fusillade a commencé. Certains cadavres sont tombés directement dans le ravin tandis que d’autres étaient poussés dans le précipice par des prisonniers musulmans avant que ceux-ci ne soient eux-mêmes exécutés. Des grenades ont été lancées dans le ravin pour s’assurer qu’il n’y aurait aucun survivant. L’ensemble de l’opération n’a pas pris plus d’une demi-heure. La Chambre de première instance est convaincue que deux cents hommes, au moins, ont été tués ce jour-là à Koricanske Stijene.

Au printemps de 1992, des camps et d’autres lieux de détention ont été aménagés dans des casernes, des bâtiments militaires, des usines, des écoles, des complexes sportifs, des postes de police et d’autres édifices publics sur l’ensemble du territoire de la Bosanska Krajina. Ces camps et autres lieux de détention ont été créés et contrôlés par les autorités militaires, policières ou civiles serbes de Bosnie. Des civils non serbes ont été arrêtés en masse, puis détenus dans ces camps et autres lieux. Par exemple, dans la municipalité de Prijedor, à la suite des attaques lancées contre des villages non serbes par les forces armées serbes de Bosnie, les femmes et les enfants ont été séparés des hommes qui ont tous été emmenés en autocar à Trnopolje, Omarska ou Keraterm. Si des membres éminents du SDA et du HDZ ont été parmi les premiers à être arrêtés, la majorité écrasante des personnes arrêtées l’ont été uniquement en raison de leur origine ethnique. Les conditions de vie dans les camps et dans certains lieux de détention étaient particulièrement effroyables. Les détenus y étaient interrogés, torturés, battus et devaient endurer des conditions de vie inhumaines et dégradantes. Il arrivait régulièrement que des femmes soient violées et les meurtres étaient monnaie courante. Le paroxysme de ces atrocités dans les camps a été atteint avec le « Massacre de la Pièce 3 », perpétré au camp de Keraterm par des membres des forces armées serbes de Bosnie, lors duquel au moins 190 Musulmans de Bosnie, originaires de la région de Brdo dans la municipalité de Prijedor, ont été assassinés.

Avant même l’éclatement du conflit armé en Bosnie-Herzégovine, les Musulmans et les Croates de Bosanska Krajina éprouvaient un sentiment croissant d’insécurité et commençaient à quitter la région en se regroupant en convois. Au fil des événements survenant en Bosanska Krajina, et à partir du printemps de 1992, les autorités serbes de Bosnie ont mené une politique active d’expulsions et de répressions systématiques des Musulmans et des Croates de Bosnie dans toute la Bosanska Krajina. Les autorités serbes de Bosnie ont organisé des convois d’autocars et de trains pour conduire des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants hors des territoires revendiqués par les Serbes de Bosnie, soit vers des territoires contrôlés par les Musulmans de Bosnie en Bosnie-Herzégovine, soit vers la Croatie. Le 12 juin 1992, le Bureau chargé des mouvements de population et des échanges de biens a été créé à Banja Luka, contribuant ainsi à la mise en śuvre de la politique de « nettoyage ethnique ». La population non serbe a souvent cherché à partir et a demandé l’organisation de convois qui ont ensuite été mis sur pied par les autorités serbes de Bosnie. Ces civils ne sont cependant pas partis de leur plein gré ; ils ont, au contraire, été contraints de le faire en raison des conditions de vie qui leur étaient imposées. En outre, les autorités serbes de Bosnie ont forcé nombre de ces personnes, avant de partir, à signer des documents par lesquels elles renonçaient à tous leurs biens au profit de la République serbe de Bosnie-Herzégovine. La Chambre de première instance est convaincue que le but de cette mesure était de dissuader les Musulmans et les Croates de Bosnie qui partaient de revenir un jour dans la région. Dans le même temps, les régions du nord de la Bosnie ayant fait l’objet d’un nettoyage ethnique, qui avaient été vidées de leurs habitants musulmans et croates de Bosnie et qui n’avaient pas été détruites, ont été repeuplées grâce à l’installation des réfugiés serbes venus de Croatie.

La Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que les crimes commis en Bosanska Krajina du mois d’avril 1992 à la fin du mois de décembre 1992 ont directement résulté du Plan stratégique d’ensemble. Le nettoyage ethnique n’était pas un simple sous-produit des activités criminelles, il en était l’objectif essentiel. Les conditions de vie imposées à la population non serbe de Bosanska Krajina, ainsi que les opérations militaires dirigées contre des villes et des villages qui n’étaient pas des cibles militaires ne servaient qu’un seul but, celui de chasser la population. Dès le mois d’août 1992, la mise en śuvre systématique d’une telle politique discriminatoire était manifeste aux yeux des observateurs neutres présents sur le terrain. Les éléments de preuve établissent l’existence d’une stratégie systématique, cohérente et criminelle dont le but était de débarrasser la Bosanska Krajina de tout groupe ethnique autre que celui des Serbes de Bosnie, stratégie mise en śuvre par le SDS et les forces serbes de Bosnie.

Durant la mise en śuvre de cette politique, le contrôle effectif sur les structures militaires, policières et civiles serbes de Bosnie a été exercé de différentes manières par les dirigeants politiques appartenant aux plus hautes instances serbes de Bosnie et à d’autres instances gouvernementales de la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Il était impossible de mettre en śuvre une politique systématique de cette ampleur en s’appuyant uniquement sur les actions spontanées ou criminelles de groupes radicaux isolés. En outre, les méthodes utilisées pour mettre effectivement en śuvre le plan stratégique étaient contrôlées et coordonnées par une instance qui coiffait les municipalités concernées même si certaines d’entre elles se sont distinguées en prenant des initiatives.

2. Le pouvoir exercé à l’échelon régional

Au début de l’année 1991, le SDS s’était déjà lancé dans un programme de régionalisation, dont le but ultime était la mise en śuvre du Plan stratégique. Le 7 avril 1991, le Comité régional du SDS a décidé la création de l’Association des municipalités de Bosanska Krajina (la « ZOBK »). Le 16 septembre 1991, l’Assemblée de la ZOBK s’est transformée en Assemblée de la Région autonome de Krajina. L’Accusé en est devenu le Premier Vice-Président. S’il est difficile de dire précisément quelles municipalités appartenaient à la RAK à un moment donné, la Chambre de première instance est convaincue que les treize municipalités énumérées dans l’Acte d’accusation faisaient bien partie de la RAK pendant la période des faits.

Bien que les articles 4 et 5 du Statut de la RAK donnent à penser qu’il s’agissait d’une institution pluriethnique, la RAK était dans une large mesure une autorité exclusivement serbe. La RAK était investie des pouvoirs politiques généralement dévolus aux municipalités, y compris des pouvoirs en matière de défense. La Chambre de première instance est convaincue que la RAK en tant qu’échelon intermédiaire du pouvoir a été créée par les dirigeants serbes pour coordonner la mise en śuvre du Plan stratégique par les municipalités de la région.

Le 5 mai 1992, le Comité exécutif de la RAK a adopté une décision portant création de la Cellule de crise de la RAK et nommant l’Accusé à sa tête. La Chambre de première instance est convaincue qu’à l’instar des cellules de crise municipales dans leurs domaines de compétence respectifs, la Cellule de crise de la RAK a été créée dans le but premier de garantir la coopération, à l’échelon régional, entre les autorités politiques, l’armée et la police afin de coordonner la mise en śuvre, par les différentes autorités, du Plan stratégique.

Parmi les 15 principaux responsables de la Cellule de crise de la RAK, on peut citer les dirigeants politiques et militaires de la RAK, ainsi que des personnes occupant des fonctions-clefs au sein de la RAK et d’autres encore, liées aux groupes paramilitaires. Outre ces principaux responsables, les présidents des cellules de crise d’autres municipalités ou leurs représentants assistaient aux réunions hebdomadaires de la Cellule de crise de la RAK. De par sa composition, la Cellule de crise de la RAK, non seulement s’est assuré l’autorité et le pouvoir sur les divers organes représentés, mais a veillé à ce qu’aux yeux de la population, elle soit perçue comme la détentrice d’une telle autorité et d’un tel pouvoir.

En effet, entre le 5 mai 1992 et le 17 juillet 1992, lorsque la Cellule de crise de la RAK a cessé de fonctionner, elle a assumé tous les pouvoirs et toutes les fonctions de l’Assemblée de la RAK et joué le rôle d’intermédiaire entre les autorités de la République serbe de Bosnie-Herzégovine et les municipalités. La Cellule de crise de la RAK était la plus haute instance civile de la RAK. Elle exerçait une autorité de fait sur les municipalités et la police et avait une influence considérable sur l’armée et les groupes paramilitaires serbes. L’étendue et les limites du pouvoir de la Cellule de crise de la RAK sont examinés en détail dans le jugement.

La Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que l’Accusé non seulement représentait la Cellule de crise de la RAK, en tant que son Président, mais était aussi, en tant que personnage central, au cśur des rouages de cette instance. L’Accusé était le moteur même des principales décisions adoptées par la Cellule de crise de la RAK, et c’est la raison pour laquelle la Chambre de première instance conclut que les décisions de la Cellule de crise de la RAK peuvent être mises à l’actif de l’Accusé.

Les municipalités, la police et, dans une certaine mesure, l’armée ont, de manière systématique, mis en śuvre les décisions de la Cellule de crise de la RAK dans trois secteurs clefs : a) le licenciement des non-Serbes, b) le désarmement des unités paramilitaires et de toute personne détenant illégalement des armes, une mesure appliquée exclusivement aux non-Serbes, et c) la réinstallation de la population non serbe. La Chambre de première instance est d’avis que ces secteurs ont été d’une importance cruciale et décisive pour le succès du plan général de nettoyage ethnique et qu’ils ont grandement contribué à la mise en śuvre du Plan stratégique.

III. Conclusions juridiques

Ceci constituant un résumé du jugement de première instance, nous n’entrerons pas dans le détail des analyses juridiques de la Chambre, nous contentant de souligner un certain nombre de points fondamentaux :

- La Chambre de première instance est convaincue que toutes les conditions générales d’application de chacun des articles du Statut aux termes desquels Radoslav Brdjanin a été mis en accusation ont été respectées.

- S’agissant de l’élément moral du crime d’extermination, la Chambre de première instance a conclu qu’il est analogue à l’élément moral de l’assassinat en tant que crime contre l’humanité, à la différence cependant que l’Accusation est tenue de prouver au-delà de tout doute raisonnable que l’Accusé avait l’intention de procéder à des tueries massives ou de créer les conditions d’existence entraînant la mort d’un grand nombre de personnes. La Chambre de première instance a constaté que les meurtres énumérés dans l’Acte d’accusation ont tous été prouvés au-delà de tout doute raisonnable à l’exception des faits s’étant déroulés à Lisjna vers le 1er juin 1992, à Vrbanjci le 25 juin 1992, à Kotor Varos sur la route venant de Kukavice et des secteurs environnants vers le 25 juin 1992 et à Kenjari, dans la maison de Dujo Banovic, vers le 27 juin 1992. En résumé, la Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu’au moins 1 669 Musulmans ou Croates de Bosnie ont été tués par les forces serbes de Bosnie au cours de ces événements et que toutes les victimes étaient des non-combattants. De surcroît, la Chambre de première instance est convaincue que ces meurtres ont le caractère massif requis pour démontrer l’existence du crime d’extermination.

- La définition de la torture adoptée par la Chambre de première instance reflète celle de la Convention contre la torture et se lit comme suit : « le fait d’infliger intentionnellement, par un acte ou une omission, une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, dans le but d'obtenir des renseignements ou des aveux, ou de punir, d'intimider, ou de contraindre la victime ou une tierce personne, ou encore de lui faire subir une discrimination pour quelque raison que ce soit ». Après un examen de la gravité, objective et subjective, des mauvais traitements infligés aux victimes, qui fait l’objet d’une longue discussion dans le jugement, la Chambre de première instance a conclu que ces agissements étaient assimilables au fait d’infliger des souffrances ou une douleur aiguës dans un but avoué d’intimidation, de discrimination ou d’obtention de renseignements, constituant donc un acte de torture. La Chambre de première instance souhaite observer que certains actes tels que le viol ont, par définition, le niveau de gravité requis.

- La Chambre de première instance est satisfaite à la majorité des juges que l’élément matériel du crime d’expulsion est constitué par le déplacement forcé de personnes, sans motif reconnu par le droit international, par delà les frontières d’un Etat depuis la zone où elles se trouvaient légalement, alors que ce même déplacement dans les limites d’un Etat constitue l’élément matériel du transfert par la force, sanctionné en tant que crime contre l’humanité sous la rubriques des autres actes inhumains. La Chambre de première instance s’est vu présenter un volume considérable d’éléments de preuve relatifs à l’expulsion ou au transfert par la force d’une grande proportion de la population musulmane et croate de Bosnie depuis la RAK vers des zones situées aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Bosnie-Herzégovine. Vu la spécificité des éléments présentés à l’appui des charges retenues dans l’Acte d’accusation, la Chambre n’a pu prononcer aucune déclaration de culpabilité quant aux transferts à destination de localités autres que Travnik (sous le contrôle du gouvernement légitime de Bosnie-Herzégovine) ou de Karlovac (Croatie). Après avoir pris en compte tous les éléments de preuve la Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que, pendant la période visée à l’Acte d’accusation, on a procédé, à partir de la RAK, à un grand nombre d’expulsions vers Karlovac et de transferts forcés vers Travnik.

- La Chambre de première instance est convaincue que tous les cas de destructions et d’appropriations de biens de Musulmans et de Croates de Bosnie perpétrés sur une grande échelle par les forces serbes de Bosnie et répertoriés dans l’Acte d’accusation ont été prouvés au-delà de tout doute raisonnable, à l’exception des faits s’étant déroulés à Ramici, Humici, Vrhpolje, Trnova, Sasina, Komusina, Rasjeva, Kamenica et Sipovo. Cependant pour pouvoir appliquer l’article 2 d) du Statut la Chambre de première instance doit être convaincue au-delà de tout doute raisonnable que les biens détruits et appropriés étaient situés en territoire occupé ou qu’ils bénéficiaient de la protection générale prévue par les Conventions de Genève. La Chambre de première instance a constaté qu’en l’espèce, les éléments présentés ne suffisaient à prouver aucune de ces éventualités et a donc conclu qu’il ne s’était pas produit de violation de l’article 2 d) du Statut. En revanche, la protection prévue par l’article 3 b) du Statut s’étend à tous les biens situés sur le territoire affecté par une guerre, y compris ceux qui se trouvent en territoire ennemi. La Chambre de première instance a donc conclu que la destruction de biens dans les municipalités en question de la RAK constitue une violation de l’article 3 b) du Statut. La Chambre de première instance est également convaincue que des édifices consacrés à la religion ont été détruits ou dévastés dans les municipalités mentionnées dans l’Acte d’accusation, en violation de l’article 3 d) du Statut.

- S’agissant du crime de génocide, la Chambre de première instance a conclu que les groupes protégés au sens de l’article 4 du Statut doivent être définis en l’espèce comme ceux des Musulmans et des Croates de Bosnie. La Chambre de première instance est convaincue que les fractions visées de ces groupes étaient constituées par les Musulmans et les Croates de Bosnie de la RAK et qu’elles représentaient « des parties substantielles » des groupes protégés. En l’espèce l’Accusation a invoqué trois types d’actes différents au titre du génocide. Comme nous l’avons dit précédemment, la Chambre de première instance a conclu que des non-combattants musulmans et croates de Bosnie ont été tués par les forces serbes de Bosnie. La Chambre de première instance est également convaincue au-delà de tout doute raisonnable que les Musulmans et les Croates de Bosnie emprisonnés dans des camps et autres centres de détention ont subi des atteintes graves à leur intégrité physique ou mentale, qui leur ont été infligées intentionnellement. De plus, la Chambre de première instance estime que les conditions d’existence dans ces camps et autres centres de détention ont été délibérément infligées aux détenus musulmans et croates de Bosnie et étaient propres, dans certains cas, à entraîner leur destruction physique. En conséquence, il fallait encore déterminer si ces crimes avaient été commis avec l’intention spécifique de commettre un génocide, sachant qu’en l’absence de preuves directes de l’élément moral, l’intention spécifique peut être déduite des circonstances factuelles et que si l’on procède à une telle déduction, celle-ci doit être la seule raisonnable possible compte tenu des éléments réunis. En l’espèce, la Chambre de première instance n’est pas convaincue que la seule déduction raisonnable possible à partir des éléments de preuve réunis soit que les crimes ont été commis dans l’intention spécifique de détruire les groupes des Musulmans et des Croates de Bosnie de la RAK. Et ceci notamment parce que le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants musulmans et croates de Bosnie déplacés par la force de la RAK est extrêmement élevé en l’espèce, surtout si on le compare au nombre de Musulmans et de Croates de Bosnie soumis aux actes énumérés à l’article 4 2) a), b) et c) du Statut. Ce fait ne permet pas de conclure que la seule déduction raisonnable, compte tenu des éléments réunis, est l’existence de l’intention de détruire en partie les groupes concernés, par opposition à l’intention de les déplacer par la force. Le jugement détaille de manière exhaustive le raisonnement de la Chambre de première instance. Sur la base des éléments présentés en l’espèce, la Chambre de première instance n’a pas conclu au-delà de tout doute raisonnable qu’un génocide avait été commis dans les municipalités concernées de la RAK d’avril à décembre 1992.

- La Chambre de première instance estime que le crime de persécution est constitué par un acte ou une omission qui introduit une discrimination de fait, qui dénie ou bafoue un droit fondamental reconnu par le droit international coutumier ou conventionnel et qui est commis délibérément avec une intention discriminatoire pour un motif prohibé, notamment pour des raisons raciales (le concept de race incluant celui de l’appartenance ethnique), religieuses ou politiques. La Chambre de première instance a conclu que la campagne de persécution menée contre les Musulmans et les Croates de Bosnie s’est traduite par des meurtres, des actes de torture et de violence physique, des viols et des violences sexuelles, d’incessantes humiliations et dégradations, la destruction et l’appropriation de biens et d’édifices religieux non-serbes, des expulsions et des transferts forcés, ainsi que par le déni de droits fondamentaux, notamment le droit à l’emploi, la liberté de déplacement, le droit à des soins médicaux convenables ou le droit à une bonne administration de la justice. De plus, la Chambre de première instance est convaincue que ces actes étaient discriminatoires de fait et ont été commis par leurs auteurs avec l’intention discriminatoire requise, pour des raisons raciales, religieuses ou politiques.

IV. Responsabilité pénale de l’Accusé

Nous allons maintenant traiter de la responsabilité de l’Accusé Radoslav Brdjanin au regard des crimes qui lui sont reprochés et au titre des divers modes de responsabilité invoqués dans l’Acte d’accusation. Pour ce faire il convient de préciser certaines des questions essentielles examinées par la Chambre de première instance pour déterminer la responsabilité pénale de l’Accusé.

La Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que, tout aussi bien avant que pendant la période visée à l’Acte d’accusation, Radoslav Brdjanin était un homme politique de premier plan au sein de la RAK et qu’il a occupé des postes clés aux niveaux municipal, régional et de la république, dont celui de premier Vice-Président de l’Assemblée de la RAK, de Président de la Cellule de crise de la RAK, et plus tard de Vice- Premier ministre par intérim chargé de la production, de Ministre des travaux publics, des transports et des services publics et de Vice-Président par intérim du Gouvernement de la Republika Srpska.

La Chambre de première instance est convaincue que, de la mi-1991 à la fin 1992, l’Accusé détenait de droit et de fait un pouvoir faisant de lui une des personnalités politiques les plus en vue de la RAK. Ce pouvoir avait une double assise : en premier lieu l’Accusé occupait des fonctions politiques aux niveaux municipal, régional et de la république ; en deuxième lieu il était investi d’un pouvoir politique lui venant directement des dirigeants serbes de Bosnie, et notamment de Radovan Karadzic.

La Chambre de première instance est en outre convaincue que l’Accusé a adhéré au Plan stratégique et savait que celui-ci ne pouvait être mis en śuvre qu’avec l’emploi de la force et de la peur.

Parmi toutes les personnalités politiques de la Krajina de Bosnie, c’est l’Accusé que les dirigeants serbes de Bosnie ont reconnu comme le meilleur représentant des intérêts de la République serbe de Bosnie-Herzégovine. C’est lui qui a été choisi pour jouer un rôle de premier plan dans la coordination de la mise en śuvre du Plan stratégique au sein de la RAK. A cet effet, les plus hauts dirigeants de la République serbe de Bosnie-Herzégovine lui ont accordé une autorité et une autonomie étendues dans des domaines d’une importance politique fondamentale, marquant ainsi la confiance dont l’Accusé jouissait auprès des plus hautes instances politiques. Dans une conversation téléphonique du 31 octobre 1991, Radovan Karadzic a assuré ŕ l’Accusé qu’il avait les pleins pouvoirs en Krajina de Bosnie et lui a indiqué qu’il devait prendre plus de décisions sans consulter la direction du parti. De plus, dans une conversation entre Radovan Karadzic et un certain Miroslav le 7 janvier 1992, l’Accusé a été présenté comme une personnalité expérimentée, solide politiquement et qui serait capable de s’emparer du pouvoir.

Radoslav Brdjanin a largement contribué ŕ la mise en śuvre du Plan stratégique au cours de trois phases distinctes : avant la mise en place de la Cellule de crise de la RAK, en tant que membre de l’Assemblée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine et de l’Assemblée de la RAK, en tant que Président de la Cellule de crise de la RAK, puis, quand celle-ci a cessé d’exister, en tant que Ministre du Gouvernement de la Republika Srpska.

Avant la création de la Cellule de crise de la RAK, Radovan Karadzic avait déjŕ des contacts avec l’Accusé sur qui il s’appuyait notamment pour mettre sur pied des commandements civils afin de garantir la défense territoriale et la protection civile, pour faire la liaison avec les officiers de l’armée et préparer la mobilisation de l’armée des Serbes de Bosnie ainsi que pour appliquer les mesures de licenciement des non-Serbes.

En tant que Président de la Cellule de crise de la RAK, l’Accusé exerçait une autorité de fait sur les autorités municipales et la police et avait une influence non négligeable sur l’armée et les groupes paramilitaires. De par les décisions de la Cellule de crise de la RAK qui peuvent lui être attribuées l’Accusé a contribué à la mise en śuvre des objectifs des dirigeants serbes de Bosnie au sein de la RAK.

Après la disparition de la Cellule de crise de la RAK, l’Accusé a non seulement conservé son pouvoir politique dans la Krajina de Bosnie mais l’a aussi étendu au niveau de la république. Il a continué à rencontrer des dirigeants politiques et militaires de haut niveau pour discuter de questions relatives à la mise en śuvre du Plan stratégique.

La Chambre de première instance a conclu que c’est par le biais d’une campagne de propagande dirigée contre les Musulmans et les Croates de Bosnie et menée pendant les différentes phases de sa carrière politique que l’Accusé a apporté une de ses contributions les plus substantielles à la mise en śuvre du Plan stratégique L’autorité que lui conféraient ses fonctions lui a donné accès aux média et il s’en est servi pour faire des déclarations publiques semant la haine et la crainte entre les Serbes de Bosnie d’une part et les Musulmans et les Croates de Bosnie d’autre part. Non seulement l’Accusé a appelé au licenciement des non-Serbes, mais il s’est également prononcé publiquement en faveur de leur départ de la Krajina de Bosnie. En outre, l’Accusé a ouvertement condamné les mariages mixtes et a publiquement proposé une campagne meurtrière de représailles à consonance ethnique.

La Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que, si les déclarations publiques de l’Accusé ont pu être motivées en partie par son arrivisme, elles étaient cependant délibérées et ont eu un impact désastreux sur toutes les communautés ethniques. Elles ont poussé au crime les Serbes de Bosnie et ont contribué à créer un climat dans lequel on était prêt à tolérer et à perpétrer des actes criminels, et dans lequel les Serbes de Bosnie de bonne volonté ont été dissuadés d’apporter une assistance quelconque aux non-Serbes. La population non-serbe de la Krajina de Bosnie a perçu les déclarations publiques de l’Accusé comme une menace directe les mettant en demeure de quitter les zones occupées par les Serbes de Bosnie ; ils sont nombreux à être partis, craignant d’être en danger de mort. Un certain nombre de témoins ont déclaré que les déclarations publiques de l’Accusé constituaient la raison principale de leur départ de la région.

La Chambre de première instance est d’autre part convaincue que l’Accusé avait une connaissance précise des crimes commis dans le cadre de la mise en śuvre du Plan stratégique pendant la période et dans la région visées à l’Acte d’accusation.

Nous allons maintenant mettre en évidence les conclusions générales de la Chambre de première instance en ce qui concerne les modes de responsabilité invoqués dans l’Acte d’accusation:

- Pour que la responsabilité pénale de l’Accusé soit engagée au titre de l’entreprise criminelle commune l’Accusation doit démontrer l’existence d’un projet commun assimilable à, ou supposant un accord conclu, aux fins de commettre un crime sanctionné par le Statut, entre l’Accusé et les auteurs directs des crimes concernés, qui sont des membres de la police, de l’armée et d’organisations paramilitaires. L’Accusation n’ayant pas invoqué l’existence d’une entreprise criminelle commune liant l’Accusé à la police, la Chambre de première instance s’est interrogée sur l’existence éventuelle d’une entreprise criminelle commune réunissant l’Accusé et les membres de l’armée et des organisations paramilitaires. Ce faisant la Chambre de première instance s’est référée au Plan stratégique.

Comme nous l’avons indiqué précédemment, la Chambre de première instance a conclu que l’Accusé avait adhéré au Plan stratégique. Elle est également convaincue que bon nombre des auteurs directs des crimes concernés ont fait de même et śuvré à son application. Cependant la Chambre de première instance est d’avis que la simple adhésion au Plan stratégique par l’Accusé d’une part, et par bon nombre des auteurs directs des crimes d’autre part, ne saurait être assimilée à un accord conclu par eux pour commettre un crime concret. Il est en effet possible que l’Accusé et les auteurs directs des crimes concernés aient adhéré au Plan stratégique et conçu l’intention criminelle de commettre des crimes dans le but d’appliquer le Plan stratégique indépendamment les uns des autres et sans qu’il existe une entente ou un accord relatif à la perpétration d’un crime. La Chambre de première instance s’est en outre demandée si l’existence d’une entente ou d’un accord de ce type entre l’Accusé et les auteurs directs des crimes pouvait être déduite du fait qu’ils avaient agi à l’unisson pour mettre en śuvre le Plan stratégique. Vu la distance concrète et structurelle séparant l’Accusé des auteurs directs des crimes en question et le fait que ces auteurs n’ont le plus souvent pu être identifiés, la Chambre de première instance n’est pas convaincue que la seule conclusion que l’on puisse raisonnablement tirer de l’action concertée de l’Accusé et des auteurs des crimes directs aux fins de l’application du Plan stratégique est que l’Accusé avait conclu un accord avec les auteurs directs pour que ces crimes soient commis. La Chambre de première instance estime en fait que les éléments de preuve réunis permettent d’autres déductions raisonnables.

La Chambre de première instance est d’avis que l’entreprise criminelle commune ne constitue pas un mode de responsabilité adéquat pour rendre compte de la responsabilité pénale individuelle de l’Accusé, étant donné la portée extraordinairement vaste d’une affaire dans laquelle l’Accusation tente d’inclure, dans une entreprise criminelle commune, une personne aussi éloignée que l’Accusé des crimes perpétrés visés à l’Acte d’accusation. La Chambre de première instance rejette donc l’entreprise criminelle commune en tant que mode de responsabilité en l’espèce.

- La Chambre de première instance rejette également le mode de responsabilité constitué par le fait d’avoir « planifié » au titre de l’article 7 1) du Statut. Elle a en effet conclu que, sur la base de la responsabilité individuelle de l’Accusé qui a été établie et que nous allons bientôt évoquer, les preuves présentées sont insuffisantes pour conclure que l’Accusé a participé à la préparation directe des crimes concrets.

- S’agissant de la responsabilité pénale au titre de l’article 7 3) du Statut, la Chambre de première instance a conclu que, même si la Cellule de crise de la RAK exerçait de fait un pouvoir sur les autorités municipales et sur la police et si elle avait une influence sur l’armée et les organisations paramilitaires, l’Accusé, en tant que Président de la Cellule de crise de la RAK, ou à toutes les autres fonctions qu’il a occupées d’avril à décembre 1992, n’exerçait pas un contrôle effectif sur les membres des autorités municipales, de la police, de l’armée ou des organisations paramilitaires, contrôle qui lui aurait donné la capacité matérielle d’empêcher ou de punir la perpétration de crimes de leur part. De ce fait la Chambre de première instance rejette la responsabilité du supérieur hiérarchique au sens de l’article 7 3) du Statut en tant que mode de responsabilité possible.

Les autres modes de responsabilité découlant de l’article 7 1) du Statut ont été passés en revue successivement pour chacun des crimes figurant à l’Acte d’accusation et la Chambre de première instance est parvenue aux conclusions suivantes :

- En ce qui concerne les homicides intentionnels, la Chambre de première instance est convaincue que les décisions prises par la Cellule de crise de la RAK au sujet du désarmement entre le 9 et le 18 mai 1992 ont apporté une aide matérielle aux forces serbes de Bosnie dans leurs attaques contre des villes, villages et zones non-serbes et que ces décisions sont imputables à l’Accusé. La Chambre de première instance est par ailleurs convaincue que l’Accusé savait qu’au cours de ces attaques armées les forces serbes de Bosnie commettraient un certain nombre de crimes, y compris l’homicide intentionnel de non-Serbes, et que les membres des forces serbes de Bosnie commettant ces homicides étaient animés de l’intention nécessaire de tuer. De par les décisions relatives au désarmement prises par la Cellule de crise de la RAK, l’Accusé a eu un impact substantiel sur la perpétration de ces meurtres. En conséquence, la Chambre de première instance est convaincue que l’Accusé a aidé et encouragé les meurtres commis par les forces serbes de Bosnie dans le cadre des attaques armées contre des villes, villages et zones non-serbes après le 9 mai 1992. La Chambre de première instance estime qu’il n’a pas été prouvé que ces mêmes décisions de la Cellule de crise de la RAK ou tout autre acte de l’Accusé engagent sa responsabilité pénale pour les autres meurtres visés à l’Acte d’accusation.

- La Chambre de première instance n’est pas convaincue que les éléments de preuve établissent au-delà de tout doute raisonnable que l’Accusé savait, qu’en rendant les décisions de la Cellule de crise de la RAK sur le désarmement, il contribuerait à un nombre de meurtres tel qu’il y aurait crime d’extermination. Il n’a pas non plus été établi au-delà de tout doute raisonnable que l’Accusé savait que les membres des forces serbes de Bosnie avaient l’intention de perpétrer des meurtres sur une échelle telle qu’il en résulterait un crime d’extermination.

- Appliquant aux actes de torture allégués dans l’Acte d’accusation le même raisonnement qu’aux homicides intentionnels, la Chambre de première instance a conclu que l’Accusé a aidé et encouragé les actes de torture commis par les forces serbes de Bosnie dans le cadre des attaques armées menées contre des villes, villages et zones non-serbes après le 9 mai 1992, date de la promulgation de la première décision de la Cellule de crise de la RAK au sujet du désarmement. De plus, la Chambre de première instance est convaincue que l’Accusé a aidé et encouragé la perpétration des actes de torture sous-jacents commis par les forces serbes de Bosnie dans des camps et autres centres de détention sur tout le territoire de la RAK. Il a été établi au-delà de tout doute raisonnable, qu’à l’exception de l’école Petar Kocic et de l’école primaire de Jasenica, tous les camps et centres de détention évoqués au proccs ont été mis en place après l’établissement de la Cellule de crise. Il existe suffisamment de preuves montrant que la mise en place de ces camps et centres de détention faisait partie intégrante du Plan stratégique et que l’Accusé savait pertinemment quelle était la nature de ces camps et centres de détention et que les détenus y étaient torturés. Jamais au cours de son mandat de Président de la Cellule de crise de la RAK il n’a pris position contre ces agissements que ce soit en public, ou au cours des réunions de la Cellule de crise ; il a au contraire adopté une attitude de laissez-faire, et ses déclarations publiques sur la question ont envoyé un signal regrettable à ceux qui perpétraient ces crimes dans les camps et centres de détention. En conséquence la Chambre de première instance est convaincue que son inaction et ses prises de position publiques au sujet des camps et des centres de détention ont constitué un soutien moral et un encouragement aux membres de l’armée et de la police serbe de Bosnie pour qu’ils continuent à gérer ces lieux de détention de la manière présentée à la Chambre de première instance au procès.

- S’agissant des crimes d’expulsion et de transferts par la force, la Chambre de première instance est convaincue que les décisions de la Cellule de crise de la RAK des 28 et 29 mai 1992 en faveur du déplacement de la population non-Serbe ont amené les autorités municipales et la police qui les ont mises en śuvre à commettre ces crimes d’expulsion et de transfert par la force. La Chambre de première instance estime également que la seule conclusion que l’on puisse raisonnablement tirer de l’examen des termes de ces décisions est qu’elles constituaient ni plus ni moins qu’une incitation directe à expulser ou transférer par la force des non-Serbes à partir du territoire de la RAK. Ceci est confirmé par les déclarations sans équivoque de l’Accusé, réitérées à partir du début du mois d’avril 1992, et dans lesquelles il appelait la population non-serbe à quitter la Krajina de Bosnie et affirmait que seul un pourcentage limité de non-Serbes serait autorisé à rester. La Chambre de première instance est convaincue, qu’à l’exception de la tentative avortée de déplacement de la population musulmane de Bosnie de Gornji Agici, Donji Agici et Crna Rijeka ŕ Bosanski Novi le 24 mai 1992, toutes les expulsions vers Karlovac et tous les transferts forcés vers Travnik à partir de la RAK, et qui sont décrits en détail dans le jugement, ont eu lieu après l’adoption des décisions de la Cellule de crise de la RAK mentionnées précédemment. De plus, l’adhésion de l’Accusé au Plan stratégique, dont les crimes d’expulsion et de transfert forcé constituaient une partie intégrante, et dont il a coordonné la mise en śuvre à son poste de Président de la Cellule de crise de la RAK, ont prouvé qu’il avait l’intention d’inciter à la perpétration des crimes d’expulsion et de transfert forcé. Sur cette base la Chambre de première instance a conclu que l’Accusé avait incité à commettre ces expulsions et transferts forcés. De plus, la Chambre de première instance est convaincue que l’Accusé a aidé et encouragé l’exécution de ces crimes par ses déclarations publiques incendiaires et discriminatoires, par les décisions au sujet du désarmement déjà mentionnées et enfin par la décision de la Cellule de crise de la RAK du 12 juin 1992 de créer une Agence chargée du déplacement et de l’échange des populations à Banja Luka.

- Pour le crime de destruction, la Chambre de première instance reprend le raisonnement appliqué à l’homicide intentionnel, à savoir que les décisions de la Cellule de crise de la RAK au sujet du désarmement ont constitué une aide matérielle à destination des forces serbes de Bosnie dans leurs attaques de villes, villages et zones non-serbes. De plus l’Accusé savait que des crimes seraient commis et notamment ceux de destruction sans motif d’agglomérations, de villes et de villages ou de dévastations non justifiées par les exigences militaires. La Chambre de première instance est donc convaincue que l’Accusé a aidé et encouragé la destruction sans motif d’agglomérations, de villes et de villages ou les dévastations non justifiées par les exigences militaires commises par les forces serbes de Bosnie dans des villes, villages et zones non-serbes à Bosanski Novi, Bosanski Petrovac, Celinac, Donji Vakuf, Kljuc, Kotor Varos, Prijedor, Sanski Most, Sipovo et Teslic aprcs le 9 mai 1992. Appliquant le même raisonnement et après un examen attentif des éléments de preuve, la Chambre de première instance est convaincue que l’Accusé a aidé et encouragé la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion commis par les forces serbes de Bosnie dans le cadre des attaques armées qu’elles ont menées contre des villes, villages et zones non-serbes à Bosanski Novi, Bosanski Petrovac, Celinac, Donji Vakuf, Kljuc, Kotor Varos, Prijedor, Prnjavor, Sanski Most, Sipovo et Teslic aprcs le 9 mai 1992.

- Enfin, s’agissant du crime de persécution, la Chambre de première instance a précédemment établi la responsabilité de l’Accusé pour avoir aidé et encouragé certains crimes d’homicide intentionnel, de torture, de destruction et de dévastation d’agglomérations, de villes et de villages et d’édifices consacrés à la religion ainsi que d’expulsion et de transfert forcé. L’Accusé a également été reconnu responsable d’avoir incité à commettre certains actes d’expulsion et de transfert forcé. La Chambre de première instance est de plus convaincue que l’Accusé a aidé et encouragé la perpétration de persécutions sous forme d’actes de violence physique, de viols et violences sexuelles, d’incessantes humiliations et dégradations, ainsi que d’appropriation de biens. En outre la Chambre de première instance est convaincue que l’Accusé à ordonné que soit dénié le droit fondamental à l’emploi, par une décision de la Cellule de crise de la RAK du 22 juin 1992, prévoyant le licenciement de pratiquement tous les non-Serbes dans la RAK, ce qui constitue un acte de persécution. De surcroît, l’Accusé a aidé et encouragé la persécution s’agissant du déni de la liberté de déplacement et du droit à une bonne administration de la justice. Cependant, la Chambre de première instance a estimé que les preuves qui lui ont été présentées ne lui permettent pas d’établir la responsabilité de l’Accusé pour déni du droit à des soins médicaux convenables. Pour tous ces actes sous-jacents la Chambre de première instance est convaincue que non seulement les auteurs directs des crimes, mais l’Accusé lui-même, étaient animés d’une intention discriminatoire à l’égard des victimes musulmanes et croates de Bosnie.

V. Fixation de la peine

La Chambre de première instance a évalué les facteurs pertinents pour déterminer la gravité des crimes dont l’Accusé a été reconnu coupable.

En l’espèce, vu la gravité des crimes allégués dans l’acte d’accusation, les circonstances aggravantes qu’elle a invoquées et l’absence présumée de toute circonstance atténuante majeure, l’Accusation a soutenu que seule une peine d’emprisonnement à vie pouvait rendre compte de la responsabilité pénale de l’Accusé.

La Défense a opposé à titre préliminaire que, la procédure ne prévoyant pas la tenue d’une audience distincte ad hoc consacrée à la fixation de la peine suite à la déclaration de culpabilité, elle ne pouvait dûment argumenter sur cette question. La Chambre de première instance ne souscrit pas à cet argument et expose ses motifs dans le jugement. La Défense a toutefois soulevé plusieurs arguments en vue de la fixation de la peine qui sont examinés en détail dans le jugement et que nous allons maintenant évoquer.

La Chambre de première instance a jugé que les éléments suivants constituaient des circonstances aggravantes, auxquelles elle a attribué le poids qui convenait lorsqu’elle a fixé la peine, ainsi qu’il est indiqué dans le jugement : la position de haut dirigeant de l’Accusé, le statut et la vulnérabilité des victimes, l’effet des crimes sur les victimes, la nature volontaire de la participation de l’Accusé, la période pendant laquelle a été adopté le comportement criminel (dans une moindre mesure), ainsi que l’éducation de l’Accusé.

Cependant, la Chambre de première instance a jugé que les éléments suivants constituaient des circonstances atténuantes, auxquelles elle a attribué le poids qui convenait lorsqu’elle a fixé la peine, ainsi qu’il est indiqué dans le jugement : la participation de l’Accusé à la décision de fournir un abri aux Musulmans de Bosnie de Celinac, le fait qu’il a traité tous les citoyens de la même manière, l’inquiétude qu’il a exprimée à propos des paramilitaires, sa participation à la décision de procéder à l’arrestation de membres du groupe de Mice, sa situation familiale, son âge, ses discours condamnant les profiteurs de guerre, son attitude respectueuse au cours du procès à l’égard des témoins à charge, et enfin les remords qu’il a exprimés dans certaines circonstances.

Enfin, en conformité avec le Statut et le Règlement, la Chambre de première instance s’est référée à la pratique générale des tribunaux de l’ex-Yougoslavie en matière de fixation de la peine, même si elle a reconnu ne pas être liée par elle. Elle a noté que le Code pénal de la RSFY en vigueur en 1992 prévoyait les peines suivantes : l’infliction d’une amende, la confiscation de biens, l’emprisonnement et la peine capitale. La peine maximale de réclusion criminelle était de 15 ans, exception faite des crimes passibles de la peine de mort en cas de « circonstances particulièrement aggravantes » ou de « conséquences particulièrement graves », auquel cas elle était de 20 ans.

La Chambre de première instance a décidé, en application de l’article 87 C) du Règlement, de prononcer en l’espèce une peine unique, celle-ci reflétant le mieux le comportement criminel de l’Accusé, qui se caractérise par des agissements criminels récurrents commis dans un cadre temporel limité.

VI. Dispositif

Monsieur Radoslav Brdjanin, veuillez vous lever.

Par ces motifs, la Chambre de première instance, après avoir examiné tous les éléments à charge et à décharge, vous déclare non coupable de :

Chef 1 : Génocide ;

Chef 2 : Complicité de génocide ;

Chef 4 : Extermination, un crime contre l’humanité ;

Chef 10 : Destruction et appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire, une infraction grave aux Conventions de Genève de 1949.

La Chambre de première instance vous déclare coupable de :

Chef 3 : Persécutions, un crime contre l’humanité (incorporant le chef 6 (torture), le chef 8 (déportation) et le chef 9 (transfert forcé, un acte inhumain)) ;

Chef 5 : Homicide intentionnel, une infraction grave aux Conventions de Genève de 1949 ;

Chef 7 : Torture, une infraction grave aux Conventions de Genève de 1949 ;

Chef 11 : Destruction sans motif d’agglomérations, de villes et de villages ou dévastations que ne justifient pas les exigences militaires, une violation des lois ou coutumes de la guerre ;

Chef 12 : Destruction ou endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, une violation des lois ou coutumes de la guerre.

Radoslav Brdjanin, la Chambre de première instance vous condamne à une peine unique de 32 ans d’emprisonnement et dit que vous avez droit à ce que soient décomptés de la durée totale de la peine la période de 5 ans, 1 mois et 26 jours que vous avez passée en détention préventive, calculée à compter de la date de votre arrestation le 6 juillet 1999, jusqu’à la date du présent jugement, ainsi que toute période supplémentaire que vous passerez en détention dans l’attente d’une éventuelle décision en appel.

En application de l’article 103 C) du Règlement, vous resterez sous la garde du Tribunal jusqu’à ce que soient arrêtées les dispositions nécessaires à votre transfert vers l’État dans lequel vous purgerez votre peine.

L’audience est levée.


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Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
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