Communiqué de presse |
CHAMBRES
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(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel) |
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La Haye, 29 juin 2004
GA/S.I.P./861f
Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Milan Babic :
l'accusé condamné à 13 ans d'emprisonnement
Veuillez trouver ci-dessous le résumé du jugement rendu par la Chambre de 1ère instance I composée des Juges Alphons Orie (Président), Amin El Mahdi et Joaquín Martín Canivell, tel que lu à l’audience de ce jour par le Juge Président :
RÉSUMÉ DU JUGEMENT MILAN BABIC
L’audience d’aujourd’hui est consacrée au prononcé du jugement portant condamnation de Milan Babic. Ce qui suit est un simple résumé du jugement écrit et n’en fait pas partie. Le jugement écrit sera mis à la disposition des parties et du public à la fin de l’audience.
Nous allons brièvement exposer le contexte et les faits de l’espèce ainsi que les facteurs dont la Chambre de première instance a tenu compte pour fixer la peine.
Rappel de la procédure
Milan Babic est né en 1956 ŕ Kukar en Croatie. Il est marié, père de deux enfants et dentiste de profession.
En octobre 2001, Milan Babic a pris contact avec le Tribunal aprčs avoir appris qu’il était cité en tant que coauteur dans l’acte d’accusation concernant la Croatie établi à l’encontre de Slobodan Milosevic en septembre 2001. Milan Babic a accepté d’ętre interrogé par l’Accusation et de déposer dans l’affaire Milosevic.
Un acte d’accusation établi à l’encontre de Milan Babic a été confirmé en novembre 2003. Il contenait les chefs de persécutions, de meurtre, de traitements cruels, de destruction sans motif de villages ou de dévastation que ne justifient pas les exigences militaires et de destruction ou d’endommagement délibéré d’édifices consacrés à l’éducation ou à la religion. Ces accusations reflètent des événements s’étant déroulés dans la Krajina de Croatie d’août 1991 à février 1992.
Milan Babic s’est livré volontairement au Tribunal en novembre 2003. Deux mois plus tard, il a conclu avec l’Accusation un accord sur le plaidoyer aux termes duquel il reconnaissait s’ętre rendu complice du crime de persécutions commis dans le cadre d’une entreprise criminelle commune et visé au chef 1 de l’acte d’accusation. L’entreprise criminelle commune avait pour but d’expulser définitivement la population croate et les autres populations non serbes d’environ un tiers du territoire de la Croatie afin de faire de ce territoire un État dominé par les Serbes par la perpétration de crimes relevant de la compétence du Tribunal.
En échange de son plaidoyer de culpabilité et de la poursuite de sa coopération, l’Accusation s’engageait à recommander une peine d’emprisonnement de 11 ans au plus contre Milan Babic.
L’accord sur le plaidoyer a été modifié quelques jours plus tard quand Milan Babic a accepté de changer son plaidoyer de culpabilité en plaidant coupable en tant que coauteur de l’entreprise criminelle commune évoquée plus haut et non plus en tant que complice. L’Accusation n’a pas modifié sa recommandation d’une peine de 11 ans d’emprisonnement au plus.
Le 28 janvier 2004, la Chambre de première instance a accepté le plaidoyer de culpabilité de Milan Babic pour le chef 1 de l’acte d’accusation. Les autres chefs ont été retirés de l’acte d’accusation avec l’aval de la Chambre de première instance.
Faits incriminés relatifs au plaidoyer de culpabilité
Durant la période d’août 1991 à février 1992, les forces serbes ont attaqué des villes, des villages et des localités de la Krajina de Croatie et en ont pris le contrôle. En collaboration avec les autorités locales serbes, les forces serbes se sont ensuite livrées à des persécutions visant à chasser de cette région la population croate et les autres populations non serbes. Ces persécutions ont entraîné le meurtre ou l’extermination de centaines de civils croates et d’autres civils non serbes à Dubica, Cerovljanji, Bacin, Saborsko, Poljanak et Lipovča notamment. Elles ont également eu pour résultat l’emprisonnement prolongé et systématique de centaines de civils croates et d’autres civils non serbes dans des conditions inhumaines, à l’ancien hôpital et à la caserne de la JNA à Knin, ainsi que l’expulsion ou le transfert forcé de milliers de civils croates et d’autres civils non serbes de la région de la Krajina. Il y a aussi eu la destruction délibérée de logements, d’autres biens publics et privés, et notamment d’objets représentant une valeur culturelle pour la population croate et les autres populations non serbes.
En décembre 1991, les autorités serbes ont proclamé la « République serbe de Krajina » dans les territoires dont ils avaient pris le contrôle.
En février 1990, Milan Babic était devenu une personnalité politique influente du Parti démocratique serbe (« SDS ») en Croatie. Il exerçait des fonctions de premier plan au comité municipal du SDS à Knin. En juillet 1990, il a été nommé Président du Conseil national serbe. En février 1991, il a commencé à prôner la création d’un État serbe indépendant dans la « Région autonome serbe de Krajina ». Puis, en avril 1991, il a été élu Président du conseil exécutif de la région autoproclamée avant de devenir le Président de son administration ou gouvernement en mai 1991.
Au cours de l’été de la même année, Milan Babic a pris les fonctions de commandant en chef des forces armées de la région autoproclamée. Enfin, en décembre 1991 il est devenu Président de la « République serbe de Krajina ». Autrement dit, pendant toute la période considérée, il était l’un des dirigeants politiques serbes les plus haut placés et les plus influents de la région.
Milan Babic a reconnu qu’entre aoűt 1991 et février 1992, il avait contribué à la persécution des populations croate et non serbes de la façon suivante :
- Il a formulé et soutenu une politique visant à réaliser l’objectif de l’entreprise criminelle commune qui était d’expulser définitivement la majorité de la population croate et des autres populations non serbes d’environ un tiers du territoire de la Croatie ainsi que participé et poussé à l’élaboration et à la mise en śuvre de cette politique.
- Il a pris une part active à la création, à l’appui et au maintien des organismes qui ont dirigé la « Région autonome serbe de Krajina » et ont poursuivi l’objectif de l’entreprise criminelle commune.
- Il a contribué à la réorganisation et au recrutement des forces de la défense territoriale (« TO ») qui ont pris part aux crimes commis.
- Il a collaboré avec le chef de la « Police de Martic » dont il reconnaît qu’elle a été impliquée dans la perpétration de crimes.
- Il a contribué au soutien financier, matériel, logistique et politique nécessaire à la prise de contrôle de territoires par la force armée.
- Il a demandé l’assistance des forces de la JNA ou facilité leur participation afin d’établir et de maintenir le contrôle sur les territoires.
- Il a tenu des propos de nature à attiser les sentiments d’hostilité ethnique lors de manifestations publiques et face aux médias, une propagande qui a favorisé le déferlement de la violence contre les populations croate et non serbes.
- Enfin, il a encouragé et favorisé l’acquisition d’armes et leur distribution aux Serbes afin de parachever la campagne de persécutions.
Milan Babic a reconnu avoir sciemment et délibérément pris part ŕ la campagne de persécutions. Il avait connaissance de la perpétration des crimes énumérés dans l’acte d’accusation tels que les mauvais traitements dans les prisons, les expulsions, le transfert forcé et la destruction de biens.
S’agissant des meurtres énumérés dans l’acte d’accusation, Milan Babic a reconnu qu’il savait que des civils avaient été tués au cours de l’expulsion des non-Serbes et que ces meurtres étaient une conséquence prévisible de la campagne de persécutions. Il a cependant maintenu qu’il n’avait pas connaissance des différents crimes énumérés dans l’acte d’accusation.
Milan Babic a de plus reconnu que le crime de persécutions s’inscrivait dans le cadre d’une entreprise criminelle commune ŕ laquelle il avait largement contribué en tant que coauteur.
Eléments de fixation de la peine
La Chambre de première instance a analysé les finalités de la sanction à la lumière du mandat du Tribunal. La rétribution, la dissuasion et la réinsertion ont été considérées comme les finalités les plus importantes à cet égard.
Parmi les éléments entrant en considération dans la fixation de la peine, la Chambre de première instance a principalement examiné la gravité des crimes de Milan Babic, et a également tenu compte de sa situation personnelle, notamment des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes.
Milan Babic ne nie pas la gravité des crimes commis. Pratiquement toute la population croate et non serbe a été expulsée de la région en question, qu’elle ait été soit transférée de force, soit amenée à prendre la fuite par crainte d’une attaque imminente. Plus de 200 civils, comprenant des femmes et des personnes âgées, ont été tués et plusieurs centaines de civils ont été emprisonnés et maintenus en détention dans des conditions inhumaines. Ces crimes ont été caractérisés par la brutalité et la sauvagerie avec laquelle ils ont été commis et ont eu des conséquences graves pour les victimes et leurs familles. Les souffrances que celles-ci continuent à endurer demeurent importantes.
La Chambre de première instance est convaincue de l’extrême gravité du crime pour lequel Milan Babic a plaidé coupable. Toute personne qui participe à un crime d’une telle gravité doit s’attendre à une peine d’une sévérité qui soit à la mesure de celui-ci.
En ce qui concerne les circonstances aggravantes, le Procureur a fait observer que « le fait d’exercer de hautes fonctions comparables à celles qu’occupait l’accusé a été considéré comme constituant une circonstance aggravante ». La Défense a fait valoir qu’on ne saurait tirer argument de la conduite de Milan Babic en tant que responsable politique pour fonder ŕ la fois sa responsabilité pénale et une circonstance aggravante. La Chambre de première instance estime elle aussi que le même élément ne doit pas être apprécié d’abord comme élément constitutif du crime et ensuite comme une circonstance aggravante.
Toutefois, la responsabilité pénale de Milan Babic ne découle pas de sa place dans la hiérarchie. Le fait d’exercer des fonctions de dirigeant politique n’est pas une condition requise pour qu’il puisse y avoir participation à une entreprise criminelle commune, pas plus que ce n’est une condition préalable constitutive du crime de persécutions. Il ne s’agit donc pas là d’un élément qui permette de fonder la responsabilité pénale de l’accusé, c’est pourquoi la Chambre de première instance ne l’a pas retenu comme tel.
Deux motifs conduisent à considérer que le fait que Milan Babic assumait de hautes fonctions doit effectivement ętre pris en compte et donner lieu à une peine plus lourde. Premièrement, en tant que dirigeant politique de la région, il a procuré des ressources en vue de favoriser l’entreprise criminelle commune et, par ses discours et ses interventions dans les médias, a préparé le terrain pour que la population serbe accepte que les objectifs qui étaient les siens puissent être atteints par des actes de persécution. Deuxièmement, l’implication de Milan Babic, par le biais des fonctions qu’il exerçait, a progressivement pris de l’ampleur : en laissant se prolonger la campagne de persécutions, il en a aggravé les conséquences.
La Chambre de première instance conclut donc que le fait que Milan Babic a occupé et conservé de hautes fonctions politiques pendant toute la période correspondant au crime de persécutions est à retenir comme une circonstance aggravante.
Quant aux circonstances atténuantes, les parties ont soutenu qu’il y avait lieu de tenir compte en l’espèce des éléments suivants : Milan Babic n’a cessé de coopérer largement avec le Procureur ; il s’est volontairement présenté devant le Tribunal pour ętre jugé ; il a plaidé coupable et a reconnu sa responsabilité ; il a exprimé des remords. La Défense fait valoir, en outre, que le comportement de Milan Babic aprčs le crime, ainsi que sa situation personnelle et familiale, constituent des circonstances atténuantes. Le Procureur a proposé d’ajouter comme circonstance atténuante le fait que la participation de Milan Babic aux actes de violence a été limitée, qu’il a contribué de façon continue ŕ la réconciliation, et qu’il était de bonne moralité avant les faits dont il est accusé.
Quant au fait que Milan Babic a reconnu sa culpabilité, la Chambre de premičre instance est convaincue, par les divers motifs qu’elle énonce dans son jugement, qu’il échet de retenir ce fait comme une circonstance atténuante importante.
En outre, la Chambre de première instance a tenu compte de la large coopération qu’a apportée au Procureur Milan Babic, au risque de mettre sa propre sécurité et celle de sa famille en grand danger.
La Chambre de première instance retient aussi comme circonstance atténuante la reddition volontaire de Milan Babic.
La question de savoir s’il y a lieu de retenir comme circonstance atténuante le fait que Milan Babic n’aurait pris part que de façon limitée aux crimes dont il est accusé est sans objet, au motif que la Chambre de premičre instance ne considère pas que le rôle de Milan Babic dans l’entreprise criminelle commune a été aussi limité que l’avancent les parties. Il est vrai que Milan Babic n’a pas été le principal instigateur de la campagne de persécutions, mais la Chambre de premičre instance rappellera qu’il a choisi de rester au pouvoir, et qu’il a apporté un appui non négligeable aux auteurs de persécutions contre des civils non serbes, notamment en étant de ceux qui ont fourni l’appui financier, matériel, logistique et politique nécessaire à l’annexion militaire de territoires situés dans la Krajina de Croatie, en tenant des propos de nature à attiser les sentiments d’hostilité ethnique, ainsi qu’en encourageant et en favorisant l’acquisition d’armes et leur distribution aux forces qui commettaient les crimes en question.
Quant à la question du remords, la Chambre de première instance est convaincue que le remords exprimé par Milan Babic est sincère et constitue une circonstance atténuante.
Par les motifs énoncés dans son jugement, la Chambre a également accordé un certain poids, en tant que circonstances atténuantes, à la situation personnelle et à la situation familiale de Milan Babic.
En revanche, la Chambre de première instance ne saurait considérer la moralité de Milan Babic avant les événements qui ont eu lieu en Croatie comme un élément justifiant en quoi que ce soit une diminution de la peine. Les crimes commis pendant le conflit armé en ex-Yougoslavie ont pour la plupart été perpétrés par des citoyens ordinaires. Il n’y a rien d’exceptionnel concernant la moralité de Milan Babic qui justifie qu’on y accorde une attention particulière.
Quant au comportement de Milan Babic aprčs le crime, la Chambre de première instance n’est pas convaincue que celui-ci a pris des mesures pour atténuer, par exemple, les souffrances des victimes. Il a effectivement coopéré avec le Procureur et a reconnu sa responsabilité, mais ce sont là des facteurs que la Chambre a déjà pris en considération.
En conclusion, la Chambre de première instance constate que Milan Babic était une personnalité politique de la Région, qui a cherché à promouvoir ce qu’il considérait comme étant les intérêts de son peuple au détriment de Croates et d’autres non-Serbes par la perpétration de graves violations du droit international humanitaire. Non seulement il ne s’est pas opposé à ce que soient commises des injustices, mais il a participé à une entreprise criminelle commune. En reconnaissant sa culpabilité dans le cadre du conflit armé qui s’est déroulé en Krajina en 1991-1992, Milan Babic a fait preuve d’un certain courage. La Chambre de première instance n’est néanmoins pas convaincue qu’il ait toujours reconnu toute l’importance du rôle qu’il a joué en Croatie au cours de la période considérée.
La Chambre de première instance estime que la recommandation du Procureur tendant à ce qu’il soit infligé à Milan Babic une peine maximale de 11 ans de réclusion ne satisfait ni aux objectifs de la répression ni aux exigences de la Justice.
Dispositif
Monsieur Babic, veuillez vous lever.
La Chambre de première instance, après avoir examiné tous les éléments de preuve ainsi que les arguments présentés par les Parties, vous condamne à une peine de 13 ans d’emprisonnement. La période de 211 jours que vous avez passée en détention jusqu’à la date du présent jugement incluse sera décomptée de la durée de votre peine. Vous resterez sous la garde du Tribunal jusqu’à ce qu’aient été arrêtées les dispositions nécessaires à votre transfert vers l’État dans lequel vous purgerez votre peine.
L’audience est levée.
Le texte intégral du jugement est disponible sur demande aux Services d’Information Publique ainsi que sur le site Internet du Tribunal.
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Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
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