Communiqué de presse |
CHAMBRES
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La Haye, 11 mars 2004
CT/S.I.P./831f
Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Ranko Cesic
L’accusé condamné à 18 ans d’emprisonnement
Veuillez trouver ci-dessous le résumé du jugement rendu par la Chambre de 1ére instance I composée des juges Alphons Orie (Président), Liu Daqun et Amin El Mahdi, tel que lu à l’audience de ce jour par le Juge Président :
RÉSUMÉ DU JUGEMENT RANKO CESIC
1. L’audience d’aujourd’hui est consacrée au prononcé du jugement portant condamnation de Ranko Cesic. Ce qui suit est un simple résumé du jugement écrit et n’en fait pas partie. Le jugement écrit sera mis ŕ la disposition des parties et du public à la fin de l’audience.
2. Nous allons brièvement exposer le contexte et les faits de l’espèce ainsi que les facteurs dont la Chambre de première instance a tenu compte pour fixer la peine.
Contexte et faits de l’espèce
3. Ranko Cesic est né le 5 septembre 1964 en Bosnie-Herzégovine. Avant et pendant la guerre, il vivait dans la municipalité de Brcko ; il a ensuite déménagé ŕ Belgrade vers la fin de 1996.
4. Ranko Cesic a tout d’abord été inculpé dans un acte d’accusation visant également Goran Jelisic. Cet acte a été confirmé par le Juge Vohrah le 21 juillet 1995. Goran Jelisic a été jugé et déclaré coupable le 14 décembre 1999. Un acte d’accusation modifié concernant uniquement Ranko Cesic a été déposé le 26 novembre 2002.
5. L’acte d’accusation compte douze chefs. Ranko Cesic doit répondre de six chefs de crimes contre l’humanité, dont cinq chefs d’assassinat et un de viol. Il se voit également reprocher, ŕ raison des mêmes faits, six violations des lois ou coutumes de la guerre, dont cinq chefs de meurtre et un de traitements humiliants et dégradants.
6. Ranko Cesic a été arręté à Belgrade par les autorités de la République fédérale de Yougoslavie le 25 mai 2002 et il a été transféré au quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye le 17 juin 2002.
7. Lors de sa comparution initiale, qui s’est tenue trois jours plus tard, Ranko Cesic a plaidé non coupable de tous les chefs d’accusation. Cependant, le 7 octobre 2003, avant l’ouverture du procčs, Ranko Cesic et le Procureur ont conclu un accord sur le plaidoyer aux termes duquel l’accusé reconnaissait sa culpabilité pour les douze chefs d’accusation et acceptait de témoigner dans le cadre d’autres affaires portées devant le Tribunal. L’accord était accompagné d’un exposé des faits décrivant les crimes et la participation de Ranko Cesic ŕ ceux-ci. Le 8 octobre 2003, Ranko Cesic a plaidé coupable des douze chefs de l’acte d’accusation devant la Chambre de premičre instance. Celle-ci a accepté son plaidoyer de culpabilité, après s’être assurée qu’il avait été fait délibérément et en connaissance de cause, et qu’il n’était pas équivoque. Elle a aussi vérifié qu’il existait des faits suffisants pour établir les crimes et la participation de l’accusé à ceux-ci. L’audience relative à la peine s’est tenue le 27 novembre 2003.
Les actes incriminés
8. Les actes pour lesquels Ranko Cesic est condamné aujourd’hui ont été commis en mai 1992 dans la municipalité de Brcko, au nord-est de la Bosnie-Herzégovine. A l’époque, Ranko Cesic faisait partie des forces de la Défense territoriale des Serbes de Bosnie à Brcko. Le 15 mai 1992, il a rejoint les rangs du peloton d’intervention du corps des réservistes de la police des Serbes de Bosnie, basé au poste de police de Brcko. Son rôle et son grade exacts au sein de ce corps demeurent inconnus.
9. D’après l’exposé des faits présenté par les parties, Ranko Cesic a commis cinq actes criminels entre le 5 et le 14 mai et un autre entre le 14 mai et le 6 juin 1992. Ces actes sont survenus dans le contexte de la prise de contrôle de la municipalité de Brcko par les forces serbes de Bosnie, ŕ partir du 30 avril. Durant cette opération, les forces serbes ont expulsé et transféré par la force les habitants musulmans et croates de Brcko vers des centres de regroupement au nombre desquels figuraient le centre de détention de Luka et la salle de sport Partizan de Brcko. Ranko Cesic a commis ces actes criminels contre des personnes détenues dans ces deux centres de regroupement.
10. Ranko Cesic a été déclaré coupable du meurtre de Sakib Becirevic et de quatre autres hommes ŕ la salle de sport Partizan de Brcko, commis le 5 mai 1992 ou vers cette date. Ces meurtres constituent une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.
11. Ranko Cesic a également été convaincu du meurtre d’un détenu du camp de Luka, répondant au nom de « Sejdo », meurtre commis vers le 11 mai 1992. Ce meurtre constitue une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.
12. En troisième lieu, Ranko Cesic a été déclaré coupable du meurtre d’un policier musulman du nom de Mirsad, qui était détenu au camp de Luka, meurtre commis vers le 11 mai 1992. Ranko Cesic a d’abord ordonné ŕ la victime, qui était détenue dans un hangar avec d’autres personnes, de dire adieu aux autres prisonniers en leur serrant la main. Ranko Cesic et d’autres policiers serbes ont alors fait sortir la victime du hangar, l’on battue puis l’ont tuée. Ce meurtre constitue une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.
13. Ranko Cesic a également été déclaré coupable de traitements humiliants et dégradants, en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre, et de viol, en tant que crime contre l’humanité, pour avoir forcé, sous la menace d’une arme à feu, deux détenus musulmans du camp de Luka, qui étaient frères, à se livrer à une fellation l’un sur l’autre. Cet acte a été commis vers le 11 mai 1992.
14. Le cinquième acte criminel dont Ranko Cesic a été reconnu coupable est le meurtre de Nihad Jasarevic, un détenu musulman du camp de Luka. Ranko Cesic et un autre policier serbe l’ont battu ŕ mort à coups de matraques. Ce meurtre constitue une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.
15. En dernier lieu, Ranko Cesic a été déclaré coupable du meurtre d’au moins deux autres détenus au camp de Luka. Il a admis qu’un jour, entre le 14 mai et le 6 juin 1992, il avait fait sortir quatre détenus du bâtiment administratif du camp de Luka, les avait emmenés sur la route passant devant le hangar principal et avait abattu au moins deux d’entre eux, avec l’assistance de deux gardiens. Ces meurtres constituent une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.
16. Au total, Ranko Cesic a reconnu avoir tué dix personnes, dont deux battues à mort, et avoir forcé deux frères à se livrer à des actes sexuels l’un sur l’autre. Il a commis tous ces crimes en un laps de temps de 10 à 32 jours.
Éléments de fixation de la peine
17. La Chambre de première instance a analysé les finalités de la sanction à la lumière du mandat du Tribunal. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, la rétribution, la dissuasion et la réinsertion ont été considérées comme des fonctions à prendre en compte pour le châtiment des auteurs de crimes internationaux.
18. Parmi les éléments entrant en considération dans la fixation de la peine, la Chambre de première instance a d’abord examiné la gravité des crimes, dans les circonstances particulières de l’espèce, ainsi que la manière dont Ranko Cesic a participé ŕ ces crimes et le degré de sa participation à ceux-ci.
19. Ranko Cesic est condamné pour avoir personnellement commis d’une part, dix meurtres constitutifs de cinq crimes contre l’humanité et de cinq violations des lois ou coutumes de la guerre et, d’autre part, des violences sexuelles, constitutives d’un crime contre l’humanité (viol) et d’une violation des lois ou coutumes de la guerre (traitements humiliants et dégradants). Ces crimes sont particulièrement graves au regard des intérêts protégés bafoués, à savoir la vie et l’intégrité physique et morale des victimes. Le meurtre est un crime intrinsèquement grave et cette gravité est bien évidemment encore amplifiée par la multiplicité des meurtres dont l’accusé a été déclaré coupable. Les violences sexuelles revêtaient quant à elles une gravité particulière en raison du fait que les victimes étaient frères et qu’ils ont été forcés, sous la menace d’une arme à feu, à se livrer à ces actes devant témoins.
20. L’Accusation a fait valoir que dans son appréciation de la gravité des crimes, la Chambre de première instance devrait prendre en compte l’effet que les crimes ont eu sur la famille et les amis des victimes. La Chambre d’appel a considéré qu’il pouvait y avoir lieu d’en tenir compte dans la fixation de la peine appropriée. La Chambre de première instance considère que l’effet des crimes sur les familles et les amis des victimes a déjà été pris en compte dans l’appréciation de la gravité intrinsèque des crimes. Il figure, par exemple, au nombre des facteurs qui conduisent à conclure que le meurtre est un crime particulièrement grave.
Circonstances aggravantes
21. Au titre des circonstances aggravantes, le Procureur a invoqué la vulnérabilité des victimes et leur qualité de civils, le comportement délibérément cruel de Ranko Cesic, l’aspect humiliant et extraordinairement pervers des violences sexuelles, le fait que l’accusé a abusé du pouvoir que lui conférait sa position et le caractčre récurrent de son comportement criminel pendant une période d’au moins 10 jours. La Défense a soutenu qu’il ne s’agissait pas de circonstances aggravantes en l’espèce.
22. La Chambre de première instance tient compte du fait que toutes les victimes étaient des détenus placés sous la surveillance de soldats et de policiers serbes de Bosnie et qu’elles étaient donc particulièrement vulnérables. Ont également été considérées comme circonstances aggravantes la perversité et la cruauté de Ranko Cesic, telles qu’elles ressortent des sévices qu’il a infligés ŕ certaines de ses victimes et du fait qu’il a obligé un prisonnier à dire adieu à ses compagnons de détention avant d’être emmené dehors pour être exécuté.
23. Quant au caractère incontestablement récurrent du comportement criminel de Ranko Cesic, le nombre de crimes qu’il a commis pendant cette courte période ayant déjŕ été pris en compte dans l’appréciation de la gravité des infractions, il ne devrait donc pas être aussi retenu comme circonstance aggravante. La Chambre de première instance rejette également l’argument de l’abus de pouvoir invoqué à l’encontre de Ranko Cesic au titre de circonstance aggravante : la position exacte de l’accusé au sein de la hiérarchie militaire ou policičre demeure inconnue mais il était indéniablement de rang subalterne.
Circonstances atténuantes
24. Le fait que Ranko Cesic a reconnu sa culpabilité, le sérieux et l’étendue de sa coopération avec l’Accusation ainsi que les remords qu’il a exprimés sont les éléments que la Chambre de première instance a retenus comme circonstances atténuantes. À ce titre, la Défense avait également invoqué la situation personnelle de l’accusé, notamment le fait qu’il avait été élevé dans une famille monoparentale, qu’il est actuellement marié, que ses faibles revenus démontreraient qu’il n’a pas personnellement tiré profit du conflit, ou encore qu’il avait 27 ans au moment des faits. La Chambre de première instance a jugé que ces circonstances ne justifiaient pas d’atténuation de la peine. Elle a également rejeté l’argument selon lequel la culpabilité de Ranko Cesic était amoindrie par la circonstance qu’en commettant les crimes, il ne faisait qu’exécuter des ordres. La prétendue bonne moralité de l’accusé n’a pas non plus été établie.
25. Le plaidoyer de culpabilité contribue à la manifestation de la vérité et peut favoriser le processus de réconciliation dans la municipalité de Brcko. Plus particulièrement, il peut apporter un certain soulagement aux victimes qui ont survécu ainsi qu’aux familles et amis des victimes. Il permet également d’épargner aux victimes le traumatisme que pourrait déclencher le fait de revivre les événements en les relatant à l’audience. Ranko Cesic a plaidé coupable 16 mois environ aprčs sa comparution initiale mais tout de même avant l’ouverture du procès, ce qui a permis d’économiser du temps, des efforts et des ressources. Pour toutes ces raisons, la Chambre de première instance estime que le fait que Cesic a plaidé coupable est une circonstance atténuante importante.
26. Quant à la coopération de Ranko Cesic avec le Procureur, la Chambre de premičre instance ne peut, en l’absence de toute information contraire, que s’en remettre aux déclarations du Procureur lorsqu’il affirme que lors de son interrogatoire, Ranko Cesic a dit tout ce qu’il savait des crimes de guerre et autres violations du droit international humanitaire commis ŕ Brcko et alentour pendant le conflit armé en Bosnie-Herzégovine. La Chambre de premičre instance retient également que Ranko Cesic s’est engagé ŕ témoigner dans d’autres procès si le Procureur le lui demande et conclut que sa coopération avec celui-ci est substantielle.
27. Lors de l’audience relative à la peine qui s’est tenue le 26 novembre 2003, Ranko Cesic a exprimé des remords pour ses actes criminels, et la Chambre de première instance est convaincue de sa sincérité à cet égard.
28. La Chambre de première instance a soigneusement examiné les déclarations et autres documents versés au dossier par les parties au sujet de la bonne moralité de Ranko Cesic, telle qu’invoquée par la Défense. La Chambre estime que les éléments de preuve produits par l’Accusation ne réfutent pas ceux présentés par la Défense pour établir la bonne moralité de l’accusé. Cela étant, si les éléments produits par la Défense et ceux qui concernent l’attitude de Ranko Cesic au quartier pénitentiaire des Nations Unies témoignent de la bonne disposition et de la bonne conduite dont l’accusé peut faire preuve, la Chambre de premičre instance estime qu’ils démontrent aussi le caractère imprévisible de son comportement. Sur la base de l’hypothèse la plus probable, la Chambre de première instance ne saurait conclure que Ranko Cesic est réellement d’une bonne moralité, facteur qui aurait pu ętre retenu comme circonstance atténuante.
29. En dernier lieu, la Défense a invoqué une déclaration fournie en septembre 2003 à l’Accusation, dans laquelle Ranko Cesic affirme qu’il n’a fait qu’appuyer sur la détente alors que d’autres visaient les victimes. D’aprčs la Défense, ces propos établissent que Ranko Cesic obéissait ŕ des ordres et qu’il aurait été tué s’il ne les avait pas exécutés. Sur la base de l’hypothèse la plus probable, la Chambre de première instance conclut que cette déclaration n’établit pas que Ranko Cesic a agi sous la contrainte ou obéi à des ordres.
30. L’Accusation a requis entre 13 et 18 années d’emprisonnement et s’est engagée à ne pas interjeter appel si la peine infligée était comprise dans cette fourchette. La Défense a recommandé une peine de 13 ans et a accepté de n’interjeter appel que si la peine fixée dépassait la limite supérieure spécifiée par l’Accusation. La Chambre de première instance n’est aucunement tenue par l’accord conclu entre les parties au sujet de la peine.
31. M. Cesic, veuillez vous lever.
32. La Chambre de première instance a soigneusement examiné l’exposé des faits ainsi que les éléments de preuve produits par les parties. La peine qui vous est infligée doit être proportionnelle à la gravité de vos crimes. Outre cette gravité intrinsèque, la Chambre a retenu que toutes vos victimes étaient des détenus placés sous votre surveillance et celle d’autres soldats ou policiers serbes de Bosnie : vous saviez que vos victimes étaient particulièrement vulnérables. De l’avis de la Chambre, ces considérations constituent des circonstances aggravantes. La Chambre de première instance retient comme circonstances atténuantes le fait que vous avez plaidé coupable avant l’ouverture du procès, le sérieux et l’étendue de votre coopération avec le Procureur ainsi que les remords sincères que vous avez exprimés. La Chambre signale enfin qu’elle s’est référée, pour fixer la peine, à la grille générale des peines appliquée par les tribunaux de l’ex-Yougoslavie.
33. La Chambre de première instance vous condamne à une peine de 18 années d’emprisonnement. Seront déduits de celle-ci les 657 jours que vous avez déjà passés en détention jusqu’à et y compris la date du présent juge.
Jugement
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Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
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