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Darko Mrđa

J'espère que mon aveu et mes remords contribueront à ce que ce genre de choses ne se reproduisent plus dans la région. J'espère que ceci en encouragera d'autres à faire de même. C'est pour moi la seule manière d’alléger un peu le gros fardeau que je porte, depuis déjà 11 ans, et je suis sûr que ceci continuera jusqu'à la fin de ma vie. Encore une fois, je présente mes plus sincères excuses aux victimes, aux membres de leur famille.

En 1992, Darko Mrđa était membre d’une unité spéciale de la police des Serbes de Bosnie de la ville de Prijedor, en Bosnie-Herzégovine, connue sous le nom d’ « Escouade d’intervention ». Avec les autres membres de l’escouade, il est personnellement intervenu, à  Korićanske Stijene, pour faire descendre de bus 200 hommes non armés, les garder, les escorter et les abattre. Seuls 12 hommes ont survécu au massacre. Il a accepté de coopérer avec l’Accusation et son plaidoyer a aidé à établir la vérité sur des crimes commis contre des non Serbes. Darko Mrđa a été condamné à 17 ans d’emprisonnement. 

Lire son aveu de culpabilité

22 octobre 2003 (extrait du compte rendu d'audience)

[interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président, je serai très bref. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vous remercie de m'avoir offert l'occasion, en fin de procédures menées à mon encontre, de prendre la parole et de dire quelques mots. En Yougoslavie, dans cet État où je suis né, un conflit tragique a éclaté il y a presque 13 ans. J'avais 23 ans à ce moment-là. Comme tous les gens de mon âge, je souhaitais la paix et j’avais énormément de projets concernant mon avenir. La dernière chose à laquelle j'aurais songé, c'était la guerre ou un bain de sang. Je ne connaissais de la guerre que ce que mes parents m’en avaient dit, et ils ne m'en avaient guère parlé à l'époque. Je n'avais pas beaucoup prêté attention à cela. Je considérais que la guerre appartenait au passé. C'était quelque chose qui avait eu lieu avant ma naissance.

Très sincèrement, jusqu'au dernier moment, j'ai cru que j'allais faire partie d'une génération qui allait vivre dans la paix. J'ai grandi dans un système socialiste. A l'école, on m'a enseigné la fraternité, l'égalité entre les différents peuples qui vivaient dans mon pays. Je savais cependant que nombre de mes ancêtres avaient péri dans la guerre précédente. J'étais au courant de l'existence du camp de Jasenovac, mais à l'époque j'étais convaincu que cela appartenait au passé et que ceci n'avait rien à voir avec moi. Je vivais en paix avec mes voisins, des Croates, des Musulmans. On se fréquentait, on vivait ensemble, et pas les uns à côté des autres. Parfois, on avait plus que des simples fréquentations, des petites amies qui n'étaient pas serbes, par exemple. J'en ai eu et jamais mes parents ne me l'ont reproché.

Au début des années 1990, tout a changé. La radio, la télévision, la presse, il y avait partout des discours sur les menaces qui pesaient sur les Serbes, les Musulmans ou les Croates, en fonction de celui qui possédait le média en question, et on a commencé à se diviser. On ne pensait plus de la même façon. A l'époque, je n'ai pas pu me l'expliquer. Je n'arrive pas non plus à me l'expliquer aujourd'hui. Je ne le comprends pas. J'étais profondément convaincu que mon peuple était de nouveau menacé d'un danger équivalent à celui de Jasenovac. Pour des raisons patriotiques, j'ai voulu être mobilisé. J'étais jeune, j'étais fort, j'étais en bonne santé, et ce sont des gens comme ça dont l'armée a besoin. Je voulais défendre mon peuple. La dernière chose à laquelle j'aurais songé c'était d'attaquer qui que ce soit.

Au printemps 1992, je suis donc devenu membre du peloton d'intervention de Prijedor et des choses terribles se sont produites à Prijedor. J'aimerais effacer cela. Mes voisins, des Croates, des Musulmans ont dû partir et, en tant que policier, à plusieurs reprises, avant le 21 août, il a fallu que j'escorte des convois qui emmenaient des Musulmans à l'extérieur de Prijedor. Je ne peux pas dire qu'ils étaient placés dans de bonnes conditions, mais je peux dire qu'ils se sont retrouvés sain et sauf à leur destination.

Dans la matinée du 21 août, j'ai appris qu'il fallait, encore une fois, que j'escorte l'un de ces convois. Je ne pensais pas qu'il allait se produire quoi que ce soit; cependant, la situation était différente. Sur ordre du commandant, du chef du peloton d'intervention, qui a été tué plus tard sur le théâtre des opérations de Bihac -- je ne souhaite donc pas citer son nom -- nous avons mis à part deux bus à bord desquels il y avait beaucoup d'hommes en âge de combattre. Ils ont été exécutés entre Skender Vakuf et Travnik, à Koricanske Stijene.

J'ai pris part à la séparation de ces innocents et à leur exécution. J'éprouve un remords sincère. Je présente mes excuses personnelles. Je tiens à présenter mes excuses à toutes les victimes et aux membres de leur famille.

Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je souhaite que vous croyiez à la sincérité de mes paroles. J'espère que vous me croirez. Je ne l'ai pas fait parce que je le souhaitais ou par plaisir. Je ne haïssais pas ces gens-là. Si je l'ai fait, c'est parce qu'on m'a donné l'ordre de le faire. Mon commandant, qui par ailleurs bénéficiait d'une grande autorité et que l'on craignait, a été présent sur place, et c'est lui-même qui a donné ces ordres. A ce moment-là, je n'ai pas eu la force de m'opposer ou de ne pas exécuter ces ordres. Je peux prouver aujourd'hui ce qui serait advenu de moi si j'avais refusé d'exécuter l'ordre. Je vous assure que j'aurais été tué, moi-même, mais, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je ne sais pas si vous me croyez ou non. Tous mes camarades, les membres du peloton d'intervention qui pourraient témoigner à cet effet, ont peur pour eux-mêmes. Ils ont peur pour leur avenir. Ils ne souhaitent pas déposer et je ne le leur reproche pas.

Monsieur le Président, pendant cette guerre, j'étais simple soldat. Je n'avais pas de grade. Je n'avais pas de poste de responsabilités. J'ai été présent sur plusieurs théâtres d’opérations. Je me suis battu honnêtement. J'avais en face un ennemi armé et j'ai été blessé trois fois. Je n'ai pas été un lâche dans cette guerre et c'est pourquoi je regrette profondément ce qui s'est produit à Koricanske Stijene. Dès ce moment-là, j'ai demandé à être muté dans une autre unité car je ne voulais pas tuer des civils, des femmes, des enfants, des innocents. Jusqu'à la fin de la guerre, j'ai été un soldat honnête et je n'ai jamais reproduit quoi que ce soit de comparable à ce qui s'est produit à Koricanske Stijene. Aujourd'hui, 11 ans plus tard, je revis encore plus difficilement cette partie de mon histoire que je souhaiterais effacer, mais je sais que ceci n'est pas possible. Entre-temps, je me suis marié. J'ai deux enfants. Jusqu'à mon arrestation, j'ai mené une vie ordinaire. J'ai vécu de mon travail. Je n'ai jamais commis la moindre infraction dans ma vie. Je sais que les familles des personnes qui ont perdues leurs vies, le 21 août 1992, me voient en tant qu'assassin et ils ne pensent pas que mes excuses sont sincères, mais elles le sont. Je suis prêt à purger la peine que j'ai méritée.

 J'espère que mon aveu et mes remords contribueront à ce que ce genre de choses ne se reproduise plus dans la région. J'espère que ceci en encouragera d'autres à faire de même. C'est pour moi la seule manière d’alléger un peu le gros fardeau que je porte, depuis déjà 11 ans, et je suis sûr que ceci continuera jusqu'à la fin de ma vie. Encore une fois, je présente mes plus sincères excuses  aux victimes, aux membres de leur famille. Je vous remercie.

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