Communiqué de presse |
CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
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(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel) |
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La Haye, 16 novembre 1998
CC/PIU/364f
Affaire Čelebići : le jugement de la Chambre de première instance
Zejnil Delalić acquitté
Zdravko Mucić condamné à 7 ans d’emprisonnement
Hazim Delić condamné à 20 ans d’emprisonnement
Esad Landžo condamné à 15 ans d’emprisonnement
Aujourd’hui, lundi 16 novembre 1998, les juges Adolphus Karibi-Whyte (Président), Elizabeth Odio Benito et Saad Saood Jan, ont prononcé leur jugement dans l’affaire Le Procureur contre Zejnil Delalić, Zdravko Mucić, Hazim Delić et Esad Landžo.
L’acte d’accusation établi à leur encontre a été déposé le 21 mars 1996. Il y est allégué qu’en 1992 des forces armées composées de Musulmans et de Croates de Bosnie ont pris le contrôle des villages occupés en majorité par des Serbes de Bosnie situés dans la municipalité de Konjic et aux alentours, en Bosnie centrale. Les personnes qui étaient faites prisonnières pendant ces opérations étaient détenues dans d'anciennes installations de la JNA dans le village de Čelebići, « le camp de Čelebići ». Selon l’acte d’accusation, des détenus y ont été tués, torturés, victimes de sévices sexuels, battus et de toute autre manière soumis à des traitements cruels et inhumains par les quatre accusés.
Le procès s’est ouvert le 10 mars 1997 et a duré environ 19 mois, au cours desquels la Chambre de première instance a entendu 122 témoins, examiné 691 pièces à conviction et s’est penchée attentivement sur les arguments des partis. De nombreuses questions concernant la procédure et les éléments de preuve ont également été soigneusement examinées par les juges, lesquels se sont toujours montrés soucieux du respect des droits des accusés, à qui ils doivent garantir un procès rapide et équitable. Enfin, les crimes allégués dans l’acte d'accusation constituent des violations graves du droit international humanitaire et la Chambre de première instance a dû se pencher sur de nombreuses questions factuelles et juridiques complexes qui n’avaient jamais encore été traitées par une instance judiciaire internationale.
En conséquence, le jugement constitue un document très long, d’environ 500 pages et ce communiqué de presse n’en est pas un résumé. Il ne s’agit là que d’une vue d’ensemble des conclusions de la Chambre concernant chacun des quatre accusés.
Le texte complet du résumé du jugement officiel lu par le juge qui présidait à l’audience et le jugement lui-même seront envoyés par courriel, sur demande, par le service d’information publique du Tribunal. Ces deux documents sont disponibles sur la page d’accueil du site Internet du TPIY.
Les questions juridiques les plus significatives
Le jugement concernant cette affaire est le deuxième rendu par le TPIY à l’issue d’un procès. Pour la troisième fois, le Tribunal inflige des peines de prison à des accusés. Ce jugement est néanmoins le premier jugement à accusés multiples.
S’agissant de la nature juridique du conflit en Bosnie-Herzégovine, « la Chambre de première instance estime que le conflit…doit être considéré pendant toute l'année de 1992 comme un conflit armé international. Nul ne peut contester que des forces extérieures à la Bosnie-Herzégovine, notamment les forces de l'armée populaire yougoslave, la JNA, ont participé aux combats menés dans cet État. À la mi-mai 1992, les autorités de la République Fédérale de Yougoslavie (RFY) (…) ont essayé de faire croire qu'elles n'étaient plus impliquées (…) La Chambre de première instance estime cependant que cette mesure a été une tentative délibérée de dissimuler le fait que la RFY participait encore aux conflits... »
Depuis les procès tenus après la deuxième guerre mondiale, c'est la première fois qu'une juridiction internationale se penche sur la notion de responsabilité du supérieur hiérarchique. La conclusion la plus significative de la Chambre de première instance est que cette « notion s'applique non seulement aux commandants militaires mais aussi aux civils occupant une position d’autorité (…) » et s’applique non seulement « [aux] personnes occupant de jure une position de supérieur mais aussi [à] celles occupant de facto une position de ce type (…)»
C’est également le premier jugement rendu par le Tribunal dans lequel est prononcé une condamnation pour viol en tant que torture. Ce crime constitue une infraction grave aux Conventions de Genève et une violation des lois ou coutumes de la guerre : selon la Chambre de première instance, le viol peut constituer un acte de torture aux termes du droit coutumier.
Les peines :
La Chambre de première instance ayant conclu que les peines devaient être confondues, seule sera indiquée ici, pour chaque accusé, la plus haute peine qui lui a été imposée.
Zejnil Delalić: déclaré NON COUPABLE des 11 chefs d’accusation d’infractions graves aux Conventions de Genève et de violations des lois ou coutumes de la guerre qui lui étaient reprochés en sa qualité de commandant du camp de détention de Čelebići à l’époque concernée. Il est également déclaré non coupable d'avoir directement participé à des détentions illégales de civils.
La Chambre de première instance a conclu que Zejnil Delalić n’était pas investi d’une autorité de commandement sur le camp de détention de Čelebići et ne pouvait donc pas être tenu pénalement responsable des actes des gardes.
Zdravko Mucić: mis en cause pour 13 chefs d’accusation d’infractions graves aux Conventions de Genève et de violations des lois ou coutumes de la guerre, est reconnu COUPABLE de 11 chefs d’accusation et condamné à une peine de sept ans d’emprisonnement pour sa responsabilité pénale en tant que supérieur hiérarchique. Il est reconnu coupable de meurtre et homicide intentionnel (9 victimes), de torture (6 victimes), du fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé (4 victimes), d’actes inhumains (6 victimes) et d’avoir directement participé à des détentions illégales de civils détenus dans des conditions inhumaines.
S’agissant de la peine, la Chambre de première instance a déclaré: « Nous souhaitons [attirer l’attention sur le devoir de] tout commandant d'un centre de détention, pendant un conflit armé (…) De toute évidence, [Zdravko Mucić a] failli à [son] devoir et [a] autorisé [ses] subalternes à commettre les crimes les plus odieux sans prendre aucune mesure disciplinaire. De surcroît, en qualité de commandant du camp de détention de Čelebići, [il] était responsable au premier chef des conditions dans lesquelles les prisonniers étaient détenus. La Chambre de première instance est horrifiée par le fait que les détenus manquaient d'eau et de nourriture et qu'ils ne disposaient d'aucune infrastructure médicale ni de dortoir. Elle est aussi atterrée par l'atmosphère de terreur qui régnait dans le camp de détention de Čelebići… »
Parmi les circonstances atténuantes, la Chambre de première instance, a tenu compte du fait qu’aucun témoin n’a désigné Zdravko Mucić comme ayant pris une part active à l’un des meurtres ou actes de tortures pour lesquels sa responsabilité en tant que supérieur hiérarchique était engagée. La Chambre de première instance a également conclu que les actes de Zdravko Mucić s’expliquaient davantage par une défaillance due à la faiblesse humaine que par une intention de nuire.
Hazim Delić: mis en cause pour 38 chefs d’accusation d’infractions graves aux Conventions de Genève et violations des lois ou coutumes de la guerre, est reconnu COUPABLE de 13 chefs d’accusation et condamné à une peine de 20 ans d’emprisonnement pour meurtre et homicide intentionnel (deux victimes), torture et viol (deux victimes), le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé (une victime), actes inhumains tels que l'emploi d'un appareil à électrochoc et détention dans des conditions inhumaines.
S’agissant de la peine, la Chambre a déclaré ce qui suit : « Hazim Delić [a] fait preuve d'une brutalité extrême en tuant deux prisonniers du camp de détention de Čelebići et les tortures et mauvais traitements qu’[il a] infligés à de nombreux autres étaient placés sous le signe d'une cruauté délibérée. [Il a] violé à plusieurs reprises deux femmes sans défenses en cherchant à les soumettre à [son] pouvoir et à instiller en elles la terreur. La Chambre de première instance estime que tout viol est un acte abject qui porte fondamentalement atteinte à la dimension humaine et à l'intégrité physique […] Pendant toute la période où [Hazim Delić a] occupé le poste de commandant adjoint du camp de détention de Čelebići, [ses] actes et les menaces et humiliations auxquelles [il] soumett[ait] les détenus ont joué un rôle clé dans la création d'une atmosphère de terreur. Il apparaît qu’[il] pren[ait] un plaisir sadique à faire souffrir les détenus, comme en témoigne clairement [son] recours fréquent à un appareil à électrochocs. [Il a] abusé de la position d'autorité et de confiance attribuée à [son] poste de commandant adjoint et, bien que la responsabilité de commandement ne [lui] ait pas été imputée dans les infractions commises par d'autres, [ses] actes ont encouragé d'autres personnes, parmi les gardiens du camp, à se livrer à leurs propres formes de mauvais traitements sur les détenus… »
Esad Landžo: accusé de 24 chefs d’accusation d’infractions graves aux Conventions de Genève et de violations des lois ou coutumes de la guerre, reconnu COUPABLE de 17 chefs d’accusation et condamné à 15 ans d’emprisonnement pour meurtres (trois victimes), torture (trois victimes), le fait de causer de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé (deux victimes) et le fait d’avoir fait subir des conditions de détention inhumaines aux détenus.
S’agissant de la peine, la Chambre de première instance a déclaré ce qui suit : « Si nous avons rejeté [son] moyen de défense fondé sur l'altération de [ses] capacités mentales, nous avons pris note de [son] jeune âge au moment des faits et de [sa] nature immature et impressionnable, ainsi que de [sa] personnalité et de l'effet qu'avait eu sur [lui] le conflit armé qui s'était déroulé dans [sa] ville natale. Ce sont ces éléments qui nous ont conduits à [lui] infliger une peine moins sévère que celle requise ordinairement pour des crimes d'une telle gravité et d'une telle cruauté. La Chambre de première instance n'accepte pas, cependant, l'argument selon lequel [il était] sous les ordres de [ses] supérieurs et n'ét[ait] pas en mesure d'exercer [son] libre arbitre. La nature de [ses] crimes laisse entrevoir [son] imagination féconde et le plaisir pervers qu[’il prenait] à infliger des douleurs et des souffrances. Il est extrêmement préoccupant de voir un être si jeune faire preuve d'autant de violence et de mépris pour la vie et la dignité humaine…»
Prise en compte de la durée de la période passée en détention avant le jugement
Les accusés condamnés ont droit à ce que soit prise en compte la durée de la période qu'ils ont passée en détention avant d'être remis au Tribunal international et dans l’attente de leur procès: 2 ans, 7 mois et 29 jours pour Zdravko Mucić ; 2 ans, 6 mois et 14 jours pour Hazim Delić et Esad Landžo. Toute période supplémentaire de détention au quartier pénitentiaire des Nations Unies dans l'attente d'un éventuel jugement en appel sera également déduite de la durée totale de la peine.
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Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
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