“Excellent tacticien, piètre stratège, Milošević n'a fait que poursuivre son ambition, au prix d'indicibles souffrances imposées à celles et à ceux qui s'opposaient à lui ou représentaient une menace pour sa stratégie personnelle de pouvoir. Tout, Messieurs les juges, tout pour lui était instrument au service de sa quête du pouvoir.”
Le procureur du Tribunal, Carla Del Ponte à l'ouverture du procès de Slobodan Milošević.
Des centaines de milliers de Croates, Musulmans de Bosnie, Albanais du Kosovo et d’autres non-Serbes furent expulsés de chez eux. Ils durent quitter la Croatie et la Bosnie-Herzégovine entre 1991 et 1995, et le Kosovo de 1998 à 1999. Des milliers d’autres furent tués, torturés, victimes de sévices sexuels et psychologiques, détenus dans des camps dans des conditions brutales et inhumaines, harcelés, et persécutés.
Certains de ces crimes attirèrent l’attention des médias du monde entier : le bombardement sans discernement de la ville de Vukovar, la destruction de la ville historique et fortifiée de Dubrovnik, les tirs embusqués contre la population civile de Sarajevo, les images des prisonniers décharnés du tristement célèbre camp de détention d’Omarska, les « camps de viols » dans la municipalité de Foča située au sud-est de la Bosnie, le génocide de plus de sept mille cinq cents hommes ou garçons musulmans de Bosnie à Srebrenica, et les images des Albanais du Kosovo entassés dans des camions à bestiaux pour être déportés hors des frontières de l’état. Des villes et villages de Croatie, de Bosnie-Herzégovine, et du Kosovo, furent le théâtre de crimes tout aussi insoutenables.
L’Accusation tenait l’ancien Président serbe et yougoslave, Slobodan Milošević pour pénalement responsable de ces crimes, les pires que l’Europe ait connus depuis la seconde guerre mondiale. « Certains de ces incidents ont révélé une sauvagerie presque médiévale et une cruauté calculée qui a outrepassé de loin les limites d'une guerre légitime» déclara le Procureur Carla Del Ponte, lors de l’ouverture du procès de Milošević.
Un nouveau terme apparut, celui de « nettoyage ethnique », pour designer les brutalités commises par les forces sous les ordres de Slobodan Milošević pour se débarrasser des non-Serbes présents dans les territoires qu’il revendiquait. Dans les actes d’accusation à son encontre, il était allégué que Milošević avait dirigé une entreprise criminelle commune visant à l'expulsion permanente et par la violence de la majorité de la population non serbe hors d’une partie importante du territoire de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine et du Kosovo. Son but était d’établir et de contrôler un état serbe centralisé et ethniquement homogène.
Selon l’Accusation, pour arriver à ses fins, Milošević avait enrôlé de nombreuses personnes aux plus hauts niveaux des gouvernements de Yougoslavie, des Serbes de Bosnie et des Serbes de Croatie. Il s’agissait des chefs d’état-major, ministres de l’Intérieur, chefs des services de sécurité, présidents, Premiers ministres et d’autres encore, obéirent tous aux ordres de Slobodan Milošević dont le but était la réalisation de son entreprise criminelle. Le Tribunal inculpa un certain nombre de ses complices (Lire les sections sur les arguments de l’Accusation concernant la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo.) Révélant sa détermination, son pouvoir et son contrôle de la situation, Milošević remplaçait ses associés lorsqu’ils exprimaient des objections.
Pour l’Accusation, Slobodan Milošević, avec l’aide de ses complices, avait fait en sorte que ses mandataires et subordonnés en Croatie, Bosnie-Herzégovine et Kosovo, disposent des moyens financiers, du personnel, ainsi que des moyens logistiques et opérationnels nécessaires pour s’emparer des territoires qu’il revendiquait. Afin d’encourager et de contrôler les conflits, Milošević se serait servi des médias pour semer au sein de la population serbe la peur de vivre dans un état démographiquement dominé par des non-Serbes.
Pour l’Accusation, les soldats, agents de police, paramilitaires, gardiens et autres auteurs de crimes commis sur le terrain, recevaient des ordres, de l’argent, du matériel et, tout aussi important, le soutien politique de Milošević et de ses complices. Le droit international stipule que les dirigeants politiques, les dirigeants de la police et de l’armée, sont tenus de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger les civils et pour que soit puni tout dirigeant qui commettrait des crimes. D’après l’Accusation, loin de respecter son obligation juridique de protection des civils, Milošević, par ses actions comme son inaction, créa parmi ses mandataires et subordonnés un climat d’encouragement à la violence à l’encontre des civils.
Au cours du procès, l’Accusation appela 293 témoins. Des victimes vinrent témoigner des crimes dont elles avaient souffert. Des experts juridiques, militaires et de la police racontèrent comment les forces armées avaient été subordonnées légalement à Slobodan Milošević, et commentèrent des éléments de preuve montrant comment il corrompait les voies hiérarchiques du commandement. Des experts légistes produisirent des éléments de preuve montrant des corps exhumés de charniers, étaient bien ceux de personnes exécutées par les forces sous les ordres de jure ou de facto de Milošević. Des experts en démographie montrèrent comment la population non serbe fut considérablement réduite dans des zones où les forces armées sous les ordres ou le contrôle effectif de Milošević menaient des opérations de nettoyage ethnique. Des représentants de la communauté internationale témoignèrent au sujet de leurs rencontres avec Milošević, au cours desquelles ils lui avaient parlé des crimes que ses forces armées commettaient. En outre, plusieurs dirigeants de haut rang ont décrit, en tant que témoin initié, la façon dont Milošević procédait.
L’Accusation soumit à la Cour des éléments de preuve audiovisuels et scripturaux, dont la plupart n’avaient jamais été vus auparavant, pour prouver que Slobodan Milošević avait pris part aux crimes dont il était accusé. Parmi le nombre considérable d’éléments de preuves présentés par l’Accusation figuraient des minutes et des conversations interceptées lors de réunions entre Milošević et les coauteurs des crimes dont il fut accusé, ainsi que des vidéos qui le montraient en train de passer en revue des unités placées sous ses ordres et responsables de crimes, des ordres donnés par ses complices et subordonnés révélant une intention de commettre des crimes, et bien d’autres éléments encore. L’Accusation présenta au total 672 éléments de preuve, constituant environ 29 000 pages.
Le procureur Carla Del Ponte précisa que, même si tout au long de cette affaire, l’Accusation avait fait de fréquentes allusions aux structures étatiques de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine et du Kososvo que Slobodan Milošević manipulait pour atteindre ses objectifs, c’est au compte de sa responsabilité individuelle qu’il était poursuivi, comme tout accusé devant répondre de crimes devant le Tribunal. « Aucun État, aucune organisation n'est en procès aujourd'hui » déclara-t-elle à l’ouverture du procès, « Les actes d'accusation n'accusent pas un peuple entier d'être collectivement responsable des crimes. »
Témoin après témoin, document après document, durant les 90 jours nécessaires à la présentation de ses arguments, l’Accusation soumit à la Cour une quantité considérable de moyens de preuve qui, selon elle, imputait la responsabilité des souffrances d’un nombre incalculable de victimes à un homme en particulier: Slobodan Milošević.