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Allocution de Mme le Juge Gabrielle Kirk McDonald, Présidente du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, à la réunion plénière du Conseil pour la mise en oeuvre de la paix, à Madrid

PRÉSIDENT
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
(Destiné exclusivement à l’usage des médias. Document non officiel.)
La Haye, 15 déecembre 1998
JL/PIU/376-F

Allocution de Mme le Juge Gabrielle Kirk McDonald, Présidente du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, à la réunion plénière du Conseil pour la mise en oeuvre de la paix, à Madrid

Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur pour moi de présenter au Conseil pour la mise en oeuvre de la paix mon rapport au nom du Tribunal international.

Au cours des 12 derniers mois, le Tribunal a connu une croissance exponentielle. Vingt-six accusés sont en détention et un accusé est en liberté provisoire en Republika Srpska. Nous disposons de trois salles d’audience, alors que nous n’en avions qu’une à la fin de 1997. Elles sont utilisées quotidiennement, dans le cadre de quatre procès, de deux procédures d’appel et de six affaires qui sont au stade de la mise en état. En raison de cette évolution, le Conseil de sécurité a porté à 14 le nombre des juges. Les trois nouveaux magistrats ont pris leurs fonctions au mois de novembre et ont déjà été affectés à des affaires.

Deux de nos Chambres de première instance ont récemment rendu les quatrième et cinquième jugements du Tribunal, déclarant un accusé coupable de crimes de guerre commis dans la vallée de la rivière Lašva. Trois accusés ont été reconnus coupables de crimes perpétrés dans le camp de Čelebiči, en Bosnie centrale, et une personne a été acquittée. Le Tribunal a donc fait ses preuves. Il constitue une juridiction pénale internationale pleinement opérationnelle, capable de mener des procès équitables et d’appliquer les critères les plus stricts en matière d’impartialité et d’objectivité.

Certaines déclarations récentes de responsables politiques de Bosnie-Herzégovine indiquent cependant l’ampleur des efforts qu’il reste à accomplir pour démontrer que le Tribunal fait partie intégrante de la solution aux dévastations engendrées par le conflit. Il a ainsi été affirmé que le Tribunal cherche à imposer l’idée d’une responsabilité collective lorsque, à la suite de l’arrestation du général Krstić, il a été déclaré que « chaque Serbe est un criminel de guerre potentiel ». Le Tribunal accueille avec satisfaction les réponses données par le Bureau du Haut Représentant (BHR) à ces assertions fausses, qui dénigrent et politisent nos travaux. Que personne n’en doute, autour de cette table ou dans les pays de l’ex-Yougoslavie : le Tribunal poursuit des individus et non des groupes ethniques. Seuls ceux qui ont commis des crimes relevant de sa compétence font l’objet d’enquêtes, d’un acte d'accusation et de poursuites, comme l’exigent la justice et le mandat du Tribunal. Et seule la justice apportera une paix réelle et durable.

Nous approchons de ce but, mais lentement. Les préjugés au sujet du Tribunal engendrent la méfiance, et la méfiance au sein des communautés entraîne la méfiance envers le Tribunal. Si nos travaux ne sont pas pertinents pour les personnes touchées par le conflit, l’importante jurisprudence du Tribunal en droit substantiel n’aura guère de retentissement pratique sur le processus de paix. Nos décisions et nos conclusions doivent être connues et comprises par les populations de la région, et
pas seulement au sein des milieux universitaires spécialisés dans le droit international. C’est pourquoi le Tribunal va entamer, en 1999, un vaste programme de sensibilisation. Nous aspirons à collaborer avec les populations et leurs communautés qui peinent à accepter l’héritage de la dernière décennie. Nous travaillerons avec elles, et nous établirons des liens directs entre La Haye et la région. Nous pourrons ainsi faire connaître nos activités et nos conclusions en détail et expliquer comment elles s’articulent avec les évènements survenus dans ces sociétés. Nous aurons cependant besoin de ressources et du soutien politique et logistique des États et des organisations ici présents. Il sera donc essentiel que nous nous appuyions sur les liens étroits déjà tissés par le BHR, la MINUBH et d’autres agences, et nous vous sommes reconnaissants de l’aide que vous nous avez apportée jusqu’à présent, sur ce point et bien d’autres.

M. le Président, tant d’orateurs ont reconnu à quel point il était nécessaire de transférer tous les accusés devant le Tribunal. Je leur en suis reconnaissante, mais je souhaite attirer votre attention sur le fait que cette nécessité est entravée en permanence.

Alors que la troisième année de la conclusion des accords de paix touche à sa fin, le problème du refus de coopération avec le Tribunal nous menace plus que jamais. En particulier, les autorités de la Republika Srpska et le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie persistent dans leur refus d’arrêter et de transférer devant le Tribunal les accusés qui se trouvent sur leur territoire. La République fédérale de Yougoslavie refuse également d’autoriser le Procureur à entrer au Kosovo pour y mener des enquêtes. Bien que le Tribunal bénéficie du soutien continu de la SFOR en Republika Srpska, le Procureur estime que plus de 25 accusés y sont encore en liberté. Je demande instamment au Comité pour la mise en œuvre de l’Accord de paix, aux États membres et aux organisations, de poursuivre leurs efforts pour garantir que ces personnes ne jouissent pas de l’impunité, et pour que la Republika Srpska ne soit plus en mesure de braver votre autorité.

Il n’existe cependant aucun mécanisme de mise en oeuvre analogue en République fédérale de Yougoslavie. L’obstructionnisme dont fait preuve son Gouvernement est donc lourd de conséquences pour la bonne exécution de notre mandat. Les résolutions 1160, 1199 et 1203 du Conseil de sécurité ont réaffirmé le droit du Procureur à mener des enquêtes au Kosovo et confirmé de nouveau que la République fédérale de Yougoslavie est juridiquement tenue de coopérer avec le Tribunal. La résolution 1207 l’a rappellé et a enjoint en outre aux autorités de livrer immédiatement et inconditionnellement les trois personnes mises en cause pour le meurtre de 260 hommes non armés, lors de l’attaque lancée contre la ville de Vukovar en 1991. J’ai écrit au Conseil de sécurité et informé ses membres de ces questions, à quelque cinq reprises au cours de ces 12 dernières semaines. J’ai également écrit aux chefs de gouvernement des États membres du Comité directeur ici présents, pour demander que des mesures efficaces soient prises afin que la République fédérale de Yougoslavie s’acquitte immédiatement de ses obligations.

En réponse, le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie s’est référé à des dispositions de son droit interne interdisant  l’«extradition» de ses ressortissants. Aux Pays-Bas, l’ambassade de la République fédérale de Yougoslavie refuse maintenant de répondre à nos demandes. En revanche, une audience dans un tribunal militaire a été prévue à Belgrade où les trois accusés vont témoigner jeudi. Il s’agit là d’une infraction claire à la résolution 1207, qui expressément « affirme qu'un État ne peut pas se prévaloir des dispositions de son droit interne pour refuser de s'acquitter d'obligations impératives que lui impose le droit international ». Autre marque incontestable de mépris envers la primauté du Tribunal, le Gouvernement a en outre demandé le dossier du Procureur afin de l’utiliser à l’audience. La semaine dernière, une Chambre de première instance a adressé une demande officielle de renvoi de l’affaire devant le Tribunal, conformément à notre Statut et à notre Règlement. La République fédérale de Yougoslavie n’y a toujours pas répondu et parvient à défier la volonté de la communauté internationale sans être sanctionnée.

Je souhaite être très claire. Les autorités de la République fédérale de Yougoslavie enfreignent le droit international de façon flagrante. Elles enfreignent les obligations que leur imposent de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et de l’accord de Dayton. Leur comportement et leurs déclarations constituent un affront au Conseil de sécurité, qui a créé le Tribunal et qui est chargé de veiller à la mise en œuvre de l’accord de Dayton. Je vous en conjure : levez sans plus attendre cet obstacle. Le maintenir mettrait en péril tout le travail effectué par le Tribunal jusqu’à présent. Un État ne saurait être autorisé à imposer sa volonté à la communauté internationale. Un État ne saurait être autorisé à entraver le travail du Tribunal. En cette seconde moitié de siècle, ce dernier constitue la première initiative pratique destinée à créer un monde où les droits de l’homme, l’égalité et la justice, ne sont pas de vains mots.

Je vous remercie.