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Allocution de Mme le juge Gabrielle Kirk McDonald, Présidente du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, devant la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale

PRÉSIDENT
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
(Destiné exclusivement à l’usage des médias. Document non officiel.)
La Haye, 30 juillet 1999
JL/P.I.S./425-F

Allocution de Mme le juge Gabrielle Kirk McDonald, Présidente du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, devant la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale

New York, le 30 juillet 1999

Veuillez trouver ci-joint le texte intégral de l’allocution de Mme le juge Gabrielle Kirk McDonald, Présidente du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, devant la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale.

« Je suis très heureuse de prendre la parole à l’occasion de cette deuxième réunion de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale (CPI). Je suis juge au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie depuis six ans. Cette expérience, aussi bien en tant que Présidente de la Chambre saisie de l’affaire Tadić qu’en qualité de Présidente du Tribunal au cours des deux dernières années, m’a amenée à réfléchir à l’importance de la justice internationale et à la façon dont nous la rendons. Je suis donc particulièrement heureuse de cette occasion qui m’est donnée de réfléchir avec vous à la façon dont la CPI pourrait servir la cause de la justice internationale et d’aborder certaines questions pratiques importantes auxquelles le Tribunal a déjà été confronté dans le cadre de ses travaux.

La création de la Cour pénale internationale indique que la communauté internationale a enfin reconnu qu’il était temps de faire respecter les normes humanitaires. Cette reconnaissance n’est toutefois qu’un premier pas, et nous devons travailler ensemble pour veiller à ce que la CPI ne se réduise pas à une promesse vide de sens ou, comme je l’ai dit ici même il y a deux ans, à un tigre de papier.

Maintenant que le Statut a été rédigé, vous vous attelez à la tâche tout aussi importante de la rédaction du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »). Le Règlement est important pour la Cour parce qu’il met en place le cadre des procès et des procédures d’appel. Il informe les parties de ce qu’elles peuvent attendre de ces procédures et permet à la Cour d’harmoniser ses décisions et son travail. Bien que le Règlement remplisse plusieurs fonctions importantes, nous devons garder à l’esprit qu’il ne peut constituer qu’un cadre de travail ; aussi bien conçu soit-il, il ne saurait anticiper toutes les situations dans le prétoire. Le Règlement ne devrait être que cela ‑ un cadre, et non un carcan.

Le Statut de la CPI a fixé des critères très stricts pour la sélection des juges, notamment en ce qui concerne leurs compétences en droit pénal et international et leur expérience judiciaire. Il est donc raisonnable de penser que les juges de la Cour seront expérimentés et compétents, et qu’ils sauront faire face aux évènements et aux évolutions qui s’opéreront. Mon conseil est le suivant : faites-leur confiance, ne leur liez pas les mains.

Les juges de la Cour seront responsables de la conduite des procédures en première instance et en appel et ce sont eux qui superviseront les procédures. Pour qu’ils s’acquittent efficacement de ces tâches, le Règlement doit être suffisamment souple pour leur permettre d’exercer un pouvoir discrétionnaire lorsque cela est nécessaire. Les juges doivent pouvoir faire face à des situations qui évoluent et trouver des réponses aux difficultés qui ne pouvaient être anticipées pendant la phase de rédaction.

Je présente aujourd’hui un rapport des juges du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, dans l’espoir qu’il sera utile à vos travaux. Les juges du Tribunal soutiennent activement la création de la CPI depuis que la Commission du droit international (CDI) a soumis un projet de Statut pour la Cour en 1994. Nous avons en effet formulé des observations sur ce projet dès 1994. J’ai en outre pris la parole au nom des juges devant le Comité préparatoire en 1997, et à l’occasion de la Conférence de Rome l’été dernier. Au cours de ce processus historique, mes collègues et moi-même avons aussi participé à plusieurs forums sur la création de la CPI.

Pour ce qui est de juger les crimes internationaux, je suis convaincue que l’expérience sans précédent acquise par nos juges en première instance et en appel nous permet d’avoir un regard particulièrement averti sur ce processus unique qui consiste à rendre la justice pénale internationale. Cela est singulièrement vrai en ce qui concerne la rédaction et l’application des articles de Règlement régissant ces procédures. Comme vous le savez, les juges du Tribunal ont assumé la responsabilité de la rédaction de son Règlement de procédure et de preuve et des modifications qui y ont été apportées. Nous sommes donc versés dans l’exercice consistant à rédiger des articles de Règlement pour les appliquer ensuite aux différentes situations qui se présentent dans le prétoire. Il va de soi que le déroulement réel de ces procédures nous a également amenés à modifier notre Règlement. Nous avons pensé que vous pourriez juger nos remarques utiles et nous vous offrons ce rapport dans un esprit de coopération, en espérant qu’il puisse vous aider à trouver votre chemin dans l’accomplissement de cette tâche difficile.

Nous y abordons des questions importantes qui, à notre sens, ne manqueront pas de se poser à la Commission préparatoire dans la rédaction d’un projet de Règlement. Les juges qui ont rédigé ces commentaires viennent d’horizons différents et ont acquis leur expérience judiciaire au sein des différents systèmes juridiques dont ils sont issus. Certains ont en outre siégé en Chambre de première instance, d’autres à la Chambre d’appel, d’autres encore dans les deux. Ce rapport concilie les expériences et les points de vue de ses auteurs dans toute leur richesse et leur diversité.

Au Tribunal, nous avons vu le nombre des affaires augmenter rapidement depuis plusieurs années. Nos procédures en première instance et en appel sont généralement très longues, en partie parce qu’il est nécessaire de faire évoluer les normes juridiques applicables. Ceci se traduit par de nombreuses décisions inédites et de longs jugements, qui contribuent au développement de la jurisprudence du Tribunal. Les procès soulèvent également des questions factuelles complexes et épineuses, qui doivent être élucidées en faisant appel à de nombreux témoins et en rassemblant une grande quantité d’éléments de preuve documentaires. Et pourtant, le Statut du Tribunal, à l’instar de celui de la CPI, garantit aux accusés le droit à un procès non seulement équitable, mais également rapide. La diligence des procès est certes importante pour l’accusé, qui est généralement placé en détention ; mais elle l’est aussi pour les autres accusés détenus dans l’attente de leur procès.

Afin de surmonter ces difficultés et notamment en travaillant à l’évolution de notre Règlement, les juges du Tribunal s’attachent en permanence à nous permettre de mener à bien chaque étape de la procédure avec efficacité et à étoffer ce Règlement en se fondant sur des situations concrètes qui n’avaient pas été envisagées auparavant. À titre d’exemple, nous avons adopté des articles de Règlement qui permettent la tenue d’une conférence préalable au procès et d’une conférence préalable à la présentation des moyens à décharge. Ces articles disposent qu’une Chambre peut prendre une série de mesures pour s’assurer à la fois que l’affaire soit prête à être jugée et que le champ du procès ait été circonscrit avant son ouverture. Au terme de ces dispositions, la Chambre de première instance peut demander à chaque partie de déposer un mémoire préalable au procès, un exposé des faits litigieux, une liste de témoins et d’éléments de preuve et un résumé des faits au sujet desquels chaque témoin sera appelé à déposer. En outre, un juge unique de la mise en état peut se voir chargé des procédures préalables au procès ; il a le pouvoir de fixer des délais, de coordonner les communications et de remplir d’autres fonctions judiciaires ne nécessitant pas la participation de tous les juges de la Chambre. Ces tâches importantes peuvent donc être réparties entre plusieurs juges de la Chambre. Ces dispositions permettent de prendre des mesures concrètes, mais importantes, afin de favoriser l’économie judiciaire et l’efficacité des procédures.

S’agissant du contrôle exercé sur le procès en tant que tel, les juges ont remarqué que le nombre des témoins appelés par les parties posait problème de façon récurrente.  Dans le cadre d’un procès, l’une des parties a ainsi proposé de présenter plus de 300 témoins, ce qui aurait eu pour effet de faire durer le procès pendant des années. Nous avons donc adopté un article qui autorise la Chambre de première instance à réduire le nombre des témoins si l’une des parties semble vouloir appeler à la barre un nombre excessif de témoins pour démontrer un même fait, et qui nous permet également de réduire les estimations de la durée nécessaire à l’audition de chaque témoin. Notre Règlement prévoit donc des moyens de mener les procès plus rapidement.

L’admission des éléments de preuve constitue un autre aspect important de notre Règlement. Bien que certains systèmes nationaux prévoient des règles strictes concernant l’amissibilité des éléments de preuve, nous sommes d’avis qu’une juridiction internationale doit principalement s’appuyer sur le pouvoir discrétionnaire de la Chambre pour résoudre les questions d’administration de la preuve. Plusieurs de nos articles prévoient donc clairement qu’une Chambre dispose de ce pouvoir discrétionnaire. La Chambre peut, par exemple, ordonner la production de moyens de preuve supplémentaires par l’une ou l’autre des parties. Elle peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante. En ce qui concerne l’admission des éléments de preuve, nous avons à présent modifié notre Règlement pour permettre aux juges, à l’instar de ce que prévoient de nombreux systèmes judiciaires nationaux, de dresser constat judiciaire de faits de notoriété publique ou de faits jugés et nous pouvons, au cours du procès, entendre des requêtes présentées oralement plutôt que par écrit.

Les exemples ci-dessus ne donnent qu’un aperçu des articles de Règlement que nous avons adoptés pour veiller à ce que les procès soient menés aussi rapidement et efficacement que possible.

Comme vous le savez, nous avons révisé notre Règlement de procédure et de preuve à plusieurs reprises. En tant que juges, nous sommes certes conscients du fait que les fréquentes modifications apportées au Règlement ont fait l’objet de certaines critiques, mais nous sommes convaincus que ces modifications sont fondées. Le Tribunal n’a pas d’équivalent et nous avons mis à profit notre propre expérience. Pour ma part, j’estime que nous devons utiliser notre expérience de façon constructive et qu’il n’y a aucune honte à adapter notre Règlement aux réalités de la salle d’audience. Si une juridiction internationale se veut crédible, il faut que son Règlement prenne en compte les situations et les affaires concrètes auxquelles elle est confrontée au quotidien.

Au Tribunal, l’une des principales leçons à retenir est celle du rôle joué par les juges dans l’élaboration du Règlement. Nous avons constaté que l’expérience concrète acquise dans le prétoire et dans la conduite des différentes procédures est inestimable si l’on veut rédiger un Règlement qui soit à la fois applicable et juste. Nombre de nos articles ont déjà été incorporés au Statut de la CPI, ce qui constitue une reconnaissance de la valeur de notre expérience. Afin d’éviter de réinventer la roue du proverbe et dans un esprit de coopération renforcée et de continuité, les juges espèrent que, de collègue à collègue, ils pourront prodiguer quelques conseils à la Commission préparatoire.

La seule recommandation véritablement fondamentale des juges du Tribunal est, selon nous, que les États parties devraient élire les juges de la CPI avant d’examiner un Règlement de procédure et de preuve et de l’adopter. Ceci permettrait aux juges de participer à l’examen du Règlement proposé. Pourquoi donnons-nous tant d’importance à cela? Pour une raison simple. C’est aux juges qu’il appartiendra d’interpréter le Règlement et de l’appliquer concrètement dans le prétoire. En résumé, ils devront vivre avec ce Règlement et il est donc important que celui-ci soit conçu avec leur participation, afin que leur expérience ne demeure pas inemployée. Je le répète, faites confiance aux juges. La CPI aura besoin d’autant d’expérience et de sagesse que possible et il serait en effet regrettable que l’une de ses ressources les plus importantes ‑ ses propres juges ‑ soit laissée de côté dans le processus critique de l’adoption du Règlement. Cela ne ferait qu’approfondir les difficultés rencontrées par une institution dont nous savons tous qu’elle est remise en question avant même d’avoir commencé ses travaux.

Aux termes du Statut et de l’Acte final, l’Assemblée des États parties doit élire les juges et adopter le Règlement de procédure et de preuve. Il nous apparaît que rien n’impose ce qui devrait être effectué en premier lieu - l’élection des juges ou l’adoption du Règlement. Par conséquent, et pour les raisons que je viens d’indiquer, nous sommes fermement convaincus que la Commission préparatoire devrait recommander à l’Assemblée des États parties de procéder à l’élection des juges avant la rédaction du Règlement, afin de leur permettre d’y contribuer. Si cela n’est pas possible, la Commission ou l’Assemblée devrait alors envisager de créer un comité consultatif composé de juges ayant l’expérience de la justice internationale, afin qu’ils examinent le Règlement et prodiguent des conseils appropriés avant son adoption.

J’aimerais également faire un commentaire d’ordre général sur l’adoption de modifications du Règlement. Le Statut de la CPI dispose que les juges peuvent adopter des modifications à titre provisoire, sous réserve que l’Assemblée des États parties les approuve. Bien que cette disposition constitue une reconnaissance du fait que les juges doivent contribuer à l’élaboration du Règlement, elle pose la question des conséquences que de telles règles provisoires auraient sur la légalité des procédures menées en y recourant. Cette question est particulièrement pertinente dans le cas où une modification provisoire est ensuite rejetée par l’Assemblée. J’aimerais par conséquent suggérer que, pour répondre à cette anomalie potentielle, un mécanisme soit mis en place afin de veiller à ce que de telles modifications provisoires soient examinées rapidement et d’éviter ainsi l’incertitude liée à l’attente. Il conviendrait également d’envisager de donner aux juges de la CPI la possibilité d’expliquer les raisons pour lesquelles ils ont adopté la règle provisoire en question avant que l’Assemblée ne prenne la moindre décision en la matière.

Je vais quitter le Tribunal au mois de novembre. Je continuerai toutefois à défendre activement la cause de la justice pénale internationale - tant les travaux du TPIY et du TPIR que ceux de la Cour pénale internationale permanente. En tant que représentants ‑ délégués ‑ des États auprès de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale, vous portez une lourde responsabilité dans la poursuite de vos travaux de préparation aux fins de l’entrée en fonction de la Cour.

Pour la première fois, l’espoir d’un avenir plus juste se profile concrètement, en cette fin d’un siècle entaché par tant de souffrances dues aux guerres et aux atrocités incessantes. Ce siècle a été marqué tout autant par l’inachèvement des efforts que nous avons entrepris pour jeter les bases d’une société internationale au sein de laquelle tous les peuples sont égaux et bénéficient de la même protection contre les crimes. La décennie qui se termine a vu l’application, au sein de différentes instances, de règles et de principes du droit humanitaire qui, jusqu’alors, étaient restés inappliqués. La CPI nous donne l’occasion de travailler dans la continuité de ces efforts dispersés déployés aux fins de leur mise en œuvre. Une cour permanente et au fonctionnement adéquat offrira à l’humanité la meilleure occasion qu’elle ait jamais eue de s’extraire du cercle vicieux de l’autodestruction. La justice est une consécration, un droit historique et un instrument de dissuasion.

Ce potentiel ne pourra se concrétiser que si la Cour est dotée de moyens appropriés. Il est indispensable qu’il y a ait une volonté politique. Il est également crucial, comme l’ont démontré les premières années du Tribunal, que l’institution dispose de ressources internes solides et de procédures appropriées et efficaces lui permettant de remplir son mandat au gré des circonstances. Mais surtout, la CPI ne peut réussir que si elle est juste et perçue comme telle. Je vous demande instamment de conserver ceci au cœur de vos préoccupations tandis que vous poursuivrez la rédaction de cette feuille de route que constitue son Règlement de procédure et de preuve.

Je vous remercie. Des exemplaires du rapport des juges sont disponibles au fond de la salle. »