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Allocution de S.E. Monsieur Claude Jorda, Président du Tribunal Pénal International pour l'ex Yougoslavie, devant le Conseil de Sécurité.

Communiqué de presse PRÉSIDENT

(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)

La Haye, 20 juin 2000
SB / S.I.P/ 512-f
 

Allocution de S.E. Monsieur Claude Jorda, Président du Tribunal Pénal
International pour l'ex Yougoslavie, devant le Conseil de Sécurité

Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Ambassadeurs, Représentants permanents auprès des Nations Unies et Membres du Conseil de sécurité,

Permettez-moi tout d’abord de vous exprimer toute ma gratitude pour l’honneur que vous me faites en me donnant l’occasion de vous entretenir de la situation du Tribunal, que j’ai l’honneur de présider depuis le mois de novembre dernier. J’y vois une fois de plus la marque du constant intérêt que vous portez à nos travaux.

Quelques quinze jours après avoir reçu et entendu le Procureur, Madame Del Ponte, il ne vous étonnera pas que mon intervention portera davantage sur les préoccupations qui sont celles des Juges; encore qu'il soit bien vrai que tout ce qu'entreprend le Procureur a une nécessaire incidence sur le cours des procès et par conséquent sur le travail de ces derniers.

L’activité des Juges étant au centre de l’institution, c’est essentiellement de la situation d’ensemble de celle-ci dont je souhaiterais vous entretenir aujourd’hui. Je le ferais à partir d’un Rapport sur le fonctionnement du Tribunal, que j’ai eu l’honneur de déposer le 12 mai dernier auprès du Secrétaire général, et qui a pour objet d’exposer les mesures à moyen et à plus long terme de nature à améliorer le fonctionnement de notre Tribunal.

Pourquoi vouloir améliorer, voire réformer le TPIY? Dans le document qui vient au support de nos propositions, - et qui vous a été distribué - vous avez pu trouver nombre de réponses à cette question. Je me bornerai donc à mettre l’accent sur certains points les plus saillants et les plus propres à enrichir votre réflexion.

Nous disons que le moment est venu de formuler des propositions visant à rendre plus efficace notre Tribunal. En ce sens nous nous situons dans le droit fil des objectifs qui étaient ceux du Groupe d’experts mandaté par le Secrétaire général à l’effet d’évaluer l’efficacité des activités du Tribunal suite à la résolution du 18 décembre 1998. Les travaux, très importants et très fructueux de ce Groupe, ont donné lieu à nombre de recommandations (46 au total) particulièrement pertinentes. Vous le savez, le Tribunal tire un plein profit de ces recommandations. Beaucoup d’entre elles sont déjà réalisées ou en voie d’être exploitées.

Alors, penserez vous, ou me direz vous pourquoi un nouveau rapport, pourquoi de nouvelles propositions? C’est que la perspective adoptée ici est différente et par-là même complémentaire.

Le travail de réflexion et d’analyse accompli est un travail spécifiquement judiciaire. Il s’agit du regard des Juges sur l’activité du Tribunal. Mais il s’agit aussi et surtout de leur première tentative pour se projeter dans l’avenir à partir d’une évaluation critique de leur activité proprement judiciaire. Ce rapport ne rend pas caduc celui du Groupe d’experts. Il en est en quelque sorte le prolongement. Il en est la facette prospective.

La conclusion à laquelle nous sommes arrivés est qu’il conviendrait, sur certains points tout au moins, de réformer le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie. Et s’il faut le reformer c’est parce qu’il est en passe de réussir la mission, ou plutôt les missions qui lui ont été confiées en 1993 par le Conseil de sécurité.

Derrière cet apparent paradoxe, se profile un certain nombre de réalités qu’il convient de prendre en compte pour mesurer la nécessité de faire passer irrévocablement cet instrument historique de justice internationale, de l’âge de la reconnaissance formelle à celui de la crédibilité universelle, la seule importante pour qui recherche le véritable progrès des Droits de l’Homme.

Souvenons-nous. En 1993 votre Conseil de sécurité alarmé depuis le début du conflit dans les Balkans par les graves violations du droit international humanitaire qui se commettaient sur le territoire de l’ex-Yougoslavie - notamment les tueries massives et la pratique du «nettoyage ethnique - et suite à de nombreuses résolutions, beaucoup d'entre elles restant infructueuses, prenait une décision sans précédent. Recourant aux moyens qui lui sont propres au titre du Chapitre VII de la Charte, et sous l'impulsion du Secrétaire général, le Conseil de sécurité décidait le 22 février 1993 que la création d'un Tribunal pénal international constituait une mesure pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationale (Rapport du Secrétaire général présenté le 3 mai 1993) dans cette région du monde.

Plus de six ans après sa création le Tribunal a-t-il répondu aux attentes placées en lui? En d’autres mots, a-t-il rempli les missions qui lui étaient imparties?

Que l’on essaye de s’abstraire du scepticisme ambiant qui a entouré les premiers pas de cette institution qui n’avait pas de réel précédent, il est utile de rappeler à cet égard que le Tribunal s’est mis en place alors que le conflit perdurait et que les dirigeants, acteurs principaux du conflit, étaient - et sont toujours pour certains - à la tête de leurs pays. De même, on peut objectivement constater que le Tribunal a répondu à nombre d’espoirs placés en lui. On ne peut toutefois, dissimuler les difficultés rencontrées qui sur plusieurs points interdisent à celui qui vous parle de céder à toute forme d’autosatisfaction.

Tout au contraire c’est à partir d’un constat sans concession qu’il convient de suggérer des pistes de réforme pour transformer l’ébauche d’une réussite en un pas décisif et irréversible dans le progrès du droit international humanitaire.

Juger les responsables de la purification ethnique et rendre justice aux victimes, prévenir la récidive et travailler pour qu’un jour un révisionnisme aveugle ne vienne réécrire l’Histoire: telle était, et telle est toujours, la tâche immense confiée en novembre 1993 aux onze juges des cinq continents élus par l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Soyons clairs: la création du Tribunal n’a pas évité la récidive. La chute de l’enclave de Srebrenica, et plus tard, les milliers d’albanais chassés du Kosovo, demeurent comme une brûlure au cśur de ceux qui croient à la vertu exemplaire de la justice. Peut-être, cette arme n’est-elle pas à elle seule suffisante ou est-elle trop balbutiante encore, pour extraire par sa seule menace les relents exacerbés du nationalisme, tout au moins dans cette région du monde.

Etablir la vérité des événements et prévenir tout révisionnisme est une finalité sous jacente à toute justice criminelle internationale et tout particulièrement à celle qui s’exerce à La Haye. Sur ce point beaucoup a été accompli. Les atrocités commises, les plans qui les ont inspirées, ne sont plus seulement relatés par les médias, ou décrits par des commissions d’experts toujours sujets à polémique. Ces faits sont entrés dans le domaine de la preuve judiciaire incontournable. Vukovar, Sarajevo, Srebrenica, et tant d’autres lieux de cruauté, sont devenus des sites judiciaires à travers le procès des accusés majeurs, qui en ont été les acteurs.

Poursuivre et juger les responsables telle est néanmoins la raison d’être majeure de toute juridiction criminelle. Mais s’agissant d’une justice aussi extraordinaire que celle qui s’exerce à La Haye, et parce qu’elle concerne les plus grands crimes commis contre l’Humanité, elle se doit d’être tout particulièrement exemplaire. Elle doit être conforme aux standards les plus élevés du droit international humanitaire, tant à l’égard des victimes qu’à l’égard de l’accusé. En un mot elle doit faire progresser ce droit qui est en pleine et constante émergence.

S’agissant du bilan strictement judiciaire, et en tenant compte du contexte dans lequel est née cette institution, il faut être un observateur peu impartial ou bien partisan - il en existe encore beaucoup - pour ne pas créditer le Tribunal d’un certain nombre d’avancées. Parti strictement de rien (aucun corps de règles juridiques ou procédurales, aucune logistique, pas de budget, pas de local, pas d’accusé) le Tribunal a, en l’espace de six années, adopté plusieurs règlements et directives dont le Règlement de procédure et de preuve, le Règlement sur la détention préventive et la Directive relative à la commission d’office de Conseil de la défense. Il a mis en place son quartier pénitentiaire ainsi que son unité de victimes et de témoins. Le Tribunal a inculpé 96 personnes, dont 36 sont actuellement en détention, prononcé 16 jugements au fond et rendu plusieurs centaines de décisions interlocutoires et d’ordonnances de diverse nature. Mais il a surtout démontré, ce qui est essentiel à mes yeux, le caractère faisable et opérationnel d’une institution judiciaire internationale.

Pourtant le temps parait venu de s’interroger sur l’avenir du Tribunal et d’essayer d’anticiper nombre de difficultés qui, si elles n’étaient appréhendées et résolues, pourraient mettre en péril l’accomplissement de ses missions et compromettre jusqu’à sa raison d’être.

Le moment nous parait opportun. Le Tribunal est à un tournant de son histoire. Sa réussite même, comme nombre de facteurs internes ou périphériques, conduisent à proposer un certain nombre de mesures à ceux qui ont la charge politique de décider en fin de compte de son devenir.

D’abord des changements politiques importants se dessinent, voire s’accélèrent dans la Région des Balkans, dont il convient de mesurer l’impact. Ensuite, d’autres données doivent être prises en considération. Le soutien de plus en plus affirmé de la communauté internationale qui, répondant à nos appels incessants, a fait en sorte que nous soit apporté un concours toujours plus actif dans les arrestations, lesquelles de ce fait sont en nombre croissant et régulier. Le Tribunal est donc désormais confronté à la gestion «du quantitatif» sans qu’il lui soit possible de renoncer au caractère exemplaire «et qualitatif» de ses procédures. Mais pour autant qu’ils se veulent exemplaires, nos procès n’en sont pas moins de plus en plus complexes au fur et à mesure que des questions et des problèmes, sans solution préexistante en droit pénal international, se posent aux juges.

Il convient également d’intégrer les perspectives du Bureau du Procureur, c’est-à-dire la politique pénale qui sera suivie dans les mois voire les années à venir. Ce sont plusieurs dizaines d’enquêtes en cours, qui ajoutées à celles déjà menées et abouties doivent amener à La Haye près de 200 accusés. S’agissant de responsables de niveau très élevé, hauts dirigeants politiques et militaires, peut-on imaginer, - qu’ils se soient rendus ou qu’ils aient été arrêtés -, les voir passer de longs mois en détention préventive avant que leurs procès ne puissent débuter. Or, d’ores et déjà, les détentions avant procès s’alourdissent générant d’ailleurs un contentieux de demandes de mises en liberté dont certaines ont été accueillies favorablement par les juges. La situation ne manque pas de paradoxe quand par ailleurs le Tribunal exige que tous les accusés soient arrêtés.

Enfin, et ce n’est pas le moins important, la place qu’a prise le Tribunal au sein du dispositif du droit international humanitaire eu égard notamment à la création et à la mise en śuvre de la Cour pénale internationale, nous donne une certaine responsabilité. A cet égard nul doute que beaucoup de ce qui se fait à La Haye servira au mieux d’exemple mais au pire de contre exemple. Le Tribunal en montrant qu’une justice pénale universelle était possible et faisable a, d’une certaine façon, aidé à la mise en śuvre d’un organe judiciaire plus permanent. Encore convient-il que la démonstration soit exemplaire jusqu’à son terme. Un échec du TPI, quelles qu’en soient les causes, porterait un coup très grave à la future instance au moment même où nombre d’Etats sont sur le point de ratifier le traité qui la créé.

Or force est de constater que les perspectives qui s’ouvrent devant le Tribunal sont préoccupantes et qu’il convient dès maintenant d’anticiper ce qui risque de se produire. Le plan de charge du Tribunal est à ce point occupé que, s’il n’y est porté remède d’ores et déjà, c’est la crédibilité même de l’institution qui finira par être mise en cause. Nous devons aux accusés un procès bien sûr équitable mais aussi rapide. Nous devons la célérité aux victimes et nous la devons à la communauté internationale qui nous a fait confiance. Or il est exact que si l’impératif de rapidité est un problème lancinant pour tous les systèmes judiciaires de niveau avancé, il se pose dans des conditions encore plus critiques dans un système de justice criminelle internationale. L’éloignement dans l’espace et, de plus en plus dans le temps, des faits criminels, le recueil des preuves qui sont souvent entre les mains des Etats impliqués dans le conflit, voire même d’autres Etats ayant participé aux forces d’interposition ou de maintien de la paix, la composante diplomatique et politique inhérente à une institution judiciaire sans précédent créée alors même que le conflit perdurait, voilà quelques-unes des difficultés auxquelles est confronté le Tribunal. Elles sont autant de raisons qui ne contribuent pas à la rapidité auxquelles il convient d’ajouter un système procédural qui, malgré de très nombreuses modifications allant toutes dans le sens de l’accélération, laisse le procès encore trop aux mains des parties.

Il convient d’être clair. L’étude prospective à laquelle le Tribunal vient de se livrer, montre que si rien ne change, qu’il s’agisse de la politique pénale, des règles de procédure, du format du Tribunal et de son organisation et qu’au contraire si toutes les données, notamment politiques, tendent à cet accroissement inéluctable des affaires, alors nul doute que le mandat du Tribunal originellement de 4 ans en 1993 et renouvelé en 1997, devra être prorogé à plusieurs reprises. Mais surtout, cette situation sera pénalisante pour les accusés comme pour les victimes. La Justice internationale n’en sera pas grandie.

Alors que faire et que proposer? Loin de dramatiser la situation, il convient plutôt d’en prendre la mesure, c’est à dire de prendre conscience qu’il s’agit de problèmes liés en fait à la vitalité de l’institution et non à son asthénie. Des problèmes de «croissance» en quelque sorte, dont il faut accompagner le mouvement plutôt que de le subir.

Après avoir envisagé tout le champ des solutions possibles - tout au moins celles qui sont de leur compétence, c’est à dire qui ne sont pas politiques - et analysé leurs avantages et leurs inconvénients, les Juges, dans une démarche unanime, ont privilégié une solution flexible et pragmatique combinant réformes internes (de procédure, de pratique et d’organisation) à un renforcement de la capacité de jugement des Chambres.

L’idée est simple: dans une procédure au départ de type accusatoire très accentué, la pratique nous a révèlé qu’il convient de laisser plus d’initiative et de marge de manśuvre aux Juges, seuls gardiens en définitive de la protection des valeurs universelles qui sous tendent les missions qui leur ont été assignées. Ce mouvement déjà amorcé depuis 1998 concerne au premier chef la phase préparatoire du procès (celle avant le début des audiences proprement dites) dont le déroulement rapide et efficace a été placé sous le contrôle du juge de la mise en état. Dans le projet présenté, cette phase dite de la «mise en état» des affaires serait conduite en partie par des juristes professionnels experts, eux-mêmes agissant sous l’autorité et le contrôle des Juges - j’insiste sur ce point - et permettrait à travers un dialogue constant et fructueux avec les parties, d’amener à l’audience un procès dépouillé de toutes ses branches inutiles et centré sur les véritables enjeux factuels et juridiques. Cette phase de mise en état de l’affaire serait donc traitée prioritairement dès la comparution initiale de l’accusé. Ce dernier constate dès lors que l’on s’occupe de son affaire immédiatement après son arrestation, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement du fait de la surcharge de travail des Juges, occupés quasiment à temps complet par les audiences. La phase de la mise en état se ferait ainsi sans interruption et indépendamment de l’encombrement chronique des Chambres, donc en temps réel.

Mais cette fluidité obtenue au stade préparatoire n’a de sens que si les procès - c’est-à-dire les audiences - peuvent se tenir en nombre dès qu’ils sont prêts. C’est le second aspect de la réforme proposée, bien sûr complémentaire du premier. Pour faire face au nombre important de procès qui les attendent, les Juges - sans écarter formellement la création de chambres supplémentaires sur le modèle de ce qui a été fait en 1997 - ont privilégié, là également, un modèle souple, et adaptable aux situations forcément variables qu’a connues et que connaîtra le Tribunal. La constitution d’une réserve de Juges, auxquels il serait fait appel dès qu’un procès serait prêt et uniquement pour ce procès (d’où leur nom de juges ad litem), nous a paru une solution méritoire à plusieurs égards. Elle s’adapte mieux au rythme irrégulier des mises en accusation, des arrestations, voire des incidents qui peuvent affecter la phase préalable au procès. Les juges ad litem n’étant appelés à La Haye que pour une affaire déterminée, beaucoup plus de juges, et donc, beaucoup plus d’Etats, participeraient à l’śuvre de justice internationale.

Le document établi montre le haut degré de productivité qui peut être attendu de la solution combinée proposée. Pratiquement le terme du mandat assigné au Tribunal - au moins en ce qui concerne les procès en première instance - pourrait être raccourci à la fin 2007 au lieu de la fin 2016 soit un gain de 9 ans, c’est-à-dire atteint en deux fois moins de temps. Il est donc permis d’espérer qu’au moment où se mettra en place la future Cour pénale internationale, le Tribunal aurait achevé sa tâche. Certes il resterait les appels. La Chambre d’Appel à elle seule pose des problèmes complexes et spécifiques, du fait notamment de son jumelage avec la procédure d’appel au Tribunal du Rwanda. Le document exposé en traite mais surtout pour retenir une solution plus classique - proposée d’ailleurs par le Groupe d’experts - et validée à l’unanimité par les Juges des deux Tribunaux, soit la création de deux postes de juge ad hoc additionnels au Tribunal d’Arusha. Mais mis à part ce renfort, le recours à des juges ad litem n’est pas préconisé pour la Chambre d’Appel. On peut penser en effet que les juges permanents du TPIY désormais dégagés vers 2007 des procès du premier degré pourront à eux seuls, et sans aucun autre renfort, se consacrer entièrement aux procès en appel. A ce seul égard, la solution flexible des juges ad litem est préférable à la création de chambres permanentes.

Avons-nous totalement innové? Je ne le pense pas. Il n’est pas indifférent de noter que le recours à des juges temporaires a déjà été préconisé par le Groupe d’experts dans sa recommandation n° 21. La réflexion des Juges valide celle des experts. C’est plutôt dans le mode d’utilisation de ces Juges plus cantonnés à l’audience proprement dite et la combinaison avec une mise en état des affaires renforcée et plus rigoureuse que l’on peut apprécier l’aspect complémentaire de la solution.

Telles sont les conclusions auxquelles sont arrivés les Juges de ce Tribunal. Ils sont rejoints dans leurs analyses par le Bureau du Procureur et par le Greffe.

Certes les Juges sont conscients que leurs propositions ne résolvent pas toutes les questions que pose le fonctionnement du Tribunal. Celles-ci ont été d’ailleurs parfaitement analysées par le Groupe d’experts et les recommandations de ce dernier sont intégrées dans nos réflexions et en grande partie d’ores et déjà appliquées.

S’agissant plus spécialement de nos propres propositions, nous savons que leur mise en śuvre soulève de nombreuses interrogations. Nous avons néanmoins essayé d’avancer nos réflexions sur un certain nombre de questions qui pour certaines restent ouvertes.

Les implications d’ordre statutaire ont été également abordées. A cet égard le plan a pu vous apparaître exagérément tourné vers la productivité du Tribunal. Il est vrai que c’est là, à n’en pas douter, que réside notre plus grande priorité. Pourtant d’autres aspects du fonctionnement du Tribunal ne nous échappent pas. A travers deux Groupes de réflexion permanents - le Groupe sur les Règles de Procédure et le Groupe sur les Pratiques judiciaires, c’est quasiment en permanence que les Juges essayent d’améliorer leur propre fonctionnement.

Je voudrais d’ailleurs dire que les modifications proposées entraîneraient si elles étaient entérinées, une modification du Statut. Je mesure combien ce pas est difficile à franchir mais il l’a été déjà une fois en 1997. Il ne me semble pas illégitime, s’agissant d’une institution qui a près de sept ans d’existence, qu’il puisse être procédé à des ajustements qui nécessitent une base légale que des modifications au seul Règlement seraient insuffisantes à apporter. Il pourrait être profité des changements portant sur la création des juges ad litem pour introduire dans le Statut un certain nombre d’autres modifications comme par exemple celles concernant les juges supplémentaires pour la Chambre d’Appel, l’indemnisation des personnes injustement détenues ou poursuivies, ou encore les suggestions, qu’ici même, le Procureur vous a proposées relatives à l’indemnisation des victimes par prélèvement sur les revenus patrimoniaux des accusés condamnés et auxquelles, sous réserve de l’avis de mes collègues, je souscris entièrement.

Je voudrais ajouter enfin que le document présenté n’est pas un document budgétaire. Ce n’est d’ailleurs pas de la compétence des Juges que de se livrer à une analyse de cette nature. Néanmoins, conscients de la charge financière que représente le Tribunal, les Juges ont formulé leurs propositions en ayant toujours présent à l’esprit cet aspect capital de la réforme proposée. A cet égard le recours à des Juges ad litem est apparu en l’état la solution la moins onéreuse par rapport à la création de Chambres supplémentaires composées de Juges permanents. Mais surtout il est apparu clairement que cette solution permettait de fixer un terme raisonnable à nos travaux - au moins en première instance - et, qu’en termes budgétaires, le différentiel dans le temps - permettant de faire l’économie de près de dix années de mandat - par rapport à toute autre solution et à fortiori par rapport au statu quo - était à prendre en considération.

Sur un plan concret, je souhaiterais que votre Conseil, Monsieur le Président, se saisisse de l’ensemble des problèmes liés au fonctionnement de notre Tribunal qui est aussi le vôtre. Tout n’est pas à faire tout de suite. Il me semble que dans une première étape, et après un temps de réflexion - à laquelle j’apporterai ma part, si vous le jugez utile et opportun -, il pourrait être envisagé de modifier le Statut pour y introduire le principe de la création des juges ad litem et la mise en place des mécanismes de sélection et d’affectation des juges aux affaires. Le recours à ces juges resterait subordonné aux besoins manifestés par la juridiction.

Indépendamment, et quel que soit le sort que vous réserverez à ma proposition, je me permets de vous demander de considérer la demande de renforcement de la Chambre d’Appel, validée par le Groupe d’experts, comme une demande intangible émanant unanimement des Juges d’Arusha et de ceux de La Haye. Le mécanisme d’Appel unifié créé en 1993 et qui conserve toujours sa justification, ne peut subsister durablement et faire face à l’épreuve du nombre que s’il est procédé à ce renforcement.

En conclusion les Juges ne se dissimulent pas l’effort lourd et complexe qui est demandé à nouveau à la Communauté des Nations.

Ils ont le sentiment que tout ce qui a été accompli jusqu’alors plaide en leur faveur pour que soit maintenue la confiance placée dans cette institution sans précédent. Nous pouvons certainement progresser encore et nous le ferons. Mais il faut se garder de penser qu’une Justice telle que celle qui s’exerce à La Haye - et qui porte à elle seule depuis 1993 beaucoup des espoirs que nous formons tous pour la mise en place d’une justice plus permanente et plus universelle - puisse se créer et surtout se développer sans un effort soutenu de tous. Le plus récent regard porté sur notre institution, celui de l’Organisation elle-même (le Groupe d’experts) est très clair à cet égard: «Si l’on pensait voir apparaître spontanément et sans avoir à passer par un processus de maturation lent et coûteux une justice internationale fonctionnant sur le modèle d'institutions judiciaires établies de longue date au sein de juridictions nationales, on faisait un rêve chimérique».

Votre Conseil de Sécurité en créant en 1993 cet organe a pris une décision historique, l’un des plus grands défis depuis Nuremberg: dire que le crime contre l’humanité ou le génocide conçu et commis par l’homme au nom de thèses racistes et xénophobes, ne resterait pas impuni. C’est votre honneur de l’avoir dit et de l’avoir fait.

En relevant ce défi, les Juges de La Haye, ont le sentiment que dans leurs salles d’audience, avec impartialité, ténacité et conviction, ils ont su et savent entendre le cri des victimes et contribuent ainsi à ce que dans la mémoire de l’Histoire, les événements dramatiques qui se sont déroulés dans cette région ne soient ni oubliés ni, plus grave, déformés dans une sorte de révisionnisme dont nous savons tous ce qu’il représente de dangers pour les démocraties.

C’est cette tâche exaltante que je vous demande au nom de mes collègues de nous permettre de poursuivre et d’achever.

Je vous remercie.

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Le texte intégral du Rapport sur le fonctionnement du Tribunal est disponible notre site Internet, ou sur demande au Services d’Information Publique.

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