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Arrêt de la Chambre d'Appel dans l'affaire le Procureur contre Radislav Krstic

Communiqué de presse
CHAMBRE D’APPEL
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 19 avril 2004
CC/P.I.S./839-f


Arrêt de la Chambre d'Appel dans l'affaire le Procureur contre Radislav Krstic

 

La Chambre d’appel conclut à l’unanimité « qu’un génocide a été commis à Srebrenica en 1995 »

« …les forces serbes de Bosnie ont commis un génocide contre les Musulmans de Bosnie. (…) Ceux qui conçoivent et commettent le génocide cherchent à priver l’humanité des innombrables richesses qu’offrent ses nationalités, races, ethnies et religions. Il s’agit d’un crime contre le genre humain dans son intégralité, qui touche non seulement le groupe dont on cherche la destruction mais aussi l’humanité toute entière. »

Radislav Krstic déclaré « coupable de complicité de génocide »

« …Radislav Krstic savait qu’en permettant l’utilisation des moyens du Corps de la Drina, il contribuait grandement à l’exécution des prisonniers musulmans de Bosnie. Bien que les éléments de preuve présentés laissent à penser que Radislav Krstic n’était pas partisan de ce plan, en sa qualité de commandant du corps de la Drina, il a permis à l’état-major principal de faire usage des moyens du Corps. »

La Chambre d’appel condamne à l’unanimité « Radislav Krstic à une peine de 35 années d’emprisonnement »

Veuillez trouver ci-dessous le résumé de l’ Arrêt rendu ce jour par la Chambre d’appel, composée des Juges Theodor Meron (Président), Fausto Pocar, Mohamed Shahabuddeen, Mehmet Güney et Wolfgang Schomburg, tel que lu à l’audience par le Juge Président:

La Chambre d’appel est réunie aujourd’hui afin de prononcer l’arrêt dans l’affaire Le Procureur c/ Radislav Krstic. L’Accusation et la Défense ont toutes deux interjeté appel du jugement rendu par la Chambre de première instance I de ce Tribunal le 2 août 2001 à l’issue du procès qui s’est ouvert ici à La Haye le 13 mars 2000 et qui a duré à peine plus d’un an.

Les faits de l’espèce sont pour l’essentiel liés aux événements qui se sont déroulés dans la ville de Srebrenica vers juillet 1995. Srebrenica se situe en Bosnie-Herzégovine orientale. La ville a donné son nom à une « zone de sécurité » des Nations Unies, enclave créée pour mettre la population civile de la ville à l’abri de la guerre qui faisait rage alentour. Cependant, depuis juillet 1995, le nom de Srebrenica est aussi associé aux atrocités qui constituent la toile de fond de la présente affaire. La perversion, la brutalité et la cruauté dont l’Armée des Serbes de Bosnie (la « VRS ») a fait preuve envers les habitants innocents de la zone de sécurité sont désormais bien connues et bien établies. Les femmes, les enfants et les personnes âgées musulmans de Bosnie ont été chassés de l’enclave, et sept à huit mille hommes musulmans de Bosnie ont été tués de manière systématique.

Au moment des faits, Srebrenica se situait dans la zone de responsabilité du Corps de la Drina de la VRS et Radislav Krstic était général de division dans la VRS et commandant du Corps de la Drina. Pour sa participation à ces événements, la Chambre de première instance a jugé Radislav Krstic coupable de génocide ; de persécutions ayant pris la forme de meurtres, de traitements cruels et inhumains, d’actes visant à terroriser la population civile, de transfert forcé et de destruction de biens personnels, en tant que crimes contre l’humanité ; et de meurtres constitutifs de violations des lois ou coutumes de la guerre. Pour ces crimes dont il a été reconnu coupable, la Chambre de première instance a condamné Radislav Krstic ŕ une peine de quarante-six ans d’emprisonnement.

Comme il est d’usage au Tribunal, nous n’allons pas lire le texte de l’arrêt, mais seulement son dispositif. Nous allons en revanche récapituler les questions posées en appel ainsi que le raisonnement et les conclusions de la Chambre d’appel de manière à ce que vous, Radislav Krstic, et le public, preniez connaissance des motifs de cet arrêt. Nous insistons néanmoins sur le fait qu’il ne s’agit que d’un résumé de l’arrêt, dont il ne fait en aucune manière partie intégrante. Les seules conclusions de la Chambre d’appel faisant autorité figurent dans le texte écrit de l’arrêt, qui sera rendu public aujourd’hui à l’issue de cette audience.

Compte tenu de l’importance du présent appel, le résumé du jugement que nous allons lire maintenant est plus long que de coutume. Pour vous aider à comprendre l’arrêt, nous tenons d’ores et déjà à souligner que les juges de la Chambre d’appel sont unanimes sur deux points essentiels : le premier est qu’un génocide a été commis à Srebrenica en 1995, le second étant la peine, que nous prononcerons à l’issue de la présente audience.

En l’espèce, l’appel de l’Accusation repose sur deux moyens. Premièrement, l’Accusation conteste en appel la conclusion de la Chambre de première instance relative à l’impossibilité d’un cumul des déclarations de culpabilité. Deuxièmement, l’Accusation fait appel de la peine prononcée par la Chambre de première instance et demande que Radislav Krstic soit condamné ŕ la réclusion à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 30 ans.

La Défense soulève quatre moyens d’appel. Dans le premier, elle fait appel de la déclaration de culpabilité pour génocide prononcée contre Radislav Krstic, alléguant que la Chambre de première instance a commis des erreurs de fait et de droit ; dans son deuxième moyen, elle met en cause différentes pratiques de communication de l’Accusation qui, selon elle, ont privé Radislav Krstic d’un procès équitable ; dans son troisième moyen, la Défense allègue que la Chambre de première instance a commis un certain nombre d’autres erreurs de fait et de droit ; enfin, la Défense interjette appel de la peine prononcée à l’encontre de Radislav Krstic au motif que la Chambre de première instance n’a ni tenu compte de la grille des peines appliquée en ex-Yougoslavie, ni accordé un poids suffisant aux circonstances atténuantes.

Nous allons maintenant exposer plus en détail ces moyens d’appel ainsi que les conclusions de la Chambre d’appel pour chacun d’eux.

1. Conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle un génocide a été commis à Srebrenica

La Défense fait appel de la déclaration de culpabilité prononcée contre Radislav Krstic pour génocide ŕ l’encontre de Musulmans de Bosnie à Srebrenica. La Défense affirme que la Chambre de première instance s’est méprise à double titre sur la définition juridique du génocide.

a) la définition d’une partie du groupe

Radislav Krstic affirme tout d’abord que la Chambre de premičre instance a donné de la partie du groupe national que, selon elle, il avait l’intention de détruire, une définition trop étroite.

Comme la Convention sur le génocide, l’article 4 du Statut du Tribunal englobe certains actes commis « dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Le groupe visé selon l’acte d’accusation, et retenu par la Chambre de première instance, est celui des Musulmans de Bosnie. La Chambre de première instance a jugé que les Musulmans de Bosnie constituaient un groupe national particulier et distinct, et donc couvert par l’article 4 du Statut. Cette conclusion n’est pas contestée en appel.

Comme il ressort de l’acte d’accusation, il n’a pas été reproché à Radislav Krstic d’avoir eu l’intention de détruire l’ensemble du groupe national que constituent les Musulmans de Bosnie, mais uniquement une partie de ce groupe. La première question posée en appel est de savoir si, en concluant que Radislav Krstic était animé de l’intention génocidaire, la Chambre de première instance a défini la partie du groupe des Musulmans de Bosnie concernée conformément aux exigences de l’article 4 du Statut et de la Convention sur le génocide.

Il est établi que si une déclaration de culpabilité pour génocide repose sur l’intention de détruire « en partie » un groupe protégé, cette partie doit être substantielle. La Convention sur le génocide a pour objet de prévenir la destruction intentionnelle de groupes humains entiers, et la partie du groupe visée doit être suffisamment importante pour que l’ensemble du groupe soit affecté.

Par conséquent, l’intention génocidaire requise par l’article 4 du Statut est présente lorsque les éléments de preuve montrent que l’auteur présumé a eu l’intention de détruire au moins une partie substantielle du groupe protégé. Un certain nombre de facteurs peuvent entrer en ligne de compte pour déterminer si la partie du groupe visée est suffisamment importante pour que cette condition soit remplie. S’il faut tenir compte au premier chef de l’importance numérique du groupe visé, on ne saurait s’arrêter là. Le nombre de personnes visées doit être considéré dans l’absolu mais aussi par rapport à la taille du groupe dans son ensemble. Il peut être utile de tenir compte non seulement de l’importance numérique de la fraction du groupe visée mais aussi de sa place au sein du groupe tout entier. Si une portion donnée du groupe est représentative de l’ensemble du groupe, ou essentielle à sa survie, on peut en conclure qu’elle est substantielle au sens de l’article 4 du Statut.

En l’espèce, après avoir identifié le groupe protégé comme étant le groupe national des Musulmans de Bosnie, la Chambre de première instance a conclu que la partie du groupe visée par l’état-major principal de la VRS et Radislav Krstic était celle des Musulmans de Srebrenica, ou des Musulmans de Bosnie orientale. Avant la prise de la ville par les forces de la VRS en 1995, Srebrenica comptait environ 40 000 Musulmans de Bosnie. Si, par rapport à la population musulmane totale de la Bosnie-Herzégovine à l’époque des faits, ce nombre était peu élevé, il ne suffit pas à lui seul à donner une idée de l’importance de la communauté musulmane de Srebrenica. Comme la Chambre de première instance l’a expliqué, Srebrenica, et la région de la Podrinje centrale qui l’entourait, revêtaient une importance stratégique capitale pour les dirigeants serbes de Bosnie. Sans Srebrenica, l’État ethniquement serbe de Republika Srpska qu’ils souhaitaient créer resterait divisé en deux parties distinctes et serait coupé de la Serbie même. La prise de Srebrenica et le nettoyage ethnique de la ville compromettraient donc sérieusement les efforts militaires déployés par les Musulmans de Bosnie pour assurer la viabilité de leur État, conséquence dont leurs dirigeants avaient pris pleinement conscience et contre laquelle ils luttaient par tous les moyens. Le contrôle de la région de Srebrenica était donc essentiel pour la création, voulue par certains dirigeants serbes de Bosnie, d’une entité politique viable en Bosnie, et nécessaire à la survie de la population musulmane de Bosnie. La plupart des habitants musulmans de la région ayant, en 1995, trouvé refuge dans l’enclave de Srebrenica, l’élimination de cette enclave permettrait de débarrasser la région toute entière de sa population musulmane.

En outre, l’intérêt que les Musulmans de Bosnie et la communauté internationale portaient à Srebrenica ajoutait à son importance. La ville de Srebrenica était la « zone de sécurité » la plus connue parmi celles établies par le Conseil de sécurité de l’ONU en Bosnie. En 1995, elle avait déjà bénéficié d’une attention particulière de la part des médias internationaux. Dans sa résolution déclarant Srebrenica « zone de sécurité », le Conseil de sécurité avait annoncé que l’enclave devrait être « à l’abri de toute attaque armée et de tout autre acte d’hostilité ». Cette garantie de protection a été réaffirmée par le commandant de la force de protection des Nations Unies (la « FORPRONU ») en Bosnie et renforcée par le déploiement de forces de l’ONU. L’élimination de la population musulmane de Srebrenica, malgré les assurances données par la communauté internationale, devait faire prendre conscience à tous les Musulmans de Bosnie de leur vulnérabilité et de leur impuissance face aux troupes militaires serbes. Le sort des Musulmans de Bosnie de Srebrenica devait être représentatif de celui de l’ensemble des Musulmans de Bosnie.

La Défense n’affirme pas qu’en considérant les Musulmans de Bosnie de Srebrenica comme une partie substantielle du groupe visé, la Chambre de première instance a contrevenu à l’article 4 du Statut du Tribunal. Elle fait en revanche valoir que la Chambre de première instance est allée plus loin en concluant que la partie du groupe que Radislav Krstic avait l’intention de détruire était les hommes musulmans de Bosnie de Srebrenica en âge de combattre.

En affirmant cela, la Défense se méprend sur l’analyse de la Chambre de première instance. Celle-ci a déclaré que la partie du groupe que Radislav Krstic avait l’intention de détruire était la population musulmane de Bosnie de Srebrenica. La Chambre de première instance n’a pas considéré que les hommes en âge de combattre, qui formaient un sous-groupe, constituaient un groupe plus petit, distinct au sens de l’article 4 du Statut. Elle s’est au contraire fondée sur le meurtre des hommes en âge de combattre pour conclure que Radislav Krstic et des membres de l’état-major principal de la VRS avaient l’intention requise de détruire tous les Musulmans de Bosnie de Srebrenica, seule partie du groupe protégé relevant de l’analyse de l’article 4 du Statut.

La Chambre de première instance n’a commis aucune erreur dans son appréciation de la partie substantielle du groupe protégé. L’appel de la Défense sur ce point est rejeté.

b) l’intention de détruire

Deuxièmement, la Défense soutient que la Chambre de première instance a abusivement élargi la définition du génocide en concluant que les efforts déployés pour déplacer une communauté de son lieu de résidence traditionnel suffit pour montrer que l’auteur présumé du crime était animé de l’intention de détruire un groupe protégé.

La Chambre d’appel convient que la Convention sur le génocide, et le droit international coutumier en général, prohibent uniquement la destruction physique ou biologique d’un groupe humain. La Chambre de première instance a expressément reconnu cette limitation et a écarté toute définition plus large. La Chambre de première instance ayant correctement dégagé le principe de droit applicable, il incombe à la Défense de convaincre la Chambre d’appel que, si la Chambre de première instance a bien énoncé le droit, elle l’a mal appliqué.

La conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle les troupes de la VRS entendaient éliminer tous les Musulmans de Srebrenica repose avant tout sur le massacre par la VRS de l’ensemble des hommes de cette communauté en âge de combattre. La Chambre de première instance s’est fondée pour cela sur un certain nombre de constatations, qui doivent être admises dans la mesure où un juge du fait aurait pu raisonnablement parvenir aux mêmes conclusions. La Chambre de première instance a jugé que lorsqu’elle a exécuté les hommes musulmans de Bosnie faits prisonniers, la VRS n’a opéré aucune distinction entre les militaires et les civils. Elle a aussi constaté que certaines victimes étaient des personnes gravement handicapées, et qu’il ne pouvait donc s’agir de combattants. En outre, comme la Chambre de première instance l’a fait remarquer, l’expression « les hommes en âge de combattre » était impropre, le groupe tué par la VRS comprenant des jeunes garçons et des vieillards, qui ne sont normalement pas rangés dans cette catégorie. La Chambre de première instance a aussi eu raison de prendre en considération les conséquences qu’aurait, à long terme, l’élimination de sept à huit mille hommes de Srebrenica sur la survie de cette communauté.

En l’espèce, on peut, comme la Chambre de première instance l’a fait, déduire des faits que les hommes musulmans de Bosnie ont été tués avec une intention génocidaire. L’ampleur des exécutions, la conscience que l’état-major principal de la VRS avait des conséquences préjudiciables qu’elles auraient sur la communauté musulmane de Srebrenica, et les autres mesures prises par l’état-major principal afin de garantir la destruction physique de cette communauté suffisent pour conclure à l’existence d’une intention génocidaire spécifique. La Chambre d’appel souscrit à la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle les meurtres ont été organisés par des membres de l’état-major principal de la VRS qui en ont aussi assuré la supervision. Le fait que la Chambre de première instance n’ait pas attribué l’intention génocidaire à un officier particulier de l’état-major principal ne remet pas en cause la conclusion selon laquelle les forces serbes de Bosnie ont commis un génocide contre les Musulmans de Bosnie.

Parmi les crimes graves que ce Tribunal a le devoir de punir, celui de génocide se singularise par la réprobation particulière et l’opprobre qu’il suscite. Le génocide est un crime horrible de par son ampleur ; ses auteurs vouent à l’extinction des groupes humains entiers. Ceux qui conçoivent et commettent le génocide cherchent à priver l’humanité des innombrables richesses qu’offrent ses nationalités, races, ethnies et religions. Il s’agit d’un crime contre le genre humain dans son intégralité, qui touche non seulement le groupe dont on cherche la destruction, mais aussi l’humanité toute entière.

Les conditions rigoureuses qui doivent être remplies pour que l’on puisse prononcer une déclaration de culpabilité pour génocide témoignent de la gravité de ce crime. Ces conditions - la preuve, difficile à apporter, d’une intention spécifique, et la démonstration que c’était l’ensemble du groupe, ou une partie substantielle de celui-ci qui était voué à l’extinction – écartent le risque que des déclarations de culpabilité pour génocide soient prononcées à la légère. Cependant, lorsque ces conditions sont remplies, le droit ne doit pas répugner à désigner le crime commis par son nom. En cherchant à éliminer une partie des Musulmans de Bosnie, les forces serbes de Bosnie ont commis un génocide. Elles ont śuvré à l’extinction des 40 000 Musulmans de Bosnie qui vivaient à Srebrenica, un groupe qui était représentatif des Musulmans de Bosnie dans leur ensemble. Elles ont dépouillé tous les hommes musulmans faits prisonniers, les soldats, les civils, les vieillards et les enfants de leurs effets personnels et de leurs papiers d’identité, et les ont tués de manière délibérée et méthodique sur la seule base de leur identité. Les forces serbes de Bosnie savaient, quand elles se sont lancées dans cette entreprise génocidaire, que le mal qu’elles causaient marquerait à jamais l’ensemble des Musulmans de Bosnie. La Chambre d’appel affirme clairement que le droit condamne expressément les souffrances profondes et durables infligées, et elle donne au massacre de Srebrenica le nom qu’il mérite : un génocide. Les responsables porteront le sceau de l’infamie qui s’attache à ce crime, et les personnes qui envisageraient à l’avenir de commettre un crime aussi odieux seront dès lors mises en garde.

En concluant que des membres de l’état-major principal de la VRS étaient animés de l’intention de détruire les Musulmans de Bosnie de Srebrenica, la Chambre de première instance n’a pas contrevenu aux exigences juridiques qui s’attachent au génocide. L’appel de la Défense sur ce point est rejeté.

2. Erreurs de faits alléguées s’agissant de l’entreprise criminelle commune visant à commettre un génocide

Dans le moyen d’appel qu’elle soulève ensuite, la Défense fait valoir que même si la Chambre avait eu raison de conclure au génocide, elle s’était néanmoins fourvoyée en estimant que les éléments de preuve présentés étaient suffisants pour établir que Radislav Krstic était membre d’une l’entreprise criminelle commune visant ŕ commettre un génocide.

Assurément, la Chambre d’appel se gardera d’annuler à la légère les constatations faites par une Chambre de première instance. Toutefois, comme la Chambre l’a déjà dit, lorsque l’Accusation se fonde sur la preuve de l’intention d’un accusé obtenue par déduction, celle-ci doit être la seule raisonnable possible compte tenu des éléments réunis.

La Chambre de première instance est parvenue à la conclusion que Radislav Krstic partageait l’intention d’une entreprise criminelle commune visant ŕ commettre un génocide en se fondant sur la connaissance qu’il avait de la situation à laquelle ont dû faire face les civils musulmans de Bosnie après la prise de Srebrenica, sur les rapports qu’il entretenait avec les principaux participants à l’entreprise criminelle commune, et sur les éléments de preuve dont elle a admis qu’ils établissaient que les moyens et les soldats placés sous son commandement et sa direction étaient utilisés pour faciliter les massacres. Sur la base de ces éléments de preuve, la Chambre de première instance a conclu qu’à partir du 13 juillet 1995 au soir, Radislav Krstic avait délibérément participé à l’entreprise criminelle commune visant à exécuter les Musulmans de Bosnie vivant à Srebrenica.

La Défense avance trois arguments pour attaquer cette conclusion.

Premièrement, la Défense conteste la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Radislav Krstic a pris de fait le commandement du Corps de la Drina et de son matériel le 13 juillet 1995, et pas plus tard. La Chambre de première instance a longuement examiné les arguments avancés ici par la Défense. Elle a, sur la base de dépositions de témoins oculaires et d’éléments de preuve documentaires, conclu que le transfert du commandement à Radislav Krstic avait eu lieu le 13 juillet. Les conclusions de la Chambre de première instance sont tout à fait raisonnables et corroborées par de nombreux éléments de preuve. La Défense n’est pas parvenue à établir la moindre erreur de la part de la Chambre de première instance, pas plus qu’elle n’a pu établir qu’aucune Chambre de première instance n’aurait raisonnablement pu parvenir à pareille conclusion.

Deuxièmement, la Défense soutient que la Chambre de première instance a eu tort de rejeter son argument selon lequel les exécutions étaient ordonnées et supervisées par le biais une chaîne de commandement parallèle dont le fonctionnement était assuré par les forces de sécurité de la VRS et sur laquelle Radislav Krstic n’exerçait aucun contrôle. Selon la Défense, cette chaîne de commandement qui partait du général Mladic, passait par le commandant de ses services de sécurité, le colonel Beara, de l’état-major principal de la VRS, le colonel Popovic, du Corps de la Drina, pour aboutir ŕ Dragan Nikolic, officier de sécurité de la brigade de Zvornik. La Défense affirme que grâce à cette chaîne de commandement parallèle, l’état-major principal de la VRS pouvait réquisitionner, ce qu’il a d’ailleurs fait, le matériel du Corps de la Drina sans consulter le commandement de ce corps.

À l’appui de ces arguments, la Défense a présenté, à titre de moyens de preuve supplémentaires, trois rapports de police établis par Dragomir Vasic, chef du centre de sécurité publique de Zvornik, ainsi que la déclaration d’un témoin protégé. Ces rapports viennent en effet appuyer la thčse de la Défense selon laquelle le MUP procédait de sa propre initiative aux exécutions. Toutefois, la Chambre de première instance n’a pas rejeté cette thèse. En fait, elle a expressément refusé d’« écarter la possibilité que le projet d’exécution ait été initialement conçu par des membres de l’état-major principal de la VRS, sans consulter le commandement du Corps de la Drina en général ni le général Krstic en particulier », et que le général Mladic ait dirigé l’opération. Cependant, comme la Chambre de premičre instance l’a souligné, l’état-major principal, faute de disposer de disposer des moyens nécessaires pour procéder seule aux exécutions, a dû recourir à ceux du Corps de la Drina. En outre, la Chambre de première instance a estimé que le commandement du Corps de la Drina avait connaissance des demandes formulées par l’état-major principal et de l’usage qu’il a fait par la suite des moyens du corps pour les exécutions. Ces conclusions sont corroborées par deux rapports de combat datant des 16 et 18 juillet 1995, signés par Radislav Krstic en sa qualité de commandant du Corps de la Drina, rapports présentés par l’Accusation comme moyens de preuve en réfutation dans le cadre de l’appel.

La Chambre d’appel estime que la décision de la Chambre de première instance de rejeter l’argument de la Défense concernant la chaîne de commandement parallèle, même considérée à la lumière des moyens à décharge supplémentaires, n’est pas de celles qu’aucun juge du fait n’aurait raisonnablement pu prendre.

Troisièmement, la Défense conteste la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Radislav Krstic aurait directement pris part aux exécutions et elle avance que, même si les éléments de preuve présentés devant la Chambre de première instance suffisent à établir qu’il avait connaissance du génocide commis à Srebrenica, ils ne suffisent pas à établir qu’il partageait l’intention de le commettre.

Plus spécifiquement, la Défense affirme que la Chambre de première instance a eu tort de conclure que, le 16 juillet 1993, des membres de la brigade de Bratunac ont participé aux massacres survenus à la ferme de Branjevo et au Centre culturel de Pilica. Le témoignage de Dražen Erdemovic (membre du 10e détachement de sabotage impliqué dans les massacres survenus à ladite ferme) constituait un élément de fait essentiel pour la conclusion de la Chambre de première instance. S’agissant de l’identification des hommes de Bratunac, Dražen Erdemovic a révélé avoir entendu dire qu’ils étaient de Bratunac, qu’ils portaient des uniformes de la VRS et qu’ils connaissaient certains des hommes musulmans de Srebrenica, ce qui l’amenait ŕ penser qu’ils étaient de la région. Dražen Erdemovic n’a pas apporté d’éléments permettant de dire que ces hommes appartenaient à la brigade de Bratunac, plutôt qu’à une autre unité militaire. En fait, le seul homme qu’il ait formellement identifié sur les photographies qui lui ont été présentées appartenait à une autre unité militaire, qui n’était pas placée sous le commandement de Radislav Krstic. Dans ces conditions, le témoignage de Dražen Erdemovic ne suffit pas pour établir que les hommes dont il est ici question appartenaient ŕ la brigade de Bratunac.

L’insuffisance du témoignage de Dražen Erdemovic est mise en lumičre par la déposition de Richard Butler, expert militaire cité par l’Accusation. Revenant sur la déposition qu’il avait faite au procès, l’expert a clairement indiqué en appel que Dražen Erdemovic n’avait jamais dit que les hommes envoyés en renfort pour les exécutions étaient des membres de la brigade de Bratunac, mais uniquement qu’il s’agissait de personnes originaires de la ville de Bratunac. Richard Butler a également confirmé que l’un des hommes dont parlait Drazen Erdemovic avait été identifié comme étant un membre de l’unité Panteri, du Corps de la Bosnie orientale. À la lumière de cet élément, Richard Butler a conclu que les hommes qui étaient venus en renfort pour les exécutions n’appartenaient pas à la brigade de Bratunac.

Compte tenu des éléments de preuve sur lesquels s’est fondée la Chambre de première instance et les rectificatifs apportés par Richard Butler, la Chambre d’appel estime que la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Radislav Krstic a envoyé des hommes de la brigade de Bratunac en renfort ŕ la ferme de Branjevo et au Centre culturel de Pilica pour les exécutions est une conclusion à laquelle aucun juge du fait n’aurait pu raisonnablement parvenir. Les éléments de preuve présentés n’établissent pas que le Corps de la Drina a directement participé aux exécutions et, partant, que Radislav Krstic a apporté son concours ŕ ces exécutions.

Les éléments de preuve présentés établissent néanmoins que les membres et le matériel du Corps de la Drina ont contribué à faciliter les exécutions. La conclusion de la Chambre de première instance sur ce point est corroborée par le témoignage de Dražen Erdemovic indiquant que son unité a été accompagnée ŕ la ferme militaire de Branjevo par deux membres de la police militaire du Corps de la Drina, et que d’autres membres de celle-ci, arborant l’insigne du Corps de la Drina, escortaient les autocars transportant des civils musulmans de Bosnie à ladite ferme et en supervisaient le débarquement.

À la lumière de ces conclusions, la Chambre d’appel doit déterminer si la Chambre de première instance a eu tort de conclure que Radislav Krstic partageait l’intention génocidaire d’une entreprise criminelle commune visant ŕ exterminer les Musulmans de Srebrenica.

L’argumentation développée par l’Accusation contre Radislav Krstic reposait sur des éléments de preuve indirects, et la conclusion de la Chambre de première instance était en grande partie fondée sur un ensemble de circonstances. Pour déclarer Radoslav Krstic coupable d’avoir participé à une entreprise criminelle commune visant à commettre un génocide, la Chambre de première instance s’est fondée sur des éléments de preuve établissant qu’il avait connaissance de l’intention du général Mladic et d’autres membres de l’état-major principal de la VRS d’exécuter les Musulmans de Bosnie de Srebrenica et de l’utilisation des membres et des moyens du Corps de la Drina pour ces exécutions, compte tenu de sa place dans la hiérarchie ; et sur des éléments de preuve établissant qu’il avait supervisé la participation de ses subordonnés à ces exécutions.

La Chambre de première instance a estimé que les contacts qu’avait eus le général Mladic avec Radislav Krstic étaient essentiels pour établir l’intention génocidaire de ce dernier. Les parties ont convenu que le général Mladic était le grand ordonnateur des exécutions. La Chambre de premičre instance a constaté qu’ils avaient tous les deux été constamment en rapport pendant la période considérée, et elle a conclu que « [s]i le général Mladic avait connaissance des massacres, il serait naturel que le général Krstic en ait aussi eu connaissance ».

Pour parvenir à cette conclusion, la Chambre de première instance s’est fondée sur la présence de Radoslav Krstic à la deuxième et à la troisième des trois réunions organisées par le général Mladic à l’hôtel Fontana, les 11 et 12 juillet 1995. Des responsables de la FORPRONU et des dirigeants civils de Bosnie choisis par celle-ci ont assisté à ces rencontres. Il y a été question du sort des Musulmans de Bosnie après la chute de Srebrenica. Radoslav Krstic étant présent à deux de ces réunions, la Chambre de première instance a conclu qu’il « savait que la survie de la population musulmane de Bosnie était compromise après la prise de Srebrenica ».

Toutefois, la présence de Radislav Krstic ŕ ces réunions établit tout au plus qu’il avait connaissance de la décision du général Mladic de transférer, en autocars, la population de Potocari dans des territoires contrôlés par des Musulmans, et de vérifier avant le départ qu’il n’y avait parmi les hommes aucun criminel de guerre. Comme la Chambre de premičre instance l’a reconnu, la décision de procéder à cette vérification n’est ni criminelle, ni déraisonnable. La brigade de Bratunac avait dressé une liste de plus de 350 criminels de guerre présumés censés se trouver dans la région de Srebrenica. Bien que le général Mladic ait également annoncé que la survie de la population dépendait de la reddition sans condition de l’Armée de Bosnie-Herzégovinew, il est peu probable qu’il ait fait part de ses intentions génocidaires en présence de responsables de la FORPRONU et de médias étrangers, ou que les personnes présentes à ces réunions, dont Radoslav Krstic, aient interprété ses propos en ce sens. Rien ne permet de penser qu’ŕ cette époque, Radislav Krstic avait connaissance de l’intention du général Mladic d’exécuter les civils musulmans de Bosnie qui devaient ętre transférés.

En outre, la Chambre de première instance s’est fondée sur la présence de Radislav Krstic à la base de Potocari et à proximité de celle-ci pendant une à deux heures dans l’après-midi du 12 juillet, laps de temps au cours duquel il a été aperçu en train de s’entretenir avec d’autres officiers supérieurs, dont le général Mladic, pour estimer qu’il avait appris qu’un génocide se préparait. La Chambre de premičre instance a estimé, vu sa présence sur les lieux, que Radislav Krstic « devait avoir connaissance des conditions effroyables dans lesquelles se trouvaient les réfugiés musulmans de Bosnie et des mauvais traitements généralisés que les soldats de la VRS leur infligeaient ce jour-là ». La Chambre de première instance a également conclu, vu sa présence à la Maison Blanche, à Potocari, qu’il savait que les hommes qui avaient été séparés du reste des réfugiés étaient détenus dans des conditions épouvantables et n’étaient pas traités conformément aux pratiques admises pour les enquêtes pour crimes de guerre. La Chambre de première instance a conclu qu’il devait s’être rendu compte, comme tous les autres témoins présents près de la Maison Blanche, que le sort de ces hommes était terriblement incertain, mais il n’a rien fait pour obtenir des éclaircissements auprès du général Mladic ou de qui que ce soit d’autre.

Toutefois, la Chambre de première instance a également conclu que ce n’est que le 13 juillet 1995 que les hommes du Dutchbat ont su à certains signes que les Serbes de Bosnie exécutaient des hommes musulmans qui avaient été séparés du reste de la population ; que ce n’est qu’une fois que tous les civils musulmans de Bosnie ont été évacués de Potocari que les effets personnels des hommes qui avaient été séparés des autres réfugiés ont été détruits ; et que les soldats du Dutchbat ont eu la certitude que l’affaire des criminels de guerre n’était qu’un subterfuge. La Chambre de première instance n’a pas été en mesure de conclure que des membres du Corps de la Drina se trouvaient toujours sur les lieux à ce moment-là, et rien ne permettait de dire que Radoslav Krstic était au courant des fusillades ŕ la Maison Blanche ou de la destruction des effets personnels des hommes séparés des autres réfugiés.

La Chambre de première instance a également conclu que Radislav Krstic devait savoir qu’à Tisca, on faisait descendre des autocars les hommes qui étaient parvenus à y monter avec les femmes, enfants et personnes âgées. La transcription d’une communication interceptée le 12 juillet 1995 permet d’établir que Radislav Krstic avait ordonné au Corps de la Drina de protéger la route reliant Vlasenica à Tuzla. La Chambre de première instance a estimé que c’était là un fait qui permettait de conclure qu’il devait savoir que l’on faisait descendre les hommes des autocars à Tisca. Elle a en outre constaté que le chef d’état-major de la brigade de Milici et des hommes de son unité se trouvaient ŕ Tisca, sur les lieux du « tri », sur les ordres du commandement du Corps de la Drina. Sur la base de ces éléments, la Chambre de premičre instance a conclu qu’il est évident que Radislav Krstic ne pouvait ignorer qu’ŕ Tisca, ces hommes étaient séparés des autres réfugiés, forcés de descendre des autocars et conduits vers des lieux de détention. Toutefois, il convient de remarquer qu’elle n’a pas établi ŕ ce stade que Radislav Krstic savait que les prisonniers allaient ętre exécutés.

La Chambre de première instance n’a en fait pas établi que, grâce aux contacts qu’il avait eus avec le général Mladic pendant la période considérée, Radislav Krstic avait appris qu’il était dans ses intentions d’exécuter les Musulmans de Bosnie. L’affirmation de la Chambre de première instance ne reposait pas sur des preuves suffisantes. Sans avoir préalablement établi que Radislav Krstic avait connaissance de l’intention du général Mladic, aucune Chambre de première instance n’aurait pu raisonnablement conclure qu’il partageait cette intention. Cette conclusion erronée à laquelle est parvenue la Chambre de première instance jette un doute sur sa conclusion générale selon laquelle Radislav Krstic partageait l’intention génocidaire.

La Chambre d’appel estime que les moyens de preuve produits permettent seulement d’établir que Radislav Krstic avait connaissance de l’intention génocidaire qui animait certains membres de l’état-major principal, et qu’il n’a néanmoins rien fait pour empêcher l’utilisation des membres et des moyens du Corps de la Drina pour faciliter ces massacres. Cette connaissance qu’il avait ne permet pas à elle seule de conclure à son intention génocidaire. Le génocide est l’un des crimes les plus odieux qui soit, et sa gravité a pour corollaire l’exigence stricte d’une intention spécifique. Un accusé ne peut être déclaré coupable de génocide que si cette intention est clairement établie. La Chambre de première instance n’a, à l’évidence, pas suffisamment démontré que Radislav Krstic était animé par une intention génocidaire. Il n’est donc pas coupable de génocide en tant qu’auteur principal.

La question qui se pose à présent est celle du degré de responsabilité pénale de Radislav Krstic dans les circonstances établies comme il convient. Tous les crimes qui ont suivi la chute de Srebrenica ont été commis dans la zone de responsabilité du Corps de la Drina. Rien n’indiquait que le Corps de la Drina avait planifié l’une ou l’autre des atrocités commises, ni qu’il en était l’instigateur, et les éléments de preuve autorisent fortement à penser que les activités criminelles étaient menées par certains membres de l’état-major principal de la VRS sous le commandement du général Mladic. Lorsque les exécutions ont débuté, Radislav Krstic était pris par les préparatifs de l’attaque de Žepa et, ŕ partir du 14 juillet 1995, par la direction de l’attaque elle-même.

La Chambre de première instance a raisonnablement conclu qu’au moins à partir du 15 juillet 1995, Radislav Krstic avait connaissance de l’intention génocidaire qui habitait certains membres de l’état-major principal de la VRS. Il savait que celui-ci n’avait pas les moyens de procéder aux exécutions et qu’il lui fallait utiliser ceux du Corps de la Drina pour pouvoir mener à bien son plan génocidaire. Radislav Krstic savait qu’en permettant l’utilisation des moyens du Corps de la Drina, il contribuait grandement à l’exécution des prisonniers musulmans de Bosnie. Bien que les éléments de preuve présentés laissent à penser que Radislav Krstic n’était pas partisan de ce plan, en sa qualité de commandant du Corps de la Drina, il a permis à l’état-major principal de faire usage des moyens du Corps. La responsabilité pénale de Radislav Krstic est donc davantage celle d’un complice ayant aidé et encouragé une entreprise criminelle commune visant ŕ commettre un génocide, que celle d’un auteur. Cette accusation figure à juste titre dans l’Acte d’accusation, où il est allégué qu’il a aidé et encouragé à planifier, préparer ou commettre un génocide contre les Musulmans de Srebrenica.

La responsabilité de Radislav Krstic est ŕ juste titre définie comme celle d’un complice ayant aidé et encouragé un génocide au sens de l’article 7 1) du Statut, et non celle d’un complice dans le génocide au sens de l’article 4 3) e) du Statut. L’accusation de complicité de génocide figurait également dans l’Acte d’accusation, au chef 2. La Chambre de première instance ne s’est pas prononcée sur ce chef, concluant que la responsabilité de Radislav Krstic était celle d’un auteur principal. Il existe un chevauchement entre l’article 4 3), disposition générale passant en revue les différents modes répréhensibles de participation au génocide, et l’article 7 1), disposition générale traitant de la responsabilité pénale découlant de toutes les infractions sanctionnées par le Statut, et en particulier du génocide. D’aucuns estiment que l’article 4 3) semble être plus spécifique (lex specialis) que l’article 7 1). Il y a pourtant des précédents indiquant que les modes de participation énumérés à l’article 7 1) doivent être rapportés, comme le Statut du Tribunal l’exige, à l’article 4 3), ainsi la qualification exacte à donner à cette responsabilité pénale individuelle est celle de complice de génocide au sens de l’article 7 1) du Statut.

La Chambre d’appel considère qu’en l’espèce, c’est là la bonne approche. L’article 7 1) du Statut, qui permet de mettre en cause la responsabilité des complices, applique expressément cette forme de responsabilité à tout « crime visé aux articles 2 à 5 du présent Statut », y compris au crime de génocide sanctionné par l’article 4. Le Statut devant être interprété dans le plus grand respect des termes employés par ses auteurs, la Chambre d’appel ne saurait conclure que le chevauchement des articles 7 1) et 4 3) e) est le fruit d’une inadvertance de la part de ceux-ci alors qu’une autre explication conforme aux termes du Statut est possible. Dans ce cas, les deux articles peuvent se concilier, étant donné que les termes « complicité » et « complice » peuvent avoir une portée plus large que la notion de « complicité par aide et encouragement ». Compte tenu de l’affirmation expresse, à l’article 7 1) du Statut, que la responsabilité pour génocide sanctionnée par l’article 4 peut être mise en cause pour avoir « aidé et encouragé », la responsabilité de Radislav Krstic est très justement qualifiée de complicité de génocide au sens de l’article 7 1).

Cela soulève toutefois la question de savoir si, pour être tenu responsable pour complicité sur la base de l’article 7 1), il suffit que l’accusé ait connaissance de l’intention spécifique de l’auteur principal du génocide, ou s’il doit également partager cette intention. La Chambre d’appel a déjà expliqué, à plusieurs reprises, que tout individu qui aide et encourage à commettre une infraction supposant une intention spécifique peut en être tenu responsable s’il le fait en connaissant l’intention qui l’inspire. Ce principe s’applique à l’interdiction par le Statut du génocide, qui constitue également une infraction supposant une intention spécifique. Le Statut et la jurisprudence du Tribunal permettent de déclarer un accusé coupable de complicité de génocide sur la base de l’article 7 1) si la preuve est faite qu’il avait connaissance de l’intention génocidaire qui animait l’auteur principal. Telle est également l’approche suivie par de nombreux systèmes juridiques internes, tant de droit romano-germanique que de la common law.

Le fait que la Chambre de première instance n’ait pas identifié les membres de l’état-major principal de la VRS qui étaient au nombre des principaux participants à l’entreprise génocidaire ne remet pas en cause la conclusion selon laquelle Radislav Krstic connaissait l’intention génocidaire qui les animait. Un accusé peut être déclaré coupable de complicité d’un crime qui suppose une intention spécifique même lorsque les auteurs principaux de ce crime n’ont pas été jugés ou identifiés. Dans l’affaire Vasiljevic, la Chambre d’appel a déclaré l’accusé coupable de complicité de persécutions sans avoir jugé l’auteur principal présumé de ce crime et sans avoir identifié les deux autres coauteurs présumés. En conséquence, la déclaration de culpabilité prononcée contre Radislav Krstic pour sa participation ŕ une entreprise criminelle commune dont le but était de commettre un génocide est annulée et remplacée par une déclaration de culpabilité pour complicité de génocide.

L’analyse que la Chambre d’appel a faite de la participation de Radislav Krstic au génocide a une incidence sur la responsabilité pénale qui est la sienne pour le meurtre de civils musulmans de Bosnie, violations des lois ou coutumes de la guerre sanctionnées par l’article 3 du Statut, et pour l’extermination et les persécutions, sanctionnées par l’article 5 du Statut, lesquels sont des crimes qui découlent tous de l’exécution, entre le 13 et le 19 juillet 1995, des Musulmans de Bosnie de Srebrenica. Rien n’indique que Radislav Krstic a ordonné l’un quelconque de ces meurtres, ou qu’il y a directement pris part. Tout ce que les éléments de preuve établissent, c’est qu’il savait que ces meurtres étaient commis et qu’il les a facilités en permettant à l’état-major principal d’utiliser les hommes et les moyens qui étaient placés sous son commandement. Dans ces circonstances, la responsabilité pénale de Radislav Krstic est celle d’un complice des meurtres, exterminations et persécutions, et non celle d’un coauteur principal.

3. Pratiques de l’Accusation en matière de communication et droit de Radislav Krstic ŕ un procès équitable

La Défense a soulevé un autre moyen d’appel, arguant que les pratiques de l’Accusation en matière de communication avaient porté atteinte au droit de Radislav Krstic à un procès équitable, droit inscrit à l’article 20 du Statut. Dans son Arrêt, la Chambre d’appel a examiné chacune de ce pratiques, dont la Défense affirme qu’elles ont porté préjudice à la cause de l’accusé. La Défense reproche à l’Accusation d’avoir refusé de communiquer les copies de pièces à conviction dans un but tactique, d’avoir dissimulé une cassette audio pour ne la produire que plus tard, au cours du contre-interrogatoire, et d’avoir violé de diverses manières l’article 68 du Règlement (relatif à la communication des éléments de preuve à décharge) ; enfin, elle remet en cause la crédibilité de deux témoignages à charge.

La règle est que si la Défense demande réparation au motif que l’Accusation n’aurait pas respecté les obligations que lui impose l’article 68 du Règlement en matière de communication, il lui incombe de démontrer que, premièrement, l’Accusation a effectivement manqué à ces obligations et que, deuxièmement, il en est résulté un préjudice important pour la défense. En d’autres mots, si la Défense convainc le Tribunal que l’Accusation a manqué aux obligations qui découlent pour elle de l’article 68, le Tribunal examinera d’abord si ces manquements ont ou non porté préjudice à la défense, avant d’envisager une réparation appropriée.

En l’espèce, la Défense n’a pas établi avoir subi un préjudice du fait des pratiques en question. Ce moyen d’appel est donc rejeté.

Le droit d’un accusé à être jugé équitablement constitue toutefois un droit fondamental garanti par le Statut, et l’article 68 du Règlement est essentiel pour l’équité des procès menés devant le Tribunal. Lorsqu’un accusé ne peut demander réparation pour le non-respect d’une disposition réglementaire que dans des circonstances exceptionnelles — et particulièrement lorsque la mise en oeuvre même de cette disposition dépend du bon vouloir de l’Accusation — tout refus de la Chambre d’appel de défendre la disposition réglementaire en question mettrait son application en danger. Dans de tels cas, la Chambre d’appel peut recourir à diverses mesures sur la base de l’article 46 du Règlement (Discipline) et l’article 68 bis du Règlement (Manquement aux obligations de communication).

L’article 68 bis, notamment, porte spécifiquement sur les obligations en matière de communication, et donne au Tribunal toute latitude pour imposer, d’office si nécessaire, des sanctions à toute partie en défaut.

La Chambre d’appel note que l’Accusation a déjà expliqué de manière assez détaillée, y compris par l’entremise des Premiers Substituts du Procureur au Bureau du Procureur, pourquoi certaines pièces n’avaient pas été communiquées. S’il est vrai qu’en l’espèce l’Accusation n’a pas toujours respecté les obligations de communication qui lui incombent en vertu des dispositions applicables, la Chambre d’appel n’est pas en mesure de déterminer si ces manquements étaient délibérés.

La Défense n’ayant pas subi de préjudice important en l’espèce, la Chambre d’appel ne sanctionnera pas formellement l’Accusation pour ses manquements aux obligations inscrites à l’article 68 du Règlement. Elle est convaincue que dans l’ensemble, l’Accusation a appliqué de bonne foi une procédure de communication systématique qui, à la lumière des constatations ci–dessus, devra toutefois être revue afin de garantir qu’à l’avenir, le Bureau du Procureur respecte les obligations qui sont les siennes. Cette conclusion ne doit toutefois pas conduire à penser, bien au contraire, que la Chambre d’appel cautionne les agissements critiquables de l’Accusation.

La Chambre d’appel ordonne au Procureur de mener une enquête sur les manquements reprochés à l’Accusation en l’espèce, et lui enjoint de prendre les mesures nécessaires. Elle ne tolèrera pas que les obligations en matière de communication ne soient pas scrupuleusement respectées et considère qu’elle en dit suffisamment sur cette question pour mettre en garde le Bureau du Procureur contre tout écart de conduite à l’avenir.

4. Analyse du cumul des déclarations de culpabilité par la Chambre de première instance

Dans son premier moyen d’appel, l’Accusation fait grief à la Chambre de première instance de ne pas avoir déclaré Radislav Krstic coupable d’extermination et de persécutions à l’encontre des Musulmans de Bosnie de Srebrenica, entre le 13 et le 19 juillet 1995, et d’assassinat et d’actes inhumains constitutifs de crimes contre l’humanité contre des civils musulmans de Bosnie à Potocari, entre le 10 et le 13 juillet 1995. La Chambre de première instance a en effet estimé que des déclarations de culpabilité pour extermination et persécutions ne pouvaient se cumuler avec une déclaration de culpabilité pour génocide, tout comme elle a jugé que les assassinats et actes inhumains constitutifs de crimes contre l’humanité étaient englobés dans les persécutions, dès lors que l’assassinat et les actes inhumains sous-tendaient la déclaration de culpabilité prononcée pour persécutions.

La Défense voudrait que l’appel de l’Accusation soit rejeté au motif que cette dernière ne demande pas une peine plus lourde au cas où son appel aboutirait. La portée de déclarations de culpabilité cumulatives ne se limite toutefois pas à leurs conséquences sur la peine : elles stigmatisent encore plus l’accusé, et peuvent faire obstacle à une libération anticipée. Par ailleurs, des déclarations de culpabilité cumulatives, dès lors qu’elles sont légitimes, servent à rendre pleinement compte de la culpabilité de l’accusé et de son comportement criminel. C’est pourquoi l’appel interjeté par l’Accusation est recevable, bien qu’il ne remette pas en cause la peine prononcée.

Il est de jurisprudence constante au Tribunal que plusieurs déclarations de culpabilité ne peuvent être prononcées sur la base de différentes dispositions du Statut, mais à raison du même comportement, que si chaque disposition du Statut concernée comporte un élément nettement distinct qui fait défaut dans l’autre, un élément étant nettement distinct d’un autre s’il exige la preuve d’un fait que n’exige pas l’autre élément. Si ce critère n’est pas rempli, seule la déclaration de culpabilité fondée sur la disposition la plus spécifique sera retenue. En effet, l’infraction la plus spécifique englobe celle qui l’est moins, puisque la commission de la première implique forcément que la deuxième a également été commise.

La première déclaration de culpabilité écartée que l’Accusation cherche à rétablir est celle prononcée pour extermination sur la base de l’article 5 du Statut, du fait du meurtre d’hommes musulmans de Bosnie à Srebrenica. La Chambre de première instance a estimé que cette déclaration de culpabilité ne pouvait se cumuler avec celle prononcée pour génocide sur la base de l’article 4, à raison des mêmes faits. Or, ces dispositions du Statut contiennent chacune un élément nettement distinct qui fait défaut dans l’autre. Ainsi, le génocide exige la preuve de l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe protégé spécifique, tandis que l’extermination exige la preuve que le crime a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre une population civile. En conséquence, la Chambre de première instance a eu tort de conclure que la déclaration de culpabilité pour extermination fondée sur l’article 5 et celle pour génocide fondée sur l’article 4 ne pouvaient être cumulées.

L’Accusation affirme ensuite que la Chambre de première instance a commis une erreur en refusant de déclarer Radislav Krstic coupable de persécutions sur la base de l’article 5 pour les crimes résultant du meurtre de Musulmans de Bosnie ŕ Srebrenica, au motif qu’une telle déclaration de culpabilité ne pouvait se cumuler avec celle prononcée pour génocide. Or, pour les mêmes raisons que celles que nous venons d’exposer à propos du crime d’extermination, le génocide n’englobe pas les persécutions, et la Chambre de première instance a à tort affirmé le contraire.

L’Accusation a également fait appel du rejet de deux autres déclarations de culpabilité. Il s’agit premièrement de la déclaration de culpabilité prononcée pour l’assassinat de civils musulmans de Bosnie à Potocari, assassinat constitutif d’un crime contre l’humanité. La Chambre de première instance a écarté une telle déclaration parce qu’elle ne pouvait pas se cumuler avec celle prononcée pour persécutions du fait du meurtre de ces civils. La seconde est la déclaration de culpabilité pour actes inhumains à raison du transfert forcé de civils musulmans de Bosnie à Potocari. La Chambre de première instance a conclu qu’elle était englobée dans la déclaration de culpabilité pour persécutions à raison des actes inhumains que constitue le transfert forcé. Cette conclusion de la Chambre de première instance est dans le droit fil du jugement porté par la Chambre d’appel sur ce point dans les affaires Krnojelac et Vasiljevic. En conséquence, l’appel de l’Accusation est rejeté sur ce point.

5. La peine

La Chambre de première instance a condamné Radislav Krstic ŕ une peine unique de 46 ans d’emprisonnement. Les parties ont toutes deux fait appel de cette sentence.

L’Accusation soutient que la peine infligée par la Chambre de première instance est insuffisante parce qu’elle ne rend pas compte comme il se doit ni de la gravité des crimes ni de la participation de Radislav Krstic ŕ ces crimes, qu’elle ne cadre pas avec les décisions rendues par le TPIR dans des cas de génocide comparables, qu’elle est fondée sur l’idée que Radislav Krstic est « ŕ l’évidence moins coupable » que d’autres ; et enfin parce que la Chambre de première instance a commis une erreur en estimant qu’en l’espèce, la préméditation ne pouvait être retenue comme une circonstance aggravante. En conséquence, l’Accusation estime que la Chambre de première instance a outrepassé son pouvoir d’appréciation en fixant la peine, et qu’il faudrait prononcer une peine de réclusion à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 30 ans.

La Défense quant à elle estime qu’en prononçant sa sentence, la Chambre de première instance n’a pas dûment tenu compte de la grille des peines appliquée en ex-Yougoslavie et par les juridictions de Bosnie-Herzégovine, et qu’elle n’a pas accordé le poids qui convenait aux circonstances atténuantes invoquées par la Défense. C’est pourquoi elle demande que la peine soit réduite à un maximum de 20 ans.

La Chambre d’appel a souligné que la détermination d’une peine est une décision discrétionnaire, ajoutant que seule l’existence d’une « erreur manifeste » dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire par la Chambre de première instance pouvait justifier une révision de la peine.

Pour les raisons qu’elle expose dans l’Arrêt, la Chambre d’appel n’a discerné aucune erreur manifeste que la Chambre de première instance aurait commise en infligeant à Radislav Krstic une peine de 46 ans, que ce soit au regard des conclusions de l’Accusation ou de celles de la Défense.

Néanmoins, la Chambre d’appel a ramené la responsabilité de Radislav Krstic pour génocide et pour le meurtre de Musulmans de Bosnie, visée par l’article 3, de celle d’un participant direct à celle d’un complice.

De ce point de vue, une révision de la peine s’impose. La Chambre d’appel a le pouvoir d’y procéder sans renvoyer l’affaire devant la Chambre de première instance.

Figurent parmi les éléments généraux à prendre en compte dans la sentence en l’espèce : i) la gravité du crime ou des crimes allégués ; ii) la grille générale des peines d’emprisonnement appliquée par les juridictions de l’ex–Yougoslavie ; iii) la situation personnelle de la personne déclarée coupable ; enfin iv) toute circonstance aggravante ou atténuante.

Concernant la gravité des crimes allégués, la Chambre d’appel a récemment reconnu dans l’affaire Vasiljevic que la responsabilité du complice appelle généralement des peines moins lourdes que celle du coauteur. Ce principe a également été reconnu par le TPIR, par la législation de l’ex–Yougoslavie et dans de nombreux systèmes de droit internes. S’il ne fait pas de doute que les crimes commis par Radislav Krstic sont graves, la conclusion selon laquelle il n’était pas animé d’une intention génocidaire atténue sensiblement sa responsabilité. La męme analyse s’applique à l’atténuation de la responsabilité de Radislav Krstic pour les meurtres commis à Srebrenica entre le 13 et le 19 juillet 1995 et constitutifs de violations des lois ou coutumes de la guerre. Radislav Krstic étant désormais reconnu coupable de complicité de ces crimes, un allégement sensible de la peine s’impose.

La Chambre d’appel a également estimé que la Chambre de première instance avait eu tort de ne pas déclarer Radislav Krstic coupable du chef d’extermination, un crime contre l’humanité (chef 3), et du chef de persécutions, un crime contre l’humanité (chef 6), au motif que de telles déclarations de culpabilité ne pouvaient se cumuler avec celle prononcée pour génocide. La Chambre d’appel a cependant conclu que pour ces deux crimes, la responsabilité de Radislav Krstic était celle d’un complice, et non celle d’un auteur principal. Bien que de telles conclusions soient susceptibles de modifier le tableau d’ensemble du comportement criminel de Radislav Krstic, l’Accusation n’a pas demandé d’alourdissement de la peine pour ces déclarations de culpabilité. C’est pourquoi la Chambre d’appel n’a pas tenu compte de la participation de Radislav Krstic ŕ ces crimes lorsqu’elle a fixé la peine adaptée à la gravité de son comportement.

En ce qui concerne la grille générale des peines appliquées par les juridictions de l’ex–Yougoslavie, la Chambre d’appel a déjà expliqué que le Tribunal n’est pas lié par elle et qu’il est libre, dès lors que l’intérêt de la justice l’exige, de fixer une peine plus lourde ou moins sévère que celle qui aurait été fixée sous l’empire de la loi de l’ex–Yougoslavie. Dans l’Arrêt, la Chambre d’appel a bien examiné la grille des peines de l’ex–Yougoslavie dans la mesure où celle–ci s’applique à l’espèce, et en a tenu compte. En particulier, la législation de l’ex–Yougoslavie prévoyait que la peine infligée au complice pouvait être inférieure à celle prononcée à l’encontre de l’auteur principal.

La Chambre d’appel considère que Radislav Krstic doit bénéficier de quatre circonstances atténuantes supplémentaires, à savoir : i) les limites dans lesquelles il a mis à disposition les moyens du Corps de la Drina ; ii) le fait qu’il n’avait que récemment pris le commandement du corps lors d’opérations de combat ; iii) le fait qu’il n’a été présent à Potocari et aux alentours que pendant deux heures tout au plus ; et iv) le fait qu’il a ordonné par écrit de traiter les Musulmans avec humanité.

Je vais à présenter procéder à la lecture de la totalité du dispositif de l’Arrêt rendu par la Chambre d’appel.

Monsieur Krstic, veuillez vous lever.

DISPOSITIF

Par les motifs exposés ci–dessus, LA CHAMBRE D’APPEL,

EN APPLICATION de l’article 25 du Statut et des articles 117 et 118 du Règlement de procédure et de preuve,

VU les conclusions écrites des parties et ouï leurs exposés aux audiences des 26 et 27 novembre 2003,

SIÉGEANT en audience publique,

ANNULE la déclaration de culpabilité prononcée à l’encontre de Radislav Krstic pour participation à une entreprise criminelle commune visant à commettre le génocide (chef 1) (le Juge Shahabuddeen joignant une opinion dissidente) et DÉCLARE Radislav Krstic coupable de complicité de génocide (le Juge Shahabuddeen joignant une opinion dissidente),

DÉCIDE que c’est à tort que la Chambre de première instance a refusé de déclarer Radislav Krstic coupable de participation aux actes d’extermination et de persécutions (chefs 3 et 6) commis entre le 13 et le 19 juillet 1995, mais DIT que son degré de responsabilité était celui d’un complice des actes d’extermination et de persécution commis comme crimes contre l’humanité,

ANNULE la déclaration de culpabilité prononcée à l’encontre de Radislav Krstic pour participation aux meurtres visés par l’article 3 du Statut (chef 5), commis entre le 13 et le 19 juillet 1995 (le Juge Shahabuddeen joignant une opinion dissidente), et DÉCLARE Radislav Krstic coupable de complicité de meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre (le Juge Shahabuddeen joignant une opinion dissidente),

CONFIRME les déclarations de culpabilité prononcées à l’encontre de Radislav Krstic pour sa participation aux meurtres, en tant que violations des lois ou coutumes de la guerre (chef 5), et aux persécutions (chef 6) commis entre le 10 et le 13 juillet à Potocari,

REJETTE pour le surplus les appels interjetés par la Défense et par l’Accusation contre les déclarations de culpabilité prononcées à l’encontre de Radislav Krstic,

REJETTE les appels interjetés par la Défense et par l’Accusation contre la peine infligée à Radislav Krstic, et FIXE une nouvelle peine rendant compte de la responsabilité de Radislav Krstic telle qu’elle a été établie en appel,

CONDAMNE Radislav Krstic ŕ une peine de 35 années d’emprisonnement qui commence à courir à compter de ce jour, le temps que Radislav Krstic a passé en détention préventive, à savoir du 3 décembre 1998 à ce jour, étant à déduire de cette peine en application de l'article 101 C) du Règlement de procédure et de preuve,

ORDONNE, en application des articles 103 C) et 107 du Règlement de procédure et de preuve, que Radislav Krstic reste sous la garde du Tribunal dans l’attente de la conclusion d’un accord pour son transfert vers l’État où il purgera sa peine.

Le présent Arrêt est signé par les Juges Pocar, Shahabuddeen, Güney, Schomburg et moi-même, ce jour, 19 avril 2004, à La Haye, Pays-Bas.

Le Juge Shahabuddeen joint une opinion partiellement dissidente.


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