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Déclaration de Carla Del Ponte, Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, sur les enquêtes et les poursuites visant des crimes commis au Kosovo

PROCUREUR
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
(Destiné exclusivement à l’usage des médias. Document non officiel.)
La Haye, le 29 septembre 1999
PR/P.I.S/437-f

Déclaration de Carla Del Ponte, Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, sur les enquêtes et les poursuites visant des crimes commis au Kosovo

1. Le Bureau du Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
(TPIY) va enquêter sur les crimes commis pendant le conflit au Kosovo, et engager des poursuites énergiques afin que les responsables soient traduits en première instance à La Haye. Ces enquêtes et poursuites doivent être menées dans le cadre de la compétence statutaire du Tribunal international, conformément à la stratégie adoptée par le Bureau du Procureur et compte tenu des ressources dont il dispose. Par cette déclaration, le Procureur entend clairement faire savoir de quelle façon il s’acquittera de son mandat au Kosovo.

2. À la lumière des facteurs que je viens de mentionner, le Bureau du Procureur doit principalement porter son attention sur les enquêtes et les poursuites menées à l’encontre des cinq dirigeants de la République fédérale de Yougoslavie et de la République de Serbie, qui ont déjà été mis en cause et qui sont présumés responsables des crimes décrits dans l’acte d'accusation. Il faudra à cet effet rassembler des éléments de preuve supplémentaires concernant les évènements qui se sont déroulés au Kosovo pendant la période couverte par l’acte d'accusation et obtenir de nouvelles preuves permettant d’établir la position hiérarchique des accusés, ainsi que leur responsabilité par rapport aux crimes commis sur le terrain. De nouveaux éléments de preuve pourront ainsi compléter ceux déjà fournis à l’appui de l’acte d'accusation.

3. Le Bureau du Procureur doit aussi employer les ressources dont il dispose pour mener ses enquêtes dans le cadre des poursuites intentées contre d’autres dirigeants civils, de police ou militaires de haut niveau, tenus responsables de crimes commis lors du conflit armé au Kosovo, a quelque partie qu’ils appartiennent.

4. Le Bureau du Procureur du TPIY peut mener des enquêtes et intenter des poursuites à l’encontre d’autres personnes, au cas par cas, si elles sont présumées avoir commis des crimes particulièrement graves pendant le conflit armé. Il peut également mener des enquêtes et des poursuites, au cas par cas, à l’encontre d’auteurs de violences sexuelles commises dans le cadre de ce conflit.

5. Conformément au Statut du TPIY, le Tribunal international est habilité à poursuivre des personnes accusées d’avoir commis des infractions graves aux conventions de Genève de 1949 et à intenter à leur encontre des poursuites pour violations des lois ou coutumes de la guerre, génocide, ou crimes contre l’humanité. Exception faite de la commission d’un génocide, le Procureur est tenu d’établir qu’un conflit armé existait au moment où les crimes relevant de la compétence du Tribunal international ont été perpétrés (en cas d’infractions graves aux Conventions de Genève, le Procureur doit établir l’existence d’un conflit armé international). « Un conflit armé existe chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d'un État. Le droit international humanitaire s'applique dès l'ouverture de ces conflits armés et s'étend au-delà de la cessation des hostilités jusqu'à la conclusion générale de la paix ; ou, dans le cas de conflits internes, jusqu'à ce qu'un règlement pacifique soit atteint », a déclaré la Chambre d’appel dans le cadre du procès de Duško Tadić. La Chambre a également conclu que pour qu’un crime relève de la compétence du TPIY, « un lien suffisant doit être établi entre l’infraction présumée et le conflit armé, donnant lieu àl’applicabilité du droit international humanitaire ». Comme il est difficile de préjuger de la question de la compétence du Tribunal, le Bureau du Procureur continuera à examiner les fondements factuels et juridiques susceptibles d’établir des liens entre les infractions et le conflit armé au Kosovo. L’on ne saurait toutefois ignorer les limites de cette compétence ; il faut en tenir compte, tout en adoptant une stratégie des poursuites qui permette d’enquêter comme il se doit sur les principaux responsables des crimes et sur les auteurs de crimes particulièrement graves ou de violences sexuelles, perpétrés dans le cadre du conflit armé. Le Procureur doit également faire preuve de réalisme dans l’évaluation des ressources dont il dispose pour mener à bien son mandat conformément au Statut du TPIY.

6. À la lumière de ce qui précède, il est clair que le Bureau du Procureur du TPIY n’a ni le mandat, ni les ressources nécessaires pour être le principal organe chargé d’enquêter sur la totalité des actes criminels commis sur le territoire du Kosovo et de poursuivre les auteurs de ces crimes. Les enquêtes et les poursuites qui n’entrent pas dans le cadre de la compétence statutaire décrite plus haut, relèvent en réalité de la compétence de la MINUK, qui intervient par l’intermédiaire de l’UNCIVPOL et de la police civile nouvellement constituée au Kosovo, avec le soutien de la KFOR. Pour que le TPIY et ces agences opèrent au sein de leurs propres sphères, il sera utile que ces dernières continuent à coopérer efficacement avec le Bureau du Procureur. Cela devrait permettre au Procureur de rester informé de la nature et de l’avancée des enquêtes menées par la MINUK (via l’UNCIVPOL et la police civile) avec l’aide de la KFOR, sur des questions ayant potentiellement trait à des crimes relevant de la compétence du TPIY.

7. Le maintien de la liaison avec le Bureau du Procureur est important, le Conseil de sécurité ayant attribué au Tribunal international et aux juridictions nationales une compétence concurrente pour intenter des poursuites à l’encontre des personnes dont les crimes relèvent du Statut du TPIY. Les autorités judiciaires du Kosovo sont par conséquent compétentes pour juger des crimes relevant de la compétence du Tribunal international. Lorsque les circonstances le justifient, et seulement au cas par cas, le Tribunal international pourra demander aux juridictions nationales de se dessaisir en sa faveur, conformément à son Statut et à son Règlement de procédure et de preuve.

8. Le Procureur exercera son mandat de manière vigilante et active, en appliquant ces critères.