Déclaration de Mme Carla Del ponte, Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
Jusqu’à maintenant, j’ai hésité à faire des déclarations publiques concernant les travaux de mon nouveau bureau. Comme vous le savez, je suis le Procureur du TPIY et du TPIR. Avant de m’adresser aux médias, je voulais avoir le temps de voir par moi-même comment ces deux tribunaux fonctionnent. Je voulais notamment observer tous les aspects du fonctionnement du Bureau du Procureur.
Alors que je viens de terminer les 100 premiers jours de mes nouvelles fonctions, j’ai pu me rendre compte de la façon dont mon Bureau s’acquitte du mandat que lui a confié le Conseil de sécurité. Permettez-moi d’ores et déjà de dire que je suis très impressionnée par les activités de ces deux tribunaux. Chacun d’entre eux fait face à des difficultés différentes, et a fait ses propres preuves. J’aimerais dire quelques mots sur certains des principaux enjeux auxquels nous serons confrontés au cours de l’an 2 000.
Le Rwanda
Je voudrais tout d’abord parler du Tribunal pour le Rwanda car je viens de rentrer d’une visite de trois semaines en Afrique.
J’ai pu constater que du bon travail y était fait. Le personnel, dévoué et extrêmement motivé, travaille dans des conditions difficiles et s’emploie à constituer des dossiers complexes concernant des accusés de hauts rangs. L’année prochaine sera probablement la plus importante pour ce tribunal depuis sa création. Nous regrouperons les accusés dans le cadre des poursuites engagées pour trois grandes affaires de génocide : je serai moi-même chargée de diriger les poursuites dans le cadre du dossier dit « du Gouvernement » (les poursuites engagées contre les ministres de l’ancien régime du Rwanda) ; le Procureur adjoint sera chargé de l’affaire des « militaires » (les poursuites contre les principaux responsables du Ministère de la Défense et de l’armée) ; et le Chef de la Division des poursuites de mon bureau sera chargé du troisième procès (« l’affaire des médias »).
En outre, la Chambre d’appel examinera prochainement le recours que j’ai déposé dans le cadre du procès de Jean-Bosco Barayagwiza. Une décision antérieure – dont l’application est pour l’instant suspendue – qui prévoyait la mise en liberté provisoire de cette personnalité a entraîné une crise des relations entre le TPIR et le Gouvernement du Rwanda. J’ai cependant été en mesure d’entrer au Rwanda pour y rencontrer le personnel de mon bureau et pour effectuer ma première visite sur les lieux d’un massacre, afin de juger personnellement de l’ampleur des atrocités. J’ai l’intention de retourner en Afrique au début de l’année prochaine et j’espère que les relations avec le Gouvernement du Rwanda s’amélioreront avec la reprise des procès. J’ai la ferme intention de consacrer une grande partie de mon temps aux procédures engagées devant le TPIR. Je travaillerai à la question de la présentation des éléments de preuve aux juges, à la mise en place de mesures visant à identifier les ressources financières des accusés et à de nouvelles façons d’accorder une place aux victimes dans le cadre de nos procédures. L’an 2000 sera donc une année importante pour le TPIR et je vous encourage à suivre l’évolution de la situation.
L’ex‑Yougoslavie
J’aimerais répéter ici que l’arrestation des principaux responsables encore en liberté, est pour moi une priorité absolue. Cette question a été à l’ordre du jour de toutes les réunions que j’ai tenues en ex‑Yougoslavie et ailleurs et, dès le début de l’année prochaines, je vais entamer une nouvelle série de réunions avec les principaux gouvernements concernés pour aborder les questions pratiques pertinentes. J’ai l’intention de prendre des mesures énergiques à cet effet, parce que tout repose sur l’arrestation des accusés et leur comparution. J’ai donc l’intention de me rendre à Londres, à Paris et à Washington, ainsi qu’au siège de l’OTAN à Bruxelles.
L’arrestation du général Galić est une indication claire de ce qui peut être fait. Il est maintenant sous la garde du Tribunal, ici à La Haye, et sa comparution initiale aura lieu dans les jours qui viennent. Il s’agit de la dernière arrestation menée avec succès par les troupes de la SFOR en Bosnie. Je tiens à féliciter la SFOR pour le soutien qu’elle apporte à la justice internationale et je ne doute pas qu’elle procèdera à nouveau à de nombreuses arrestations. Pour ma part, je continuerai à maintenir secrets les actes d’accusation pour que les accusés ne puissent pas se soustraire au Tribunal.
Les autorités de la Republika Srpska ont récemment donné des signes encourageants de coopération. Je me suis entretenue avec elles à propos du secret des actes d’accusation et elles connaissent ma position à ce sujet. Si cette coopération continue, je suis prête, dans le cadre de certaines affaires où certains accusés ont déjà été interpellés mais où d’autres ont été mis en cause en secret, à révéler aux autorités de la Republika Srpska leur identité à condition que la Republika Srpska s’engage à coopérer en prenant des mesures en faveur de l’arrestation des fugitifs.
Les personnes accusées de crimes de guerre ne doivent être nulle part en lieu sûr. Il est scandaleux que la République fédérale de Yougoslavie ait pu devenir un refuge pour des criminels de guerre présumés et j’entends exhorter la communauté internationale à remédier à cette situation de toutes les façons possibles. Je vais également prendre des mesures pour que les accusés qui en ont les moyens n’utilisent pas leurs ressources financières pour rester en liberté. Aucune mesure ne permettra à elle seule de régler la question des arrestations, nous devons agir sur plusieurs fronts à la fois et nous montrer créatif dans notre quête de solutions. À mesure que le temps passe, il est important de ne pas oublier le caractère atroce des crimes qui relèvent de la compétence du Tribunal.
Je continuerai aussi à demander instamment que des mesures soient prises contre tout État refusant de coopérer avec mon bureau dans le cadre de ses enquêtes. Le devoir des États de s’acquitter de leurs obligations au regard du droit international est sans équivoque, et la communauté internationale ne doit tolérer aucune entrave à la mission du Tribunal. Si je constate de telles obstructions à nos travaux, je continuerai à le signaler au Président du Tribunal afin qu’il en informe le Conseil de sécurité. Ne nous faisons pas d’illusions sur les moyens que certains sont prêts à mettre en oeuvre pour entraver nos enquêtes. De récents éléments de preuves laissent à penser que des efforts concertés, organisés et funestes ont été entrepris pour s’opposer à nos travaux, et j’ai l’intention d’être extrêmement vigilante sur ce point. La sécurité de nos enquêteurs et des témoins potentiels constituera donc l’une de mes priorités pour l’an 2000. Il est indispensable que le Conseil de sécurité, organe dont nous relevons, soutienne nos efforts, et je m’étonne qu’il n’ait pas encore pris de mesures après voir été informé du manquement de la Croatie à son devoir de coopération avec mon bureau, dans le cadre des enquêtes qu’il mène sur des crimes qui auraient été commis pendant et après les opérations Tempête et Éclair.
Il sera d’autant plus important de garantir la sécurité de nos travaux qu’un vaste programme d’enquêtes et de poursuite est prévu pour l’an prochain. Comme vous le savez, nous avons du porter toute notre attention sur le Kosovo cette année, car notre compétence évolue et nous avons le devoir de juger tout nouveau crime commis. Pour ce qui est du Kosovo, cela signifie que nous n’enquêterons pas seulement sur les crimes commis par les Serbes. Nous mènerons aussi des enquêtes sur des allégations de crimes perpétrés par l’ALK.
Nous avons déjà donné en détail les résultats de nos travaux d’exhumations, je ne les répèterai donc pas aujourd’hui. Nous avons déjà identifié 529 charniers et exhumés 2 108 corps et nous avons les preuves qu’ils sont bien plus nombreux. Le chiffre exact définitif ne sera jamais connu en raison des efforts qui ont été déployés pour dissimuler les crimes, mais nous continuons à découvrir l’existence d’autres sites. Notre programme d’exhumations sera donc encore chargé l’année prochaine.
D’autres enquêtes se poursuivront aussi pour ce qui est de la Bosnie et de la Croatie. Vous n’avez pas encore connaissance de l’ensemble des activités d’enquête du Bureau du Procureur. Selon moi, quelque 36 enquêtes doivent encore être conclues avant que le Procureur ne puisse annoncer au Conseil de sécurité que notre mission d’investigations est terminée. Dix-neuf enquêtes ont commencé, ce qui signifie que 17 autres doivent encore débuter. Selon nos estimations, ces travaux seront achevés au cours des quatre années qui viennent, d’ici à la fin de l’année 2004. Nous estimons qu’elles concerneront environ 150 suspects, qui occupent presque tous de hautes fonctions. Certaines de ces enquêtes entraîneront l’établissement de nouveaux actes d’accusation – et je l’espère, de nouvelles arrestations – l’année prochaine.
D’importants procès auront lieu en 2000, et certains d’entre eux permettront de révéler des éléments de preuve concernant des questions jamais encore abordées dans le cadre de procès. Nous verrons s’ouvrir de nouveaux chapitres de la présentation des éléments de preuve, relativement à Srebrenica et à la campagne de Sarajevo et de ses alentours, par exemple. Vous allez commencer à voir les résultats concrets des travaux réalisés en coulisse depuis de nombreux mois. Vous continuerez également à assister à l’évolution de nos procédures, car j’ai l’intention de trouver de nouveaux moyens de tirer profit des meilleures notions des systèmes de common law et de droit civil. Dans ce tribunal comme dans celui pour le Rwanda, nous sommes en train de créer rapidement un système juridique unique dont nous pouvons, à juste tire, nous enorgueillir.