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Jugement rendu dans l'affaire le procureur c/ Miodrag Jokic : L'accusé condamné à 7 ans d'emprisonnement

Communiqué de presse
CHAMBRES
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 18 mars 2004
GA/S.I.P./832f


Jugement rendu dans l'affaire le procureur c/ Miodrag Jokic :
L'accusé condamné à 7 ans d'emprisonnement

 

Veuillez trouver ci-dessous le résumé du jugement rendu par la Chambre de 1ére instance I composée des juges Alphons Orie (Président), Amin El Mahdi et Joaquín Martín Canivell, tel que lu à l’audience de ce jour par le Juge Président :

RÉSUMÉ DU JUGEMENT MIODRAG JOKIĆ

1. L’audience tenue aujourd’hui est consacrée au prononcé du jugement portant condamnation de Miodrag Jokic pour son rôle dans des événements en rapport avec le bombardement de Dubrovnik le 6 décembre 1991. Ce qui suit n’est qu’un résumé du jugement écrit, dont il ne fait pas partie intégrante. Le texte écrit du jugement sera mis à la disposition des parties et du public à l’issue de l’audience.

2. Nous exposerons brièvement le contexte et les faits de l’espèce, ainsi que les éléments dont la Chambre de première instance a tenu compte pour fixer la peine. Il convient de garder à l’esprit que nos conclusions ne se fondent pas sur un examen contradictoire des faits mais sur les arguments exposés par les parties en conformité avec l’accord sur le plaidoyer, et, dans une moindre mesure, les éléments de preuve produits lors de l’audience relative à la peine.

3. Miodrag Jokic s’est livré volontairement au Tribunal le 12 novembre 2001. Aprčs avoir initialement plaidé non coupable, il a conclu un accord sur le plaidoyer avec l’Accusation le 25 août 2003. Aux termes de cet accord, Miodrag Jokic a reconnu sa culpabilité pour les six chefs retenus dans le deuxième acte d’accusation modifié. Tous constituent des violations des lois ou coutumes de la guerre. La Chambre de première instance a estimé que le plaidoyer de culpabilité remplissait les conditions requises par l’article 62 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal et a déclaré l’accusé coupable de tous les chefs d’accusation.

4. Lors de l’audience relative à la peine qui s’est tenue le 4 décembre 2003, l’Accusation et la Défense ont exposé leurs arguments devant la Chambre de première instance et ont chacune cité deux témoins à comparaître. Miodrag Jokic lui-męme a lu une brève déclaration.

5. Miodrag Jokic est né ŕ Donja Toplica, en Serbie, le 25 février 1935. Il a servi au sein de la marine yougoslave jusqu’au 8 mai 1992.

6. En octobre 1991, Miodrag Jokic a été nommé commandant du neuvičme secteur naval. Les événements survenus le 6 décembre 1991 à Dubrovnik et dans les environs ont été précédés par une campagne militaire commencée le 8 octobre 1991 et menée par Miodrag Jokic, agissant seul ou de concert avec d’autres. Des forces fédérales yougoslaves (« la JNA ») ont encerclé Dubrovnik pendant environ trois mois, période au cours de laquelle la vieille ville de Dubrovnik a été bombardée à plusieurs reprises.

7. Au début du mois de décembre 1991, les forces croates et celles de la JNA étaient sur le point de parvenir à un accord de cessez-le-feu total. Miodrag Jokic était chargé de négocier au nom de la partie yougoslave. Toutefois, le 6 décembre, les forces de la JNA placées sous le commandement de Miodrag Jokic, entre autres, ont bombardé illégalement la vieille ville de Dubrovnik.

8. Par suite de ces bombardements, deux civils ont été tués et trois blessés dans la vieille ville. Six bâtiments de la vieille ville ont été totalement détruits et beaucoup d’autres endommagés. Les édifices dévastés ou endommagés étaient notamment des édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance, à l’enseignement, aux arts et aux sciences, des monuments historiques, des oeuvres d’art et des śuvres de caractère scientifique.

9. Les bombardements se sont poursuivis pendant une partie de la journée. Le 6 décembre 1991, à 14 heures, Miodrag Jokic a envoyé ŕ un ministre du Gouvernement croate à Dubrovnik un radiogramme dans lequel il exprimait ses regrets « pour cette situation difficile et malheureuse » et déclarait qu’il n’avait pas ordonné ces bombardements. Pourtant, malgré l’intensité des bombardements sur la vieille ville, aucun ordre immédiat n’a été donné par Miodrag Jokic pour les faire cesser. Les parties conviennent que Miodrag Jokic a été informé de ces bombardements illégaux dčs les premières heures du 6 décembre 1991 et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour les empêcher ou les faire cesser. Par la suite, aucun des membres de la JNA dont Miodrag Jokic était responsable en tant que supérieur hiérarchique n’a été puni ou sanctionné pour les bombardements en cause.

10. Le 7 décembre 1991, un accord de cessez-le-feu total a finalement été conclu. Lors de la réunion au cours de laquelle l’accord a mis au point, Miodrag Jokic a présenté des excuses à son homologue croate pour les événements survenus la veille.

11. Nous allons à présent aborder les crimes desquels Miodrag Jokic a plaidé coupable et la forme qu’a prise sa responsabilité pour ces crimes. Comme nous l’avons déjŕ indiqué, les crimes reprochés ont tous été perpétrés le 6 décembre 1991, la seule date mentionnée dans l’acte d’accusation.

12. Miodrag Jokic a été déclaré coupable des attaques illégales menées contre des civils dans l’enceinte de la vieille ville de Dubrovnik, du meurtre de deux personnes, Tonči Skocko et Pavo Urban, au cours de ces attaques, et des traitements cruels infligés à trois autres, Nikola Jovic, Mato Valjalo et Ivo Vlašica, blessés au cours de ces mêmes attaques. Il a également été déclaré coupable de dévastation que ne justifient pas les exigences militaires et d’attaques illégales contre des biens de caractère civil. Enfin, la culpabilité de Jokic a été reconnue pour la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, de monuments historiques, d’śuvres d’art et d’śuvres de caractère scientifique. La vieille ville de Dubrovnik était protégée par la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Elle avait de surcroît été classée au Patrimoine culturel mondial par l’UNESCO. Il s’agissait d’un site architectural exceptionnel illustrant une étape importante dans l’histoire de l’humanité et une réussite culturelle. En bombardant la vieille ville, on s’est attaqué non seulement à l’histoire et au patrimoine de la région, mais aussi au patrimoine culturel de l’humanité tout entière.

13. Miodrag Jokic est responsable des crimes desquels il a été déclaré coupable pour partie au regard de l’article 7 1) du Statut (complicité), et pour partie au regard de l’article 7 3) du Statut (responsabilité du supérieur hiérarchique). Les crimes en cause ont été commis par des soldats placés sous son commandement de Jokic, męme si ce n’est pas lui, selon l’Accusation, qui a ordonné ces crimes. Certains aspects du comportement de Miodrag Jokic, notamment ses actes et ses omissions avant le bombardement de la vieille ville par les forces de la JNA le 6 décembre 1991, sont ŕ juste titre qualifiés de complicité en raison de la forte incidence qu’ils ont eue sur la commission des crimes perpétrés ce jour-là. D’autres omissions coupables, dans les circonstances particulières de l’espèce, relèvent de la responsabilité du supérieur hiérarchique découlant de l’article 7 3) du Statut. Ainsi, Miodrag Jokic n’a pas réagi comme il le devait face aux crimes et n’en a pas non plus puni les auteurs placés sous son autorité.

14. La Chambre de première instance a analysé les finalités de la sanction à la lumière du mandat du Tribunal. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, la rétribution, la dissuasion et la réinsertion ont été considérées comme des fonctions à prendre en compte dans la condamnation des auteurs de crimes internationaux.

15. Parmi les éléments entrant en considération dans la sentence, la Chambre de première instance a d’abord examiné la gravité des crimes, dans les circonstances particulières de l’espèce, ainsi que le mode et le degré de la participation de Jokic à ces crimes.

16. Toute attaque militaire illégale menée contre des civils et faisant parmi eux des morts et des blessés constitue une violation très grave du droit international humanitaire, en ce sens qu’elle en transgresse l’un des principes fondamentaux. Des conséquences tragiques et durables sont prévisibles en cas de bombardement d’une zone peuplée. Le décès de deux civils et les blessures infligées à trois autres doivent être vigoureusement condamnés.

17. La Chambre de première instance estime également que la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires et les attaques illégales contre des biens de caractère civil constituent des crimes très graves en l’espèce, compte tenu de l’étendue des destructions provoquées dans la vieille ville en une seule journée de bombardements intenses.

18. Aux fins du présent jugement, la Chambre de première instance a prêté une attention toute particulière à la question de la destruction ou de l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, de monuments historiques, d’śuvres d’art et d’śuvres de caractère scientifique. La Chambre de première instance a conclu qu’un tel crime représentait une atteinte à un intérêt bénéficiant d’une protection spéciale. Ce crime est particulièrement grave en l’espèce, étant donné que toute la vieille ville de Dubrovnik avait été classée site protégé par l’UNESCO. Les immeubles d’habitation situés dans l’enceinte de la ville étaient donc sous protection spéciale, de même que le reste du site, en tant que site architectural exceptionnel illustrant une étape importante dans l’histoire de l’humanité.

19. Les fonctions de supérieur hiérarchique exercées par un accusé peuvent constituer une circonstance aggravante, compte tenu des lourdes conséquences que peuvent entraîner les manquements d’une personne occupant un poste de haut rang. La Chambre de première instance a retenu cette circonstance aggravante dans le cas de Miodrag Jokic qui, en sa qualité d’amiral, détenait un pouvoir et une autorité considérables.

20. Toutefois, comme nous l’avons déjà mentionné à propos du mode de participation de Miodrag Jokic aux crimes en cause et de la responsabilité qui en découle, il n’a joué qu’un rôle marginal, et ce, essentiellement par ses omissions.

21. Comme circonstances atténuantes, la Chambre de première instance a retenu le fait que Miodrag Jokic, officier de haut rang, s’est livré volontairement au Tribunal, qu’il a plaidé coupable de tous les chefs retenus dans le deuxičme acte d’accusation modifié et qu’il a coopéré activement avec l’Accusation.

22. En outre, la Chambre de première instance a considéré comme une circonstance atténuante importante le fait que Miodrag Jokic a publiquement exprimé son dissentiment et ses regrets concernant les bombardements, non pas seulement au moment de devoir répondre devant un tribunal des accusations portées contre lui, mais dès le 6 décembre 1991. La Chambre a également retenu comme circonstance atténuante le comportement irréprochable de Miodrag Jokic après les attaques en cause.

23. La Chambre de première instance a également pris en compte la situation personnelle de Miodrag Jokic.

M. Jokic, veuillez vous lever.

Pour les raisons que nous avons précédemment évoquées, la Chambre de première instance vous CONDAMNE à une peine unique de sept (7) années d’emprisonnement. En application de l’article 101 C) du Règlement, seront décomptés de la durée de la peine les 116 jours que vous avez déjà passés en détention, jusqu’à, et y compris, la date du présent jugement.

L’AUDIENCE EST LEVÉE.
 

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Jugement

Résumé


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