La Présidente du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, le Juge Gabrielle Kirk McDonald, a envoyé aujourd’hui une lettre à M. Jeremy Greenstock, Président du Conseil de sécurité de l’ONU. Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral de sa lettre :
Monsieur le Président du Conseil de sécurité,
J’ai l’honneur de porter le sujet suivant à l’attention du Conseil de sécurité.
Les efforts récemment déployés pour trouver une issue pacifique aux évènements du Kosovo ont débouché sur des accords entre le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro, RFY), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Le Président de Serbie a également fait paraître une « Déclaration sur les principes d’une solution politique et de l’élaboration d’un calendrier ». Bien qu’aux termes de ces accords, le Gouvernement de la RFY soit tenu d’accepter un système de vérification international au Kosovo, ils ne comportent aucune disposition concernant l’obligation de la RFY de coopérer avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le Tribunal international).Il semblerait, en outre, aux termes de la déclaration du Président de Serbie, que les instances judiciaires de la RFY se réservent le droit de mener des enquêtes, de poursuivre et de juger des infractions commises au Kosovo et relevant de la compétence du Tribunal international.
Ceci est particulièrement préoccupant pour le Tribunal international, au regard des relations qu’il a entretenues jusqu’à présent avec la RFY, caractérisées par une absence quasi totale de coopération de la part de cette dernière. Je souhaiterais par conséquent faire respectueusement remarquer qu’il est impératif que la compétence du Tribunal international soit réaffirmée sans équivoque et que l’obligation du Gouvernement de la RFY de coopérer soit clairement explicitée dans le cadre de toute résolution adoptée concernant la situation au Kosovo.
Comme vous le savez, j’ai écrit au Conseil de sécurité au mois de septembre dernier et j’ai ultérieurement informé ses membres que le Gouvernement de la RFY persistait à refuser de coopérer avec le Tribunal international en ne procédant pas à l’arrestation et au transfèrement devant le Tribunal de trois accusés mis en cause par lui. Mile Mrksić, Miroslav Radić et Veselin Šljivančanin ont été mis en accusation le 7 novembre 1995 pour le meurtre de 260 hommes non armés, après la chute de Vukovar, en novembre 1991. J’ai rappelé que des mandats d’arrêt internationaux avaient été envoyés à tous les États en mars 1996, et que mon prédécesseur avait, en avril 1996, informé le Conseil de sécurité du manquement de la RFY à son obligation d’arrêter ces trois hommes. Ils sont encore en liberté aujourd’hui, et l’on pense qu’ils se trouvent en Serbie. De plus, le Gouvernement n’a pas tenu compte de la décision du Conseil de sécurité imposant à tous les États d’adopter une législation nécessaire à la mise en œuvre des dispositions de la résolution 827 et du Statut du Tribunal international. La RFY est le seul signataire de l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine à ne pas avoir adopté semblable législation, et à ne pas avoir transféré devant le Tribunal international les accusés présents sur son territoire. La RFY ne s’est donc pas acquittée de son obligation au regard de la résolution 827 et du Statut du Tribunal international, notamment de son article 29.
En ce qui concerne les évènements au Kosovo, le Conseil de sécurité a confirmé, à deux reprises, que la RFY est tenue de respecter cette obligation conformément au droit international, notamment à la résolution 1160 adoptée au mois de mars dernier. Avec sa résolution 1199,le Conseil de sécurité a en outre rappelé cette obligation de coopération faite à la RFY et aux autres parties concernées.
Je suis par conséquent extrèmement préoccupée par le fait que les accords conclus concernant la situation au Kosovo ne comporte aucune reconnaissance explicite des obligations de la RFY par rapport au Tribunal international. Si les accords précisent bien que la RFY doit, entre autres, se conformer aux dispositions de la résolution 1199, le gouvernement de la RFY n’a pris aucun engagement ferme pour coopérer avec le Tribunal international. À cet égard, je note avec une vive inquiétude que le Président de Serbie annonce dans sa déclaration que « nul ne fera l’objet de poursuites, devant les tribunaux nationaux, pour des crimes relatifs au conflit du Kosovo, sauf s’il s’agit de crimes contre l’humanité et contre le droit international … ». Dans cette opinion exprimée par le Gouvernement de Serbie, il n’est fait nullement référence au Tribunal international. J’ai donc peur qu’il ne s’agisse d’une tentative implicite de nier la primauté du Tribunal international et de faire fi de l’obligation juridique faite à la Serbie, en tant que partie de la RFY, de faciliter les travaux du Tribunal international.
Tout en espérant que le Gouvernement de la RFY va maintenant accepter de coopérer, je crains qu’en l’absence d’une disposition explicite visant au respect de la volonté du Conseil de sécurité, le Tribunal international ne soit confronté à de nouvelles difficultés avec le Gouvernement de la RFY. Je remarque d’ailleurs que depuis mon allocution devant le Conseil de sécurité le mois dernier, la RFY n’a pris aucune mesure pour interpeller les trois accusés précités.
L’obligation de coopération et de respect des dispositions est incontournable. Elle ne saurait être modifiée, négociée ou abrogée par quiconque ou par quelque gouvernement que ce soit. Le Conseil de sécurité, l’organe habilité à créer le Tribunal, est le seul organe susceptible de réviser ou d’abroger cette obligation. Il ne l’a pas fait, par conséquent cette obligation demeure. Au regard de la résolution 1199, il est clair que la RFY ne saurait entraver les travaux du Procureur dans le cadre des enquêtes qu’il mène au Kosovo. Il est également clair que la RFY doit prendre toute autre initiative nécessaire pour faciliter les travaux du Tribunal, notamment en procédant à l’arrestation des accusés.
Tous les États doivent respecter le droit international. Tous sont tenus de veiller au respect de leurs obligations. À l’heure où prévalent de plus en plus les droits de l’homme et des individus, le fait que la RFY continue à passer outre à la volonté et aux règles de
la communauté internationale met en péril tous les efforts entrepris pour restaurer la paix parmi les populations de l’ex-Yougoslavie. C’est pourquoi je souhaite exhorter le Conseil de sécurité à prendre les mesures nécessaires pour faire valoir le statut et la primauté du Tribunal, tout en veillant à ce que la RFY s’acquitte maintenant de ses obligations.
Veuillez croire, Monsieur le Président du Conseil de sécurité, en l’assurance de ma très haute considération,
Gabrielle Kirk McDonald
Présidente
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Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
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