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Lettre du Président McDonald au Président du Conseil de sécurité au sujet de questions relatives à la non-coopération de certains États restées en suspens.

PRÉSIDENT
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
(Destiné exclusivement à l’usage des médias. Document non officiel.)
La Haye, le 2 novembre 1999
JL/P.I.S/444-F

Lettre du Président McDonald au Président du Conseil de sécurité  au sujet de questions relatives à la non-coopération de certains États  restées en suspens.

Veuillez trouver ci-après le texte intégral de la lettre adressée le 2 novembre 1999 par Mme le Juge Gabrielle Kirk McDonald, Président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), au Président du Conseil de sécurité de l’ONU.

Le 2 novembre 1999

Monsieur le Président,

Comme vous le savez, mon mandat de Président du Tribunal international prendra fin le 16 novembre 1999. J’aimerais par conséquent attirer votre attention sur plusieurs questions restées sans réponses concernant le non-respect, par certains États, de l’obligation que leur fait le Tribunal international de coopérer avec lui, en vertu de l’article 29 de son Statut. Ces quatre dernières années, mon prédécesseur, le juge Antonio Cassese, et moi-même, avons à plusieurs reprises, signalé le non-respect, par certains États, de leur devoir de coopération, mais ce problème est largement resté sans réponse. Au lieu de cela, et en dépit de mesures prises par le Conseil de sécurité, notamment les résolutions 940 et 1207 et de plusieurs déclarations du Président, les États en question ont continué de se jouer de la volonté de la communauté internationale, refusant de coopérer avec le Tribunal et ne s’acquittant pas de leurs obligations juridiques. C’est tout simplement inacceptable et je demande au Conseil de sécurité de prendre les mesures qui s’imposent pour remédier à cette situation préoccupante.

Le non-respect des obligations que nous avons signalé, s’est manifesté de la façon suivante :
1) des personnes mises en causes par le Tribunal n’ont été ni arrêtées ni déférées devant lui ; 2) la compétence du Tribunal n’a pas été reconnue dans le cadre de certaines opérations ; 3) les enquêteurs du Tribunal n’ont pas été autorisés à se rendre sur les lieux de crimes présumés, au Kosovo. Vous trouverez ci-joint une liste des précédents rapports de non coopération. Les évènements récents et le fait que le Procureur se trouve lui-même au Kosovo ont permis de résoudre en grande partie les problèmes soulevés par le troisième cas de figure. Cependant, les deux premiers cas de défaut de coopération susmentionnés demeurent, et illustrent le manquement permanent des Ėtats et entité concernés à s’acquitter de leurs obligations.

Permettez-moi, Monsieur le Président, de rappeler le contenu de mes rapports de non-coopération et de souligner une fois encore les raisons pour lesquelles il est important que les Ėtats exécutent les ordonnances du Tribunal et donnent suite à ses demandes d’assistance. Nous avons adressé un certain nombre de demandes afin que huit personnes soient arrêtées et déférées devant le Tribunal. Les requêtes d’arrestation et de transfert d’accusés qui sont restées le plus fréquemment sans suite concernent l’affaire connue à présent comme celle des « Trois de Vukovar ». Mile Mrkšić, Miroslav Radić et Veselin Šlijvančanin ont été mis en cause pour le meurtre de 260 civils et d’autres hommes non armés, après la chute de Vukovar, en novembre 1991. Le 3 avril 1996, la Chambre de première instance I du Tribunal a certifié que « l’acte d'accusation n’a[vait] pas été signifié parce que la République fédérale de Yougoslavie avait refusé de le faire ». Le Conseil de sécurité a par conséquent été informé de ce manquement, à quatre reprises au moins, mais les accusés sont encore en fuite. D’autres rapports concernant le manquement à l’obligation d’arrêter et de transférer des accusés ont également été adressés à l’entité serbe de Bosnie (au sujet de Dragan Nikolić), à la République fédérale de Yougoslavie (concernant Radovan Karadžić et Ratko Mladić), à la République de Croatie (concernant Ivica Rajić et Mladen Naletilić) et à la Bosnie-Herzégovine (en ce qui concerne Ivica Rajić).

S’agissant de la non reconnaissance de la compétence du Tribunal dans le cadre de certaines opérations, j’ai rendu compte, le 25 août 1999, du fait que la République de Croatie ne reconnaissait pas la compétence du Tribunal pour les évènements relatifs à l’ « opération Tempête » et à l’ « opération Éclair ». Le Conseil de sécurité n’a pas donné suite à mon rapport, en application de l’article 7 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal. J’ai en outre fait état de la non reconnaissance, de la part de la République fédérale de Yougoslavie, de la compétence du Tribunal pour juger des crimes présumés commis au Kosovo.

Comme je l’ai dit à maintes reprises en informant le Conseil de sécurité de ces manquements, le Tribunal est à la merci de la communauté internationale pour que les ordonnances qu’il rend soient mises à exécution. Le Tribunal ne dispose pas de mécanismes coercitifs et doit compter sur la communauté internationale pour que soient délivrés ses mandats d’arrêt et que ses ordonnances soient mises en œuvre. Or ce soutien fait bien trop souvent défaut. Pire encore, il arrive souvent que le Tribunal et les autorités de certains États de l’ex‑Yougoslavie ne parviennent pas à s’accorder, ces dernières ayant systématiquement tenté d’entraver les travaux du Tribunal. Face à ce qui est devenu de l’obstructionnisme manifeste, le seul recours du Tribunal est de se tourner vers l’organisme qui l’a créé — le Conseil de sécurité.

À l’occasion de mon dernier rapport au Conseil de sécurité en qualité de Président du Tribunal, je vous implore de prendre les mesures efficaces qui s’imposent pour que ces États et entité récalcitrants réintègrent la communauté des nations, respectueuses des lois. Aucun État n’a le droit de se soustraire à ses obligations claires au regard du droit international. Le Tribunal a été créé par le Conseil de sécurité, conformément au chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Par conséquent, en application de l’article 29 du Statut du Tribunal, les États sont tenus de se conformer aux ordonnances et aux demandes d’assistance adressées par le TPIY.

À l’aube du vingt-et-unième siècle, il est tout simplement inacceptable que certains territoires soient devenus un refuge pour des personnes accusées des crimes les plus graves perpétrés contre l’humanité. Il faut clairement faire savoir à ces États qu’un tel comportement est légalement – et moralement - inacceptable. Le Conseil de sécurité dispose du pouvoir et des moyens requis pour y mettre un terme. Au nom de tous les peuples de l’ex-Yougoslavie, je vous demande instamment d’agir.

Si le Conseil de sécurité souhaitait en savoir plus sur l’un de ces cas de manque de non-coopération, je serai à New York du 4 au 8 novembre et au siège de l’ONU le 8 novembre 1999, pour soumettre le sixième rapport annuel du Tribunal à l’Assemblée générale.

Je vous prie d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.

Gabrielle Kirk McDonald
Président